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S'il y a bien un chapitre qui devrait vous surprendre...
Introduction Chapitre I Chapitre II Chapitre III Chapitre IV Chapitre V Chapitre VI Chapitre VII Chapitre VIII Chapitre IX Chapitre X Chapitre XI Chapitre XII Chapitre XIII Chapitre XIV Chapitre XV Chapitre XVI Chapitre XVII Chapitre XVIII Chapitre XIX Chapitre XX Chapitre XXI Chapitre XXII Chapitre XXIII Chapitre XXIV Chapitre XXV Chapitre XXVI Chapitre XXVII Chapitre XXVIII Chapitre XXIX Chapitre XXX Chapitre XXXI Chapitre XXXII -------------------------------------------- "Nous nous organiserons par Mains de cinq hommes. Nous voyagerons de nuit, par des chemins différents. La journée, il faudra trouver des endroits isolés pour dormir et faire se reposer les montures. Je veux tous vous voir en selle à chaque fois que le soleil disparaîtra derrière les arbres, et sous vos couvertures au moment où le jour suivant commence à peine à poindre" Tous les regards étaient sur Rekk alors qu'il plantait son doigt sur la vieille carte comme s'il s'agissait d'une dague. "Vous m'avez bien entendu ? Au moment où le jour commence à poindre. Pas après. Pas alors que l'aube est déjà bien avancée. Les fermiers se lèvent tôt, pour aller voir les poules, pour traire les vaches, que sais-je encore ? Je ne suis pas paysan. Mais je sais qu'ils vous verront, si jamais vous restez trop longtemps en selle. Je ne veux pas prendre de risque, c'est bien compris ?" Son regard fit le tour de la pièce, défiant quiconque de protester. Personne ne bougea. Depuis cette fameuse nuit où il leur avait promis gloire et fortune, il avait totalement repris le château en main. Ce qui avait surtout consisté, à vrai dire, à expliquer plusieurs fois son plan aux quelques hommes réticents. Etrangement, ces hommes bannis de tous, rejetés par l'Empire, semblaient éprouver une étrange réticence à se retourner contre ceux qui leur avait fait du mal. Dans cet endroit glacé et abandonné, la plupart s'étaient inventé une nouvelle fierté dans leur rôle de bouclier de l'Empire. Savoir qu'ils contribuaient, depuis plus de deux cent ans, à repousser les invasions barbares, leur donnait une raison d'exister, un sens à leur vie. Shareen avait vu certains d'entre eux pleurer en se promenant sur les remparts. Ces hommes durs, agressifs et querelleurs, sanglotaient comme des gamins en regardant les murs qu'ils avaient défendu durant des nuits entières, et sachant qu'ils allaient bientôt devoir l'abandonner aux barbares, sans même un combat. Rekk hocha la tête lentement, satisfait. "Parfait. Le point de rendez-vous sera là. La forêt de Calmelac. Elle est assez proche de Musheim pour nous permettre d'agir rapidement, et assez touffue pour pouvoir nous dissimuler, si nous prenons les précautions nécessaires." Il fronça les sourcils. "Si jamais vous tombez sur des guerriers ou des soldats de l'Empire, je laisse au commandant de la Main la responsabilité de ses actes. Combattez, s'ils sont peu nombreux. Fuyez, si ce n'est pas le cas. Tant que vous n'êtes que cinq, il n'y a aucune raison que l'Empire réalise qu'il s'agit d'autre chose que de quelques pillards égarés." Il fit une pause. "Pas d'autres questions ?" Les guerriers s'agitèrent, vaguement mal à l'aise, mais personne ne parla. "Parfait. Alors organisez-vous en Main. Je vous fais confiance pour les groupes. Nous partons ce soir" Il se détourna, n'attendant aucun commentaire à ses derniers ordres. Shareen hésita un instant, puis s'approcha de lui. Elle portait, accrochée dans son dos, le lourd glaive dont elle s'était emparée dans le palais. Sa main vint s'accrocher farouchement au pommeau de l'arme. "Et nous, que fait-on ?" Rekk la regarda des pieds à la tête, et sourit légèrement. La jeune fille s'empourpra. Elle avait revêtu une cotte de mailles bien trop grande pour elle, qui tombait sur ses épaules comme une robe de chambre, mais il n'avait aucun droit de se moquer ainsi d'elle ! Furieuse, elle ouvrit la bouche pour le sermonner, mais il ne la laissa pas parler. "Vous venez dans ma Main, tous les deux. Toi et Laath. Personne ne vous connaît, ici, personne ne vous acceptera dans un groupe" Il haussa les épaules. "Vous avez encore le choix de renoncer et de prendre votre propre chemin, par contre. Une ou deux épées de plus ne feront probablement pas la différence, et nous avons tous de bonnes chances de perdre la vie dans cette entreprise. Ces vieux brigands" - Il indiqua d'un geste ses hommes qui discutaient déjà entre eux et s'organisaient en petits groupes – "n'ont plus rien à perdre, et moi non plus. Pour vous, c'est autre chose." "N'espèrez pas vous débarasser de nous comme ça" fit Shareen fermement. "J'ai bien l'intention de voir ce foutu empereur ramper sur le sol en répandant ses entrailles" Elle haussa les épaules en voyant le regard que Laath lui lançait. "Quoi ?" Rekk resta un instant pensif, le visage dénué de toute expression. Finalement, il poussa un long soupir. "Petite, je sais ce que c'est que la vengeance. Ca te ronge de l'intérieur. C'est un pire démon que je le serai jamais. Est-ce que tu es certaine de vouloir le suivre ? Je peux te donner un peu d'or, de quoi refaire ta vie ailleurs. Assez pour t'installer, avoir une famille, une vie" Il sourit. "Pareil pour toi, Laath. Je ne suis pas sûr que la bataille qui s'annonce soit faite pour toi. Est-ce que tu veux vraiment continuer ? Je pourrais être généreux, pour le garçon que ma fille a aimé… sans compter que tu m'as sorti de prison" Shareen secouait la tête avant même qu'il ait fini. "Non. Ma réponse n'a toujours pas changé. Je viens avec vous. De toute façon, je ne sais pas dans quel endroit je pourrais me rendre pour m'installer. L'empereur a toujours ma tête mise à prix" "Mais il n'y aura bientôt plus d'empereur" murmura Rekk, les yeux étincelants. Shareen hésita. "Même ainsi, c'est toujours non. Je viens avec vous" Rekk acquiesca. Sa lèvre s'incurva en un semblant de sourire. "Et toi, Laath ?" Le jeune cambrioleur était resté silencieux jusque là. Lorsque le regard de Rekk ne lui laissa plus aucune échappatoire, il laissa échapper un profond soupir. "Non, moi aussi, je viens avec vous. Ne serait-ce que parce que j'ai envie de voir comment vous allez vous y prendre, avec vos deux cent hommes, pour renverser un empire plusieurs fois centenaire. Appelons cela de la… curiosité. Il y a une chanson à écrire là-dessus, certainement" "Je t'en prie, ne la chante pas de mon vivant" murmura Rekk, avant de se détourner. "Bien, voici une bonne chose de réglée. Il manque deux personnes dans notre Main" Pensif, il regarda autour de lui les guerriers qui cherchaient encore à s'organiser, puis il éleva la voix. "Jon Bras-Gauche ! Tem le bavard ! Vous venez avec nous." Les deux hommes se détachèrent du groupe pour rejoindre le Banni sans protester, bien qu'ils aient visiblement tous les deux déjà trouvé une Main dans laquelle s'intégrer. Shareen esquissa un mouvement d'horreur alors que Jon venait s'installer à côté d'elle. Son surnom était facilement compréhensible: son bras droit s'arrêtait brutalement au coude. "On m'a coupé le bras à la naissance" fit-il tranquillement lorsqu'il vit le regard de la jeune fille s'arrêter sur son moignon. Sa voix était grave, teintée d'un fort accent du sud. "Paraît que ça aide, quand on est mendiant. Ca amadoue les bourgeois. Mais" Il fit