La R et D chez Perkone, Thukker, Boundless, Duvolle ou Ishukone relève bien entendu du secret-défense. Le plus souvent, ces projets ont été purement et simplement abandonnés, leurs archives perdues ou détruites et les prototypes ferraillés. Mais quelques-uns d'entre eux on survécu ou leur mémoire est restée, souvent parce qu'ils étaient rattachés à des événements particuliers. Le Lynx fait partie de ces derniers.
Le demi-frère maudit du Hound
Le Hound n'est pas le seul vaisseau sorti du cerveau prolifique des ingénieurs Minmatar lors de la bataille de Skarkon. Probablement très secoués par les impacts incessants des torpilles de la 8e Flotte Impériale lors de la tentative de prise de la station III-14, ils ont accouché d'un autre bidouillage qui, à l'inverse du Hound, n'a pas connu de suites.
La philosophie de base était la même : monter les plus grosses armes possibles sur une frégate, toujours à cause des dégâts occasionnés aux rampes de lancement qui empêchait les vaisseaux de ligne de sortir. Armés de leur outil de fabrication préféré, à savoir le poste à souder, ils ont entrepris de fixer sur la coque d'un Rifter deux affûts de 425 mm, couplés aux systèmes de tir et d'acquisition du Stabber, le très efficace QBY-11, dont dérivera ceux employés par Thukker sur les Vagabond. Le Lynx (son nom de baptême non-officiel) était né.
Les premiers tests furent désastreux : sous l'effet du recul des affûts, le pilote du Lynx perdait complètement le contrôle de la trajectoire de l'appareil. Les affûts, trop lourds, déséquilibraient complètement l'appareil quand ils traquaient une cible, ce qui fait que le pilote passait plus de temps à corriger sa trajectoire qu'à faire quoi que ce soit d'autre.
La première version du Lynx, à tourelles mobiles, était d'une instabilité effrayante. Notez les ailettes du compensateur d'inertie.
L'adaptation de gyrostabilisateurs supplémentaires, ainsi qu'un renforcement des systèmes auxiliaires de maintien d'assiette n'y firent rien.
Le passage au 220mm arrangea un peu les choses, mais avec seulement 2 canons, le Lynx perdait à peu près tout son intérêt face à un simple Rifter, d'autant que son agilité, du fait du poids des affûts, était passablement dégradée.
La suppression des affûts mobiles
La 8e Flotte Impériale se faisant de plus en plus pressante, ayant approché à moins de 4,5 AU du coeur du système, les ingénieurs prirent une décision radicale : supprimer les affûts mobiles, et passer à des affûts fixes.
L'idée était simple : s'il était impossible de conserver l'appareil en ligne pendant la rotation des tourelles, il fallait fixer les tourelles, et faire tourner... l'appareil.
Le QBY-11 fut entièrement reprogrammé en un temps record. Le calculateur de tir n'ordonnait plus la rotation des tourelles, mais alimentait directement le système de navigation. Les deux affût, fixes, étaient situés le plus près possible du centre de gravité de l'appareil, afin de ne pas en perturber l'alignement.
Car la simplicité de ce procédé présentait une contrainte majeure : l'alignement le plus fin possible de l'appareil vers l'objectif, afin de mettre au but.
Le pilote disposait d'un désignateur d'objectif rudimentaire, et une commande spéciale permettant d'aligner l'appareil avec la cible. Il n'y avait plus ensuite qu'à faire feu, un peu à la manière de ces armes primitives dépourvues d'asservissement de cible.
Le contrôle de tir, comme toujours très rudimentaire sur les vaisseaux Minmatar de cette époque.
Du coup, il était possible d'envisager la monte de canons fixes de plus gros calibre, et le Lynx, dans sa version finale, fut doté de pas moins de trois 720 mm dans l'axe. Seule la vélocité initiale des projectiles fut revue à la baisse, pour limiter les risques au niveau de la structure.
Primitif, mais efficace
Sans gyrostabilisateur, sans correcteurs d'assiette, le Lynx se révéla être un appareil plutôt maniable dans le plan : une simple correction permettait à l'appareil de tourner sur lui-même, favorisé par le centrage des masses rendu possible par l'adjonction des très lourds canons.
