Ys - Albion - La prison de pierre

 
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(J'ai terminé cette petite histoire il y a près d'un an. Cela correspond à mon départ de Daoc, touché par le syndrome "Toa m'a tuer". Je m'étais dit que je la posterai lorsque Lohla aurait aussi quitté Daoc, pour plus de logique . Voilà qui est fait !
Je n'ai jamais écrit si long et je ne crois pas que je recommencerai de si tôt )






Prologue





Il est si tard. Le sommeil ne vient pas, et pourtant je me sens si las. Tant de souvenirs me reviennent depuis quelque temps. C’est étrange… j’ai l’impression que la Sainte Lumière a décidé de m’offrir … comment dire… oui, un résumé de ma vie. Cela voudrait-il dire qu’il est temps pour moi de mourir ? Cette idée saugrenue ne me fait pas peur. Au contraire, je crois que j’en serais heureux. J’ai vécu bien assez longtemps comme ça.

Autrefois, tout le monde m’appelait La Plume Ecarlate, mais mon véritable nom est Ascandor. J’ai servi Albion pendant trente-trois longues années en tant que ménestrel avant de prendre ma retraite dans les Monts Ténébreux. J’ai parcouru les vertes terres de notre magnifique royaume en long et en large, contant légendes, chantant ritournelles. Certes pour assurer mon pain quotidien, mais surtout par passion. J’ai ainsi rencontré de grands hommes, riches ou pauvres, et posé les yeux sur les plus belles femmes de nos terres. J’ai toujours vécu libre, même si parfois, quelques nobles ou maîtres de guilde s’attachaient mes services. La chance ne m’a jamais quitté, en fin de compte. Bien sûr le malheur et la tristesse ont parfois frappé à ma porte, mais après tout, n’est ce point le lot de chacun ?

Ah cher grimoire ! Me voilà encore en train de te raconter tout et n’importe quoi. C’est fascinant combien tu peux compter pour moi, depuis que tout le monde m’a oublié. Seuls quelques vieux chasseurs nostalgiques viennent me passer le bonjour dans ce coin si peu fréquenté. Ils partagent avec moi un peu de leur chasse du jour, et en échange, je leur narre des histoires de l’ancien temps. Mais voilà que ce matin, l’on frappe à ma porte. D’habitude, les chasseurs entrent sans de telles cérémonies, et cela ne me gêne pas, bien au contraire. À leur manière, un peu rustre, il est vrai, ils veillent sur moi, et je leur en suis reconnaissant. Enfin bref, ma curiosité piquée au vif, j’ouvre donc pour tomber nez à nez avec un paladin de la Sainte Lumière. Cela ne faisait aucun doute pour moi, je ne connaissais que trop bien leurs signes distinctifs. Cette croix bénie qu’ils portent au cou, d’abord ; puis cette armure mystique qui leur est remise lorsqu’ils ont atteint le summum de leur art. Je fus encore plus étonné quand ce grand gaillard s’inclina devant moi, vieux trognon ridé que je suis.

« Sir La Plume Ecarlate ? », demandait-il, toujours un genoux à terre.

Sa voix était empreinte d’espoir, ce que je ne comprenais pas.

« Ou … oui ? Ce nom sort d’outre-tombe ! Qui me demande ? »

Alors le paladin enleva son heaume, et releva la tête. Je n’entendis pas sa réponse. Je fus en effet pétrifié au moment même où je posais les yeux sur son visage. Je ne pus retenir une larme, qui creusa un peu plus l’une de mes profondes rides. Vous savez, ce genre de larme de pure nostalgie, à la fois agréable et triste. Au crépuscule de ma vie, je me trouvais devant le seul être sur terre que je n’avais pas eu le courage de rencontrer. Non pas par lâcheté, mais par crainte de grandement souffrir. Sortant de ma stupéfaction, je lui proposais maladroitement d’entrer dans mon humble demeure, préférant pour l’instant regarder le sol.

Oui, cher grimoire, ce matin même, l’unique fils de Lohla et Cay Loinvoyant, est venu me rendre visite. Il m’a dit avoir eu beaucoup de mal à retrouver ma trace, et qu’il était fou de joie que je sois encore en vie. En vie… Tant d’années ont passé depuis cette époque, et à présent, je m’en souviens encore comme si c’était hier. Lui demandant des nouvelles de sa famille, il m’apprenait alors une bien triste nouvelle. Dame Lohla Loinvoyant, ma « vipère » préférée, n’était plus. Le dernier hiver l’avait emportée avec lui. Savoir qu’elle n’avait pas souffert me consolait quelque peu, et j’espérais grandement qu’elle ait pu enfin retrouver son amour trop tôt perdu. Il semblait qu’elle avait beaucoup parlé de moi à son enfant, chose qui - je ne puis le cacher – m’emplissait de fierté.

Enfin donc, me voilà encore à gribouiller tes pages jaunies par le temps, mon ami. Et tu sais quoi ? Je suis payé pour ! Killian - j’ai fini par lui redemander son prénom – m’a presque imploré pour que je mette par écrit l’histoire de son père telle que je la connais. Pas toute, bien sûr, je n’ai rencontré le vieux bouc que l’année de mes vingt ans. Il est cependant persuadé que j’en sais bien plus que d’autres, puisque le vieux paladin se confiait souvent à moi. J’ai bien évidemment refusé tout salaire pour cela, je ne suis pas … hum mm … plus du genre à quémander, mais ce qui est sûr, c’est que Killian est aussi têtu que son géniteur, voire plus. Alors voilà, tu vas recevoir en ton cœur l’un de mes plus beaux souvenirs, et ensuite tu partiras avec l’enfant tant souhaité des meilleurs amis que j’ai jamais eu. Pas la peine de râler, j’ai pris ma décision … Sans doute la toute dernière. Et peut-être qu’ainsi, je continuerai à vivre à travers la voix d’un Loinvoyant, racontant de vieilles histoires à ses petits-enfants. Qui sait …
Rêveries



<Bien des années plus tôt…>


Les remparts de Myrddin tremblaient sous les assauts répétés des armes de siège Midgardiennes. Chaque défenseur se battait comme un diable pour repousser l'envahisseur. Des corps mutilés, carbonisés ou pire encore, jonchaient le sol, tels des pantins désarticulés. Depuis l'aube, le flot de barbares déferlait sur la forteresse, sans discontinuer. Midgard voulait le Bâton de Merlin, et avait envoyé ses meilleures troupes. En terrain découvert, les rares défenseurs d'Albion n'auraient eu aucune chance. Depuis des heures, ils tenaient le choc, brûlant tant bien que mal les béliers ennemis, traquant sans relâche les unités furtives, prodiguant de maigres soins ici et là.


"Seigneur Mc Ethan, nous ne tiendrons pas éternellement ! La première porte va céder dans peu de temps... il nous faut des renforts au plus vite !"
"Je sais, Capitaine Althus. Les renforts sont en route ! Faites de votre mieux, nous DEVONS tenir coûte que coûte jusque-là. Envoyez les blessés aux remparts, nous n'avons pas le choix."
"Mais Seigneur, ils n'arrivent même pas à marcher seuls, ils ne...."
"C'EST UN ORDRE, CAPITAINE ! FAITES CE QUE VOUS AVEZ A FAIRE !"
"... Bien seigneur..."

Althus se rendit alors à l'infirmerie improvisée. Les râles de douleur de ses hommes lui glaçaient le sang. Du sang... partout... Jamais le capitaine n'avait participé à pareille boucherie. Jamais il n'avait eu à donner des ordres aussi inhumains. D'une voix forte mais tremblante, il cria :

"QUE TOUS LES HOMMES CONSCIENTS SE LEVENT ET REPARTENT COMBATTRE ! C'EST UN ORDRE ! TOI, TOI ET TOI, DEBOUT ! ALLEZ DEBOUT ! PAR LA SAINTE LUMIERE, DEBOUT !"

Les blessés regardaient le capitaine avec étonnement et désapprobation. Mais un ordre était un ordre. Il n'y avait pas à discuter. Parmi eux, un jeune paladin, la pointe d’une flèche encore plantée dans l'épaule. Serrant discrètement un bandeau de tartan dans sa main gauche, symbole de jeune marié, il se leva péniblement. Aidant un compagnon d'armes à faire de même, il se dirigea aussi vite que sa blessure le lui permettait vers les remparts de Myrddin. La douleur le lançait à chaque pas, mais avait-il le choix ? Il avait juré de servir la Sainte Lumière, et il devait aller jusqu'au bout. Oui, jusqu'au bout ...

<Un jour plus tôt, à Caer Swanton>

Le manteau de la nuit recouvrait lentement les collines, et dévoilait mille étoiles plus brillantes les unes que les autres. Quelques rires d'hommes d'armes brisaient parfois la sérénité de ce lieu si reculé. La vie coulait tranquillement dans son lit de paix, que nulle tension ne venait déranger. Cela faisait bien longtemps que les combats avaient cessé à la frontière, et quelques fous de guerre mis à part, tout le monde semblait s'en réjouir. Demain, la relève arriverait, et chacun pourrait enfin rentrer chez soi. Le seigneur des lieux avait donné une petite fête en début d'après-midi, et tous en avaient profité à cœur joie. À une table, quelques hommes discutaient, encore sous l'effet de la cervoise.

"J'suis pas mécontent de partir demain, j'vous l'dis, moi. On a fait not' devoir, ici, mais j'ai bien hâte de retrouver ma famille !"
"Et moi donc, Lanart, et moi donc ! J'imagine déjà les bons petits plats que ma divine femme m'aura préparés ! J'en salive d'avance !"
"Pense alors à te laver, Lokhar, sinon elle ne te reconnaîtra pas ! Mouhahahha ! Et je doute qu'elle laisse rentrer quelqu'un qui sent aussi mauvais que toi !"
"Alorrrrssss toi ! Si je n'avais pas pitié de toi, je crois bien que je te casserai le cou sur le champ, Pathium !"
"Mouahahah tu me fais peur, tiens ! Regarde Cay, il est tout propre, lui, et bien rasé !"
"Oué ben quand il aura mon âge, on verra s'il est pareil. Quand j'étais jeune, moi aussi je soignais mon apparence ! Et puis il est juste marié, le jeunot, et il tente de faire illusion quelques mois, mais tu verras ensuite. N'est-ce pas, Cay ?"
"Sans vouloir te vexer, Lokhar, si je puais autant que toi, j'irais me laver dans les flammes de Golestand !"
"Mais quoi, rhoooo, je sens juste un peu la sueur .... bahhh vous les paladins, vous êtes trop précieux, je vous le dis !"
"Et au fait, comment qu'elle s'appelle, ton amoureuse, Cay ?"
"Tu lui as déjà demandé tout à l'heure, Lanart ! T’as vraiment trop bu, toi !"
"Gurthanne, elle s'appelle Gurthanne ..."

Les yeux du jeune paladin brillèrent de mille feux, et il perdit le sens des réalités. Ses compagnons lui parlaient, mais il ne semblait plus entendre. Le menton sur ses bras croisés, affalé sur la table de chêne massif, il regardait dans le vide, un sourire légèrement niais aux lèvres.

"Ça fait drôle de le voir comme ça, le jeunot..."
"Ouais ... ça m'rappelle quand j'étais jeune..."
"Pour une fois, je suis d'accord avec vous, les gars..."
"Bahhh laissons le tranquille, c'est un brave petit ..."

Les vieux briscards se levèrent le plus doucement possible, ce qui fut chose compliquée, vu leur état d'ébriété, et quittèrent la table, laissant le "jeunot" dans ses douces rêveries.
Tombée du ciel



Dans ses songes, le jeune paladin se remémorait un certain soir, à Cardova. Ses compagnons d'alors et lui-même bataillaient comme des lions dans l'un des couloirs de ce lieu maudit. Les légionnaires mort-vivants surgissaient de partout, sans discontinuer. Il n'y avait de place pour la moindre erreur.

Un pas de trop, une erreur tactique, un sortilège de feu trop puissant. Et ce fut la débâcle. Le petit groupe fut décimé en quelques minutes. Les épées rouillées de leurs ennemis mordaient les chairs, et le sang abreuvait le sol poussiéreux. Alors la Lumière envoya l'un de ses enfants au secours de ces braves, avant que Dame La Mort ne les emporte. Nul ne sait s'il s'agissait d'une hallucination collective, mais il est un de ces instants qui restent à jamais gravés dans les cœurs et les âmes. Les couloirs de Cardova s'illuminèrent petit à petit. Au loin, une forme humaine s'avançait lentement. Son aura était telle que les créatures reculaient en gémissant, cherchant refuge dans un coin d'ombre. Un instant plus tard, l'être de Lumière se tenait devant les corps meurtris. Personne ne pouvait réellement en distinguer les traits, d'autant plus que la Lumière s'intensifiait encore. La créature divine s'agenouillait et se mit à réciter une prière que Cay connaissait depuis peu. Les blessures les plus graves du premier d'entre eux se refermèrent alors. Chacun serait sauvé par cette apparition providentielle. La Lumière disparut subitement. Quelques secondes passèrent, et l'un des magiciens invoqua une petite flamme, éclairant à peine les visages. Le sauveur s'était relevé.


"Mais ... que ... mais ou suis-je?"
"Pardon ?", répondait les autres, tous en chœur.
"Où est Dame Triss ? Par la Sainte Lumière, comment suis-je arrivée ici"
"Vous vous trouvez dans les Catacombes de Cardova. Vous venez de nous sauver la vie... vous ne vous souvenez de rien ????"
"Mais ce n'est pas possible, j'étais à l'instant à Camelot, j'écoutais les cours de Dame Triss..."


L'être de Lumière venait d'enlever son heaume. De longs cheveux noirs de jais tombèrent alors en cascade sur son armure de métal, encadrant un visage fin à la peau si blanche. On aurait donné le bon dieu sans confession devant les yeux merveilleusement bleus de cette femme.

"Je venais juste de comprendre la prière qui me permettrait de ramener un compagnon d'entre les morts quand ..."
"Mon enfant, je puis avancer que la Sainte Lumière vous a envoyé ici pour nous sauver, et ainsi tester votre foi !", répondait le clerc du groupe avec une certaine assurance.
"Alors bénie soit la Saine Lumière !".

