chroniques d'Ecarlia, une sacrieur pas comme les autres

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Bientôt fini le chapitre IX ! Désolée pour l'attente, mais j'ai eu pas mal de trucs à faire depuis quelques semaines (inscriptions aux écoles supérieures, passer lvl 100...tout ça quoi ).

Mais promis, il arrive bientôt. Je pense qu'il va aussi être assez long, donc peut-être en deux fois, peut-être qu'une partie sera en fait le début du chapitre X...on verra bien

En tout cas, il avance bien, encore un peu de patience !
Chapitre IX
Enfin fini ! ^^
Je dois l'avouer, ce chapitre ma fait ch..., j'ai eu du mal à le finir.
Mais le X promet d'être riche en révélations et rebondissements ! Je vais essayer de m'y mettre dès ce soir, et de le finir avant de partir en vacances la semaine prochaine.
Sur ce, je vous souhaite comme d'habitude une bonne lecture


Chapitre IX

La première chose que vit Ecarlia, ce fut un sacrieur. Le portrait semblait assez fidèle, les traits étaient précis et fins, apparemment faits par un artiste talentueux. Ce sacrieur était musclé, avait la peau mate, et une longue cicatrice barrait son torse. Il portait un simple pantalon de toile jaune usé, et un casque en os avec des cornes pointées vers le bas. Il avait, accrochée dans le dos, une épée d’une taille peu ordinaire, pour ainsi dire énorme.

Ecarlia fut tout d’abord impressionnée par l’allure du sacrieur. Il était réellement intimidant, même sur le papier. Une certaine virilité et une grande puissance se dégageaient rien que de son image. Elle était presque sous le charme de ce portrait, de ce guerrier à la pose si fière et qui imposait sa présence masculine dans son esprit de jeune femme.

Puis elle vit le gros titre noir « WANTED ! » de l’affiche, et su alors qu’il s’agissait d’un criminel. Elle eut envie de jeter ce bout de papier par terre de dédain. Mais quelques lettres retinrent son attention, juste deux ou trois secondes de plus. Juste le temps qu’il lui fallut pour lire :
« On recherche Padgref Demoël ! Mort ou vif ! (mort si possible !) »

Ce nom, elle l’avait simplement entendu. Elle l’avait perçu à travers la voix de sombres créatures, qui cherchaient alors à chasser l’assassin de ses parents du petit cimetière. Ils avaient susurré : « Padgref…trouve Padgref ». Elle ne connaissait que son nom prononcé, elle ne l’avait jamais vu écrit.
C’est pourquoi elle ne cru pas tout de suite à ce qu’elle voyait. Ce nom qu’elle lisait, se prononçait probablement d’une autre façon, ce ne pouvait pas être le même. Elle le prononça une première fois à haute voix, comme elle pouvait le lire :
- Padgref…
Le son était le même. Ses mains se crispèrent sur la feuille. Elle le prononça à nouveau, pour être sûre.
- Pa…Padgref.
C’était bien ça. C’était impossible, et pourtant c’était bien ça. Le même son. C’était lui. Padgref. Ecarlia avait sous les yeux la personne responsable de la mort de ses parents, son portrait, ce à quoi il ressemblait, parfaitement bien dessiné. L’image qui lui avait semblée agréable à regarder, devint soudain à ses yeux la cible directe d’une haine montante.
Il était recherché. Ce n’était pas un parfait inconnu, un assassin d’une nuit, obéissant à une idée sombre de vengeance ou de jalousie, ou de quoi que ce soit d’autre. C’était un criminel recherché par les autorités. Un danger public, qui avait probablement fait bien d’autres victimes, en plus des deux personnes qu’Ecarlia aurait dû connaître, mais qu’il lui avait enlevées.

Son cœur gonfla progressivement, alors qu’elle prenait conscience de ce que l’image représentait. La haine remplissait petit à petit chaque parcelle de son esprit, entièrement tourné vers cette simple feuille. Elle n’avait jamais ressenti une telle chose. L’image du sacrieur ne la quittait plus, elle l’imaginait debout, dans la clairière, face à son père et sa mère. Son cauchemar sinistre prenait toute son ampleur, maintenant qu’elle pouvait mettre un visage sur les silhouettes.
Une larme coula sur sa joue alors que la scène qu’elle avait vécue cette nuit en songe repassait en accéléré dans sa tête. Le trou béant dans la poitrine de son père, sa mère fracassée contre le mur de la maison…c’était lui. C’était ce monstre qui lui avait enlevé sa famille.

C’est alors qu’elle entendit une voix familière l’appeler. Une voix grave, masculine. Une main passa devant ses yeux, et elle releva la tête.
Hutar était là, devant elle, et la regardait bizarrement. Elle senti la feuille lui échapper des mains. Ses doigts ne résistèrent pas pour garder le morceau de papier. Elle ne savait même pas si elle voulait s’en débarrasser ou le garder.
- C’est une vieille affiche ça, elle a dû se décrocher à cause du vent…dit Hutar en lisant le « wanted ». Padgref Demoël. Ca fait un bout de temps que pas mal de monde le cherche, mais personne ne l’a trouvé.
Il se tourna à nouveau vers elle.
- Ecarlia, qu’est ce qu’il y a ? T’as pas l’air en forme, tu vas bien ?
La sacrieur ne répondit pas. Hutar prit son épaule et la secoua doucement.
- Hé ho ! Je te parle ! Qu’est ce qui t’arrive, on dirait que tu as vu un fantôme de pandore ?
Ecarlia reprit soudainement conscience de son environnement. L’image du meurtrier de ses parents l’avait plongée dans une bulle de haine, l’isolant complètement de tout ce qu’il y avait autour d’elle. Elle se souvint de la chute de l’étoile…du chaos qu’il y avait en ville.
- Je…oui, oui ! Je suis là ! répondit Ecarlia en repoussant gentiment le bras qui la secouait.
- Je le vois bien que tu es là ! Je te demande si ça va.
- Oui…oui ne t’inquiète pas, j’ai eu une petite absence…fit elle en se tenant la tête, avec un petit sourire forcé.
Le sadida haussa un sourcil pas très convaincu. Il ne chercha cependant pas à creuser l’histoire, au grand soulagement d’Ecarlia.
- Essaye de ne pas trop en avoir alors, ce n’est vraiment pas le moment idéal. On va avoir besoin du plus de personnes valides possible. Ho ! ZANKIOH, ICI ! cria-t-il soudain.
Ecarlia se retourna, et vit que l’eniripsa courrait pour les rejoindre. Lorsqu’il fut juste à côté, elle remarqua qu’il avait des taches de sang sur les vêtements, et qu’une ceinture où pendaient toutes sortes de poudres et de fioles était à présent accrochée à sa taille.
- Rien à signaler en prison ? demanda-t-il sur le ton d’un chef de guerre.
- C’est bon, j’ai maîtrisé la situation, répondit aussitôt Hutar. Et toi, qu’est ce qu’il y a de ton côté ?
Zankioh se passa une main rougeâtre sur le visage, y laissant des traces de la même couleur. Quand il s’en rendit compte, il fit une moue de dégoût, et s’essuya vite avec sa manche. Ecarlia avait beau être habituée à la vue du sang, étant sacrieur et chasseuse, en voir autant ne la rassurait pas du tout.
- Il n’y a pas beaucoup de morts pour l’instant, heureusement, expliqua Zankioh, surtout des blessés. Mais certains ont de graves hémorragies, ils risquent de ne pas tenir longtemps…et je ne peux pas m’occuper de tout le monde en même temps ! Il n’y a pas assez d’eniripsas dans cette ville ! J’ai déjà contacté plusieurs membres de la Fiole d’Otomaï, mais cela risque de ne pas être assez…
- Très bien, je vais voir si des personnes de ma guilde peuvent venir aider. Globine serra peut-être là.
Zankioh sursauta.
- V…vraiment ? Elle…elle va venir ? bégaya-t-il.
Hutar se fendit d’un grand sourire.
- J’ai dit peut-être, j‘ai rien affirmé moi !
Le sadida sorti de sa poche une pierre violette, qui se mit aussitôt à luire. Il alla se placer un peu à l’écart, et ferma les yeux, comme s’il priait. Ses lèvres remuaient en silence, et la luminosité de la pierre augmentait lentement.
Ecarlia commençait à être un peu perdue. Zankioh la saisi à son tour par le bras, et l’entraîna avec lui.
- Allez, viens avec moi, toutes les paires de bras seront bienvenues cette nuit ! Pam nous aide déjà comme elle peut, tu vas en faire autant ! s’exclama-t-il en tirant la sacrieur.
- Attend !
Elle se dégagea d’un geste rapide, et couru prendre quelque chose par terre, qu’elle glissa vite dans sa poche avant de revenir vers l’eniripsa.
- Qu’est ce que c’est ? demanda celui-ci.
- On s’en fiche ! répliqua-t-elle. Les gens ont besoin de nous, non ? Pas de temps à perdre !
Zankioh acquiesça, et reparti vers le centre-ville, Ecarlia sur les talons. Il y avait de plus en plus de badauds dans les rues, d’enfants en pleurs, de personnes curieuses ou effrayées. L’eniripsa ne s’en souciait pas du tout, il courait entre les rues, vers l’endroit où ils avaient tous vu l’affreuse scène.
Lorsqu’ils y arrivèrent, Ecarlia eu, un bref instant, peur de regarder à nouveau. Mais elle se rendit vite compte que tout avait été nettoyé. Des civières étaient déjà installées devant l’auberge, et des toits de fortune en toile de tente avaient été dressés au-dessus. La plupart des personnes qui y étaient allongées remuaient, et parlaient aux eniripsas qui allaient et venaient entre les lits. Seules quelques unes ne bougeaient pas. Celles-ci avaient en permanence quelqu’un à leurs côtés. Ce pouvait être un eniripsa, qui prodiguait ses soins efficacement. Mais c’était parfois une personne en pleurs. Voire plusieurs.
Ecarlia s’efforça de ne pas y penser, et se laissa guider par Zankioh vers les civières. Il fit un signe de main à un autre eniripsa, aux ailes blanches, qui discutait avec plusieurs autres de ses congénères. Lorsqu’ils furent face à face, celui aux ailes blanches serra brièvement Zankioh dans ses bras. Celui-ci lui rendit son étreinte avec la même vigueur. Ils étaient apparemment de très bons amis.
- Ca fait plaisir de te voir, Zankioh, je suis arrivé il y a quelques minutes. Dommage que ce soit dans ces conditions…dit l’eniripsa aux ailes blanches, la mine sombre.
- Oui, ça faisait trop longtemps…mais on parlera plus tard Jack. Comment ça évolue ?
Jack se retourna vers les civières, toujours l’air sombre.
- Un autre est mort de son hémorragie selon ceux qui étaient déjà là, il n’y avait plus de potion coagulante. Et plusieurs autres vont bientôt subir le même sort…ils en préparent à l’atelier des alchimistes, mais il n’y a pas assez de monde pour aller les chercher, je n’ai trouvé qu’une pandawa un peu…électrique. Elle ne pourra pas en ramener suffisamment pour tous les sauver.
Il parlait probablement de Pam. Ecarlia s’adressa à Zankioh :
- Où est ce qu’il est cet atelier ? Je vais aller les chercher.
- Suis cette rue, il est tout au bout, répondit-il aussitôt en montrant une large rue. Merci Ecarlia.
La sacrieur n’attendit pas une seconde de plus, et se mit à courir en direction de l’atelier des alchimistes. Elle croisa plusieurs fois des gens qui transportaient vers la place publique des corps inconscients, ou qui aidaient des personnes qui l’étaient presque à marcher. Devant le nombre de blessés, Ecarlia se dit qu’il serait difficile de sauver tout le monde. D’autres y resteraient probablement. Mais elle allait tout faire pour que cela n’arrive pas.
Elle n’avait pas été là, lorsque Gilles et Prunes avaient été agressés. Elle les avait abandonnés, et ils auraient peut-être pu faire face à leurs attaquants si elle avait été là pour les soutenir…elle aurait pu les aider, mais elle n’avait pas été là quand ils avaient eu besoin d’elle.
Mais cette fois, elle était là. Des gens souffraient, avaient besoin d’aide de toute urgence, et elle allait leur venir en aide. Plus qu’un devoir, elle sentait qu’elle avait besoin de ça. Peut-être pour soulager sa conscience, peut-être pour autre chose, mais il fallait qu’elle aide ces gens.
La rue était longue, elle comprit pourquoi le dénommé Jack avait peur que la plupart des gens ne puissent pas être sauvés. Elle voyait, un peu plus loin encore, une fumée aux couleurs changeantes s’échapper d’un bâtiment dans lequel semblait fourmiller beaucoup de monde. Elle accéléra sa course, et se retrouva bientôt devant l’atelier des alchimistes. Le bâtiment était plutôt petit, circulaire, avec une porte comme enfoncée dans la pierre. Mais le plus étrange, c’était le toit. Il y avait un immense trou au somment, duquel sortait le feuillage d’un grand arbre.
Ecarlia ouvrit la porte, et ses narines furent assaillies par des centaines d’odeurs différentes. Elle se recula en toussant, et eu une soudaine envie de faire demi-tour. Mais elle se résigna à devoir entrer, et se boucha le nez avant de franchir le pas de la porte.
A l’intérieur, c’était le bouillonnement. Des dizaines de personnes s’affairaient autour de fioles, de ballons, de petites flammes, mélangeant toutes sortes d’ingrédients pour obtenir des liquides de toutes les couleurs. En plein milieu de la pièce poussait un grand arbre, celui dont les feuilles étaient visibles depuis l’extérieur. Ecarlia se demanda brièvement à quoi pouvait bien servir une telle décoration, si ce n’est à embêter tous ceux qui travaillaient ici.

La sacrieur vit alors, attendant devant une paillasse où plusieurs personnes faisaient bouillir, distillaient, décantaient toutes sortes de choses, la pandawa qu’elle voulait voir. Pam regardait avec des yeux brillants les alchimistes tirer de leurs manipulations un liquide rouge sang, qui remplissait rapidement une grande fiole. Ecarlia s’approcha doucement, et posa une main sur l’épaule de la pandawa. Celle-ci sursauta, et se retourna brusquement :
- Ecarlia ! Tu m’as fait peur ! Qu’est ce que tu fais là ? s’exclama-t-elle en reconnaissant la sacrieur.
- Je suis venu aider à apporter les potions, ils en ont besoin très vite là-bas.
Pam reporta son attention sur les alchimistes.
- Elles sont presque prêtes, dit-elle la voix rêveuse.
La pandawa observait chaque mouvement des alchimistes, de la même façon qu’une petite fille regarde avec admiration les mains de sa mère recoudre un petit accro à sa robe. La fiole fut remplie quelques secondes plus tard, et un homme plutôt jeune vêtu de cuir, aux cheveux étrangement blancs, et avec deux petites cornes, la tendit à Pam.
- Tiens, dit-il, voilà tout ce qu’on peut fabriquer pour l’instant, j’espère que ça suffira.
- Merci beaucoup Solis, je vais me dépêcher de leur apporter, répondit Pam.
L’osamodas lui fit un clin d’œil discret.
- Et si tu veux repasser quand ce sera plus calme, commença-t-il plus bas, tu sais comment me contacter, je me ferais une joie de t’aider.
La pandawa s’illumina d’un grand sourire, et s’inclina rapidement devant l’alchimiste avant de déposer la fiole dans une caisse, où plusieurs autres fioles identiques attendaient déjà. Elle la souleva et la mit au-dessus de sa tête, la portant comme un seau d’eau.
- Prend l’autre Ecarlia ! dit-elle en désignant du regard une seconde caisse pleine de potions. Allez, il faut se dépêcher !
La sacrieur avait observé toute la scène, et avait prit un air amusé devant le comportement enfantin de Pam. Mais elle se ressaisi vite et alla prendre la caisse, avant de sortir en courant de l’atelier juste derrière la pandawa, direction la place devant l’auberge.
La caisse était lourde…Ecarlia se demanda où Pam pouvait bien trouver l’énergie nécessaire pour la soulever aussi haut. Cependant, la sacrieur parvenait à suivre la course, et elle trouva même assez de souffle pour lancer à la pandawa :
- On dirait que ça t’intéresse l’alchimie !
- Ah bon ? Ca se voit tant que ça ? répondit Pam un peu gênée.
- C’est peut-être autre chose, continua malicieusement Ecarlia, je n’ai pas bien vu si c’était l’alchimie ou l’alchimiste que tu dévorais des yeux !
Pam lâcha un petit gloussement, puis elle se mit soudainement à accélérer, laissant Ecarlia à la traîne.
- Hé ! fit celle-ci.
- Garde ton souffle pour courir, au lieu de dire des bêtises ! plaisanta la pandawa.

Lorsqu’elles arrivèrent à l’hôpital de fortune, elles furent accueillies comme des sauveuses par les eniripsas qui couraient entre les lits des blessés. En quelques secondes, les caisses furent vides, mais chaque goutte de potion coagulante fut utilisée de la meilleure façon possible.
Les deux jeunes femmes s’attribuèrent ainsi un rôle important : celui de livreur. Leur énergie débordante serait pour une fois utile aux autres.
Elle ne mirent pas longtemps à trouver d’autres bras, qu’elles placèrent sous leur commandement, et devinrent bientôt responsable de toute une petite équipe de coursiers, qui allaient et venaient de par la ville pour aller chercher des couvertures, de la nourriture, des potions, et autres objets que les médecins d’une nuit demandaient en permanence. Bien sûr, elles ne faisaient pas que donner des ordres, mais participaient aussi activement aux courses, principalement les objets importants ou urgents.

La nuit passa, et Ecarlia se sentait de moins en moins fatiguée, tant elle était absorbée par ses allé et venu. En fait, elle ne se rendit compte de la nuit blanche qu’elle venait de passer que lorsque les torches de la ville s’éteignirent brusquement, pour lentement laisser place à la lumière du jour. Elle pu dès lors voir que la plupart des civières étaient maintenant vides, alors qu’il n’y en avait même pas assez pour tous les blessés quelques heures auparavant. Une pique de fierté vint titiller son esprit, et pour la première fois depuis un bon moment, elle se senti en paix avec elle-même. Elle avait grandement participé à sauver des vies cette nuit, et peut-être que plusieurs personnes qu’elle croiserait d’ici peu ne serait pas là si elle n’avait été là. C’était du moins ce qu’elle se disait.

Il ne fallut pas très longtemps pour que la fatigue reprenne enfin le dessus sur le reste. La nuit passée à courir dans tous les sens se faisait sentir dans le corps de la sacrieur. Ses muscles la faisaient souffrir et sa vigilance diminuait de plus en plus. Elle manquait de plus en plus souvent de trébucher sur des pavés surélevés, ou d’autres obstacles auxquels elle ne faisait plus attention du tout. Alors qu’elle empilait la dernière caisse vide, elle vit Pam qui entassait les couvertures, juste en face. La pandawa la vit exactement au même moment, et elles s’écrièrent ensemble d’une même voix :
- Ho mon Dieu ! Tu verrais ta tête ! Tu as une mine affreuse !
Elles se regardèrent l’une l’autre pendant quelques secondes, se dévisageant mutuellement, puis elles éclatèrent en même temps de rire. Il semblait bien que la fatigue gagnait également la pandawa, à peu près autant qu’Ecarlia.
- Mais ça m’a tout l’air d’aller plutôt bien ici ! clama une grosse voix.
Hutar apportait lui aussi du matériel dans ses bras musculeux, et venait de tomber sur les deux jeunes femmes qui riaient aux éclats.
- Oh…c’est plus de l’épuisement qu’autre chose, lui répondit Pam en s’adossant à un petit arbre planté là. Je n’en peux plus…
- On a couru dans tous les sens toute la nuit ! s’exclama Ecarlia. Je suis lessivée…je n’ai jamais passé une nuit pareille.
- Faut dire que cette nuit a été pour le moins…surprenante, commença le sadida d’une voix soudain plus grave. D’abord ce Méga Craqueleur, ensuite ces choses qui tombent du ciel…il ne nous manque plus qu’une invasion de moskitos et le tableau sera complet !
Il avait reprit son ton enjoué à la fin de la phrase, mais Ecarlia avait bien décelé une certaine inquiétude dans ses premiers mots. Elle ne connaissait pas cette région, mais il semblait que le monstre qu’ils avaient dû affronter cette nuit n’avait rien à faire ici. Elle avait l’impression que les choses étranges la suivaient ces derniers temps…
- Bon, c’est pas le tout, mais il faudrait peut-être que vous alliez vous reposer les yeux les filles, continua-t-il, Zankioh m’a dit que vous aviez fait un boulot formidable cette nuit, il vous a invitées à aller faire un somme chez lui.
- Alors ça c’est pas de refus ! souffla Pam.
- Oui…mais où il est au fait ? demanda Ecarlia. Ca fait un certain temps que je ne le vois plus, il est parti ?
- Ho non ! Il, heu…
Le sadida s’interrompit dans sa phrase, et sembla réfléchir. Puis un large sourire se dessina sur son visage.
- Plutôt que les mots, regardez donc derrière vous.
Ecarlia et Pam se retournèrent, pour voir, à quelques dizaines de mètres de là, leur ami en compagnie d’une magnifique eniripsa aux ailes de papillon. Elles étaient de couleur rouge, mais un rouge agréable, beau, sensuel, et décorées de petits motifs blancs. Les deux eniripsas se parlaient face à face, Zankioh tenait les mains de sa partenaire entre les siennes, et ils se fixaient intensément tout en se parlant.
- J’ai toujours su que ça finirait comme ça entre ces deux-là, fit Hutar la voix tremblotante. Ils vont si bien ensemble !
Ecarlia n’en revenait pas. Le grand gaillard juste à côté d’elle, qu’elle considérait comme l’incarnation de la force de la nature, était en train de pleurer ! Mais voir Zankioh dans cette situation l’étonnait tout autant. L’eniripsa semblait si distant, si peu sentimental, que de le voir ainsi avait de quoi la troubler.
Cependant, elle devait reconnaître qu’elle se sentait bien en voyant ce couple si authentique. Après les horreurs qu’elle avait vues cette nuit, un tel spectacle la rendait presque heureuse, rien que par sa simplicité.

