Jolienne, Jolien, voici venu un post un peu moins barien que ce que tu as l'habitude de lire habituellement en venant au comptoir...
Et oui, point question de solitude, d'alcool, ni de débat sur la meilleure façon de s'installer sur le trone (quoique ca pourra toujours faire de la lecture, ou un stock de feuilles pour l'occasion, au choix) mais d'un petit texte (mais alors vraiment tout petit) destiné à... rien de particulier en fait.
J'ai écrit ca car je m'ennuyais, et il se trouve qu'il a plu à ma guilde, donc je le poste ici pour le soumettre à la critique constructive et éclairée des joliens.
Pour planter le cadre (histoire de pas faire lire à ceux qui s'en foutent), le texte ne s'inscrit pas dans le rp d'un jeu quelconque, et aurait pu avoir lieu dans notre monde au tout début du XXème siècle, "aurait" car il n'en est rien. L'univers est donc totalement independant, suivant ses propres règles et sans cadre spatio temporel bien défini, laissant le lecteur libre de voir le monde à sa manière. C'est pas du Zola et ca va pas pogner vigoureusement la fluxion zygomatique d'un ponay unijambiste somalien mais j'espère que ca plaira à ceux qui le liront, donc bonne lecture
PS: le texte est long donc je vais enchainer plusieurs posts, si vous pouviez attendre que ce soit fini pour pas géner la lecture, merci
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Chapitre I
Elle se réveilla en sursaut, se redressant en position assise au milieu des draps défaits, prenant une brusque inspiration, comme sortant d'une longue apnée.
Pas de cri, aucun son, si ce n'est celui de sa respiration encore trop rapide, et quelques craquements naturels du bois, comme si le mur en face lui répondait tandis qu'elle le fixait, les yeux encore hallucinés.
Une mèche de ses cheveux retombant dans son champ de vision acheva de la réveiller complètement, et sa main glissa sur son front après avoir ecarté cet obstacle à sa vue.
-"Une semaine... J'en peux plus..." chuchota la jeune femme, comme pour se réconforter en se sachant bel et bien là.
Elle quitta le lit, pieds nus, titubant encore un peu jusqu'à parvenir à la bassine d'eau sur la commode. L'eau fraîche ruisselant sur son visage eut l'effet escompté, et c'est pleinement reveillée que la jeune femme reposa la bassine.
Cela faisait à présent une semaine qu'elle n'était pas sortie de sa chambre, dormant peu, en proie à ce qu'elle qualifiait d'hallucinations et de cauchemars, autant de temps passé sans manger, ne faisant que boire.
La dernière visite de son médecin n'avait rien arrangé, et voila plusieurs jours qu'elle avait cessé de l'écouter, il ne comprenait de toute évidence rien à ce qui se produisait, nul ne la comprenait de toute facon.
Son vieux miroir serait à nouveau son compagnon de la journée, tandis qu'elle s'asseyait, levant les yeux sur ce reflet impassible.
A sa grande surprise, le reflet lui renvoya un petit sourire, le sien, réflexe nerveux sans doute en voyant que la nuit n'avait pas fait trop de ravages cette fois.
Son teint livide tranchait à présent avec ce qui avait toujours été une énigme pour son entourage.
Elsa, car c'est ainsi que ses parents l'avaient nommée, pouvait facilement être qualifiée d'exception, ou de curiosité du village, sans toutefois que l'on sache pourquoi. Les plus folles rumeurs avaient d'ailleurs courrues à sa naissance, mettant sa mère dans l'embarras, mais tandis qu'elle grandissait la vision des autres était devenue plus douce et plus personne n'y faisait attention à présent, tout au plus cela suscitait la curiosité des étrangers.
La nature l'avait en effet dotée d'une couleur de cheveux s'approchant assez du rouge, zebrés ca et là de mèches presque pourpres, le tout agrementé de prunelles rose fushia, combinaison pour le moins unique et inattendue, aucun membre de sa famille ne possedant une telle pigmentation, ni aucun habitant de la région d'ailleurs.
Une énigme de la nature qui la souciait bien peu pour le moment, qui la rassurait presque car contrairement à sa peau qui perdait peu à peu les couleurs de la vie, son imposante tignasse était plus chatoyante que jamais, et son regard n'avait rien perdu de son éclat.
Elle le tourna justement vers l'étagère où reposaient ses réserves, éprouvant le même malaise que les jours précedents, elle se détourna immediatement en essayant de penser à autre chose.
Ce n'est pas la faim ou l'envie de manger qui lui manquaient, mais rien que d'y penser lui provoquait des vertiges, et tenter d'avaler quoique ce soit entrainait une perte de connaissance et de longs cauchemars, phénomene que son médecin était bien en peine d'expliquer.
Elle s'était depuis quelques jours déjà barricadée dans sa chambre, refusant de voir ses parents ou qui que ce soit, cherchant à comprendre elle même ce qui lui arrivait, sans grand succès.
Le miroir lui avait été d'une aide appreciable, et à travers son propre reflet Elsa avait pu prendre conscience de changements en elle même, sans qu'elle puisse toutefois les expliquer.
La matinée se passa de la même manière que d'habitude, essayant de se souvenir de ses rêves, bien plus souvent de ses cauchemars, qui étaient vraisemblablement liés à son état, mais dont l'absence de cohérence et de continuité l'empêchait de tirer quoique ce soit.
Le claquement de la porte du bas la tira de ses pensées et provoqua un bref sursaut. Sans doute son père partant travailler, elle savait qu'une autre personne était déjà sortie, et donc qu'elle était à présent seule.
Moment qu'elle affectionnait, profitant de la tranquillité pour entrouvrir la fenêtre de son petit balcon et se détendre en oubliant quelques instants son état alarmant. Il y avait juste assez de place pour son fauteuil en osier et l'unique pot de fleur servant à décorer l'endroit.
Comme chaque jour, elle versa un peu d'eau pour rafraîchir la terre baignée par les rayons du soleil, puis ferma les yeux quelques instants, plus détendue.
Une idée traversa son esprit encore embrumé, comme si un déclic s'était produit, si bien qu'elle ouvrit les yeux quelques secondes plus tard, fixant le vieil arbre du jardin sans toutefois le regarder.
-"C'est quand même pas possible que..."
Elle leva un peu les yeux en direction du soleil, mais les baissa bien vite, ayant du mal à s'habituer à la lumière après tant de jours passées dans sa chambre, et décala un peu son fauteuil pour se laisser baigner par les rayons de l'astre lumineux.
Une vague sensation de bien être vint remplacer son malaise permanent, tant et si bien qu'elle resta plusieurs heures à somnoler dans cet état de grâce.
Le réveil fut brusque, le claquement de la porte la tira de son sommeil réparateur. Le soleil avait tourné, et les derniers rayons se perdaient dans le feuillage du chêne centenaire, indiquant le crépuscule, et par conséquent le retour de ses parents.
Il ne fallait pas qu'ils la voient ici, du moins pas encore, et c'est avec une hâte non dissimulée qu'Elsa repoussa son fauteuil en se penchant pour tirer les volets.
Dans sa précipitation, elle bouscula le petit pot de fleurs, le faisant basculer par dessus le rebord avant d'avoir pu le rattraper. La chute sembla durer une éternité, sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi, et le bruit de la porcelaine volant en éclat coïncida avec le cri de douleur de la jeune femme, qui tomba inerte sur le balconnet.
Le bois constituant les murs de la pièce grinca quelques instants, vibrant sous les coups donnés à la porte, qui finit par céder sous les assauts repetés du père, alerté par le vacarme inattendu.