un clin d'œil. "Ca ne m'empêche pas de me servir d'une épée de la main gauche" "Et il y a peu de combattants plus braves" murmura Rekk sans paraître y faire attention, ses yeux sombres observant les dernières disputes liées à la constitution des Mains. "Pareil pour Tem. Eh, Tem ?" L'autre homme qu'il avait choisi se contenta d'acquiescer d'un mouvement de tête. Il était massif comme un taureau, avec un cou de taureau et de grands yeux de vache. "Il était scribe, mais il a trahi son maître" expliqua Jon complaisamment. "Alors on lui a coupé la langue, avant de l'envoyer ici. C'est nous qui l'avons surnommé Le Bavard. Ca lui va bien, pas vrai ?" Tem hocha de nouveau la tête. Il n'avait pas l'air très futé, mais une étincelle d'amusement brilla dans ses yeux placides alors qu'il s'accroupissait confortablement sur le sol. Dix minutes plus tard, la totalité de la population du château était constituée en groupes de cinq – et deux groupes de six. Les dernières provisions que pouvait fournir la forteresse furent partagées équitablement, puis tout le monde monta à cheval alors que la nuit tombait. "Dans vingt jours, dans la forêt de Calmelac !" rappela Rekk, luttant avec ses rênes alors que son cheval piaffait. "Installez-vous où vous le pouvez. Envoyez tous un de vos hommes à minuit à l'intersection de la Route Impériale pour que nous puissions vous guider vers le camp que nous aurons établi. C'est bien compris ?" Les guerriers rugirent leur assentiment. Ils avaient les yeux brillants. La plupart pensaient déjà à l'or qu'ils allaient pouvoir piller, et aux combats qu'ils allaient avoir à mener. On pouvait sentir certains saliver devant cette perspective. "Allons-y" rugit Rekk, et tous se dispersèrent dans toutes les directions. Trois nuits pour quitter la toundra. Une bonne quinzaine pour arriver dans la forêt de Calmelac. Le chemin allait être long, et pénible. Laath grimaça alors qu'il talonnait sa monture. Les brûlures qu'il avait aux fesses ne s'étaient pas encore résorbées. Shareen rit à gorge déployée. Le vent de la nuit jouait avec ses cheveux. Elle prenait enfin le contrôle de sa vie. Elle galopait vers le sud pour venger sa meilleure amie. Elle galopait vers le sud pour venger celui qu'elle avait aimé. Elle galopait vers le sud pour se débarasser de ce goût de cendre qui lui envahissait la bouche alors qu'elle pensait à Eleon et à ce qui s'était passé dans la forêt de Calmelac. Deux semaines et demie plus tard, sa bonne humeur avait disparu complètement. Et elle était définitivement écoeurée des voyages de nuit. Les chemins étaient traîtres, les branches basses, et les ornières nombreuses. Plus d'une fois, sa jument trébucha dans un nid-de-poule qu'elle n'avait pas pu prévoir. Rekk avait été très clair avec tout le monde. Si un cheval se blessait, il fallait l'abandonner, avec son cavalier. Vitesse et discrétion étaient les maîtres mots. La jeune fille s'était attachée à sa monture. Elle n'aimerait pas la voir souffrir. Mais, surtout, elle n'avait pas l'intention de rester derrière et de manquer le reste du voyage. Sous aucun prétexte. Si elle y prenait vraiment garde, plissant les yeux comme une vieille grand-mère, elle pouvait parvenir à distinguer le terrain accidenté qui se déroulait sous les sabots. Mais elle n'avait pas vraiment le loisir de se concentrer ainsi. Le plus souvent, ses yeux étaient fixés sur les quatre cavaliers devant elle. Habillés de noir et de gris sombre, ils se fondaient dans l'obscurité environnante. Cela ne lui rendait pas la tâche plus facile. Le fait de savoir qu'elle était tout aussi invisible avec son manteau sombre, ses chausses sombres, ses bottes sombres, son pourpoint sombre et ses