La petite eniripsa sépara soudain ses mains de celle de Zankioh, et lui saisi délicatement la tête. En une seconde, avant que celui-ci n’ait pu réagir, elle posa ses lèvres contre les siennes, et les retira aussitôt. Ecarlia, Pam et Hutar en restèrent bouche bée, ne s’attendant absolument pas à cela. Zankioh sembla ressentir exactement la même chose, mais un poil plus complexe. La belle lui fit une rapide courbette, et bu le contenu d’un flacon bleu clair. L’instant d’après, elle avait disparu. Pendant tout ce temps là, Zankioh n’avait pas fait un geste. Ce ne fut que plusieurs secondes après son départ qu’il agita la main comme pour dire au revoir.
Ecarlia entendit Pam pouffer de rire à côté d’elle, et Hutar trépignait de joie comme un gamin de sept ans.
- Oui ! Je le savais ! Je le savais ! jubilait-il. Oups, il nous a vu. Je file ! Il aura pas vraiment envie de parler avec moi cette fois-ci !
Le sadida s’en alla en courant presque et en répétant des « je le savais ! » ridiculement puériles, alors que Zankioh les avait effectivement aperçus, et avançait vers les deux jeunes femmes en traînant les pieds. Lorsqu’il fut juste devant elles, Ecarlia remarqua avec amusement que son visage avait prit une teinte rouge. Il s’adressa à elles d’une voix bien plus basse que d’habitude :
- Vous avez tout vu je parie ? A voir vos sourires ça ne fait aucun doute…
- Hi hi ! Mais y a pas de honte à avoir Zankioh ! fit Pam en retenant quelques gloussements. C’était trop mignon, la façon dont tu es resté assommé !
- Dit moi, cette charmante demoiselle ne serait pas…Globine par hasard ? lui demanda malicieusement Ecarlia.
Zankioh releva la tête, les yeux pleins de stupeur.
- Mais comment est-ce que tu… ? Oh, peu importe…Hutar jubilait je suppose ?
- A tel point que c’en était ridicule, répondit Pam.
- C’est bien ce que je craignais…je n’ai pas fini d’en baver, fit il en baissant la tête.
- Ca m’a plutôt l’air de valoir le coup, ajouta Ecarlia avec un clin d’oeil. En tout cas de ce que j’ai pu en voir !
Zankioh lui répondit par un simple petit sourire, dernier signe qu’il leur donna de la sensibilité qu’il cachait derrière un mur de savoirs et de savoir-faire médicaux, et d’apparente froideur calculatoire.
Car l’instant d’après, c’était ce Zankioh là qui reprenait les rennes de la discussion.
- Bon ! Assez parlé de moi, parlons de cette nuit. Vous avez fait un travail formidable, grâce à vous les médecins présents ont pu réellement s’organiser sans avoir à craindre que le matériel ne suive pas. Vous avez certainement sauvé des vies…et pour ça je vous dit merci à toutes les deux, fini-t-il en s’inclinant devant les deux jeunes femmes.
Ecarlia était un peu prise de court. Elle ne s’attendait pas vraiment à de tels remerciements, et vit que Pam était à peu près dans la même situation qu’elle. Elle s’apprêta à dire quelque chose, la première qui lui viendrait à l’esprit, mais Zankioh l’en empêcha :
- Mais ! Vu l’état de votre visage, je dirais sans trop me risquer sur mon hypothèse que vous souffrez d’épuisement total lié à une nuit complète à cavaler dans la ville, et c’est pourquoi je vous invite, et même vous oblige, à aller vous reposer chez moi, il y a largement assez de place pour vous accueillir. Demandez juste où est la chambre d’amis à Gawy, il vous montreras…gratuitement. J’ai l’impression qu’il t’aime bien Ecarlia. D’ailleurs…
Il étouffa un bâillement.
- …je crois que je vais vous rejoindre d’ici peu. Juste quelques dernières petites choses à régler, et j’irai m’écrouler sur mon lit. Tout est clair, mesdemoiselles ?
Ecarlia et Pam hochèrent en même temps la tête. Avec ce Zankioh là, inutile de discuter. Et puis de toute façon, tout était clair.
- Dans ce cas, je vous laisse y aller, vous connaissez le chemin. Et je vous souhaite avec un peu d’avance une bonne…grasse matinée.
Puis il leur tourna le dos, et reparti courageusement vers de nouvelles activités, alors qu’il était lui aussi mort de fatigue. Les deux amies se regardèrent un bref instant, haussèrent les épaules, et prirent tranquillement le chemin de la maison de l’eniripsa.
Après tout, elles n’avaient rien contre un peu de repos…


Comme l’avait prévu Zankioh, Gawy leur fit la fête dès qu’elles arrivèrent, et alla se frotter à la jambe d’Ecarlia comme un chacha. A peine lui avaient-elles demandée où se trouvait la chambre d’amis, que le petit familier sautilla en couinant vers les escaliers. Après un bref regard interdit, les deux jeunes femmes le suivirent à l’étage, et découvrir la chambre d’amis.
Ecarlia et Pam restèrent bouche bées devant celle-ci. La chambre était splendide. Toute en simplicité, mais splendide. Presque aussi grande que la salle à manger chez Gilles et Prune, les murs étaient en pierre de couleur crème, très sobre, et cependant chaleureuse. Le sol et le plafond étaient en parquet, d’un bois foncé marbré, et parfaitement bien ciré. Il y avait une cheminée ici aussi, de taille moyenne, avec un petit tas de bois à côté. Ecarlia se dit que le bois du sol et du plafond devait lui aussi être ensorcelé, à la manière du la maison des deux enutrofs dont elle avait récemment fait la connaissance, sinon une cheminée ici serait une pure stupidité de la part de Zankioh, chose qu’elle n’imaginait même pas.
Mais le plus incroyable, c’était les lits. Ils étaient immenses, en tout cas selon elle. Elle était habituée à dormir dans un petit lit pour une personne, et ceux-ci étaient au moins trois fois plus larges, et deux fois plus longs ! De plus, ils étaient richement décorés, leurs têtes étaient sculptées de nombreuses petites scènes, comme une chasse au bouftou, une cueillette, de la pêche…et ils étaient en plus au nombre de deux !
Pam alla s’asseoir sur l’un d’eux, et s’y enfonça un peu avant de rebondir.
- Ces lits sont géniaux ! s’exclama-t-elle en s’y allongeant complètement. Moi qui suis habituée à un lit en bambou, je sens que je vais dormir comme un bébé !
- Mais qu’est qu’il fait comme métier pour avoir une maison pareille ? Je n’en reviens pas, dit Ecarlia à voix haute.
- C’est vrai qu’on dirait qu’il est riche, répondit Pam. Peut-être qu’il travaille depuis très longtemps comme médecin, je me demande si ça paye bien.
Alors que la pandawa s’amusait comme une petite fille en sautillant et en roulant sur son lit, Ecarlia observa encore quelques instants la chambre luxueuse et parfaitement propre, avant de se rendre compte qu’elle était elle-même aussi crasseuse qu’un bouftou. Depuis combien de temps ne s’était-elle pas lavée ? Plusieurs jours, à n’en pas douter. Elle se sentait toute collante, et des taches noirâtres et marron constellaient sa peau claire. Et encore, elle ne se rendait pas compte de l’odeur qu’elle pouvait avoir…
Elle se senti honteuse de dormir dans un lit pareil en étant aussi sale, et décida de trouver le moyen de se laver avant de pouvoir aller se coucher.
- Bon, moi je vais demander à Gawy s’il y a moyen de faire un brin de toilette avant d’aller dormir, déclara-t-elle.
Pam se releva précipitamment, comme si elle se rendait compte elle aussi qu’elle était sale et qu’elle se vautrait dans des draps propres.
- Heu…oui bonne idée, dit-elle. J’irai après toi, ma fourrure est pleine de poussière.
Ecarlia sorti de la chambre, et appela le tiwabbit le plus gentiment qu’elle pouvait. Dans les secondes qui suivirent, le petit animal apparu en sautillant et se posta comme un minuscule soldat devant la sacrieur, attendant patiemment les ordres.
Elle se pencha et caressa la tête de l’animal, qui émit un son probablement comparable à un ronronnement. Elle s’adressa à lui comme à un petit enfant, comprenant toujours difficilement comment cette créature pouvait saisir tout ce qu’elle lui disait.
- Dit moi Gawy, est-ce qu’il y a un endroit ici où je pourrait me laver ? demanda-t-elle lentement. Je voudrais pouvoir me débarbouiller un peu avant d’aller me coucher.
Ecarlia n’en fut pas certaine, mais elle cru voir les yeux du tiwabbit pétiller un bref instant. Puis celui-ci parti en sautillant toujours de la même façon, et s’arrêta à quelques mètres plus loin dans le couloir, devant une autre porte. Elle le suivit, et ouvrit doucement la porte, s’attendant presque à n’importe quoi dans cette maison.

Lorsqu’elle découvrit l’intérieur de la pièce, Ecarlia en resta les bras ballants. Elle n’avait jamais vu de choses semblables. La pièce était presque aussi grande que sa chambre chez Gilles et Prune. Les murs étaient semble-t-il recouverts d’une genre de tissage en fibres de bois clair, un peu comme un panier en osier, et le sol avait l’air d’être en terre cuite, mais de couleur crème. Une large bassine en bois était plaquée contre le mur du fond, avec une épaisse toile à l’intérieur. Ecarlia comprit aussitôt que c’était une baignoire, mais elle n’en avait jamais vu d’aussi belle. Ce qui attira le plus son attention, ce fut la présence de deux tuyaux en métal descendant du plafond, qui se terminaient juste au-dessus de la bassine par un embout incurvé et une sorte de clé sur le côté. Elle s’en approcha curieuse, et vit que la clé ne s’insérait dans rien. Il n’y avait pas de serrure, elle était directement soudée dans le tuyau. Elle saisi l’une des deux étranges pièces de métal, et essaya de la tirer, de la pousser, de la tourner…de la tourner. Elle arrivait à la tourner. Ecarlia était plus curieuse que jamais de cet étrange mécanisme, et tourna encore la petite clé. Au bout de deux tours, un mince filet d’eau se mit à couler du tuyau. Elle tourna aussitôt dans le sens opposé, et l’eau s’arrêta de couler. Complètement subjuguée par ce phénomène, elle tourna à nouveau la clé, encore plus, et cette fois l’eau se mit à couler franchement dans la baignoire. Elle la toucha du doigt, et se rendit compte que l’eau était tiède, ni trop chaude ni trop froide.
La sacrieur était tout bonnement émerveillée par ce spectacle. Elle tourna l’autre clé de la même façon, et fit s’écouler de l’eau froide. Aucun intérêt cette fois, puisque le premier tuyau lui donnait une eau d’une température parfaite. Elle ferma donc ce second tuyau, et laissa l’eau tiède remplir lentement la bassine.
Sur une petite étagère, juste au-dessus de la baignoire, elle vit une éponge, et un gros bloc clair, duquel émanait une odeur de fleur. Elle reconnut un savon, bien qu’elle en ait rarement vu auparavant.
Complètement sous le charme de cette pièce incroyable, elle entreprit de se déshabiller, lorsqu’un petit couinement derrière elle la stoppa. Elle se retourna, et vit qu’elle avait oublié de fermer la porte. Gawy était posté là, inexpressif, et ne la quittait pas des yeux. Soudain mal à l’aise, Ecarlia alla lentement fermer la porte, tout en regardant le tiwabbit qui ne bougeait pas d’un poil. Lorsque la porte fut bel et bien fermée, Ecarlia se dit que ce petit animal était peut-être bien plus intelligent qu’elle le pensait…

Lorsque la baignoire fut remplie, et qu’elle eût bien vérifié qu’aucun œil ne pouvait la voir cette fois-ci, Ecarlia retira ses vêtements de voyage, et se glissa avec délice dans l’eau tiède. Le liquide était à la température la plus parfaite qui soit, elle avait presque l’impression de n’être même pas immergée. L’eau l’enveloppait comme un très léger courant d’air chaud, elle se sentait parfaitement détendue dans cette bassine, comme si toutes les tensions qui l’accablaient depuis plusieurs jours étaient absorbées par le liquide transparent. Elle aurait facilement pu s’assoupir là, sans attendre plus longtemps.
Mais elle trouva tout de même l’énergie suffisante pour aller prendre l’éponge et le bloc de savon au-dessus de la baignoire, et commença à se frotter la peau pour en enlever les traces de saleté. L’éponge était très douce, comme une caresse, et l’odeur de fleurs qui se dégageait du savon ajoutait encore à l’atmosphère paisible et détendue qui régnait dans la pièce.
Ecarlia se nettoya consciencieusement tout le corps, en prenant tout de même le temps de savourer ce bain si agréable et si facile à faire. Son esprit et son regard s’attardèrent encore sur les étranges tuyaux, desquels coulait comme par enchantement cette eau tiède ou froide, rien qu’en tournant une simple petite clé. Elle essaya de comprendre comment pouvait bien fonctionner une telle merveille, imaginant maintes explications toutes plus farfelues les unes que les autres, et s’amusant elle-même de son imagination un peu trop fertile.

Puis, lorsque le reste de son corps fut propre, elle se décida à s’intéresser à sa petite « particularité ». Une fois de plus, elle s’assura du mieux qu’elle pu que rien ne la surveillait, avant de sortir sa queue féline de l’eau. Elle la prit entre ses doigts, et la regarda amoureusement. Cette queue était la dernière chose qui la rattachait à sa mère. Cette couleur sombre, entre le rouge et le brun, était la couleur du pelage de la femme qui lui avait donné la vie. C’était devenu un réflexe pour elle de la cacher, même si elle n’avait jamais vraiment comprit pourquoi. D’ailleurs, aucun de ses compagnons de route n’avait remarqué qu’elle cachait cet appendice peu banal dans son pantalon large, ce qui prouvait bien qu’elle savait ce qu’elle faisait, et qu’elle le faisait bien.
Cependant, cela ne l’empêchait pas d’aimer sa queue, qu’elle considérait à la fois comme une partie d’elle, à la façon d’un bras, et comme une partie de sa mère disparue. Ecarlia nettoya la fourrure de sa queue du mieux qu’elle le pu, avant de se résigner à sortir de son bain.
Sur une autre étagère, à côté de la baignoire, étaient empilées des serviettes en apparence très moelleuses. La sacrieur voulu aussitôt vérifier si les apparences étaient trompeuses, et s’enroula dans l’une des longues serviettes pour se sécher. Elles ne l’étaient pas. Elle n’avait jamais senti un tissu aussi doux sur sa peau.
La maison de Zankioh était décidément pleine de surprises. Ecarlia se sécha tranquillement, et enroula la serviette autour d’elle juste sous les aisselles. Elle regarda ensuite ses vieux vêtements de voyages sales empilés par terre, redoutant en soupirant le moment où elle devrait les remettre.
- Tu as fini Ecarlia ? Je peux y aller ? Ho !
Pam venait d’entrer sans prévenir dans la salle de bain, une chemise de nuit à la main, et s’était pour ainsi dire pétrifiée sur place. Ecarlia resta un instant immobile, ne comprenant pas tout de suite pourquoi la pandawa avait prit une expression aussi surprise. Elle cru d’abord que son amie était elle aussi éberluée par cette pièce hors du commun, mais se rendit bien vite compte que Pam ne la quittait pas des yeux.
Ecarlia comprit alors que la pandawa avait le regard fixé sur sa queue.
Son cœur fit un bond magistral dans sa poitrine, et elle n’osa plus bouger, comme paralysée par l’idée qu’une personne eût découvert son secret de toujours. Un silence pesant s’installa, et on aurait dit que le temps avait suspendu son vol sur cette scène, à tel point tout était immobile dans la pièce.
Ce fut Gawy qui brisa le silence, sautillant comme à son habitude avec ses petits couinements, quand il entra dans la salle de bain juste sous Pam qui tenait la porte. Il vit à son tour Ecarlia, et son regard sembla s’attarder sur la longue queue d’écaflip de la jeune femme, avant qu’il ne vienne se frotter avec un plaisir non caché à sa jambe toute propre, et surtout dénudée.
Pam fut la première à prendre la parole, et elle parla d’une voix qui n’était ni dégoûtée, ni indignée, mais bel et bien admirative :
- Ecarlia, c’est incroyable ! Tu as une…queue ?!?
La sacrieur ne répondit rien. Pam ne s’approchait pas, elle semblait intimidée, et restait en dehors de la pièce.
- Mais je ne l’ai jamais vue ! continua-t-elle sur le même ton. Tu la cachais ? Mais pourquoi ?
Ecarlia voulu cette fois répondre quelque chose, mais presque rien ne sorti de sa bouche.
- Je…je ne…
Pam s’approcha doucement, toujours captivée par l’appendice rouge-brun de la sacrieur. Celle-ci inspira profondément pour se calmer, ne sachant trop quoi faire. La pandawa se pencha vers la queue qui pendait maintenant sur le sol, sans aucun mouvement.
- Est-ce que…tu peux la bouger ? demanda-t-elle innocemment à Ecarlia. Enfin je veux dire, est ce que tu arrives à faire des trucs avec ?
- Heu…oui. Oui je peux, répondit Ecarlia toujours très mal à l’aide.
Elle fit alors quelques petits mouvements simples avec sa queue, la tordant un peu, l’enroulant, faisant le balancier…Pam était en admiration totale devant ce spectacle.
La réaction de son amie la rassurait légèrement, elle avait longtemps imaginé et craint les regards dégoûtés des gens qu’elle connaissait, devant quelque chose d’aussi étrange qu’une sacrieur possédant une queue. Toute petite, Gilles et Prune l’avaient négligemment emmenée à la foire du Trooll, et là-bas elle avait vu des animaux qui étaient qualifiés de « monstres ». Ce n’étaient que des croisements douteux d’animaux déjà existants, mais Ecarlia fit bien trop vite le rapprochement avec elle-même à l’époque, dans son esprit de petite fille timide et peu confiante. Bien que sa mentalité ait évolué avec l’âge, elle avait toujours gardé le regard apeuré, moqueur, parfois répugné des gens qui venaient voir les mutants dans leurs cages, bien ancré dans sa mémoire. Et la peur d’être un jour la cible de ces regards l’avait longtemps hantée, avant d’être récemment remplacée par cette envie de s’assumer qui la lançait un peu plus chaque jour.
Cependant lorsque Pam était entrée dans la salle de bain et avait découvert son secret, cette angoisse profondément enfouie avait soudain refait surface, et avait pétrifié la sacrieur sur place. Elle avait revu ces pauvres animaux enfermé et haïs juste parce qu’ils existaient, et ses anciens cauchemars où elle se voyait à leur place, victime des insultes et des railleries des passants, avaient remonté le cours de sa mémoire d’un seul coup.
Heureusement, la réaction plus étonnée que dégoûtée de la pandawa avait chassé cette vieille angoisse de son esprit, et ce ne fut qu’avec un léger sentiment de malaise qu’elle accepta silencieusement d’un hochement de tête, lorsque Pam lui demanda le plus timidement du monde :
- Est-ce que…je peux la toucher ?
Les doigts de la pandawa effleurèrent la fourrure rouge-brun aussi délicatement que possible, faisant frissonner un peu Ecarlia.
- Hi hi ! Elle est vraiment douce ta fourrure ! pouffa gentiment Pam. J’aimerais bien en avoir une pareille. Tiens, regarde la mienne, dit-elle en lui tendant le bras.
Ecarlia hésita un instant avant de caresser la fine fourrure de la pandawa. Les poils étaient en effet légèrement plus durs que les siens, probablement parce qu’ils visaient avant tout à fournir une certaine protection au corps, aussi bien contre les petites agressions que contre le froid, alors que les poils de sa queue n’avaient presque aucune utilité.
- Non, elle est très douce ta fourrure Pam, mentit-elle. Et puis elle est plus utile que la mienne, toi elle te protège du soleil, du froid, des égratignures…
- Arrête donc de me faire marcher ! La fourrure des pandawas n’est pas douce du tout. La tienne on dirait du velours…c’est incroyable.
Elle se releva, et lança une fois de plus un regard interrogateur à la sacrieur.
- Ecarlia, pourquoi est-ce que tu la caches ? demanda-t-elle très sérieuse. Tu as honte d’avoir une queue ? Je te certifie qu’il n’y a vraiment pas de quoi être gênée, elle est absolument superbe ! Et je sais de quoi je parle…
Elle se retourna et agita la toute petite queue de pandawa, ressemblant plus à un pompon qu’à autre chose, qui sortait par un trou qu’elle avait dans sa tunique.
- Non ! Non, je n’en pas honte ! répondit aussitôt Ecarlia. Je suis très contente de l’avoir, c’est…un souvenir de ma mère. C’était une écaflip.
- Elle t’a fait un beau cadeau dans ce cas. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, mais elle ne t’a pas laissé un collier ou un autre bijou sans grande valeur. Elle t’as donné un cadeau merveilleux, porte-le fièrement, conclu-t-elle sur un ton sévère qu’Ecarlia ne lui connaissait pas du tout.
Ca semblait si simple dans sa bouche…bien sûr qu’Ecarlia en était fière de sa queue ! Bien sûr qu’elle voulait la porter tout aussi fièrement ! Elle ne demandait rien d’autre depuis un bon moment déjà ! Mais était-ce de sa faute si on lui avait toute sa vie appris à cacher cette particularité, la mettant en garde contre un danger qu’on avait jamais voulu lui dévoiler ? Ecarlia en avait souvent voulu à Gilles et Prune de leurs injonctions pour qu’elle se camoufle, se déguise en ce qu’elle n’était pas, c’est-à-dire un sacrieur comme les autres. Mais elle leur avait également toujours fait pleinement confiance, autant qu’à un père et une mère, et c’était pour cela qu’elle avait toujours veillé à garder sa queue sous ses vêtements, comme un secret honteux.
- Ce n’est pas si simple Pam. C’est mieux si je ne la montre pas. Cette queue représente un risque pour moi, je…dois la cacher, c’est tout, tenta-t-elle d’expliquer en répétant ce qu’on lui avait si souvent dit.
- Un risque ? fit Pam le regard interrogateur. Mais quel risque ? Qu’est ce qui pourrait bien t’arriver si tu la laissais voir un peu le jour ? Il y a des tas de personnes bien plus étranges tu sais ! Regarde les srams !
Elle arrêta de parler et sembla réfléchir un instant.
- Non, mauvais exemple les srams, reprit-elle. Mais crois moi, j’ai vu passer des personnes plus que bizarres, avec oncle Kan !
- Il ne s’agit pas de ça…
- Quoi alors ?
Ecarlia était totalement désemparée, pour la simple et bonne raison qu’elle n’avait aucune réponse précise à apporter. Elle se sentait aussi plus stupide que jamais. Après tout, Pam était la deuxième personne à plutôt bien réagir, puisque sa queue n’était déjà plus un secret pour le xélor Wallace. Alors pourquoi s’obstinait-elle à la cacher ainsi, si cela ne choquait pas les gens qu’elle connaissait ? On ne lui avait jamais apporté de raison valable, et elle l’avait quand même fait pendant longtemps, peut-être trop longtemps…