Il resta un instant debout sur le pas de la porte, mélange d'inquietude et de stupeur, avant de courir auprès de sa fille sans tenir compte de l'état de la pièce.
Elsa gisait étendue sur le plancher, les yeux ouverts, inerte, comme prise dans l'un de ses rêves inexplicables, et il la transporta rapidement sur le lit tandis que sa mère préparait à boire.
Aucun n'avait prononcé la moindre parole, comme si tout avait été inutile, et ils ne s'étonnaient presque plus de rien, bien qu'ils passèrent plusieurs minutes à examiner la pièce.
L'atmosphère était moîte, l'air difficilement respirable, empli de particules indéfinissables, et d'un commun accord silencieux toutes les portes et fenêtres furent ouvertes pour aerer autant que possible, tandis que la pièce était peu à peu remise en ordre.
La vieille femme se tourna vers son mari, sa voix fatiguée brisant la lourdeur du silence.
-"Tu crois que tout ca finira..." marmonna-t-elle, sans même prendre la peine de terminer sa phrase.
-"Je n'en sais rien, mais je l'espère pour elle."
Elle soupira en emportant quelques affaires, tandis qu'il veillait sur Elsa.
Aucun d'eux ne comprenait ce qui pouvait se produire, mais ils en étaient arrivés au stade où ils souhaitaient que ca se termine, quelle qu'en soit l'issue, ne pouvant de toute facon plus vivre dans cette situation.
Dans un premier temps les crises d'hystérie, les cauchemars, les hallucinations, puis l'enfermement totale de leur fille, et à présent la trouver dans cet état, autant de jours d'anxieté qui avaient eu raison de leur moral.
Le réveil ne fût pas brutal, contrairement à ce qu'attendait le père, assis sur son vieux tabouret depuis plusieurs heures à présent, juste à coté du lit, prêt à la retenir en cas de nouvelle crise.
Elsa papillota des yeux quelques instants, et lui adressa un sourire presque réconfortant, en se tournant sur le coté, vers lui.
-"Je sais désormais, ne t'inquiètes plus pour moi."
-"Tu sais, mais quoi ?"
-"Que je suis différente."
Après une longue inspiration, semblant revigorée, elle se leva, se dirigeant comme si de rien n'était vers la commode, passant un peu d'eau sur son visage.
-"Vas donc te reposer papa, tu as assez veillé sur moi, je descendrai tout à l'heure, ca va mieux, fais moi confiance."
Le vieux père s'executa, préferant ne pas poser de questions, il savait de toute facon très bien qu'elle ne lui dirait que ce qu'elle voudrait bien.
Se retrouvant à nouveau seule, la jeune femme passa plusieurs heures à se remettre d'aplomb, réflechissant un long moment devant sa garde-robe.
Elle opta pour une tenue presque estivale, bien que le printemps soit à peine entamé, la jupe longue assortie à son haut de couleur rouge, presque la même que ses cheveux, qu'elle avait passé plus d'une heure à coiffer.
Ses parents l'attendaient en bas, l'un à coté de l'autre, parcourus de la même émotion perceptible à l'idée de voir leur fille reprendre une existence normale. Ils furent gratifiés d'un sourire rayonnant de bonne humeur, comme si une nouvelle vie l'animait à présent, bien que son teint toujours pâle trahisse la dernière semaine.
-"Je ne peux pas vous l'expliquer, mais ca va mieux, désormais, par contre certaines choses vont changer..."
Elle inclina un peu la tête en souriant pour faire passer son embarras, sous les yeux attendris et resignés de ses parents, qui avaient pris depuis longtemps l'habitude du caractère borné de leur fille.
-"Je sortirai plus souvent, et je mangerai plus de viande aussi... Plus que de la viande, en fait."
Devant leur air etonné, elle jugea de bon ton de préciser ses pensées.
-"En fait ce sont les légumes qui sont en partie responsable de tout ca... je m'en suis rendue compte en regardant mon étagère... Enfin je ne veux plus rien consommer d'origine végetale, d'ailleurs je mangerai en haut pour ne pas vous déranger, ni vous voir manger."
-"Je vois...Bien nous ferons comme ca alors." murmura son père, sachant éperdument qu'elle ne lui racontait pas tout.
-"Tu es sure de ne pas vouloir que j'appelle le médecin, pour... être bien certains que tout va mieux ? Enfin, par certitude, si tu vois ce que je veux..." ajouta timidement sa mère, interrompue avant la fin.
-"Non ! Surtout pas, tout va bien, regardez, je vais mieux, pas besoin de médecin ! Bon je vais sortir un peu, à ce soir !"
Le ton était sensiblement agité et elle les embrassa rapidement puis quitta la pièce avant qu'ils n'aient eu le temps d'ajouter quoique ce soit.
-"Tu aurais dû lui dire quand même..." soupira sa mère.
-"Je n'ai pas eu le temps, et puis je préfere qu'elle se débrouille avec lui, de toute facon ca les regarde."
-"Esperons que tout aille bien..."
Il hocha la tête et referma la porte laissée grande ouverte.
Le soleil se montra une nouvelle fois complice, baignée par ses rayons, elle ne ressentait même plus la fraîcheur matinale, et avancait d'un bon pas dans la rue, sous le regard parfois etonné des voisins qui avaient eu vent de la dernière semaine.
N'importe qui la connaissant un minimum pouvait se rendre compte que quelque chose en elle s'était produit, d'ordinaire plutôt reservée, dissimulant ses cheveux pour ne pas attirer le regard, ils flottaient à présent sur ses épaules avec autant de fierté à les montrer qu'elle n'avait de volonté de les cacher quelques jours plus tôt.
La bourgade n'était pas bien grande, mais le marché régional se tenait cette semaine, provoquant un afflux de marchands et de clients des environs, tant et si bien que les rues grouillaient d'animation.
Ce n'était pas pour lui déplaire, la journée s'annoncait radieuse, et elle remontait la rue d'un pas rapide, sa bonne humeur et son énergie apparente offrant un constraste inhabituel avec la fatigue et la lassitude de la vie paysanne.
Son programme était assez chargé, et Elsa commenca la matinée chez le fleuriste, quittant la boutique avec plusieurs jardinières et sacs de graines en tout genre pour le plus grand bonheur du marchand, avant de diriger ensuite ses pas vers la boucherie du coin de la rue.
Là encore les achats furent conséquents, et le boucher bien qu'etonné d'une telle envie de viande, se montra serviable et executa les caprices de sa cliente avec zèle.
Elle passa l'après midi à flâner et à acheter quelques petites babioles pour ses parents, et tandis que le soleil commencait à décliner, s'enfonca dans l'une des ruelles, vers le domicile de son compagnon, à la fois impatiente et anxieuse de le revoir après plus d'un mois.
Il était en effet rentré de voyage juste au moment où elle tombait malade, et de ce fait elle n'avait pu le voir.
Rien ne semblait avoir changé, et la lueur des bougies au troisième étage était rassurante quand à la présence de celui qu'elle venait voir.
Après s'être rapidement recoiffée, elle fît jouer le gros heurtoir à demi rouillé qui ornait le milieu de la porte.
Il y eut un bref instant de silence, et elle renouvella l'opération, provoquant cette fois un peu d'agitation, elle devina sans peine qu'il descendait pour lui ouvrir.
Son sourire radieux se mua en un hoquet de stupeur lorsqu'il ouvrit la porte, passant sa tête dans l'entrebâillement.