Chacun reprit en chœur les mots de la paladine. Personne ne trouvait rien à redire, même les quelques membres non liés à l'Eglise. Si La Sainte Lumière avait décidé d'envoyer cette femme ici, alors soit ! Et tant mieux !

"Mais nous manquons à toutes les règles de courtoisie ! Aurons-nous le plaisir de connaître le nom de celle qui nous a sauvé ?"

Cay avait tourné cette phrase dix fois dans sa bouche avant de se lancer. Son cœur battait la chamade, ses jambes tremblaient, mais sa fierté voulait que personne ne puisse entrevoir ses émotions contraires aux préceptes de l'Eglise.

"Gurthanne.", répondit-elle en souriant. Ses yeux percèrent une première fois le cœur du jeune paladin.
"Entranché... heuu enchantré ...non arf... bien heureux de faire votre connaissance, Sir...heuuu"

Tout le monde explosait de rire, Gurthanne y-compris, tandis que Cay piquait un fard comme jamais auparavant. Il aurait donné ciel et terre pour disparaître sur l'instant.

Séchant ses larmes, le clerc ajouta :

"Puisque vous êtes là, vous joindrez vous à nous, mon enfant ? Votre aide nous serait fort précieuse."
"Avec plaisir, mon père, avec grand plaisir ! "


Les combats reprenaient. L'arrivée d'un ange redonnait confiance et force au petit groupe. Ils savaient que plus rien ne leur arriverait de fâcheux. Gurthanne maniait la claymore avec une grâce et une habileté sans pareil, et si Cay cherchait à se faire oublier, il s'évertuait tout de même à la protéger du mieux possible à l'aide de son bouclier. À eux deux, ils offraient un mur d'acier contre les légionnaires défunts de Cardova. Sans cesse, ils cherchaient à prendre les coups à la place de leurs compagnons. Et aucune autre perte ne fut à déplorer par la suite.

Ce n’est qu’au bout de plusieurs heures de lutte acharnée que le petit groupe décidait de sortir de ce lieu maudit, avec l'impression du devoir accompli. Certes, de nombreuses créatures impies rôdaient encore, mais ils ne pouvaient mieux faire. En marche vers le relais de Cornouailles, chacun discutait, élaborait de nouvelles techniques de combat, affinait les existantes. Cay, d'habitude le premier à participer à ce genre de choses, restait en retrait. Gurthanne se détacha du groupe, et se mit à marcher à ses côtés.

"Sir Cay, vous me semblez bien soucieux !"
"... Si vous saviez combien j'ai honte..."
"Pourquoi donc ? Pour tout à l'heure ??? Hihihi ! N'y pensez plus, chevalier, j'ai trouvé la chose amusante ! Et si vous aviez vu votre tête ... hahahaha ! J'en ai les larmes aux yeux quand j'y repense..."
"Bon, ça va !", répondait Cay d'une voix bougonne, mais un petit sourire en coin.
"Cela dit, je dois vous avouer être impressionnée par vos qualités martiales. Je ne crois pas avoir subi quelconque mauvais coup, votre bouclier semblant toujours se trouver là ou il fallait. Je tenais donc à vous remercier…"
"Je n'ai fait que mon travail, ma Dame !", coupait Cay, bombant le torse pathétiquement.
"Avec beaucoup d'ardeur, j'ai trouvé. Et c'est mademoiselle, pas madame.".

Le sourire d'ange de cette femme brisa alors définitivement les murs du cœur du paladin. Sa tête était sujette à une tempête de contradictions, d'interdits et de désirs secrets. Il fallait que cela cesse sur l'instant où il perdrait la raison. Devinant son trouble, Gurthanne détourna son regard, trouvant grand interêt à observer l’herber verte des terres de Cornouailles.

"Hola, les deux tourtereaux derrière ! Activez un peu ou l’on arrivera après la tombée de la nuit !", criait l'un des compagnons.
"Mais tais toi, triple buse, laisse les tranquille !", répondait un autre.

Cay croisa alors le regard du clerc. Ce dernier arborait un léger sourire. Le jeune paladin ne comprenait pas. L'homme d'Eglise semblait presque approuver ce qui se passait. Non, il devait rêver... Il fallait qu'il lui parle au plus vite, et qu'il confesse ses pensées impures. Oui, au plus vite...
Le tourment d'un paladin



Un silence profond enveloppait le relais de Cornouailles. Même les boueux semblaient avoir abandonné la lutte ancestrale qui les oppose aux déracineurs géants. Seuls quelques cris stridents de bucas attiraient encore l'attention des gardes albionais encore en poste. Toute la populace dormait du sommeil du juste... tous sauf un. Cay s'obstinait à contempler le plafond, encore en proie à de vives contradictions. Il lui était impossible de fermer l'œil. Habituellement grand amateur de bonne chair, il avait à peine touché à l'excellent repas du soir que le petit groupe s'était offert. Ses amis lui demandèrent bien ce qu'il n'allait pas, mais Cay restait de marbre, éludant toute question un peu trop précise. Il s'était même retiré assez tôt, au grand étonnement de tous, sans un regard pour Gurthanne. Le paladin de la Lumière se leva alors subitement, l'air décidé. Quelques pas plus tard, il frappait à la porte de Père Alister, sans ménagement.

"Entre donc, mon fils !"
"Vous ne dormiez pas ?"
"Je t'attendais. Il me semblait évident que tu allais venir me voir, Cay. Je te connais."

Père Alister était assis devant une petite table en bois d'orme, et seule une bougie éclairait la pièce, rendant l'atmosphère à la fois paisible et secrète. Cay s'installait prestement en face de lui, les nerfs à vif.

"Mon père, je ne sais que penser... ma tête va exploser... cette femme, Gurthanne ... elle ... je ... rahhh je n'arrive pas à exprimer ce que je veux dire..."
"Prends ton temps, je t'écoute, et n'ai crainte du blasphème, cela restera entre nous."
"Je suis paladin, et de par ce statut, je ne puis aimer ... mon père, est-ce la Sainte Lumière qui a envoyé Gurthanne, afin de tester ma foi ?"
"À ton avis ?"
"Mais je ne sais ! C'est pour cela que je vous pose la question !"
"Qui a dit qu'un paladin ne pouvait aimer ?"
"Mais c'est écrit ! Lorsque je n'étais qu'un apprenti, il a été maintes fois répété qu'un paladin, tout comme un clerc, se devait d'être chaste pour servir la Lumière. Nos instructeurs, notamment Dame Triss, ont bien insisté sur ce point! "
"Est-ce la Lumière qui a écrit cela ? Ou bien l'Eglise ?"
"C'est du pareil au même ! L'Eglise est la voix de la Sainte Lumière !"
"En es-tu persuadé, mon enfant ?"

Père Alister observait le paladin avec insistance. Sans nul doute attendait-il que ce dernier se libère.

"Mon père, vous l'avez remarqué, cette femme me fait tourner la tête. J'éprouve de forts sentiments à son égard... je ..."
"Tu es épris d'elle ?"
"... Oui ... même si je ne comprends peut-être pas le sens de ce mot... je n'ai jamais..."
"Penses-tu que tes sentiments soient malsains, qu'ils apportent la destruction, la violence, la haine ?
"NON ! Jamais je ne pourrais lui faire de mal ..."
"Peux-tu imaginer que l'amour est l'œuvre du démon, pour guider les gardiens de la Lumière vers la déchéance ?"
"Dame Triss nous le répétait tout le temps !"
"Crois-tu que Dame Triss a raison ?"
"Mais ... elle est une des plus grandes paladines d'Albion !"
"Je ne te demande pas ce que tu penses de Dame Triss, mais de ce que TOI tu penses ! Réfléchis par toi-même ! Ne sois pas attentiste, bougre d’âne !"
"Je ... rahhh tout se bouscule dans ma tête ! Vos paroles n'arrangent rien !"
"Peux-tu un seul instant penser que la Sainte Lumière interdirait une chose aussi belle que l'amour ?
"Vous ... je ... comme j'aimerais y croire, mon père, comme j'aimerais y croire !"
"Libre à toi, Cay. Tu es maître de tes choix, de tes actes, même si tu ne le comprends pas encore. Ce jour viendra, et mes mots pendront tout leur sens, mon fils."
"Mais je vais au-devant de graves ennuis si je cède à mes désirs ..."
"As-tu peur ? Gurthanne n'en vaut-elle pas le coup ?"
"SI ! Non ! Mais ...rahhhh ... quelle souffrance !"
"Tu souffres donc ... encore une fois, est-ce la volonté de la Sainte Lumière de tourmenter ton âme ? "
"Mais c'est un test de foi, mon père !"
"Oui, la Sainte Lumière te teste ! Elle veut savoir comment tu réagiras, mais elle n'est pas là pour te juger, tu es l'un de ses enfants et le soi-disant blasphème que tu t'apprêtes à commettre n'a pas d'importance à ses yeux."
"Comment pouvez-vous savoir cela ! Vous êtes clerc de l'Eglise !"
"Je le sais ... mon cœur me le dit, mon âme me le crie, et je n'ai su écouter que trop tard... je t'en conjure, ne sois pas aussi bête que je l'ai été..."

Une ombre passe devant les yeux du père Alister. Absent quelques instants, ce dernier se reprend :

"Cay, mon enfant, tu as été seul pendant trop de temps. Ecoute-toi et assume tes pensées. Si ton cœur est pur, tu sauras affronter ce qui t'attend avec courage et honneur."
"Mon père ..."
"Va, mon fils, je suis fatigué à présent, et médite bien sur ce qui a été dit ce soir."
"Oui, père Alister..."

Le paladin se lève et ouvre la porte de la modeste chambre. Hésitant une seconde, il se retourne :

"Mon père ?"
"Oui ?"
"Merci d'être ce que vous êtes."

La fin de nuit fut paisible, et un certain paladin rêva longuement d'un possible avenir.
Au diable les interdits



Le jour suivant, les compagnons furent envoyés en terres de Lyonesse, afin de prêter main-forte contre la prolifération diabolique des gobelins pygmées. Sans nul doute, une force obscure envoyait délibérément ce flot de créatures malsaines dans un dessein évident de conquête. Un seul mot d'ordre : Lyonesse ne devait pas tomber. Inutile de préciser la violence des combats, et les nombreuses blessures subies, vous vous en doutez. Mais c'est avec courage et ténacité que le petit groupe luttait, heure après heure. Cay ne décrochait mot, mais semblait plus serein. Il se risquait même à observer Gurthanne, tout en maintenant une attention particulière sur le combat. Il allait jusqu'à oser quelques discrets encouragements lorsqu'il était sûr que seule Gurthanne les entendrait. "Comment fait-on la cour ?", se demandait-il. Maladroit régulièrement, habile en de rares occasions, il tentait avec les moyens du bord, livré à lui-même. Heureusement pour lui, Gurthanne n'était pas ce genre de femme qui reste patiemment à attendre qu'un homme lui déclare sa flamme. Une accalmie, un petit temps mort, et elle s'amusait à mettre le paladin mal à l'aise, d'un simple sourire, ou d'un regard appuyé, ou encore d'une réplique taquine. Son caractère se dévoilait peu à peu: celui d'une femme forte, élevée à la dure, instinctive, mais juste, de très bonne compagnie et généreuse. Le reste des compagnons put noter que l'efficacité au combat des deux paladins n'avait cessé de croître. Une étrange alchimie semblait décupler leurs forces, et les pousser au-delà du possible. Le soir arriva vite, et les compagnons installèrent un campement dans l'emplacement prévu à cet effet par les forces d'Albion.

Et se fut ainsi de nombreux autres jours. Cay gagnait en assurance, combattait sa timidité avec plus de réussite, tandis que Gurthanne le poussait habilement à parler. Elle alla voir par trois fois le Père Alister, mais ressortait toujours plus forte de ces entretiens, du moins en apparence. Cay n'avait osé écouter discrètement leurs conversations. Cela aurait été bien incorrect et indigne d'un serviteur de la Lumière, même si ça le démangeait terriblement. Une nuit pourtant, la curiosité empêchait le paladin de dormir, et il dut se contraindre à faire un tour à l'extérieur du campement. Longeant lentement la plage de sable scintillant sous les doux rayons de l'astre lunaire, il fut tiré de ses pensées par une voix.

"Veux-tu savoir, Cay ?"
"Qui ... qui est là ?"

Le paladin se tournait dans tous les sens. La voix semblait si proche, et l'obscurité loin d'être totale...

"Mais hooo du calme, ce n'est que moi !"

El Bakir, l'éclaireur de la compagnie, apparu devant lui d'un coup d'un seul, manquant de faire tomber Cay à la renverse.

"Par la Lumière, tu m'as fichu une trouille bleue ! "
" Toi ? Peur ? Hahaha, je suis content alors !"
"Mouais ... bahhh tu m'as bien eu..."
"Alors veux-tu savoir ?"
"Savoir quoi ?"
"Par l'encolure d'Epona, ce qu'elle pense, bien sûr ! Quel benêt tu fais, alors !"
"Quoi ... que ... tu as écouté Gurthanne et Père Alister ? Rhoooo !"
"Ben quoi, c'est pas ma faute si j'ai l'oreille fine ! Et puis c'est mon boulot de tout entendre, tout voir !"
"Tout de même ... ce n'est pas correct..."
"Bon tant pis... bonne nuit !!"
"NON ! Attends ... heuu ... "
"D'accord je t'explique, puisque tu insistes. En fait c'est tout simple, elle a les mêmes réticences que toi ..."
"Que veux-tu dire ... tu as ... tu nous as écouté au relais de Cornouailles ?"
"Ben c'est pas ma faute, moi, si je dormais dans la chambre d'à-côté ! Et vu comment tu beuglais, j'ai pas pu faire autrement !"
"Rahhhhhhh vil fourbe ! Je vais te ... et elle en est où ?"
"Me quoi ?"
"Rien..."
"Ce qui est sûr, c'est qu'elle est prête à prendre beaucoup de risques pour toi... tu as de la chance... elle aurait dû me choisir, bien sûr, je suis largement plus beau et plus intelligent, mais bon… <soupir>, la vie est mal faite."


