Un ennemi partie I
. . . Comme à son habitude, Mavelle surgit un matin devant ma porte. Seulement cette fois, je fus surprise par son aspect. Des cernes sombres masquaient l’éclats de son regard, son teint était plus gris que blanc et des mèches s’échappaient de la capuche de sa cape. Sa tenue habituellement sobre mais resplendissante portait des traces inhabituelles, des taches sombres s’y étalaient, de la boue maculait ses bottes, des brins d’herbes achevaient de sécher en différents endroit. Je m’écartait du pas de la porte précipitamment pour la laisser entrer.
- Non, nous n’avons pas le temps ! Dun Crauchon est assiégé depuis plusieurs jours. Je suis venue demander des renforts à Dame Brigit mais il…
. . . Elle s’interrompit et sembla avoir une faiblesse. D’une main tremblante, elle agrippa la chambranle et fini dans un souffle :
- …mais il me faut repartir dès maintenant !
- Vous ne pouvez pas ! Vous êtes exténuée !
- Oui… dit-elle dans un sourire plus ironique que joyeux. Voilà deux jours que je n’ai ni dormi, ni pris quelque repos… Mais il faut retourner à Dun Crauchon au plus vite, devancer les renforts et préparer leur arrivée.
- Je viens ! m’écriais-je en courant déjà à l’intérieur de mon logis pour saisir au vol mes affaires.
. . . J’ouvris les portes de mon armoire à la volée, faisant voler mes affaires à travers la chambre, j’attrapais l’armure que ma mère m’avait donné. Je l’enfilais et sans prendre le temps de finir de boutonner la veste, j’enfilais mes bottes en sautillant vers le salon où se trouvaient mes armes. Je pris mon arc et mon carquois, puis retournait sur le sol un tiroir pour trouver les dagues fabriquées par Fripon. Tenant entre les dents ma ceinture, je courus vers la porte. Mavelle n’était plus là. Je dévalais les escaliers tout en tentant de faire passer la courroie de mon carquois par dessus ma tête. Je manquais de tomber et sautais les dernières marches dans une cabriole invraisemblable.
. . . Mavelle se tenait déjà sur son cheval près de l’écurie. Je couru vers mon poney en finissant de m’harnacher puis je sellais mon poney rendu nerveux par mon agitation. Je pestais contre les sangles puis finis par enfourcher ma monture. A peine étais-je en place que Mavelle, sans m’accorder un regard, éperonna son propre cheval. Nous quittâmes la ville au galop. Nous ne ralentîmes plus l’allure malgré les souffles de plus en plus bruyants de nos montures.
. . . En arrivant à Druim Ligen, je vis une foule impressionnante. Et…. Et totalement incongrue ! Toutes les races du royaume, habituellement si distantes les unes des autres, se trouvaient mêlée indistinctement. Lurikeens et firbolgs discutaient aussi naturellement que Corwin et moi en avions pris l’habitude. Je vis des humains et des firbolgs invoquer des sorts étranges. Des mages se concentraient de leur coté, parfaitement indifférents aux bruits des armes et des boucliers de leurs voisins. Des armures telles que je n’en avais jamais vu brillaient à en faire pâlir le soleil. Des bardes tapaient déjà avec ardeur sur leur tambour, donnant le rythme de la marche à venir. Des druides allaient de l’un à l’autre, distribuant protections et force. Quelques archers vérifiaient leurs arcs tout en chuchotant entre eux. Des forgerons sur le coté criaient pour attirer l’attention de ceux dont les armes nécessitaient un affûtage. Quelques guerriers s’adonnaient à des passes d’armes qui faisaient crier d’admiration ou de moquerie leurs compagnons. Quelques personnes, juchées sur les marches du fort frontière tentaient de dominer le brouhaha ambiant et semblaient organiser…
- L’armée d’Hibernia. Me dit Mavelle, englobant du regard la foule à nos pieds.
- C’est la… guerre… maintenant ?
- Oui. Répondit-elle sobrement.
. . . Nous laissâmes nos chevaux au palefrenier. Mavelle se dirigea tout droit vers les portes ralentissant à peine pour saluer d’un signe de tête quelques personnes. Je trottinait derrière elle, tachant de ne pas la perdre de vue tout en priant pour échapper à l’inévitable écrasement qui me guettait.