Elsa sentit ce vague malaise remonter en elle, peut être était-ce le fait de le voir ainsi, torse nu, s'étant laissé pousser la barbe, decoiffé, ou peut être la voix féminine émanant de l'escalier et lui disant de faire vite, ou bien les deux à la fois.
Il marqua un moment d'étonnement en la voyant.
-"Qu'est-ce que tu fais ici ? J'avais dit à tes parents de te préve..."
Elle était déjà partie avant qu'il n'eut terminé, abandonnant sur place ses achats de la matinée, quelque chose au fond d'elle la poussant à s'enfuir sans attendre une quelconque explication qui de toute facon tomberait dans l'oreille d'une sourde.
Les rêves et les cauchemars l'envahissaient à nouveau, perdant la notion de ce qui l'entourait, se laissant porter par ses jambes là où elles le voudraient bien, alors que déjà la nuit tombait, recouvrant d'obscurité tout point de repère.
Ses jambes cessèrent de la porter peu de temps après, et la nuit fut longue et tourmentée, à la frontière de la réalité et de son imaginaire, jusqu'à ce que finalement l'astre solaire chasse à nouveau les brumes.
Elsa entrouvrit les yeux, se heurtant de plein fouet à la lumière qui la baignait, lui insufflant une nouvelle vigueur.
Après un rapide tour d'horizon, le village encore en vue la rassura, bien qu'il se trouvait assez loin. Un vieil arbre au tronc noueux lui avait servi de support pour la nuit, et les marques dans l'écorce confirmaient son impression sur la nuit qui venait de s'écouler.
Son regard se posa sur sa sacoche, visiblement emportée dans sa course sans qu'elle n'y fasse attention.
-"Ca pour une chance..."
Elle trouva ce qu'elle escomptait, principalement deux sacs de graine achetés la veille, ainsi que son petit miroir.
Après une lente inspiration, elle entrouvrit le miroir, et se pencha dessus, le laissant tomber presque instantanement à la vision de son reflet.
Il se brisa sur une petite pierre tandis que sa proprietaire retombait avachie contre le tronc d'arbre.
De longues minutes passèrent, jusqu'à ce qu'elle trouve la force de se redresser à nouveau, ramassant soigneusement les fragments luisants au soleil, s'estimant prête à affronter de nouveau cette image d'elle même.
Par chance il restait un morceau suffisament large pour qu'elle puisse s'oberver à travers la rayure qui le parcourait d'un coin à l'autre.
Sa peau semblait plus pâle que jamais, étrangement plus douce, et ses cheveux, jusque là inchangés, commencaient à présent à se modifier aussi.
Elle resta un moment, immobile, fixant ce reflet, avant de lâcher brusquement le fragment de miroir lorsque la douleur au bout de son pouce se fit sentir.
La coupure était peu profonde, mais le sang s'écoulait déjà doucement, peut être un peu trop à son goût.
Elle serra son pouce pour provoquer un afflux de sang, sans guère de résultat, il semblait coaguler immediatement, sans rien perdre de sa rougeur.
Après quelques instants à réflechir, le passage de son doigt sur la coupure confirma son impression. Il aurait dû s'écouler comme ca avait toujours été le cas, au lieu de ca il restait collé, refermant la plaie presque immediatement, plus épais, plus pâteux qu'il n'aurait dû l'être.
-"Mais qu'est-ce que je deviens..." soupira la jeune femme en se laissant retomber contre le vieux tronc, enveloppée des rayons matinaux de son bienfaiteur lumineux.
La brise rafraichissante la tira de sa somnolence un peu avant que le soleil n'atteigne son zénith, et après un moment de flottement, Elsa retira de sa sacoche l'un des paquets de graine, l'observant quelques instants, pensive.
Elle en versa le contenu dans la paume de sa main gauche, sans même se souvenir de quelles graines il s'agissait. Rien ne se produisit dans un premier temps, puis elle referma doucement ses doigts sur la poignée de graines, les yeux mi-clos, à nouveau à mi chemin du rêve et de la réalité.
Quelques minutes plus tard, elle ouvrit de nouveau les yeux, ainsi que sa main, et resta un moment silencieuse en contemplant les jeunes pousses qui grandissaient à vue d'oeil sur la paume de sa main, semblant si vivantes.
Au fur et à mesure que les graines devenaient des plantes à part entière, elle parvenait à ressentir la brise et les rayons du soleil à travers elles, comme puisant ses sens dans leurs tiges et dans leurs feuilles naissantes, tandis que la croissance allait bon train à partir de rien, seulement posées sur la paume de sa main, enroulant leurs raçines autour de ses doigts pour se maintenir.
Le spectacle avait quelque chose d'envoûtant et Elsa passa l'après-midi sans bouger, se laissant bercer par des interactions et des sensations jusque là inconnues.
La tombée de la nuit la tira de sa torpeur, et elle se leva, déposant ses plantes au pied de l'arbre, ne ressemblant en rien à ce que les graines auraient pu donner en temps normal.
La jeune femme esquissa un sourire en imaginant ce que penseraient les passants lorsqu'ils apercevraient cette curieuse végetation, plus digne de pousser au coeur d'une jungle qu'au pied d'un vieux chêne.
La nuit était déjà bien avancée lorsqu'elle fût de retour en ville, ce qui l'arrangeait de toute facon, lui évitant ainsi des remarques sur le fait qu'elle soit pieds-nus, complètement decoiffée et pâle comme un linceul.
Sa douce insouciance de l'après midi avait laissé place à d'autres sentiments, et c'est avec des projets bien établis qu'elle retournait dans la ruelle d'où avait commencé sa course de la veille.
La bourgade était endormie, et c'est sans la moindre crainte qu'elle commenca l'escalade de la facade de son ancien compagnon. L'édifice était entièrement recouvert de lierre, et la plante lui servit d'escalier naturel et improvisé, la portant presque, sans émettre le moindre bruissement de feuilles et lui offrant un support appreciable jusqu'à la fenêtre du troisième étage.
Le loquet céda en quelques minutes, et la fenêtre ouverte dévoila le couple profondément endormi.
-"Tu as été parfait." chuchota-t-elle en direction d'une feuille de lierre tout en l'effleurant de sa main, avant d'entrer dans la pièce, un léger sourire au coin des lèvres.
Sa connaissance de l'endroit lui évita toute maladresse malgré l'obscurité, et un rayon de lune lui dévoila les dormeurs. Il était allongé sur le coté, dos à sa compagne, étendue sur le dos du coté de la fenêtre, ce qui provoqua un nouveau sourire de satisfaction chez l'intruse nocturne.
Elle ouvrit son second sac de graines, les déposant dans la paume de sa main, et renouvella l'opération de l'après midi, les déposant ensuite sur le plancher, au pied du lit, formant en quelques minutes un tapis de lianes, ondulant sous l'oeil captivé de leur maîtresse.
La symbiose était parfaite, chaque feuille, tige ou racine éxecutant ses volontés parfaitement, et les plantes se dressèrent peu à peu, enroulant un à un les membres de la dormeuse dans un silence quasiment parfait.
Elle se réveilla au contact des épines dont était munie l'une des plantes, déversant dans l'organisme de sa victime un poison végetal aussi violent qu'efficace.
Aucun son, aucun mouvement autre que celui des plantes l'enserrant peu à peu, la faisant lentement glisser du lit vers le tapis végetal, sous l'oeil émerveillé de leur maîtresse.
Elsa resta quelques instants à observer, à la fois fascinée par l'étendue de son contrôle et satisfaite de voir sa vengence servie sur un lit végetal, croisant froidement le regard de sa victime terrifiée.
