Roulé en boule auprès du feu de sa forge, au milieu de peaux putrides, mal tannées et aux poils poisseux de restes de mets innommables, le vieux kobold jette un regard mauvais par la lucarne, dans le blanc chaotique de la tempête de neige qui secoue, depuis tôt ce matin, les terres hostiles de Midgard. Il renifle bruyamment, et attise les braises du bout d'un vieux tibias à demi consumé, et grommelle alors que les charbons de la bûche crépitent à nouveau.
Il repense fugacement à toutes les aventures qu'il a déjà vécu, à toutes les cicatrices qui ornent son corps - principalement dans son dos, à tous ceux qu'il a déjà rencontré, kobolds, thralls et ennemis, à tous les lieux qu'il a visité à leurs cotés, aux créatures titanesques terrassées, aux armées défaites, aux victoires fêtées et aux défaites amères, aux compagnons accueillis et aux amis enterrés. Les noms se succèdent, se mélangent, alors qu'il mastique un vieux bout de champignon, crachant par intermittence vers la lueur du feu les insectes les plus coriaces qu'il déniche au milieu des spores.
Il se remémore, dans le chaos de sa mémoire, ses plaisirs et ses peines, ses joies et ses colères, il tente de se rappeler le visage d'un ancien, les couleurs d'un clan, se demande ce qu'ils sont devenus, s'ils préparent le Ragnarok aux cotés d'Hel ou d'Odin.
Le bois craque et le toit tremble, alors que le vent redouble de violence dans les combles si mal entretenus depuis qu'il a pris possession de cette demeure, et il grimace, ses vieux os lui donnant l'impression de subir le même supplice que les poutres de son terrier. À nouveau, un coup d'œil à l'extérieur, à nouveau, un soupir. Il attend.
Lorsque la neige cessera de tomber, il se lèvera sur le bâton crossé posé derrière lui, et, ses immondes besaces en bandoulière, il parcourra à nouveau les terres de Midgard, des Midgards. Il passera d'un monde à l'autre le long du tronc d'Yggdrasil, foulera des terres inconnues et pourtant si familières, rencontrera des étrangers si semblables mais aux passés si différents.
Et à tous, il portera la parole de Samedi, par le verbe et le poison.
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