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Voilà le chapitre 4 complet de Shalina... Non, il n'y a pas de saikse, inutile de demander
![]() Attention, c'est un sacré pavé ![]() Bonne lecture ![]() Chapitres Un et Deux Chapitre Trois --------------------------------- Chapitre 4 Le miaulement rauque d’un chat la réveilla brusquement. Elle se redressa sur un coude et regarda tout autour d’elle. Ses yeux à moitié affolés se posèrent sur l’animal qui venait de la tirer de son sommeil. Il était noir et son grand regard vert la fixait. Il était assis sur une petite botte de paille et miaulait doucement, comme s’il voulait lui signifier sa présence. Shalina sourit en se levant lentement, pour ne pas lui faire peur. Elle s’approcha de lui et avec d’infini précautions, porta sa main à sa tête pour le caresser. Le chat ne bougea pas et se laissa faire. Dans le silence de ce vieux grenier dans lequel elle avait passé la nuit, elle crut même percevoir le début d’un ronronnement. Des bruits de pas la firent sursauter. Elle se retourna d’un bloc, faisant peur à l’animal qui s’éloigna d’elle en courant. La haute silhouette d’Owald apparut en haut du vieil escalier de meunier. Il avait dans les bras comme un précieux paquet d’où s’échappait une bonne odeur de pain frais. — Je vois que tu as fait connaissance avec Flamme. — Flamme ? L’homme sourit en s’asseyant sur la botte de paille. — Flamme, le chat que tu viens d’effrayer en faisant un bond. Ne te leurres pas, il a peut-être un ton légèrement féminin mais c’est un vrai mâle. Je l’ai trouvé dans la rue alors qu’il n’était encore qu’un tout petit chaton affolé. Tu veux un morceau de pain ? À l’aide de sa dague, il en découpa un beau morceau qu’il tendit à Shalina, laquelle s’empressa de mordre dedans comme une petite fille affamée. Cette réaction fit sourire Owald qui lança : — Je suis désolé mais je n’ai rien pour aller avec. J’espère que cela t’ira. Elle hocha la tête. — C’est parfait, répondit-elle. — Tu as bien dormi ? Elle acquiesça d’un signe alors qu’il continuait : — J’ai du travail aujourd’hui, je ne pourrais pas m’occuper de toi. Je t’ai laissé un peu d’argent. Tu pourras aller le dépenser au marché qui se tient sur la grande place centrale de Malbourg. Pour y aller, tu n’auras qu’à suivre la rue en sortant d’ici. C’est toujours tout droit, au nord. D’un mouvement de la tête, il lui désigna la bourse qu’il venait de poser à côté de la miche de pain. — Quel est votre travail ? questionna-t-elle. Owald lui décocha un large sourire en répliquant : — Je pourrais te le dire, mais je serais obligé de te tuer après ! La jeune fille s’arrêta de mâcher. Son regard affolé se posa sur l’homme qui éclata d’un rire fort en se levant. — Je te taquinais, fit-il. Je ne suis pas un assassin, je te rassure. Tu peux avoir confiance en moi. Quant à mon travail, il vaut mieux que tu ne le saches pas… pour le moment. À ce soir, petite, je tâcherais de revenir avant la nuit. Il lui fit un léger clin d’½il avant de dévaler l’escalier, laissant Shalina seule avec ses pensées. Assise à même le sol poussiéreux, elle soupira fortement et déposa son morceau de pain frais à côté de la miche qu’Owald avait laissé sur la botte de paille. Mais que venait-elle donc faire dans cette galère ? Pourquoi était-elle arrivée à Malbourg ? De nombreuses questions la taraudaient. Elle n’arrivait plus à s’expliquer son geste, sa fuite de Thaie, sa course dans la nuit à travers les terres de Palorn. Et Kaïden ? Elle l’avait abandonné sans vergogne, était partie sans même se soucier de son meilleur ami. — Je suis désolée, murmura-t-elle pour