Elles entendirent la porte d’entrée s’ouvrir, suivie d’un pas traînant. Zankioh venait de rentrer chez lui. Ecarlia jeta un regard suppliant à la pandawa, et mit son doigt devant sa bouche. Pam la fixa quelques instants, et la sacrieur pu lire dans ses yeux un mélange de déception et de réprobation. Mais Pam fini par hocher la tête en silence, alors que les pas atteignaient l’escalier.
La pandawa sorti de la salle de bain et alla dans le couloir, en tirant la porte derrière elle sans la fermer complètement. Ecarlia tendit une oreille inquiète, et perçu la discussion qui était à son goût bien trop proche d’elle :
- Vous êtes encore debout ? marmonna la voix fatiguée de Zankioh.
- Oui, on a voulu se laver un peu pour ne pas salir ces lits…ils sont vraiment superbes !
Il y eut un bâillement étouffé.
- Content que ça vous plaise…moi je n’aurai même pas la force de me débarbouiller je pense.
- Ecarlia a oublié de prendre une chemise de nuit, continua Pam sans que Zankioh ait demandé quoi que ce soit. Je…vais lui en apporter une.
- Très bien, très bien…répondit-il probablement sans avoir réellement écouté.
Ecarlia entendit une porte s’ouvrir, puis se refermer doucement. Quelques instants plus tard, Pam revint dans la salle de bain avec deux chemises de nuit, et en tendit une à Ecarlia.
- Merci, chuchota-t-elle un peu confuse.
- De rien. Mais on n’a pas fini notre discussion, fit la pandawa sur le même ton sévère que quelques minutes auparavant. Qu’est ce qui pourrait t’arriver Ecarlia ? Pourquoi est ce que ça te mettrait en danger de la montrer ? Je suis sûre que Zankioh serait du même avis que moi !
Elle se retourna quelques secondes, le temps que la sacrieur enfile rapidement la chemise. Mais il était évident qu’elle attendait une réponse. Et Ecarlia n’en avait pas.
- C’est compliqué, fini-t-elle par lâcher.
La pandawa soupira. Ecarlia avait donné cette réponse sur une pensée précipitée. Mais lorsqu’elle s’entendit dire cela, elle se rendit compte que c’était finalement la réponse la plus appropriée. C’était compliqué…vraiment compliqué. A tel point qu’elle n’arrivait pas à expliquer à une personne qu’elle savait ouverte, sympathique, digne de confiance, pourquoi elle se cachait, pourquoi elle devait faire tout cela. A tel point qu’elle ne se comprenait plus.

La pandawa sembla se résigner pour le moment, et changea soudainement de sujet, ce qui surprit agréablement Ecarlia.
- Qu’est ce que c’est que c’est que tout ça ? demanda-t-elle en regardant les étranges tuyaux qui descendaient du plafond.
Ecarlia lui sourit faiblement, contente que la pandawa ait elle-même décidé de passer à autre chose. Elle n’hésita pas un seul instant à sauter sur l’occasion de parler de la pièce fabuleuse, et d’expliquer en détail ce qu’elle y avait découvert. Pam écarquilla les yeux d’émerveillement lorsqu’elle vit l’eau divinement chaude s’écouler comme par enchantement du simple tuyau de métal, et renifla avec délectation le parfum fleuri du bloc de savon.

Ecarlia la laissa se laver tranquillement, et retourna avec ses vêtements sales dans la somptueuse chambre d’amis. Les lits n’avaient pas changé, ils étaient toujours aussi accueillants. Pam s’étant déjà allongée sur l’un des deux, elle alla déposer ses habits au pied du second, en songeant sans grande joie qu’elle allait devoir les remettre le lendemain. Puis, curieuse, elle s’assit timidement sur la literie, se rappelant à quel point la pandawa avait été amusée par leur texture. Elle s’y enfonça de quelques centimètres, avant de rebondir légèrement. La nuit promettait d’être plutôt agréable.

Lorsqu’elle se fut glissée sous les draps, Ecarlia ne trouva pas le sommeil dans les secondes qui suivirent, à son grand étonnement. Son esprit était sans arrêt occupé par tout ce qui s’était passé en une seule nuit. Leur découverte du cratère, leur confrontation avec les créatures de pierre, les terrifiants et douloureux instants pendant lesquels elle n’avait plus été maître d’elle-même…et si ça recommençait cette nuit ? La sacrieur était réellement pleine d’angoisse à cette idée. Cette fois personne ne veillait sur elle, il n’y avait pas Zankioh à son chevet, pour stopper le flot de pensées atroces qui pourrait l’engloutir.
Et puis son esprit revint soudain sur la feuille de papier qui s’était écrasée sur son visage, que le vent avait amené là par le plus grand des hasards. L’angoisse s’en alla, remplacée à nouveau par le bouillonnement sauvage de haine, de rancœur, de colère…Ecarlia se leva, et fouilla dans une poche de son pantalon, au pied de son lit.
Elle en sorti la feuille dont l’image avait submergé son esprit.
Le monstre était là, immobile, couché sur du papier, dans sa pose de guerrier impitoyable et fier. Ecarlia retourna dans son lit, et se mit à détailler le portrait avec des yeux brûlants de rage. Le visage du sacrieur était caché par son casque en os, on voyait à peine son menton. La longue cicatrise qui barrait sa poitrine, ainsi que son corps d’athlète, montraient qu’il n’était pas un débutant, ni un rigolo. Il devait avoir combattu les pires créatures de ce monde, à moins que sa cicatrice ne soit l’œuvre d’une de ses victimes, qui se serait défendu un peu plus vaillamment que prévu.
Ecarlia vit alors un texte écrit en petit, en bas du portrait. Il y était dit : « recherché pour agression de voyageurs en tous genres. Manie une épée magique très dangereuse. Lui-même voyageur constamment en mouvement, personne ne sait actuellement où il se trouve exactement. Dernièrement vu dans les landes de Sidimote. Forte récompense à la clé, contacter la prison d’Astrub pour de plus amples informations ».
Ainsi il agressait les voyageurs…c’était une crapule, juste un minable bandit qui dépouillait les gens qu’il croisait. Ecarlia senti sa haine se transformer en dégoût. Alors c’était ça ? Il avait froidement tué deux personnes pour piller leur maison ? Un crime crapuleux, rien d’autre ?
Cette simple pensée lui donnait la nausée. Elle ne savait pas ce qui la retenait de réduire l’image en confettis. Non, elle ne savait pas…mais quelque chose la retenait bel et bien.
Elle entendit soudain quelqu’un qui marchait dans le couloir. Elle se précipita de mettre la feuille jaunie sous son oreiller, et se lova sous ses couvertures, en faisant semblant de dormir. La porte de la chambre s’ouvrit, et Ecarlia su rien qu’à l’odeur de fleur qu’il s’agissait de Pam. Elle avait un peu trop forcé sur le savon apparemment.
La pandawa marcha en essayant de ne pas faire de bruit jusqu’à son lit, où elle s’emmitoufla dans ses draps et se mit à émettre quelques instants plus tard un sifflement à peine perceptible, qui se transforma petit à petit en un léger ronflement.
Ecarlia enviait cette capacité que certaines personnes avaient de s’endormir n’importe où, quand elles le voulaient, car son sommeil à elle avait bien souvent tendance à l’oublier. Elle n’arrêtait pas de penser à tous ces événements incroyables auxquels elle avait assisté. Et elle pensait aussi à ce qui l’attendait le lendemain. C’était demain qu’elle irait le voir. Elle était pleine d’appréhension à cette idée. Peut-être qu’il ne la reconnaîtrait pas, ou qu’il ferait semblant de ne pas la connaître. Elle risquerait alors d’avoir des problèmes…
Elle avait espéré ne pas avoir à le rencontrer de nouveau, il ne lui inspirait pas vraiment confiance, mais…c’était son meilleur atout pour le moment.
Des souvenirs plus lointains vinrent lentement chasser ceux qui étaient trop récents pour que son esprit s’apaise. Elle se revoyait sur son île de Pandala, dans une grande forêt de bambous comme il y en a tellement, et se rappela alors la singulière aventure qui lui avait donné l’idée de venir dans la cité des mercenaires.
Car c’était bien pour cela qu’elle était venue d’aussi loin jusqu’à Astrub. Pour un mercenaire.
Chapitre X
Il paraît qu'un X marque l'emplacement d'un trésor...j'espère que ce sera le cas à vos yeux
Par contre, celui-ci a été fait sur OpenOffice, donc la mise en page est un peu bizarre...j'essayerai de la modifier dans pas longtemps, promis ^^

Chapitre X


Ce fut la lumière du jour qui tira Ecarlia de son sommeil sans rêve. La sacrieur ouvrit difficilement un œil, puis l’autre, avant de les refermer tous les deux, la douleur causée par la lumière vive étant un peu trop forte pour un esprit qui émerge du brouillard sombre du sommeil, seule chose que les yeux peuvent voir lorsqu’ils se ferment pendant plusieurs heures.
Soudain, elle comprit ce qui l’avait réveillée, et se redressa brusquement. Les volets laissaient passer un fin rayon solaire, qui combiné à une position particulière du soleil, était venu s’aligner sur l’un des yeux de la sacrieur. Son regard se posa sur son lit voisin, et le remarqua vide. Elle alla ouvrir les volets de la chambre, et après un bref moment d’éblouissement, vit avec horreur que le soleil était largement au-dessus des maisons.
La journée était commencée de moitié !


Il ne lui fallut qu’une seconde pour enfiler ses vêtements qui attendaient sagement au pied de son lit que leur propriétaire leur fasse l’honneur de les porter à nouveau, et pour descendre quatre à quatre les marches de l’escalier. En bas, elle eut une vision fugace d’un Zankioh qui avait accueillit une vieille femme chez lui, et qui semblait inlassablement faire son travail, même après une nuit blanche passée à soigner toutes les personnes possible.
Elle lui renvoya son « bonjour ! » du mieux qu’elle le pu dans sa course, avant de passer la porte d’entrée à la manière d’une porte de sortie, pour débouler comme une furie dans la rue.


Elle avait dormi beaucoup trop longtemps ! Peut-être l’avait-elle raté, après tout les mercenaires commençaient peut-être leur journée très tôt ! Elle n’en savait absolument rien, et ne pouvait qu’espérer ne pas avoir à passer une nouvelle journée dans la ville à attendre. Et puis elle ne savait pas non plus où était la maison des mercenaires ! Ces satanés astrubiens étaient de véritables pingres en panneaux de directions !
Elle interpella des passants. Elle dû s’y reprendre à trois fois avant que la personne ne s’enfuit pas à moitié sans rien lui dire d’autre qu’un petit cri d’effarement, effrayée par son allure folle de jeune sacrieur qui sort tout juste du lit. La troisième lui indiqua la direction à prendre avec cependant un léger tremblement de la main, et pressa le pas pour s’éloigner d’elle encore plus lorsqu’elle fut repartie à toutes jambes.
Ecarlia ne le remarqua même pas, et fonça droit vers ce qu’on lui avait indiqué. Elle ne pu en revanche que remarquer l’encombrement des rues, puisque les passants et autres marchants, de plus en plus nombreux, gênaient sa progression à chaque instant. Pour elle, dans l’immédiat, le changement plus que spectaculaire de l’animation des rues entre jour et nuit ne représentait rien d’autre qu’un obstacle très ennuyeux. Son esprit était entièrement obnubilé par la personne qu’elle espérait rencontrer. Du moins pensait-elle l’espérer…mais ce n'était peut-être pas de l'espoir.


Elle arriva enfin, au bout d’une course effrénée durant laquelle elle avait dû terrifier plusieurs autres personnes dans la foule pour retrouver son chemin, devant une grande maison, qui avait l'air au moins aussi haute que profonde. Les nombreuses personnes qui remontaient plus ou moins discrètement d’un escalier qui semblait descendre vers une simple cave, attestaient du fait que le sous-sol devait être largement plus grand qu’une cave.
Ce fut à ce moment qu'une légère angoisse l'empêcha de descendre l'escalier à toute vitesse, pour se précipiter dans la salle probablement remplie de mercenaires. Ici, il y avait eu un contrat de signé quelques jours auparavant. Un contrat de mort, qui visait Gilles et Prune, sans qu'elle sache pourquoi. Peut-être que les assassins étaient là, dans la pièce derrière cette porte, assis sur sur de simples chaises, en train de discuter de comment ils allaient faire pour retrouver leurs proies échappées...ou bien comment ils allaient pouvoir dépenser leur argent durement gagné. A cette idée, la sacrieur hésita à entrer pour ainsi dire dans la gueule du loup.
Mais les images de Gilles et Prune blessés, fuyant un adversaire multiple, furent les plus forte dans son esprit, et elle descendit lentement les marches pour aller à la rencontre de la seule personne susceptible de l'aider.




Pam avait tellement bien dormi dans les lits incroyablement confortables qu'elle s'était réveillée en pleine forme à peine quelques heures plus tard. Au vu du rayon de lumière qui filtrait à travers les volets fermés, la journée était déjà assez avancée, mais il était encore suffisamment tôt pour qu'elle ai l'occasion de faire les différentes choses qu'elle avait prévues aujourd'hui.
Son regard se posa quelques instants sur le lit voisin du sien, et sur la sacrieur endormie dans une position ridicule. Probablement avait-elle eu une nuit agitée cette fois encore, mais l'agencement des bras et des jambes qui en résultait ne pouvait que faire sourire la pandawa. Mais cette bonne humeur dès le réveil s'éclipsa bientôt pour laisser place à quelque chose de moins joyeux, lorsque Pam se souvint de la scène plus que déroutante qui avait eu lieu dans la salle de bain.
Lorsqu'elle avait vu Ecarlia affublée d'une longue queue d'ecaflip, la pandawa se rappela avoir tout d'abord eu une réaction de surprise mêlée de peur. Après tout, une sacrieur avec une queue, voilà qui avait de quoi en choquer plus d'un !
Mais ces sentiments furent bien vite remplacés par d'autres émotions plus saines, comme l'admiration, la compassion en songeant à toutes les railleries que la pauvre Ecarlia avait dû endurer...
Puis elle su que c'était un héritage maternel. Et là, son jugement changea du tout au tout, lorsqu'elle comprit que la sacrieur avait passé sa vie à cacher sa queue. Si elle avait pu avoir un tel souvenir de sa mère, si elle avait pu avoir un telle ressemblance avec sa maman...comment aurait-elle pu la cacher ? Comment aurait-elle pu seulement en avoir l'envie ?
Des souvenirs douloureux lui revenaient en mémoire alors qu'elle regardait Ecarlia dormir. N'avait-elle pas conscience de la chance qu'elle avait d'avoir reçu un tel cadeau de sa mère ?
Pam préféra arrêter d'y penser, du moins essaya-t-elle du mieux qu'elle pu. Elle se leva le plus silencieusement possible, et enfila ses vêtements qu'elle avait prit soin de laver un minimum la veille, puisqu'elle avait de l'eau propre et du savon à portée. Elle sorti de la chambre, et descendit l'escalier qui menait à l'étage dans le silence le plus absolu.
La maison était à tel point endormie qu'elle avait l'impression d'être une cambrioleuse qui essayait de fuir avec son larcin, et qui craignait la colère des occupants, ce qui ne réussi pas du tout à la mettre à l'aise dans cette maison qui n'était pas la sienne.
Elle arriva dans la salle principale, la première qu'elle avait eu l'occasion de voir en venant ici pour la première fois, après avoir été poursuivie par un titan de pierre. En voyant plusieurs miches de pain posée sur la table, elle entendit son ventre tenter de communiquer avec elle par de multiples gargouillis. Le message était clair : elle avait faim.
En remarquant le fait qu'il y avait quatre miches de pain desquelles s'exhalait une odeur merveilleuse, elle en déduit que probablement il y en avait une pour chaque personne, et se décida donc à s'emparer de l'une des miches avant de sortir de la demeure de Zankioh.


