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Des rêves défiant la raison
I - Le jeu de la plume 1270 A.A., quelque part en Némédie
Le jour de ses six ans, la petite Ysedda, cadette de la Maison Adorik, a reçu de son grand père, le célèbre mercenaire Amalric, un tout petit chaton. Malgré ses suppliques et ses lamentations, ses parents refusent que le chat dorme dans la couche de l’enfant. En ce jour de fête, la petite fille s’endort avec ses grands yeux aux éclats émeraudes pleins de larmes, ses petits poings serrés le long de son corps…
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Alors que brillait une lune rouge sang dans le ciel de Némédie, la petite fille se réveilla brusquement. Elle avait entendu un bruit dans sa chambre. Après avoir frotter ses yeux encore pleins du sel de ses larmes, Ysedda s’assit sur sa couche et regarda autour d’elle. Dans un coin de la pièce, un étrange animal l’observait. Ses plumes étaient d’un bleu profond et éclatant, hormis celles de ses ailes, dorées et brillantes comme de l’or pur. Le tour de ses yeux était blanc, veiné de noir, tandis que son petit bec était d’un jaune vif. La petite fille tendit un doigt émerveillé vers le volatile.
- Je sais ce que tu es ! Tu es un paon ! Le plus joli des oiseaux !
Flatté, l’animal déploya ses longues et gracieuses plumes arrière en un demi cercle parfait dans un chatoiement de couleurs de tons bleutés et merveilleux. Mille yeux ronds semblaient observer Ysedda, qui battait des mains de plaisir.
- Que ces plumes sont belles !
Le paon pencha la tête et, sans que cela semblasse surprenant, se mit à parler.
- Oh, jolie petite fille, voudrais-tu que je t’en donne une ?
Les pieds de la petite fille se balançaient d’avant en arrière énergiquement, tandis qu’elle riait.
- Oui ! Oui ! Donne-m’en une ! S’il te plaît !
Le paon sortit alors de la pièce. Dans un murmure, il demanda à Ysedda de le suivre. Sans se faire prier, la petite fille descendit de son lit, enfila ses mules, sortit de sa chambre et suivit le paon. A peine dans le couloir, elle le vit entrer dans la chambre de ses deux jeunes frères. Ne voulant pas les réveiller, car elle aurait dû partager son aventure nocturne avec eux, elle marcha sur la pointe des pieds et pénétra dans la chambre. L’oiseau se tenait au fond de la pièce, près d’une autre porte, qui n’existait pas dans la réalité. Sans se poser de question, la petite fille se plaça entre les lits des garçons, profondément endormis. Le paon s’adressa à nouveau à elle.
- Si tu veux une de mes plumes, tue-les.
Et il disparût dans la pièce suivante. Dans la main de Ysedda apparut une dague, longue et effilée. Elle regarda ses frères dormir et, tout doucement, enfonça sa lame dans le cœur du plus grand. Quand elle la retira, la dague avait pris une couleur pourpre, comme la lune de cette étrange nuit. Elle s’approcha ensuite de son autre frère et répéta l’opération, sans ressentir le moindre sentiment de culpabilité. Dans le plus profond des silence, elle regarda les taches écarlates s’agrandir à travers les draps blancs et soyeux. Une fois ses deux frères morts, elle passa la porte du fond de la chambre…
… Et se retrouva dans la pièce où dormait sa sœur aînée, où elle n’allait qu’en cachette, car elle lui en interdisait l’entrée. Le paon était là. Il l’attendait. Ysedda s’approcha de lui.
- Me la donnes-tu, maintenant ?
- Non… pas encore…
Puis il regarda la sœur de la petite fille, qui dormait paisiblement, et désigna ensuite la lame que tenait toujours Ysedda. Sans poser de question, elle plaça la lame près de son cœur. Alors qu’elle la levait au-dessus de sa sœur, celle-ci ouvrit les yeux, surprise. Vivement, Ysedda planta la lame dans le cœur de la fille. Ses grands yeux étonnés la fixaient, tandis qu’un hurlement de douleur ne parvenait pas à sortir de sa bouche grande ouverte. La petite fille sourit devant l’affreux visage grimaçant de sa sœur mourante. Lentement, elle ressortit la lame des chairs sanguinolentes de la jeune fille et répéta son mouvement, inlassablement, jusqu’à ce qu’il ne reste d’elle qu’un cadavre mutilé recouvert d’un linceul rouge…
Le paon, apparemment satisfait, s’en alla vers une nouvelle porte. Ysedda, recouverte de sang, le suivit à nouveau et entra dans la chambre de ses parents. L’oiseau se tenait entre leur tête et fit signe à la petite fille de le rejoindre. Elle grimpa sur le lit et prit place entre ses géniteurs. Une seconde dague se matérialisa alors dans sa main libre. Lentement, elle plaça le fil des lames sur les gorges de ses parents. C’est alors que sa mère se réveilla.
- Ysedda ? Tu ne dors pas ? Tu veux te coucher entre nous ?
La petite fille eut un sourire malsain.
- Non, maman… Je vous regardais juste dormir… Bonne nuit, maman !
Et d’un seul mouvement de ses bras, elle trancha les gorges de ses parents, en même temps. Tandis que les corps de ses parents étaient agités de soubresauts et de spasmes, des gerbes vermeilles s’élevèrent de leur cou tranché et se mirent à pleuvoir sur Ysedda, qui riait à gorge déployée, et sur le paon, dont le plumage devint écarlate. Après un moment, la fillette lâcha une dague et tendit la main vers le volatile, qui disparut à nouveau. La patience de Ysedda arrivait à bout, mais elle suivit encore une fois le Paon.
Cette fois, elle se retrouva dans une chambre qu’elle ne connaissait pas. Dans le lit de bois précieux, un homme d’âge mûr était allongé. C’était son grand-père adoré. Pris de tremblements, la petite fille secoua la tête négativement. Le paon le fixa sévèrement.
- Allons… Après cela, je te la donne...
- Non.
- Tu en auras même deux, mais tue-le !
Alors, de partout et de nulle part, surgit une voix de femme, suave mais autoritaire.
- Jeune fille, égorge ce satané volatile avant qu’il ne fasse de toi son esclave !
Sans hésiter, elle obéit à la voix. Sa main lâcha la dague et elle s’approcha de l’oiseau. Sans qu’il ne se défende, elle saisit son cou, le serrant et le tordant de toute la force que ses petites mains avaient. Après un moment, le paon sembla devenir mou. La petite fille le lâcha et il s’écrasa au sol dans un bruit sourd, ses belles plumes se rabaissant sur lui, tel un voile mortuaire recouvrant un mort. Ne voulant plus d’une belle plume de ce méchant paon, elle fit demi-tour et regagna son lit, car elle était fatiguée après tout ces jeux stupides. Par la fenêtre de sa chambre, la lune de couleur sang brillait toujours, encore plus rouge qu’avant…
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Le lendemain, quand la petit Ysedda se leva, sans se souvenir de son rêve, elle voulut voire son petit chaton. On lui expliqua alors que, par malheur, il s’était enfui durant la nuit… Cela elle pourrait le comprendre, car sinon, comment expliquer à une enfant que le petit animal qu’elle aimait tant était mort, les cervicales brisées et le cou broyé par des mains inconnues…
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