Les plantes la recouvraient à présent presque totalement, ne laissant apparaître que son visage figé par le poison, et les plantes s'immobilisèrent durant de longues minutes, tandis que la jeune femme parcourait une à une les tiges et les lianes du bout de ses doigts.
Elle retira brusquement sa main, se pencha au dessus de sa victime, laissant sa longue chevelure rougeoyante pendre jusqu'à elle.
Le chuchotement à peine audible provoqua quelques efforts vains pour se dégager.
-"Dommage pour toi."
Elle s'écarta de quelques pas et commenca à examiner le contenu des meubles et des tiroirs environnants, d'un air detaché, tandis que les plantes s'animaient de nouveau.
-"Tiens tiens une lettre..."
Elle approcha la feuille à la lueur des rayons de lune et s'efforca de la lire, sans même se soucier de ce qui se passait derrière elle.
Après quelques instants, elle se retourna, agacée, murmurant à ses plantes d'en finir.
La masse végetale à présent partiellement couverte de sang frais s'executa, mettant un terme à l'agonie du corps à demi dechiqueté, transpercé de toute part par les tiges et les épines qui depuis de longues minutes déjà broyaient un à un les membres et les os avec une lente et implacable efficacité.
Les gargouillis et les craquements cessèrent peu à peu, permettant à Elsa de se concentrer sur sa lecture, qui se termina dans un soupir de mépris.
La lettre, dechirée en deux, fût deposée sur le lit à la place de la dormeuse, une mèche de cheveux rouges dessus en guise de signature, et elle quitta la pièce comme elle était venue, laissant derrière elle le tas de plantes baignant dans une mare de sang.
La descente se déroula sans encombre, le lierre se montrant aussi complaisant que la première fois, et Elsa quitta la ville pour s'enfoncer au coeur de la forêt, l'esprit vidé, à nouveau à la frontière de ses mondes.
Chapitre II
-"Nacyl ! En voila du boulot pour toi mon vieux !"
La pile de documents jaunis souleva un nuage de poussière au contact du bureau, et le propriétaire des lieux, avachi dans son fauteuil, executa un lent geste de la main pour balayer le nuage.
-"C'est quoi tout ca ?" grommela-t-il, peu enthousiaste à la vue de la pile de textes à examiner.
-"J'en sais rien j'ai pas tout lu, mais c'est le préfet qui m'a fait envoyer ce bazar, il voulait que ca soit toi qui t'en charge personellement, la paye a l'air bonne."
Nacyl haussa un sourcil, caressant sa barbe grisonnante datant d'une semaine environ, et se redressa pour commencer la lecture.
-"Je te laisse bouquiner tout ca j'ai autre chose à faire, apparement c'est un truc de l'an dernier, un vrai massacre, ils ont jamais pu avancer donc ils te le refilent."
-"Ouais je vais encore récuperer ce dont personne ne veut se charger. Enfin merci pour le résumé au moins je sais à quoi m'attendre, je verrai ca demain du coup."
-"Fais le maintenant, l'autre a dit que c'était urgent et que ca avait assez trainé."
Il déposa sa pipe encore fumante sur le coté du bureau tandis que son interlocuteur sortait, et commenca la lecture du dossier.
L'après midi passa plus vite que prévu, ponctué d'exclamations variées et de plusieurs rasades de bière. Il reposa la dernière page en soupirant, et se tourna vers son fidèle compagnon, qui n'avait pas bougé non plus de la journée.
-"Et ben mon gars, j'espère que t'as pas perdu ton flair depuis le temps !"
La seule réponse de son ami canin arriva sous forme d'un jappement, lui rappelant qu'il était l'heure de manger.
-"Ca va, ca va, tu vas l'avoir ta bouffe, attends un peu !"
Il déposa la gamelle pleine de viandes en tout genre près du bureau, et retourna s'asseoir, vautré comme à son habitude, parlant à son chien qui ne semblait guère s'en soucier.
-"On part demain bonhomme, va falloir retrouver une gamine, et y'a interêt à être prudent vu ce qu'elle a fait la dernière fois qu'elle a été vue."
Il passa le début de soirée à relire et à trier les élements importants parmi la pile d'informations dont il disposait, et se retrouva finalement avec une bien maigre piste. Il placa le tout dans son vieux sac, accompagné de quelques rations et de son materiel habituel, puis s'écroula sur son lit comme de coutume, ronflant jusque tard dans la matinée.
Chapitre III
-"Et bah c'est pas trop tôt, quel bled paumé !"
Un hennissement visiblement approbatif de sa monture fatiguée provoqua un sourire chez le vieil archer tandis qu'il mettait pied à terre, donnant un peu d'eau dans une gamelle à son chien dont la langue pendait jusqu'au sol depuis une bonne distance déjà.
Il extirpa de sa poche un trousseau de clef, consultant le numéro puis cherchant du regard dans la ruelle déserte.
-"Allez Fergus ramènes toi, c'est là."
Il donna une tape sur sa cuisse et le chien s'executa à contre coeur, visiblement plus motivé à dormir qu'à suivre son maître.
La porte grinça sur ses gonds, une odeur de renfermé émanant de la pièce, restée close depuis le départ du proprietaire.
-"Allez on traine pas, c'est au troisième si je me rappelle bien."
Le texte peint sur la porte confirma les dires de sa mémoire, et il entra en forcant un peu.
Il ne put réprimer un mouvement de dégout à la vue de la mare de sang sechée, au pied du lit, et commenca par ouvrir la fenêtre pour aérer un peu, avant de sortir de ses poches l'un des croquis.
-"Bon ca semble bien correspondre, elle était endormie là, et on l'a retrouvée massacrée ici par les plantes... Et tout ca sans réveiller son conjoint, c'est pas croyable quand même."
Le chien n'écoutait de toute façon pas grand chose, étalé de tout son long dans le couloir, goûtant à un repos bref mais merité.
-"Elle les a quand même pas inventées ces plantes, doit bien y avoir un truc là dedans..."
Il réflechissait en se grattant le menton, vieille manie chez lui, faisant les cent pas dans la pièce. Nacyl se pencha par la fenêtre, tirant un peu sur le lierre pour juger de sa solidité. Il resta perplexe en voyant la plante s'arracher si facilement du mur.
-"C'est pas possible qu'elle soit montée par là... Même un chat décrocherait ce truc comme de rien..."
Après plusieurs heures de réflexion sans le moindre résultat probant, il quitte l'endroit avec davantage de questions que de réponses à fournir.
-"Bon, demain on part dans cette forêt, c'est là qu'on l'a vue s'enfuir, et je te parie mon arc qu'elle y est toujours."
Le temps était au beau fixe lorsqu'il se mit en route,à pied aux cotés de son cheval, suivi de près par un Fergus enthousiaste.
A son dos pendait un arc en bois usé mais robuste, qu'il maniait depuis plus d'une décennie, ainsi qu'un carquois plein de flèches de différentes tailles. En dépit de son aspect bourru et pataud, le vieux Nacyl était un archer hors pair, et son chien un fin limier, tandem jouissant d'une réputation qui n'était plus à refaire dans le pays.
C'est pourtant avec un sentiment mitigé qu'il prenait la route du bois, sentant bien que la recherche de cette gamine allait le mener au devant de quelque chose dont il se méfiait, même si il n'avait pas la moindre idée de ce dont il pouvait s'agir.
Le bois était assez vaste, mais la carte suffisament detaillée pour qu'il ne se perde pas, et les provisions devraient lui permettre d'explorer durant plusieurs semaines, ce que les précedents enquêteurs avaient bien tenté de faire, jusqu'à leur retour quelques jours après, décrivant une forêt complètement impraticable.