Lorsqu'elle s'engagea dans la rue, elle ne pu qu'être stupéfiée par deux choses : la première était le bruit. Le silence relatif qui régnait cette nuit avait laissé place à une cacophonie permanente, qui mêlait les cris de vendeurs, les cris de dispute, les cris d'animaux et les cris d'autres vendeurs encore. La ville était en ébullition totale, et il ne semblait y avoir plus aucune trace de l'horreur de cette nuit. Tout était oublié. La ville avait repris le court de sa vie, et vivait plus encore que jamais. La deuxième chose qui la stupéfia fut la qualité de l'isolement sonore de la maison de Zankioh.
Pam commença à marcher dans les rues encombrée, et se plu à regarder les étales des très nombreux marchands qui y étaient installés. Certains étaient extrêmement bien fournis en toutes sortes de choses. Elle vit des épées, des haches, des bâtons...des chapeaux, capes et bottes de toutes les formes et couleurs. Et il y avait aussi des ressources de tous types : par là des laines noires, blanches ou plutôt crème (celles-ci ayant une odeur particulièrement insupportable), ainsi que des cuirs provenant d'animaux tous différents les uns des autres. Elle fut éberluée lorsqu'elle vit, devant elle, un vendeur possédant des paniers entier d'artefacts Pandawushu originaires de son île. Les quatre disciplines étaient représentées : l'eau, l'air, la terre et le feu. Elle-même était une disciple de l'eau, et jalousa un instant le panier rempli de sphères bleues, desquelles elle savait que l'on pouvait tirer la puissance nécessaire à la fabrication des habits propres au village d'Akwadala, et qui selon les rumeurs pouvaient grandement aider à la maîtrise de l'eau au combat.
Mais de toute façon, elle avait d'autres choses en tête. Aujourd'hui, elle avait décidé d'occuper son temps à deux choses : aller chercher la commande de son oncle chez ce Deudoiné, puisque c'était avant tout pour ça qu'elle était là, et aller parler à Solis.
L'osamoda qu'elle avait rencontré la veille lui avait demandé de repasser, avec un sourire comme ceux que Pam n'aurait pas pu refuser, même si elle l'avait voulu.
La pandawa senti un regain de bonne humeur, et ce fut presque en courant qu'elle se dirigea vers l'atelier des alchimistes tout le temps enfumé, le plus visible des ateliers de tout Astrub.




La pièce était au moins aussi grande, mais aussi beaucoup plus calme que ce qu'Ecarlia pensait. Il n'y régnait pas du tout l'ambiance d'un marché, où chaque vendeur hurle ses prix et la qualité de ses articles à qui veut bien l'écouter, et où chaque acheteur se comporte quasiment de la même façon. L'endroit était premièrement très bien décoré et équipé. Des tapis couvraient le sol ici et là, et Ecarlia comprit qu'il fallait qu'elle s'essuie bien les pieds avant d'entrer ici. Les murs étaient ornés des diverses choses comme des tapisseries, des trophées de combat arrachés à des créatures dont Ecarlia ne connaissait même pas l'existence.
Il y avait ici une « ambre du Chêne mou », là un « boulet de Déminoboule », avec la datte à laquelle ces trophées furent récupérés, ainsi que le nom de celui ou celle qui les avait arrachés à leur propriétaire.
La salle était parsemée de tables et de fauteuils qui semblaient plus que confortables, et les personnes qui y étaient assises discutaient à voix basse, empêchant ainsi que la pièce fermé ne devienne le théâtre d'un affrontement de hurlements pour se faire entendre. Ecarlia vit une sorte de comptoir derrière lequel un homme massif, au cheveux bruns et longs qui venaient à moitié cacher son visage, écrivait frénétiquement sur un livre. Elle s'approcha de lui le plus discrètement possible, ne voulant pas se faire remarquer par les autres personnes qui discutaient entre elles, et s'adressa à lui avec la voix la plus basse qu'elle avait. L'homme releva la tête, et la regarda d'un œil fixe. Ecarlia comprit qu'elle était invitée à répéter, et se racla légèrement la gorge avant de dire un peu plus haut :
  • Je voudrais rencontrer Zacharias Holter...s'il est là ? ajouta-t-elle timidement.
Aussitôt, les voix dans l'assemblée se turent, et les yeux se tournèrent vers elle. Ecarlia aurait voulu pouvoir traverser les murs et s'échapper d'ici dans la seconde, mais elle dû se résigner à prendre son courage à deux mains et à rester stoïque sous les regards qui pesaient sur elle, en essayant cependant de ne pas les croiser. L'homme derrière son comptoir dégluti et entra dans une pièce cachée par un rideau, où Ecarlia l'entendit murmurer quelque chose.
Alors il était là ! La chance lui souriait !
L'homme revint et lui dit d'une voix qui transpirait l'angoisse :
  • Désolé, il ne prend pas de contrat pour le moment. Trouvez une autre personne pour...ce que vous voulez faire.
Ecarlia cru tout d'abord que c'était fichu, qu'elle avait fait tout ce chemin pour rien, et remercia l'homme avant de lui tourner le dos pour s'en aller. Mais avant de faire un pas de plus, elle se tapa le front en se traitant mentalement d'idiote, et refit face à l'homme.
  • Excusez-moi, il y a erreur. Je ne suis pas venue signer un contrat avec lui, je désire simplement lui parler.
L'homme s'apprêta à répliquer, mais une voix venant de derrière le rideau l'en empêcha : « Une jeune personne qui viendrait jusqu'ici juste pour me rencontrer ? Mais quel impoli je suis de vous refuser ainsi ma personne ! Il n'est pas dit que je soit un rustre, me voilà devant vous ! »
Une main écarta le rideau de l'intérieur, et découvrit un homme d'une quarantaine d'années, souriant de toutes ses dents blanches. Il avait la peau hâlée par les journées passées à voyager, et les cheveux noirs coupés plutôt court. Son visage lui donnait un air à la fois militaire et paternel. Il portait un ensemble noir, ou tout du moins sombre, qui lui donnait un côté ténébreux et...dangereux, malgré son visage souriant. Ecarlia remarqua incidemment les deux fourreaux accrochés à sa ceinture, qui contenaient sans aucun doute une paire de dagues.
Elle regarda le nouvel arrivant sans bouger, et celui-ci sembla comprendre qu'elle était la « jeune personne » qui le demandait, puisque son visage se teinta soudainement de surprise lorsqu'il la vit sacrieur debout devant le comptoir.
Celle-ci le fixait droit dans les yeux, le visage impassible, attendant une réaction de celui qu'elle souhaitait entretenir, qu'elle sache enfin ce qui allait advenir ! Allait-il faire une moue, feignant de ne l'avoir jamais vue ? Allait-il la serrer dans ses bras comme si c'eût été une vieille amie qui lui rendait visite ? Cette dernière solution semblait peu probable, vu la différence d'âge qu'on leur voyait.
Elle fut rassurée lorsqu'un sourire encore plus grand se dessina sur le visage de l'homme, et qu'il murmura :
  • Enfin. J'attendais ce jour avec impatience.
Il fit un signe de la main à la sacrieur, l'invitant ainsi à franchir le rideau qui cachait la pièce. Elle passa avec un petit « merci » à l'encontre du réceptionniste qui la toisait dédaigneusement, comme si elle avait été une criminelle qui échappait à la prison qu'elle méritait. Mais de toute façon, il était trop tard pour reculer.


Le mercenaire l'entraîna vers une pièce bien plus petite que la précédente salle, mais aussi beaucoup plus confortable. Le sol était couvert de tapis et de coussins, et une petite table au beau milieu des tissus en tous genres supportait ce qui semblait être un simple service à thé. Il alla s'asseoir sans hésiter sur un gros coussin, et montra d'un geste courtois un autre coussin à Ecarlia, l'invitant à s'asseoir en face de lui.
.La sacrieur dégluti et prit place sans trop se presser, et sans quitter des yeux le mercenaire. Celui-ci affichait toujours son grand sourire blanc, mais cela ne faisait presque rien pour la rendre plus confiante.
  • Je me demandais si vous n'aviez pas oublié depuis le temps, lança-t-il soudainement.
Cela acheva de convaincre Ecarlia : il savait pourquoi elle était là.
  • Ça ne remonte pas à si longtemps que ça, répondit-elle s'en s'émouvoir. A peine deux ans.
  • Deux ans seulement...à vrai dire je m'en souvient comme si c'était hier, annonça-t-il avec un petit rire sincère.
Voyant que la sacrieur ne réagissait pas, il demanda :
  • Alors, que puis-je faire pour vous être agréable, belle amie ?
Ecarlia senti un pincement désagréable au cœur lorsqu'il employa ces mots. Depuis quand étaient-ils amis au juste ? Mais elle maintint silencieux ses ressentiments, et resta stoïque alors qu'elle lui donnait sa réponse :
  • J'ai besoin de votre aide pour...un renseignement.
  • De quelle nature ? s'empressa aussitôt de demander l'autre.
  • Sur un contrat qui a été accepté il y a peu.
Zacharias eut une petite moue désappointée.
  • Je crains d'avoir quelque mal à vous aider dans ce cas, les contrats sont bien souvent secrets, et d'autant plus si certaines personnes pourraient montrer un quelconque désir de s'intéresser à ce qu'il y a d'écrit sur la feuille...comme ce qui semble être le cas.
  • Quelqu'un a voulu assassiner mon oncle et ma tante, ajouta Ecarlia, toujours aussi inexpressive.
Comme elle s'y attendait, cela suffit à capter réellement l'attention du mercenaire. Son expression devint grave, et ses yeux se firent perçants.
  • Il semble qu'ils aient tous les deux réussi à s'enfuir, en laissant l'un de leurs agresseurs derrière eux, continua-t-elle impassible, et c'était un mercenaire. J'ai donc pris la décision de...enfin j'ai pensé que vous pourriez m'aider...
Elle avait fini sa phrase son un ton plus timide, et surtout plus triste en repensant au chaos qui régnait dans la maison où elle avait grandi, et craignit que le mercenaire ne s'en soit aperçu. Si c'était le cas, il ne le montra pas, ce qui la rassura un peu. Elle ne devait pas un seul instant paraître hésitante ou faible.
Le mercenaire sembla pensif pendant une fraction de secondes. Puis il demanda le plus simplement du monde :
  • Vous pensez que c'est moi qui ait prit ce contrat ?
Ecarlia inspira profondément avant de répondre.
  • J'y ait songé.
Zacharias fouilla alors dans une poche de son haut, et en sorti un petit objet qu'il posa sur la table. Ecarlia se pencha plus avant pour voir de quoi il s'agissait. C'était un badge, qui représentait deux épées entrecroisée devant un corbeau très stylisé. Le tout était en or. Zacharias le replongea dans sa poche, et afficha un sourire satisfait.
  • Je ne rate pas mes cibles, annonça-t-il comme s'il parlait de son entraînement à l'arc. Je suis un maître assassin. Si ça avait été moi, vous ne douteriez plus de leur santé, à tous les deux. Ils auraient été là où nous nous serions rencontrés, et ils n'y aurait pas eu trace de lutte.
Ecarlia se senti sortir de ses gond face à l'assurance malsaine de ce personnage. Il semblait être fier de lui...de ce qu'il était. Un tueur à gage, qui ôte des vies pour s'enrichir. Mais elle devait se contenir...elle avait besoin de lui, encore.
  • Ce ne devaient pas être des assassins de surcroît, continua-t-il avant qu'elle n'ai pu placer autre chose. Juste des mercenaires un peu belliqueux. Les assassins ne portent jamais leur uniforme sur eux, ils sont méconnaissables des autres personnes que 'on croise dans la rue. Que deviendrions-nous si l'on nous reconnaissait facilement à plus de dix mètres ? ajouta-t-il en riant.
Ecarlia lui fit un sourire forcé. Elle commençait enfin à en apprendre un peu plus. Le mercenaire continua sa tirade :
  • Il y a donc fort à parier qu'une personne a simplement engagé quelques brutes pour ce contrat, les assassins sont assez...coûteux, ajouta-t-il malicieusement. Mais peut-être ont-ils simplement été enlevés...après tout qu'est ce qui peut prouver qu'ils étaient là pour tuer, si aucun corps n'a été retrouvé ?
  • L'agresseur qui est...'resté' sur place avait quelque chose sur lui, répondit difficilement Ecarlia en se rappelant le corps gisant par terre dans une marre de sang, les yeux encore ouverts. Il portait un badge semblable à celui que vous m'avez montré. Deux épées et un corbeau. Le badge des assassins.
Zacharias paru pour la première fois laisser libre court à sa surprise. Ses yeux ronds et son visage figé en étaient la preuve. Mais il ne sembla pas un seul instant songer qu'Ecarlia pouvait lui raconter n'importe quoi. La sacrieur fut étrangement reconnaissante de cet homme qu'elle méprisait, d'avoir une telle confiance en elle, à tel point qu'il ne mettait pas une seconde sa parole en doute.
  • Les Sériannes normaux n'ont pas le droit de porter la marque des assassins, dit-il gravement comme si cela avait été un crime pire encore que de tuer froidement quelqu'un. Et aucun assassin ne se serait amusé à se déguiser en mercenaire classique. Ce n'est pas normal du tout, quelque chose cloche là-dedans.
Il se releva soudainement, faisant légèrement sursauter Ecarlia, qui guettait le moindre mouvement suspect.
  • Je mènerai mon enquête chère amie, sur ce contrat et ces individus étranges, mais sans vous, annonça-t-il sur un ton d'une politesse sans reproches. Le travail d'équipe ne m'aime pas, et je lui rend bien malheureusement. Le sort de votre famille m'intrigue, je me mettrai dès que possible en quête de trouver leur trace, s'ils sont encore en vie. Je vous contacterai dès que j'en saurai plus, et surtout ne me remerciez pas, conclu-t-il avec un sourire entendu.
Ecarlia allait effectivement lui adresser un semblant de remerciement, mais se ravisa à l'entente de ces mots. Le mercenaire lui saisi délicatement la main et y déposa un rapide baiser, qui fit frissonner la sacrieur. Frissonner de quoi ? De plaisir à être face à un gentleman charmeur, ou bien était-ce une chaire de poule, un frisson glacé causé par une brève frayeur ? Ecarlia n'aurait su le dire avec certitude.
  • C'est un service pour un autre après tout, n'est-ce pas ? chuchota-t-il à la jeune femme.
Elle lui répondit d'un hochement de tête, tâchant toujours de garder une expression neutre. Zacharias lâcha sa main, et après une courbette courtoise, il franchit le rideau sans plus attendre et disparu de la vue d'Ecarlia.
Elle resta assise sur son coussin, troublée par la facilité de cette rencontre. Depuis qu'elle y songeait, elle n'avait jamais espérer une issue aussi simple et diplomatique. Elle avait imaginé devoir sérieusement argumenter pour obtenir de l'aide de la part de l'assassin, ou bien encore lui remettre en mémoire les événements qui l'avaient poussée à venir à sa rencontre. Elle n'en avait eu aucun besoin. Le mercenaire avait beau être un homme froid et sans pitié, il semblait connaître encore la gratitude et le sens de l'honneur. Il lui avait même fait du charme.
Ce fut la première véritable fois qu'Ecarlia se rendit compte du grand pouvoir de ses vêtements. Ou plutôt de son peu de vêtements.




Pam était réellement aux anges. A peine avait-elle débarqué dans l'atelier que Solis l'avait vue et accueillie à bras ouvert. Elle n'avait même pas eu besoin de le contacter grâce au livre magique des artisans, comme il lui avait expliqué la veille. L'osamodas semblait presque l'avoir attendue là toute la nuit, et ce fut avec une joie sans limites que la pandawa prit ses premières leçons d'alchimiste auprès du jeune mais néanmoins talentueux jeune homme.
Solis était assez grand pour un osamodas, et son visage avait en permanence l'expression paisible que peuvent avoir toutes les personnes proches des animaux. Sa tunique de cuir violet sombre se mariait admirablement bien avec ses cheveux du même blanc que la fourrure de Pam. Sa voix était en permanence calme et confiante, et réussissait à mettre Pam à l'aise alors qu'elle était complètement angoissée quelques instants auparavant, en entrant dans l'atelier. Ses yeux avaient la couleur des nuages de pluie et pouvait facilement inspirer la tristesse, mais pétillaient aussi d'une intelligence et d'une gentillesse qui ne pouvaient laisser douter de ses capacités et de sa personnalité douce.
La première chose qu'il fit fut d'offrir une paire de gants à la pandawa, lui expliquant que ce serait son outil de travail, et lui montra aussitôt comment se servir des différents instruments et verreries qui seraient à sa disposition dans tout bon atelier. Il prodiguait ses conseils avec une passion non dissimulée, et Pam buvait chacun de ses mots comme un bon verre de lait de kokoko.
Elle ne connu jamais pareil bonheur que lorsqu'elle réussi enfin, avec les ingrédients et les conseils que lui fournissaient Solis, à fabriquer sa première potion de mini-soin. Elle en oublia complètement tout ce qu'elle avait d'autre à faire, toutes les choses qu'elle avait vécues en l'espace de deux jours, et se laissa aller à la joie infinie de la réussite.
Le temps passa rapidement, et ni Solis ni Pam ne semblaient se lasser de leur compagnie mutuelle. Ce ne fut que lorsque plusieurs alchimistes présents s'en allèrent en se souhaitant « bon appétit ! » qu'ils se rendirent compte tous les deux du temps qu'ils avaient passé ensemble. Pam se souvint de la course qui l'avait amenée à Astrub, et Solis sembla aussi se remémorer un quelconque événement qui aurait lieu bientôt et qu'il avait complètement oublié.
Ce fut donc avec beaucoup de regrets que les deux alchimistes, le professeur et l'élève, se dirent au revoir. L'osamodas tendit un livre relativement épais à Pam, qui le saisi délicatement avant de faire un moue déconcertée en voyant le titre.
« L'alchimie pour les nuls » !
Elle se senti honteuse avec ce livre entre les mains. Avait-elle été à ce point ridicule que son professeur se sentait obligé de lui offrir ceci ? Cependant, l'osamodas la gratifia d'un clin d'œil discret, ce qui la rendit encore plus curieuse que honteuse d'un tel cadeau.
  • Mon meilleur ami ! lui glissa-t-il malicieusement. Ne te fie pas au titre, c'est un allié de choix ce livre, il m'arrive encore de l'ouvrir quand j'ai un doute sur la verrerie ou les ingrédients à utiliser. Mais je crois qu'il te sera bien plus utile à toi qu'à moi, je t'en fait cadeau.
Pam ne savait pas quoi dire. Elle serra l'ouvrage contre elle comme si c'était la chose la précieuse au monde, et s'inclina devant le jeune homme, comme elle l'avait toujours fait pour son maître à Pandala. A sa grande surprise, l'osamodas lui rendit son salut de la même façon. Il se rendit compte du trouble de la jeune femme, et lui chuchota alors qu'il étaient tous les deux inclinés :
  • La prochaine fois que j'irai à Pandala, je pense que je m'y attarderai un peu plus longtemps, maintenant que je sais ce que cette île renferme comme trésor.
Le visage de Pam devint brûlant, et elle se redressa maladroitement, sous l'œil amusé de Solis. Il se dirigea vers la sortie, et avant de franchir la porte lui lança :
  • Entraîne-toi Pam ! Tu as un grand potentiel ! Si tu continues sur ta lancée, je pense que l'on va se revoir très bientôt !
Et il disparu dans la foule quelques secondes plus tard, au grand dam de la pandawa. Elle venait de passer les heures les plus merveilleuses de son existence. Elle avait non seulement débuté une carrière d'alchimiste, discipline dont elle connaissait l'existence mais qu'elle avait réellement découvert la veille ; mais avait en plus rencontré un jeune homme fantastique.
Elle repensa à la remarque d'Ecarlia, et se posa véritablement la question : était-ce l'alchimie ou l'alchimiste qui l'avait passionnée au premier regard ?
Oh, et puis après tout, aucune importance ! Elle avait les deux ! Elle sorti à son tour de l'atelier, plus joyeuse que jamais, et laissa le soleil de midi l'inonder de ses rayons bienfaisants et revigorant.
La sacrieur avec laquelle elle avait voyagé pendant deux jours et survécu à toutes les épreuves qu'ils comportaient passa soudain devant elle sans la voir. Pam se précipita à sa rencontre. Elle était de si bonne humeur qu'il fallait absolument qu'elle la partage avec quelqu'un !




