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Le crépuscule approchait lentement, l'obscurité pénétrait entre les feuillages des arbres et peu à peu des animaux se cachaient pour la nuit, tandis que d'autres ne faisaient que s'éveiller...
J'avais toujours aimé de tels moments, je pouvais respirer le calme et la sérénité. Et comme à mon habitude je me promenais à la lisière de la forêt. Mon père, un modeste mais non moins talentueux forgeron me répétait sans cesse qu'il ne fallait pas marcher vers le nord, que de mystérieuses et terribles créatures s'y terraient.
Pourtant jamais je n'avais pu y résister, tous les soirs quand la lumière abandonnait les terres, je m'aventurais de plus en plus loin, dans des endroits de plus en plus sombres. C'était comme si il y avait en moi un second être, caché, qui murmurait à mon esprit des mots que seul mon inconscient comprenait. Et ce jour là, je fis un pas de trop...
Cela faisait plus d'une heure que je marchais, et la nuit recouvrait entièrement le monde sensible, je commençais à me dire qu'il valait mieux rentrer, que demain je partirai plus tôt pour ne plus me faire surprendre par l'obscurité. Mais cette nuit, encore plus que les autres je sentais ma volonté s'échapper de mon esprit, et sans vraiment savoir pourquoi je continuais mon chemin. La faible lueur que projetait la lune dessinait des ombres toutes plus effrayantes les unes que les autres et de profonds cris s'insinuaient au travers des arbres, chaque pas qui me rapprochaient d'eux glaçaient mon esprit dans une terreur indéfinissable. Mais cette voix qui résonnait toujours plus forte dans ma tête m'empêchait tout retour. Cette fois là, je ne reviendrai pas mais cette vérité ne me touchait guère, en fait je ne ressentais plus rien à part le besoin inhumain d'avancer plus au loin vers le nord vers ces sombres créatures que mon père m'avait toujours décrites avec tant de haine, vers ce que les gens n'osaient murmurer au coin des ruelles, et craignaient même d'y accorder la moindre pensée. C'était vers le Chaos que je me dirigeais...
Les heures défilaient et l'obscurité devenait de plus en plus envoûtante, il y avait aussi un détail que je n'avais pas remarqué sur le moment, le silence était total, plus un seul bruit ne s'échappait des profondeurs de la forêt. Sans pour autant être capable de m'arrêter je continuais mon chemin, lorsqu'une forme noire passa en un éclair devant moi avec un croassement terrifiant, me renversant sur le sol boueux. Il se trouvait en fait que ce n'était qu'un simple corbeau, il s'était posé sur une branche plus en hauteur et me fixait, mais quelque chose en lui me dérangeait. Me relevant péniblement je ressentis tout à coup une violente explosion dans mon crâne, un bruit assourdissant qui réveillerait les morts, la douleur était horrible, de nouveau étalé par terre je me tortillais comme un misérable asticot... Sur le moment j'étais persuadé que la douleur allait me faire sombrer dans la folie, bien qu'en y repensant j'y avais peut-être déjà succombé depuis longtemps, puis aussi soudainement qu'elle était apparue, la douleur s'évanouit, me laissant inconscient dans ce sinistre paysage...
Quand mes yeux se rouvrirent, la première image qui m'apparût lors de ce que j'appelle désormais ma seconde naissance, fut un homme grand, mince, avec de long cheveux noirs attaché en queue de cheval. Il était revêtu d'une imposante armure noire avec de longs pics sur les épaules, et si je me souviens si bien de cet homme, c'est à cause du choc que j'ai eu en voyant l'étoile à huit branches sur une de ses épaulières, le symbole du Chaos. Je recouvrais peu à peu mes esprits et comme sortie de nulle part une vérité à la fois horrible, mais pourtant logique s'imposa à moi, Tzeentch dieu du Chaos et grand architecte du changement m'avait manipulé depuis le début. Cette voix sinueuse qui me murmurait d'aller toujours plus loin vers le nord, c'était lui. Il avait démoli mon esprit pierre par pierre, pour ensuite le rebâtir à sa manière...
L'homme qui attendait mon réveil se nommait Barcelior, il était un Elu du Chaos et contrairement à ce que j'avais pu croire il n'était pas là pour me tuer. Quand je lui ai demandé où je me trouvais, il ne m'a pas répondu, il ne le fit pas non plus lorsque je lui demandais s'il savait ce qui m'était arrivé. Il me donna à boire et à manger, pour finalement me fixer sans dire un mot. En fait je sais aujourd'hui qu'il n'avait rien besoin de me dire, je savais dans quelle région je pouvais bien me trouver, et aussi ce qu'il m'était arrivé, j'avais succombé à l'influence du Chaos...