. . . Je la rattrapais alors qu’elle échangeait quelques mots avec une lurikeen dans un magnifique habit en haut des marches. Elles hochèrent toutes deux la tête puis Mavelle passa les portes. Je la suivit. L’intérieur, protégé par d’épaisses murailles qui ne laissaient passer qu’un bruit assourdi, était désert. Nous traversâmes la cour vers l’autre porte. Mavelle actionna un mécanisme et elle s’ouvrit. Nous pénétrâmes dans ce qui semblait être un sas. La première porte se referma et la seconde s’ouvrit. Je retins mon souffle en la franchissant. Une seconde armée, mais déjà sur le pied de guerre se tenait de l’autre coté. Mavelle salua de la tête un humain qui portait une lourde armure d’écaille puis se tourna vers moi.
- A partir d’ici, nous sommes en zone frontière. Nous ne disposons pas d’assez de troupes pour sécuriser totalement ces régions mitoyennes de l’ennemi. Elles sont sans cesse en butte aux raids et aux tentatives d’invasion. Nos avant-postes nous garantissent quelques relais d’une sécurité précaire. Des créatures monstrueuses et des humains corrompus s’allient pour pénétrer nos terres. A partir d’ici… La mort rode, jeune Keelala.
. . . Je déglutis péniblement mais assurait la sangle de mon carquois sur mon épaule puis saisis mon arc si fort que les jointures de mes doigts blanchirent. Je fis un pas en avant et fixait Mavelle. Elle esquissa un léger sourire.
- Marche dans mes pas.
. . . Nous longeâmes les murs de la forteresse puis escaladâmes la pente qui lui succédait. Nous marchâmes longtemps sur les crêtes jusqu’à redescendre vers un lac que nous contournâmes de loin en terrain couvert. Progressant dans les sous-bois nous forçâmes le pas jusqu’au soir. A la tombée de la nuit, notre progressions se fit plus lente mais Mavelle ne manifestait pas l’intention de s’arrêter. Je refoulais ma fatigue, vidais mon esprit et laissait la nature environnante emplir mes sens. Malgré ma distraction apparente, tous mes sens restaient en éveil dans l’attente d’un signe quelconque. Mon esprit se reposait, laissant les commandes à mon instinct. Au milieu de la nuit, nous arrivâmes à l’orée de la forêt. Devant nous s’étalait un vaste plateau au milieu duquel s’érigeait une forteresse.
- Dun bolg. Me chuchota Mavelle.
. . . Nous traversâmes le terrain découvert, sous couvert de la nuit, encore plus en alerte que nous ne l’étions déjà. Lorsque nous arrivâmes aux portes, Mavelle se contenta de baisser sa capuche devant l’un des gardes qui, l’ayant apparemment reconnu, s’effaça devant elle. Nous pénétrâmes dans la cour. Un feu y brûlait autour duquel quelques gardes discutaient à voix basse. Mavelle me pria de rester avec eux tandis qu’elle allait voir le chef du fort.
. . . Je m’installais timidement près du feu, un peu à l’écart. Peu après, l’un des hommes me tendit une écuelle en bois et une gourde. Je les acceptais avec un sourire. Il répondit d’un signe de la tête puis se tourna à nouveau vers les autres. Bien que j’eusse du être affamée, j’avais l’estomac trop noué dévorer ma portion. Je la mangeais donc distraitement tout en fixant des yeux la porte par laquelle Mavelle avait disparu. Un lurikeen en surgit en trombe, n’accordant d’attention à personne. Otant son arc de son dos, il franchit les portes extérieures et sortit.
. . . Je commençais à somnoler lorsque Mavelle toucha doucement mon épaule.
- Nous allons finir la nuit ici. Un autre messager à prit le relais jusqu’à Dun Crauchon. Nous attendrons ici, l’arrivée de l’armée.
. . . Elle me tendit une cape épaisse. Et me conseilla de dormir un peu sans quitter mon équipement. A peine fus-je enroulée dans la cape que je sombrais.
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