Ecarlia avait essayé de sortir de la petite pièce le plus discrètement possible, mais lorsqu'elle avait franchi le rideau quelques instants après Zacharias, tous les regards étaient tournés vers elle, et elle se sentait toisée de la même façon qu'un criminel. Elle avait très bien comprit que tous croyaient qu'elle venait de monnayer la mort d'une personne, chose qui était évidemment mal vue, bien que tolérée.
Mais elle savait qu'elle n'avait rien de tel à se reprocher, et sorti dans la rue sans faire de vagues, en tâchant de ne pas tenir compte des regards des mercenaires fixés dans son dos. Zacharias allait enquêter sur Gilles et Prune, ainsi sur leur ennemi, et Ecarlia savait que l'assassin ne lâcherait pas l'affaire si elle avait réussi à l'intéresser un tant soi peu sur son cas.
Que pouvait-elle faire maintenant ? L'assassin avait été très clair : il agissait seul. Devait-elle mener sa propre enquête ? Partir seule à la recherche de sa famille évanouie dans la nature ? Elle aurait voulu pouvoir le faire, mais elle connaissait si peu de chose du continent...à peine avait-elle visité la forêt de Cania, et rencontré quelques sangliers des plaines. Comment pourrait-elle retrouver deux personnes probablement cachées dans un endroit connu de Gilles seul ? Après tout il parlait assez souvent de sa jeunesse aventurière à parcourir le monde pour qu'Ecarlia soit convaincue de sa connaissance du continent. S'ils étaient encore en vie, ils étaient inévitablement introuvable, dans une cachette que Gilles aura gardé secrète...
Tout en maudissant son impuissance, et en réfléchissant à comment elle pourrait agir pour leur venir en aide, elle marchait dans les rues d'Astrub au hasard. Et ce fut ce même hasard qui la fit passer juste devant l'atelier des alchimistes.
Lorsqu'une main se posa sur son épaule, elle était plongée dans ses pensées les plus profondes. L'image d'un mercenaire assassin cachant une dague mortelle sous ses vêtements s'imposa en un instant dans son esprit, et elle se retourna violemment en saisissant la main qui l'avait touchée.
Quelle ne fut pas sa surprise en voyant une Pam qui affichait une expression de totale incompréhension et de stupeur devant cette réaction extrême. Ecarlia lâcha la main de la pandawa avec horreur, et bredouilla des excuses brouillonnes :
  • Pam ! Je suis désolée, je...je ne t'avais pas vue ! J'ai cru que...
  • Bah, c'est pas grave ! Je suis plutôt de bonne humeur aujourd'hui ! chantonna-t-elle avec une voix joyeuse en changeant aussitôt de visage.
Ecarlia remarqua le gros livre que Pam tenait contre elle, ainsi qu'une paire de gants verts. Elle comprit alors que la pandawa avait probablement découvert les premiers secrets de l'alchimie ce matin même, et par conséquent venait de passer un certain temps aux côtés de l'osamodas de la veille.
Soucieuse de faire partager sa bonne humeur, la pandawa la saisi par la main et l'entraîna à sa suite sans ménagement :
  • Allez, maintenant que tu es là, tu vas pouvoir m'accompagner ! claironna-t-elle. Il faut que j'aille chez ce Deudoiné chercher la commande de mon oncle, et je ne sais pas où c'est !
  • Mais moi non p...
  • A deux on va bien réussir, coupa-t-elle, il paraît qu'il est très connu, il ne doit pas être difficile à trouver.
Ecarlia fut tentée de se dégager, et de laisser Pam y aller seule. Elle n'avait pas vraiment la tête à ça...
Puis elle se dit que c'était peut-être l'une des dernière fois qu'elle verrait la pandawa. Après tout, une fois cette commande récupérée, rien ne retenait Pam à Astrub, et elle rentrerait probablement à Pandala. Ecarlia n'avait quant à elle plus rien à y faire...elle ne comptait pas y retourner de sitôt. Elle se laissa donc entraîner, songeant qu'elle devait bien ça à son amie, et que ça ne lui coûterait pas grand chose de visiter un peu pour se changer les idées.


Les deux jeunes femmes se retrouvèrent donc de nouveau à marcher côte à côte dans les rues d'Astrub, à la recherche de la personne qui, Ecarlia le savait, allait sûrement mettre un terme à leur voyage.
  • Tu as pu rencontrer la personne que tu voulais ? demanda soudain Pam tandis qu'elles marchaient dans la direction que leur avait indiquée un passant.
Ecarlia s'arrêta aussitôt, trop surprise pour continuer. Comment savait-elle qu'elle devait rencontrer quelqu'un ? Pam s'arrêta à son tour, et la regarda l'air hésitante.
  • Tu m'as bien dit, sur le pont, que tu venais à Astrub pour voir une personne, non ?
Ecarlia se traita intérieurement d'idiote. Elle se rappelais parfaitement avoir dit ça. Quelle idée saugrenue l'avait poussée à le faire ? Moins il y avait de personnes au courant, mieux ce serait, alors pourquoi diable avoir risqué de piquer la curiosité de la pandawa ? De toute façon, il était trop tard maintenant.
  • Heu...oui, oui c'est bon. C'était juste un vieil ami à qui j'avais promit de faire une petite visite, répondit-elle en essayant d'avoir une voix convaincante.
La pandawa ne dit rien, et la sacrieur non plus. Ecarlia s'en voulait atrocement de ne pas savoir mentir mieux que ça. Finalement après quelques secondes de silence, Pam haussa les épaules, et dit avec détachement :
  • Ah...très bien alors.
Et elle reprit sa route, sans attendre Ecarlia. La sacrieur comprit très bien que Pam ne l'avait pas crue, mais que pouvait-elle dire ? Qu'elle avait obtenu les services d'un mercenaire assassin ? Et pourquoi faire, aurait-elle demandé ? Pour retrouver deux disparus : Gilles et Prune ! Sauf que la pandawa semblait les connaître, et cette nouvelle pourrait bien la choquer terriblement. Ecarlia était condamnée à garder encore le silence, et à mentir à celle qu'elle considérait maintenant comme son amie. C'était ça ou bien mêler Pam à une affaire dangereuse, qui avait déjà beaucoup trop d' intéressés ne reculant devant presque rien. Une bande de mercenaires tueurs qui n'étaient mystérieusement pas reconnus comme étant de véritables assassins ou juste Sérianes, et un maître dans cet « art » de la mort, dont Ecarlia connaissait les capacités et les craignait.
Pam n'avait rien à faire dans cette histoire, et risquait d'y perdre beaucoup plus qu'elle ne pouvait y gagner. Lui mentir était la meilleure chose à faire, Ecarlia en était convaincue.


Pam reparti sans attendre Ecarlia. Sa bonne humeur venait d'être ternie par un mélange de colère et de tristesse...
Pourquoi la sacrieur lui mentait-elle ? Si ç'avait été un simple ami, elle lui aurai dit sur le pont, il n'y avait aucune raison de le cacher. Mais elle avait alors gardé le silence. Et aujourd'hui elle préférait lui mentir que de lui dire la vérité ! Sans compter l'épisode de la queue, qui l'avait profondément touchée. Est ce qu'elle n'était pas digne de confiance aux yeux de la sacrieur ??? Elle avait cru trouver en elle une amie, après ce qu'elles avaient vécu toute les deux...force lui était de constater qu'elle s'était trompée une fois de plus. La sacrieur ne lui faisait pas confiance. Elle la suivait en baissant la tête, sans doute perdue dans ses pensées secrètes.
Pam arriva rapidement devant le bâtiment où on lui avait dit qu'elle rencontrerait Deudoiné le forgeron, et fut pressée de récupérer cette maudite commande pour enfin pouvoir rentrer chez elle, sur son île, le seul endroit où elle pourrait encore se sentir bien.
Elle poussa la lourde porte en bois de l'endroit, une simple maison tout en bois d'ailleurs, et entra dans le bâtiment la tête pleine de ces sentiments difficiles à porter. L'intérieur était aussi simple que l'extérieur. Presque aucun meuble, juste des armes en tous genres exposées sur des présentoirs en bois également, tout autour de la pièce. Le reste de la pièce était apparemment vide pour accueillir plus facilement les foules, car de nombreuses personnes observaient les armes exposées et avaient souvent du mal à ne pas se bousculer. La plupart discutaient avec un jeune homme derrière un petit bureau, qui avait un crayon sur l'oreille et écrivait frénétiquement sur un calepin tout en répondant à ses interlocuteurs. Il y avait aussi un comptoir au fond de la pièce, derrière lequel un homme sans âge, à la barbe blanche et la pipe à la bouche, vêtu d'une salopette qui semblait avoir connu des années de travail sans jamais fatiguer, lisait un gros livre du bout de son doigt et en plissant les yeux.
Pam entendit la porte s'ouvrir à nouveau, et devina qu'Ecarlia était entrée sans un mot à sa suite. Se forçant pour ne pas se retourner, elle avança vers l'homme à la barbe blanche qui ne semblait pas se soucier du tout de l'agitation qui régnait dans la pièce.
Pam vint se placer juste en face de lui, et lui adressa un bonjour timide. L'homme leva aussitôt les yeux vers la pandawa, et lui renvoya son bonjour d'une voix bien bien plus enjouée :
  • Bien le bonjour jeune demoiselle ! claironna-t-il. Que puis-je faire pour vous ?
  • Je cherche Deudoiné, répondit la pandawa toujours un peu timidement.
  • C'est moi-même ! Vous voulez apprendre l'un des arts de la forge je présume ? Vu votre origine je me risquerais à penser que c'est la forge des haches ! On peut commencer dès maintenant si vous voulez !
  • Non, non ! paniqua Pam devant la vitesse soudaine à laquelle les choses s'enchaînaient. Je...viens juste récupérer la commande de mon oncle !
Deudoiné haussa un sourcil curieux.
  • C'est quel nom ?
  • Kan Menzuwo.
Un sourire se dessina sur le visage hâlé du forgeron, et il se baissa pour fouiller sous son comptoir. Au bruit qui s'en dégageait, on pouvait deviner qu'il y avait bon nombre d'objets accumulés hors de la vue des clients ou des apprentis sous ce comptoir. Pam se risqua à se pencher pour voir ce qu'il se passait, mais Deudoiné réapparut soudain, de la poussière collée à la barbe et un objet enroulé dans un tissu épais dans les bras. Il le déposa délicatement sur la table, bien qu'il était semble-t-il stocké dans un bazar confus, et se mit à fixer le paquet en croisant fièrement les bras.
  • On peut dire qu'il m'a donné un beau défi à relever votre oncle, dit-il à l'encontre de Pam. Il y avait longtemps qu'on ne m'avait pas demander de créer véritablement quelque chose.
  • Ah ? Heu...et bien tant mieux si vous y avez prit du plaisir alors, répondit machinalement la pandawa et prenant délicatement le paquet dans ses mains. Merci beaucoup monsieur.
  • Oh, attendez ! s'exclama le forgeron. Il m'avait également demandé de vous donner ceci, à vous.
Il tendit une lettre à Pam. Une simple enveloppe en papier de bambou, cachetée par une goutte de cire. La curiosité de la jeune femme fut piquée au vif. Elle déposa l'objet qu'elle tenait, et prit l'enveloppe entre ses doigts. Puis elle fit sauter le cachet et déplia la lettre qui était à l'intérieur, qu'elle lu silencieusement :
« Je suis désolé d'avoir monté ce subterfuge pour t'envoyer à Astrub ma petite Pamelawa, mais j'ai pensé que le plaisir en serait bien plus grand encore lorsque tu ouvrirais cette lettre ainsi que ton paquet. »
Pam ouvrit de grands yeux en pensant comprendre. Elle regarda la mystérieuse commande de son oncle, et le forgeron qui souriait de toutes ses dents, avant de reporter son attention sur la lettre.
« Cet objet est unique. J'ai demandé à Deudoiné, qui a été aussi bien mon professeur dans certains domaines qu'un ami fidèle, de m'aider à confectionner cette arme pour toi et pour toi seule. Je n'ai pour ma part rien pu faire d'autre que de réunir les matières nécessaires à sa fabrication, et dû laisser la création en elle-même aux mains de Deudoiné. »
La pandawa se pencha sur l'objet enveloppé dans du tissu. D'une main hésitante, elle retira la toile qui le cachait à sa vue.
La commande de son oncle était une hache de main de taille moyenne, l'arme de prédilection des pandawas. Mais une hache telle que Pam n'en avait jamais vues. Toute l'arme était dominée par des nuances de bleu. Le manche était fait d'un bois bleu clair, presque azur, marbré de bleu foncé. La poignée était vraisemblablement en cuir, mis celui-ci était lui aussi d'un bleu très foncé, qu'elle ne connaissait à aucun animal. La lame avait une forme pure, arrondie, qui lui rappelait indéniablement une goutte d'eau. La couleur bleue très subtile du métal qui la composait ne faisait qu'augmenter cette ressemblance, ainsi que le toucher froid, incroyablement lisse, presque humide de ce métal étrange. De plus, la lame était gravée de nombreux symboles dont Pam ignorait la signification, mais qui lui donnaient réellement l'impression de tenir dans ses mains une arme de légende, vieille de plusieurs siècles. Enfin, la dernière chose qui retint son attention fut le haut du manche, là où la lame était encastrée. Cette partie était sertie de trois pierres bleu foncé parfaitement lisses et luisantes, et rigoureusement identiques, incrustées de façon parallèle et à égale distance les unes des autres. Et l'autre côté du manche était décoré de la même façon.
Les yeux de Pam brillaient d'émerveillement. C'étaient des saphirs.
« Cette hache est unique en deux points : les motifs gravés d'un côté de la lame sont des runes de signature spéciaux, qui ne permettent qu'à toi et toi seule de te servir de cette hache dans
toute sa puissance (si Deudoiné ne s'est pas trompé dans l'un d'eux du moins !).
L'autre particularité réside dans les 7 pierres incrustées dans le manche. »
Pam cessa de lire et regarda de nouveau la hache qu'elle osait à peine toucher. Sept pierres ? Elle n'en avait vu que six ! Elle examina le manche de plus près et découvrit la septième pierre : elle était tout au bout, du côté de la poignée, et était encore plus grosse que les six autres ! Elle avait la forme d'une demi-sphère, contrairement aux autres qui étaient allongées, et donnait à la partie du manche destinée à la saisie un esthétisme particulièrement recherché. Elle se replongea dans sa lecture, avide de connaître l'utilité des pierres précieuses.
« Contrairement aux apparences, ce ne sont pas des saphirs. »
Pam fut un peu déçue par cette révélation. Ce n'étaient pas des pierres précieuses, comme elle l'avait cru...mais elle continua tout de même.
« Ce sont des diamants. »
Elle s'arrêta une fois de plus pour encaisser le coup. Des diamants...
L'idée des saphirs lui avait déjà fait tourner la tête, alors des diamants ! Elle peinait à y croire. Comment son oncle avait-il pu réunir sept de ces pierres d'une rareté extrême ? Et comment pouvaient-elles être bleues ? La suite lui expliquerait peut-être !
« Leur couleur bleue est due à un enchantement fait par un excellent joaillomage, grâce à un nombre impressionnant d'artefacts pandawushu d'eau. Ces diamants quasi-indestructibles contiennent une quantité de magie liée à l'eau qui dépasse l'entendement, et qui, grâce aux runes de la lame, n'obéit qu'à toi.
Le reste de cette hache a également été enchanté avec des artefacts, pour qu'elle puisse répondre au mieux à une personne ayant des affinités avec l'eau, en l'occurrence toi.
Ainsi, Deudoiné et moi avons conçu cet objet pour qu'il soit le plus adapté possible à ton caractère, à ton style de combat et à ta personnalité.


Je sais que tu as toujours eu beaucoup de mal à supporter ton affinité avec l'eau ma petite Pam...et je me rappelle de tous tes amis d'enfance qui ont reçu leur première hache bien avant toi, et qui jouaient à attaquer toutes les pauvres bêtes qui tombaient à leur portée, tandis que toi tu n'arrivais pas à manier ces armes...(tant mieux d'ailleurs, j'imagine mal quelles bêtises tu aurais pu faire avec ça dans les mains, à cette époque !)
Avec ce cadeau, j'espère pouvoir te montrer que tout au long des épreuves difficiles que tu as supportées, j'étais là et je comprenais ta souffrance, parce que tu te sentais si différente des autres pandawas...mais je ne savais pas quoi faire.
Aujourd'hui, je t'offre ta première hache, dans l'espoir qu'enfin tu te rendes compte que tu n'es pas si différente que ça des autres, si ce n'est en mieux. Le chemin proposé par les maîtres d'Akwadala est très difficile, mais je sais sans en douter une seule seconde que tu parviendras à aller au bout, et je suis prêt à te donner un coup de pouce si nécessaire !


Je souhaite donc un merveilleux anniversaire à ma nièce, que j'aime comme ma fille, et sur qui je veillerai toujours du mieux que je pourrai.


Ton oncle Kan. »


