C’était au terme d’un périple harassant, que Hekk était parvenu à se hisser au delà des cimes qui dominaient le monde civilisé.
Sa longue ascension l’avait profondément affaibli et il parvenait difficilement à inspirer l’air pur et glacé des hautes montagnes. Chaque bouffée lui brulait les poumons, lui faisant comprendre à quel point ces lieux étaient hostiles à l’homme. Contraint de s’arrêter, il posa ses mains sur ses genoux, haletant. En regardant machinalement derrière lui il put prendre la mesure du chemin accompli ; l’horizon disparaissait, happé par l’épais manteau de brumes, que seuls venaient déchirer les monts saillants des cimes de l’Asgard. Ce paysage lui semblait irréel, comme si aucun lien ne pouvait exister entre ce monde indompté fait de glace et de neige, et celui qu’il connaissait, fait de ruelles, coupe-gorges et tripots malodorants.
Lui qui avait erré tel un fantôme dans les grandes mégapoles Aquiloniennes et villes Brithuniennes, arpentant leurs artères, hantant leurs recoins les plus sordides, évoluait désormais sur un terrain inconnu. Pourtant sa volonté restait intacte, et la peur n’avait pas plus d’emprise sur lui. Bien qu’extenué, il sentait même une énergie nouvelle le revigorer ; car il ne restait plus qu’un petit sentier à arpenter, et il serait enfin au bout de son histoire.
Oui. C'était dans bel et bien dans ce chalet insolite niché au cœur de la montagne sauvage que s'achèverait une traque qui l’avait plongé deux longues années durant dans les entrailles urbaines. Cette pensée lui arracha un sourire amer.
Pendant longtemps, il n’avait pas prêté attention à la rumeur. Malgré les interrogatoires musclés, et les ragots collectés de tavernes en tavernes, il n’avait fait qu’ignorer ce mythe. Qui pouvait croire pareille histoire ? Et puis il y eu ce jour où dans un dernier râle d'agonie, un ruffian des bas quartiers lui avait révélé le moyen de gagner ce havre perdu. Il avait décelé dans le regard de celui qu’il mettait lentement à mort, l’éclat de vérité qui avait suffit à le convaincre.
Et maintenant qu’il pouvait la voir de ses propres yeux ; il n'y avait pas de doute, cette lourde bâtisse qui émergeait de l’épaisse croute de neige glacée, était bien l’ultime rempart se dressant entre son épée et sa proie.
Qui allait-il rencontrer une fois la porte ouverte. Cette question l’avait accompagné durant son périple et trouverait bientôt une réponse. Mais pour le moment il s’était préparé à toutes les éventualités.
Parias, bandits, criminels. Mais pas seulement cela, il sentait bien que cet oasis perdu dans un environnement hostile cachait des mystères insondables. Il se dégageait de cet endroit, une aura maléfique et malveillante.
Hekk se dégourdit les mains et se redressa avant d’observer les volutes de fumée qui s’échappaient de la cheminée. L’endroit était bel et bien habité. Pour l’instant en tout cas. Après son passage, rien n’était moins sur.
Hekk était en permanence sur la corde raide, au bord du gouffre. Il avait flirté avec la mort à maintes reprises, mais n'avais jamais succombé à son etreinte glaçée. Il s'était interdit de mourrir, tout simplement. Pas tant qu'il vivrait.
Mais même si sa détermination n’avait jamais failli, il était maintenant confronté à l’inéluctable et le doute commençait à le piquer de son douloureux aiguillon. Etait il vraiment sur d’aller jusqu’au bout ? Il en aurait la force, ca oui.
Mais c’était l’après qu’il craignait. Jusqu'à présent, tous ses actes n’avaient eu de sens que parce qu’ils étaient guidés par un simple objectif : trouver celui qui avait ruiné sa vie et le faire payer.
Une détermination qui n’était motivée que par un sentiment unique : la haine.
Sans elle, le modeste marchand ne se serait jamais mu en cette machine à tuer froide et implacable ; disparaitrait-t-elle avec le dernier souffle de celui qui l’avait enfanté ?
Et puis, pourrait-t-il encore y avoir une place pour l’ancien Hekk dans ce cœur noir strié de stigmates. La réponse n’était pas évidente. La camarde, avait été sa plus fidèle compagne durant sa traque, guidant son bras, épongeant ses peines dans le sang; elle n’était pas prête à céder la place qu’elle avait su se faire dans cette âme pure.Oui, même si la vengeance venait à s’accomplir, la marque de la mort resterait à jamais encrée en lui, voix sourde susurrant à ses oreilles de funestes promesses, ou démon tapi dans l’obscurité de sa conscience, de délectant autant de la souffrance d’autrui que de la sienne. Pire que tout, lui-même ne souhaitait pas s’en défaire, c’était une part de son personnage qu’il aimait détester et qui donnait une consistance à l’être qu’il était devenu.
Hekk se rendit compte qu’il avançait lentement sur le sentier déblayé, trop lentement. Son pas était hésitant et le malaise commençait à s’instaurer à mesure qu’il se posait des questions, et il savait que cela pouvait lui être fatal.
Afin de se ressaisir, il réprima d’un revers, comme pour les chasser, ces pensées parasites qui menaçaient d’infléchir sa trajectoire meurtrière et accéléra sa course vers la lourde porte. Finalement, en posant sa main sur la poignée en fer rouillé, il fit le vide dans son esprit. Il n’était plus question d’atermoyer, il fallait en finir.
Lorsqu’il penetra dans la bâtisse, il fut d’abord saisi par une vague de chaleur suivi d’une forte odeur de bois brulé. Aux yeux des habitants, il était apparut telle une ombre sortie de nulle part, accompagnée par son cortège de flocons dansant. Le brouhaha s’était tu, et tous les regards convergeaient vers lui désormais.
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