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En Azshara…
Voir. Cet automne éternel. De sang et d’or. Des feuilles telles des larmes, ta souffrance qui ne finit pas, Reine. Elles pleurent ta chute, Elle te pleure, Enfant des étoiles.
Je marchais sur ton cimetière, terre abreuvée du sang de ton peuple, paysage baigné d’une lumière crépusculaire.
Des arbres millénaires, sans doute témoin de l’odieux spectacle, épiaient le moindre mouvement, traumatisés par des blessures encore béantes. Restez en paix, arbres, je ne suis qu’un errant, un quémandeur de beauté.
Zin-Azshari…plus que des ruines. Cette région était maudite, détestée de tous. Je l'aimais. Elle m’appelait, elle me réclamait car j’étais comme elle. De tout mon être, je venais vers toi, Azshara.
Tout était calme, tout était beau, tout était silencieux. J’atteignais la plage, mer ouverte où au loin frissonnait une flamme qui tardait à s’éteindre.
Goûter. M’enivrer de tes songes, de ton passé, de ton alcool. Etais-je saoul ?
Je m’allongeais sur le sable de cette plage nue qui s’offrait à moi et, bercé par les vagues, je m’autorisais à fermer les yeux. Une douce brise caressait mon visage, le sable chaud s’écoulait de mes mains gelées. Pendant un court instant, je m’étais offert tout entier à ce rivage qui me désirait. Libre de toute pensée, il ne restait qu’un corps avide de sensations. J’happais désespérément l’air, à la recherche d’une quelconque essence qui aurait pu sustenter mon organisme.
C’était…sucré. Mais il y avait quelque chose, un arrière goût déplaisant…acide. Empoisonné. Ces terres étaient condamnées à l’agonie, un tortueux venin coulait dans ses veines.
J’adorais ce venin. Je suffoquais.
Ouïr. Il ne restait plus que des sons. Des échos de tragédies. Une mélodie plaintive chantonnée par une voix elfique. Ame égarée, chanson d’amour…et de mort.
« Mourir dans tes bras
Cristalliser notre union
Notre seul solution
Périr avec toi
Ne faire plus qu’un
Notre rêve commun
Je suis morte…et tu n’étais pas là. »
Là était le Beau. Il n’y avait pas d’autre issue possible à l’amour. Il était lié à la mort. L’inévitable. Mourir, seul accès à l’éternel. Accès pavé de doutes…
Peut être que le beau résidait dans cette recherche incertaine de l’Eternel. Une douce drogue qui nous menait à notre déchéance…
Je me délectais de ta souffrance, ma Reine. Sadique ? Juste esthète, tentais-je de me convaincre. Mais le Beau était-il toujours lié à la souffrance ?
Ô toi, reine splendide, déesse aimée qui a conduit son peuple à l’échafaud, avais-tu une réponse à me proposer ?
Des millénaires sans réponse, encore une saison dans cette enfer, l’Eternité, un but à atteindre, un fardeau à porter. Je t’entendais gémir Azshara, et je souhaitais donner fin à ton éternel agonie…non tout cela était sublime…c’était souffrante que je t’ai…je…
Sentir. Un parfum suave me retira de ma léthargie. Un cimetière rempli de fleurs. Je me relevai péniblement, et me frottai les yeux face à cette vision insolite. Ce mausolée. Là où souvent nous nous sommes vus, parlés, rencontrés ma Reine. Cimetière jonché de mes bouteilles d’alcool, cimetière abandonné et oublié, cimetière maintenant fleuri. J’étais toujours ivre…
Des Myosotis…une vielle légende me revint à l’esprit. Deux elfes, un guerrier elfe et une prêtresse d’Elune, se promenaient le long d’une rivière. La prêtresse remarqua des fleurs sur un rocher au bord du cours d’eau ; sa moitié comprit son souhait et s’empressa d’aller les cueillir. Dans sa précipitation, il glissa et tomba à l’eau. Vêtu de sa lourde armure, l’elfe se noya. Mais avant d’être englouti par les eaux, il jeta le bouquet à peine formé en direction de son amour en criant : « My o sotis », ne m’oubliez pas…la prêtresse se souvint de ces dernières paroles pour nommer ces fleurs. Des fleurs pour ne pas oublier…qui y avait-il de plus éphémère qu’une fleur ?
