Facile de se remettre en tête la faiblesse des aînés face le jeu vidéo. Grimaces devant les hiéroglyphes couvrant l'emballage de l'engin nippon, assauts de pure douleur mal dissimulé devant l'étiquette à quatre chiffres, d'abord. Comment est-ce passé, comment l'avons-nous obtenu, le précieux joujou plastique ? Nous l'avons obtenu. C'est vrai, c'est eux qui on commencé. MO6, 286, c'est eux qui nous ont fichu la pomme sous le nez. Ils pensaient sans doute, dans leur naïveté, que les opportunités intelligentes du machin domineraient, et que le jeu se bornerait à remplir les interstices. Qu'on se régalerait de Logo plutôt que de Sorcery, pauvres, pauvres pédagogues naïfs. Ils n'ont pas vu l'infection gagner sous la croûte rassurante d'une poignée d'activités rassurantes.
Et déjà, le gosse présentait la stérilité de ses coups de pixel, face aux autres programmes, ceux où il ne s'agissait pas de jouer. Mais, en bon couard, il préfère le petit bain ludique, où il a pied, au grand bain où il faut être courageux, où le plaisir est potentiellement bien plus grand, mais passe par l'effort et la sueur. Le petit gosse joueur, au fond, ne l'est pas : il refuse de faire le pari de ce meilleur compliqué, et se vautre dans ses facilités. On pourrait continuer l'histoire et montrer comment le jeu a tout dévoré. Miséricordieux, on vous l'épargne.
De façon assez amusante, je constate que le jeu et l'intelligence sont encore violemment antagonistes. Il n'y a pas de paix à espérer entre ces deux ennemis-là. Ils s'entre-déchireront jusqu'au bout.
D'une éternité à jouer, je n'en retire à peine qu'un peu de poussière au creux de la main. En encore, je l'aperçois, celle-là, de moins en moins. J'ai l'impression d'avoir léché des années du sable, la soif au ventre. Les oasis ne manquaient pas autour. Tant pis pour elles. Platon a pris sa revanche dans le décalage vers le bas des niveaux de réalité de son schéma : ce qu'il jugeait monde faux est redevenu quintessence du Vrai par l'apparition d'un Faux absolu.
Avec le temps, un sentiment inédit voit le jour : la haine du jeu. Quelque chose de violent et de dégoûté, une grande marée de nausée ludique, le plus souvent vite, entre deux rechutes, entre deux prises d'air paniquées à la surface de cet océan de merde molle.
Cette haine n'annule pas, bien sûr, l'esclavage auquel on est soumis. Ils coexistent étroitement, dans un indissociable ballet. Haine contre une activité nulle qui nous annule nous même, contre le drapeau de la répétition planté droit sur nos crânes, contre cette concurrence déloyale faite à toute autre activité susceptible de créer du sens, et non du fromage blanc mental.
Et vous, vous arrive-t-il de détester le jeu ?
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