En revanche, sur les modifications de trajectoire, les compensateurs avaient fort à faire pour lutter contre l'inertie d'une masse quasiment doublée par rapport à un Rifter à vide !
Pour le pilote, la phase d'attaque se résumait à un alignement sur la cible,et une simple correction de la vélocité radiale avant d'ouvrir le feu.
L'appareil d'une seule bataille
Une fois ces problèmes résolus, le Lynx fut jeté dans la bataille sans trop de scrupules pour les quelques courageux pilotes qui osèrent monter à leur bord.
C'est surtout l'effet de surprise initial qui permit au Lynx de remporter ses premières victoires : les frégates Amarr qui montaient à l'assaut de ce qui ressemblait à des Rifter peu maniables en furent pour leur frais, leur armure incapable de soutenir le choc les obus EMP modifiés crachés par les toutes premières escadrilles de Lynx.
Il ne leur fallut cependant pas longtemps pour exploiter la faible maniabilité du Lynx, incapable de manoeuvrer suffisamment vite pour aligner des cibles à courte distance. Le Lynx adoptait donc une tactique simpliste, mais néanmoins efficace : réaliser des attaques plongeantes mono-vecteur à haute vitesse, en évitant à tout prix de se faire embarquer dans des combats tournoyant, où il n'avait aucune chance face aux tourelles mobiles.
Plusieurs pilotes de Lynx l'apprirent à leur dépends, et la flotte décida de ne plus les employer que de manière ponctuelle.
Le tueur de croiseurs
C'est plutôt par hasard qu'un des pilotes de la dernière escadrille équipée de Lynx découvrit enfin le vrai rôle de cet appareil qui, depuis le début, avait été employé comme une sorte de mini-destroyer. Il pilotait l'appareil matricule XL568.
Sa radio détruite lors de la bataille autour des lunes extérieures du système, donc incapable de suivre le mouvement, ce pilote (dont l'identité n'est pas révélée dans les archives) aurait dû logiquement rentrer en station avant de repartir une fois les réparations effectuées. C'est alors qu'il avisa, détaché du groupe principal de la flotte de support Amarr, un Arbitrator. Prenant soit de rester bien au-delà de la portée effective des drones de combat de ce croiseur, il livra avec lui un véritable duel d'artillerie qui s'acheva par la destruction de l'Arbitrator.
Rentré à sa base à cours de munitions, il fallut attendre le dépouillement de ses données de vol pour que son récit, proprement incroyable, soit confirmé.
Le haut commandement décida immédiatement de relancer une première production de 24 Lynx, qui furent livrés en un temps record : moins d'une semaine.
Les deux escadrilles formées, la 101e et la 82e de chasse lourde, escortés par des Rifter ou des Slasher, jouèrent un rôle capital lors de la décisive bataille pour la reconquête de la stargate de Ennur. Embusqués derrière Skarkon V-3, ce sont elles qui mirent en déroute une flotte mixte de 8 Arbitrator et de 8 Omen venus prêter main-forte aux Apocalypse de la 8e Flotte, ceux-là mêmes qui seront presque entièrement détruits quelques heures plus tard par les escadrilles 56, 128 et 122 équipées de Hound.
Mais cette victoire fut acquise au pris de lourdes pertes : sur les 24 appareils engagés, seulement 3 revinrent à la station III-14, et deux autres, très endommagés, durent être remorqués. Les 19 autres furent détruits par seulement 2 Omen qui échappèrent à l'attaque initiale et réussirent à se glisser derrière l'écran de protection des Rifter et Slasher d'escorte.
Malgré ce succès indéniable d'un point de vue stratégique, le haut commandement décida de retirer le Lynx du service actif.
Un seul exemplaire est conservé au musée de Hammold. Il porte encore les couleurs de la 101e escadrille de chasse lourde. Les observateurs les plus attentifs relèveront, au niveau du cockpit, la silhouette d'un Arbitrator : il s'agit du matricule XL568, seul survivant connu parmi les Lynx entrés en service au sein de la Flotte.