Il voulut me conduire en dehors de la pièce où nous nous trouvions, pour aller je ne sais où, et quand je me levais mes jambes cédèrent sous un poids énorme, mais grâce à des réflexes surhumain Barcelior m'empêcha de m'effondrer. Je sentais dans l'air une substance nouvelle, à la fois puissante et étouffante. Une fois encore il ne m'informa pas sur le phénomène, et nous sommes sortis tous les deux, moi m'appuyant sur ses larges épaules. Le poids de l'air était encore plus insoutenable dehors, il faisait nuit, ce qui voulait dire que j'étais resté inconscient peut-être plusieurs jours. Le puissant guerrier m'amena devant une porte, le bâtiment était sobre, mais mieux entretenu que les autres que j'avais pu voir jusqu'à présent.
En cette nuit de bouleversements, Barcelior m’emmena voir ce qu’on pouvait considérer comme le chef des forces du Chaos dans ce village, la bâtisse était en fait plus spacieuse qu’il n’y paraissait de l’extérieur. Un homme se tenait au centre de la pièce, assis en tailleur. De là où je me trouvais je n’apercevais de lui que ses larges épaules, et ses yeux luisant d’une intelligence malsaine. Il fut le premier à prendre la parole :
-Salutations Damodred, je me nomme Veldrim.
La crainte me submergea, comment pouvait-il connaître mon nom ? Voyant ma surprise il rajouta.
-Pourquoi fais-tu donc cette tête ? Ignores-tu que Tzeentch sait tout ? C’est lui qui ma chuchoté ton nom… Assied toi, nous avons à parler.
-Où suis-je ?
-Dans un petit village du nord comme tu devrais t’en douter, et plus précisément à Stalhem.
Je n’osais demander la manière dont j’avais pu me retrouver ici, après tout je m’en doutais.
-Pourquoi l’air est si lourd ici ?
-Tu ne t’en doutes pas ? Ce sont les vents de magie Damodred…
Il me dit ça avec un air moqueur, comme si il était impossible de l’ignorer. Mais il est vrai qu’en fin de compte c’était logique, mon père m’avait déjà parlé de ces mystérieuses énergies. Et donc Tzeencth venait d’ouvrir mon esprit à eux, me conférant un immense pouvoir…
-C’est donc ça…
-Oui.
Et comme s’il semblait avoir remarquer la lueur d’intérêt qui s’était allumé dans mes yeux, il coupa court à mes rêveries.
-Mais ne crois pas qu’il sera facile de les contrôler, il y a un ancien de ce village qui se nomme Gremed, il connaît la magie de Tzeentch et saura t’en enseigner le nécessaire pour le moment.
-Vos paroles laisses croire que j’ai accepté d’être lié au Chaos ?
Veldrim rit à gorge déployée, me laissant incrédule face à sa réaction.
-Il est un peu tard pour ce genre de pensée Damodred.
Je savais qu’il disait vrai, je ne pouvais revenir en arrière à cause de mon récent lien avec le Dieu du Chaos. Et au fond de moi rien ne m’y incitait…
Je suis resté trois années dans ce village, perfectionnant le talent que Tzeencth m'avait accordé grâce à Gremed. Et bientôt j’en savais suffisamment sur le Chaos et ses effroyables capacités de destruction pour être craint par mes congénères.
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Le crépuscule commençait sa lente approche. Les Elus du Chaos préparaient leurs armures et limaient leurs épées, tandis que je méditais sur ce que Tzeentch m'avais murmuré d'accomplir, nous allions bientôt attaquer un village qui avait juré allégeance aux faux Dieux de l'Ordre. Veldrim, qui avec les années commençait à avoir les cheveux parsemés de gris, avait revêtu un énorme casque d'un noir profond, avec l'étoile à huit branches gravé sur le front. Nous avions l'ordre d'attaquer lorsque la nuit recouvrerait totalement ces terres, ce qui me laissait encore quelques heures de réflexion sur ce qu'allait être la réaction à ma vue d'un être qui me croyait sans doute mort depuis des années....
On se mit en marche deux heures plus tard, seule la lueur de la nuit nous accompagnait et les pas des trente soldats que nous étions ne suffisaient pas à troubler le silence nocturne. Notre troupe s'arrêta à quelques centaines de mètres du village impérial, à couvert dans la végétation. Le chef pris la parole :
-Enfants du Chaos, ce village nous empoisonne depuis trop longtemps avec ses adeptes de l'Ordre, nous ne pouvons les laisser prospérer plus de temps encore ! Rasez ses bâtiments, brûlez les champs, et surtout... tuez les tous jusqu'au dernier !