elle-même. Baissant la tête, son regard se figea sur le parquet sale et craquelé. Cet Owald lui paraissait être un homme bien, mais elle ne savait pas si elle devait lui faire confiance. Soit, il lui avait offert nourriture et logis, sans rien lui demander en retour, mais cela durerait-il ? Lorsqu’il la regardait avec son seul ½il valide, elle avait l’impression qu’il tentait de fouiller les tréfonds de son âme et cela la faisait frissonner à chaque fois. Elle ne savait pas pourquoi mais elle était presque persuadé que cet individu ne la trahirait pas. Il ne semblait pas comme les autres, comme les crapules qui courraient les rues. Elle croyait en ses paroles et en ces bonnes intentions, même si cela lui paraissait étrange de tomber immédiatement sur quelqu’un voulant l’aider spontanément. Elle se leva doucement et attrapa la bourse de cuir qu’elle soupesa légèrement avant de jeter un ½il dedans. Son regard s’écarquilla soudainement, un petit sourire étonné apparut au coin de ses lèvres lorsqu’elle vit les pièces d’or et d’argent qui se mêlaient au fond de la bourse. Il devait y en avoir pour une fortune ! Une dizaine de pièces d’or et peut-être une vingtaine de pièce d’argent. Avec tout cela, elle pourrait se payer de quoi manger durant quelques jours, et d’autres vêtements aussi. Elle attacha la bourse à sa ceinture, prenant soin de la dissimuler sous sa cape afin d’éviter d’attirer les regards des voleurs des rues. Elle attrapa son chapeau sous lequel elle rassembla sa lourde masse de cheveux cuivrées, vérifia que son fourreau était bien fixé, avala une dernière bouchée de ce délicieux pain et descendit à son tour l’escalier de meunier. Aujourd’hui, une nouvelle vie commençait pour elle. Elle avait décidé de la débuter joliment en dépensant cet argent en choses utiles. De la nourriture, quelques vêtements et peut-être même une dague s’il lui restait assez, pour se protéger, en plus de sa rapière. Même si elle ne savait pas réellement s’en servir, cela repousserait peut-être les crapules qui auraient l’audace de s’approcher de trop près. Lorsqu’elle arriva dans la rue, le soleil était déjà haut dans le ciel, presque à son zénith. J’ai dormi si longtemps ? pensa-t-elle avec un léger sourire. En plein jour, Malbourg était moins lugubre que la nuit maudite de son arrivée. Elle paraissait même presque accueillante pour quelqu’un qui la connaissait bien. Shalina longea les haut bâtiments qui semblaient vouloir crever le ciel bas. Elle ne rencontra quasiment personne, excepté quelques gardes qui la regardèrent passer avec un ½il intrigué. Elle ne leur avait prêté aucune attention, ne voulant pas les attirer à elle. Elle était une étrangère et cela se voyait déjà bien assez. Cette petite promenade dans les rues de la ville n’était pas désagréable. La jeune fille se sentait presque bien, ici, soulagée de la présence malveillante d’un père tyrannique et d’un peuple qui courbait l’échine devant lui plutôt que de se rebeller comme elle l’avait fait. Malbourg était tellement différente de Thaie. Ici ne pesait pas les nuages sombres d’un duc despotique, ni la crainte, ni la peur de se retrouver un jour face à son courroux. Ici les guerres intestines et secrètes ne semblaient pas exister. Tout était si calme, presque doux à son esprit. Ses yeux se fermèrent à moitié, ne laissant qu’une fine fente afin de voir où elle mettait les pieds. Elle respira profondément cet air qui ne semblait pas vicié puis ses pensées se tournèrent vers Kaïden. Comment réagirait-il en ce moment s’il apprenait qu’elle se sentait bien, loin de Thaie ? Aurait-il voulu l’accompagner ou non ? Elle n’en savait