Les Loups d'Ostland - Fatalité

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Ce sont des mercenaires, des ombres qui errent de batailles en lieux de débauche, de la vie à la mort.

Le cortège avançait fébrilement, menant un dernier combat pour rentrer chez soi, en bravant la route boueuse et les bourrasques de vent qui projetaient la grêle sur la colonne en marche comme autant de projectiles meurtriers, crachés par les dieux. Jusque sur les routes, ils étaient la lie de la société, les rebuts qu’on voulait voir au plus vite s’éloigner. Et là, le ciel lui-même leur faisait comprendre toute l’antipathie qu’on avait à leur égard. Mais pour ceux qui avaient sillonné les routes du Vieux Monde de long en large, pris part aux combats les plus sanglants, s’étaient extirpés des situations les plus périlleuses, eux qu’on recrutait pour la besogne ingrate, souvent en première ligne, âmes de peu de valeur dont on payait la chair une fortune, qu’on se réjouissait presque de voir mourir avec soulagement, ceux-là, refusaient de se soumettre. Alors, dans le brouhaha assourdissant des grêlons qui frappaient le sol, s’abattaient sur eux et percutaient les bâches des chariots, la compagnie qu’on aurait cru obéir à la cadence imposée par le tonnerre comme on bat le tambour aux galères, avançait inlassablement.

Les pieds s’embourbaient dans une mêlasse épaisse qui exigeait un effort à chaque pas, arrachant des halètements et des grognements, alors que les chariots eux-mêmes nécessitaient d’être poussés pour aider les chevaux à les tirer. On n’y voyait pas plus loin que son nez, les arbres couvrant déjà un ciel d’une noirceur abyssale, alors que la pluie dressait devant leur regard un voile aveuglant. Et nul n’aurait osé lever les yeux, au risque de mourir noyé ou d’avoir le crâne fracassé.

Il y avait dans ce retour de campagne une odeur de fatalité comme si, même à l’approche d’une permission tant méritée - où chacun allait pouvoir oublier en dépensant sans compter une solde qui serait bien vite dilapidée -, le destin devait s’acharner encore pour leur rappeler que l’éclaircie n’est jamais qu’un bref moment entre deux tempêtes dans leur vie. A mesure qu’ils progressaient, le chemin devenait presque impraticable et le poids de leurs vêtements imbibés d’eau, rajoutait considérablement aux efforts à déployer pour poser un pied devant l’autre.

En tête du cortège, le capitaine semblait transpercer l’obscurité de son regard. Les ombres dansantes, l’agitation des branches qui vomissaient alors des trombes d’eau accumulées plus haut dans la cime des arbres, les illuminations quasi divines des éclairs qui sublimaient dans des moments éphémères et figés, le décor au travers duquel ils traçaient leur route, étaient autant d’images, réminiscences de leurs dernières campagnes. Lui se remémorait de manière fugitive la mort de ses derniers compagnons d’armes ; du sang versé pour des guerres que les grands de ce monde entreprenaient comme on organise la fête des moissons, avec l’esprit mercantile et l’espoir de se tailler chaque année une part un peu plus grosse dans le gâteau du Vieux Monde. Alors qu’aux frontières de celui-ci, les hordes chaotiques des dieux de la Destruction et de la haine, venaient s’écraser par légion sur les remparts fébriles et déjà longuement éprouvés, défendus par quelques héros désespérés, convaincus de mener là un combat vain pour grappiller une échéance avant la fin de tout. Car même serrés à la gorge, les humains, les nains et d’autres peuples encore, trouvaient le temps de se disputer des lopins de terres, des richesses diverses et variées, nerfs de la guerre, pour lesquels ils donneraient tout, sauf leur confort, pourvu que leur vie, souvent bien avancée se finisse dans les meilleurs conditions et peu importe leur descendance.

