Une coupe d'or déborde de dattes, de raisins, de figues et de gâteaux de miel, mais je ne ressens nulle faim.
Une menue fontaine glougloute au travers de la bouche d'un léopard de marbre, répandant sa fraîcheur dans une vasque blanche, mais je ne ressens nulle soif.
L'air est tiède, pur, seulement troublé par le chant solitaire d'un rossignol dans la palmeraie, mais je ne respire pas.
Ma déesse au doux visage, à la bouche de grenade, aux doigts de rose, est étendue à mes côtés et caresse mon front, mais je ne ressens nulle joie.
Je suis au paradis, environnée d'enfants rieurs, où le lion dort avec la gazelle, où Babylone n'a jamais cessé d'exister, mais je ne suis pas chez moi.
Je suis morte sur un bûcher allumé par l'Inquisition, et je ne trouve nul repos.
Albion, froide Albion, qui avait su pourtant me ramener à la vie quand mon corps gisait entre les pommiers d'Avalon, brisé par un voyage de mille ans.
Albion, brûlante Albion qui m'avait donné le coeur de me battre pour toi.
Albion, terre des hommes clairs, terre de la Lumière.
Albion, putain complaisante de l'Inquisition, chevauchant un porc couronné, enivrée de mensonges et de mauvais vin.
Ma déesse s'est levée et me contemple l'air désolé. Je sais que je n'ai pas ma place ici, et je ne sais pas si j'aurais le courage de faire ce qu'il faut pour la trouver, ou la perdre à tout jamais et rejoindre la perdition éternelle.
Ma déesse m'embrasse doucement, et elle me dit, de sa voix qui est telle le chant du zéphyr sur l'Euphrate:
"Va, et <elle esquisse un sourire> n'oublie pas qui tu es, dans cette troisième et dernière vie terrestre. Tout retour t'est interdit"
Son visage se déforme soudain et elle hurle, me transperçant de plaisir:
"TUE LES ! Tue les, tous ces fils de chiennes, aux doigt pourrissants
Brûle les chairs, consume les esprits comme ils t'ont consumée, toi, ma dernière enfant!
N'oublie pas le nom de ton dernier amant,
Ecris le, comme Babylone, en lettres de sang!"
Est ce l'extase, qui m'a fait tomber? Quand je me suis relevée, il faisait frais, le tapis était doux sous mes pieds nus, et je ne reconnaissais pas le visage humain, clair et juvénile, encadré de cheveux bruns, que me renvoyait le miroir d'argent accroché aux murs de ce qui était, sans conteste, ma chambre.
Une femme ouvrit la porte, l'air revêche.
"Encore en train de te pommader, tu devrais t'entraîner depuis deux heures ! Tu es une apprentie bien distraite, jeune Innana !"
C'était une Elfe.