Il orienta ses pas vers la source la plus importante du bois, partant du principe que n'importe qui vivant dans le bois devrait avoir besoin d'eau tôt ou tard, et il comptait bien y être deux jours plus tard si la carte ne mentait pas.
La première journée se déroula sans le moindre incident notable, bien qu'au fur et à mesure qu'il s'enfoncait, la forêt semblait devenir plus oppressante. Fergus le suivait d'ailleurs de près, toujours sur ses gardes, et l'archer avait appris à faire confiance à l'instinct de son fidèle compagnon.
Il constata surpris qu'il était parvenu à la source avec un peu d'avance, et observa soigneusement les lieux avant d'y descendre. Une petite cascade alimentant un lac d'une vingtaine de pas de longueur, se vidant dans un gros ruisseau qui serpentait à travers la forêt. La densité d'arbres était importante et les berges étroites, et bien que ne pouvant rien voir, son chien en arrêt confirma une présence.
Après avoir attaché calmement la bride de son cheval, il ôta l'arc de son dos, le gardant en main au cas où, et commenca à descendre silencieusement le petit dénivelé qui menait au lac.
Son regard se posa directement sur la silhouette assise contre un arbre, de l'autre coté de l'étendue d'eau. Une jeune femme à la couleur de cheveux si particulière, aucun doute sur la personne, et il resta un instant perplexe de la trouver aussi facilement.
-"Y'a un truc qui cloche mon vieux Fergus, ca fait un an qu'ils la cherchent et nous on la trouve en deux jours..."
Il avanca de quelques pas jusqu'à sortir de la lisière des bois, mettant ses mains en porte-voix.
-"Elsa !"
La silhouette sursauta, et resta quelques instants immobile à le fixer.
-"Je te veux pas de mal !"
Il n'avait même pas fini sa phrase que la jeune femme avait disparu dans l'épaisseur de la forêt.
-"Qu'est-ce que je disais... Allez à toi de jouer mon vieux, vas y doucement..."
Il donna une petite tape amicale sur le flanc de son chien qui s'élanca sur les traces d'Elsa, profitant d'un petit gué un peu plus bas.
-"Doucement j'ai dit !"
Son maître éprouva quelques difficultés à passer le gué, et arriva finalement à l'endroit où elle était assise, sans trouver aucune trace, en revanche le chien semblait déjà avoir une piste.
Ils avancèrent d'un bon pas jusqu'à ce que la nuit tombe, et Nacyl installa son campement improvisé au pied d'un gros arbre.
-"Bon allez on reprendra demain, de toute facon la piste a l'air facile à suivre."
La nuit s'annoncait longue, il ne comptait pas se risquer à dormir dans ce genre de situations, tout au plus à somnoler, mais c'était compter sans son âge déjà par trop avancé, et il finit par sombrer dans un sommeil lourd et réparateur alors que la lune atteignait son zénith.
Il ne s'éveilla que tard dans la matinée, se maudissant de s'être ainsi laissé aller.
-"Fergus ! Ramènes toi, on y va !" cria-t-il en se levant, son chien ayant souvent l'habitude de partir se balader dès l'aube.
Plusieurs minutes s'écoulèrent, le campement était levé, et une vague inquiétude commenca à envahir le vieil homme en ne voyant pas rentrer son compagnon.
-"Ferguuuuuuus !"
Sa voix déchira le silence quelques instants, sans trouver le moindre écho, et avec un affolement perceptible il examina les alentours du campement.
-"Fergus va bien, vieil homme."
La voix, pourtant douce, le fit sursauter, et après un rapide tour sur lui même, il saisit doucement le couteau de chasse pendouillant à sa ceinture.
-"Montres toi au moins !"
Il s'efforcait de montrer de l'assurance, mais sa voix chevrotante trahissait son inquietude, son chien étant ce à quoi il tenait le plus, depuis toutes ces années.
La silhouette se laissa glisser des branches de l'arbre, semblant trouver appui avec facilité sur le tronc, et avanca à quelques mètres de l'archer qui la devisageait.
-"Ton chien va bien, du moins ca sera le cas tant que tu ne me feras rien, ca me parait une bonne base, non ?"
Il hocha la tête en rengainant son arme, la détaillant des pieds à la tête avec une stupeur à peine dissimulée.
Elle portait pour tout vêtement deux bouts de tissus, respectivement une sorte de pagne et une bande entourant sa poitrine, nouée dans son dos, sans qu'il soit possible de dire d'où provenait ce tissu, de couleur rouge claire, presque transparent par endroits du fait de l'usure. Sa peau semblait depigmentée, presque parfaitement blanche, bien qu'elle ait l'air en bonne santé et relativement bien nourrie. Sa chevelure évoquait davantage un amas de plantes au premier abord, mais à courte distance les mèches pourpres se distinguaient encore, dégageant ses oreilles, chacune agrementée d'une petite fleur.
Elle soupira en réponse à son silence, croisant les bras.
-"J'imagine que c'est les autorités qui t'envoient, comme la dernière fois ? Ils auront au moins pris quelqu'un d'un peu plus compétent cette fois, mes ronces ont suffit à décourager les derniers poursuivants."
Un sourire illumina son visage, et le vieux grommela quelque chose d'inaudible, decontenancé par cette présence qu'il trouvait fort à son goût.
-"T'as raison, c'est bien pour ca que je suis là. Enfin vu le dossier j'aurais peut être mieux fait de t'épingler comme un papillon, mais je me suis dit que ca aurait été un beau gachis."
-"Et qu'est-ce que tu comptes faire ? Me ramener en ville ?"
Le ton était à demi ironique, et il haussa les épaules.
-"J'en sais rien en fait, j'aimerai juste comprendre cette histoire, quitte à raconter des bobards à mon retour, de toute facon ils me payeront quand même. Ca me gène pas de courir après des pauvres types ou des assassins, mais une gamine dans ton genre faut avouer que c'est pas courant."
-"Comprendre ? Je pense que tu dois pouvoir comprendre tout seul en me voyant, j'y suis arrivée, y'a pas de raison que toi non plus."
Il secoua la tête en grommelant pour lui même.
-"T'as trouvé des graines d'une plante qui fait ce que tu veux ?"
Elle le regarda quelques instants en souriant, secouant la tête d'un air enfantin pour le mettre mal à l'aise.
-"J'en sais rien alors, et puis je m'en fous, relâches Fergus et je sors de cette foutue forêt en disant que j'ai rien trouvé si tu veux."
Sa mauvaise foi dissimulait à peine sa curiosité, mais sa fierté l'empêchait d'entrer dans le jeu d'Elsa.
-"T'en fais pas pour ton chien. Tiens regardes."
Elle avanca de quelques pas jusqu'à se trouver juste devant lui, et ramassa une poignée de terre dans la paume de sa main sous le regard attentif de l'archer.
-"Tu vois cette terre ?"
Il hocha la tête, sans trop savoir où elle voulait en venir.
-"Tu marches dessus depuis des jours, t'es-tu seulement demandé ce qu'elle pouvait renfermer ?"
Elle leva les yeux sur lui, le fixant quelques instants, puis referma ses doigts sur la terre. Elle baissa à nouveau les yeux sur sa main, sachant très bien qu'il la suivait du regard, tandis que ses doigts s'écartaient peu à peu, libérant une petite plante à la croissance surnaturelle.
La jeune femme déposa le végetal aux pieds de Nacyl, et se redressa lentement, accompagnant la croissance de la plante dont les plus hautes feuilles parvenaient déjà à hauteur des épaules du vieil homme.
-"C'est... pas croyable..."