Cay n'écoutait plus... il était ailleurs, quelque part entre deux constellations. Un amour s’épanouissait. Une semaine plus tard, les tensions avaient disparu, et les deux jeunes gens se côtoyaient bien plus souvent. Cay avait fini par déclarer sa flamme, enfin... disons que Gurthanne fit en sorte qu'il se bouge les fesses. Et tous deux décidèrent de remuer ciel et terre pour avoir l'autorisation de s'unir, quitte à remplir tous les formulaires et autres requêtes possibles. Il était inconcevable que le mariage ne puisse se faire sans l'accord express de l'Eglise. Père Alister pensait la chose possible, et que l'Eglise acceptait parfois officieusement, mais cela restait rare. Qu'importe, il fallait tenter.

Et c'est alors que Dame La Chance leur fit le plus beau des sourires. La relève s'installa à Lyonesse, et la compagnie se mit en route pour la Retraite d'Adribard. Chacun se sentait bien plus aguerri, et la présence d'un maître dans leur discipline respective leur était grandement nécessaire pour apprendre de nouvelles techniques de combat. Gurthanne et Cay savaient pertinemment que le Seigneur Adribard, Haut Paladin de la Sainte Lumière, dirigeait un centre d'entraînement reconnu à travers tout Albion. Quelques formulaires plus tard, les deux jeunes gens pouvaient suivre les cours dispensés. Ce qu'ils n'ont jamais su, c'est que le Seigneur lui-même les avait observés. Ou plutôt il avait remarqué cette osmose qui les liait tous les deux, et en connaissait la signification. Il savait que la Lumière avait béni ces deux paladins, et l'Eglise ne pourrait rien y faire. Il nota dans un coin de sa mémoire ce fait, au milieu de centaines de responsabilités, d'obligations et devoirs qui sont propres à un homme de son envergure.
Erreur de jeunesse



< Camelot, une semaine plus tard >


Enfin, un peu de temps libre ! Le petit groupe pouvait profiter des bienfaits de la capitale : auberges douillettes, gastronomie réputée, cervoise merveilleusement bien brassée ... que de différences avec la dure vie des campagnes militaires. Chacun s'en donnait à cœur joie, ne cherchant qu'à profiter de l'instant présent. C'est au cours d'une de ces premières soirées que Père Alister expliqua à Gurthanne et Cay la marche à suivre. Il leur faudrait tout d'abord demander audience à l’un des nombreux " gratte-papier " de l’Eglise, et plaider du mieux possible. Puis la requête serait transmise à travers divers bureaux, avec plus ou moins de chance d’être traité rapidement. Et enfin, si le refus n’est pas catégorique, Gurthanne et Cay devraient être convoqués à la réunion mensuelle du Conseil de L’Eglise d’Albion, qui traite trois jours durant des affaires courantes la concernant. Aussitôt dit, aussitôt fait. Cay demanda audience le soir même. Sa requête fut notée, mais il lui fallait attendre six jours, soit le troisième jour du Conseil, pour savoir s’ils seraient convoqués. Six jours ... cela n'étonnait pas trop le Père Alister. Contre mauvaise fortune bon cœur, ils s'occupaient comme ils pouvaient, et continuaient à profiter de la vie facile. Un seul d'entre eux, El Bakir, semblait réellement soucieux, et cela n'échappait à personne.

"El Bakir ? Un problème ? Tu es bizarre depuis quelques jours...", demandait Cay, interloqué.
"Effectivement, mon fils, quelque chose ne va pas ! toi qui est si jovial d’habitude...", rajoutait Père Alister.
"C'est que... je ne suis pas sûr... mais j'ai la furieuse impression qu'on nous observe... naaaann laissez tomber, je dois me tromper... l'inactivité et le retour à la civilisation doivent me jouer des tours, sans doute !", répondait El Bakir, reprenant une gorgée de cervoise.

Et pourtant …

La veille du rendez-vous, la cervoise coula sans doute un peu trop. Les esprits étaient embrumés, les désirs exacerbés…Trop de regards appuyés, de caresses discrètes, de sourires malicieux. Cay sentait son cœur battre à tout rompre, et une chaleur sans pareille parcourait son corps. Gurthanne ne semblait pas plus à l’aise ; ses yeux brillaient comme deux saphirs en plein soleil, et brûlaient peu à peu la résistance du jeune paladin. Une farandole…Un regard …Une esquive rapide…Ils quittaient l’auberge, main dans la main, courant à perdre haleine. Un palefrenier…Deux chevaux… Quelques lieues parcourues dans l’obscurité presque totale… Une étable… Personne… Un grenier rempli de paille… La Passion consuma alors l’Interdit.

< Le lendemain, tôt le matin, sur la route de Camelot >

Les deux jeunes gens n’avaient dit mot depuis leur réveil. Les visages crispés, ils trottinaient sur un chemin de terre. Gurthanne finit par briser le silence :

" Nous n’aurions pas dû, Cay… "
" Ce qui est fait est fait… Mais tu as raison…"
" Cela va peut-être nous jouer des tours… "
" Personne ne DOIT savoir ! PERSONNE "
" Et si on nous demande ? Si Dame Triss nous pose la question ? "
" Je … Je ne sais pas…Regrettes-tu ce qui s’est passé ? "
" Oui …<Long silence> et non …Oui parce que nous sommes paladins, non parce que je suis une femme à présent. "
" On aurait dû attendre…Je … Je ne contrôlais plus rien… mon amour ? Est-ce là l’œuvre du Malin ? "
" Je ne sais pas si le Malin y est pour quelque chose, mais toi en tout cas, tu agissais comme un vrai petit diable ! Hihi… "
" Un petit diable charmé par une sorcière, je te le dis… Allons, ne traînons plus, nous sommes presque en retard ! YAHHAAA"

Et c’est un peu plus détendu que Gurthanne et Cay se présentèrent à la cathédrale de Camelot. Ils passeraient devant le Conseil en début d’après-midi.
Le Bien et le Correct



Scribe Hérault :"Cas 192 - Importance faible : une requête d'union entre deux paladins, Gurthanne et Cay Loinvoyant"

Frère Lensar, sur un ton légèrement désabusé :"Encore ? Mais c'est devenu une habitude !"

Gurthanne et Cay s'avancèrent au milieu de la salle du Conseil, baignée par la lumière traversant un splendide vitrail multicolore. Un ange y était représenté, brandissant l'Epée de Justice telle une croix. Les membres du Conseil siègeaient sur une haute estrade en demi-lune, dans des fauteuils de brocard richement décorés. Le jeune couple n'en menait pas large; ils pouvaient sentir les regards des Conseillers peser sur leurs épaules. Tous de grand renom : Dame Triss, Dame Winchell, Frère Lensar, le Seigneur Adribard, le Seigneur Prydwen, le Seigneur Ulfwych, et le Haut Inquisiteur Zakhrin.

Dame Triss :"Bon ! Allons au plus vite. Vous deux savez très bien que votre requête est contraire aux préceptes de l'Eglise. Pourquoi donc vous présentez vous devant nous, dans ce cas ?"

Cay :"Ma Dame, nous sommes convaincu de ne pas aller contre la Sainte Lumière en nous unissant. Au contraire, il semblerait qu'Elle ait fait en sorte que nous nous rencontrions. Nous pouvons vous narrer plusieurs faits qui vont dans ce sens ..."

Haut Inquisiteur Zakhrin, d'une voix froide :"Balivernes que tout cela !"

Seigneur Adribard, calmement :"Je vous propose de les laisser terminer, Haut Inquisiteur Zakhrin."

A en croire le regard incisif du Haut Inquisiteur lancé au Seigneur Adribard, les deux hommes ne devaient pas beaucoup s'apprécier, cela semblait évident. Il allait répondre au Haut Paladin, mais se ravisa.

Dame Triss :"Continuez alors, jeunes gens."

Gurthanne et Cay prirent la parole tour à tour, se complétant l'un l'autre. L'étrange arrivée de Gurthanne dans les Catacombes de Cardova sembla éveiller l'attention de l'assistance, plus particulièrement celle de Dame Triss. Un à un, les points notables furent décortiqués, analysés, parfois diabolisés par le Haut Inquisiteur. Ils en arrivèrent enfin à l'osmose guerrière qui les caractérisait. Tous restaient dubitatifs quant à ce dernier exemple, excepté l'un des conseillers.

Seigneur Adribard :"Je puis confirmer ce dernier point, pour en avoir été témoin. En combat singulier, ces deux paladins se débrouillent bien mais sans plus. Par contre, en combat de masse, ils n'ont pas leur pareil. Pour retrouver une telle harmonie, il faut chercher parmi de grands paladins au summum de leur art, et ..."

Haut Inquisiteur Zakhrin, coupant la parole sans aucune gêne :"Diablerie que tout cela. Leur soif de sang est bien évidemment responsable de cette soit-disant virtuosité ! Cela me semble clair !"

Seigneur Adribard, encore plus calme :"Il n'y a nulle diablerie là-dessous, Haut Inquisiteur. Au contraire, je suis convaincu qu'un puissant désir de protection mutuelle peut les pousser au-delà de leurs capacités. Ce désir est sans nul doute généré par l'amour qu'ils portent l'un à l'autre. Oseriez vous douter de mes dires, Haut Inquisiteur ?"

Le silence se fit. Les deux protagonistes se regardaient fixement depuis quelques secondes. Si le Haut Inquisiteur désavouait la parole d'un Haut Paladin devant le Conseil, il ne ferait pas bon rester dans le coin, pour sûr. Encore une fois, le Haut Inquisiteur se tut. Mais le rictus qu'il laissa paraître ne présageait rien de bon.

Seigneur Adribard, toujours aussi calme :"Soit ! Nous vous avons entendu, jeunes gens, et vous saurez sous peu si votre requête peut aboutir. Veuillez vous reti..."

Haut Inquisiteur Zakhrin, d'une voix mesquine :"Humm, avant cela, j'aimerai dévoiler un point qui me semble important, je vous prie."

Seigneur Adribard, légèrement étonné :"Faites donc, Haut Inquisiteur !"

Haut Inquisiteur Zakhrin :"Ayant eu vent d'une telle requête, j'ai mis l'un de mes hommes sur l'affaire, comme il se doit de par mon rôle au sein de l'Eglise. Une banale procédure, vous en conviendrez. Nous passerons sur le fait que ces deux jeunes gens ont abusé de l'alcool et la nourriture riche depuis leur arrivée à Camelot. C'est, et j'en conviens, un péché pardonnable, nous allons dire. Toutefois, il est un des péchés qui ne peut rester dans l'ombre: celui de la chair. OUI, CONSEILLERS, CES DEUX PALADINS ONT COMMIS LE PECHE DE LA CHAIR ! ILS ONT FORNIQUE SANS ETRE UNIS PAR DES LIENS SACRES ! ET CELA NE PEUT RESTER IMPUNI ! "

Gurthanne et Cay se regardèrent, désespérés. Les impressions d'El Bakir étaient justes, mais personne ne s'en était soucié. Gurthanne prit la main de Cay dans la sienne, serrant aussi fort qu'elle pouvait. Le Haut Inquisiteur montrait à l'assemblée choquée sa grande satisfaction, et écrasait de son plus narquois sourire le Seigneur Adribard. Ce dernier posa les yeux sur le jeune couple :

Seigneur Adribard, l'air très déçu :"Paladins ! Est-ce la vérité ?"

Haut Inquisiteur Zakhrin, pire qu'un serpent :"Oseriez vous douter de ma parole, Haut Paladin ?"

Cay, le regard droit mais dans le vide : "Oui, nous avons fauté. Et nous n'avons aucune excuse. Aucune. Cela dit, si je puis me permettre, il vous faudra choisir entre le Bien et le Correct. Au nom de la Lumière, nous jurons de nous en tenir à votre décision, et qu'aucun mariage sauvage ne sera célébré. Que la Sainte Lumière vous guide dans votre choix !"

Dame Triss, d'une voix vierge de sentiment :"Paladins, vous pouvez vous retirer. Vous connaîtrez la décision du Conseil de l'Eglise dans quelques jours."

Gurthanne et Cay saluèrent le Conseil, et se retirèrent. A peine les deux battants de la porte en Arcania massif refermèes, une discussion animée et houleuse fut lancée. Impossible de savoir avec précision ce qui s'est dit ce jour là. Certains curieux prétendent avoir entendu des bouts de phrases comme : "...cette loi n'a plus lieu d'être, elle appartient à des temps révolus ...", "...le Péché de Chair ne peut être pris à la légère ...". "...tout cela n'est que blasphème et ne peut être toléré ...", "... les temps ont changé et nous savons que cela est de plus en plus mal perçu et compris...", "... les lois sont les lois, et nous nous devons de les respecter...".

Sans un mot ni regard, les deux paladins regagnèrent l'auberge. Leurs compagnons n'eurent aucun mal à décrypter le désespoir qui déformait leurs visages. Quelques gestes de sympathie, quelques mots réconfortants, et la petite compagnie commençait à discuter. Gurthanne et Cay relataient ce qui s'était passé, et avouèrent la faute.

El Bakir, énervé :"RAHHH fichus préceptes ! Et dire que que mon père me prédestinait à devenir moine... Et si seulement je m'étais fié à mon instinct, l'homme du Haut Inquisiteur n'aurait rien pu raconter !!! Je suis VRAIMENT en colère !"

Cay, dégouté : "Tu n'y pouvais rien, El Bakir. Ce n'est pas de ta faute..."

Gurthanne, tristement réaliste :"Nous avons commis un péché, et nous paierons pour cela. C'est ainsi. La Lumière nous pardonne..."