Pam avait le cœur gonflé par l'émotion. Plus encore que la hache, cette lettre était la plus belle preuve d'amour qu'on pouvait lui donner aujourd'hui. Elle la replia le plus soigneusement qu'elle le pouvait, et la remit dans l'enveloppe avant de ranger le tout dans son petit sac de voyage. Le visage souriant de son oncle se dessina dans son esprit, et elle eu du mal à retenir des larmes de joie et de reconnaissance, alors qu'elle s'apprêtait à toucher pour la première fois son cadeau.
Mais au moment où elle toucha la poignée en cuir bleu de l'arme, elle ressentit comme une décharge vigoureuse dans tout son bras, qui se propagea rapidement au reste de son corps. Malgré sa surprise, Pam n'eut pas le réflexe de lâcher la hache. La sensation avait beau être très étrange, elle n'était pas douloureuse. Elle était même plutôt agréable...comme lorsque l'on étire un membre engourdi, en plus énergique peut-être.
La sensation passa rapidement, pour ne laisser place qu'à une impression de légèreté et de liberté de mouvement exceptionnelle. Pam n'en revenait pas de la facilité avec laquelle elle soutenait l'arme, pourtant très lourde en apparence. Elle était à peine plus difficile à manier qu'une dague...
Deudoiné lui-même sembla surpris par l'aisance avec laquelle la pandawa soulevait l'arme. Il se souvenait avoir peiné à la mettre sur le comptoir, et se demandait si cette apparente facilité de mouvement était liée à la force physique de la pandawa, ou juste aux enchantements compliqués qui avaient été appliqués à la hache.
Ce fut avec une certaine fierté qu'il vit la pandawa s'incliner devant lui dans un lent et sincère geste de remerciement, sans un mot supplémentaire. Le forgeron trouva que cette gestuelle était beaucoup plus expressive que n'importe quel « merci », et accepta cette preuve de reconnaissance avec un plaisir non caché.
  • Ah, j'allais oublier...dit-il en se baissant de nouveau. Je crois que ça pourrait vous être utile.
Il déposa devant la pandawa une pièce de cuir, de couleur marron classique cette fois, qui se résumait à un ensemble de sangles dont une servant de bandoulière.
  • J'ai bricolé ça vite fait, marmonna-t-il dans sa barbe. Je ne suis pas un cordonnier accompli, mais ça a au moins le mérite de tenir ! Enfin bon...considérez ça comme un cadeau.
Pam ne voyait pas vraiment ce qu'était ce « cadeau » qu'on lui offrait, ni son utilité, et était gênée de ne pas savoir comment réagir. Ce fut ce moment que choisi Ecarlia, qui jusque là était restée silencieuse, très discrète, pour intervenir sans prévenir.
Elle saisi sûrement les sangles de cuir, puis la hache, plus délicatement, et en un tour de main réussi à attacher les deux dans un ensemble parfait, avant de tendre le tout à la pandawa interdite.
La colère et la frustration que Pam éprouvait encore quelques minutes auparavant à son égard se changèrent en une profonde reconnaissance lorsqu'elle prit ce que lui tendait la sacrieur, ainsi que le clin d'œil complice qu'elle fut la seule à voir. Décidément, on lui en faisait beaucoup, des clins d'œil ces derniers temps !
Elle glissa sa hache fermement retenue par les sangles sur son épaule, en bandoulière, et se tourna de nouveau vers le forgeron qui souriait béatement, content de lui :
  • Merci infiniment monsieur Deudoiné, lui dit-elle sur le ton le plus respectueux qu'elle pouvait employer. J'envie à mon oncle son sixième sens qui lui permet de trouver des amis aussi formidables.
  • Ho ho ! Mais que voilà une jeune fille qui sait bien parler dites moi ! lança-t-il tout haut. Puis il ajouta à voix basse : Mais rassurez-vous, je crois que ce sixième sens dont vous parlez, vous en avez hérité de votre oncle.
Pam se retourna vers la sacrieur, qui s'était replongée dans la contemplation des armes exposées dans la pièce, toujours aussi silencieuse. C'était peut-être bien vrai...
Chapitre X - suite
Ecarlia songeait avec amusement à ce qui aurait bien pu se passer si elle n'avait pas été là. La pauvre Pam aurait probablement fait un véritable numéro comique avec ces sangles à haches, la sacrieur avait deviné son peu d'affinités avec ces armes lorsque son amie l'avait sous-pesée d'un geste très hésitant.
Heureusement tout de même que cette sangle ressemblait beaucoup à celles qu'utilisait Gilles pour ses propres haches, que ce soit de bataille ou de bûcheron. Lorsqu'elle était petite, il lui expliquait inlassablement comment nouer ces lacets de cuirs autour du manche et de la lame, et que pour chaque hache à la forme différente il fallait un agencement différent des sangles.
Il n'avait pas fallu très longtemps à la petite Ecarlia pour se prendre à ce jeu qui demandait un peu de réflexion et d'habileté, et pour y devenir très douée. Elle n'avait plus fait cela depuis des années, mais l'occasion s'était présentée et ce fut avec un grand plaisir qu'elle avait à la fois retrouvé un jeu d'enfance, et aidé une amie en difficulté.
L'air de rien, elle s'était ensuite remise à observer les armes entreposées ici et là, feignant l'indifférence totale à la surprise qu'avait causée sa petite intervention. Mais le forgeron ne semblait pas vouloir la laisser s'en tirer à si bon compte.
  • Vous cherchez quelque chose de particulier mademoiselle ? lui demanda-t-il juste derrière son épaule.
Elle sursauta légèrement, ne l'ayant pas du tout entendu approcher.
  • Non, merci, je ne fait que regarder, répondit-elle poliment. Je n'aime pas trop les armes en réalité, je me contente volontiers de mon couteau de chasse quand...je chasse.
  • Vous ne l'avez pas sur vous à ce que je vois...mais je ne pense pas que ce couteau soit d'une quelconque utilité pour vous battre, n'est ce pas ? Il doit être émoussé, lourd, fait pour chasser des animaux en quelque sorte, pas pour se défendre en cas d'attaque, trop peu maniable...
Elle le regarda avec un mélange de curiosité et de gêne. Il avait un esprit de déduction plutôt pointu. Mais de quoi se mêlait-il au juste ?
  • L'argent n'est pas un problème pour moi, continua-t-il sur un ton moins mercantile, mais j'aime faire découvrir aux gens leurs capacités cachées en ce qui concerne les armes...je peux vous faire essayer différentes choses si vous voulez, et gratuitement, cela va sans dire.
Le vieillard avait quelque chose de si convaincant dans la voix qu'Ecarlia se surprit elle-même à accepter son offre. Le forgeron l'invita donc à le suivre dans l'arrière-boutique, et fit signe à Pam de venir elle aussi.
Elles passèrent à sa suite derrière le comptoir, et arrivèrent dans une pièce qui regorgeait d'armes à l'apparence bien plus étrange que celles exposées dans l'hôtel de vente. Au milieu de cette pièce se dressait un gros épouvantail de paille et de bois, habillé comme un paysan, et qui semblait attendre patiemment que quelqu'un veuille bien essayer sa lame sur lui.
  • Ce bon vieux poutch va avoir du boulot aujourd'hui ! fit le forgeron en donnant une tape sur l'épouvantail. Alors...essayons les épées pour commencer.
Il alla décrocher une grosse lame blanche et bleue, et la mit sans vergogne dans les petites mains d'Ecarlia. Puis il s'éloigna de quelques pas, et pris une pose d'observateur d'art qui contemple une œuvre nouvelle avec un œil critique.
Ecarlia souleva l'épée de ses deux mains, ne pouvant pas la tenir correctement d'une seule. Tout compte fait, ce petit jeu risquait vite de devenir lassant. Elle courut néanmoins vers l'épouvantail, voulant tout de même faire au mieux, et abattit l'épée sur un « bras » tendu du poutch. L'épée s'enfonça dans la paille, tranchant les épis et les vêtements sans difficulté...avant d'être arrêtée net par l'ossature en bois. Surprise, Ecarlia tira sur son arme pour se dégager, et celle-ci lui répondit encore mieux que lorsqu'elle avait frappé le mannequin. L'épée se retira aussitôt, déséquilibrant la sacrieur et rayant le sol lorsqu'elle tomba dessus.
  • Trop lourde la Razielle apparemment...commenta professionnellement Deudoiné. J'aurais dû m'en douter, c'est l'arme préférée des iops, un vrai hachoir sans aucune subtilité. On peut déjà laisser tomber les haches et les marteaux dans ce cas, beaucoup trop lourd, trop puissant...on va plutôt essayer quelque chose de plus léger.
Il reprit la lame bleue des mains d'une Ecarlia penaude, et lui tendit un long sabre effilé, à la poignée si grande que les mains de la sacrieur n'en couvraient même pas la moitié. Cependant, le sabre était effectivement beaucoup plus léger que l'énorme épée, donc aussi beaucoup plus maniable. Elle le fit siffler un instant en l'air, puis elle donna un coup vertical sur l'autre bras du poutch, pressée de voir ce qu'elle pouvait faire avec ce sabre. La vitesse de son mouvement était bien supérieure avec cette arme, elle avait presque l'impression ne n'avoir que son bras à soutenir. Le sabre ne se coinça pas cette fois, mais le bras ne fut pas tranché pour autant. Un sentiment de frustration s'empara d'Ecarlia, et d'un rapide pivotement sur elle-même, elle donna un second coup, ascendant cette fois. L'ossature en bois ne résista pas, et le bras vola de l'autre côté de la pièce.
  • C'est mieux, c'est mieux...mais trancher un bras en deux coups, c'est encore insuffisant, dit le forgeron avec une expression qui trahissait son plaisir à chercher l'arme idéale. Il faudrait que vous frappiez plus vite. Finalement vous êtes peut-être plutôt dagues...
Il rangea le sabre et sorti une simple paire de dagues aux lames pointues et en apparence terriblement tranchantes. Ecarlia évita de passer son doigt sur le fil de la lame, et se contenta de les prendre comme elle avait l'habitude de saisir son couteau en allant chasser.
  • Mais...! Vous ne les prenez même pas comme il faut ! s'exclama soudain le forgeron, avant même que la sacrieur n'ait pu esquisser un seul geste. Ce ne sont pas des épées que vous avez dans les mains, voyons, ni de simples couteaux de cuisine ! Pas les dagues non plus, alors ? Décidément, vous êtes plus difficile à cerner que je ne le pensais.
Il se mit la tête en arrière et sembla se plonger dans ses pensées, en marmonnant dans sa barbe. Ecarlia en profita pour observer sa posture plus avant. Comment ça elle ne les tenait pas bien ? Elle avait toujours pu se débrouiller avec son couteau en le tenant de cette façon, et des dagues ce n'étaient rien d'autre que des couteaux jumeaux !
Elle se tourna vers Pam, cherchant un quelconque soutient dans cette affaire qui commençait à devenir un peu trop ridicule pour elle. Mais la pandawa se débattait avec sa magnifique hache sanglée, pour réussir à la libérer des liens de cuir. Étrange qu'une pandawa ne sache pas se servir de ce genre de matériel...les habitants de Pandala étaient entre autres réputés pour leur grande maîtrise des haches, en voir une qui ne semblait pas familière à ces armes était plutôt surprenant aux yeux de la sacrieur.
  • Rapide et agile...faut une arme légère alors...mais manque de puissance...
Deudoiné continuait de marmonner dans sa barbe, retournant dans tous les sens un problème qui lui semblait insoluble.
Et tout à coup, ses yeux et son visage s'illuminèrent.
  • Ça y est...j'ai trouvé.
Il se dirigea au fond de la pièce, et décrocha du mur deux fourreaux en cuir de couleur pourpre, richement décorés, qu'Ecarlia n'avait pas remarqués. Les poignées des deux armes étaient moins grandes que celle du sabre qu'elle avait manié précédemment, et leurs lames semblaient plus courtes aussi. Deudoiné les tenait comme si ces armes étaient d'une fragilité extrême, et avec milles précautions, il les noua à l'aide d'une simple cordelette autour de la taille de la sacrieur qui se laissa docilement faire.
Puis il s'éloigna, le visage crispé par un mélange de doute et d'espoir qui mettait la sacrieur mal à l'aise. D'un geste mal assuré, elle saisi la poignée de l'arme sur son côté gauche, avec sa main droite, et la tira du fourreau.
Avec un son cristallin, une lame fine et argentée apparu à ses yeux. Une lueur bleutée émanait du métal brillant en une sorte de brume infime, comme une flamme bleue à peine perceptible. Ecarlia fut fascinée par la magnifique lame à l'instant où elle la vit. Elle sorti l'arme entièrement. C'était un genre de sabre, comme le dernier, mais aussi long que son bras. Il était d'une légèreté époustouflante, encore plus facile à soulever qu'une dague. Et la beauté fantastique de la lame donnait à l'arme un aspect mystérieux, irréel, qui captivait le regard d'Ecarlia. Ses doigt caressèrent le métal comme si c'était une fourrure. Il était d'une agréable tiédeur.
Elle n'avait jamais vraiment aimé les armes en général. Le contact froid et dur de leur acier ne lui rappelait que leur utilité première : tuer. Jamais elle n'avait apprécié de manier une épée ou une dague, ne serait-ce que pour chasser.
Mais celle-ci...celle-ci était différente. Le contact avec l'arme était difficile à décrire. Il n'était pas froid et rude, il ne lui inspirait pas le dégoût habituel. Il était...amical. Elle se rendait compte de l'absurdité de sa réflexion, mais c'était vraiment ce qu'elle ressentait. Cette lame lui était amicale.
D'un geste bien plus sûr que le précédent, elle tira de son fourreau le second sabre, identique en tous points au premier. Les armes jumelles émettaient un sifflement cristallin lorsqu'elles fendaient l'air. Tout était beauté dans ces chef-d'œuvres de la forge. Aux yeux d'Ecarlia, c'était de l'art. Il ne lui venait même pas à l'idée que les lames puissent tuer, pas plus qu'un tableau de maître. C'était inconcevable.
Elle fit tourner les sabres dans le vide avec une facilité qui la déconcerta elle-même. C'était comme s'ils l'aidaient. Elle posa son regard sur l'épouvantail manchot qui attendait juste devant elle, toujours immobile, au beau milieu de la pièce. Ecarlia commença par frapper le bras droit du mannequin, dressé insolemment comme pour lui rappeler son premier essai pitoyable.
Le membre de paille et de bois tomba simplement sur le sol. Il n'y eut presque aucun bruit, presque aucune résistance. Ecarlia avait eu l'impression de trancher un fin ruban de soie. Encouragée par cet essai fructueux, la sacrieur attaqua le tronc de l'épouvantail, c'est à dire tout ce qui restait. Elle frappa une fois, puis deux, puis une troisième, à une vitesse fulgurante, et sa cible se sépara lentement en trois parties inégales.
  • Incroyable, dit soudain Deudoiné, qui avait observé toute la scène avec un œil passionné. Cette aisance, cette vitesse...ils vous répondent.
Ecarlia posa de nouveau ses yeux sur les lames argentées.
  • Je...je crois que c'est ça qu'il me faut, chuchota-t-elle juste assez fort pour que le forgeron entende. Mais combien coûtent-ils ?
  • Ils ne sont pas à moi, répondit-il avec une voix rêveuse.
Ecarlia comprit qu'elle ne pourrait pas garder les katanas. Elle rangea les lames dans leurs fourreaux d'un geste parfait, comme si elle possédait ces armes depuis des années, et se résigna à l'idée de devoir les laisser là.
Deudoiné sorti soudainement de sa contemplation, et pensa qu'il était plus que temps de raconter la petite histoire des lames jumelles.
  • Il y a environ vingt-cinq ans, un de mes anciens élèves et amis m'a apporté ces armes, et me les a offertes, commença-t-il à l'adresse d'Ecarlia. C'était un sacrieur, une personne formidable, à qui j'aurais pu confier ma propre vie sans hésiter. Il me les a tendues, en me disant simplement qu'il n'en avait plus besoin, qu'il avait trouvé de la compagnie...
Ecarlia décrocha la cordelette nouée autour de sa taille, et s'approcha de Deudoiné, de la déception plein les yeux.
  • Mais...il m'a dit autre chose, continua-t-il en prenant les fourreaux pourpres. Il a dit que si, un jour, ses katanas réagissaient à une personne, lui répondaient pour le citer, je devais laisser partir cette personne en toute confiance avec les deux sabres. Et c'est ce que je lui ai promis.
La sacrieur prit quelques secondes pour encaisser la nouvelle. Cela voulait dire que...le forgeron allait lui offrir la paire de sabres ? Gratuitement ???
Les yeux de Deudoiné se teintèrent soudain de tristesse.
  • Il est mort. A peine cinq ans après. J'ai conservé ses armes ici depuis tout ce temps. Au début, je les faisais essayer au plus de personnes possible, et comme personne ne se montrait intéressé par eux, j'ai petit à petit oublié ces deux katanas accrochés au mur du fond.
Un sourire vint éclairer son visage froncé par une vieille peine.
  • Et puis aujourd'hui, vous arrivez comme une fleur, et voilà que ces satanées épées viennent à me rappeler toute cette histoire.
Ecarlia cru comprendre que le forgeron lui faisait un reproche, et elle s'apprêtait à se répandre en excuses quand il releva fièrement la tête.
  • Aujourd'hui, grâce à vous, je vais enfin m'acquitter de cette vieille promesse, clama-t-il tout haut comme pour que quelqu'un de très éloigné l'entende. Ces katanas sont à vous. Je vous les offre, comme il aurait voulu que je le fasse. Sans aucune condition d'aucune sorte.
Il remit les fourreaux entre les bras d'Ecarlia sans ménagement. La sacrieur n'en revenait pas. Elle avait gagné ces deux objets magnifiques juste parce qu'elle s'était sentie bien avec ! Et le forgeron avait aussitôt fait le lien avec une vieille histoire dans laquelle elle n'avait jamais rien eu à voir ! Elle se senti coupable de prendre ainsi les deux lames, qui vraisemblablement ne lui revenaient pas.
  • Attendez...c...comment pouvez-vous savoir que je suis celle auquel votre ami pensait ? bredouilla-t-elle. Je ne vous connaissait même pas avant aujourd'hui, alors que dire de votre ami qui est...mort ! A peine quelques années après ma naissance !
  • Je suis sûr de moi, répondit Deudoiné sur un ton implacable. Toutes les personnes qui ont tenu ces sabres dans leurs mains les ont aussitôt détestés, sans que je comprenne pourquoi. Ils étaient incapable ne serait-ce que de frapper ce poutch immobile, et me les rendaient presque effrayés, comme s'ils avaient hâte de s'en débarrasser.
Son regard devint pétillant de malice.
  • Ces sabres vous ont répondu. Selon ses désirs, ils vous reviennent de droit, c'est ce qu'il voulait. J'insiste pour que vous les preniez. Ne me dites pas que vous n'en voulez pas quand même ?
  • Si bien sûr ! Mais...!
  • Alors c'est réglé !
Et le forgeron sorti de la pièce en chantonnant gaiement, laissant les deux jeunes femmes en tête à tête. Pam avait abandonné l'idée de dé-sangler seule sa hache, et avait assisté à tout depuis la première sortie des fourreaux, dans un silence absolu. Ce ne fut que lorsque Deudoiné fut sorti qu'elle se risqua à parler.
  • C'était...impressionnant, murmura-t-elle.
  • Ah oui ? Pourtant...ça m'a semblé facile, répondit Ecarlia un peu gênée par cette soudaine intimité.
  • J'ai à peine eu le temps de te voir bouger que le poutch était déjà en morceaux ! J'ai pratiquement de la peine pour ce contre quoi tu pourras te servir de ces katanas ! plaisanta-t-elle innocemment.
Ecarlia acquiesça, mais elle se sentait triste à l'idée de devoir peut-être un jour ternir la beauté de ces lames brillantes...
Elle ne voulait pas ces katanas parce qu'ils était redoutablement tranchants, parce qu'il semblait si facile de tuer avec leur aide.
Non, ce qu'elle aimait dans ces armes c'était leur contact, tout simplement. Il était rassurant, elle se sentait plus sereine lorsqu'elle avait la main sur la poignée, pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas, elle qui avait toujours détesté les armes.
Ce fut donc avec une joie non dissimulée qu'elle quitta la maison en bois aux côtés de Pam, qui continuait de lui décrire sa prestation dans les moindres détails, avec deux superbe fourreaux pourpres qui tapaient contre ses cuisses à chacun de ses pas.
Prochaine étape : apprendre à la pandawa à se servir de sa sangle à hache, voire de sa hache en elle-même, songea-t-elle avec amusement.




Elle sortait enfin de ce maudit hôtel de vente. Impossible de la suivre à l'intérieur, il aurait été remarqué aussitôt, avec son attirail de parfait inconnu qui le cachait tellement bien qu'on ne voyait que lui. Il se demandait encore si ç'avait été une bonne idée de mettre cette longue cape gris-noir, qui lui masquait le visage et la majeure partie du corps. Les gens dans la rue l'évitaient aussitôt quand ils le voyaient, ce n'était pas discret du tout ! Mais Elle avait dit que c'était de loin la meilleure solution. Quelqu'un aurait pu le reconnaître s'il ne cachait pas du mieux qu'il pouvait son visage et son corps.
Il se remit en marche, une vingtaine de pas derrière les deux jeunes femmes qui ne se doutaient pas une seule seconde qu'elles étaient suivies. Elles se dirigeaient vers les résidences du sud de la ville. Il semblait qu'elles retournaient chez cet eniripsa...quand est-ce que la sacrieur serait enfin seule ? Il aurait voulu aller droit sur elle directement, ça ne l'aurait pas gêné un seul instant. Mais encore une fois, Elle s'y opposait et lui conseillait d'attendre qu'elle soit seule pour le faire. Il avait confiance en Elle, Elle ne l'avait jamais trahit. Mais l'envie était si forte ! Quel mal il avait à se retenir !
° J'en ai assez d'attendre...je voudrais me retrouver face à elle maintenant ! songea-t-il avec toute la force de son esprit. Il n'y a que son amie pandawa avec elle, ce n'est pas grave du tout si j'y vais !
° Non, soit patient, répondit une voix suave au plus profond de son âme. La pandawa s'en ira bientôt, croit-moi. Elle n'a aucune raison de ne pas retourner à Pandala, contrairement à elle. Seule, cela sera plus à ton avantage, en tout cas si ça tournait mal.
° Mais pourquoi est-ce que ça tournerait mal ? Il n'y a vraiment aucune raison non plus !
° Il vaut mieux ne pas prendre de risque...ait confiance, tu pourras très bientôt satisfaire ton attente.
Un cri de douleur le sorti de son dialogue intérieur. Son regard affolé se fixa aussitôt sur les jeunes femmes qui marchaient devant lui, et il vit avec horreur trois mercenaires vêtu d'ocre encercler Ecarlia. L'un d'eux, qui tenait un bâton, enjambait le corps inerte de la pandawa qui venait de s'effondrer.
Il se figea, incapable de décider quoi faire.
° Ce n'était pas prévu ça ! paniqua-t-il. Qu'est ce que je dois faire, si je ne peux pas me montrer ? Seule elle n'y arrivera pas !
° Va l'aider ! lui cria sa voix intérieure. S'ils la capturent, ou pire, tout est fichu !
Il n'hésita pas une seconde de plus. D'un geste rageur, il enleva sa cape et la jeta à terre. Il fonça vers les trois agresseurs avec toute la célérité dont il était capable, et lorsqu'il fut assez près, sauta et dégaina son épée accrochée dans son dos, avant de retomber en frappant rageusement l'un des lâches mercenaires.