Mais cela Malheur, capitaine de la Compagnie des Loups d’Ostland, s’il en avait bien conscience, s’en contrefichait éperdument. Mourir demain contre le Chaos ou mourir aujourd’hui dans une guerre opposant l’homme à l’homme, la différence se faisait dans le prix qu’on lui paierait pour combattre et cela seul, ainsi que quelques autres facteurs, lui imposaient un choix. Qui étaient-ils eux, mercenaires, pour s’intéresser à l’avenir du Vieux Monde ? Savoir leur vie en danger ? Leur descendance en péril ? Cela pouvait-il avoir un écho sensé dans l’esprit de ceux qui étaient rejetés de tous, qui avaient tout perdu pour ou par la folie de ce monde ? Finalement, le jeu n’était-il pas de savoir plutôt si à leur tour, ils pourraient défier la vie et remporter une manche ? Alors, ils sillonnaient le monde, engagés par les plus grands et les plus riches, pour répondre à leurs caprices du pouvoir ou aux nécessités d’une situation délicate, contre de l’or. L’or, la seule richesse pour laquelle l’homme se damnerait tant et tant que le Chaos n’en serait plus qu’un reflet finalement éphémère de l’atrocité dans laquelle l’humanité se complaisait, jamais satisfaite de ses biens, convoitant toujours ceux des autres, jusqu’à jalouser son propre sang.

Alors que la compagnie semblait à bout de force, un hennissement déchirant vint troubler la progression. Les bêtes commencèrent à s’énerver et les montures des officiers piétinaient sur place. L’instinct vint extirper dans les tripes des hommes, un sursaut d’énergie pour affronter l’insondable danger. La colonne s’était arrêtée et un sentiment étrange, un malaise s’empara de la compagnie, jusqu’aux animaux eux-mêmes. Si la corruption chaotique était fluctuante et que toutes les terres frontalières étaient plus où moins contaminées, il y avait là quelque chose d’insidieux et de malsain. Les chiens grognaient furieusement et malgré les ordres de leurs maîtres, les bêtes ne se calmaient pas.

Un éclair vint pourfendre le ciel et offrir un spectacle qui glaça d’effroi la compagnie qui resta pétrifiée de stupeur pendant des secondes qui parurent interminables. Aux alentours, tout était dévasté ; les arbres calcinés jonchaient le sol, alors que les ruines encore fumantes trahissaient l’ampleur du brasier qui avait fait fureur. Les bâtisses éventrées offraient à la vision des mercenaires, leurs panses béantes, où des cadavres éparpillés jouaient des scènes immobiles avec des attitudes terrifiées. Ici et là, on pouvait voir des bêtes décharnées comme dévorées et la route s'était imprégnée de la couleur du sang pour ne plus s’en défaire. L’obscurité retomba et l’image du spectacle macabre n’eut pas le temps de s’imprimer dans la mémoire des hommes, que déjà, un autre éclair raviva la scène. Et ce fut pour clore un chapitre déjà insoutenable. Des créatures difformes, aux couleurs criardes et irréelles, aux regards pervers ; horreurs vivantes que seuls des démons avaient pu enfanter, apparurent dans le décor atroce. Là-bas, l’une d’entre elle se redressa alors qu’elle était plongée quelques secondes auparavant dans les entrailles d’un cadavre d’enfant. Un peu plus loin, une autre fit retentir un cri strident et sinistre.

Les premières d’entre elles chargèrent. La monture de Malheur fut attaquée au flanc et à l’encolure. Dégainant son épée il fendit la tête de l’assaillant dont le sang vint éclabousser son visage. Il chuta lorsque son cheval se cabra avant de s’affaler au sol. Se ressaisissant, il se releva vivement et hurla ses premiers ordres.

« AUX ARMES ! EN RANG SUR TROIS LIGNES !»

Le cor retentit brutalement dans la nuit pour donner l’alerte. Les mercenaires formèrent trois lignes de front de part et d’autres des chariots. Ils se regroupèrent du mieux qu’ils le purent malgré la confusion, pour encaisser l’assaut des créatures démoniaques.


«DETACHEZ LES CHEVAUX DES CHARIOTS ! ET PIEDS A TERRE !»

Les sergents répercutaient les ordres qu’on entendait à peine tant le vacarme était assourdissant. Les cris de ralliement retentissaient alors que la pluie faisait le bruit de la mitraille. Les chiens aboyaient sauvagement en réponse aux beuglements torturés des démons. Une boule de feu ardente traversa la ligne de vue ; elle percuta de plein fouet une créature qui s’embrasa et s’écroula. Le choc de la charge frénétique des ennemis fit résonner les boucliers.

«RESSERREZ LES RANGS ! PAS DE BRECHE !»

