Narya s’était dirigée directement vers l’entrée du refuge, il lui restait une dernière chose à faire pour que la supercherie soit parfaite. Le refuge des saisons de Darnassus, le bastion des elfes de la nuit était un ensemble de bâtiments destiné à former les apprentis druides, moins prestigieux que celui du Mont Hyjal, il n’en restait pas moins important.
Elle rentra dans une minuscule pièce circulaire avec une paillasse de feuillage et récupéra ses sacs. Elle avisa que la robe des apprentis n’était pas des plus pratique pour les voyages aussi elle changea pour un pantalon de cuir sombre et une ample tunique forestière.
Pour terminer, elle ceignit une ceinture d’où pendait une dague dans un étui. Un long bâton autant pour la marche que pour se défendre terminait son équipement.
Elle avait tout préparé depuis sa décision du matin. Elle prit une grande sacoche de cuir avec une large bandoulière et une autre plus petite qu’elle fixa à sa ceinture. Elle avait rassemblé autant que possible, volant des vivres et rassemblant ses maigres possessions.
Enfin, scellant à jamais son acte, elle tira sa lame et trancha sa tresse de druide cachée dans son épaisse chevelure bleutée qu’elle noua ensuite d’un lacet de cuir pour le voyage. Elle se dirigea d’un pas lent, aux yeux de tous, serrant sa tresse dans la main vers l’autel d’Aviana et la jeta dans le brasero. La mèche se tordit un instant et s’enflamma. Elle la regarda se consumer jusqu’à la fin, ne pensant à rien de peur de défaillir. L’émotion lui noua tout de même la gorge. Des murmures d’incompréhension s’élevèrent. Elle repartit. Les druides et les apprentis la dévisageaient tristement, certains n’osaient pas croiser son regard. Elle tenta de les ignorer mais ses yeux s’attardait sur un visage familier au cœur de l’attroupement formé et son cœur se mettaient à battre plus vite, plus fort, cognant douloureusement dans sa poitrine…
Elle ne se retourna qu’une fois hors de vue du refuge, après une bonne demi-heure de marche. Elle ne vit que les arbres, immenses et aussi anciens que les druides eux-mêmes dans cette partie des bois. Elle ferma les yeux, s’imprégnant de l’atmosphère des lieux. Elle aurait voulu rester, elle aurait voulu devenir druide… Ce n’était pas la première fois de la journée : les larmes roulèrent sur ses joues. C’était un déchirement.
Elle reprit sa marche vers le sud, vers le bras de mer où elle traverserait vers Darkshore. Arrivée là, elle aviserait…
Les heures se succédèrent durant lesquelles, elle eut tout le temps de ressasser les derniers jours. Les mêmes souvenirs ne cessaient de remonter et c’était plus une torture qu’autre chose. Elle tentait de les chasser mais sans vraiment de résultat.
La nuit tombait et la forêt se faisait plus sombre. Narya se sentait vaguement inquiète et chercha un endroit ou dormir, elle ne voulait surtout pas voyager de nuit pour l’instant. Ni feu, ni paillasse, trop tendue pour avaler quoi que se soit à part peut-être de la viande fraîche… elle se lova au pied d’un immense chêne. Le contact chaud de l’écorce la rassurait. Elle sentait le cœur de la forêt battre doucement en de lentes pulsations qui finirent par se calquer sur les battements de son cœur. Cela lui apporte un réconfort inimaginable de sentir autour d’elle la sérénité. Mais bientôt cela mis en évidence la précarité de sa situation. Où trouver la force d’abandonner à jamais ces forêts ? De se détacher à jamais des druides alors qu’elle-même en était un ? Qu’était-elle à présent ?
Elle s’endormit.
Ses rêves ne furent pas tranquilles comme chaque nuit depuis le début de cette folie. Elle partait chasser. La panthère bondissait entre les arbres, silencieuse comme la brise et aussi noire que la nuit. C’était apaisant. Il y avait tellement moins de pensées parasites dans son esprit, juste un but : tuer pour se rassasier. Ses perceptions étaient plus aiguisées : toujours, elle sentait le cœur de la forêt battre mais beaucoup plus fort et chaque modulation de ce rythme lui parlait, elle entendait la respiration lente et profonde des arbres, humait le parfum envoûtant de la résine ou celui, frais des jeunes pousses de feuillus. L’air était froid, revigorant, tous ses sens étaient décuplés. Les rayons de lune perçaient par endroit les feuillages denses et descendaient en colonnes translucides et froides vers le sol. Les lucioles s’élevaient depuis les feuillages et les buissons touffus, parant mieux que n’importe quel joyau la nature. C’était infiniment beau.
