Toujours ces cris, parfois rauques et graves, souvent perçants. Il arrivait à discerner des couleurs sombres, des tons rouges violacés, qui semblaient même colorer la brume qui l'empéchait de voir plus loin. Ce rêve occupait chacune de ses nuits.
Pourtant il vivait heureux désormais. Il n'était plus sous le joug du Comte Fenthick, il vivait au camp de Prydween. On lui avait proposé une des chambres du château, mais, fermement résolu à abandonner la vie de courtisan, il s'était installé dans un baraquement construit pour les élèves du camp, et vivait parmi eux. Lui qui comptait les heures devant ses livres du temps de Fenthick ne se rendait plus compte de la vitesse à laquelle le temps défilait. Combien de temps avait il passé au camp depuis son arrivée? Une semaine? Un mois? Il n'en savait rien.
Les nouvelles de la Guerre arrivaient difficilement jusqu'à lui. Les instructeurs du camp ne les tenaient pas au courant de tout, même si quelques informations importantes arrivaient à s'ébruiter parfois. Mais les élèves n'étaient pas dupes, la multiplication de débats animés entre le Seigneur Prydween et ses instructeurs ne présageait rien de bon. Les armées de Midgard étaient à peine contenues que des rumeurs traitaient déjà d'une entrée en Guerre du royaume Elfique. Des récits de batailles où la magie Hibernienne terrassait les fantassins Albionnais impuissants parvenaient déjà aux oreilles des élèves du camp. Cette idée glaçait le sang de Broq. Comment son épée lutterait-elle contre ces forces mystiques? Comment vaincre un elfe, réputé immortel? Il n'était pas sans connaitre l'histoire de son royaume, et avait lu les récits narrant les pouvoirs de Merlain le thaumaturge. Il savait aussi que plusieurs sujets d'Arthur s'étaient essayés à la magie, qu'elle soit blanche ou noire. Mais ces elfes, disait-on, les surpassaient en puissance.
A l'aube d'un matin sans nuage, le soleil irradiait de sa blancheur le territoire des collines de Camelot, et l'on pouvait facilement discerner le convoi qui s'approchait du camp par là route. Il n'était composé que d'une simple voiture, décorée à l'or fin, protégée par six cavaliers en armures, arborant fièrement l'insigne de Camelot sur leur boucliers. On ouvrit les portes du fort, le convoi entra dans la cour, sous le regard de certains élèves matinaux qui travaillaient leur technique sur des mannequins de paille. Une silhouette descendit du carrosse. C'était un homme de grande taille, vêtu d'une robe sombre et d'une pèlerine qui masquait le haut de son crâne et une partie de son visage. De lui, on ne voyait que des mains blêmes et ridées, crispées sur un bâton d'un bois précieux; et une bouche terne qui lézardait son visage, cachant de petites dents usées. Sa peau semblait luire tant elle était blanche, ce qui rendait l'individu relativement repoussant. Il chuchota à un garde d'une voix éraillée:
"Je dois parler au Seigneur Prydween.
- Je suis là cabaliste! Déclinez vos intentions avant que je vous dénonce au bûcher inquisiteur!"
Le Seigneur Prydween se tenait à quelques mètres du sombre individu, la main sur la garde de son épée.
"Je constate que vous devriez sortir plus souvent de votre bastion, Sire Prydween. A Camelot les évènements évoluent bien trop vite pour vous. L'Inquisition a perdu de son pouvoir depuis que les classes dirigeantes de la capitale ont compris que la magie noire pouvait s'avérer cruciale dans l'avancement de la Guerre. Comme vous le voyez mes semblables circulent librement sur le territoire Albionnais désormais. Accordez moi une audience, je suis aussi là pour vous tenir au courant de ces choses."
Le cabaliste parlait de façon très calme, un semblant de sourire marquant son visage, sans parvenir a dérider la raideur de ses traits.
"Et dites à vos archers de ranger leurs arcs, il n'ont auront pas besoin contre moi."
Ces deux tireurs se trouvaient derrière le mage noir, il ne pouvait pas les voir. De crainte, ils posèrent arcs et carquois.
"Pourquoi vous ferai-je confiance? demanda Prydween.
- Regardez ces boucliers, ils portent l'insigne de Camelot, cela ne vous suffit pas? J'ai aussi mon ordre de mission.
