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Quelle chanson peut se vanter d'avoir été reprise, sur disque ou sur scène, par les Beatles, Black Flag, les Pretenders, Blondie, les Stooges, Led Zeppelin, Frank Zappa, Lou Reed, les Kinks, R.E.M., Patti Smith, Bruce Springsteen, Ike & Tina Turner, les Doors, les Beach Boys et dix mille autres ? Ca court pas les rues, une chanson pareille, hein ? Mais connaissez-vous l'histoire de la chanson la plus stupide et la plus entêtante (osons le dire : la plus rock) du XXème siècle, 47 ans aux fraises et encore toutes ses petites dents pointues ?
J'ai traduit une partie de l'article que l'excellent Dave Marsh lui consacre dans "The Heart of Rock & Soul". Let's give it to 'em, right now ! Louie Louie Vraiment stupide, vraiment grandiose. Pas vraiment salace, mais bon... "Louie Louie" est l'expression la plus sublime et la plus profonde de la capacité du rock 'n roll a créer quelque chose à partir de rien. Basée sur un beat de code Morse et un refrain "duh duh duh", avec une partie vocale de chat écorché, un piano électrique ringard, une rythmique de guitare répétitive et une partie de batterie qui donne l'impression que le type qui en joue n'est pas très sûr de ce qu'il doit faire, Louie Louie escalade les sommets du trash rock pour y mettre au défi tous les rockers qui suivront : si vous ne l'adorez pas, vous n'avez rien compris au truc. Naturellement, ce Parthénon du rock n'a pas jailli de l'esprit d'une muse. Une muse l'aurait probablement abattue à vue, ou se serait évanouie sous le choc de quelque chose de si cru et excellent. "Louie Louie" est née dans des circonstances plus prosaïques, en tant que face B de "You Are My Sunshine", une version R&B d'un standard country de Jimmie Davis, enregistrée par Richard Berry et les Pharoahs sur Flip records en 1956. (...) "You Are My Sunshine" n'eut qu'un petit impact, mais quand le DJ de Los Angeles Hunter Hancock retourna le disque pour y jouer "Louie Louie", celui-ci se vendit tout de même à 130 000 exemplaires, un chiffre respectable. (...) "Louie Louie" eut une parenté variée. Berry avait travaillé chaque samedi soir de l'année 1955 avec un groupe Latin, Ricky Rillera et les Rhythm Rockers. Ceux-ci étaient un orchestre de 12 musiciens qui jouaient une chanson nommée "El Loco Cha Cha", un hit local de Rene Touzet. Berry emprunta le riff d'ouverture "duh duh duh" à El Loco. A la même époque, Chuck Berry, qui n'a d'autre lien de parenté avec Richard Berry que spirituel, avait sorti "Havana Moon", l'histoire d'un type qui essaye de rentrer chez lui à Cuba. Richard Berry décida donc de raconter l'histoire d'un type qui se désespère de retrouver sa maison et sa copine en Jamaïque. (...) A cette époque, la critique rock n'existait pas, et la petite bande de branchés qui suspectaient que le R&B pourrait devenir un genre musical durable n'incluait pratiquement que des gens qui connaissaient personnellement Ahmet Ertegun (note FV : co-fondateur d'Atlantic Records). Les exemplaires invendus des hits locaux étaient détruits ou bradés pour quelques pennies afin d'être revendus dans les "boîtes à solde" pour 25 cents ou une dime. En 1960, l'impétrant star Rockin' Robin Roberts trouva un exemplaire de "Louie Louie" dans une boîte à solde à Seattle. Roberts comprit le génie de "Louie Louie" et l'adopta en guise de thème dans divers groupes. En 1961, il l'enregistra pour un label local, Etiquette, accompagné par les Wailers (note FV : rien à voir avec le groupe de Marley, bien sûr). L'Histoire, cette garce, a refusé à Roberts l'immortalité qu'il méritait pour avoir reconnu la magnificence de caniveau de la chanson, et pour avoir été le premier à brailler le croassement "Let's give it to 'em, right now !" Mais sa version fut néanmoins reprise par des groupes de tout le Nord-Ouest, et "Louie Louie" devint un standard régional pour tous les groupes à moitié talentueux de la région. (...) En 1963, les deux