Il reste à examiner la plante de longues minutes, comme pour vérifier qu'elle était bien réelle, sous le regard amusé de son interlocutrice.
-"Tu contrôles les plantes... j'avais imaginé tout un tas de trucs possibles mais j'étais sur les mauvaises pistes, et de loin..."
-"Je ne les contrôle pas, je suis en harmonie avec. Cette forêt me protège et m'aide, tu ne t'en rends sans doute pas compte mais ces plantes sont vivantes."
Un vague frisson parcourut sa colonne vertebrale en songeant à ce qu'il arriverait si il se montrait hostile, se souvenant des croquis et de la chambre.
-"Et tu comptes rester ici pour toujours ?"
Elle marqua un temps d'arrêt, visiblement derangée par cette question.
-"Je n'en sais rien, assez longtemps pour qu'on m'oublie en tout cas."
-"Cette histoire fait encore beaucoup parler en ville... Un massacre pareil ne passe pas inaperçu."
Elle ne répondit rien, continuant à jouer avec les feuilles de sa plante comme si de rien n'était.
Son regard passa de la plante à la jeune femme, il prit une lente inspiration, sachant très bien qu'il regretterait ce qu'il allait dire, mais son coeur l'avait toujours emporté sur sa raison.
-"Laisses moi t'aider, une gamine dans ton genre mérite pas une vie pareille."
Ses quelques paroles semblaient peser un poids infini, et un lourd silence s'installa durant plusieurs minutes.
-"Qu'est-ce que tu en sais, et puis tu peux pas y faire grand chose."
-"Je peux essayer au moins."
Elle fit demi-tour en direction de l'arbre, et grimpa dans les branches avec une facilité déconcertante, sous le regard pensif de Nacyl.
Moins d'une minute s'écoula avant qu'elle ne redescende, transportant une cage de branchages dans laquelle gigotait Fergus, soigneusement muselé par des tiges et des feuilles.
Elle le déposa aux pieds de son maître, qui s'empressa de défaire les liens et de libérer son compagnon, lequel ne témoigna pas la moindre aggressivité.
Il leva les yeux et regarda brièvement autour de lui sans voir la moindre trace de la jeune femme.
-"Et merde je me suis encore fait avoir !"
Il donna un coup de pied rageur dans son sac, et réinstalla son campement, bien decidé à rester ici tant qu'il aurait assez de provisions.
La patience était une de ses qualités, et les jours défilèrent peu à peu, avec une monotonie navrante, si bien qu'il avait commencé à tenir un petit journal. Fergus semblait apprécier la forêt et à l'inverse de son maître, ne s'ennuyait pas le moins du monde, passant ses journées à fureter dans tous les coins ou à dormir.
Sa dixième nuit s'acheva par ce qu'il attendait, constatant avec une satisfaction apparente que la jeune femme était revenue, assise en tailleur en face de lui, le chien allongé à ses cotés.
-"Tu as le sommeil lourd pour un chasseur, vieil homme."
-"Appelles moi donc Nacyl au lieu de me rappeler mon âge à chaque fois."
Le rire léger d'Elsa emplit la forêt quelques instants, sans doute plus à cause de la manière de bougonner que des paroles de l'archer.
-"T'as dit que tu voulais m'aider, j'imagine que tu as pu réflechir depuis la dernière fois."
-"J'ai pas changé d'avis, je suis aussi borné que patient, faudra t'habituer."
-"Et pourquoi je te ferais confiance, je t'ai rendu ton chien, tu pourrais tout aussi bien m'envoyer au fond d'un cachot et toucher ta prime, ca serait d'ailleurs plus logique pour toi."
-"Tu pourrais aussi bien me tuer et recupérer tous mes biens puis vivre ta petite vie dans un an ou deux quand tout le monde aura oublié ma vieille carcasse."
-"C'est pas faux."
Elle esquissa un sourire à la répartie de son interlocuteur, pour qui elle éprouvait une certaine sympathie.
-"Je sors de là et je dis que j'ai rien trouvé, en faisant un beau petit rapport pour les mettre en confiance, je récupère la prime et je vends ma barraque en prenant ma retraite, puis je reviens te chercher et on quitte la région."
Il marqua un temps d'arrêt en la regardant.
-"Ensuite on s'installe le plus loin possible d'ici, y'aura qu'à dire que tu es ma fille, et tu reprends une vie normale."
-"Ta fille ?"
Il grommela en haussant les épaules.
-"J'ai jamais eu de gosses ni de mariage, la place est libre si t'as envie de me supporter comme paternel."
Elle se leva et se retourna quelques instants, semblant réflechir alors qu'il se levait, s'étirant pour chasser quelques courbatures.
-"T'es fou, mais pourquoi pas !"
Elle se retourna, le visage radieux, et déposa un baiser sur sa joue, provoquant quelques bougonnements.
-"On fait comme tu veux papa !"
-"Je... je vais finir de me réveiller déjà, doucement."
Il était plus rougeaud qu'à la normale, et semblait être plus gêné de son nouvel état de père adoptif que ne l'était Elsa, ce qu'elle ne manqua pas de saluer de son rire léger.
-"On a qu'à faire route ensemble jusqu'à la sortie du bois, j'en aurais pour deux ou trois jours ensuite, je ferais vite."
-"Comme tu veux papa."
Il se contenta de sourire en grommelant un peu, à la fois excedé et ravi de s'entendre affublé de ce titre de père.
Avec la complicité d'Elsa, il arriva à la lisière du bois en une journée, alors qu'il lui avait fallu le double à l'aller, et ils se separèrent sans grande céremonie, le rendez-vous étant convenu trois jours plus tard.
A la date convenue, il était bien de retour, mieux vêtu que la première fois, et son cheval plus chargé encore, emportant avec lui tout ce qui lui était cher, ce qui representait bien peu de choses par rapport à ses achats pour Elsa.
Il n'eût guère de mal à la trouver, ou plutôt à se faire trouver.
-"J'ai pris de quoi t'habiller un peu et te rendre plus présentable, t'iras pas bien loin sinon."
Elle hocha la tête en récuperant la pile de vêtement et la petite sacoche, et s'enfonca à l'abri des feuillages durant de longues minutes.
-"Ca va, comme ca ?" fit la jeune femme en écartant les bras, visiblement sceptique sur son allure.
-"Je regrette pas d'avoir attendu, tu m'épates, gamine."
Il resta un moment à la détailler du regard, à la fois surpris et rassuré, se disant qu'il aurait moins de mal que prévu à lui reinculquer les principes de la societé.
La robe qu'il avait mis tant de temps à choisir lui allait comme un gant, et ses cheveux, une fois bien coiffés, mettaient en valeur son visage de fort belle façon, du moins selon ses critères.
Les maquillages divers avaient pu attenuer un peu sa pâleur naturelle, et son regard ne manquerait pas de captiver ses interlocuteurs, c'est du moins ce à quoi pensait Nacyl, se gardant toutefois de dire quoique ce soit.
-"Tiens, ajoutes ca par dessus, et il n'y aura plus qu'à installer des bancs dans le jardin pour faire patienter tes courtisans."
Elle prit le chapeau qu'il lui tendait, haussant les épaules en placant le couvre-chef sur ses cheveux.
-"J'y pensais, en te voyant comme ca, tu as quel age au fait ?"
Elle soupira en le regardant.
-"Vingt et un printemps."
Il hocha la tête et s'approcha d'elle, examinant le chapeau.
Après quelques ajustements, le tandem se mit en route, semblant tout droit issus d'un musée de l'habillement pour l'un, et d'une réception mondaine pour l'autre...