Les Chaotiques se mirent en marche, et arrivés à une vingtaine de mètres du village tous se mirent à courir dans un hurlement terrifiant. Les premiers habitants qui ne dormaient pas encore sortirent et furent déchiquetés par les puissantes lames des Elus, des cris de terreur commencèrent à se propager dans les maisons, les gens couraient dans tous les sens... Mais moi, j'avais une autre mission.
Tandis que le carnage suivait son cours, je me dirigeais vers un bâtiment plus à l'écart du village, une énorme cheminée sortait du toit, c'était la forge. Comme prévu, mon père était là... il s'empêtrait à mettre une armure et à décrocher du mur une large épée à deux mains. Quand il me vit il failli perdre l'équilibre de peur, mais il ne m'avait pas encore reconnu dans l'obscurité de la nuit, et de mon âme...
-Va t'en ! Créature du Chaos, je ne te laisserai pas me tuer facilement, crois-moi !
-Bonsoir père...
-Que ?! Par Sigmar, Damodred ?!
-Cela fait un certain temps n'est-ce pas ?
A la vue de mon père, contrairement à ce que je craignais je n'eus aucun regret par rapport à ma nature présente, seulement un faible sourire narquois au coin des lèvres.
-Mais comment est-ce possible ? Tu as disparu dans les bois, et maintenant je te vois ici, avec ces êtres du Chaos ?
-J'ai appris bien des choses pendant mon absence, des choses que j'espère te faire comprendre à ton tour, le Chaos n'est pas le mal père...
Je n'ai pas eu le temps de finir ma phrase qu'il me coupa
-Comment oses-tu dire des choses pareils ? C'est inimaginable ! Pas toi Damodred, pas toi !
-Si seulement tu étais capable de comprendre, le Chaos m'a apporté des réponses ! Vos faux dieux de l'Ordre ne sont que mensonges, ils vous trompent et n'ont que faire de vos vies, Tzeentch lui, sait récompenser ses serviteurs. Le Chaos vous rend un énorme service en vous détruisant, nous ne sommes pas mauvais, nous sommes vos libérateurs ! C'est vous qui engendrez le mal sur ce monde, et nous ne sommes là que pour balayer vos misérables erreurs...
-Comment toi, as-tu pu te laisser dominer ? Pourquoi cela devait arriver à mon fils ? De toute façon ils vont bientôt arriver... Peut-être n'est-ce pas trop tard pour toi. Les larmes perlaient à ses yeux, il avait un air abattu qui donnait presque pitié à voir...
Mais je n'écoutais déjà plus, la colère de le voir s'obstiner envers de fausses croyances m'avait fait entrer en transe, j'ouvrais mon esprit aux flots de magie qui parcouraient ce lieu. Heureusement ici les énergies étaient puissantes et je tissais lentement le sort qui scellerait à jamais mon passé. Mon père me regardait d'un air ahuri, je ne touchais plus le sol et mes yeux étaient aussi noirs que le néant distordu. Rien ne se passa pendant quelques secondes qui me semblèrent une éternité, et finalement un craquement sourd se fit entendre, un éclair aussi noir que les profondeurs de l'obscurité s'échappa de mes mains pour venir frapper de plein fouet la cage thoracique de mon père, qui éclata dans un bruit répugnant pour certain mais délectable pour moi, faisant gicler des morceaux d'os mélangés à de la chair aux quatre coins de la petite forge. Ce qui restait de mon père s'effondra sur le sol, répandant ses viscères dans la poussière.
Je retombais lourdement sur le sol, à a peine un mètre de la carcasse de mon créateur. La fatigue envahit mon corps, c'était la première fois que j'utilisais mes capacités sur un homme vivant, et qui plus est sur mon père. J'entendais murmurer dans mon esprit cette voix qui ne m'avait plus quitté depuis ma fuite à travers la forêt, elle semblait satisfaite de ce que je venais d’accomplir. Mais comme une gifle les dernières paroles de mon père revinrent à mon esprit... Qui allait arriver ?
Dehors les cris avaient cessés, le calme était revenu et je sortis pour voir ce qui restait du village. Toutes les habitations sans exceptions étaient en feu, et dès qu'il me vit, un guerrier courut vers moi :
-Damodred, un habitant s'est échappé et a été prévenir une garnison de soldat impériaux à deux kilomètres. Ils sont en route, nous ne pouvons reculer car leur cavalerie nous tomberait dessus, il faut se réunir au centre du village, Veldrim veut nous parler.
-Bien, j'ai fait ce que j'avais à faire...
Le soldat regarda derrière moi et vit le cadavre, il ne dit rien mais un sourire se dessina sur son visage
-Allons-y alors.
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