Tu seras un mort, mon fils

Répondre
Partager Rechercher
Difficile de savoir s'il faisait frais dehors, quand on était soi-même aussi froid que la glace.

Irina Tahlen regardait l'horizon de ce qui fut autrefois leur domaine de famille, faisant crisser ses longs ongles jaunes et sales à intervalles réguliers sur la pierre de la balustrade. Tout ce qui avait été vert et beau n'était maintenant que désolation et tristesse. Mais elle avait dépassé le stade de la nostalgie; son esprit s'était maintenant enfermé dans un monde où les hommes la courtisaient, où les enfants jouaient dans les vergers en contrebas à l'est. Un monde où elle pouvait sentir le vent glisser sur sa peau pâle, et porter à ses oreilles les mélodies que les bergers soufflaient distraitement sur leurs flûtes à trois embouts.

"Irina, cesse ce bruit, c'est insupportable."

La voix qui venait de parler évoquait les feuilles d'automne qu'on écrasait sous le pied, cassante, rapeuse, et morte. Cette voix, c'était celle de son frère, Reis. Il se tenait dans l'encadrement de la porte qui liait le balcon à la salle principale du manoir Tahlen, regardant sa soeur avec une irritation et un mépris aussi palpable que les pierres de la bâtisse.

"Ca me calme. Ca me rapelle que je suis..."

Irina ne termina pas sa phrase. Tout était arrivé si récemment, elle n'avait pas encore l'habitude d'être ce qu'elle était, un cadavre pourissant lentement. Elle n'avait pas encore osé se regarder dans un miroir, pour y voir le trou formé par les vers dans sa joue, faisant pendre sa mâchoire sur un côté. Elle ne voulait pas voir son crâne à moitié à nu, la peau verdâtre arrachée par les chiens galeux, l'os exposé.

"En vie?" ricana Reis.
"Non, là. Juste que je suis là."

Alors qu'il s'avançait vers la balustrade, son ombre passa sur elle, et Irina eut soudaint une véritable sensation de froid. Quand Reis fut à côté de sa soeur, elle l'observa d'un oeil timide. La Lumière nous protège, il était déjà impressionnant dans la vie, mais la mort l'a rendu divinement terrible; c'était un homme de très haute taille, extrêmement mince, mais cette silhouette d'apparence frêle semblait irradier de puissance au moindre de ses gestes, calculés, précis, froids. Une tignasse noire s'hérissait sur son crâne et descendait bas sur son dos, se prolongeant sur son visage pour former une barbe longue, hirsute, et sans douceur. Son visage semblait avoir été épargné des prédateurs; par une cruelle ironie, le destin a voulu que le plus physiquement touché du frère et de la soeur soit celle qui faisait le plus attention à son image. Reis ne prêtait pas garde à son physique, si ce n'est dans le but de se rendre encore plus impressionnant, et il réussissait à merveille en ce domaine. Autrefois sa peau était pâle, comme il était normal aux gens de cette région, et ses yeux étaient d'un gris pâle qui évoquait les lacs gelés des montagnes, dans lesquels se reflétaient l'éternité glacée d'une stase sans passé, ni futur. Maintenant, sa peau était parcheminée et sèche, d'un gris anthracite; mais ce qui était le plus remarquable était son regard, qui était plus étincellant dans la mort que dans la vie, rouge, crépitant, claquant, en contraste total avec les lacs gelés éternels.

"A quoi pensais-tu?" demanda-t-il en un sifflement rauque.
"Je pensais au vin. J'ai essayé de boire un verre ce soir, mais même notre meilleure bouteille avait un goût de cendres." répondit Irina, toujours ancrée dans sa tristesse et sa nostalgie.

Reis répondit par le silence. Tous deux observèrent encore un instant leur domaine, jonché d'arbres morts qui s'extripaient tels des mains suppliantes d'un sol rocailleux et dur, d'où plus rien ne pourrait plus jamais pousser.

"Tiens, l'Arbre des Mariages est mort aussi." constata Irina.

Reis, presque sans bruit, tourna les talons et fit quelques pas en direction de l'intérieur du manoir. Irina se retourna vivement.

"Reis!"

Le frère s'arrêta net, comme si ce geste avait été prévu et ne formait qu'une continuité avec ce qu'il faisait auparavant, et resta immobile.

"Quoi, Irina?"
"On ne peut pas partir comme ça. Il faut un dernier acte d'amour, pour que la dernière chose qui soit arrivée ici ne soit pas un geste de désespoir."
"Un acte d'amour..."

Reis regarda sa soeur, avança vers elle, lentement, et la pris par les épaules.

"Oui, tu as raison."

Et à ces mots, il lui attrapa la tête et lui brisa la nuque. Le corps d'Irina tomba comme une poupée de chiffon sur le sol. Ses yeux blancs sales, autrefois d'un si beau vert émeraude, fixaient le ciel gris derrière Reis, qui se tenait à côté du corps, debout de toute sa taille.

"Je te libère d'une vie que tu n'aurais su supporter, Irina. Adieu."

Quelques pas à nouveau en direction de l'intérieur.

"Je t'aime."
Thumbs up
On ressent bien l'ambiance morbide. Il n'y a pratiquement aucune faute d'orthographe ou d'expression, ce qui rend le texte encore plus agréable à lire. Et puis j'adore cet aspect des morts-vivants de Warcraft, à cheval entre leur vie passée et leur « mort » présente, pas seulement au niveau physique, mais aussi mental.
Joli texte Reis, cela cadre bien avec l'idée que je me fais d'un non mort . L'ambiance sans être réellement morbide reflète bien le côté maudit qui frappe chaque mort vivant.

Par contre as tu écris une origine à ton état ?
Citation :
Publié par Caméléon
Joli texte Reis, cela cadre bien avec l'idée que je me fais d'un non mort . L'ambiance sans être réellement morbide reflète bien le côté maudit qui frappe chaque mort vivant.

Par contre as tu écris une origine à ton état ?
Non, je voulais juste faire un texte où il était traité de l'état de mort-vivance, le fait de ne plus avoir les sens et les repères de la vie, ce genre de chose.

Rien de bien précis sur Reis lui-même, j'avoue n'avoir strictement aucune idée de ce que je vais jouer. Cela va du Pirate Mort-Vivant au Paladin rustaud, en passant par le Prêtre de la Mort, le Mage de Glace, ou le Troll Chaman.
Répondre

Connectés sur ce fil

 
1 connecté (0 membre et 1 invité) Afficher la liste détaillée des connectés