Père Alister, dubitatif : "Hummm ne perdez pas espoir, mes enfants... j'ai comme qui dirait une bonne impression... je puis me tromper mais... hummm... il ne reste plus qu'à attendre la réponse du Conseil. Allez donc vous coucher... et pas dans le même lit, je vous prie <clin d'oeil>"

Malgré ces mots d'espoir, les deux jeunes gens ressassèrent de longues heures la journée passée... la nuit d'avant... si seulement... si seulement ils n'avaient pas fauté ! Quelle vie pouvaient-ils espérer, maintenant ? La déception et le regret les empêchèrent de fermer l'oeil.

Au petit matin, outre l'aubergiste -fidèle à son poste-, les deux paladins étaient les seuls débout. Un peu de lard, un oeuf ou deux, du lait... rien n'avait de goût. La porte de l'auberge s'ouvrait alors, laissant la froideur matinale entrer. Un homme s'approchait du comptoir et glissait quelques mots. L'aubergiste lui indiqua la table des deux jeunes gens.

"Paladine Gurthanne, Paladin Cay. Une missive pour vous, émanant du Conseil de l'Eglise d'Albion. Bonne journée à vous."

Le coursier était parti aussi vite qu'il était arrivé, posant la lettre cachetée sur la table. Elle resta là une bonne dizaine de minutes. D'un coup d'un seul, Gurthanne se saisit du pli:

"Allez ! Finissons en !"

Elle lut calmement, et des larmes perlèrent lorsqu'elle tendit la lettre à Cay.

Citation :

Décision du Conseil de l'Eglise d'Albion

Cas 192.1 : Demande d'union sacrée entre Gurthanne et Cay Loinvoyant
Cas 192.2 : Péché Capital : la Chair

Nous, Conseillers de l'Eglise d'Albion, avons décidé de punir le péché de Chair comme il se doit.

Ainsi, Gurthanne sera envoyée à l'Abbaye de Vetusta, et y fera pénitence pendant trente jours, dans la solitude la plus totale. Cay Loinvoyant sera quant à lui reclus à la retraite d'Adribard, et devra s'acquitter de la même punition.Tout deux se verront par la suite imputés de soixante jours de travaux d'intérêt général au service de l'Eglise.

La requête concernant l'union sacrée est refusée dans les murs de Camelot. Cela dit, il sera laissé libre aux prévenus de trouver un autre lieu saint où ils pourront célébrer leur mariage, avec l'autorisation de l'Eglise.

La sentence est active à compter de ce jour. Veuillez vous présenter dans les plus brefs délais à la Cathédrale de Camelot.

Puisse la Sainte Lumière nous avoir inspiré la sagesse nécessaire pour dispenser la justice. Gloire à Albion



Une porte s'ouvre. Un paladin pressé secoue un clerc endormi. Il lui confie une lettre et sort aussitôt. De mémoire d'homme, jamais, Ô grand jamais, on n'avait vu deux fautifs courir aussi vite pour être puni par l'Eglise d'Albion.
Pour le meilleur ...



Pénitence
Ennui
Lenteur
Solitude
Méditation


Sans doute de nombreux autres mots pourraient qualifier le mois passé à purger leur peine. Il n'est donc absolument pas nécessaire de relater cela en détail, vous en conviendrez. Il en va de même pour les travaux d'intérêt général : jouer les coursiers d'un bout à l'autre du royaume, recopier des documents inintéressants, entretenir les dépendances de la Cathédrale... rien de bien passionnant, ma foi. Et honnêtement, j'ai bien cru m'endormir mille fois lorsque ce vieux bouc de Cay me racontait tout en long et en travers cette looooonguuuee nuit là. Il était tellement saoul qu'il n'a même pas remarqué mes nombreuses absences... tss-tss ... enfin bon, passons ... Ha si ! Dans ses délires éthyliques, il me parla d'un jeune garçon qu'il avait aidé. Ce dernier aurait été pris à parti par un groupe de malandrins, et semblait en bien mauvaise posture. Il se demandait ce qu'il avait bien pu lui arriver ensuite. Mais bon... si on l'écoute, ce vieux fou prétentieux aurait sauvé la moitié d'Albion à lui tout seul... ah la la ... enfin ...


Ce matin-là, les oiseaux chantaient plus haut qu'à l'habitude. La lumière du soleil filtrait à travers les volets de la chambre. L'air était un je-ne-sais-quoi plus doux. Après un brin de toilette, Cay descendait dans la salle commune de l'auberge, rempli de nouvelles énergies. Étrangement, la populace semblait plus souriante, plus détendue. Des enfants couraient entre les tables, et riaient leur joie de vivre. Camelot se réveillait lentement d'une longue léthargie hivernale et accueillait le printemps à bras ouvert.



El Bakir : "Haaa le voilà ! On commençait à se demander si tu n'avais pas pris la fuite ! "
Père Alister : "Oui, ça nous a traversé l'esprit ! Et El Bakir échafaudait déjà un plan pour réconforter Gurthanne ! Le fourbe !"
El Bakir : "Père Alister ! Par l'encolure d'Epona ! Vil cafardeur ! Pire qu'un Luriken ! Mouhahha ! "
Cay : "Bonjour mes amis. Quelle belle journée, n'est-ce pas ?"
Père Alister : "Hooooo tu vas t'en souvenir longtemps, de celle-là, Cay. Crois-moi !"
Cay : "Mon frère n'est-il point encore arrivé ?"
El Bakir : "Laisse lui le temps, que diable ! Il est encore tôt ! "
Cay : "Bahh tu as raison. Je ne l'ai jamais connu ponctuel, en fait ! Ou alors ça remonte à bien trop longtemps pour que je m'en souvienne."
El Bakir : "Heuu Cay ! Question bête : comptes-tu aller à Vetusta ainsi vêtu ?"
Cay : "Hu ? ... c'est à dire ... je ne sais pas trop... oui en fait !"
El Bakir : "Rahhhh mais c'est pas vrai ! Tu pourrais faire un effort, pour ton mariage, quand même ! TOUTE UNE EDUCATION A REFAIRE ! TSSSS ! Bon allez, on finit de manger et tu me suis ! Allezzzzz dépèche toi, que diable !"
Père Alister : "Bon courage, mes enfants ! Moi je vais voir si Demoiselle Gurthanne a besoin de moi !"
Cay : "Mon père ! Dites-lui ..."
Père Alister : "Je lui dirais, Cay ! Je lui dirais !"

Tout penaud, Cay fut traîné dans les rues marchandes de Camelot. El Bakir était doté d'un étonnant bon goût. Pourtant habitué à vivre en pleine nature de par son métier d'éclaireur, il savait marier les couleurs et tissus luxueux, sans pour autant effacer l'armure de Cay. Un passage chez le barbier, puis dans un établissement de bains et le paladin ne se reconnaissait plus. Ses maigres économies y étaient passées, mais le résultat valait la dépense. Il se sentait un autre homme.

El Bakir : "Voilàààà tu es presque regardable, mon ami ! Hooo Epona, j'ai fait ce que j'ai pu pour ce pauvre bougre ! Mais si vous pouviez aussi l'aider un peu ... non ? Irrécupérable, dites-vous ? Arfff ! "
Cay : "Par la Sainte Lumière, El Bakir ! Je vais te botter les fesses !"
El Bakir : "Ttttt ! ce n'est pas beau de jurer !"

Les deux compagnons rentraient alors dans leur auberge attitrée, chahutant comme deux gamins.

Cay : "Aubergiste, sers-nous donc une bonne cervoise, pour mon ami et moi, je te prie !"
"Rajoutez-en donc une troisième, et la tournée est pour moi, aubergiste !"

Interloqués, Cay et El Bakir se retournèrent vers le fond de la salle. Un homme de taille moyenne, aux cheveux blonds comme les blés, se levait et s'approchait des deux compères. Ses yeux bleus respiraient le calme et la sagesse.

Katan : "Par la Lumière, ne fais pas cette tête, Cay ! Me considères-tu si peu pour me croire incapable de t'offrir une chope ?"
Cay : "Mon frère ..."

Comme il avait changé. Cay ne pouvait dire avec précision depuis combien de temps il n'avait vu son frère, mais sans nul doute, cela se comptait en années. Les armes et galons qu'arborait fièrement Katan montraient qu'il était bien plus aguerri que Cay, cadet d'une année.

Les deux paladins s'étreignaient longuement. Aucune parole ne pouvait en dire autant que le silence qui suivit. Pour une fois, El Bakir ne fit aucune réflexion sur les soit-disant inclinaisons « sentimentales » de Cay. Les liens qui unissaient les deux frères semblaient palpables, et l'éclaireur sentait qu'il fallait les laisser profiter de cet instant volé. Les présentations effectuées, les trois hommes pouvaient enfin savourer la blonde cervoise. Katan racontait ses dernières années passées à guerroyer contre nos ennemis ancestraux ainsi qu'aux quatre coins du monde, afin de parfaire sa formation de paladin. Remarquant les armoiries sur la cape de son frère, Cay demandait de plus amples détails. Katan lui annonçait qu'il avait été recruté par une très ancienne guilde, les Archanges d'Avalon. Il avait même été nommé officier le mois passé, et s'y sentait comme chez lui, entouré par des personnes solides et d'excellente compagnie. Ça n'étonnait pas trop Cay, qui avait toujours connu son frère comme quelqu'un de profondément honnête, de courageux et sérieux dans la tâche.

Vint l'heure de se rendre à l'Abbaye de Vetusta. Père Alister avait fait jouer ses relations pour que le mariage soit célébré dans ce lieu béni. Cay semblait nerveux et El Bakir, crapule jusqu'au bout des ongles, s'évertuait à lister les pires choses qu'une union sacrée pouvait éventuellement entraîner : plus de sorties dans les tavernes jusqu'au bout de la nuit, des enfants qui braillent à longueur de journée, l'impression de travailler pour rien, les dettes à rembourser toute la vie durant, la belle-mère qui s'invite à tout bout de champ, les rouleaux à pâtisserie sur le coin du crâne... j'en passe et des meilleures ! Heureusement la présence de Katan, à qui il avait demandé d'être son témoin, le rassurait. Et Cay savait que Gurthanne n'était pas le genre de femme à rester au foyer, attendant que le temps passe. C'était une guerrière, une furie, une aventurière, et avant tout une paladine de la Sainte Lumière.

Vetusta ... tout sembla alors filer comme le vent... Cay se retrouvait devant l'autel, Katan à ses côtés. Nombres d'amis et connaissances attendaient patiemment sur les bancs de l'abbaye. Le paladin tourna la tête, et la vit, auréolée de cette même lumière qu'à Cardova. Ayant perdu ses parents très jeune, Gurthanne fut menée auprès de Cay par le Père Alister. Elle resplendissait comme jamais ; les cheveux longs détachés, elle avait troqué son armure pour une simple robe en velours, de couleur bleu ciel. Peut-être pour la première fois, Cay percevait la fragilité de Gurthanne, qui tentait par tous les moyens de cacher ses émotions. Cette fragilité même qu'il se jura de protéger de son mieux, et même plus encore. Il ne la méritait pas, il le savait, mais il n'aurait de cesse de lui prouver, toute sa vie durant, qu'elle avait choisi le bon. Les témoins parlèrent, des chants furent entonnés... Cay se sentait flotter ... Oui, je le veux ... les mots sortaient de sa bouche sans qu'il s'en rende compte. Il restait bêtement en face de Gurthanne, hypnotisé par son regard empli d'amour... ... pouvez embrasser la mariée... ... HEMM... vous pouvez EMBRASSER la mariée !

Devant la paralysie évidente de Cay, Gurthanne exécuta elle-même la tradition, à la limite du fou rire.
... et pour le pire



A peine les festivités passées, alors que les derniers amis encore debout remettaient un peu d'ordre dans la salle du banquet de Vetusta, un coursier de la Sainte Eglise demanda à voir Cay.

Le coursier : "Sir Cay ? Une missive pour vous."

Cay déroula le parchemin, et lu.

Citation :

A l'attention du paladin Cay Loinvoyant,

Vous êtes réquisitionné sur le champ pour renforcer les troupes en faction à Caer Swanton. Votre départ ne saurait souffrir d'aucun délai. De nouvelles instructions vous seront communiquées sur place.

La Sainte Eglise.


Ainsi Cay et Gurthanne devait payer leur union, une nouvelle fois. L'air un peu désabusé, il regarda sa femme.

Gurthanne, contre mauvaise fortune bon coeur : "Je viens avec toi, Cay. Caer Swanton n'est pas l'endroit le plus agréable pour notre nuit de noce, mais tant pis, on s'en contentera !"
Le coursier :"Ma dame, voici pour vous ! ".

Citation :
A l'attention de la paladine Gurthanne Loinvoyant,

Il vous est ordonné de vous rendre dans les murs de la Sainte Inquisition dans les plus brefs délais. Tout retard sera sanctionné comme il se doit. Un ordre de mission vous y attend.

La Sainte Eglise.


Cay, retenant sa colère :"Bon, Gurthanne, allons-y, nous n'avons pas le choix. Ne commettons pas de nouvelles fautes. On se retrouvera vite, espérons-le. Et ils vont bien finir par nous laisser en paix un jour !"
Gurthanne :"Cay ? Il faut... non ... rien... oui partons vite, tu as raison !"

Les deux jeunes mariés se quittèrent après un dernier baiser passionné, pressés d'en finir avec ces convocations crapuleuses. Se retournant sur son destrier, Cay regarda Gurthanne, cheveux au vent, galoper vers Camelot. Si seulement le paladin avait su ... si seulement...
L'honneur d'un vieux troll



<Caer Swanton - suite du chapitre I>



Lanart : "CAY ! NOM DE NOM ! ES-TU SOURD ? REVEILLE TOI, BON SANG DE BONSOIR !"

Cay :"Hein ? hu ? que.. que se passe-t'il ? Pourquoi tout ce remue-ménage ?"

Lanart :"TUDIEU ! Des éclaireurs ont signalé une puissante armée en provenance de Midgard. On pense qu'ils vont s'attaquer à Myrddin, pour voler le Bâton de Merlin. REVEILLE TOI NOM D'UN CHIEN ! ON PART SUR LE CHAMP !!"



