Publié par Madj
Ca c'est une bonne idée !
Et un compte-rendu pour la une, un !
Note à l'attention du lecteur : je rappelle qu'il s'agit ici de poker dans des lieux réservés à cet usage. Je m'inscris donc dans la ligne de conduite de JOL en ne parlant que de pratiques légales autorisés et en vous rappelant que jouer de l'argent, c'est dangereux !
De plus, l'usage de nombreux termes spécifiques au poker pouvant en destabiliser plus d'un, j'ai pris sur moi de faire un résumé expliqué de ce vocabulaire en fin de page. S'il y a des erreurs, corrigez moi.
Reporter de l’extrême, je me suis personnellement investi le week-end dernier pour vous faire lire un reportage in situ sur le poker parisien : ses salles, son ambiance, ses personnages, son rythme. Voici mon témoignage qui, je l’espère, saura au moins vous intéresser, sinon vous servir un jour comme une de vos propres expériences.
Etant à Paris pour un concert le Samedi au soir, j’avais prévu de participer à un tournoi
freezeout de l’Aviation Club de France (ACF), sur l’Avenue des Champs Elysées. Cette salle très réputée est sans nul doute le lieu le plus intéressant pour toucher, en tant qu’amateur éclairé comme moi, une autre galaxie du poker que celle du jeu en ligne sur Internet ou des petites parties entre amis.
Première difficulté pour le provincial que je suis : arriver au bon endroit, à l’heure. Alors que je me savais déjà en retard, me voici arpentant les Champs, à la recherche du temple sacré. N’ayant en tête que l’adresse du lieu (au numéro 104, sur l’avenue), et ne sachant à quoi ressemble le lieu, je marche très rapidement en scrutant les numéros d’adresse. Une fois à bon port, je me retrouve devant une grille en fer forgé, fermée, avec un digicode. Je m’acharne sur le bouton marqué « Entrée » du digicode ainsi que sur la grille pendant une bonne minute. Puis, excédé et un peu humilié de ce que tous les badauds me regardaient bizarrement, je m’écarte. Baste ! J’avais raté l’entrée piétonne quelques mètres avant. Je franchis donc le rideau de vigiles avec un bon teint carmin. Bien entendu, ayant anticipé cette étape, je m’étais habillé en circonstance (costume sans cravate) et je n’ai pas eu de problème pour entrer, contrairement à certains.
Première impression : intérieur cossu, ambiance feutrée. Un escalier, et je me trouve face à l’employé tenant le registre. Il me dit que j’ai peut-être une chance de participer au tournoi, malgré l’heure tardive, mais que je dois me dépêcher, sans oublier de lui donner ma carte d’identité. Ce que je fais. Je me précipite vers le lieu du tournoi, en pleine effervescence. J’essaye de savoir s’il est encore possible de s’inscrire, mais très rapidement, quelques rapaces, avec un sourire en coin, m’annoncent que non. Arg ! Toute cette expédition pour rien ! Non, je ne peux pas l’admettre.
Me précipitant à l’extérieur, je me dis que j’arriverais peut-être à temps pour participer à un autre tournoi régulier ayant lieu une heure plus tard, cette fois au Cercle Concorde, une autre salle officielle de poker. La précipitation ne servant à rien d’autre qu’à faire des bêtises, il me faudra 30 mètres sur les Champs pour me souvenir de ma carte d’identité. Nouveau passage embarrassé entre les vigiles, nouveau sourire moqueur, de l’employé du registre cette fois, et je repars en quatrième vitesse.
Arrivé au Cercle Concorde, rue Cadet, j’avise une longue file d’attente. Ce lieu a un fonctionnement légèrement différent de l’ACF (ouvert 24h/24), et nous patientons donc, avec mes futurs adversaires, dehors, en attendant l’ouverture (15h). Un doute sur le nombre de participants nous fait redouter de ne pas avoir de place, au vu de la file d’attente, à mes interlocuteurs d’un moment et à moi-même. Mais finalement, j’arrive à décrocher une place ! L’ambiance générale se veut également classe, mais n’y parvient qu’à peine. Il faut dire que cette salle récente ne bénéficie pas de l’aura et de l’historique de sa grande sœur, l’ACF. Une fois payé les 30 euros d’inscription, je me faufile jusqu’à ma place pour le tournoi.