rien. Elle avait beau le connaître depuis son enfance, certaines de ses réactions lui échappaient. Qu’importe ! Elle n’allait pas s’embarrasser de questions idiotes, elle avait bien autre chose à faire et à penser. Un nuage gris passa devant le soleil et une pluie fine commença à tomber sur la cité alors que Shalina arrivait sur la grande place du marché. Elle allait enfin pouvoir se changer les idées et goûter au bonheur d’être seule et inconnue sur ces terres. Debout devant une fenêtre ouverte aux carreaux sales, il regardait la place principale de Malbourg s’encombrer des habitants venus pour le marché, comme toutes les semaines. Son bureau était situé en haut d’une tour de son château… de son manoir, pour être exact, qui ressemblait plus à une demeure de maître qu’à un véritable palais comtal. Les mains dans le dos, il observait de loin cette petite silhouette qui semblait perdue au milieu de la foule. Un léger sourire se dessina au coin de ses lèvres. Encore un étranger venu pour le célèbre marché de Malbourg, le plus grand de tout le comté. Une cinquantaine de marchands de tout le pays débarquait ici une fois par semaine et déballait leurs étals devant les regards éberlués des habitants. Le sourire du comte Lonewyr de Malbourg s’élargit davantage mais il retomba lorsque la porte de son cabinet s’ouvrit. Il se retourna d’un bloc, le visage trahissant son agacement d’avoir été dérangé alors qu’il contemplait pensivement sa ville. Devant lui se tenait un petit homme en cotte de maille recouverte d’un surcot blanc au liseré rouge, une lance à la main et le heaume sous le bras. — Seigneur Lonewyr ! fit-il avec une révérence. Le comte s’approcha de lui et fronça les sourcils. Une mauvaise nouvelle allait-elle sortir de la bouche de ce jeune soldat ? Le regard du garde se posa sur le seigneur de Malbourg. Il était impressionné, comme à chaque fois qu’il voyait sa silhouette. Lonewyr n’était pas un géant, il était de taille et de corpulence plutôt normales. Mais c’était son visage qui troublait celui qui osait lever les yeux sur lui. Tout le côté droit était fendu d’une longue cicatrice qui partait du cuir chevelu pour se perdre dans son cou. Elle traversait son ½il mais par chance, ce dernier n’avait pas été atteint. Seule la paupière avait été tranchée en deux et le trait blanc qui la barrait rehaussait la couleur sombre de sa pupille. Sa bouche s’étirait souvent sur un rictus qui le rendait un peu inquiétant. Sa peau était hâlée comme celle des paysans qui passaient leur vie dans les champs, sous un soleil dévastateur. Il était impeccablement rasé, comme d’habitude, ce qui trahissait encore plus son jeune âge. Il devait avoir une trentaine d’année, voire peut-être trente-trois ou trente-cinq maximum, mais personne n’avait jamais pu le savoir avec précision. Certains disaient de lui qu’il n’était encore qu’un gamin gâté que son père avait mit à la tête du comté à sa mort. Mais d’autres pensaient qu’il était plus vieux qu’il en avait l’air et que Malbourg avait bien besoin d’un homme comme lui. Il dirigeait son territoire d’une main ferme, sans pour autant être tyrannique et violent. Il savait se faire respecter mais aussi aimer. C’était un homme de tête, qui savait mener ses hommes au combat comme il l’avait fait ces trois dernières années alors que le comté subissait les attaques incessantes des ducs de Thaie et de Val d’Anor. — Et bien ? Sa voix grave et assurée résonna dans le bureau. Le soldat sursauta légèrement et se redressa. Il ouvrit la bouche pour parler mais la referma sous le regard amusé et moqueur du comte. — Vous avez perdu votre langue ? fit-il. — Je… euh… non, Monseigneur. — Dites-moi donc ce qui se passe de si important qui ait nécessité que l’on me dérange alors que j’avais ordonné le contraire ! Le garde hocha la tête, se redressa, gonfla le torse et, les yeux fixés loin devant lui afin de ne pas croiser ceux, noirs, de Lonewyr, il répliqua fortement : — Monseigneur, j’ai ici un rapport du capitaine Avington. — Avington ? répéta l’homme, surpris. Il fronça les sourcils. Avington était capitaine dans un avant-poste situé entre Malbourg et les terres du duché de Thaie. Cette minuscule forteresse où opéraient une dizaine de soldats de confiance était censée surveiller tous les mouvements suspects en direction du comté. — Donnez-moi ça, ordonna-t-il en tendant fermement la main. Le jeune garde lui remis un parchemin jauni signé de la main d’Avington. Retournant pensivement à la fenêtre, le comte parcourut rapidement les quelques lignes manuscrites avant de rugir. Il froissa la missive dans sa large main et la jeta furieusement à travers la pièce. — Les chiens ! tonna-t-il. Je leur avais pourtant dit de ne jamais remettre les pieds sur mes terres ! Il a fallut qu’ils reviennent malgré la raclée qu’ils ont reçue le mois dernier ! Cela ne va pas se passer comme ça. Soldat ! Le garde se redressa d’un bond et, droit comme un piquet, il bredouilla : — Je… euh, oui Monseigneur ? — Faites seller mon cheval et avertissez mon escorte ! Je pars sur-le-champ pour l’avant-poste du Vallon ! Et dépêchez-vous, vous devriez déjà être parti ! — À vos ordres, Monseigneur ! Le jeune garde claqua des talons et sortit de la pièce en courant, laissant le comte seul avec sa colère. Lonewyr fit nerveusement les cent pas devant son bureau encombré de livres ouverts et de parchemins griffonnés. La main passant dans ses cheveux noirs, il rugissait silencieusement. Sur la missive qu’il avait jetée, le capitaine Avington avait inscrit ce que ses éclaireurs avaient vu sur les terres de Thaie. Trois hommes de la garde du duc Edolan et trois autres de celle du duc Lloyd, accompagnés par ce qui semblait être un jeune garçon en pourpoint de cuir, se dirigeaient au galop vers le comté. Rageur, il pesta à voix haute, attrapa sa cape et sortit de la pièce à son tour. Il dévala les escaliers de son palais à une vitesse ahurissante, manquant de rater quelques marches dans sa précipitation. Son cheval et trois soldats d’escorte en arme et armure attendaient dans la cour. Lonewyr ne prit pas le temps de leur expliquer quoi que ce soit, il sauta sur sa selle et bondit au galop. Il fut obligé de ralentir l’allure lorsqu’il traversa la place du marché, passage obligatoire pour sortir au plus vite de la ville. Perdue dans la foule, Shalina s’en extirpa doucement. Elle se trouva étonnée lorsqu’elle vit que tous les habitants venaient de s’arrêter pour courber la tête ou exécuter une courte révérence. Ce fut alors que le comte fendit la foule au petit trot. Il ne sut pas pourquoi mais son regard accrocha aussitôt celui de cette étrangère qui venait de retirer son chapeau. Ses longs cheveux cuivrés recouvraient ses fragiles épaules cachées sous ce pourpoint qui épousait parfaitement son corps. Ce regard d’or semblait pétiller de mille questions et le dévisagea presque sans retenue. Le comte sentit un frisson le parcourir alors que leurs yeux se suivaient sans pouvoir se détacher. Il la fixa de ses pupilles noires autant qu’il le put avant de disparaître, englouti par les badauds qui s’écartaient sur son passage. — Qui est-ce ? demanda la jeune fille à une marchande qui venait de se redresser après s’être courbée cérémonieusement. — Notre