Une année sur l'autre.
Fois dans la bourgeoise protestante, avec couverts en argent et visages pincés. Des cadeaux sous le sapin qu'on ouvre en prenant le champagne, que l'on s'offre avec des sourires vides. Ce n'est pas tant le plaisir d'offrir quelque chose à quelqu'un, c'est celui de célébrer ce moment comme il se doit et comme il a toujours été fait, en famille et en mangeant bien. Celui de dire regarde, j'ai trouvé à te plaire, c'est une preuve d'intérêt, de bien séance, de normalité, de tradition, de bonnes manières, mais pas d'amour. A table, on s'empiffre de bonnes choses traditionnelles sans pour autant devenir des ogres. Les multiples couverts disposés de part et d'autre de l'assiette et dont il faut comprendre la hiérarchie pour pouvoir s'en servir nous en empêche. On se regarde les uns les autres, le plan de table est impeccable, chronologique. Des discussions mi-sérieuses mi-raisins, ou l'on parle de tout en pensant bien dire et savoir. On a pris le train une fois et l'on se croit cheminot, on a un jour sauvé un piaf dans son jardin et on devient ornithologue doublé d'écologiste et secrétaire médicale veut en fait dire médecin. Quand on discourt du tableau au mur, on parle anecdotes de paiement et non pas commentaire sensitifs de l'œuvre en question. On nous reçoit de manière totalement impersonnelle, on nous tend une main, nous demande "alors, ça fait combien de temps que vous vous connaissez ?" "comment vous êtes vous rencontré ?" une vive intrusion dans votre intimité. On vous considère comme la brue, la fiancé du fils de. Et parce que l'on vient d'un milieu différent, chaque fois que l'on intervient dans les conversations avec nos paroles d'un autre monde, on devient rapidement l'exception qui confirme leurs règles. Alors lorsque vous confiez des émotions, on vous rit au nez, vous êtes l'attraction, la mignonne petite campagnarde et ses spontanéités clownesques. C'est pesant, c'est douloureux, ça file des crampes à l'estomac. On redoute à l'avance, on met une semaine à s'en remettre. C'est d'une violence extrême. Et pourtant on ne peut parler de viol, d'inceste, de divorce ou de violence conjugale - du moins pas dans cette famille-là, ce qui ne veut pas dire que les bourgeois ne vivent pas des affaires semblables - Pas une violence ordinaire, direct. On met du temps à se rendre compte que l'on nous fait du mal, on ne nous laisse pas de quoi se défendre lorsque l'on s'en aperçoit. C'est subtil, nouveaux, inconnu. Un code que je ne connais pas. Et même leurs enfants, qui pourtant connaissent le code, en pâtissent. Je connais des enfants meurtris par le code de la bourgeoisie protestante. Ils ne peuvent pas dire "mon père me battait" et autres choses directes, mais ils souffrent autant pour des raisons plus obscures, étrangères et dures à expliquer.
On ne peut pas mettre de mots dessus, au mieux offrir l'occasion de l'observer.
Je laisse le soin à l'autre de caricaturer les miens, cette année, on passe les fêtes de mon côté. Ouf.
|