Regardant autour de lui, Cay remarquait alors l'agitation qui régnait à Swanton. Tout le monde était sur le pied de guerre, et l'avant-garde venait à l'instant de passer les portes du Caer, à bride abattue. Sans délai, Cay se releva et se mit à courir vers son campement. Heureusement, Pathium l'attendait, prêt à l'aider à revêtir sa lourde armure. Avec une rapidité surprenante, malgré la très courte nuit et l'alcool encore présent dans les veines, toute la garnison s'ébranlait en direction de Snowdonia. Arrivés aux portes de la gigantesque citadelle, un éclaireur de l'avant-garde se pressa vers le corps des officiers. Le capitaine Althus sortit alors du groupe :



"COMPAGNONS ! LES FORCES DE MIDGARD AVANCENT RAPIDEMENT ! LEUR CIBLE EST BIEN MYRDDIN ! NOUS DEVONS COUTE QUE COUTE RALLIER LE RELIQUAIRE AVANT EUX ! NOUS NE FERONS DONC AUCUN ARRET, NOUS N'ATTENDRONS PERSONNE ! IL EST DE NOTRE DEVOIR DE PRETER MAIN FORTE AU SEIGNEUR MC ETHAN ! EN AVANT, ET QUE LA LUMIERE NOUS DONNE LA FORCE ! POURRRRR ALBIONNNN"



Le capitaine prit la tête de la colonne, à une vitesse soutenue. La masse se mit en marche, résolue à rejoindre leur destination à temps. Des éclaireurs allaient et venaient au devant, rapportant sans cesse de nouvelles informations. Certains furent même retrouvés morts sur le bord de la route, victime d'espions ennemis. Mais qu'importait, il fallait continuer. Puis, ce qui ne semblait être qu'une lueur diffuse quelques dizaines de minutes auparavant, se précisait... des milliers de torches au loin... un grondement sourd... l'armée de Midgard ! Jamais Cay n'avait vu pareille chose. A la fois émerveillé et terrorisé, il n'avançait que plus vite. Pour rien au monde il n'espérait rencontrer cette horde en terrain découvert. Au nombre de torches, l'armée adverse devait faire dix fois la leur. C'était impressionnant. Enfin, les murs de Myrddin se détachaient dans la noirceur de la nuit. Aucune torche ne brûlait sur les remparts. Aucune source de lumière. Ainsi, les forces de Midgard, connaissant moins bien la géographie des lieux, seraient peut-être un peu retardés. Les portes s'ouvrirent alors, laissant entrer la colonne du Capitaine Althus. Cay et ses compagnons d'armes furent affectés sur une des tours surplombant les portes massives du reliquaire. En montant les marches vers leur poste, Cay entendait maintenant un chant guttural, repris par des milliers d'ennemis. Il n'en comprenait pas le sens, mais savait très bien qu'il s'agissait d'un chant de guerre du peuple de Midgard. Fasciné par cette litanie grave mais entraînante, il observait alors les milliers de torches se rapprocher et encercler la forteresse. C'est l'un de ces moments qui donnent le frisson à un soldat. L'excitation est à son comble, l'adrénaline coule à flot dans les veines, et la pensée se concentre sur le combat à venir...

Une torche sembla alors sortir de la masse. Au bout d'un instant, Cay put apercevoir un troll immense, tatoué de la tête aux pieds, avec un simple pagne pour armure, et un gigantesque marteau runique à deux mains, irradiant de magie. Il s'arrêta à une centaine de mètres de Myrddin. Un jeune archer allait décocher sa flèche, mais un vieux soldat l'en empêcha. Soudain, le troll hurla une série de mots incompréhensibles à l'adresse des défenseurs. Son discours dura quelques minutes, et personne ne fit le moindre mouvement. Il s'agissait sans nul doute d'un rituel, et les forces d'Albion respectaient cela. Alors le troll exécuta ce qui semblait être une dernière prière et... chargea... Une volée de flèches vint le frapper dans sa course. Le troll fut stoppé net, et posa un genoux à terre. Dans un hurlement, il se releva. Cay n'en croyait pas ses yeux. Comment pouvait-il subir pareilles blessures et se relever. Quel courage ! Le troll relança sa charge, pour subir une nouvelle fois les pointes perçantes de nombreux autres traits... il continua à courir, hurlant de rage, invoquant Odin, son dieu. Puis à nouveau, il posa un genoux à terre, baissant la tête. Il n'était plus qu'à une dizaine de mètres des portes. Et encore une fois, tremblant de douleur, abreuvant le sol de son sang, il releva la tête. Cay comprit alors. Ce troll devait être très vieux, et vénéré parmi les siens. Sans doute savait-il que la vie allait le quitter dans les prochains hivers. Son peuple lui offrait le droit de mourir les armes à la main, dans un dernier acte glorieux. Un honneur que bien peu d'Albionnais pourraient comprendre. Le paladin se surprit alors à espèrer que ce vieux troll puisse arriver jusqu'aux portes. Et alors que la mort semblait l'avoir fauché, dans un hurlement glaçant le sang des défenseurs, l’immense créature exécuta un bon prodigieux. En plein vol, il fut transpercé à nouveau, mais son élan était tel qu'il vint tout de même s'écraser sur les portes massives du reliquaire. Médusé, Cay put presque sentir son dernier souffle, et vit un sourire, celui de la victoire, de la tâche accomplie, apparaître sur le rude visage du troll. Comment ne pouvait-on pas être en admiration devant une telle force d'âme ? Comment ne pas respecter ce dernier geste d'honneur ? Il avait beau être un ennemi, Cay, comme de nombreux autres soldats, salua l'acte du vieux troll.



La bataille allait enfin pouvoir commencer.
Les âmes mortes


Comment décrire la boucherie qui suivit. Comment, avec de simples mots, raconter l’horreur de cette bataille. Vous qui lisez ces lignes, vous pouvez l’imaginer. Vous aussi avez déjà versé le sang. Le vôtre. Celui d’un ennemi. Vous aussi avez ressenti ce dégoût et cette terrible haine en observant Dame La Mort faucher vos camarades dans le feu d’un combat. Pourquoi… Pour quelles raisons doit-on se battre encore et encore ? Certains vous répondront : " parce qu’il en est ainsi depuis l’aube des temps ". Foutaises ! Parce que l’homme est avide de pouvoir, et qu’il est trop bête pour comprendre que ce qu’il a déjà lui suffit pour vivre heureux. Voilà la vérité ! Mais après tout, qui suis-je pour affirmer cela ? Personne, si ce n’est un humble ménestrel déçu par la nature humaine. Vous pardonnerez ces états d’âme déplacés, je vous prie. Et vous comprendrez qu’il m’est donc impossible de conter une telle abomination dans le détail sans que la bile ne me monte. Je reprendrai malgré tout l’histoire où Cay, blessé, repartait au combat, sur ordre du Seigneur Mc Ethan.

Pathium et Cay s’épaulaient l’un l’autre pour remonter aux remparts. La souffrance pouvait se lire sur leurs visage. Encore quelques marches… La nuit ne tarderait pas à tomber, et avec un peu de chance, l’ennemi sonnerait une trêve pour quelques heures. Peine perdue. Un nouveau bélier approchait, sous une pluie de traits enflammés. L’issue du combat semblait évidente : deuxième porte presque détruite, réserves de bois épuisées, tout comme la poix, et les archers manqueraient bientôt de flèches. Le plus important, les forces albionaises étaient à bout de force, alors que les midgardiens continuaient sans relâche l’assaut du reliquaire. Pourtant le Seigneur Mc Ethan croyait encore en la victoire. Il invectivait régulièrement les survivants en leur promettant que les renforts allaient arriver sous peu, et qu’il fallait tenir. Son charisme était tel que malgré tout, la confiance régnait en maître. Après tout, il fallait espérer. Les deux compagnons rejoignaient Lanart sur l’aile gauche. Ce dernier semblait serrer les dents.


" On va tous y rester, ça n’fait aucun doute. Rahhh saletés de trolls ! Je les maudits ! ", crachait Lanart.
" Mais Seigneur Mc Ethan a affirmé que des renforts arrivaient, Lanart ! ", répondait Cay, d’une voix faible.
" J’n’y crois pas, petit ! Regarde dehors ! L’armée ennemie est encore très puissante. Et tu sais bien qu’c’est impossible de réunir en moins d’un jour une troupe qui pourrait lui tenir tête en terrain découvert ! ", rétorquait Lanart, amer.
" Oui, tu as raison, Lanart. C’est impossible ! ", ajoutait Pathium.
" Ça m’creve le cœur pour toi, gamin ! Tu n’aurais pas eu le temps de profiter de la vie…, mais faut qu’tu saches que j’ai eu plaisir à te connaître et combattre à tes côtés … "

Les derniers mots de Lanart frappèrent de plein fouet le jeune paladin. Il réalisait alors la fragilité de la vie. Lui qui était rempli de certitudes sur son futur, d’assurance depuis qu’il avait épousé … Gurthanne… Il allait mourir sans jamais la revoir… Cay n’avait naïvement pas prévu cela. Les rennes de son destin lui échappaient. L’amertume le prit ; il ravala sa salive et d’une voix tremblante :

" Moi aussi, ce fut un honneur de vous connaître, compagnons. "

La main de Pathium serra son épaule valide, alors que Cay tournait la tête vers ceux qui s’apprêtaient à prendre leur vie. Ses blessures n’étaient plus qu’un vague souvenir, et la détermination se lisait dans son regard.

CRAAAAAAAACCC

La deuxième porte du reliquaire se brisai alors. Comme poussé par un vent tellurique, le reste des Albionnais se ruait sur les premiers ennemis. Le choc fut terrible et pendant un instant, les défenseurs reprenaient le dessus. Cay tailladait à tout va, du sang coulant dans ses yeux. Il n’entendit pas le clairon sonnant la retraite dans le donjon de Myrdyyn. Et il serait resté au combat si Lanart ne l’avait pas attrapé in extremis par le bras, le traînant avec toute la force qui lui restait vers le dernier bastion albionnais.

À peine les portes refermées, l’ennemi s’acharnait déjà à les détruire. Il ne restait qu’une cinquantaine d’hommes valides, pas plus. Et plusieurs centaines de midgardiens entraient encore dans l’enceinte de la forteresse.

" TENEZ BON, SOLDATS ! TENEZ BON ! IL NOUS RESTE ENCORE UNE PETITE CHANCE ! NE PERDEZ PAS ESPOIR ! APPORTEZ TOUS LES MEUBLES POSSIBLES DEVANT LES PORTES ! DEPECHEZ VOUS, PAR LA SAINTE LUMIERE !", criait alors Mc Ethan, portant lui-même un gigantesque banc en chêne massif.

Il en fut ainsi. Une barricade de fortune bloquait les portes tant bien que mal, et les hommes se cambraient, encaissant les chocs inouïs des béliers ennemis. Durant plusieurs heures, la situation ne bougeait pas. Quelques béliers furent encore détruits par le feu, mais finissaient par être remplacés. Quand soudain, quelqu’un cria :

" REGARDEZ ! A L’EST ! CETTE LUEUR ! "

Cay arrivait à se faufiler jusqu’à une meurtrière. De là, il pouvait effectivement observer une étrange luminosité provenant de ce qui pouvait être l’arrière-garde ennemie. Puis il comprit : un incendie, un gigantesque incendie, attisé par les vents nocturnes. Il put voir une bonne partie des midgardiens quitter le reliquaire, en cadence rapide, et les béliers se turent. Etait-ce donc cela qu’attendait le Seigneur Mc Ethan ? Et qui pouvait bien avoir provoqué pareil diversion ? Cela relevait du miracle ! Il aurait dû se sentir soulagé, crier de joie comme ses camarades, mais quelque chose l’en empêchait. Quelque chose de profond, d’indicible. Un cri perfora son crâne de part en part, manquant de le faire chuter. Les yeux hagards, titubant, il tentait de comprendre… non … Il ne VOULAIT PAS comprendre ! Le feu … Le feu consumait tout autour de lui. De petites formes humaines couraient dans tous les sens, criant un langage incompréhensible. À ses pieds, un nain… Non … Un enfant, un petit viking. Se baissant lentement en laissant tomber sa claymore, il le prit dans ses bras, les yeux embués par les larmes. Il venait de le tuer, d’un coup tranchant, net et précis entre le cou et l’omoplate. Il lui caressait les cheveux, avec tendresse. Ce n’était qu’un enfant, et il regrettait son geste. Une main l’attrapait par le bras, et se tournant, il vit El Bakir, jetant des coups d’œil à droite à gauche. Il lui criait quelque chose, l’invitant à le suivre rapidement. Il voulut l’entraîner de force, mais Gurthanne ne bougeait pas. Elle reportait son regard sur l’enfant. Relevant la tête, elle vit un troll se ruer sur elle. Il fut arrêté net par trois flèches, et El Bakir se dressait à nouveau devant elle, les yeux suppliants, la secouant avec violence. Deux ennemis chargeaient à nouveau et El Bakir engageait le combat, se démenant comme un diable. Il implorait Gurthanne de fuir, tandis qu’il éloignait l’ennemi. La paladine ne fit pas un mouvement, paralysée par la douleur.

Alors, surgissant des flammes, un titanesque viking arrêta sa course et la regarda. Ou plutôt il posa son regard sur l’enfant qu’elle tenait dans ses bras. Gurthanne s’approchait alors, comprenant le lien qui unissait ces deux êtres. Elle mit un genou à terre, et souleva l’enfant à bout de bras, tête baissée. Hésitant un instant, le viking prit sa progéniture dans ses bras noueux. Ses yeux passaient du corps de son enfant à Gurthanne, et reflétaient un mélange de tristesse et de haine, de rancœur et de compassion, et peut-être de respect. Gurthanne retira son heaume, plongea son regard empli de honte dans les yeux du viking une dernière fois, baissa à nouveau la tête et offrit sa nuque à son ennemi. Son ennemi… Cela ne voulait plus rien dire… Une vie pour une vie… Jamais elle ne se pardonnerait ce geste ignoble… Jamais elle ne pourrait vivre pleinement sans regretter chaque jour son crime. Une lame fut sortie de son fourreau, et de longues minutes s’égrainèrent. Gurthanne reprit alors contrôle d’elle-même… Père Alister, El Bakir… Cay…La perle de vie qu’elle portait en elle … Il fallait qu’elle vive, il fallait que …

La lame s’enfonça profondément.