Ecarlia n'avait rien vu venir, et Pam non plus. Ils leur étaient tombé dessus avec une rapidité fulgurante, la pandawa avait été frappée à la tête par un bâton alors qu'elle venait à peine de se rendre compte de l'agression, et s'était effondrée par terre, inconsciente.
Ecarlia reconnu aussitôt les uniformes ocres, et les badges d'assassins qui n'avaient rien à faire là. C'étaient les mêmes qui avaient attaqués Gilles et Prune, et maintenant ils s'en prenaient à elle. Ils voulaient sûrement obtenir des informations sur eux, sur où ils se cachaient ! Pas de chance, Ecarlia n'en avait aucune idée, mais elle ne laisserait pas ces types impunis !
En revanche, elle se demandait pourquoi ils continuaient à avancer vers elle avec cette lueur malveillante dans le regard. Pourquoi est-ce qu'ils ne disaient rien ? Pourquoi ils ne posaient aucune question ?
Sans doute voulaient-ils s'amuser un peu avant, histoire de la mettre en condition de coopération...
Ecarlia dégaina les deux katanas d'un geste déterminé. Elle avait espéré ne pas faire couler le sang avec ces armes, du moins pas tout de suite, pas aussi vite...mais visiblement la déesse Sacrieur ne l'entendait pas ainsi.
Les mercenaires continuaient d'approcher, toujours aussi menaçants, et nullement impressionnés par la paire de sabres brillant d'une lueur magique. Ecarlia savait que celui au bâton était derrière elle, mais avait déjà fort à faire avec les deux qu'elle voyait. L'un était massif, large d'épaule. Il portait une grosse épée courbée d'une main, preuve de sa force évidente, et sa chevelure orange était sculptée de telle façon qu'elle évoquait une flamme.
L'autre était un squelette. Et pas au sens figuré. C'était un vrai tas d'os blanchis, effrayant, aux orbites vides et inexpressifs. Il avançait d'un pas déterminé, en regardant droit devant lui, sa démarche était presque automatique.
Elle entendit soudain une course rapide derrière elle, puis le bruit d'un choc violent mêlé à un cri de surprise et de douleur. Le mercenaire qui se glissait derrière elle fut projeté contre le mur en face d'elle, dans une explosion de poussière. Ses deux comparses regardèrent la scène avec des yeux ronds, ne comprenant pas ce qu'il venait de se passer. Un écaflip blanc s'avançait calmement, une grosse et étrange épée sombre à la main. Et ce fut au tour d'Ecarlia d'être stupéfiée lorsque le mercenaire qui avait été frappé si violemment sorti du nuage de poussière et de débris, les habits à peine déchirés, la lèvre inférieure écorchée, et le regard furieux.
  • Je m'occupe du féca, dit l'écaflip en dressant son arme inquiétante devant lui.
Ecarlia ne contesta pas. Elle reporta son attention sur les deux autres. Le iop semblait ne pas avoir encore comprit ce qu'il s'était passé, et continuait de fixer tour à tour les deux guerriers qui se faisaient maintenant face à face. Le squelette quant à lui, continuait d'avancer sur elle sans s'arrêter, il avait à peine tourné la tête vers son compagnon attaqué. Ecarlia fit siffler ses katanas sans plus réfléchir, et le sram tomba en un tas d'une matière ressemblant à de la farine.
Elle fut alors violemment frappée derrière la tête. Affolée, elle se retourna en frappant des ses lames, mais ne rencontra que le vide. Elle fit deux pas en arrière. Et elle comprit aussitôt son erreur. Une explosion la souleva de terre comme si un poing géant l'avait frappée dans le dos. Des éclats de pierre se fichèrent dans sa peau, et ce ne fut que grâce à des réflexes fulgurants qu'elle ne se connaissait même pas qu'elle réussi à se réceptionner sans trop de de dégâts.
Son adversaire était invisible. Comment allait-elle pouvoir l'affronter si elle ne pouvait pas le voir ?
Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus longtemps, car le iop venait probablement de comprendre que c'était contre elle qu'il devait se battre, et se précipitait sur la jeune femme l'épée à la main en hurlant. Ecarlia plongea sur le côté pour éviter la lame mortelle, mais à peine s'était-elle relevée que deux grosses pierres ressemblant à des poings fermés se matérialisèrent tout bonnement à sa gauche et à sa droite. Elle n'eut pas le temps d'esquiver cette fois, et les poings de roche la heurtèrent avec une force terrible.
Mais elle était une disciple de sacrieur. Surmontant la douleur, elle bondit sur le iop, qui ne s'y attendait pas du tout, et frappa de ses katanas en ciseaux. Ce ne fut qu'au dernier moment que son adversaire mit son épée en opposition pour sauver sa tête. Ecarlia réagit aussitôt, et se baissa pour un coup circulaire visant les jambes. Cette fois, une des lames entailla profondément la chair du iop, et il poussa un grognement de douleur en fléchissant sa jambe touchée.
Ecarlia n'attendit pas qu'il se relève. Elle lui envoya son poing en plein visage, et une détonation suivie d'un puissant souffle d'air envoya le iop s'écraser au sol trois mètres plus loin. Mais celui-ci semblait loin d'être hors-service. Il se releva difficilement, et joignit ses deux poings devant lui en fermant les yeux. Une vive lumière se dégagea de son corps, et il se remit en garde en pleine forme, comme s'il avait lui-même pu se redonner de l'énergie pour le combat.
Il était encore à une distance suffisamment réduite pour qu'Ecarlia puisse l'attaquer de loin grâce à ses « coups de vent ». Elle se prépara à lui envoyer une rafale en pleine poitrine lorsque...son adversaire disparu.
Elle ne le voyait plus. Il était face à elle un instant auparavant, et maintenant il n'y était plus. Déconcertée, elle baissa sa garde, croyant que le guerrier s'était enfui grâce à une technique quelconque, mais elle déchanta vite lorsqu'elle senti l'acier de son épée tracer une longue entaille sur son flanc gauche.
Alors que la douleur commençait vraiment à l'assaillir pour de bon, elle paniqua. Ses deux ennemis étaient maintenant invisible ! Elle n'avait aucune chance de s'en sortir !
Ses yeux se tournèrent vers son renfort de dernière seconde, dans l'espoir qu'il pourrait venir à son secourt, mais il était aux prises avec le troisième mercenaire, qui semblait manier son bâton avec une virtuosité redoutable. Puis elle regarda Pam, mais ses espoirs s'envolèrent quand elle vit son corps étendu qui remuait à peine.
Une dague pénétra son épaule droite, alors qu'elle bougeait du mieux qu'elle pouvait pour que ses insaisissables adversaires ne puissent pas l'atteindre. Elle donna des coups désespérés de ses katanas, mais ne rencontra rien.
Un nouveau coup violent la souleva de terre, et elle retomba beaucoup plus rudement cette fois. Sa résistance de sacrieur ne pourrait pas lui donner la victoire dans ce combat...elle allait mourir si elle ne pouvait pas se défendre, si elle ne pouvait pas voir d'où venaient les coups, où porter les siens !
Il fallait qu'elle puisse les situer...c'était le seul moyen de rester en vie. Elle voulait les voir...elle voulait les trouver, savoir où ils étaient...elle le voulait !


Et puis soudain, elle le su. Elle ne voyait toujours rien de plus qu'avant, mais elle savait où ils étaient. Elle entendait leurs respirations, les battements d'un cœur, chacun de leurs pas pour changer d'angle d'attaque. Elle entendait les tissus frotter les uns contre les autres, leurs bruissements au vent. Elle entendait les grincements normalement imperceptibles des articulations à nu du sram sournois.
Et puis elle sentait aussi. Le iop sentait la sueur, la terre, le sang...ces odeurs provenaient toutes d'un point précis. Ce point se rapprochait de son côté droit. Elle entendit le métal faire siffler l'air, et leva ses épées dans cette direction. Le choc fut dur à encaisser, car le iop avait une force hors du commun, mais son arme fut tout même stoppée avant de couper un bras à Ecarlia. Elle leur donna toute l'énergie dont elle disposait encore, et repoussa l'épée qui l'aurait certainement tuée, avant de se fendre en avant avec son bras droit.
Une partie de son katana disparu, et un cri retenti. Puis il réapparut, rougit par le sang, et le iop en fit de même quelques instants après, en se tenant son épaule transpercée de part en part.
Ecarlia frappa le sol de son pied, et le guerrier fut soulevé de terre par un souffle puissant. Un second vint le fouetter alors qu'il était en l'air, et il fut envoyé valser comme un vulgaire fétu de paille. Sa tête heurta un mur, et il retomba inconscient sur le sol.
Ecarlia reconnu alors instinctivement une odeur qu'elle n'avait jamais sentie.
Le sram avait peur.
Un petit clic retenti à sa gauche, et un autre juste devant elle. Elle ne bougea pas, devinant les mêmes pièges que celui qui lui avait explosé sous les pieds.
Le sram rit. Un rire nerveux, à la fois soulagé et rassuré. Il avait eu peur qu'elle puisse se ruer sur lui et lui trancher net un bras ou une jambe. Ecarlia entendit plusieurs autres clics tout autour d'elle, certains un peu différents, plus diffus. Elle sentait même le piège sous ses pieds, le sol y vibrait étrangement, comme distendu. Elle essaya de se calmer, concentrant son esprit sur tous ses sens sauf sa vue. Ses katanas glissèrent avec leur son cristallin dans leurs fourreaux.
Elle prenait son temps. Le sram bougeait encore beaucoup trop, elle avait du mal à le situer précisément. Mais elle savait aussi qu'il n'oserait pas approcher, et elle parierait sur ça pour le prendre à ses propres pièges. Il continuait inlassablement à cribler le sol, persuadé d'avoir gagné. Mais Ecarlia ne bougeait toujours pas.
Soudain, il s'arrêta. Ecarlia était pratiquement certaine de savoir où il était, et le sram se condamna lui-même en chuchotant : « Mais qu'est-ce qu'elle fabrique ? ».
A ce moment, elle libéra toute l'énergie qu'elle accumulait depuis plusieurs secondes, et la dirigea vers l'endroit où elle pensait que le sram était. Elle saurait tout de suite si elle avait vu juste...
Son corps se mit à briller intensément, et l'air à quelques pas d'elle en fit de même. Elle avait vu juste ! Elle senti la panique du sram, mais c'était trop tard. Elle se retrouva à sa place la seconde d'après. Et lui était à la sienne.
Elle fixa l'endroit où elle se trouvait l'instant d'avant, y devinant le sram paralysé par la peur.
  • Non ! Ne fait pas ça ! cria-t-il en oubliant toute discrétion.
Mais Ecarlia avait été gagnée par la fièvre du combat et l'imminence de sa victoire. Elle ne se souciait plus de savoir si elle allait tuer cette personne ou non. Elle tendit son bras devant elle, la main ouverte, et, avec un rictus triomphant, ferma le poing et tira vers elle la chose imaginaire qu'elle avait saisie.
Le sram fut arraché à sa position et tracté vers elle par une force invisible. Des explosions soulevèrent le sol sur son passage, et le bruit des os brisés parvint aux oreilles d'Ecarlia. Le corps détruit atterri à ses pieds, complètement désarticulé, les vêtements en lambeaux, et parfaitement visible.
Ecarlia ne s'inquiéta même pas de savoir s'il était mort ou non. Elle chercha du regard l'autre combat, et vit son allié de fortune à terre, la fourrure brûlée par endroits. Il n'était pas inconscient, juste épuisé. Il reculait difficilement sur ses mains, alors que l'autre levait son bâton, certain d'avoir gagné.
Elle ne réfléchissait plus à ce qu'elle devait faire depuis que le combat avait commencé. Elle agissait par instinct, c'est tout. Encore une fois, elle tendit sa main devant elle, vers le féca, et tira. Il fut comme aspiré, sans rien pouvoir faire, et se vit avec une surprise non dissimulée foncer droit sur la sacrieur. Ecarlia pivota sur elle-même, et donna un fort coup de pied juste avant que le féca ne s'écrase sur elle. Son énergie migra vers son pied, et elle la libéra de la même façon que lorsqu'elle utilisait ses poings. La détonation caractéristique de son attaque retenti, et le souffle frappa le féca en pleine tête.
Mais le coup n'eut pas l'effet escompté. Elle vit aussitôt que son adversaire n'avait pas autant souffert de l'attaque que ce qu'elle pensait. Il était tombé, tout de même secoué par la force du souffle combiné à sa propre vitesse, mais un tel impact aurait au moins dû l'assommer ! Il se releva en se tenant la tête, et toisa Ecarlia avec une expression méprisante.
Elle remarqua alors que la poussière qui était en suspension dans l'air ne le touchait pas. Elle semblait glisser autour de lui, arrêtée par une sphère invisible dans laquelle il était emprisonné.
Ecarlia reconnu les célèbres « armures » des fécas, des boucliers magiques aux pouvoir protecteurs extrêmement efficaces, et qui rendaient ces combattants particulièrement dangereux. Si celui-ci avait créé un bouclier autour de lui, elle aurait de gros problèmes pour réussir à le vaincre, protégé qu'il était par cette bulle presque impénétrable.
Elle ne se découragea pas pour autant. Sortant de nouveau ses katanas, elle se rua sur le féca et frappa le plus fort et le plus vite qu'elle le pouvait.
Elle eut l'impression que ses lames heurtaient un gros tronc d'arbre. Les katanas s'enfoncèrent dans le bouclier éthéré comme dans du bois, s'arrêtant à une trentaine de centimètres du féca. Celui-ci s'attendait certainement à ce qu'il venait de se passer, car il réagit aussitôt en donnant un violent coup de bâton dans le ventre d'Ecarlia.
Elle en eut le souffle coupé, et recula d'un bond en se tenant l'estomac. Son adversaire couru vers elle en faisant virevolter son arme, et elle se mit en position de garde pour pouvoir contrer un nouveau coup du bâton.
Et puis son adversaire disparu à son tour. Paniquée, et regarda le corps du sram, croyant qu'il avait de nouveau rendu invisible un de ses partenaires. Mais le tas d'os cassés n'avait pas bougé.
Alors quoi ? Les fécas pouvaient se rendre invisible aussi ? Elle tenta de retrouver son ennemi de la même façon que les deux autres, mais elle avait perdu ces incroyables sensations qui l'avaient sauvées tout à l'heure !
° Attention, derrière toi !
Ecarlia n'essaya pas de savoir d'où venait la voix. Elle se baissa, et entendit l'air vibrer férocement alors que le bâton lui passait juste au-dessus de la tête. Le féca n'était pas devenu invisible, il s'était téléporté derrière elle ! Ecarlia réagit au quart de tour, et tourna sur elle-même en faisant siffler ses katanas. Encore une fois, ils rencontrèrent la résistance du boulier magique, mais Ecarlia ne se découragea pas, et continua de frapper encore et encore le féca intouchable à toute vitesse. Celui-ci fut surpris par cette soudaine fureur et rapidité. Les lames fusaient si vite et passaient si près de lui malgré sa protection qu'il n'osait presque plus bouger, de peur de se voir blesser gravement par le métal tranchant.
Mais Ecarlia avait beau frapper et frapper encore, elle n'arrivait pas à atteindre son ennemi. Et elle commençait à fatiguer...
° Recule, vite ! Ça va cogner !
Encore cette voix ! Ecarlia hésita une fraction de seconde cette fois. Mais si elle n'avait pas eu le réflexe de l'écouter la dernière fois, le féca l'aurait atteinte derrière la tête. Elle décida de s'exécuter et fit un rapide saut en arrière. Elle ne le regretta pas. La seconde suivante, l'écaflip bondissait sur le flanc du féca, qui ne l'avait absolument pas vu venir, et enfonça son épée sombre dans le bouclier.
La protection magique hurla. Du moins ce fut ce dont Ecarlia eu l'impression. Un cri effrayant retenti, qu'aucun être humain ne pouvait pousser. Le féca s'écroula au sol, alors qu'Ecarlia était pratiquement certaine qu'il n'avait pas été touché.
L'écaflip se retourna vers elle, et elle vit une aura sombre émaner de lui et de son épée. Elle commençait à douter sérieusement des bonnes intentions de son allié. Soudain, il hurla comme un véritable démon, et son cri glaça le sang d'Ecarlia. Il abattit son épée verticalement sur le sol, dans sa direction, et une onde de choc noire fut libérée droit sur elle.
Ecarlia avait à peine eu le temps de comprendre ce qu'il venait de se passer, jamais elle n'aurait pu éviter la décharge d'énergie sombre. Mais celle-ci passa à quelques centimètres d'elle. Elle se retourna lentement, et vit le iop fumant et ratatiné, devenu grisâtre, tomber en arrière.
° Woaw ! Je ne sais pas qui est ce type mais il rigole pas !
La voix mystérieuse continuait de résonner dans sa tête. Mais ce n'était que l'une des choses les plus insignifiantes à ses yeux pour le moment. L'écaflip venait de mettre un genoux à terre, et respirait difficilement. Il marmonnait des choses étranges, qu'Ecarlia ne comprenait que par bribes :
  • Pas autant...c'est trop dur à... ...laisse moi souffler...s'il te plaît.
Malgré l'aide qu'il venait de lui apporter, Ecarlia n'était pas dupe. Cet écaflip avait utilisé de la magie noire pour abattre le iop et le bouclier du féca. Il avait les pouvoirs sombres d'un démon.
Mais il lui avait aussi sauvé la vie. S'il n'était pas intervenu, elle n'aurait eu aucune chance de s'en sortir.
° Hé ! Et nous alors ? On t'a pas aidée peut-être ? T'aurais subit la même chose que ce type si on t'avait pas prévenue !
Cette fois, la voix mystérieuse commençait à attirer beaucoup son attention. Elle avait répondu à ses pensées !
Qui lui parlait ? Qui était capable de lire dans son esprit ?
° C'est nous voyons ! T'as les mains sur nous !
Elle regarda ses mains couvertes de poussière et de sang. La seule chose qu'elle tenait, c'était ses katanas. Et ceux-ci brillaient de leur lueur bleutée plus intensément encore que d'habitude.
Hey !
Depuis le temps que je l'attendais ce(s) chapitres !

Content de voir qu'Ecarliasoit en forme ... Elle fait connaissance avec ses dagues Objivans (j'connais pas l'orthographe de ce mot ... -_-)

Vivement la suite en tout cas ! \0/
Message hors-roleplay
\HRP/ petites précision de savoir-vivre
Alors, il semblerait qu'un modérateur qui m'était jusqu'à lors inconnu a fait un sacré ménage après le post du chapitre 10 ^^

Vu que c'est son boulot, on peut évidemment pas lui en vouloir, mais je voudrais tout de même avoir une faveur au moins pour ce message-ci, Mari.

S'il était possible d'éviter de supprimer les posts aussi systématiquement, je pense que ça ferait plus de bien que de mal.
J'ai cru pdt plusieurs semaines que plus personne ne venait lire, vu qu'il n'y avait aucun commentaire ! Et peut-être que certains ont cru que j'avais arrêté d'écrire vu que aucun de mes messages n'est apparu bien longtemps au cours des dernières semaines...bonjours le coup pour mon moral et celui des lecteurs ! :s

Je remercie évidemment tous ceux et celles qui ont posté tant de commentaires sans que je m'en aperçoive, puisque je viens à l'instant de les retrouver dans la poubelle du théâtre...
Mais Mari a raison, il serait beaucoup mieux que les commentaires soient faits par MP, même si ça prive un sujet de forum de sa raison même d'exister : la discussion...

Bref, pour ceux qui ne l'auraient pas vu pour cause de recyclage à la poubelle, le chapitre 11 n'est pas encore commencé car j'ai beaucoup de boulot. Mais que tout le monde se rassure : je suis toujours là et je ne suis pas prête de laisser tomber les aventures d'Ecarlia !

Je prierai également Mari de bien vouloir faire une exception pour cet unique message HRP, qui permet entre autres d'expliquer pourquoi il ne s'est visiblement rien passé sur les chroniques d'Ecarlia pdt environ un mois. En échange, je promet de poster vite le chapitre 11 et de mettre moins de commentaires HRP! ^^
Je pense aussi ouvrir un nouveau sujet : "commentaires des chroniques d'Ecarlia", afin que si m'envoyer un message vous terrifie complètement (et si c'est le matin juste avant mon café, ça se comprend ), vous puissiez quand même déposer un pti truc que je lirai assurément.

Sur ce, n'oubliez pas que le MP évite avant tout de se faire éditer et donc réduire au silence ! Alors abusez-en !

[Edit : voilà le lien où mettre les commentaires ! Je compte sur vous, plus de messages jugés comme étant HRP ici, mettez tout là ! ^^]
https://forums.jeuxonline.info/showt...0#post16950650
Chapitre XI - 1ère partie
Chapitre XI

Ces odeurs...cela faisait maintenant plusieurs années qu'il ne les avait plus senties. Il avait préféré éviter de revenir sur l'île, sa précédente rencontre avec les autochtones n'ayant pas été des plus agréables.
Mais il avait souvent eu envie d'avoir une bonne raison d'y remettre les pieds. Et cette bonne raison s'était enfin présentée devant lui, alors même qu'il commençait à l'oublier.