cheveux sombres, n'était qu'une piètre consolation. Elle se lécha les lèvres, et sentit le charbon de bois dessus. Même son visage était noir. Cela faisait vingt jours qu'ils descendaient vers le sud, en comptant cette nuit. Ils sellaient leurs chevaux au crépuscule, et trottaient jusqu'à ce que les premiers rayons du soleil apparaissent à l'horizon. Ils trouvaient alors un endroit pour se reposer durant la journée, à l'abri du regard des paysans. Oui, il était important de rester discrets. Cependant, confrontée à la réalité de la situation, Shareen se demandait si finalement, il n'aurait pas été plus efficace de se déplacer normalement. Elle n'arrivait pas bien à dormir durant la journée. La lumière du soleil la faisait souffrir, et l'empêchait de vraiment se reposer. Certains avaient simplement mis un heaume et refermé la visière, mais elle avait essayé une fois, et elle avait eu l'impression de rôtir et d'étouffer à l'intérieur. Elle savait maintenant ce que les morceaux de lard ressentaient lorsqu'on les jetait dans la marmite de soupe. Son seul soulagement, c'était qu'ils étaient presque arrivés à destination. Elle avait presque envie qu'il se passe enfin quelque chose, n'importe quoi, qui puisse la sortir de cette monotonie usante et de ce voyage insupportable. Elle fut brutalement tirée de ses pensées, alors qu'elle allait encore trouver une bonne dizaine de raisons pour voyager durant la journée, par un mouvement brusque devant elle. Une des silhouettes fantômatiques qui la précédait tira sur les rênes et attendit de se faire rattraper. "Tu ne devrais pas rester en arrière" murmura Laath, se penchant dangereusement par dessus l'encolure de sa monture. "On n'y voit vraiment rien, par ici. Si jamais tu nous perds, ça prendra un temps fou de se retrouver, si même on y arrive. Rekk sera furieux. Il faudrait que tu remontes à notre niveau" Shareen haussa vaguement les épaules. "C'est lui qui t'envoie ?" "Non ! Non, pourquoi est-ce que tu dis ça ? Je m'inquiète pour toi, figure-toi. Depuis que nous sommes partis, tu as l'air continuellement dans les nuages. J'ai peur que ta jument ne se brise une jambe. Et alors, tu sais ce qu'il se passerait" "Je suis vaguement au courant, oui" persifla Shareen. Le Banni avait été extrêmement clair sur ce point, malgré ses protestations. Elle soupira. "Tu as probablement raison. De toute façon, il ne reste plus beaucoup de temps avant que le soleil ne se lève et qu'on s'arrête." "Je dois dire que je n'en suis pas fâché, pour ma part" Ses dents blanches brillèrent dans l'obscurité alors qu'il souriait. "Ca commence à m'user les yeux, ce voyage de nuit. Et puis, où sont les autres ? On n'a rencontré aucun groupe pour l'instant" "Tu penses qu'on aurait dû ?" Il cracha sur le sol. "On va bientôt rentrer dans la forêt de Calmelac. C'est le point de rendez-vous, tu te souviens ? On converge tous vers ici… je trouve ça bizarre qu'on n'ait rencontré personne…" Shareen resta un instant muette. Elle n'avait pas réalisé qu'ils étaient aussi près. La forêt de Calmelac… Les souvenirs affluèrent. Malek… Sa tombe devait être quelque part, au milieu de ces milliers d'arbres. En fermant les yeux, elle pouvait presque sentir son souffle dans sa nuque. Elle secoua la tête. Elle ne se laisserait pas distraire. Ses mains se portèrent à son cou. Un pendentif en forme d'épée y pendait désormais. C'était elle qui portait le flambeau. Et elle allait le venger. "Ca prouve qu'ils sont aussi précautionneux que nous. C'est plutôt une bonne chose, tu ne trouves pas ?" "Oui, ou bien qu'ils ont rencontré des ennuis quelque part." Il secoua la tête. "C'est juste que… ça me paraît un peu irréel, tout ça." Il acquiesca