Du Jasmin…un parfum sensuel et charnel. C’était pour beaucoup, une fleur d’invitation à une danse érotique. Sûrement, vu son odeur mais…cette fleur signifiait « Désespoir ». Désespoir d’une culmination de la passion amoureuse, là où nos deux êtres sont exaltés, transcendés par la moitié manquante, puis brusquement séparés, indifférents, incompris ? Montée et descente, ta signification était double sûrement, mais la conséquence était là : Désespoir.
Du Cypres…partout au milieu de ses fleurs. Vert qui ne s’éteint jamais, quelque soit la saison. Espérance d’immortalité. Devais-je te haïr ou t’aduler ? De plus en présent, de plus en plus oppressant, ton feuillage m’étouffait. N’importe où ! N’importe où, tu étais là, vision obsédante, dilemme irrésolu. Eternité de souffrance, pourquoi t’espérer…vie éphémère à quoi bon me résigner…le souffle coupé, je retombais au sol.
Toucher. La pierre froide. Plus de songes, plus de visions vaporeuses, la réalité. Brutale.
Ce cimetière n’avait ni fleurs, ni branches. Ce n’était qu’un amas de pierre : usée par les vagues, le sable, usée par le temps, les pierres tombales. De la roche, rien que de la roche.
Pieds sur terre, je me rapprochai d’une de ses tombes et je laissais ma main effleurer une tombe. Fatiguée, creusée, il y avait bien des cavités plus importantes que d’autres, sans doute des signes…mais plus personne pour les décrypter. Qui pouvait bien reposer en dessous, je me le demandais.
Qu’espérais-tu à la fin ? Qu’une stupide pierre puisse te garantir l’éternité ? Idiot…il n’y avait plus personne pour te pleurer, plus personne pour faire perdurer ta mémoire. Notre condition était de vivre, puis mourir, sans aucune trace dans ce monde, car le temps fait TOUT disparaître, tôt ou tard, TOUT sombrera dans l’oubli !
Je restais là, assis devant ta tombe, l’inconnu, et je me questionnais sur ton identité. Je crois que tu étais toujours là, malgré tout, car je pensais à toi.
Une douce ombre le long de ma jambe. Ce n’était qu’un chat noir, borgne. Je lui grattais la tête, recevant quelques ronronnements en guise de gratification. Il grimpa sur la tombe, et me fixa, impassible. La Mort était borgne, tu voyais le monde des vivants, mais le reste…tu n’avais pas de réponse.
Je te caressais de nouveau, et tu me souriais. Tu me rassurais, car je savais que tôt ou tard, tu me grifferais le cou. J’aimais t’entendre ronronner, le sifflement fluide de tes lames. Seul repère de ma constante chute, obscur phare de mes divagations…
Pas maintenant, non, pas maintenant…
Maîtresse capricieuse, j’avais bien compris que tu ne recevais d’ordre de personne.
Je me mis à genoux, et creusa le long de la tombe. Un petit coffre était enterré là. Je le retira à son tombeau de sable, et je l’ouvris. Ils étaient toujours là. Tes Mots. Les glyphes brillaient, ils irradiaient d’une puissante magie. Celle qui t’avait enivrer ma Reine, celle qui a provoqué ta perte. Partagerions-nous le même destin ?
Le félin frissonna, dressa la queue, et s’enfuit. Des Mots pour défier la Mort, et c’était moi, sombre fou, le mage, qui les détenait. Je laissais voguer mon index sur les inscriptions, puis je rangeai le parchemin dans son cercueil. Pas maintenant, non, pas maintenant…
Une nuit de plus à t’attendre, je savais que tu ne viendrais pas. Trahir…c’était dans mon sang. Je vous avais prévenu, vous ne m’avez pas écouté. Je vous avais fui, vous m’avez rattrapé. Je vous ai trahi…et vous vous êtes échappés. Maudite destinée…Ombrelune.
Je ne pouvais plus t’attendre. Alors je suis parti te chercher. Au sud, là où sommeillait ton corps, fatigué par des millénaires de souffrance.
Tu étais là. Reine et Ruine. Elégante. Mourante.
Un baiser,
Que je déposais sur tes lèvres
Brisées, un cri, une agonie,
Un murmure peut être juste un soupir
A mon seul désir…
Te l’avouer, c’était le faire mourir, mon amour…
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