Quand Rodolphe ouvrit la boite de réception de sa messagerie ce matin là, un curieux mail venait d’arriver
Expéditeur : Maryam
Objet : Une journée particulière….
Voici ce qu’il put lire……
Un soleil rose faisait naître un nouveau jour quand je pris pour la première fois conscience de moi-même. Tu vois, mon frère, ce fut comme si je sortais de nulle part. Comme si mon propre corps n’était là que pour soutenir cette mince certitude d’être en vie. Je me sentis subitement poussée par l’envie de marcher lentement sur cette plage étrange. Chaque geste que je posais me paraissait gauche, rigide. Je portais ce jour là, je m’en souviens, une tunique verte rayée de jaune, assez banale, tissée dans une toile rugueuse avec, sur les reins, une ceinture de cuir grossier dans laquelle était fichée une petite dague de bois. La mer roulait sur le sable dans un râle sourd.
Je me sentis poussée à marcher et découvris vite que je n’étais pas seule sur cette langue de terre entre mer et falaise. Il y avait là d’autres jeunes personnes, une dizaine peut-être. Nous avions tous la même allure et quasiment les mêmes vêtements. En y regardant de plus prêt, je pouvais distinguer que certains portaient un casque de cuir usagé, d’autres un plastron, quelques uns tenaient même dans la main une grossière épée de fer rouillé. La plupart déambulaient comme moi sur la plage.
J’aperçus alors un peu plus loin à l’Est, un petit village composé de quelques huttes de bois. Je décidai de m’en approcher, si je puis dire, parce que, tu sais, je ne me sentais pas vraiment maître de moi-même, mais plutôt comme poussé à marcher. Tu vas me prendre pour une folle quand je te dirai que je vis alors, en passant près de mes congénères qu’ils étaient en fait entrain de se battre contre des crabes avec leurs armes !
Un crabe qui semblait endormi à proximité se jeta sur moi ! Dans un réflexe, j’abattis alors ma dague sur sa tête et, d’un coup il se retrouva sur le dos, raide ! Je restais là un moment à le contempler, quand tout à coup, la bestiole disparut, comme happée par le sable ! Je ne peux t’exprimer ce que je ressentis alors. Ce fut comme si, d’un coup, je me sentais plus forte, plus sûre de moi.
Je vis qu’à la place de ma victime, une paire de gants de cuir reposait sur le sol. Je m’en saisis. J’oubliai alors le village de huttes pour me jeter frénétiquement, comme mes camarades, sur chaque bestiole qui passait à ma portée. Et il y en avait, crois-moi, des centaines. Le plus étonnant c’est quelles semblaient arriver de nulle part ! Chaque fois que j’en tuais une, une autre apparaissait un peu plus loin, comme par magie.
La matinée passa donc ainsi à tuer des crabes. Bien que fourbue, je sentais en moi grandir une force, une habileté qui me poussaient à continuer le combat sans relâche. A midi j’avais déjà bien changé. J’étais toute de cuir vêtue, je tenais, dans ma main droite, une belle épée et mes poches résonnaient des pièces d’or arrachées aux monstres.
Je sentis alors comme un poids sur mes épaules, un poids qui m’obligea à m’asseoir sur le sol. Je restais là, plusieurs heures peut-être, sans pouvoir bouger, figée. Ce fut pour moi l’occasion de méditer sur ce qui venait de m’arriver. J’avais beau fouiller dans ma mémoire, je ne parvenais à rien.
J’avais l’impression de ne pas avoir eu d’existence avant ce jour, et pourtant, je ne me sentais pas non plus exister vraiment. Je sais, cela va te paraitre insensé, mais alors que je percevais la vie bouillonner en moi, je n’avais en revanche aucune volonté propre, j’étais comme guidée, par une sorte d’instinct … me suis-je demandé ?
Quand je me retrouvais enfin de nouveau debout, mon instinct, appelons-le donc ainsi, me poussa vers le village. Prêt de la première cabane de bois, se tenait un personnage étrange, une sorte de géant à la figure carrée, burinée par les ans. Sans un mot, il prit quelques pièces d’or dans ma poche et me tendit un joli bouclier en échange. Un marchand sans doute…
Je repris ma marche vers l’est, en direction d’une clairière entourée de chênes, quand subitement, une énorme bulle transparente se forma autour de moi. Tu sais, ce genre de bulle que l’on fait avec du savon, celle-ci était si grosse qu’elle m’enveloppait complètement. Je me figeais d’étonnement, la bulle disparut en quelques secondes dans un son cristallin.
C’est à ce moment là que je vis un cavalier débouler au galop sur le chemin bordant la clairière. Il avait la taille d’un enfant alors que son visage portait les marques du temps. Vêtu d’une magnifique armure rutilante, il arborait une magnifique cape de soie sur laquelle étaient peintes des armoiries dorées. Il sembla ma dévisager et, s’approchant de moi, il sauta sur le sol à mes côtés.
Mon corps se plia en deux dans une timide révérence, tandis que l’étrange petit chevalier me faisait signe de la main. Je tentais d’articuler quelques mots, sans succès. Mon compagnon paraissait aussi muet que moi, et c’est par geste qu’il me demanda de le suivre.
Nous arrivâmes bientôt à l’orée de la sombre forêt, quand nous fîmes face à un monstre surprenant et cocasse à la fois. C’était un genre de gros bonhomme un peu pataud. Il faisait bien deux fois la taille du chevalier et déambulait nonchalamment sans se soucier de nous. Son corps massif était fait d’un sable compact, comme si c’était la plage qui lui avait donné naissance. Jetant un œil alentour, je vis d’autres hommes de sable dans la clairière. Mon nouvel ami tira son épée de son fourreau et entreprit de débarrasser l’endroit de tous les monstres qu’il croisait. Il me fit signe de l’aider, ce que je fis avec de plus en plus de dextérité tandis que l’après-midi s’écoulait. Outre les hommes de sable, vivaient là des rats énormes, une multitude, que nous entreprîmes également d’exterminer.
A la fin de la journée nous étions épuisés, fourbus, quand ma main droite se mit à dessiner une sorte de signe dans l’air. Une pluie de minuscules étoiles scintillantes nous enveloppa alors tous les deux. Comme par magie, toute la fatigue disparue et même nos blessures guérirent dans l’instant ! J’eu à ce moment là un tel sentiment de puissance que je me sentais prête à affronter même un dragon !
C’est là que le choc se produisit. Je ne peux te décrire exactement ce qui se passa, ce fut si soudain. J’ai senti une brume froide à l’intérieur de moi, mon corps semblait se déliter, chacune de mes cellules se dispersaient dans la brise du soir….
Et puis …. Je disparus dans un souffle.
Rodolphe relut deux fois le mail, sidéré par ce qui venait de se produire….. Maryam était le pseudonyme d’un personnage qu’il avait créé la veille pour tester un jeu de rôle en ligne sur son ordinateur… Personnage qu’il n’avait joué que quelques heures avant de l’effacer….
Se calant dans son fauteuil, désorienté par la situation, il sentit des frissons parcourir son échine lorsqu’une idée lui traversa l’esprit : « Et si je n’étais moi-même que le jouet d’un autre ? »……
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