lentement. "Qu'est-ce que je devrais dire ? Parfois, je me demande si notre vengeance vaut tout cela, tous ces hommes prêts à mourir. Deria est morte et enterrée depuis longtemps. Il est peut-être temps de l'oublier et de passer à autre chose" La gifle le fit reculer. Sans un mot, il se frotta la joue, puis rejoignit le reste de la colonne. Shareen le regarda s'éloigner, les dents serrées. Ils n'avancèrent pas tellement plus longtemps. Moins d'une heure plus tard, le ciel commença à se colorer de rose, alors que l'aube d'une journée chaude et ensoleillée s'annonçait. L'air sentait le printemps. Devant elle, les hommes mirent pied à terre. "Nous allons établir notre camp dans ces sous-bois" fit Rekk à voix basse. Il indiqua le sud-est d'un geste négligent. "Pas de feu, comme d'habitude. Il nous reste de la nourriture ?" "Assez" grommela Jon Bras-Gauche en fouillant dans les fontes de sa monture. "Mais il faudra qu'on se mette à chasser, demain ou le jour d'après. Je commence à en avoir assez de la viande séchée" "Estime-toi heureux d'avoir quelque chose à te mettre dans l'estomac" fit Rekk. "Sans feu, ça ne servirait pas à grand chose d'abattre du gibier." Jon hocha la tête d'un air dubitatif. Son regard était franchement écoeuré alors qu'il s'emparait de sa portion. "Bien. Pour les tours de gardes, faisons comme d'habitude. Demain, nous monterons un véritable camp. Nous sommes à deux pas de Musheim, désormais. Les chances de nous faire remarquer sont d'autant plus grandes. Je vous demanderai d'ouvrir l'œil, et le bon" Les deux guerriers lui lancèrent un regard offensé, clairement irrités qu'il remette en question leur professionnalisme. Mais Shareen savait que ces paroles s'adressaient à Laath. Le jeune cambrioleur s'était endormi, deux jours auparavant, alors qu'il était censé donné l'alerte. Rekk n'avait pas été particulièrement agréable lorsqu'il s'en était rendu compte. "Nous ferons attention" promit la jeune fille, en s'installant pour la nuit. Traditionnellement, c'était elle qui prenait le premier tour. Les hommes semblaient penser que c'était le plus facile à assumer, et le réservaient donc, avec un sens de la galanterie bourrue, à la seule femme parmi eux. Elle s'en était offusquée les premiers jours, mais rien n'avait pu faire changer Rekk d'avis. Jon l'avait regardée avec une surprise non feinte, et Tem avait hoché la tête, ses larges yeux implorants. Elle avait finalement levé les bras au ciel. S'ils voulaient la materner, grand bien leur fasse. Elle ne pouvait s'empêcher de se demander s'ils auraient agi de même avec quelqu'un de la trempe de Deria… ou de Dani. Cette pensée l'irritait, et ne voulait pas partir alors qu'elle se préparait pour sa leçon d'escrime de la matinée. C'était au moins un rituel qui n'avait pas changé. Tour à tour, Rekk, Jon et Tem tentaient d'inculquer à coups de bâton les principes de l'escrime dans le crâne des deux enfants. Ils apprenaient vite, même si les deux guerriers échangeaient souvent des sourires entendus: quelques jours ne suffiraient pas à les transformer en combattants professionnels. Mais l'humeur de Shareen s'était améliorée alors que tous s'installaient pour la nuit, la laissant s'installer dos à un arbre, une lance dans la main. A l'horizon, le soleil se levait. Elle sentait la bonne fatigue de l'entraînement glisser sur elle. Deux heures plus tard, elle alla secouer Rekk pour qu'il prenne sa place, et se glissa dans les couvertures avec gratitude. "Rien de particulier ?" grogna-t-il avant de s'installer à son tour dos à l'arbre. Il avait les yeux vifs, comme s'il ne sentait pas la fatigue. Shareen le haïssait pour cela. "Rien du tout. Ah si, un écureuil" persifla-t-elle. Le