Cay perdit alors connaissance. À son réveil, une activité intense régnait dans la citadelle et il pouvait entendre une foule d’artisans jouer de leurs marteaux et autres scies. Il devait faire jour. Pathium était à ses côtés, et lui annonça sur un ton jovial :

" Ha le voilà réveillé ! On a gagné, Cay ! Une petite troupe a mis le feu aux culs des midgardiens ! C’était une véritable débâcle ! Tu aurais dû voir ça ! Dommage que tes blessures t’aient fait perdre l’esprit, mon ami !"
" J’ai perdu plus que cela… Beaucoup plus… ".

Cay se leva lentement, le regard vide. Refusant violemment l’aide de Pathium, il commençait à sortir du reliquaire. Lanart l’aperçu et s’approcha de Pathium :

" Qu’est qu’il a, le jeunot ! On dirait un mort-vivant ! HEY CAY ! OU TU VAS COMME CA ? "

Cay marchait à travers les campements désertés de l’ennemi, suivi de ses vieux compagnons, qui ne comprenaient pas. Il la trouva enfin. Elle était allongée sur le dos, ses deux mains serrant une étrange épée rouge de sang. Un cercle composé de petites pierres entourait son corps, comme si le viking avait voulu lui offrir une sépulture. Cay contemplait alors ce qu’il avait perdu à jamais. Son visage était si calme... on aurait presque pu croire qu'elle dormait, si sa peau beaucoup trop blanche n'éveillait les soupçons. Il entra alors dans le cercle, se baissa et prit sa femme dans ses bras. Lanart et Pathium le regardèrent ainsi partir, incapables de dire quoi que ce soit. Long fut le chemin qui le mena au relais de Snowdonia. Quittant la route, il monta sur les hauteurs surplombant le bâtiment. Non loin, il trouva un monolithe aux reflets étranges et y enterra son amour perdu, avec pour seule sépulture un linceul blanc. Il pleura enfin toute sa peine sur le monolithe, maudissant jusqu’à sa propre vie, hurlant son désespoir, n'entendant que le silence en réponse.

Ainsi Cay Loinvoyant fit taire son cœur, l’abandonnant dans cette Prison de Pierre.
La déchéance



On dit que pour connaître le bonheur,
Il faut d'abord avoir vécu le malheur,
L'inverse est tout aussi vrai,
Oui, maintenant je le sais.



Sur le chemin de retour, Cay abandonna sa joie de vivre, et emporta la froideur de la mort. Ce qui restait de lui arriva à Camelot l'Eternelle. Il se rendit à la Cathédrale pour chercher quelque réconfort, bien qu'il savait l'acte inutile. Le Père Alister l'attendait et comprit en regardant le paladin. Sans un mot, il l'entraîna dans l'aile réservée aux soins.

Père Alister : "El Bakir a réussi à s'en sortir, Cay. Mais il a été gravement blessé. Tu dois lui parler. Il est dans cette chambre. Je vous laisse tous les deux."

Silencieusement, Cay poussa la porte d'une petite pièce à peine éclairée, au mobilier très simple.

El Bakir :" Mon père ? Cay n'est pas encore là ?"
Cay :"C'est moi, El."
El Bakir :"Cay... Gurthanne...je...", d'une voix tremblante.
Cay, monocorde :"Je sais, El, j'ai tout vu... elle est morte. Je sais ce que tu as tenté de faire pour elle."

El Bakir ne répondait pas. Maintenant que Cay se tenait à son chevet, il pouvait voir les blessures de son ami. Un oeil crevé, une oreille arrachée et une main tranchée. Jamais il ne redeviendrait l'archer qu'il était. Un silence lourd de sens enveloppa la pièce, rendant l'atmosphère pesante et cruelle.

El Bakir, hésitant :"Cay, tu ne sais pas tout... C'est l'Inquisition qui l'a envoyée là-bas. Sur ordre de... ce pourri de Zakhrin. Cette opération aurait du être réservée à nos troupes furtives uniquement, mais ce dément voulait la présence de quelques membres de l'Eglise. Pour moi, il espérait qu'ils fassent diversion au cas où, pour laisser le champ libre aux sicaires et autres éclaireurs à sa solde. Il les a sacrifiés inutilement ! J'ai essayé de te prévenir, j'ai fait envoyer des pigeons..."
Cay :"Je n'ai pas été mis au courant..."
El Bakir :"Maintenant, il se targue d'avoir sauvé le Bâton de Merlin à lui tout seul ! Si je... "

La rage montait peu à peu en Cay. Il tentait avec difficulté de la contenir.

Père Alister, à la limite de la colère :" EL BAKIR ! JE T'AVAIS DEMANDE DE NE RIEN LUI DIRE POUR LE MOMENT, PAR LA SAINTE LUMIERE !"
Cay, froid :"Il a bien fait, mon père. Je devais savoir. Je l'aurais su de toute manière !"
Père Alister :"Ne fais rien qui pourrait t'être dommageable, Cay. C'est un homme puissant. Ne..."
Cay :"Je vais aller le voir. Et ne t'inquiète pas, je n'ai plus rien à perdre, maintenant."
Père Alister :"Cay... non, ne fais pas ça..."

Le paladin referma la porte, coupant court à toute discussion. Sa colère noire s'était transformée en amertume. Il traversa les longs couloirs jusqu'aux portes de l'Inquisition.

Cay :"Je demande à voir le Grand Inquisiteur Zakhrin."
Scribe :"Vous avez rendez-vous ?"
Cay :"Non."
Scribe : "Alors il est occupé, désolé. Je puis ... NOONN ! VOUS NE POUVEZ PAS... !"

Cay poussait déjà les portes du sanctuaire de l'Inquisition, poursuivi par un pauvre scribe et deux gardes s'interposèrent alors. Le paladin força le passage, bousculant l'un des deux hommes d'armes. L'autre s'agrippait à lui mais Cay continuait à avancer, déterminé. Les hurlements des hommes d'armes en attirèrent d'autres, et bientôt, Cay fut maîtrisé tant bien que mal, non sans en avoir assommé trois ou quatre.

Zakhrin : "MAIS QUE DIABLE SE PASSE-T'IL ICI ? JE DEMANDE LE SILENCE ! "
Scribe :"Cet homme a demandé à vous voir, mais n'avait pas de rendez-vous. Il a forcé le passage ! Il es habité par le diable, votre Seigneurie !
Zakhrin, curieux :"Qui es-tu donc, soldat... HAAA ouii je vois. Paladin Loinvoyant, c'est cela ? Lâchez-le !"

Sans discuter, les gardes libérèrent Cay.

Zakhrin, mielleux : "Mais entrez donc, paladin Loinvoyant. Je vous en prie."
Scribe : "Votre seigneurie, je ne crois pas que..."
Zakhrin, sec :"Je me contrefiche de ce que vous croyez ! Taisez vous !"

Cay entra dans une grande salle richement décorée, à un tel point que cela en était oppressant. Les tapis, les tableaux, les meubles ... la valeur de l'ensemble devait dépasser l'imaginable et le goût restait fort douteux.

Zakhrin, s'asseyant dans un trône de marbre bleu : "Que puis-je faire pour vous, paladin ? Ha ! J'ai appris la triiiiste nouvelle. Veuillez accepter mes condoléances. Votre épouse a fait son devoir et le Bâton de Merlin est sauf, louée soit la Sainte Lumière. N'est-ce pas l'essentiel ?"
Cay, d'une voix glaciale :"Alors tous les moyens sont bons pour arriver à vos fins, n'est-ce pas ? Vous l'avez envoyée à la mort, avec quelques autres. C'était stupide et inutile !"
Zakhrin, une flamme dans les yeux : "Je ne vous permets pas, SOLDAT ! Sachez rester à VOTRE PLACE ! J'utilise des stratégies qui vous sont inconnues et que vous ne pourriez comprendre. Et si la Sainte Lumière a voulu que votre épouse meure ce jour, qu'il en soit ainsi !"
Cay, gardant son calme :"La Sainte Lumière ? Que savez-vous de la Lumière ? Vous qui vivez dans le mensonge, la trahison, le déshonneur et la cruauté. Arrêtez de blasphémer sur l'instant..."
Zakhrin, amusé :"Vous me donnez un ordre ? Ma foi, la situation est cocasse. Et si je continue, que ferez-vous ? Hahahaha, vous être pathétique, SOLDAT ! Je veux bien oublier cet affront, je suis bon prince. Mais ne vous avisez plus de recommencer."
Cay :"Pensez-vous me faire peur ? La présence de vos deux sbires cachés dans l’ombre vous rassure-t-elle? Ils sentent tellement la mort qu'un aveugle les remarquerait sans le moindre mal. Ne craignez rien, je ne vous tuerai pas. Mais ne croisez jamais ma route, auquel cas vous le regretterez."
Zakhrin :"Des menaces, soldat Loinvoyant ?"
Cay :"Une mise en garde, sir. Juste une mise en garde."

Cay s'était retourné sans saluer, et allait ouvrir la porte.

Zakhrin, la voix emplie de fiel :"Arf j'oubliais... mes condoléances pour votre enfant. Il n'aura pas eu le loisir de connaître son père... "

Cay s'était tétanisé à ces derniers mots. Soudain, il se rappela, juste avant de partir à Caer Swanton :


Citation :
Gurthanne :"Cay ? Il faut... non ... rien... oui partons vite, tu as raison !"



Zakhrin, pervers :"Diantre, aurais-je commis une bévue ? Mais... ouiiii ... vous ne SAVIEZ PAS ! Hooo grand pardon, soldat... puisse la Sainte Lum..."

D'un éclair, Cay s'était retourné, attrapant son bouclier dans le dos. Son regard exprimait toute la haine et la violence qu'il déchaîna contre le premier sicaire qui s'interposa. Il n'eut pas besoin de le voir, et le sbire fut propulsé au fond de la pièce d'un terrible coup. Cay jeta avec force son pavois sur l'autre homme de main, qui le prit en pleine tête. Tout se passa si vite. Le Grand Inquisiteur n'eut même pas le temps de bouger que le paladin se tenait déjà à ses côtés, l'attrapant à la gorge d'une main et le soulevant à sa hauteur.

Cay, la mort dans ses yeux :"Un loup blessé est bien plus dangereux qu'une meute de chiens... vous devriez savoir cela, pourriture !"

La peur se lisait dans le regard implorant de Zakhrin. Cay serrait tellement qu'il ne pouvait pas crier ni même parler. Il se débattait pathétiquement, semblant courir dans le vide. La porte du sanctuaire de Zakhrin s'ouvrait alors à grand fracas, laissant entrer de nombreux gardes, Dame Triss et le Seigneur Adribard à leur tête.

Dame Triss, d'une voix forte :"AU NOM DE L'EGLISE ET DE LA SAINTE LUMIERE, SOLDAT, LACHEZ LE GRAND INQUISITEUR IMMEDIATEMENT ! C'EST UN ORDRE !"

Cay ne bougeait pas. Il regardait le visage tordu de douleur de Zakhrin. Les yeux du paladin exprimait la folie et la noirceur de la haine.

Seigneur Adribard, plus calme :"Paladin Cay Loinvoyant, lâchez-le séant ou nous n'aurons d'autres choix que de vous tuer."
Cay, à voix basse, avec assurance : "Ne croise jamais mon chemin, Zakhrin. Jamais. Tu n'auras pas de deuxième chance, je t'en fais la promesse sur mon honneur."

Le Grand Inquisiteur retomba lourdement, respirant à grande goulée, crachant et toussant. Lentement, Cay lui tourna le dos, pour faire face à ses supérieurs hiérarchiques.

Dame Triss :"Paladin Cay Loinvoyant, je vous mets aux arrêts sur l'instant pour agression sur la personne du Grand Inquisiteur Zakhrin. En tant que serviteur de l'Eglise, votre acte est inacceptable et sera puni lourdement."
Cay, d’une voix froide :"Je suis un paladin de la Sainte Lumière. J'ai vu aujourd'hui le gouffre qui la sépare de l'Eglise d'Albion. La honte que j'éprouve à l'égard de cette institution corrompue et malsaine est sans limite. Faites donc de moi ce que vous voulez. Je n'ai pas tué ce rat puant; je préfère qu'il vive avec la peur au ventre le reste de sa vie. Mais regardez-le et posez-vous la question : est-ce aussi cela l'Eglise d'Albion ? OUI ? Alors je préfère la renier à jamais car elle a tué ma raison de vivre."

Il retira de son cou une croix qu'il portait depuis son plus jeune âge et la jeta aux pieds de Dame Triss. Il foudroya du regard ses maîtres et se rendit aux gardes, la tête haute.

Cay fut condamné à trois années d'emprisonnement, ce qui peut sembler étrangement peu. Cela dit, il faut savoir que le Grand Inquisiteur Zakhrin fut destitué de ses fonctions suite à un long procès et une enquête minutieuse. De nombreux témoins et victimes de cet abject personnage vinrent l'accabler à tour de rôle. On entend ici et là que son successeur n'a rien en commun avec lui.

Pathium et Lanart, les deux survivants du siège de Myrddin, purent profiter d'une retraite paisible, chez eux, loin des combats. Mais parfois, l'image de leur jeune protégé emportant sa femme dans ses bras les réveille encore certaines nuits.

El Bakir devint simple pêcheur, et on peut encore le rencontrer dans les marais d'Avalon, à l'aube, perdu dans ses tristes pensées.

Père Alister fut emporté l'année suivante par une forte fièvre. Son heure était arrivée. Il avait bien vécu, et donna tant au paladin que ce dernier s'en souviendra toute sa vie.

