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Il fumait. Plongé dans la musique il regardait le nuage de fumée alimenté par les torrents voluptueux qu'il crachait. Plus haut, les étoiles, affaiblies par ces lampes qui rendaient une lumière orangée dans laquelle il se baignait.
Il s'assit sur son lit, adossé contre le mur, les yeux rêveurs.

"Incrompris", pensait-il, "l'incompris des incompris..". Il poussa un grognement de frustration et secoua la tête pour faire fuir ces idées, qui le torturaient. Mais la drogue plus forte l'entraînant doucement, la tête soudain lourde, et ses yeux se fermaient."

Il revivait son enfance, il se voyait agir, penser, il se voyait vieillir, et il comprenait.

"C'était la vie simplement, malgré toutes les contraintes qui me faisaient souffrir.. Le monde m'était supérieur, les adultes m'effrayaient tendrement de leur pouvoir et de leur force. J'étais à leur merci, leurs lois me faisaient mal mais étaient si immuables qu'elles n'avaient aucune raison d'être remises en question. Je me débattais mais j'étais bien, à l'abri.

La vie était claire, cadrée par des lois, coutumes et habitudes. Inconsciemment j'avais inventé Dieu. Dans ce monde de règles fondé sur le bien et le mal, j'imaginais une vérité suprême, jugeant mes actions, et je m'y référais. Mes pas d'eux même s'y dirigeaient, cherchant là-bas la paix intérieure de la bonne conscience.

Mais je grandissais, et les troubles apparaissaient.. Les choses n'allaient pas, quelque chose clochait. L'univers, ma Terre, ma chambre, me voyant soudain minuscule, plongé dans l'immensité des hommes de l'immensité de l'espace, si infini que des vertiges me prenaient, ne comprenant soudain plus rien à mon monde, si dérisoire tout à coup et pourtant si compliqué, si profond dans le détail, que je ne pouvais concevoir que ces deux dimensions puissent exister simultanément. Qu'est qu'une pensée pouvait bien faire dans se tourbillon gigantesque qui de l'infiniment petit partait, tournant et tournant, jusqu'à l'infiniment grand, et nous au milieu, ballottés mais posés, survivant et créant, oubliant tout autour pour mieux vivre de nous même.."


La tête dans ses mains il se perdait dans ce vent, allant toujours plus loin, refusant de ne plus voir, son orgueil démesuré lui hurlant qu'il pouvait comprendre, et dans l'inconnu il avançait, ballotté par son cerveau qui, bride abattue, sautait d'idée en idée, l'oubliant, images défilant, défilant.. Il releva la tête pour remettre de l'ordre dans ses pensées.

"Mon Dieu avait péri. Plus lucide, les frontières avant infranchissables me paraissaient désormais dérisoires. La vérité suprême n'existait plus, et je devais me contenter de celle des hommes, m'exposant à la subjectivité.
D'un coup totalement libre, dangereusement libre, je me rendais compte maintenant que j'étais seul, ne devant compter que sur moi même."


Délirant il fermait les yeux, léger et incontrôlable, savourant ce vide qui le tétanisait, et qui l'exaltait, cette passion carnivore qui le dévorait, ignorant les limites et il avançait, avide, tremblant d'une soif inassouvie..

Il rêvait..

Dans sa chambre il était et il faisait noir. Englouti dans la pénombre il refusait d'en sortir. Il entendait sa mère au dehors crier, cherchant à l'atteindre mais il la repoussait. Une idée germait.. Une sensation naissait. Tout son être, sa concentration, son esprit n'était tendu qu'en une seule direction. De l'effort, naissaient des gouttelettes de sueur sur son front contracté, et il comprenait. Emerveillé de sa découverte, il se levait, sortait et descendait jusqu'au salon. Sa mère assise sur le divan, le visage sombre d'une inquiétude mystérieuse, le regardait, sans réaction. Il s'approcha et se mit à genoux devant elle, lui prenant les mains :

"j'ai trouvé, maman."

Elle ne répondit rien. Désirant lui faire partager son savoir, il se concentra et plongea dans l'esprit de sa mère. Elle ne fut pas surprise, le regardait en souriant, et soudain il se rendait compte que depuis toujours, elle était là.
Il sentait les autres maintenant, ses soeurs, son père, tous là, mêlant leurs esprits, communiquant naturellement, lui expliquant tout.

S'imaginant en ce cercle bienveillant, apaisé, comprenant enfin il s'endormit trompé.

Ton texte m'a immédiatement fait penser à Gide (que je vénère) .Au surplus j'aime beaucoup la manière dont tu écris ..
Au plaisir de te relire!
Seele, Enfant Zéruel, Alice
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