L’éclat des armes qui percutaient mortellement l’ennemi, trouva un écho dans le râle de ceux-ci. Ici et là des mercenaires s’écroulaient, frappés par des sphères scintillantes que projetaient les démons. A peine étaient-ils tombés que les combattants étaient tirés à l’écart du combat pour être remplacés par d’autres. La compagnie réussit tant bien que mal à retrouver sa coordination au prix de plusieurs minutes d’un calvaire pendant lequel de nombreuses pertes étaient à déplorer. Lorsque les sergents firent rapport de l’état et de la formation des lignes, Malheur brailla alors de nouveaux ordres.

«HOMMES DE TRAITS EN SOUTIEN ! ON TIENT LE CONTACT ! CREVEZ-MOI CES HORREURS !»

La compagnie reprit peu à peu le dessus et lorsque les lignes de vue furent complètement dégagées et qu’aucun mercenaire ne risquait d’être un obstacle, les mages s’en donnèrent à cœur joie. Les sortilèges destructeurs illuminèrent la nuit et un véritable carnage commença. Les boules de feu et les explosions de magie éventraient la masse grouillante des démons. Le combat devint alors moins inégal. Les créatures démoniaques firent entendre des hurlements insoutenables. Ils accusaient la douleur des flammes magiques et des flèches ardentes. Au contact, la compagnie s’était transformée en une carapace de boucliers, hérissée de piques, sur lesquelles venaient s’empaler les horreurs maléfiques. De longues minutes s’égrainaient et le combat se poursuivait, rythmé par les ordres braillés qui s’élevaient dans la bataille.

«FLANC GAUCHE EN DEBORDEMENT ! AVANCEZ LES CHARIOTS JUSQU’AU REMPART EST !»

La cohésion revenue, les mouvements étaient plus fluides et la compagnie agissait de nouveau comme une meute. Après avoir assuré leurs arrières, ils concentrèrent leur force pour jouer habilement du terrain et prendre le dessus. Dès lors, il n’y eut plus de perte dans les rangs et l’assaut des créatures diaboliques faiblit.

«TENEZ BON ! ILS BATTENT EN RETRAITE !»

En effet, les créatures firent marche arrière et disparurent peu à peu dans les sous-bois. Elles avaient été réduites à accepter une défaite improbable, alors que tout les avantageait auparavant. Mais dans ce combat bestial, l’instinct de survie des loups d’Ostland avait été le plus fort. La pluie avait cessée et le vent ne sifflait plus dans les branches des arbres. Le calme revenu, on n’entendait plus que les gouttes qui chutaient des arbres et le ruissellement de l’eau dans les ruines. La compagnie haletait, exténuée. Les premiers soins ne tardèrent pas à être apportés aux blessés. On rassemblait par la même occasion, les corps atrocement mutilés des mercenaires tombés au cours du combat. Pourtant, malgré l’accalmie, Il était hors de question de rompre les lignes de défense. Ils durent veiller toute la nuit, abrités derrière leurs boucliers et leurs lances. Ils puisèrent ainsi dans leurs dernières forces. Le moindre bruit mettant leurs nerfs à l’épreuve. Ils tinrent ainsi la position jusqu’à ce que le soleil soit sorti de sa grotte sous la terre, et vienne embraser le ciel pour étendre sa clarté au monde et réveiller les vivants.

Malheur ne dormit pas de la nuit et au petit matin il put alors contempler une scène de désolation comme peu l’avaient touché jusqu’alors. Car cette fois-ci, les ruines étaient celle de leur ville de rattachement : Wolfenburg. La cité avait été réduite en cendre, mise à feu et à sang, passée à saque. Leur ville, leur point de chute, là où, entre deux grandes campagnes ils venaient chercher du bon temps, trouver le repos mérité et dilapider leur solde dans l’insouciance. Ils venaient de perdre leur seul repère terrestre, là où ils avaient rencontré la famille à laquelle ils avaient donné leur vie ; la Compagnie des Loups d’Ostland.

Ce sont des mercenaires, des ombres qui errent de batailles en lieux de débauche, de la vie à la mort… qui n’ont pour toit que la voûte céleste, pour foyer le théâtre de la guerre... Et pour eux il n’existe aucun répit.
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Dernière modification par Malheur ; 28/01/2014 à 09h09.
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