Premiers émois, des nouvelles têtes en face de soi, une atmosphère électrique, les premiers tâtonnements, tout cela est assez déstabilisant. Comme le disait quelqu’un sur les forums, on voit tout de suite les habitués, avec leurs fameux
chip tricks, et les autres, dont je fais partie. J’en suis encore au stade des balbutiements, et je n’essaye pour ma part que de ne pas commettre d’impair, comme retourner mes cartes en voulant me coucher. Respectant les consignes de jeu que se doit de suivre un débutant comme moi, c’est-à-dire jouer serré agressif, je passe beaucoup de temps à attendre des mains potables. Ma table est assez sympathique, ça discute gentiment, timidement, presque. Les quelques coups n’engagent que peu de jetons, contrairement aux tournois
freeroll sur Internet auxquels je suis habitué : personne ne veut que ses 30 euros de participation s’envolent sur un coup de tête.
Au bout de quelques temps, on voit les premiers sortants du tournoi se lever. Puis, assez vite, un membre du personnel avise notre croupier que la table va être cassée. Les regards se croisent au dessus de la table, et sont variés : certains semblent regretter qu’une table aussi courtoise s’arrête, d’autres ont l’air de dire « si on me laissait un peu plus de temps, je te plumerais ! ». A ce moment, première très belle main pour moi : paire de valets servie. Hum, petite exaltation intérieure : « je vais finir cette table sur un beau coup ». Je tâte le terrain doucement avant le flop, mais me retrouve très vite en tête à tête. Il ne me reste plus qu’à espérer faire payer mon adversaire le plus possible. Vient le flop, et un As. Premier à parler, je laisse l’adversaire miser en faisant un
check, histoire de lire un peu son jeu. Il mise petit. Je le suis, pensant qu’il n’a pas du toucher lourd.
Turn : un valet ! Humm, je me délecte. Je check, pour masquer le fait que je viens de toucher. L’adversaire fait de même.
River : roi. Pas de couleur possible. Cette fois, pour essayer de faire croire à mon adversaire que je le bluffe, je mise très vite un bon tas de jetons. Evidemment, une main adversaire avec dame et 10 me serait fatale (tirage quinte). Lorsque l’adversaire me suit, j’appréhende légèrement et espère que mon brelan sera suffisant. On dévoile les jeux, et mon opposant arbore une mine déconfite lorsque sa main, excellente au demeurant, un as et un roi, lui donnant une double paire très forte, se fait battre par mon brelan. Je pars donc de cette table très satisfait du dernier tour de jeu.
J’enchaîne ensuite deux tables bien moins intéressantes, où les disparités de
stacks et les attitudes adverses rendent le jeu plus agressif. Sur la première, je ne fais quasiment rien, paralysé par un jeu très
loose du chip leader. Sur la seconde, à peine arrivé, je touche un autre
pocket : paire de roi ! Je me mets à tapis avant même le
flop, pour bénéficier du fait que mes adversaires ne me connaissent pas. Pour mon plus grand bonheur, quelqu’un me suit. Mon sourire se glace lorsque l’on dévoile nos jeux : as et roi pour l’opposant. Le moindre as me fera donc quitter le tournoi. Les cinq cartes centrales sont montrées et aucun as. Il y aura même un roi, me faisant un brelan. J’avoue avoir eu un comportement très mal poli lors de cette main, jouant la comédie du mec battu d’avance, tellement j’ai eu peur de cet as adverse. Je m’en excuse auprès du sortant, et m’atèle à la suite. Le jeu est maintenant très agressif, notre table ayant deux ou trois
stacks vraiment effrayants. Voici bientôt deux heures que le tournoi a débuté et le nombre de tables n’est plus que de la moitié qu’initialement.