Seigneur, le comte Lonewyr de Malbourg, répondit simplement la femme avant de retourner à son étal. Quel regard perçant ! songea Shalina, encore tremblante. Le comte, quant à lui, secoua vivement la tête alors qu’ils arrivaient au corps de garde. Il tenta de se défaire de l’image de la jeune fille alors que l’un des hommes de son escorte hurlait : — Levez la herse pour le comte Lonewyr ! Aussitôt, la lourde grille de fer s’éleva dans un grincement sinistre. Les quatre cavaliers sortirent de la ville et retrouvèrent la route de terre battue par les sabots des chevaux. Ils galopèrent trois longues heures avant d’arriver en vue des murailles de bois de l’avant-poste du Vallon. Lonewyr était resté silencieux durant tout ce temps. Dans sa tête se bousculaient les mots qui étaient griffonnés sur la missive qu’il avait reçue, en plus de ces deux yeux d’or qui l’avaient scruté jusqu’aux tréfonds de son âme. Il s’était sentit frémir légèrement sous l’intensité de ce regard qui, maintenant, paraissait vouloir hanter son esprit torturé. Le comte soupira bruyamment, tentant de se défaire de cette douce vision, puis haussa les épaules. Il avait bien d’autres choses à faire en ce moment qu’à songer à cette jolie gamine qu’il avait croisée sur la place du marché. Le poste de garde tenait son nom du vallon verdoyant qui longeait la frontière entre Thaie et Malbourg, à quelques milles à l’est. Deux grands étendards d’un vert émeraude frappé des armoiries du comte flottaient autour des portes qui s’ouvrirent aussitôt pour laisser passer le petit groupe. Ils étaient à peine dans l’enceinte qu’une homme d’une cinquantaine d’années, aux cheveux et à la moustache grisonnants, aux yeux pâles et ternes, arriva au-devant d’eux. Il tint fermement les rêves du cheval de Lonewyr pendant que ce dernier mettait pied à terre. — Monseigneur, fit l’homme engoncé dans une lourde armure de plaques. C’est un honneur de vous voir ici. Nous n’avons pas l’habitude de… — Trêves de bavardage, Avington, coupa le comte. J’ai reçu votre missive. Elle ne m’a pas paru très rassurante. — En effet, Monseigneur, répondit le capitaine de l’avant-poste. Malgré leur déconvenue, les Thaiéens et les Anoriens se sont permis de poser à nouveau leur pied sur vos terres. Ils ne sont que sept, apparemment. J’ai envoyé plusieurs hommes aux frontières, et des éclaireurs sur le territoire de Thaie… — Vous vous êtes permis d’envoyer des éclaireur sur les terres du duc Edolan ? grommela Lonewyr en retirant vivement ses gants et en se dirigeant tout naturellement vers la plus grande baraque de l’avant-poste. Le capitaine Avington le suivit tout en répondant : — Par nécessité, Monseigneur… — Et comment croyez-vous qu’Edolan prendra cela, à votre avis ? Les termes de notre accord étaient très simples : personne, ni d’un côté, ni de l’autre, ne devaient outrepasser les frontières ! — Mais, Monseigneur, les ducs Edolan et Lloyd ne se sont pas privés et… — Je ne suis pas Edolan et encore moins Lloyd ! répliqua fortement le comte. Enfin, ce qui est fait est fait. J’espère que vos hommes auront le bon sens de ne pas aller plus avant dans les territoires de nos ennemis. — Ils savent ce qu’ils ont à faire, Monseigneur, répondit Avington. Ce sont des professionnels. — Sans aucun doute… Le capitaine se précipita pour ouvrir la porte du baraquement et s’effaça pour laisser passer Lonewyr. Ce dernier entra dans une grande pièce qui avait pour seul mobilier un grand bureau désordonné et une armoire pleine de livres et de parchemins. — Avez-vous une idée de ce qu’ils veulent ? questionna le comte en se retournant vers Avington. — Certes non. Et