Quant à notre paladin, il n'a jamais remis les pieds dans la cathédrale de Camelot la Magnifique. Il tenta d'oublier son passé en devenant le maître d'une petite guilde de courageux Albionnais, noyant son chagrin dans le travail et le combat, dressant peu à peu de hautes murailles entre lui et la vie. Il ne revint jamais sur sa décision concernant l'Eglise d'Albion.
La Nonne et le Vieux Bouc


J'ai pris la liberté de passer rapidement quelques années de notre triste sir. En résumé, il occupa son temps à diriger l'Ordre Sacré d'Albion avec Maître Ontho et Père Clercetnet. C'est une longue et bien belle histoire, parsemée de quelques échecs, mais surtout de très belles réussites et autres grands moments. Il rencontra durant cette période de formidables personnes qui ont marqué sa mémoire, et ce pour toujours. Cay y restera vingt ans. Puis un jour, ne pouvant plus supporter la pression d'un tel poste, mais aussi désireux de retrouver sa liberté, il quitta l'Ordre Sacré. Il erra alors à travers le royaume, l’esprit un peu plus en paix, mais toujours hermétique à certains sentiments. L’histoire reprend peu avant le soir où il allait rencontrer un fier détachement d’Archanges dans la cité en ruine d’Avalon.


Une nuit de plus. Une longue nuit à parler du passé. Cay semblait me faire de plus en plus confiance, et s’ouvrait jour après jour. Même si au début, je profitais de sa générosité pour manger à ma faim, ne l’écoutant que d’une oreille, je dois avouer que je me suis pris d’amitié pour ce vieil homme. Plus le temps passait, plus j’attendais avec impatience la suite de son histoire, et j’étais fier d’en être le seul auditeur. Il fallait trier, bien sûr, et interpréter quelque peu, la boisson le rendant parfois incompréhensible. Ce soir-là, nous avions décidé de faire halte dans une petite auberge chaleureuse non loin de la Retraite d’Adribard. Quelques chopines, un bon repas, et l’histoire recommencerait. Mais, chose étrange, il me dévisageait en plissant les yeux. Habitué à son regard toujours dans le vague, je demandais :


" Heuuu j’ai encore une fève collée dans le bouc, ou quoi ? "
" Non, juste un peu d’œuf… Mais là n’est pas le sujet, ménestrel. "
" Hu ? Heuu Cay, je sais que la solitude te pèse, mais pardonne- moi, je préfère les femmes… "
" POUAHHH ! CUL DE KOBI VA ! Tu as vu comment tu es laid ? Non merci ! MOUHAHAHA !"
" Bon, alors quoi, vieux bouc ? "
" J’ai juste remarqué l’emblème de ta cape. Les Archanges d’Avalon, c’est cela?"
" Heuu haa oui ! Ils m’ont accepté dans leurs rangs, il y a peu. J’essaie de me faire une petite place et de me rendre utile… Enfin tu vois… "
" Oui oui je vois… C’est la guilde de mon frère Katan, il me semble… Ça fait bien longtemps que je ne l’ai revu. "
" Oui, c’est ça ! Diantre, ta mémoire fonctionnerait-elle encore ? ? ? ? "
" Donne-moi quelques noms d’officiers, je te prie, le puceau… "
" Pourquoi faire ? "
" La politesse veut qu’on réponde à la question avant d’en poser une autre, ménestrel ! "
" TSSSS… Bah je ne les connais pas tous encore… Je dirais Sir Merriadoc – c’est lui qui m’a guildé -, Sir Katarn, Dame Iphosie, je crois… Ha oui et Sir Flynk, qui s’est bien occupé de moi. Sinon j’ai parlé aux Maîtres de Guilde Shen et Laephrog, aussi … Pourquoi veux-tu donc savoir cela, alors ? "
" Tu es trop curieux, ménestrel. Et de toute manière, je n’ai pas envie de répondre. "
" FOUTREDIEU ! La politesse, tu dis ? "
" Allez, je te laisse là pour ce soir ! Tu resteras dormir ici, la chambre est déjà payée. J’ai à faire sur l’instant. "
" Hors de question ! Je vois là un vieux renard en quête d’un mauvais coup ! "
" Tu ne voudrais pas que je t’assomme, tout de même ? Allez, fais moi confiance, c’est personnel ! "
" Pfffff bon d’accord… "


Je montais lentement vers ma chambre, dépité… Enfin c’est ce qu’il fallait lui faire croire. Il pouvait toujours rêver, le Cay. S’il pensait que j’allais l’écouter, il se fourrait le doigt dans l’œil. Je laissais passer quelques minutes, et me mis sur ses traces… Bien trop visibles. Un troupeau de boueux n’aurait pas fait mieux… Enfin bon... Je le retrouvais en train de faire envoyer un message par pigeon. Patiemment, tapi dans l’ombre, j’attendais. Petit détail amusant, je notais qu’un pigeon différent apporta la réponse. Je me demande bien ce qui a pu lui arriver. J’apprendrais plus tard qu’un Archange, Sir Katarn l’avait tout simplement mangé… Bref… Cay partit alors pour Port Gothwaith, moi sur ses talons. Quelques minutes plus tard, je le voyais galoper. Demandant au palefrenier ou diable il se rendait, il me répondit Avalon pour quelques pièces supplémentaires, le bougre. Je ravalais ma salive… Si je devais le suivre là-bas, je risquerais gros, sachant le lieu très dangereux. Mais ma curiosité l’emportait encore et sans nulle doute m’emportera-t-elle un jour dans les bras de la mort.

Avalon, enfin. J’eu à peine le temps de le voir passer dans le tunnel menant à cette cité mythique. De nombreuses troupes albionnaises campaient autour, prêtes à repousser les hordes des lézards qui en avaient pris possession. Discrètement, je me faufilais pour ne pas le perdre. C’est alors que je le vis en train de discuter avec … des archanges… Je me doutais d’un coup de ce genre. Mais quelle en était la raison ? Les Sirs Flynk et Katarn, Demoiselle Hime, et Sœur Lohla, ainsi que quelques alliés. Le fracas des proches batailles m’empêchait d’entendre ce qui se disait, mais tout portait à croire qu’ils se préparaient à affronter l’ennemi. Je les suivais tant bien que mal dans un lieu reculé de la cité. J’ai bien cru mille fois mourir, tant les lézards semblaient nombreux. Un seul d’entre eux n’aurait eu aucun mal à me croquer. Enfin, le groupe prit position et la lutte commença. Il fallait voir ça ! La violence du combat me donnait des frissons. Le fracas des armes, les cris stridents et inhumains de l’ennemi, le sang … tant de sang… La rage de trois paladins unis contre une horde intarissable de lézards. Demoiselle Hime s’évertuait à empoisonner l’ennemi grâce à de complexes sortilèges, tandis que la Foi de Sœur Lohla enchaînait miracle sur miracle et gardait le mur d’acier en un seul morceau. Un thaumaturge dont j’ai oublié le nom déversait les flammes de l’enfer sans discontinuer, grâce aux pouvoirs mystiques d’un prêtre d’Arawn.

Me rapprochant un peu, j’eu la surprise de les entendre parler et … rire, comme s’ils n’avaient cure de l’effort fourni. Demoiselle Hime jouait la coquine, piquant tour à tour les hommes présents. Le vieux Katarn jurait à tout rompre, maudissant son arthrite, et se critiquant lui-même, alors qu’il se battait parfaitement bien et avec courage. Le fougueux Flynk exécutait de très belles passes d’armes, désireux de montrer sa valeur à tout instant. Et Sœur Lohla ne semblait pas quitter Cay du regard, ne serait ce qu’une seule seconde. Elle le complimentait, s’émerveillait de sa force, et s’efforçait d’attirer l’attention du vieux paladin. Mais celui-ci semblait ne rien entendre. Inlassablement, il bataillait ferme, sans panache, mais avec une réelle efficacité, rodé par des années de combats. Ses gestes étaient mécaniques et calculés, et même s’il n’avait plus le physique de ses vingt ans, il ne laissait transparaître aucune faiblesse. Cay se cantonnait à rester poli, et – chose qui ne m’échappa point – il observait. Oui, il observait ses compagnons d’armes. Discrètement, il décortiquait chacun des Archanges. Par respect, il finit par éconduire poliment Sœur Lohla, invoquant son âge avancé. Je pus lire la déception sur le fin visage de la jeune demoiselle, qui – il est vrai – était de bien loin sa cadette. Une discussion s’engagea alors sur le droit d’aimer et la Sainte Lumière. Les avis furent partagés, bien sûr, et chacun apporta de l’eau au moulin. Pour ma part, je trouve que l’amour c’est très bien, et que la Sainte Lumière fait pousser l’orge… Enfin bon, la n’est pas le sujet, pardonnez-moi.

La lutte continua tard dans la nuit, et, louée soit la Lumière, personne ne fut gravement blessé. Quelques coupures et autres hématomes ici et là, mais rien d’important. Alors que les compagnons se quittaient, je notais le regard étrange de Sir Katarn. Il observait Cay et semblait se poser des questions à son sujet. Ces yeux s’écarquillèrent soudain, puis il secoua la tête. Étrange personnage que ce Katarn. Je remarquais aussi Sœur Lohla, et je dois avouer qu’elle me fit de la peine. Avec un dernier regard pour ses compagnons et sans doute pour Cay, elle se dirigea tête basse vers un coin d’ombre. Les mots de ce vieux bouc avaient sans nul doute sonné cruellement à ses oreilles. Si seulement elle avait su qu’elle s’attaquait à un cœur mort, sans doute aurait-elle abandonné de suite. Je n’eus pas le courage de le lui dire malgré tout. Mais aujourd’hui, je dois avouer être fier de ma lâcheté sur ce coup.

Cay quitta Avalon, l’air pensif. Il devait sans doute faire ses conclusions sur les quelques archanges rencontrés cette nuit-là. À croire qu’il cherchait à vérifier mes fréquentations… tsss… merci la confiance règne ! Mais je m’égare. A nouveau, je le suivis dans l’ombre et je fus surpris quand il continua sa route au-delà d’Adribard. Il galopa toute la nuit, et je n’en pouvais plus. J’avais beau avoir pris soin d’emporter un peu de crème apaisante pour mon … comment dire … fessier, je souffrais tout de même le martyre. J’imagine à peine l’épaisseur de corne que le vieux bouc doit avoir sur l’arrière-train. Enfin, il fit halte au relais de Snowdonia. Le soleil pointait à l’horizon, et une myriade d’oiseaux entonna un magnifique récital en ré mineur pour celles et ceux qui savent écouter, et pas seulement entendre. Cay, au lieu de rentrer dans l’auberge, dépassa le bâtiment, et s’enfonça dans les collines brillantes de rosée. Avec le temps, je regrette peut-être un peu de l’avoir suivi jusqu’ici, mais ce qui est fait est fait. Il s’approcha d’un monolithe, s’agenouilla et se mit à parler à voix basse. En l’entendant, beaucoup l’auraient pris pour un fou, sans aucun doute. Mais je connaissais son histoire et ce qui le liait à cette pierre. Cay parlait trop faiblement pour que je puisse vous narrer le monologue… Enfin… Monologue n’est pas le mot juste. Les quelques bribes que je percevais ressemblaient plus à un dialogue. En cet instant, j’ai cru que le vieux paladin devait poser des questions et y répondre lui-même. Il est fréquent que les vivants parlent aux morts de cette façon, lorsqu’ils sont persuadés d’une intimité totale. Folie ? Peut-être… Mais il n’est pas à moi d’en juger. Je sais cela dit qu’il évoqua le nom de Sœur Lohla, mais rien de plus. Finalement, il se releva, et c’est un homme perturbé, en proie à de nombreux conflits, que je vis repartir. Je le laissais là, complètement stupéfait. Cela ne lui ressemblait pas du tout.

Hésitant un peu, je décidais finalement de m’approcher de la Prison de Pierre, désirant adresser une simple prière. Je ne saurais dire alors si la fatigue y fut pour quelque chose, ou si le soleil me joua un tour, mais – Grande Lumière – il me sembla bien que le monolithe changea subitement de couleur lorsque Cay fut hors de vue.
Lohla Loinvoyant


De nombreuses semaines coulèrent sous le Pont du Temps. Le vieux bouc n'était plus lui-même, comme perdu dans ses pensées. Alors qu’elle le savait veuf, Demoiselle Lohla continuait éperdument à vouloir toucher son coeur, sans succès. Du moins en apparence. Elle était bien évidemment "responsable" de son trouble, il va sans dire. Lui qui clamait haut et fort son indépendance et sa volonté de rester seul... tsss ... j'inventais alors une nouvelle expression : "être fragile comme un Cay". Prétextant la dissolution de son ancienne guilde, "le Pacte Fraternel", le grincheux se rapprochait d'elle en demandant à faire partie des "Les Archanges d'Avalon". Il est certain que ce n'était pas là la seule raison. Au fil du temps, il rencontra de grands Archanges, et tissa de forts liens amicaux avec eux. Je crois sincèrement qu’il espérait enfin trouver un vrai foyer. Je reprends donc au moment ou notre bougre de paladin s'évertuait à s'intégrer dans sa nouvelle guilde. L'hiver brûlait les terres de son souffle glacial, mais n'arrivait pas à éteindre le tison planté dans un vieux coeur.

<Château Sauvage, à la tombée de la nuit, après une nouvelle bataille contre l'éternel ennemi.>

"Soeur Lohla ? Je vous sais fatiguée, mais voulez-vous bien me suivre, je vous prie ? Je souhaiterais vous montrer quelque chose..."`
"HAN ! Mais quand vous déciderez vous à ne plus m'appeler SOEUR ?"

Les mains sur les hanches, tapant du pied et les sourcils froncés, Lohla foudroyait Cay d'un regard sévère. La situation était cocasse : un vieux paladin de haute taille tout penaud, baissant les yeux devant une jeune et petite furie.

"Bon, bon ... fort bien... nous devons nous rendre au relais de Snowdonia. Vous vous en sentez capable ? La route est long...."