Mon
stack très moyen me dérange, voyant des
blinds assez fortes se profiler. Aussi lorsque je touche un roi dame, je me lance dans la danse. Un adversaire fait un
all-in au Turn, que je suis. Evidemment, je me retrouve après la River avec une paire d’as pour l’adversaire et rien pour moi. A l’agonie, je me maudis d’avoir joué cette main, mais me console en me disant que je n’avais pas le choix. Main suivante : encore roi dame ! Ironie du sort ou bien véritable bouée de secours, je rejoue la main, y misant tout mon tapis avant même le
flop. Je suis évidemment suivi, et là encore, en dévoilant, je me retrouve face à un as. Qui touchera deux autres as sur cette main. Exit donc l’amateur éclairé que je suis.
Le bilan est mitigé. Certes, je m’attendais à sortir beaucoup plus vite que ça et en moins bonne position. Je finis au bout de deux heures et quinze minutes, vers la soixantième place ce qui n’est pas ridicule. Mais toujours, au poker et plus particulièrement en tournoi, on se dit toujours que l’on aurait pu faire mieux …sauf si l’on est premier.
Il est de toute façon l’heure que je me rende à mon concert, ce que je fais. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais le hasard étant, je rate mon dernier train pour rentrer à Orléans ! Me voici donc à Paris, plutôt bien habillé, sans toit. N’ayant pas trop envie de végéter dans les salles d’attente de la SNCF, je me dis, tant qu’à faire, autant retourner à l’ACF. Retour donc sur les Champs et cette fois j’évite toutes les bourdes possibles. Je mets quand même quelques temps à trouver mes marques, comprendre quel type de jeu et d’enjeu est joué à chaque table du coin poker. Car l’ACF, entre parenthèses, sert aussi de lieu de mise pour d’autres jeux que le poker : backgammon, tarot, blackjack, …
Voici comment se divisait l’espace réservé au poker, en ce samedi soir : une salle bien à part, avec un cordeau devant, et des gens dehors, les yeux rivés sur les monceaux gigantesques de jetons des tables. Cette salle, je l’appris bien vite, abrite les parties en cash game avec des
buy-in énormes ! J’y verrais, pendant un long moment, un certain P14B, à une des tables. Troublant d’intercepter son regard une seconde, après avoir été l’uns des nombreuses personnes à avoir appris les règles en l’écoutant sur une chaîne cryptée française.
La salle la plus grande, pour sa part, comportait les restes du tournoi
freezeout du samedi soir. La table finale, avec de très beaux mouvements joués se finira au petit matin. Les joueurs effectuent des
deals, mais jouent tout de même la partie jusqu’au bout. Le reste de la salle était occupé par deux tables moyennes (CG en blind 2/4 euros avec buy-in 100+ euros).
Enfin, dans la sorte de large couloir d’entrée, deux tables, pour les petits poissons.
Cash game à faible
buy-in (30 à 200 euros), on y voit de tout. Et ce n’est pas très reluisant, cette fois. Des forts en gueule, des timides efficaces, des joueurs quelconques et des « gueules » ravagées par l’alcool et le tabac. Beaucoup perdent leur tapis, mais échangent instantanément encore un peu d’argent liquide contre des jetons.
Cette profusion d’argent liquide qui passe de main en main, sous forme de billet ou de jetons est d’ailleurs assez vertigineuse. Ainsi, un habitué de la salle me donnera la valeur des plus gros jetons et une estimation de la somme jouée sur la table de Patrick Bruel : environ 100 000 euros. Une autre planète, vraiment.
Après quelques hésitations, je me décide enfin à m’inscrire sur la liste d’attente pour les petites tables de
cash game. J’aurais aussi bien fait d’oublier l’idée : il me faudra 5 heures pour avoir une place ! En raison d’un manque de croupier (grève ?), les deux tables actives ne suffisent pas. D’ailleurs, avec ces joueurs qui recavent sans cesse, ce n’est pas étonnant. Mon attente est un peu compliquée : rien à faire de spécial si ce n’est observer quelques parties, rester éveillé (le plus dur), ne pas faire tâche dans ce milieu particulier, le tout en guettant mon tour.