j’ai préféré attendre vos ordres avant d’envoyer des hommes à leur rencontre. — Vers où se dirigent-ils ? Ne font-il que traverser ? Le capitaine eut un air désolé. — Je crains, hélas, qu’ils n’aillent en direction de Malbourg, Monseigneur. Lonewyr pesta à voix basse. Cela ne présageait rien de bon. Le duc Edolan… que mijotait-il, encore ? Il n’eut pas le temps d’y songer davantage, un soldat arriva en trombe dans la pièce. — Capitaine, Monseigneur ! fit-il, essoufflé. Les sept hommes se dirigent vers nous. Ils sont à environs une demi-mille de l’avant-poste ! Le comte sortit rapidement du baraquement, bousculant le soldat en s’excusant brièvement. Il courut à son cheval et sauta dessus en criant à Avington : — Capitaine, venez avec moi. Nous allons à leur rencontre. Je tiens à découvrir le fin mot de cette histoire ! Si Edolan et Lloyd ont quelque chose derrière la tête, je dois le savoir ! Allons-y ! Les portes du petit fort s’ouvrirent sur Lonewyr, suivi d’Avington et de ses trois soldats d’escorte qui ne le lâchaient pas d’une semelle. Au loin, sur la petite route qui menait à l’avant-poste, ils virent la silhouette de sept cavaliers qui chevauchaient rapidement vers eux. Le comte grogna quelque chose d’incompréhensible alors qu’il accélérait l’allure de son cheval. Il fronça les sourcils. Ses hommes avaient raison, il s’agissait bien de trois soldats de la garde de Thaie et de trois autre de la garde de Val d’Anor. Il pouvait les reconnaître à leurs armures légèrement différentes. Quant au cavalier au milieu d’eux, il n’avait pas la moindre idée de qui cela pouvait être. Lorsqu’ils arrivèrent enfin à leur hauteur, Lonewyr stoppa son cheval qui se cabra légèrement avant d’avancer doucement vers les soldats qui venaient de s’arrêter. Il prit soin de détailler attentivement le septième individu. Il paraissait jeune, très jeune. Le comte lui donnait facilement seize ou dix-sept ans mais certes pas plus. Il portait un pantalon de velours brun ainsi qu’un pourpoint à manches longues assorti. À son flanc battait une épée courte qui n’avait jamais dû servir. — Est-ce le duc de Thaie qui vous envoie ? lança immédiatement Lonewyr en tentant de calmer sa monture qui s’énervait. L’un des hommes releva le ventail de son heaume et répondit : — Ce que nous faisons ici ne vous regarde en rien. Faites place ! — Au contraire, cela me regarde, répliqua le seigneur de ces terres. Sachez que vous avez devant vous le comte Lonewyr de Malbourg. Et le comte Lonewyr de Malbourg aime bien être au courant de ce qui se passe sur son territoire ! Les gardes se croisèrent du regard puis l’un d’eux rétorqua fortement : — Comte ou non, nous avons des ordres. Faites place ou nous serons contraints de… Il n’eut pas le temps de finir, Lonewyr coupa fermement : — Je vous signale que vous avez violé l’accord de paix entre nos territoires ! Je suis en droit de vous obliger à partir de la façon la plus expéditive qui soit ! Alors avant que tout cela ne vire au bain de sang, je réitère ma question : est-ce le duc qui vous envoie ? Et que faites-vous là ? Le garde de Thaie ouvrit la bouche pour parler mais le jeune garçon fut plus rapide. — Je vous en prie, dit-il. Inutile de nous entretuer. Nous ne sommes pas ici pour vous faire du tort, Monseigneur, mais pour retrouver quelqu’un. — Retrouver quelqu’un ? répéta Lonewyr. Vous perdez vos gens, maintenant ? Le ricanement d’Avington eut pour effet de faire sourire le comte. Ce dernier regarda le jeune homme d’un ½il qui en disait long sur ses pensées moqueuses. — Monseigneur, croyez-moi. Nous devons retrouver… Il n’eut pas le temps de fini, le