groupes rivaux basés à Portland, Oregon, Paul Revere et les Raiders et les Kingsmen, jouaient "Louie Louie" et leur public le leur demandaient constamment. Un vendredi de mai, les Kingsmen cédèrent finalement à la pression et firent un concert entier avec "Louie Louie"; la chanson dura 45 minutes et devint le premier marathon Louie. Le groupe s'ennuya à mort, mais le public était complètement excité. Le lendemain, les Kingsmen rentrèrent en studio (...) et enregistrèrent leur version. le dimanche, les Raiders prirent leur place et enregistrèrent la leur. Les deux groupes avaient basé leur version sur celle de Roberts ; ils n'avaient probablement jamais entendu celle des Pharoahs. Les Raiders ne firent quasiment que dupliquer la version de Seattle, avec juste une addition brillante au pont, quand Revere cria : "Grab your woman! It's Louie Louie time." La version des Kingsmen était un peu différente, principalement parce que le chanteur Jack Ely avait appris la chanson en écoutant le 45 tours une paire de fois, et avait chopé le beat de travers. De ce fait, les Kingsmen jouèrent 1-2-3, 1-2, 1-2-3, 1-2, au lieu du plus orthodoxe 1-2-3-4, 1-2, 1-2-3-4, 1-2 des versions précédentes (au passage, ils apportèrent ainsi leur contribution à l'invention du reggae ; il suffit d'écouter le "Louie Louie" de Toots & the Maytals au début des années 70 sur l'album Funky Kingston). Ce qu'Ely avait bien retenu, par contre, et qu'il améliora, c'est le cri de Roberts juste avant le break de guitare : "Give it to 'em, right now !" Il y mit une telle avidité que l'on aurait cru qu'il venait de repérer la jugulaire de son pire ennemi, et d'une manière tellement crue qu'à cet instant, Ely sonne comme un Donald Duck sous hélium. Et c'est cet air vaguement ridicule qu'il prend qui fait du disque des Kingsmen un tel classique, d'autant qu'il est suivi par un solo de guitare tout aussi débile. (...) La partie vocale d'Ely était tellement altérée (il ne connaissait pas bien les paroles, et le micro était suspendu trop haut au-dessus de sa tête pour qu'il puisse chanter en face) qu'elle approchait l'inintelligibilité. Quand les passages radio commencèrent à se multiplier, des rumeurs circulèrent qui prétendaient que les Kingsmen avaient rendu la partie vocale incompréhensible parce qu'elle était obscène. Les détails sont trop délirants pour valoir d'être cités au complet, mais d'après mes souvenirs, tout était centré sur l'interprétation de "Me think of girl constantly" en "Me fuck that girl all kind of ways", et "I smell the rose in her hair" en "I stick mah bone in her there". Ou quelque chose dans le genre. Bien entendu, ces "vraies" paroles ne pouvaient être entendues qu'en jouant le disque à une autre vitesse - 33 ou 78 ou 16. Les rumeurs causèrent une panique moraliste en Indiana jusqu'à ce que le gouverneur bannisse "Louie Louie" des ondes de l'Etat. Très vite, la FCC et le FBI lancèrent une investigation et passèrent tant Richard Berry que Jack Ely (qui avait été viré par les Kingsmen) sur le gril. Les Feds arrivèrent à une conclusion plus proche de la vérité : "inintelligible à n'importe quelle vitesse". Arrivé là, "Louie Louie" était déjà entrée dans la légende, devenant le plus grand exemple de la fonction du rock en tant que langage secret pour son audience. Quoi qu'Ely chanta ce dimanche après-midi, ce que son audience croyait entendre était bien plus important et puissant. Le disque resta au sommet des charts pendant 4 mois, et y retourna pour un bref instant durant l'été 1966. A la suite des rumeurs, "Louie Louie" devint le standard des parties des sixties. Plus de 300 versions furent enregistrées, et en 1966 les Sandpipers la ramenèrent dans les charts avec une version folk-rock d'ascenseur aux paroles traduites en espagnol. En 1978, la version de John Belushi tirée de la BO du film Animal House remit encore "Louie Louie" en circulation. Enfin, au début des années 80, deux stations de radios