Le moindre craquement la figeait et si par chance un animal à sa portée surgissait…
Elle se réveillait alors en sursaut, la peur au ventre, terrorisée à l’idée de perdre le contrôle, de prendre goût au sang, d’apprécier la chasse. Tendue comme un arc, elle examinait fébrilement autour d’elle et ne se détendait que de longues minutes plus tard.
Narya se réveilla le matin, glacée de fatigue et affamée, elle pria qu’il n’y ait aucun animal trop près car si jamais elle en apercevait un, elle ne pourrait pas résister à moins que ce ne soit un grand prédateur, ce qui n’était guère préférable. Heureusement, il n’y eut qu’un écureuil, bien trop petit ce qui lui tira un sourire moqueur.
Le terrain devint peu à peu plus escarpé. Les arbres se faisaient un peu moins grands qu’aux environs de Darnassus mais à l’inverse, il y avait plus de faunes. Vers midi, elle marqua une pause bienvenue. Ses jambes étaient de plomb sans parler de ses pieds douloureux. Elle n’était plus habitué aux longues marches. Son manque d’endurance était misérable, tous les elfes en auraient été parfaitement capables mais pas elle… cela assombrit encore plus – si cela était possible – son humeur.
Elle se reposait à l’ombre, tranquillement après avoir avalé quelques lamelles de viande séchée et des baies trouvées en route.
La brise lui caressait le visage doucement, faisant voler des mèches folles. L’endroit était calme. Elle respirait les effluves de résines, l’odeur fraîche des jeunes pousses avec une acuité étonnante quand elle rouvrit brusquement les yeux. Le vent lui apportait la puanteur d’un ennemi. Quelqu’un qui tenterait de lui voler sa nourriture. Elle s’agenouilla pour être moins visible, l’oreille tendue, les narines dilatées. Un seul prédateur aux faibles échos qu’elle entendait mais il venait par ici. Elle accrocha ses sacoches sur de hautes branches, se demandant fugitivement ce qui l’avait poussé à s’en encombrer. Agrippant à son tour les branches, elle se hissa souplement sur cinq bons mètres emportant son équipement avec elle avant d’entendre le crissement d’une brindille et de s’immobiliser. Elle cala ses sacs dans une fourche et silencieuse, se déplaça un peu sur une branche pour voir le sol. Une haute silhouette au pelage marron gris. Une lance de bois durcie au feu qui diffusait une très faible odeur de charbon de bois. Un homme-ours : un furbolg. Il faisait bien deux mètres de haut. Elle espérait qu’il ne la verrait pas tout en ayant peu d’espoir. Elle resta aussi immobile que possible, contrôlant jusqu’à sa respiration. Une odeur ferreuse caractéristique arriva à ses narines. Du sang. Il revenait certainement de la chasse. Son instinct lui disait qu’il y avait de la viande fraîche dans son paquetage.
Elle savait qu’elle avait encore des vivres, qu’un furbolg était un adversaire redoutable mais la perspective de grignoter de la viande sèche ne lui plus pas, rien ne valait un morceau saignant…
En dessous d’elle, le furbolg inspectait les traces au sol et elle se maudit de n’avoir pas fait plus attention. Les pensées animales se disputaient avec des restrictions de l’elfe. Ce combat la laissa indécise. Un coin de son esprit essayait de lui faire renoncé mais la tentation était trop forte. Après une brève hésitation, elle succomba à sa seconde impulsion.