Chapitre IV
-"Elsaaaaa ! Viens m'aider bon sang !!"
-"J'arrive p'pa !"
Elle dévala l'escalier quatre à quatre, manquant de trébucher sur le vieux Fergus, et arriva juste à temps pour remettre en équilibre l'étagère avant que son contenu ne glisse.
-"Ces foutus clous ont laché, y'a pas moyen de faire quoique ce soit avec un materiel aussi pourri !" grommela Nacyl en donnant un coup de marteau pour renfoncer le clou en question, qui se montra une nouvelle fois récalcitrant, provoquant l'hilarité d'Elsa.
-"Si tu arrêtais de raler pour une fois et que tu prenais le temps de surveiller ce que tu fais, regardes, c'est pas un clou, c'est une vis, même moi je le sais !"
Il ne répondit rien lorsqu'elle lui montra la vis en question, complètement tordue sous l'acharnement du bricoleur, et se contenta de bougonner quelque chose d'inaudible en direction de l'étagère.
-"Tiens prends la bonne boîte ca ira déjà mieux, et arrêtes de cogner comme ca, on dirait que tu refais le mur !" ajouta-t-elle en lui tendant la boîte de clous avec un large sourire.
La valse des coups de marteaux reprit rapidement tandis qu'elle remontait, adressant une petite tape compatissante sur la tête de Fergus au passage.
Voila déjà deux années qu'ils s'étaient installés dans la capitale, et pourtant Nacyl avait entrepris de rendre leur quotidien plus pratique avec son bricolage, du moins c'est ce qu'il esperait, ses tentatives se soldant plus souvent par des échecs qu'autre chose. Sa fille adoptive s'en souciait peu, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, au moins ca l'occupait.
Le vieil archer avait plus d'une corde à son arc, et était parvenu à leur assurer une existence relativement insouciante, dans une villa digne des notables de la ville, à partir de ses rentes et d'une fortune non négligeable amassée au cours de ses voyages. Sa nouvelle vie de citadine semblait convenir à Elsa, pour qui les portes s'ouvraient les unes après les autres malgré ce que beaucoup qualifiaient d'excentricité chez la jeune femme, et qui la rendait d'autant plus particulière.
Nul n'avait posé trop de questions sur son passé, et elle était passée maître dans l'art des détournements de conversation, sortant bien souvent le vieux Nacyl de situations confuses, ce qui avait fait naître chez eux une complicité à toute épreuve.
-"Toujours pas fini avec cette étagère ?" lui lanca Elsa en redescendant, ajustant son dernier investissement dans le large miroir du salon.
-"Si, je crois que ca tient cette fois !"
-"Dis moi, celui là me va bien ?"
Il se retourna en s'essuyant les mains sur son gros tablier, et laissa échapper un sifflement admiratif en la voyant.
-"T'as de la chance que j'ai quarante ans de plus que toi, sinon je t'aurais demandé en mariage depuis belle lurette, t'es ravissante gamine, même trop pour ma pauvre vue..."
Elle lui répondit par un grand sourire, finissant de retoucher son couvre-chef, et s'avanca vers la sortie.
-"Je sais pas quand je reviendrai, y'a une réception chez les Melquiseau ce soir, tu sais, ceux qui ont lancé les travaux sur la place ?"
-"Ah oui, je connais de vue, enfin je te fais confiance tu te débrouilles mieux que moi avec tout ca."
-"A demain p'pa, et oublies pas de ranger la pièce avant de monter !"
Il hocha la tête et laissa échapper un long soupir en jugeant de l'étendue de la tâche, tandis que la porte se refermait.
Chapitre V
Elle arriva aux grilles des Melquiseau en même temps qu'une bonne partie des convives, et constata avec soulagement qu'elle n'était pas la seule à être venue à pied, le ballet traditionnel des diligences étant même plutôt réduit.
Les hôtes étaient reputés pour leur convivialité, et ils ne firent pas défaut à la rumeur, le buffet gargantuesque aurait ravi n'importe qui, et les discussions semblaient aller bon train dans la salle principale.
Après quelques minutes à chercher, elle finit par apprendre avec une certaine déception que le couple De Ravelen, qui l'avait invitée à se joindre à eux, s'était decommandé.
Elsa évita soigneusement le buffet, la quantité de plats à base de végetaux la répugnait par avance, et bien qu'elle avait appris à controler ses émotions, cela ne la mettait pas vraiment à l'aise. Elle finit par trouver une place convenable à l'un des balcons, observant les invités entrer et sortir dans l'allée plus bas, dans l'attente d'apercevoir un visage connu.
-"Mademoiselle, permettez que je vienne également ?"
La voix la fit presque sursauter, et elle se retourna, se contentant de sourire en hochant la tête.
-"Vous êtes certaine ? On dirait que je vous dérange, je peux aller ailleurs si vous préferez..."
-"Non non, faites donc, j'étais juste en train de regarder les derniers arrivants."
L'inconnu ne se fit pas prier et se placa de l'autre coté, face à elle.
-"Je vois que vous n'avez rien, peut être voulez vous quelque chose à boire ?"
-"Non, merci, ca ira."
-"J'en oubliais de me présenter, il ne me semble pas avoir eu le plaisir de vous rencontrer auparavant, Finegas Melquiseau, fils aîné du maître de maison."
Il ponctua sa phrase d'un sourire aimable, la mettant encore plus mal à l'aise.
-"Elsa Gautrel, je doute que vous connaissiez mon père, à vrai dire je devais accompagner les De Ravelen ce soir, mais ils semblent avoir eu un empêchement..."
-"Peu importe, l'essentiel est que vous soyez là, profitez donc de la soirée, bien que le buffet ne semble pas vous inspirer, peut être voudriez vous que je vous fasse venir autre chose ?"
-"Merci, ne vous dérangez pas, je n'ai pas très faim ce soir..."
-"A vrai dire moi non plus, je laisse les affamés se servir... Voyez l'homme brun là bas ?"
Il désigna du regard le coin du buffet, où se trouvait un petit groupe d'invités, et elle distingua sans peine celui dont il parlait.
-"Il arrivera bien à épuiser le cuisinier à lui seul, ne le répetez pas, mais on le surnomme "le puits sans fond" depuis plusieurs années déjà..."
Elle ne put réprimer un sourire à l'entente de cette anecdote inattendue, son interlocuteur réussissant peu à peu à la décontracter.
Il lui inspirait confiance, bien qu'elle n'aurait guère été capable de déterminer son âge, et il ne manquait pas de charme, ce qui la freinait bien souvent dans ses conversations.
La soirée et la conversation allaient bon train, touchant pour sa plus grande satisfaction à des sujets variés où elle pouvait s'étendre sans craindre de trop en dire, ce que semblait apprecier son interlocuteur.
-"Voila des heures que nous sommes sur ce balcon, que diriez-vous d'aller nous dégourdir les jambes dans le parc ? Il n'est pas ouvert aux invités normalement mais nous ferons une petite exception pour vous, ca compensera le buffet raté."
Malgré son envie de dire non, elle ne put faire autrement que d'accepter, et s'engagea dans les couloirs du domaine à la suite de Finegas, pour finalement déboucher sur le parc.
-"C'est un endroit que j'affectionne particulièrement la nuit, la nature semble reprendre vie à la tombée du jour, les plantes sont arrosées en fin de journée et les rayons de lune se reflètent dans les gouttes d'eau, c'est magnifique."
Elle haussa un sourcil en l'entendant évoquer la nature, décidant de continuer sur ce sujet qui lui était cher.