seigneur de Malbourg coupa : — Tu m’as l’air bien jeune pour accompagner ces individus en armure. Qui es-tu ? — Je me nomme Kaïden, Monseigneur. Je suis ici par la volonté du duc de Thaie afin de… — J’en étais sûr ! grogna Lonewyr. Voilà qu’il envoie un gamin faire son sale travail. Que veut-il cette fois ? Modifier une clause de l’accord ? Ou bien tout simplement m’attendrir pour mieux me planter la dague dans le dos ? Il se pencha sur l’encolure de son cheval, plongea ses yeux noirs de ceux du jeune garçon et ajouta d’un ton menaçant : — Sache, mon ami, que ses tentatives de me voler mes terres sont vaines. Je ne le laisserais pas faire. Je suis sur mon territoire, ce comté m’appartient et je me défendrais quitte à faire couler du sang inutile. Fais demi-tour et va dire à ton duc de pacotille que le comte de Malbourg va se faire une joie de lui trancher la gorge en place publique ! Kaïden déglutit difficilement à ces paroles, son teint devint livide. Il n’avait qu’à observer le comte quelques secondes pour être certain qu’il mettrait sa menace à exécution. — Maintenant, allez-vous en avant que je ne vous fasse sortir de chez moi les pieds devant ! Le jeune garçon sentit son corps trembler de tous ses membres. Il tenta de reprendre une certaine contenance avant de dire : — Monseigneur, je ne sais pas de quoi vous parlez. — Tu ne sais pas ? — Non, Monseigneur. Tout ce que je sais, c’est que nous ne sommes pas ici pour… ce que vous avez dis. Nous recherchons quelqu’un, une personne qui s’est enfuie et que le duc aimerait retrouver. Lonewyr eut un sourire sarcastique en répliquant : — Si cet individu s’est enfui, c’est qu’il avait une bonne raison, et l’on ne peut pas le blâmer. Le fait de fuir Edolan n’est pas une catastrophe en soi, je dirais même que c’est plutôt une bonne idée ! — Monseigneur, il ne s’agit pas d’un quelconque individu sans importance, reprit Kaïden. Il s’agit de la fille du duc de Thaie, Shalina. Elle s’est enfuie il y a deux nuits de cela. — La fille du duc ? répéta le comte en fronçant les sourcils. Je ne savais pas que ce monstre avait une fille. Il se redressa sur son cheval, donna un coup dans le mors pour calmer ses piétinements incessants et poursuivit : — Quoi qu’il en soit, ceci ne me regarde nullement. Je suis vraiment très peiné pour lui, mais ce sont là les aléas de la vie. Lorsque l’on ne sait pas éduquer ses enfants, il ne faut pas s’étonner qu’ils nous lâchent à un moment ou à un autre ! Il se tut, réfléchit un instant et ajouta : — À moins que ceci ne soit un habile stratagème afin de me faire baisser ma garde ! — Monseigneur, je vous jure que c’est la vérité, fit Kaïden. Le duc ne veut qu’une seule chose : retrouver sa fille. Des hommes l’ont vue se diriger vers votre comté. Peut-être l’avez-vous déjà croisée, vous qui êtes au courant de tout ce qui se passe sur vos terres ? — Je doute l’avoir… Il n’eut pas le loisir de finir, le jeune garçon coupa, une brusque lueur d’espoir dans le regard : — Elle a dix-sept ans. C’est une jeune fille légèrement plus petite que moi, elle est très belle et… elle a de longs cheveux aux reflets cuivrés, parfois rouges au soleil. Et ses yeux sont perles d’or qui pétillent de malice. Le visage de Lonewyr se crispa légèrement. Deux perles d’or… L’image de cette jeune fille inconnue, sur la place du marché, lui revint en mémoire. Elle paraissait avoir l’âge que venait de dire Kaïden et ses longs cheveux avaient un aspect cuivré. Il ne l’avait jamais vue auparavant, et tout dans l’expression de son visage encore enfantin signifiait qu’elle était étrangère à Malbourg. Ses yeux, si brillants, si