L’homme ours renifla l’air, grognant faiblement et leva la tête au moment où elle se laissait tomber d’une branche, poignard en main. Surpris par la situation, il ne réagit pas immédiatement et au lieu d’essayer de l’embrocher, il esquiva d’un bond. Narya atterrit souplement devant lui alors qu’il balançait son épieu en arc de cercle vers elle. Elle se jeta sur le côté et se releva avec un rapidité effrayante par une roulade. Elle détailla le furbolg. Il portait un grand pagne de cuir, un coutelas de pierre dont elle devrait se méfier et un arc dans son dos en plus de son paquetage ainsi qu’un carquois de bois contenant une vingtaine de traits à pointes de bois durcies. C’était un pisteur. Il retroussa ses babines en observant cet adversaire inattendu, révélant des crocs ivoire qu’elle aurait pu trouver impressionnant en d’autres circonstances. L’épieu piqua dans sa direction. Elle écarta la pointe qu’un revers de lame tout en faisant un pas de côté. Après plusieurs tentatives infructueuses, Narya franchit sa garde mais le furbolg, bien plus grand et plus puissant qu’elle, l’expédia au sol d’une baffe. Elle roula sur elle-même sur quelques coudées puis d’un bond, se redressa, un filet de sang aux lèvres. Le furbolg ne comprit pas vraiment ce qui se passa ensuite, un instant, une elfe était devant lui, l’instant d’après, une panthère apparaissait et bondit à sa gorge. Il brandit son épieu mais il glissa contre le corps de l’animal, lui entaillant à peine la peau.
Il le lâcha et agrippa de justesse la gueule jaillissant vers lui. L’élan plus le poids de l’animal le renversa et il lutta pour éloigner les crocs acérés de sa gorge. Ses propres mâchoires, pourtant plus grandes ne semblaient pas impressionner le félin et elles claquèrent dans le vide alors que la panthère par une pirouette étrange s’était écartée et avait disparu de son champ de vision. Il se releva d’un bond, cherchant des yeux la forme noire mais il ne la trouva pas. Il sentit un mouvement derrière lui et se retourna juste à temps pour apercevoir la détente du félin et l’éclat de ses crocs. Ceux-ci se brouillèrent et furent remplacé par les yeux jaunes d’une elfe et l’éclat non moins dangereux d’une lame. Il tira son coutelas mais trop tard et eut la gorge ouverte.
Narya sauta à terre quand la masse tomba lourdement au sol. La tunique mouchetée de sang, le sourire aux lèvres, elle éventra le paquetage de sa proie et en sortit la viande. Elle regarda le corps inerte, le sang qui sortait à gros bouillon et une envie étrange la saisit. Quel goût pouvait bien avoir la chair de furbolg ? A la fois, cette pensée la dégoûta mais elle en fut curieuse. Heureusement – ou malheureusement – le dégoût l’emporta. Elle recula écœurée loin du cadavre. Ses yeux verts contemplèrent avec horreur le corps puis le morceau sanguinolent qu’elle tenait dans la main. Son estomac se tordit douloureusement. Elle s’assit un instant pour reprendre totalement ses esprits.
Une partie d’elle lui cria de partir, qu’il y avait sans doute d’autres furbolgs dans les environs. L’odeur du sang couvrait toute les autres dans un large rayon et c’est seulement lorsqu’un craquement faible et lointain retentit qu’elle réagit. Elle récupéra ses sacoches et sans faire le moindre bruit s’écarta. Furtivement, elle contourna des buissons puis s’immobilisa lorsque deux autres hommes-ours arrivèrent près du cadavre de leurs compagnons. Ils restèrent un instant sans réaction puis se dispersèrent à la recherche du tueur. L’un d’eux se rapprocha d’elle mais passa sans la voir. Immobile ou furtive lorsqu’elle se déplaçait, elle était presque invisible pour lui…
Elle contourna tranquillement les lieux et repris sa marche vers le sud de l’île sans plus se préoccuper des pisteurs qu’elle laissait derrière elle.
Par deux fois, son manque de contrôle lui avait probablement sauvé le vie. La première fois en la décidant à attaquer, la deuxième en lui permettant d’être furtive. Elle ne savait que penser, il n’y avait que lorsqu’elle était transformée qu’elle pouvait faire cela… c’était à n’y rien comprendre mais une chose était sûr, elle ne ressentait que révulsion…
Ressassé cette idée lui tirait des grimaces d’horreur : elle avait voulu manger du furbolg !
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