Ah tiens, puisqu'on parlait de la biologie, ça me permet d'illustrer en quoi, si une réforme de la recherche prise isolément peut être inoffensive à première vue, l'imbrication des réformes (ou des réformes futures) fait que ça devient n'importe quoi.
Adoncques la biologie. Vaste sujet s'il en est, puisqu'il recouvre l'anatomie, la virologie, la biologie moléculaire, la biochimie, la biophysique, la neurologie, l'écologie (tiens ! on l'a oubliée celle-là dans l'histoire, alors que la planète connait son Xme cycle d'extinction causé pour la première fois par l'action d'une espèce animale), la génétique, et j'en oublie une pelletée. L'Etat, dans son immense sagesse (j'ai réussi à le dire sans me tordre de rire), a décidé de
tronçonner redéployer ses unités en instituts verticaux, avec à la tête de chacun un P/DG (je ne sais plus) ; il est fort probable que chaque institut aura sa propre ligne budgétaire, comme avant.
Jusque là ça ne paye pas de mine, tout au plus pouvons-nous noter que l'institut de biologie est orienté vers la recherche médicale, que l'INSERM (ok) et le CEA (wtf ? et pourtant ... ) lorgnent abondamment dessus en rêvant de s'avaler la bête (et je ne vous raconte pas les dégâts si c'est le CEA qui gagne le gros lot, déjà je pleure rien qu'à affronter leur DRH pour avoir du suivi sur ce putain de poste que je suis le meilleur dessus). On peut noter aussi que des domaines fondamentaux comme la biochimie, la biophysique, l'écologie, situés naturellement à l'interface avec la chimie/physique/géologie-hydrologie, se retrouvent relégués au second rang par l'orientation médicale (enfin moins pour la biochimie, il est vrai).
Bon, pas grave, ça pouvait être le cas auparavant, heureusement existe la mixité des unités de recherche qui permet de s'accoupler à plein d'organismes pour
bouffer à tous les râteliers faire une recherche transdisciplinaire (c'était la mode au début des années 2000, ça a forcé plein de labos à se retransformer en vitesse)
Sauf que.
Sauf que la volonté affichée du ministère est de mettre fin à cette mixité , pour en revenir à une dualité université/CNRS. Donc une dualité université/institut, si vous suivez le raisonnement. Donc, en matière de financement récurrent (le plus important, c'est lui qui permet d'impulser les projets avant de recevoir des sous de projet type ANR et autres), c'est soit l'université, soit le CNRS, et rien d'autre hein.
Donc la biophysique et l'écologie (pour prendre ces deux exemples) vont recevoir moins de sous de leur institut (logique : c'est le médical qui prime), et donc vont devoir se tourner vers des sources autres :
- les universités lol, pas besoin de bien développer
- les régions. Dans les régions riches, ça peut le faire, mais ça passe surtout par des financements de thésard sur trois ans et pas un de plus hein. Tout le monde connaît la mirifique insertion professionnelle des thésards, surtout en biologie, et étonnamment depuis peu il devient plus difficile de trouver des candidats au suicide - ou alors des candidats moins compétents.
- l'ANR. OLOLOL² l'ANR quoi, le truc à durée limitée que tu gagnes des clopinettes avec, que les clopinettes sont rognées par des artifices comptables minables, et enfin que la bureaucratie est totalement pesante (avec mépris des technocrates à la clé). Bref, c'est merveilleux de faire fonctionner les recherches par à-coups de trois ans fait n'importe comment, mais l'expérience prouve que c'est un pis-aller très insatisfaisant autant pour les vagues de précaires qui passent le tiers de leur temps à trouver le contrat suivant que pour les permanents qui se retrouvent à faire du jonglage de budget et du bureaucratique au lieu de chercher.
- les entreprises. Ah, enfin une piste intéressante. Sauf qu'on est en France \o/ Les entreprises françaises en biologie (donc les médicaments) sont basses du front, sans vision stratégique (ils sabrent leur propre R&D au profit de la pub), et encore en biologie il existe un bon paquet de docteurs intégrés dans ces entreprises qui font relever le niveau des labos pharmaceutiques par rapport à la moyenne des entreprises françaises (c'est vous dire le niveau moyen). L'avantage, c'est qu'on peut leur vendre du vent vu qu'ils n'y pigent rien, et donc avec un peu de roublardise soutirer des sous. Même que ça peut leur être utile par ricochet, pour la biophysique. Par contre, l'écologie hein.
Donc la biophysique peut s'en sortir, en admettant de transformer des chercheurs en manager (donc avoir moins de chercheurs qui cherchent) ; ça, le pli commence à être pris. Par contre l'écologie, DLC. Ce qui est un peu dommage pour l'étude, par exemple (au hasard) des moustiques, de toute manière un coup de Baygon et hop ! Et puis ça pique mais c'est pas méchant. On passera sur le chikiungaya (qui a retardé l'excelllllent D&L*), la fièvre du Nil, les maladies transmises par cet insecte, et donc la protection en amont des populations ; de toute manière, en aval, on aura des médicaments kirox pour s'occuper de ces maladies.
Ou pas.
Ceci était un scénario que j'ai foncé, mais je ne suis pas certain d'avoir poussé très loin le pessimisme. Déjà actuellement l'ANR se transforme en cauchemar bureaucratique pour la recherche, donc j'ai toute confiance au gouvernement pour pondre des usines à gaz pires au titre de la "simplification". Si quelqu'un peut me donner des raisons d'espérer avec des arguments solides et raisonnables, je prends : après tout, je suis dans le circuit, et je n'aimerais pas spolier l'Etat de l'engagement décennal en me recasant dans l'industrie après avoir embobiné un DRH pas très leste ...
* oui, nous sommes sur un forum de jeux online, ne l'oublions jamais. Et D&L représente l'apex de la création vidéoludique française dans ce qu'elle peut faire de pire.
@Hipparchia : la recherche en France, tout le monde s'en fout, sauf à cracher sur les MCF qui "ne font que 192h/an" (cité de mémoire de Capital, je crois), à dire que le CNRS est une institution créée sur le modèle soviétique (sous peu on va dire que c'était la 5me colonne du stalinisme en France, et que Khroutchev a été directeur du CNRS Sciences Humaines), à brandir le classement de Shangai (qui favorise implicitement les établissements anglosaxons, au dire même des créateurs de ce classement qui ne se veut pas universel), et simultanément à se frotter le kiki quand on a un Nobel ou amener les gosses en garderie à la Fête de la Science en espérant que les nenfants deviendront intelligents par simple osmose.
Ah, de temps à autre, on clame aussi au complot scientifique sur le réchauffement climatique en citant ce nouveau Galilée qu'est Claude Allègre, qui lutte courageusement contre le mammouth.
I'm teh aigri man