profonds… le comte se sentit frémir en y songeant. — Lorsqu’elle a quitté Thaie, elle était vêtue à la manière d’un homme, continua le garçon, sortant brutalement Lonewyr de ses pensées. Ce dernier resta un moment silencieux, un calme qui méprit Kaïden. — Vous l’avez vue ? s’enquit-il. — Non, je regrette. Aucune jeune fille de cette description, étrangère de surcroît, n’a traversé les terres de Malbourg, je le saurais dans le cas contraire. Le visage du garçon parut se décomposer. Il baissa la tête et haussa légèrement les épaules. — Maintenant, veuillez sortir de mes terres avant que je ne m’énerve, ajouta le comte. Kaïden hocha la tête sans un mot. D’un signe, il fit comprendre à ceux qui l’accompagnaient que cela ne servait plus à rien de chercher par ici. Sans une parole de remerciement, dans un silence presque religieux, le petit groupe tourna bride et s’éloigna, prenant la direction de Thaie. Lonewyr les regarda s’en aller au petit trot, le visage tiré d’interrogation. Non, cette fille qu’il avait vue ne pouvait pas être la fille d’Edolan. Que viendrait-elle faire ici, à Malbourg ? Il s’agissait manifestement d’une autre qui lui ressemblait, rien de plus. — Monseigneur ? fit Avington, inquiété par son silence. Le comte se retourna vers lui et ordonna fermement : — Renforcez la surveillance aux frontières et maintenant vos hommes sur le qui-vive. Je ne serais pas étonné de voir une armée débarquer dans les prochains jours. — Mais… et la fille de… — Cela ne nous concerne pas, capitaine. — Je… oui, bien sûr. Lonewyr glissa son regard vers ses trois hommes d’escorte. — Venez, nous retournons à Malbourg. Capitaine, avertissez-moi à la moindre silhouette que vous verrez à l’horizon, fusse-t-elle d’un seul homme ou non. — Selon vos désirs, Monseigneur, répondit Avington avant un hochement de tête révérencieux. Suivit des trois soldats, le comte bondit au galop. Durant tout le trajet, ses pensées se tournèrent vers cette mystérieuse jeune fille. Il se répétait mentalement la description que Kaïden lui avait faite et se remémorait le visage de cette étrangère. Tout semblait concorder, même s’il se persuadait du contraire. Tout portait à croire que la fille du duc Edolan était à Malbourg. Si cela était vrai, pourquoi ? Par tous les dieux, que faisait-elle ici, dans sa ville ? Il ne vit pas les rues de la ville passer, ni même la place du marché où elle s’était tenue pour la dernière fois. Laissant son cheval dans la cour de son palais, aux bons soins du palefrenier, le comte grimpa directement jusque dans son bureau, interpellant au passage un soldat de sa garde personnelle qui le suivit dans la pièce. Lonewyr se dirigea directement vers la fenêtre à travers laquelle son regard se perdit. Sa voix ferme et décidée s’éleva. — Delnor, il y a ici, en ville, une étrangère. Elle est jeune, très jeune, environ dix-sept ans. De longs cheveux châtains et cuivrés, des yeux d’or. Elle est vêtue comme un homme, d’un pourpoint et d’un pantalon, et porte un chapeau à plumes. Il se retourna vers le soldat et ajouta : — Retrouvez-la et amenez-la-moi. Retournez tout Malbourg s’il le faut mais je veux la voir ici, devant moi, dans les plus brefs délais. — À vos ordres, Monseigneur. Lorsque le garde fut sortit de la pièce, Lonewyr replongea son regard dans l’horizon de la ville qui s’étendait au-delà de sa fenêtre ouverte. Les mains croisées derrière le dos, il contempla la place du marché qui se vidait progressivement sous le soleil de cette fin d’après-midi. |
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Shary O'Donnell |
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