JOUR 17
Je plaque ma tête contre mon sommier, tentant d’oublier les ronflements de Kelch déjà endormi dans le lit voisin. Quelques heures de sommeil puis commenceront les cours de notre nouveau maître. J’ignore ces intentions, mais je ne demande qu’une chose : devenir plus fort.
J’entends des murmures inaudibles dans l’obscurité, Kelch doit se perdre dans un rêve qui n’appartient qu’à lui.
Des lumières. Des flammes. Des voix. Des cris. Où aller ? Les ombres m’entourent dansant devant mes yeux. Je cours. [1]
- Kelch, réveille toi !
Les premières lueurs du matin percent à travers les paupières du troll, le sortant de son sommeil.
- Quoi… qu’y a-t-il ? demande mon ami d’une voix encore endormie.
- Nous devons rejoindre Gazel à la forge dans cinq minutes, expliquai-je tout en enfilant mes bottes, tu le saurais si tu t’étais réveillé plus tôt !
- Qui est Gazel ?
Le voleur se lève à présent parfaitement réveillé.
- Ah oui j’oubliais, c’est le nom de notre nouvel instructeur. I l me l’a dit ce matin.
- Parfait. Mais… pourquoi à la forge ?
- Aucune idée.
Tout en parlant, je m’empresse de mettre mes derniers atours, puis file vers la porte.
- Tu ferais mieux de te dépêcher Kelch criai-je en sortant de la chambre.
- Je te rejoins tout de suite.
Je sors de l’auberge, au milieu de l’agitation habituelle de la Croisée. L’air brûlant semble ne point endormir les pulsions des aventuriers de passage. Duels et autres combats absurdes semblent constituer le quotidien de ce charmant village, que certains appellent même « village des fous ». J’en viens à me demander comment il a pu tenir si longtemps face aux asseaux massifs de l’Alliance. Un bruit de pas m’indique la présence de Kelch à mes côtés. Lui aussi regarde avec stupeur le spectacle de ces batailles internes. Le fracas des armes s’entrechoquant résonnent comme un encouragement tandis que nous avançons vers l’atelier à la limite des habitations. Ici le vacarme des épées sur bouclier laisse place à celui du marteau sur l’enclume. De la fumée s’échappe des braises rougeoyantes alors que les ouvriers forgent ici les outils de mort. J’ai l’impression de me trouver dans les usines de fabrication de la guerre.
- Je devine vos pensées chasseur.
Je me retourne brusquement, derrière moi se dresse Gazel, la mine étrangement réjouie.
- Je retrouve avec plaisir mes deux charmants élèves susurre le mort vivant d’un ton enjoué.
On dirait qu’il vient de recevoir de nouveaux jouets.
Le rituel de force :
L’une des épreuves les plus fréquentes chez les jeunes guerriers de la Horde est le rituel de force, visant à sonder la solidité et la puissance des individus. Sa particularité en fait l’un des tests les plus prisés dans les milieux difficiles. Pour retrouver son origine, on peut s’en référer aux anciens rites orcs qui consistaient à plonger la main dans le feu d’une forge. Si il a été quelque peu modifié au fil des générations, le sens reste le même puisque la forge demeure au cœur de ces exercices. La forge a toujours été symbole de guerre et aussi de progrès, ce à quoi aspirent nos plus jeunes recrues en ces temps sombres.
Les Oubliés de l’Histoire, Aneth, Le Livre des Malédictions.
Tchhh. La sueur tombe sur les braises incandescentes. Ting. Le marteau rencontre l’enclume. Je lève l’outil avant de frapper à nouveau. Ting. Mes muscles sont bandés au maximum, saillant sous ma peau. Ting.
Je sens la chaleur de la forge sur mon visage, j’inspire une bouffée d’air brûlant. L’oxygène rentre par les narines, irritant la muqueuse avant de se déverser tel une vague ardente dans les poumons.
Seul le tintement du métal résonne à mes oreilles. Parfois le bruit d’une respiration essoufflée vient troubler la douce musique.
- Allez, plus d’ardeur ça fait seulement une heure que vous avez commencé !
La voie de Gazel retentit derrière moi, pressante.
Je jette un coup d’œil à Kelch quelques pas plus loin. Lui aussi peine au travail.
- Ce n’est qu’un échauffement répète notre instructeur, nous ne sommes pas encore arrivés à la partie la plus intéressante.
Je n’ose imaginer ce que nous prépare le mort-vivant mais préfère taire la question qui me brûle les lèvres.
- En quoi ce que nous faisons est-il utile ?
Kelch vient de poser l’interrogation qui me taraudait. Pausant nos lourds marteaux nous nous retournons vers Gazel en attente d’une réponse.
Le réprouvé nous observe avec curiosité. Puis, constatant que nous ne réintégrerons pas notre labeur sans explications, il consent à répondre :
- Le travail de forgeron, il n’ y a rien de mieux pour développer la force pure. Vous en aurez besoin avant de poursuivre plus loin nos exercices.
- Ne devrions nous pas suivre des entraînements différents demandai-je pas très convaincu, à près tout je suis chasseur et Kelch est voleur. Nous ne nécessitons pas les mêmes aptitudes.
- Vous suivrez des entraînements spécifiques plus tard réplique Gazel une pointe d’irritation dans la voix, pour l’instant retournez à vos exercices !
Mon compagnon et moi reprenons péniblement nos marteaux mais le mort vivant nous interrompt d’un geste.
- Vous n’aurez plus besoin de ça à présent.
- Et nous continuons comment ? à mains nues ?
Je ris sans conviction.
- Presque répond notre instructeur avec un sourire pervers, vous utiliserez ceci.
Il nous tend deux paires de gants en cuir très épais.
- Vous les porterez pour protéger votre peau tandis que vous frapperez vos lames. De plus reprend t-il allègre, ça devrez vous encourager à accélérer : ils ne tiendront pas longtemps. Je veux que vous me forgiez chacun une arme, alors si vous ne voulez pas voir votre chair brûler, je vous conseille d’accélérer. Vous ne quitterez cette forge que lorsque vous aurez terminé, moi je vais prendre une collation à l’auberge.
Le mort vivant s’éloigne, riant de nos mines défaites. Après un moment de flottement, nous enfilons nos nouveaux outils de travail.
--------------------------------------------------------------------------------
[1] Pour ceux qui ne saisiraient pas, je précise qu’il s’agit du rêve de Kelch et non le mien (Drellath).
|