L’autre chose qui frappe, ce sont les liens qui existent entre les habitués et les croupiers. Beaucoup s’interpellent par leur nom, échangent des blagues. Les « gueules » les plus ravagées sont apparemment aussi les plus connues. Ca donne quelque idée de ce que pourrait donner un goût trop prononcé, décliné en vice pour certains, pour ce jeu qu’est le poker et une vie nocturne apparemment bien remplie.
Au petit matin, j’accède enfin à une table. Je décide de partir avec un cave de 60 euros, histoire de ne pas trop ressembler à une volaille prête à être plumée, comme le font les débutants qui arrivent avec la cave minimale de 30 euros. La fatigue me fera sans doute faire quelques faux pas, en plus de mon manque d’expérience. Je trouve très peu de mains jouables à mon goût, d’autant plus que mon voisin de droite joue de façon
loose agressive. Je réussis quelques coups, tout en ayant l’air aussi à l’aise. Par exemple, me conformant aux us du lieu, je fétiche le croupier assez souvent (j’ai du donner pour 10 euros).
Irrémédiablement, mon
stack fond. Mes idées se brouillent, et mon envie de finalement rentrer chez moi font que je pars dans un coup un peu fumant :
all-in preflop avec roi et 10 appareillés. Deux adversaires me suivent, et déjà j’annonce que je vais partir. Un brelan à la River me sauvera. Encore une fois, ce n’était pas très élégant de ma part de jouer le perdant avant la fin du coup. Mes adversaires auront bien un coup d’œil peu amène pour moi, suite à cette « comédie », mais rien de plus. Mon
stack reprend de la vigueur. Mais la suite le fera fondre à petit feu. Une petite pause rapide entre deux coups pour avaler un sandwich offert par la maison me recalera un peu les idées en place. Une autre tentative désespérée, mais nécessaire au vu de mon stack, ne réussira pas quant à elle.
Au revoir mes 60 euros donc. Je considérais cette somme comme pouvant être sacrifiée, de toute façon. J’aurais donc payé presque le prix d’une nuit d’hôtel pour quoi ? De l’expérience. Avoir mis le nez dans les aspects brillants et obscurs du poker parisien, croiser une référence connue du poker français, participer à une table de petite envergure … tout ceci a une valeur réelle, pour l’amateur que je suis. Peut-être pas 60 euros. Peut-être plus, peut-être moins.
Cet épisode m’aura servi à toucher du doigt un monde bien particulier, avec ses codes, ses usages, sa faune. Je sais déjà ce que je referais et ce que je ne referais pas (jouer après une nuit blanche, entre autres).
Vocabulaire utile :
- all-in : équivalent anglais de tapis. Mettre tout ses jetons en mise dans le coup.
- blind : mise automatique en début de tour au Texas Hold’em.
- buy-in : équivalent de cave.
- cash game : partie libre où l’on rentre et sort de table comme on veut. Certains éléments sont déterminés à l’avance, comme les buy-in et les blinds.
- cave : somme d’argent initiale pour rentrer sur une table.
- check : consiste à attendre les mises des autres pour parler. Si personne ne mise, il n'y a cependant pas la possibilité de remiser derrière.
- chip : jetons, en anglais.
- chip tricks : jeu d’habileté des doigts, où l’on utilise des jetons.
- deal : deux sens. Premier, distribuer les cartes. Second, ici utilisé, trouver un arrangement à l'amiable entre joueurs pour diviser les gains équitablement quelque soit l'issue de la partie.
- flop : trois premières cartes communes retournées dans la variante Texas Hold’em.
- freeroll : tournoi sans coût d’inscription
- freezeout : tournoi sans possibilité de recaver.
- loose : stratégie de jeu consistant à payer régulièrement avant le flop pour tenter de toucher des combinaisons intéressantes et surtout improbables au flop.
- pocket : paire servie dans les deux cartes personnelles.
- river : cinquième carte commune retournée au Texas Hold’em.
- stack : tas de jetons devant soit. Les jetons peuvent avoir une valeur fictive, comme en tournoi, ou bien réelle, comme en cash game.
- turn : quatrième carte commune retournée au Texas Hold’em.