Provient du message de
Bonald
A vrai dire, même si on peut essayer d'y trouver un interet ludique ou litteraire, je ne sais pas comment tu fais pour le trouver des plus interessants
Parce que je pense que des qualités littéraires et ludiques sont un intérêt en soi. Un livre qui ne se propose que d'être une récréation et une expérimentation sur les signifiants a déjà pour moi un intérêt énorme et suffisant.
Mais l'intérêt existe parce que lecteur et auteur ont conclu un accord tacite, qu'ils s'amusent sur un code maîtrisé commun. Tout lettré n'appréciera pas nécessairement le livre, il suffit de lire les réactions ici. Mais un illettré sera incapable de l'apprécier dans tous les cas.
Je ne pense pas que cela soit un encouragement au relâchement de l'écrit. Au contraire même, seule une maîtrise de l'écrit permet de l'apprécier (même si la condition est nécessaire et pas suffisante).
Pour essayer d'être plus concret. Il y a quelques temps déjà une personne avait écrit un long récit, une fiction mais où on devinait que l'auteur avait mis beaucoup de choses personnelles et chères. C'était sur un forum, pas celui-ci, l'internet permettant cette facilité de publication et l'accès rapide à un lectorat, bien que limité.
Le problème est que la personne qui avait écrit était une chinoise vivant en France et que sa maîtrise de la langue écrite était plus qu'aléatoire. Disons que son texte ressemblait formellement beaucoup au texte du livre.
Personne ou presque ne l'a lue mais elle a eu droit à des remarques méprisantes, du type de celles qu'on peut lire sur les premières pages de ce fil. « Apprends à écrire, retourne à l’école, bla bla ». Le pire étant que le plus souvent les remarques venaient de personnes
grammatically challenged (j'adore cette litote dont je cherche encore un équivalent dans notre langue).
J'ai alors proposé à la personne de lui reprendre son texte pour l'écrire dans un français correct. Je l'ai fait sur deux paragraphes. Et j'ai arrêté. Le problème était bien plus profond que de simples corrections orthographiques. Il fallait modifier le style et redresser les expressions syntaxiques. Il fallait fixer le sens également, ce qui n'était pas évident à cause de la polysémie involontaire (renvoi à mon message précédent sur les multiples significations de Pa SAge a TaBa). Mais j'ai surtout arrêté à cause d'une difficulté encore plus fondamentale : à lire son texte sans a priori, il sonnait comme des vers des Mallarmé, alors que mon texte dans un français correct était totalement plat. J'affadissais son texte en fixant les audaces du style ou en fixant le sens en détruisant le mystère qui entourait la signification.
Mais tout est dans l'oeil qui regarde. Et la beauté résidait ici dans l'originalité de la distance relative par rapport à la norme. Distance assez forte pour que le texte soit touchant par son audace involontaire et son originalité. Mais distance assez faible pour que la norme reste encore en vue (une suite aléatoire de lettres n'a certainement aucune espèce de beauté).
Provient du message de Acalon
Je ne suis pas d'accord avec l'argumentation de Caepolla. L'écrit s'oppose en bien des manières sur l'oral. Facteur de sélection très net dans notre cursus scolaire, facteur de culture, facteur d'enrichissement intellectuel, l'écrit n'est pas simplement une logique qui pourrait être suivie ou dépassé, comme on change les règles d'un jeu de cartes, et qu'on passe de la bataille au solitaire.
Le langage écrit et particulièrement le Français, est considéré comme une preuve de notre capacité d'insertion sociale et professionnelle, ce que tu soulignes bien dans ton expérience sur le soutient scolaire. En faire de la dérision ou de la caricature comme ce livre de 32 pages, c'est bouleverser l'ordre de notre société, et accroître les difficultés des plus faibles pour s'y réinsérer.
Je ne sais pas si nous sommes si en désaccord que cela. Je pense également que l'écrit ne vit pas dans la dépendance de l'oral. Et parce que l'écrit procède d'une élaboration formelle plus complexe que l'oral, il n'est pas rare que l'opposition oral/écrit recouvre l'opposition populaire/savant. Or toute la difficulté est de réussir à faire comprendre et rendre familier avec cette spécificité de l'écrit. Et le problème est bien plus large que les seuls cancres. Les méthodes d'apprentissage de la lecture, notamment la méthode classique dite syllabique, peuvent permettre à la personne d'atteindre un niveau de maîtrise acceptable en lecture et écriture pour la vie courante, mais tout à fait insuffisant pour des études supérieures.
Et je suis d'accord sur le fait que les tentatives pour légitimer les pratiques langagières des classes culturellement dominées (pour parler comme Bourdieu) est enfermer ces personnes dans un ghetto. C'est les maintenir là où elles sont et leur dénier toute possibilité d'ascension sociale. Et l'institution scolaire est capable d'exercer une sélection et une violence terrible (je m'en rends d'autant plus compte que nous sommes tous les deux dans l'enseignement désormais :/) sur ceux qui n'ont pas la structure de pensée requises par les positions qu'ils souhaitent atteindre.
Par contre, et je crois que là est notre divergence, je ne pense pas que tel soit le projet de l'ouvrage. Même si on ressent quelques thèmes un démagogiques autour (par exemple, toujours ce communiqué de presse qui se targue de vexer les défenseurs de la langue). Mais là c'est à l'auteur de parler, pas à moi (à supposer que nous ne l'ayons pas fait fuir et qu'il ait encore le temps de passer).
D'ailleurs je pense que là est un des motifs importants de l'hostilité manifestée sur ce fil et qui semble surprendre l'auteur. Le public ici est très jeune (c'est encore notre cas également
), souvent encore intégré dans le système scolaire, et attend de ce dernier qu'il lui transmette les clés qui vont lui permettre de s'insérer au mieux dans la société. Tout ce qui peut sonner comme propos démagogique, en dévaluant l'intérêt de certains savoirs ou apprentissages, est en général mal accepté tant que l'élève pense (à tort ou raison) qu'il peut espérer atteindre telle position sociale et qu'il a bien perçu que ces savoirs et connaissances étaient un ticket d'entrée nécessaire.
Provient du message de Asael / Evil
Bon, et il est où l'argument en faveur de l'initiative de phil marso dans tout ça (s'il était sensé s'en trouver un) ?
Je ne comprends pas bien le sens de la remarque. Tu sous-entends que seules les louanges ont droit de cité ? Tu m'excuseras de ne pas avoir la même opinion sur ce point, même si j'espère ne pas avoir été insultant envers qui que ce soit.
Surtout que mon message précédent est nuancé. Je trouve a son travail des qualités littéraires et ludiques. Je pense simplement qu'il n'a pas les vertus pédagogiques qu'il veut (la citation vient du site officiel qui reprend le communiqué de presse) ou qu'on veut lui donner. D'ailleurs la suite de ton message, semble abonder dans le même sens, non ?