californiennes organisèrent des marathons "Louie Louie" qui duraient plusieurs jours et permettaient d'entendre toutes sortes de version déjantées par des musiciens connus ou des losers locaux. A la fin des années 80, un DJ de Philadelphie, John DelBella, commença à organiser des parades "Louie Louie" au profit des victimes d ela leucémie, la maladie "Louie". En 1985, l'Etat de Washington vota une résolution qui faisait de "Louie Louie" l'hymne de l'Etat, mais dans les esprits et les coeurs des vrais rock 'n' rollers, celle-ci avait déjà atteint une bien plus grande stature. Dans n'importe quelle version, des Beach Boys à Barry White en passant les punks du coin, "Louie Louie" est un authentique hymne national. Personne n'a jamais approché la grandeur de la version des Kingsmen et personne ne la dépassera jamais. Si vous ne me croyez pas... "Let's give it to 'em, right now!" Si ce que vous venez de lire vous a plu, et que vous lisez l'anglais, il y en a 600 pages du même tonneau dans le génial The Heart of Rock & Soul: The 1001 Greatest Singles Ever Made. Mon exemplaire (1ère édition, en 89) est tellement latté après toutes ces années de consultation et relectures fébriles et hilares que je ne vais pas tarder à m'en racheter un autre. ![]() Un bon site sur Louie Louie. Un lien direct vers la liste assez complète des versions enregistrées de Louie Louie (officielles et bootlegs). P.S. : Ayant passé une heure et demie à traduire ce texte en tentant d'en garder toute la saveur, je serai encore plus déplaisant que d'ordinaire avec toute personne qui me reprochera avant au moins trois mois de poster un texte en anglais sans en fournir la traduction. ![]() |
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La légende de la chanson culte d'une génération (vu à la télé) : Louie Louie
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Xeen |
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Merci, maintenant je l'écouterai différemment
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Enfin un sujet intéressant !
*fais chauffer WinMX* |
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Citation :
PS : ma préferée , celle des Toots! Et pas loin derriere celle d'iggy sans les stooges. |
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Re: Re: La légende de la chanson culte d'une génération (vu à la télé) : Louie Louie
Citation :
Pour un témoignage CD d'Iggy & the Stooges reprenant "Louie Louie", voir le live Metallic 2xK.O., leur dernier concert, à Detroit en 1974. Et toc ! ![]() Citation :
![]() Tiens, un oubli à la fin de mon post : une liste avec 338 versions de Louie Louie sur le All Music Guide. Lien à chaque fois vers la fiche détaillée de l'album. |
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Xeen
Invité
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Re: Re: Re: La légende de la chanson culte d'une génération (vu à la télé) : Louie Louie
Citation :
![]() (elle a toujours une réponse a tout celle là) arghll.... Brianos coucou ! Dis moi : et Helter Skelter c'est pas du rock ? |
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Xeen |
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![]() Merci bien FautVoir ![]() |
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Citation :
![]() En parlant de Rhino, ils avaient sorti il y a 15/20 ans deux compiles de Louie Louie. Elles semblent ne plus être disponibles sur Amazon.com mais leurs fiches sont toujours là et permettent de lire la liste des versions et surtout d'en télécharger quelques extraits. Le volume 1. Le volume 2. Edit : Tiens, ben justement : la version de Richard Berry sur le volume 1 n'est pas la version originale, mais un réenregistrement années 80. ![]() |
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y a pas un S a Gilles ou alors c'est une particularité belge ?
A noter aussi qu'il s'y connait beaucoup en Claude Francois ![]() |
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