Banni ne sourit pas. Elle resta un instant à regarder son visage sans expression puis, vexée, ferma les yeux. Elle ne tarda pas à s'endormir. Ce fut Laath qui la réveilla d'une main nerveuse. "Shareen. Debout. C'est la nuit. Il faut qu'on aille trouver les autres groupes" Il grimaça. "Nous avons deux jours de retard. Certains doivent déjà être arrivés" Elle se leva, un sourire vague sur les lèvres. "Je rêvais de Malek" murmura-t-elle. "C'était agréable" Toute trace du camp avait disparu, alors que les guerriers, comme à leur habitude, faisaient disparaître les branches brisées et redressaient l'herbe et les broussailles qu'ils avaient écrasées en dormant. Le résultat n'était pas forcément convainquant, mais cela suffisait à tromper l'œil au premier regard. Rekk avait déjà bouclé son ceinturon. "Il n'est plus temps de dormir" fit-il. "Nous avons un rendez-vous à assurer ce soir. C'est moi qui irai" Un concert de protestations s'éleva. "Laissez-moi y aller" protesta Jon, levant son bras amputé. "Si jamais il y a un problème, il vaut mieux que vous restiez à l'abri". Même sans langue, Tem grommela son assentiment de plusieurs grognements rauques. Rekk resta inflexible. "C'est à moi d'y aller. C'est moi qui vous ai emmené ici. Et puis…" Il sourit froidement. "Si jamais il y a un problème, comme vous dites, je pense être mieux à même de… l'aplanir" Sa main se posa sur son épée. Cela faisait maintenant près de deux mois qu'il s'était fait blesser, et il ne restait plus de ses blessures que d'affreuses cicatrices qui venaient enrichir sa collection. Rekk était de retour. Brutal, violent, et mauvais comme une teigne. Shareen se surprit à hocher la tête avec admiration. C'était à ça, qu'elle voulait ressembler. C'était à lui, qu'elle voulait s'identifier. Instinctivement, sa main se posa sur le pommeau de sa propre arme. Elle espérait qu'elle avait l'air aussi terrifiante, elle aussi. Rekk s'enfonça sans un bruit dans les branchages. Quelques secondes, et il était parti. "Il ne reste plus qu'à attendre" grommela Jon entre ses dents. "Par les enfers gelés de la tundra, je ne supporte pas ces veilles de bataille, avec leur incertitude" Il leva les yeux alors que la jeune fille s'approchait de lui. "Quoi, encore ?" "Continuez à m'apprendre" Il hocha la tête, mais elle battit des cils avec candeur. '"S'il vous plaît ? On ne peut rien faire qu'attendre, de toute façon ? Et puis, ça me sauvera peut-être la vie.." Le guerrier poussa un soupir à fendre l'âme. Il avait peut-être été un paria, lorsqu'il était enfant, mais il avait une bonne âme. Son visage s'éclaira d'un sourire tranquille. "Puisque tu y tiens… allons-y !" "Oh… merci ! merci !" Rekk revint quelques heures plus tard. Six Mains l'accompagnaient. Il resta le temps de vérifier que tout le monde s'organisait, puis il repartit doucement. Lorsqu'il arriva, le soleil se levait dans son dos. Il ramenait avec lui une véritable armée, plus de cent hommes d'un seul coup, qui tombèrent dans les bras de ceux déjà arrivés avec un plaisir visible. Les conversations éclataient de tous côtés, alors que les voyages des uns et des autres étaient commentés. Certains étaient tombés sur des patrouilles, et un homme s'était fait tuer dans une Main, qui avait finalement dû fuir. D'autres étaient légèrement blessés par une rencontre avec des barbares, dès le début du voyage, alors qu'ils n'avaient pas encore quitté la toundra. Mais tous arboraient de grands sourires et montraient leurs cicatrices comme des trophées dont on devait être fier. |
16/05/2003, 18h59 |
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Grenouillebleue |
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