-"Vous semblez apprécier la nature..."
-"Plus que tout, à vrai dire je passe une grande partie de mon temps libre seul dans les bois. Je passe pour un piètre chasseur, revenant toujours bredouille, et pour cause je ne fais que me promener."
Elle répondit par un sourire qu'il sembla apprécier.
-"Je ne vous pose même pas la question, à vous voir on devine sans peine que vous l'appreciez aussi."
Une vague inquietude la traversa à cette remarque pourtant anodine.
-"Ah oui ? Pourquoi donc ?"
-"Et bien je connais peu de monde qui préfere une promenade nocturne dans ce parc à un buffet bien garni, puis vous semblez plus "naturelle" que les dindes fardées qui se baladant à la réception !"
Il porta la main devant sa bouche comme pour faire mine de n'avoir rien dit, pouffant un peu, tandis qu'Elsa riait de bon coeur, à la fois de la boutade et d'imaginer la tête qu'il ferait en sachant la quantité de produits qu'elle utilisait pour redonner un peu de couleur à sa peau.
-"Nous arrivons au bout de l'allée, j'imagine que vous n'avez guère envie d'aller dans la boue et les herbes folles, nous ferions mieux de nous en retourner."
Elle hocha la tête bien que l'envie ne lui manquait pas de quitter l'allée.
En se retournant, ils constaterent que l'allée se remplissait peu à peu de promeneurs ou de petits groupes de discussions.
-"Ah, ils ont ouvert, on dirait que le buffet ne suffisait plus à retenir les affamés, ils sont venus voir si il y en avait un autre ici..."
-"Je vous trouve bien insouciant, ce n'est pas vraiment le tableau que je me dressais de quelqu'un dans votre position... Vous ne ressemblez guère à votre père, si je puis me permettre."
Elle observait les différents visages tout en marchant, se demandant si elle apercevrait enfin quelqu'un de connu.
-"Oh, permettez vous, ce n'est un secret pour personne, d'ailleurs je laisserai mon frère s'occuper des affaires familiales le jour venu, j'ai autant de mal à m'occuper de ce genre de problemes que vous à vider le buffet d'une réception."
-"C'est vrai que j'ai un appétit d'oiseau, en tout cas je..."
Elle se retourna brusquement, provoquant un hoquet d'étonnement chez son hôte, et fit quelques pas en sens inverse, lui faisant signe de la suivre, enfoncant son chapeau sur ses cheveux.
-"Venez, vite !"
Elle chuchotait peu discrètement, et après quelques mètres s'efforca de reprendre une marche normale, tournant un peu le visage de coté pour ne pas qu'il la voit.
-"Que se passe-t-il ? Tout va bien ?"
Il suivait en la regardant, ne comprenant rien.
-"Je... Je vous expliquerai ! Il y a une autre sortie à ce parc ?"
-"Une autre sortie ? Bien sur, mais pourq..."
Elle accelera le pas, l'empêchant de finir sa phrase.
-"Vous êtes certaine que tout va bien ?"
-"Je vous en prie, suivez moi, et faites comme si de rien n'était."
La voix était presque inaudible, et il cessa de la questionner, se contentant de la suivre sans rien comprendre.
Arrivés de nouveau au bout de l'allée, hors de vue du reste des convives, elle s'arrêta, tenant son visage entre ses mains.
-"Elsa, dites moi donc ce qui se passe, je vous aiderai si je..."
-"Ca va aller !"
Il s'efforca de ne pas la déranger, observant la lune tandis qu'elle reprenait ses esprits peu à peu.
-"Cet homme, sur le banc... Savez vous son nom ?"
Il sembla réflechir un instant.
-"Je n'ai pas bien vu, mais il me semble qu'il s'agissait de Mostyn Stollvor, une des relations d'affaire de mon père, je crois qu'il tient un commerce florissant en ville..."
Elle tressauta en entendant prononcer le nom.
-"Vous pensez qu'il m'a vue ?"
-"Je... je n'ai pas fait attention, mais pourquoi ne devrait-il pas vous voir ?"
-"Il ne faut surtout pas qu'il me voit, il ne doit même pas savoir que je suis là !"
Il resta un peu surpris d'une telle réaction.
-"Et bien vous n'avez qu'à repartir par la grille du parc, et j'éviterai de parler de vous, je vous en donne ma parole, si ca peut vous aider, bien que je ne comprenne pas grand chose à tout ceci..."
Elle hocha la tête et il la mena à travers le parc en direction de l'autre sortie, marchant doucement pour lui laisser le temps de se remettre.
-"A voir dans quel état vous êtes j'imagine que c'est quelque chose de grave, mais ca ne me regarde sans doute pas..."
Elle ne répondit rien, le visage tourné sur le coté, sachant très bien que ses larmes avaient fait couler le fard et le maquillage.
-"J'effacerai votre nom du registre des invités si cela peut vous rassurer, mais j'aimerais une chose avant que vous partiez..."
Il laissa quelques instants de silence s'écouler avant de finir sa phrase.
-"Je veux que vous vous tourniez vers moi et que vous me fassiez un joli sourire comme vous en avez le secret, peu importe si vos yeux sont rougis par les larmes ou l'émotion, il ne faut pas vous cacher comme ca."
Sans même se retourner, elle sentait son regard se poser sur elle, sans doute affichait-il le même sourire bienveillant qui l'avait enveloppée toute la soirée.
Il s'arrêta à quelques mètres de la grille.
-"Allons, un sourire ne vous coutera pas grand chose, et je vous quitterai avec cette image de vous, c'est tout de même mieux que votre dos, à moins que vous ne m'ayez caché vos liens de parenté avec les crabes."
Elle haussa les épaules, souriant bien malgré elle.
-"Ce n'est pas vraiment à cause de mes yeux rougis que je ne vous regarde pas en face, je ne voulais juste pas vous donner une image de moi qui vous déplaise."
-"C'est absurde, voyons, il n'y a rien de mal à ressentir des émotions et je..."
-"En verité je n'ai rien à envier à vos amies les dindes au niveau du fard, j'ai le teint très pâle, et ces produits sont le seul moyen de me redonner un peu de couleur... J'imagine que le résultat ne doit pas être très agréable avec les larmes, je vous laisse juge."
Elle se retourna doucement, les yeux baissés, attendant une réaction.
-"Ce n'est pas grave, levez donc les yeux, et un petit sourire, allons..."
Il placa sa main sous son menton, le redressant un peu, lui souriant malgré tout.
Elle n'avait pas menti, et le maquillage s'était en bonne partie dissipé, révelant sa pâleur naturelle.
-"Vous avez tort de vous dissimuler sous ces produits, votre couleur de peau naturelle ne vous dévalorise pas du tout."
Elle fit la moue en baissant à nouveau les yeux.
-"Je veux juste que vous me promettiez que vous allez bien, n'est-ce pas ?"
La réponse s'avera positive et fut accueillie avec un certain soulagement par le fils Melquiseau.
-"Je vous expliquerai tout demain, si vous le voulez bien, je vais rentrer..."
-"Comme vous voudrez, que diriez vous de discuter de tout ceci dans le bois au sud de la ville ? Loin des réceptions, sans fard ni buffet, ce sera mieux pour vous autant que pour moi, en début d'après midi, ca vous conviendrait ?"
-"Ca sera parfait, oui..."
-"Je vous attendrai à la lisère du bois, sur la route, vers treize heures, soyez ponctuelle, j'exigerai un sourire pour chaque minute de retard."
-"Merci..."
Elle s'éloigna d'un pas rapide, plus pressée que jamais de retrouver sa chambre.