Le parchemin qu'il présenta au paladin n'était pas ordinaire, il portait en incrustation les armoiries du Roy Arthur, et le sceau qui avait été appliqué dans la cire était celui d'un membre des Défenseurs d'Albion.
- Je ne suis pas Inquisiteur, répondit Prydween, que cela ne m'empêche pas de vous occire à la moindre entour-loupe de votre part."
Il conduisit le cabaliste dans une pièce exiguë, et fit signe aux gardes de les laisser seuls.
Prydween n'était pas à l'aise, et ressentait la même crainte à l'égard du cabaliste qu'à l'encontre de tout ceux qui ne maniaient pas les armes. La magie noire était encore phénomène inexpliqué en ces temps troublés, et on attribuait encore des relations étroites entre ses pratiquants et le Diable en personne. Cette entrevue lui semblait incongrue, lui le bras armé de l'Eglise d'Albion, dressé devant un hérétique venu l'instruire des nouvelles de la capitale.
Le cabaliste parla d'une voix voilée:
"Je m'appelle Mordac, j'ai été envoyé par les autorités de Camelot pour constater de l'avancement de l'entrainement de vos jeunes recrues.
- Qui commande en Camelot?
Le cabaliste eut l'air surpris de cette question, il ne pensait pas que le paladin ignora tant de chose à propose de son propre Royaume.
- Comme vous le savez peut-être, à la mort d'Arthur il y eut de nombreuses tentatives d'instauration d'un pouvoir durable, qui régnerait sur Albion. Le trouble s'installa dans la rues de Camelot, les candidats au pouvoir affluant de toutes parts. Il eut fallu que la Guerre éclata pour le Royaume s'organise. Des groupes d'aventuriers se réunirent, des chefs furent nommés et des guildes furent créées. Le Conseil Suprème de Camelot détient aujourd'hui les rennes du pouvoir. Il est composé des chefs de chaque guilde officiellement inscrites sur les registres détenus par le greffier de Camelot. C'est ce Conseil qui m'envoie.
- Une alliance entre factions? Mais comment est-ce possible?
Prydween avait du mal à s'imaginer combattant aux cotés de cabalistes, ou pire, venant en aide à des nécromanciens.
- C'est le Guerre qui les unit pour le moment, ils combattent actuellement ensemble, mais chaque guilde garde à l'esprit que ce conflit créera de lui même une hiérarchie entre les guildes méritantes et les autres. Tous espèrent pouvoir réclamer le Pouvoir Absolu quand la paix sera instaurée.
Le paladin écoutait parler Mordac, les yeux dans le vague, comme assommé par chaque mot sortant de sa bouche.
- Quelle infamie! Quelle décadence! Arthur n'accepterait pas ça.
- Rassurez-vous, la fin de la Guerre est loin de se dessiner, c'est aussi la raison de ma venue ici. Hibernia est entré en Guerre, nous ne pouvons encore rien dire quant à leurs rapports avec les Midgardiens, mais nous savons déjà qu'ils ne nous comptent pas comme leurs alliés. Nos troupes décimées se sont encore une fois réfugiées derrière les remparts du Chateau Sauvage, alors qu'ils parvenaient tout juste à repousser l'armée de Midgard. Vos troupes sont-elles prêtes à combattre, Sire Prydween?
- Mes troupes? Mais de quoi parlez-vous? Ces jeunes hommes sont des élèves, ils sont loin d'être des soldats pour la plupart. Envoyez les combattre et ceux qui reviendront se compteront sur les doigts d'une main!
- Je vois... Nous allons donc tâcher de repérer ce dont vous parlez, j'assisterai à leur entrainement matinal, je les étudierai en détail et déciderai moi-même lesquels sont aptes au combat.
- Tout cela n'est que pure folie! Autant envoyer des vieillards sur le front!
Le cabaliste s'approcha de Prydween, murmurant à son oreille:
- Nous pourrions y songer vieux fou. Evitez de discuter les ordres du Conseil, vous nous êtes plus utile vivant que mort. Réveillez vos élèves, que l'inspection commence, je ne tiens pas à y passer la journée."
Mordac sortit le premier, le Seigneur Prydween semblait ne plus pouvoir bouger, ses yeux sans vie fixaient le baraquement des recrues. Péniblement il se rendit dans la cour pour informer ses instructeurs de ce qui allait se passer.
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