La belle nonne éperonnait déjà sa monture, laissant derrière elle un Cay totalement stupéfait. Secouant la tête en souriant, il tentait de la rejoindre. Peine perdue. Fine cavalière et surtout beaucoup plus légère, Lohla ne se laissait pas faire. Il la trouva au relais en train de soigner un enfant qui avait fait une mauvaise chute. Cay l'observa alors à nouveau, comme il l'avait si souvent fait discrètement. Pourquoi une telle femme, si radieuse et pleine de vie, avait-elle jeté son dévolu sur lui, vieux grincheux aigri par la vie ? Pourquoi prenait-elle le risque de mécontenter l'Eglise, voire même de perdre les dons de La Sainte Lumière ? Elle qui avait offert sa vie au service des autres, qui soulageait les douleurs des blessés, séchait les larmes des tristes, montrait le chemin aux perdus et redonnait espoir aux pauvres. Lohla était l'Innocence même, et il ne la méritait pas. Cay attendait patiemment qu'elle eu fini d'user de sa magie curative et l'entraîna dans les collines.

"Mais où donc m'emmenez vous ? Je vous préviens, je ne suis pas fille facile ! "

Cay restait silencieux. Il fixait la pointe du monolithe apparaissant peu à peu. Ce dernier s'auréola d'une lueur violette qu'il connaissait bien.

Gurthanne :"Te revoilà déjà ? Et je te sens bien perturbé... mais qui ... ha ! Cette fameuse demoiselle Lohla ! Approche donc encore un peu, mon aimé."
Lohla, n'ayant rien entendu :"Quel est cet endroit étrange, Cay ? Je ne suis jamais venue ici... l'atmosphère est troublante..."
Cay :"Soe... Demoiselle Lohla... ma regrettée Gurthanne repose en ces lieux. J'ai longtemps hésité à vous emmener ici... cela me coûte, vous savez ?"

Lohla ne disait mot. Elle baissait la tête, un peu gênée, et sans doute triste de savoir que le vieux paladin pensait encore à sa femme, morte il y a si longtemps.

Gurthanne :"Cay, quand finiras-tu par t'ouvrir ? Je suis morte et tu es VIVANT, la Sainte Lumière m'en est témoin !"
Cay : "Je ne puis, ma douce... c'est trop dur... je n'y arrive pas..."

Lohla levait alors la tête, interloquée, regardant le paladin prostré.

Lohla :"Je ne comprends pas ce que vous me dites, sir..."
Gurthanne :"Cay ! Il suffit ! Tu vas m'écouter, maintenant ! Tout cela n'a que trop duré ..."
Cay :"Mais Gurthanne ... je ne ..."
Lohla :"Sir Cay, vous vivez dans un autre monde... j'ai l'impression que vous n'êtes plus là... reprenez vous, je vous en supplie... vous me faites peur !"
Gurthanne :"Alors explique-moi pourquoi tu l'as emmenée ici ? Tu as de l'affection pour elle, peut-être même plus que cela... oui... je le sens bien ! Et tu as de la chance, elle semble pure et elle se languit de toi, gros nigaud ! Vas-tu lui briser le coeur, à elle aussi ? Es-tu si têtu au point de refuser le bonheur qui te tend les bras ? Ne vois-tu pas que la Sainte Lumière vous a fait vous rencontrer ? Es-tu si aveugle que cela ?"
Cay :"... je n'arrive pas à t'oublier... je ne... "
Gurthanne :" J'espère bien, mon fougueux paladin ! Mais je ne suis qu'un souvenir. Elle est réelle et bien vivante ! Et je ressens en elle beaucoup de bonté, de générosité et de gentillesse. Laisse lui ouvrir la cage qui retient ton coeur, il est temps, Cay."
Cay :« ... Lohla... pardonnez-moi... elle est si présente... ce monolithe retient les sentiments que vous attendez de moi …je ne sais comment vous expliquer … »

Jamais Lohla n'avait vu le paladin aussi faible et fragile. Il n'arrivait même pas à la regarder en façe. Il restait à genoux, les bras ballants, la tête baissée. Sur ces mots, sans trop réfléchir, la jeune femme attrapait la masse d'armes à sa ceinture. Elle s'avançait alors vers le rocher, résolue.

« Si ainsi je puis gagner votre coeur, alors je n'aurais de cesse de frapper cette pierre, jusqu'à ce que toutes mes forces me quittent ! »

C'est alors qu'une aura blanche se matérialisa autour de la demoiselle. Plus elle s'approchait du monolithe, plus elle s'intensifiait. Les larmes aux yeux, Lohla frappait une première fois. L'aura de la jeune cleresse déferla subitement sur la roche. La lueur violette vacillait un instant, reprenant forme aussitôt.

Gurthanne : « Ne résiste pas, Cay Loinvoyant ! Laisse faire le destin ! Et laisse-moi enfin partir, mon vieux loup … »

À nouveau, Lohla frappait désespérément. Elle se savait pathétique, et pourtant quelque chose de profond la poussait à continuer. Son aura explosa alors, crépitant au contact de la roche, ouvrant une brèche en son centre. Toute la force d'âme de la jeune femme s'y engouffrait d'un seul coup. Cay regardait la scène attentivement, bouche bée. Quelques secondes s'égrainèrent, et soudain, des traits de pure lumière percèrent la bulle violette de l'intérieur. Le phénomène s'intensifia, gagnant en puissance seconde après seconde, pour finir par une terrible explosion tellurique. Cay fut projeté en arrière, frappé cent fois par des échardes violettes qui pénétraient son crâne. Lohla, qui ne semblait rien avoir remarqué, se retourna au cri du vieux paladin.

Gurthanne :"Cay, une page de ta vie se tourne enfin! Sache la garder auprès de toi, c'est une très grande âme ! Elle ne te trahira jamais, j'en suis convaincue ! Remercie-la pour moi, du plus profond de mon être... Je dois partir maintenant, mais je reviendrai de temps en temps pour te surveiller, crois moi sur parole, mon aimé. Puisse la Lumière te guider sur le chemin de ta nouvelle existence..."

Cay releva la tête et vit Gurthanne qui semblait flotter légèrement à côté du monolithe. Elle tenait la main d'un petit garçon à la chevelure rousse. Des larmes perlèrent sur les profondes rides du vieux paladin alors que les deux formes éthérées disparaissaient lentement au-delà des collines verdoyantes.

"Sir Cay ! Répondez-moi ! ... HAN !"

Une bonne claque ramena Cay à la réalité, cette même réalité qu'il ne trouvait plus si cruelle tout d'un coup.

"HA ! QUAND MEME ! Vous me rendrez folle, je vous le dis ! Vous êtes avec moi, là ?"

Cay reportait son regard sur Lohla, qui soutenait sa tête, l'air inquiet. Ses émotions contradictoires n'existaient plus, la glace qui hantait son coeur venait de fondre, son âme reprenait vie. Cette jeune femme avait su donner ce qu'il y avait de meilleur en elle, et le paladin ne pouvait plus rester insensible devant l'évidence. L'attirant tendrement à lui, il l'embrassa alors à en perdre le souffle.

Quelques mois plus tard, il lui demanda sa main sur un pont, non loin de la demeure des Archanges. L'âme de Gurthanne revint ce jour pour le conseiller et l'aider à choisir les bons mots. Il n'avait jamais su y faire, le bougre d'âne. Le mariage fut célébré deux lunes plus tard, devant la maison des Archanges d’Avalon. Le père Jackdan avait fini par accepter ce lieu si peu commun pour célébrer une union sacrée. Cela dut beaucoup lui coûter, et malgré tout, il se fendit d’un magnifique discours, je dois bien le reconnaître. Nombres d’amis et compagnons d’armes participèrent à la fête, apportant chacun sa contribution, en mots et en cadeaux. Mais je remarquais bien que la présence d'El Bakir manqua cruellement en cet instant, et Cay ne sut faire autrement que de se présenter en armure. Tssss... Son défunt compagnon d'armes, Lokhar, avait bien raison quand il disait qu'avec l'âge, on ne fait plus trop attention à son apparence. Je lui avais aussi préparé un discours, histoire d'aider un peu ce grand benêt, mais non ! "Monsieur" refusait de le lire. Bon d'accord, il faut dire que c'était un peu long... mais quand même... ha la la... quand on est buté, c'est pour la vie.

Voilà, l'histoire s'arrête là. Ou plutôt, elle continue, mais cela ne me regarde plus. Et de toutes manières, depuis qu'il est marié, Cay ne me raconte presque rien. A croire que Lohla lui interdit de me parler. Haaa les femmes... possessives et jalouses, vipères et incompréhensibles ! Mais que ferait-on sans elles, dites-le moi ! La vie serait bien triste, non ?
Epilogue

<Quatre mois plus tard>

Elle savait qu'elle avait épousé un vieil homme. Cay avait de loin dépassé l'espérance de vie d'un humain normal. Il était rentré ce soir là très las, et plus tôt que prévu. Il lui disait qu'une fatigue jusque là encore inconnue s'était emparée de lui. Elle lui avait massé ses muscles endoloris, pansé ses plaies, comme à l'habitude. Il lui parlait des échecs et réussites du jour, pointant surtout sur le changement de la jeunesse, qui ne respectait plus rien ni personne. Il regrettait les temps anciens, les rires de ses amis aujourd'hui disparus. "Tu te rends compte, ma louve ? Tous mes amis d'enfance, ou presque, sont morts et enterrés... qu'ai-je fait à la Lumière pour rester sur ces terres ?", disait-il. Il ne voyait pas combien il pouvait blesser sa femme, qui je crois, l'aimait tendrement. C'est sous la douce luminosité d'une lune bienveillante que ce couple atypique s'endormait, dans les bras l'un de l'autre.

Au petit matin, Lohla fut la première à se lever. Elle prépara un copieux repas, son gaillard de mari n'ayant jamais perdu l'appétit. Elle savait qu'elle lui ferait plaisir ainsi, même s'il criait à qui voulait bien l'écouter qu'il refusait de la voir en femme soumise. Etonnée de ne pas l'entendre se lever, elle entra dans la chambre douillette, décorée par ses soins et son goût. Il dormait paisiblement. S'approchant doucement, elle lui caressa la joue... si froide...

Et c'est ainsi que Cay Loinvoyant quitta les verdoyantes terres d'Albion. Il eu la chance inespérée de partir dans son sommeil, dans les bras de celle qu'il aimait par dessus tout, un sourire illuminant son visage rugueux une dernière fois. Lui aussi avait bien vécu, plus que de raison. Et son heure était enfin arrivée.


Vivez, ne survivez pas,
Riez, ne faites pas semblant,
Pleurez, n'ayez pas honte,
Aimez, et vous vivrez.







<Ajout de Killian Loinvoyant, d’après les récits de sa défunte mère>



Waterford, aux abords d'un pont.

Des voix, des rires ...

"Doudou ne patauge pas dans l'eau avec ton casque !! Il va tout rouiller !!"
"Erf ma Louve, si je l'enlève tu verras cette affreuse bosse qui me déforme le front"
Lohla sourit "Ne penses-tu pas cher amour qu'il serait temps pour toi d'arrêter les combats?? Je ne compte plus tes bosses ni tes bleus !"
Cay se mit à rire "Et devenir un vieillard sénile et inutile? Allons bon ! Je passerai mes journées dans tes jupons et te deviendrai vite insupportable"
"Tu veux rire? Ca serait magnifique !! On passerait chaque moment de notre vie ensemble !!"

Lohla fit la moue. Cette moue boudeuse que Cay aimait tant. "Allez Doudou ... viens on va faire un bébé !!!"

Cay le regard malicieux s'approcha d'elle, puis l'embrassa sur le front, puis le nez, puis le menton et d'un geste rapide mais tendre la saisit dans ses bras.

"D'accord ma Louve, mais tu dois d'abord prendre un petit bain avec moi". Joignant le geste à la parole il plongea de nouveau dans la rivière entraînant avec lui sa femme.



Collée au mur le plus loin du lit, Lohla fixait l'homme qu'elle aimait tant et reprenait peu à peu ses esprits. Au contact de sa joue froide, elle avait pris peur et sa première réaction fut de s'éloigner. Cay restait allongé et ne bougeait point. Son visage, son si doux visage ...

Elle approcha d'un pas et murmura "Doudou?"
Que se passait-il?
Elle répéta plus fort "Doudou?" puis se surprit à hurler son nom "CAY??"

En larme, le coeur déchiré, elle prenait conscience de ce qui se passait.

"NOOOOOOOOOONNNNNNNNNNNNNNNNNN !!!"

Elle se jeta sur lui, lui asséna de grands coups "TU N'AS PAS LE DROIT !! NE M'ABANDONNES PAS !!!"

La douleur, la rage et la colère lui firent invoquer à la chaîne tous ses sorts de guérison, encore et encore .... jusqu'à l'épuisement. A travers ses larmes elle scrutait le visage de Cay, elle voulait voir ses yeux s'ouvrir et son regard si malicieux lui sourire. A bout de force, elle s'écroula par terre. " .... ne me quitte pas .... pas maintenant .... je t'en prie mon amour ... ne me quitte pas ...." Elle mit la main sur son ventre. Ce ventre qui s’arrondissait depuis quelques temps déjà. Elle ne lui en avait pas parlé ; elle attendait le bon moment …

« Ne me quitte pas … »



FIN

Que les Milles Tambours de Camelot fassent battre votre coeur pour l'éternité.

La Plume Ecarlate
( rofl tu aurais pas pu faire plus court ou en plusieur partie parti ? bon je lis tous cas et j edit dans 3 jour qd j aurais tous lu ) sinon gg tu as l air de t etre bien apliqué d apres ce que j ai survolez

Edit: trés jolie texte role play , a vrai dire le seul que j ai lu ;o parcontre a certain moment on se perd un peu car tu renvoie souvent a d autre evenements , enfin c est peut etre passeque j suis pa sun habitué de la lecture ca sympa l histoire ect ^^
Ulina > Puisque tu as édité, tu aurais pu y rajouter des parenthèses et retirer ta signature. )
J'ai mis le temps à le lire, mais je ne le regrette pas du tout... Prenant et parfois émouvant, bien que certaines transitions ne sont pas toujours simples à saisir (après relecture du passage on comprend tout de même).

Certainement des heures de travail, on se devait de les respecter en lisant l'oeuvre de tout son long.
 

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