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Kerandhil l'avait toujours su, Môr'haun cette bête, ce démon...
Il était à la base de tous nos problèmes, il le savait depuis le début. Mais plus qu'un démon, un effroyable manipulateur, un manipulateur talentueux qui s'était attaqué à Kerandhil, lui aussi blessé, enclin au même désespoir que Loerys...
Cette nuit, Kerandhil rencontra Loerys, à Tanaris. Il savait qu'il le trouverait là-bas... Son désert, ses vastes étendues désertiques...
Il voulait lui parler, il voulait essayer de l'aider. Il ne voulait pas l'abandonner. Mais ce qu'il vit fut trop fort, trop effrayant. Le vide, le néant... Loerys n'existait plus.
Kerandhil dut fuir, ne pouvant faire face à l'évidence. Il n'en avait rien à faire de la disparition de Loerys... Non, cela lui importait peu. Si loerys devait s'évaporer, il l'oublierait, il le remplacerait s'il le fallait même. Ce n'était pas de la tristesse qui habitait son coeur, c'était de la rage, du désespoir... Il ne pouvait se faire à cette pensée, pourtant tellement véritable, révélatrice de sa vraie personne... Le temps aurait eu raison de ses sentiments, instables, continuellement en changement. S'il avait essayé d'aider Loerys, c'était seulement pour lui. C'était pour se prouver qu'il pouvait donner de l'importance à quelque chose, se donner un objectif, un but quelconque... mais ce n'était qu'un simple mensonge... une pitoyable tentative de fuite... il ne voulait pas écouter ses songes...
Pourquoi ne pouvait-il ressentir de l'affection ? Pourquoi ne réussissait-il pas à se lier aux personnes qu'il croyait apprécier ? Toutes ces émotions, des mensonges, des malentendus... Il avait menti à Loerys, il lui avait menti... Il lui avait dit qu'il ne l'abandonnerait pas, qu'il comptait pour lui, mais c'était faux. Rien ne peut compter, plus rien n'a d'importance pour Kerandhil... plus rien...
En lui mentant, Kerandhil savait qu'il avait participé à la décrépitude du mage... Il se sentait coupable. Il l'avait trahi.
Cela devait cesser. Les sons, les musiques, les complaintes lancinantes, elles s'insinuaient dans son esprit. La lumière s'en est allée, ce n'était qu'un mirage... Mais maintenant, les visions des cauchemars, elles ne l'aggressent plus. Elles l'appellent, elles veulent le réconforter de leur étreinte glaciale.
Il faut arrêter de mentir. Tout lutte est vaine. "Je suis chaos, je suis instable, je suis dangereux, je dois suivre les conseils que je donnais à Loerys... Cesser de fuir !"
L'anarchie, le chaos, le néant, ses essences pures, ces essences véritables, elles le caressent, elles le cajolent, le consolent.
"Je dois accepter ma vraie nature, je ne dois plus me battre contre elle, cette lutte est vaine, inutile... Je dois..."
La musique, mélodieuse, insistante, inéluctable, elle emplit son esprit, elle lui dicte sa conduite, elle résonne d'un glacial écho dans toute son âme.
L'elfe court, il ne prend même plus la peine de se transformer, il jette ses vêtements, il veut se détacher de tout. Il marche, lentement, ses yeux fixent l'horizon. Ses pieds nus foulent le sol des Tarides, bientôt, il approche... il le sent...
Les chants sont de plus en plus forts, les visages déformés par la douleur se mettent à chanter, leurs complaintes sont dures, froides et tristes, malgré leur apparence répugnante et effrayante, ils ne lui veulent aucun mal. "Il me faut accepter leur nature, je ne dois plus me battre contre elles, je ne dois plus les nier."
Il fait froid, mais Kerandhil n'a plus de sensation, des hyènes l'attaquent, lui arrachant des morceaux de chair, mais l'elfe reste stoïque, il se contente d'avancer, sans changer son allure, sans réagir, fixant toujours un point à l'horizon. Les mélodies sont de plus en plus présentes, elles le réconfortent, leur froideur lui semble presque accueillante.
"Oui... voilà... ce pour quoi je suis né... voilà ma vraie nature... Le néant..."
Les cavernes des lamentations se dessinent devant lui. Il s'y introduit alors, provocant l'étonnement de quelques autochtones qui semblaient explorer les alentours. Il rentre enfin dans les cavernes...
Là... un autel de pierre... il s'y couche. Quelques pensées lui traversent alors l'esprit, des souvenirs...
"Kylhi ? Toujours à vouloir paraître... tout va mal... mais tout doit aller bien... Faire semblant... encore... Il ne m'a jamais vraiment aimé... Chez Bruuk... jamais je ne l'aurai pensé capable d'une pareille machination pour me sous-tirer des informations..."
"Cette elfe druide... cet amour pourtant tellement merveilleux... ? Qu'une simple rencontre, un malentendu... Une idylle stupide qui n'aurait jamais du être... Mais je dois la remercier... sans elle je n'aurai jamais compris la vraie nature des relations entre les gens : futile et fausse..."
"Fréawine ? Je l'ai blessée, elle était très gentille, mais je ne l'aimais pas... je ne pouvais plus... Encore une fois... j'étais victime de mes sensations, de mes sentiments trompeurs, le chaos... l'anarchie, je ne pouvais le gérer..."
"Felyndiria ? Une nouvelle rencontre, je ne devais plus la voir, je l'aurai blessée, mes sentiments inconstants, irréguliers auraient fait une nouvelle victime, l'amour... faux, menteur, impossible !"
"Ayame... Loerys... Môr'haun... Asline... Dhaeronsul... Miline... Plus d'importance... c'est du passé... je veux accepter ma vraie nature, me détacher de ce monde futile inondé de masques, je veux rejoindre les essences, les vraies, les véritables..."
Mais une dernière larme, une ultime larme gorgée de toute sa tristesse, de tout son désespoir perle alors le long d'une de ses joues.
Ses yeux se ferment, tout s'agite autour de lui. Il rêve, le voilà à nouveau, dans ce rêve d'émeraude, dans ses cauchemars. Mais cette fois quelque chose change, il ne lutte plus contre ses cauchemars, il veut ne faire qu'un avec eux, il veut rejoindre ces complaintes lancinantes, il veut les embrasser de tout son corps, de toute son âme.
La larme, qui brillait alors d'une tristesse infinie tombe à terre, et se met à scintiller.
Tout se trouble, Kerandhil semble devenir transparent, il semble s'évaporer, il rejoint son rêve, il va le vivre pleinement... La musique aux sons discordieux se fait alors de plus en plus mélodieuse, elle le berce, elle le cajole. Des essences dansent et tournent autour de lui, elles l'enlèvent. Le chaos et l'anarchie s'insuffle en lui, son âme en est continuellement imprégnée, il a disparu...
La larme se cristallise alors, elle se transforme en un éclat brillant. Un éclat rempli de toute sa tristesse, de tous ses souvenirs, de toutes ses déceptions, de tout ce qui avait fait de lui quelqu'un de "rempli". De tout ce qui faisait de ce druide... quelqu'un. Maintenant... il a rejoint le vide... il est le vide...
Une créature dégoûtante sort alors du bassin, c'est un Murlock, massif, très grand. Il s'empare de ce trésor, et décide de le garder, attiré par la lumière qui en émane. Il retourne ainsi dans les eux, en possession d'un bien très précieux...
Et Kerandhil lui... n'est plus...
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