Quel environnement fabuleux que celui de Pandala ! Cette végétation de bambous était unique au monde des 12. Une forêt abritant une vie incroyablement variée et impitoyable, mais qui semblait pourtant si paisible...rien à voir avec la jungle luxuriante et agressive de l'île de Moon. Ici tout avait l'air propre, ordonné, les troncs des bambous gigantesques pointaient tous vers le ciel, presque parfaitement parallèles. La jungle de Pandala avait réellement quelque chose d'apaisant.

Il croisa des kitsous sauvages, qui ne semblèrent même pas le remarquer. Tant mieux, ces créatures n'en avaient pas l'air, mais elles devenaient étonnamment violentes et agressives lorsqu'on les attaquait.
Il évita avec soin des petits groupes de braconniers et de pandikazes qui traînaient dans le coin en faisant un vacarme de tous les dieux. Pas qu'il les eût craints, mais il n'avait pas vraiment la tête à se battre contre ces terroristes idiots et pour la plupart à peine plus dangereux qu'un bouftou.

Lui, essayait de rester le plus discret possible. Il savait pertinemment qu'il n'était pas du tout le bienvenu ici. Si certaines personnes venaient à apprendre sa présence sur l'île, il pourrait avoir de terribles problèmes. Et malheureusement, sa réputation avait tendance à le précéder partout où il allait. Pas très pratique pour un tueur silencieux...

Cependant, cette fois-ci, il n'était pas là pour prendre une vie, que voulait une personne trop lâche pour venir la chercher elle-même. Et de cela, il s'en sentait incroyablement bien. Cela lui rappelait sa jeunesse passée dans les rangs de Bonta, à soit-disant protéger la veuve et l'orphelin. Quel canular...la seule chose qu'il avait dû protéger, c'était lui-même, dans les combat incessants qui l'avaient opposé aux brakmâriens.
Il s'était finalement dit qu'aucun des deux camps n'avait le moindre principe, la moindre once d'idéalisme, que le seul but à tous les deux était d'anéantir l'autre.
Quelle pitoyable bassesse que de simplement vouloir dominer l'autre...

Les mercenaires avaient été bien plus alléchants à ses yeux. EUX, avaient de véritables principes, EUX, avaient des règles strictes et justes. En devenant un Sérianne, il avait enfin pu donner le sens qu'il voulait à sa vie. Il n'était plus un pion sur un échiquier, que contrôlaient des rois divins et démoniaques. Maintenant, il était chacune des pièces à lui tout seul. C'était ça, sa définition de la liberté. Avoir le simple contrôle de sa propre vie. Et lui, Zacharias Holter, était un homme libre.

Son esprit revint soudain sur terre, aussi bouillant qu'un lac de lave. Il passait devant une grande maison, semblable à beaucoup d'autres ici. Et c'était vrai, cette maison n'avait rien d'exceptionnel en soi. Mais si cette battisse était effectivement comme les autres, on ne pouvait pas en dire autant de son propriétaire.
Il était peut-être la seule personne au monde pour qui Zacharias avait un respect profond, mêlé à une crainte insidieuse.
Remettant bien son capuchon et s'enroulant plus que jamais dans son long manteau, l'assassin passa son chemin aussi vite que possible, ombre muette et discrète dans la lumière et les bruits d'une belle journée qui touchait à sa fin.
Zacharias remarqua cependant que toutes les ouvertures de la maison étaient fermées. Volets et portes étaient clos comme en pleine nuit. Une déduction simple lui fit affirmer qu'il n'était probablement pas chez lui, il n'avait personne à craindre suffisamment pour se barricader ainsi.
Plutôt une mauvaise nouvelle...son ennemi numéro un se baladait quelque part, et il ne savait pas où. Il avait plutôt intérêt à se dépêcher de trouver la maison qu'il cherchait.

Ses indicateurs avaient une fois de plus été très précis, et il découvrit rapidement le lieu où il allait enfin pouvoir commencer ses recherches.
La maison avait été cerclée de hérissons de bambou et de longues lianes, formant un périmètre dissuasif pour les éventuels curieux. Zacharias ne se laissa bien sûr pas arrêter par cette simple barrière de prévention, et enjamba simplement une liane pour se retrouver dans la zone interdite. Cela avait pourtant très certainement été utile, car ainsi très peu de badauds auraient pu venir détériorer les éventuels indices qu'il pouvait y avoir.
Il marcha vers la maison d'un pas souple, et toujours aussi silencieux. Pas question de se faire remarquer ici !
Une première chose le frappa avant même qu'il n'entre dans la demeure. La porte. Elle était défoncée. Cela acheva de le convaincre : aucun assassin Sérianne, ou même plus farfelu, aucun groupe d'assassins Sériannes n'aurait utilisé une technique aussi stupide pour entrer par effraction chez quelqu'un. Et pour autant qu'il le sache, aucun Sérianne saint d'esprit n'aurait osé porter le badge des assassins s'il n'en était pas un, cela équivaudrait à peu près à un suicide.
L'ennemi était alors un imposteur et un inconnu. Peut-être qu'à l'intérieur, il trouverait autre chose qui pourrait l'éclairer.

Il entra directement dans la maison à la porte brisée, impossible de trouver quelque chose avec les empreintes au dehors, car trop de badauds avaient piétiné ici. Il se retrouva dans une pièce froide et sombre. Il savait très bien que cette pièce devait être, il y a quelques jours à peine, un lieu formidablement accueillant et chaleureux. Seulement, depuis peu, plus aucune âme n'y vivait, et la saleté du dehors couplée aux courants d'air causés par la porte enfoncée avaient eu vite fait de transformer la pièce en dépotoir. Il y avait des feuilles et de la boue partout. Des animaux étaient même venu fouiner pour trouver à manger, au vu des excréments qu'il y avait par terre.
Tout ici rappelait l'abandon.

Zacharias cessa d'y penser. Il commençait à se remémorer des événements de sa vie qu'il avait décidé de donner au passé. Seul l'instant présent valait la peine d'être vécu, c'était ainsi qu'il pensait. Il fit un premier pas à l'intérieur. Le sol en bois grinça. L'air sentait mauvais, une odeur qu'il connaissait malheureusement bien...mais elle n'était pas aussi forte que d'habitude.
Il tourna son regard vers une trace brunâtre, qui tachait le mur et le sol juste en dessous. Le « visiteur » qui était resté sur place selon les dires de la sacrieur devait se trouver là quelques heures plus tôt. Les gardes de Pandala l'auront probablement emmené après un examen assez peu complet...dommage.

Il focalisa alors son attention sur la recherche d'éventuelles traces de combat. Il les trouva assez facilement, puisqu'une longue traînée noire se dirigeant du milieu de la pièce vers la porte était restée là comme une affreuse cicatrice. Elle se terminait par une étoile sombre, marque caractéristique d'une forte explosion dégageant une chaleur intense. Un iop avait utilisé l'épée du destin ici, et avait fait mouche.
Il remarqua quelques entailles sur l'encadrement de la porte. Les attaquants n'avaient pas été très ordonnés, ils s'étaient tous rués en même temps, laissant des marques avec certaines armes. C'était certainement l'agglomérat de tous ces ennemis qui avait poussé le défenseur à utiliser un sort tel que épée du destin.
Ce manque total d'ordre chez les attaquants était tout de même assez étonnant. Une compagnie de bworks aurait été à peu près aussi subtile. Pourquoi donc avaient-ils été si brutaux ?
Zacharias essaya de trouver d'autres traces de lutte pour tenter de comprendre ce qui avait bien pu se passer ici, mais il n'y avait plus rien. Ni traces d'arme, ni de sang, rien d'autre. C'était comme si le seul et unique échange de coups avait eu lieu au tout début de l'attaque, et ensuite plus rien. Peut-être qu'ils avaient été surpassés par le flots d'assaillants...

Non. Il y aurait eu d'autres traces de sang par terre, ainsi probablement que des rayures sur le sol. Or il n'y avait rien. Incompréhensible...les deux habitants n'avaient donc pas tenté de se défendre plus que cela ? Zacharias était dans une impasse.

C'est alors qu'il vit les même genres de marques que sur la porte, mais cette fois-ci sur le mur du fond. Et les marques semblaient suivre l'escalier en bois qui montait à l'étage. Zacharias se précipita. Oui ! L'escalier portait lui aussi les marques du passage de la horde armée ! La suite du combat s'était sans doute déroulée à l'étage ! Il allait enfin comprendre ce qu'il s'était passé.
Il monta les escaliers le plus silencieusement et rapidement possible. La maison n'était plus éclairée, la nuit tombait, et l'étage avait l'air encore plus sombre que le rez-de-chaussée. Zacharias dû attendre un peu avant que ses yeux ne s'habituent à la forte pénombre.
Lorsqu'il put voir de nouveau, il était dans un couloir sans issue, qui donnait sur trois pièces. Le couloir avait lui aussi été abîmé par les armes, et la horde semblait avoir jeté son dévolu sur la pièce qui donnait à gauche, puisque la porte était aussi enfoncée. Zacharias s'y engouffra, et découvrit avec stupéfaction qu'il y avait...

Un lit.
Un lit et une armoire.

Cette pièce était une simple chambre. Et à en juger par la couleur de la couverture, c'était probablement celle d'une femme. Ou alors d'une jeune fille. Mais ce qui le stupéfia encore plus, c'était qu'il n'y avait rien d'autre dans cette chambre. Pas de trace de combat, de lutte ou de quoi que ce soit. C'était comme si les intrus s'étaient arrêtés là, tout comme lui en ce moment, et avaient simplement regardé la pièce. Cela devenait de plus en plus invraisemblable. Zacharias se sentait véritablement impuissant et stupide.
Qu'est ce qu'il s'était passé ici ?!? Il n'y avait eu presque aucun combat, malgré le fait qu'une horde de guerriers armés avait traversé la maison de part en part ! Ils n'étaient même pas venu pour tuer les habitants, il n'y avait aucune trace de sang, à part celle d'un des agresseurs. Les autres n'avaient même pas cherché à venger leur compagnon !
Le moral de Zacharias commençait à tomber, remplacé par une colère qui elle montait vite. Il se laissa emporter par sa frustration, et frappa le mur du poing en grognant. Ignorant la douleur, il marcha vers le lit et le souleva, pour voir s'il y avait quelque chose en dessous. Rien, évidemment. Il le laissa retomber de tout son poids, et le choc produisit un bruit sourd qui se répercuta en vibration dans les murs.
Zacharias enferma aussitôt sa rage dans une cage de honte. Mais quel sombre crétin ! Faire un boucan pareil alors qu'il était sensé être discret ! Si quelqu'un l'avait entendu, il avait intérêt à déguerpir au plus vite ! Mais s'il partait maintenant, il n'aurait sûrement plus aucune occasion de revenir chercher des indices ici, et c'était le seul point de départ qu'il pouvait avoir.
Laissant de côté toute discrétion, il se mit à rechercher frénétiquement la moindre trace qu'il pouvait y avoir dans la chambre. Il inspecta la pièce des murs au plafond, cherchant désespérément une entaille, une tache, quelque chose qui pourrait l'aider ! Mais il n'y avait rien. Aucun signe de lutte ici non plus.
Dépité, il s'adossa à un mur, et se mit dans la position qu'il prenait toujours pour réfléchir : le front appuyé contre le poing.
Il n'y avait aucune trace de combat, aucun indice...pourquoi ? Pourquoi un groupe armé ne s'était-il pas battu ? Pourquoi était-il venu dans cette chambre pour finalement repartir sans avoir croisé le fer ?
Il se redressa d'un coup en comprenant. Il avait été si obnubilé par la recherche de trace de combats qu'il ne s'était même pas posé la question : pourquoi étaient-ils venus dans cette chambre ? La réponse était d'une simplicité enfantine. Pour trouver la personne à qui appartenait la chambre ! Il se précipita sur l'armoire, et l'ouvrit en grand.
Elle était pleine d'habits de jeune femme. Robes, pantalons, sous-vêtements...
Il n'y avait aucun doute possible maintenant : c'était la chambre d'Ecarlia. Ceux qui avaient pénétré ici la cherchaient ELLE, et pas sa tante, ni son oncle. Voilà pourquoi il n'y avait pas de trace de lutte, les intrus n'avaient pas trouvé ce qu'ils cherchaient, voilà tout.
Mais il ne comprenait pas pourquoi ils avaient tout bonnement ignoré les deux habitants qui s'étaient quand même défendus. Après tout, lorsque lui avait un travail à faire, ceux qui essayaient de l'en empêcher risquaient fort de subir le même sort que sa cible. Mais là, le groupe avait essuyé un sortilège hautement offensif, et même subit une perte, sans apparemment s'en soucier.
Cela, Zacharias ne se l'expliquait pas. Mais il avait au moins découvert une chose : Ecarlia était en danger. Et ceux qui voulaient la trouver n'étaient pas des tueurs ordinaires, mais alors pas du tout.
- Qui êtes-vous ?!? lança une voix agressive derrière lui.
Zacharias fit un bond de trois mètres et se retourna, affolé. Comment avait-il pu se laisser surprendre ainsi ? Il n'avait absolument rien entendu ! Il sorti ses dagues de leurs fourreaux et se mit en position de combat, prêt à en découdre s'il le fallait. Mais lorsqu'il vit la personne en face de lui, ses bras retombèrent en même temps que ses yeux s'écarquillèrent.
- K...Kan !
Le visage du pandawa qui l'avait surprit se teinta d'une fureur animale en découvrant ce qu'il avait prit pour un simple pilleur.
- Zacharias, cracha-t-il.
Il détacha une hache à l'aspect redoutable de son dos, et la brandit devant lui.
- Tu as choisi ta façon de mourir misérable assassin ! Je t'avais prévenu, que si jamais l'on devait se recroiser, ce serait la mort pour l'un des deux ! Et bien ce sera la tienne ! beugla-t-il, submergé par une colère noire.
- Non, attend ! se défendit Zacharias. Laisse-moi au moins t'expliquer !
- Il n'y a rien à expliquer !
Le pandawa se rua sur sa cible, et leva sa hache au-dessus de sa tête. Zacharias roula sur le côté, alors que l'arme s'enfonçait dans le sol en bois comme dans de l'eau. Pourtant, Kan ressorti sa hache sans effort apparent, et donna un nouveau coup horizontal. Le sram se plaqua au sol et la lame lui frôla la capuche. Il fallait qu'il réplique, sinon il était fichu ! Profitant que le pandawa était emporté par le poids de son arme, il se fendit en avant et le frappa du plat de sa main, comme s'il voulait le pousser. L'effet fut spectaculaire.
On eût dit que le pandawa venait d'être emporté par un bouftou royal en pleine course, il fut projeté contre le mur opposé sans ménagement. Après un court instant d'étourdissement, il se remit debout, et se prépara à abattre son arme sur le sram qui lui fonçait dessus. Cela allait se jouer à une fraction de seconde près.
Le métal rencontra la chair avec un bruit atroce. La hache venait de fendre le crâne du sram en deux. Celui-ci arrêta aussitôt sa course, et explosa en un nuage de poussière blanche. Kan se protégea les yeux pour ne pas être aveuglé. Un double !
Il n'eut pas le temps de voir le véritable Zacharias foncer sur son flan gauche, et le frapper de son simple poing. Une fois de plus, le pandawa fut projeté comme s'il avait été chargé par un troupeau entier. Mais cette fois-ci, au lieu d'un mur, ce fut une explosion qui vint le stopper. Il retomba lourdement sur le sol, en même temps que des débris de bois et de roche.
- Kan, j'ai l'avantage dans une pièce aussi petite, alors laisse moi parler s'il te plaît ! supplia Zacharias en s'approchant de lui sans agressivité.
- Tu préfères les espaces confinés ? On va arranger ça alors...grommela la pandawa au sol.
D'un seul bond, il se redressa et saisi un bras du sram qui était maintenant à portée. Avant que celui-ci n'ait pu réagir, il le lança en direction du mur qui donnait dehors. Zacharias s'envola sous la force prodigieuse du guerrier, et heurta la paroi de plein fouet. Il n'était même pas encore retombé que le pandawa fonçait déjà sur lui, armant un poing qui brûlait d'un feu magique.
Le mur vola en éclats, et les deux adversaires tombèrent du premier étage en même temps que les morceaux de roche et de bois.
Zacharias ne parvint pas à se réceptionner, trop sonné qu'il était par la force du coup. Le sol de terre amorti à peine sa chute, et il senti au moins un des os de son dos se briser. Kan, quant à lui, se remit aussitôt sur pieds avec une roulade, et chercha son ennemi des yeux. Il le trouva à environ cinq mètres plus loin, en train de se relever le plus difficilement du monde, du sang gouttant de sa bouche.
N'attendant pas un seul instant de plus, il se rua sur lui en hurlant et en levant sa hache. Mais il n'avait pas parcouru un mètre que Zacharias mima le geste de lancer quelque chose, et l'air autour de lui se déforma. Un marteau sembla se matérialiser à côté de lui, et il fila à une vitesse démente droit sur Kan. Celui-ci était trop près pour pouvoir éviter l'attaque, et le marteau le frappa dans le ventre. Le pandawa fut soulevé de terre par la puissance de l'impact. Il en lâcha sa hache, et cracha quelques gouttes de sang, avant de retomber sur le sol, pour ne plus se relever. La scène avait duré tout au plus deux secondes, mais avait permit de mettre un terme au combat.

Zacharias se remit sur pieds, les membres endoloris. Il ne parvenait plus à se tenir droit, l'une de ses omoplates s'était cassée dans sa chute. Ce fut donc courbé comme un vieil homme qu'il s'approcha du pandawa qui venait d'essayer de le tuer, et qu'il se pencha sur lui, pour savoir s'il était toujours vivant.
Oui, il respirait.
Il était visiblement à bout de forces, mais il respirait. Zacharias avait eu beaucoup de chance, la technique qu'il venait d'employer avait tendance à être très aléatoire. Elle pouvait être aussi mortelle qu'une épée, ou bien aussi ridicule qu'une piqûre d'insecte. Il utilisait rarement ce savoir, qu'il considérait comme trop lié à la chance.
Mais lorsque sa mort avait foncé sur lui, il avait agit par pur instinct de survie, et pour une fois cela avait été payant.

Restait maintenant à savoir ce qu'il allait faire du redoutable pandawa. Le laisser ici, vivant, sachant pertinemment qu'il survivrait, et que la prochaine fois qu'ils se croiseraient sa chance d'aujourd'hui ne se renouvellerait sûrement pas ? Ou alors devait-il le tuer, ici et maintenant, mettant ainsi un terme au risque qu'il avait de venir sur l'île de Pandala ?
Zacharias chercha ses dagues parmi les débris au sol. Il les retrouva uniquement grâce à leur éclat sous la lumière de plus en plus déclinante du crépuscule, sous des pierres venant de l'ancien mur de la chambre d'Ecarlia. Il les ramassa, et retourna au-dessus du corps du pandawa, bien décidé à faire ce qu'il devait faire. Un ennemi aussi dangereux ne pouvait pas rester vivant. Comme il l'avait lui-même dit, ce serait l'un des deux qui y resterait cette fois.

Il s'accroupit à côté du guerrier inconscient, et, tâchant d'oublier la douleur qui lui écrasait le dos, leva ses dagues au-dessus de la poitrine du pandawa.
Il ferma les yeux quelques instants, et inspira profondément. C'était beaucoup plus dur que d'habitude...pourtant il avait voulu le faire, deux ans auparavant. Seulement, une très grosse bourse remplie de kamas l'avait motivé, et il avait ignoré jusqu'au dernier moment l'identité de sa victime. Mais il ne s'était pas dégonflé pour autant, un contrat est un contrat. Même s'il avait échoué, il avait tout fait pour abattre le pandawa à l'époque.
Alors pourquoi était-ce aussi dur de le tuer aujourd'hui ? D'habitude il ne réfléchissait presque pas à ce genre de choses, il faisait au mieux pour que tout aille très vite. Mais il n'était alors que l'épée qui s'abattait, pas le bras qui la maniait. Cette fois, il était les deux à la fois.
Si jamais il plantait ses dagues ici et maintenant, il serait définitivement un assassin, pas juste une personne qu'on paye grassement pour faire le sale boulot. Il n'avait jamais tué quiconque pour des affaires personnelles, ni même gratuitement, juste pour le plaisir de tuer. D'ailleurs, il ne se souvenait pas avoir jamais ressenti le moindre plaisir à ôter le souffle d'un corps, même si plus d'une fois il avait fait justice pour le compte du survivant d'une famille anéantie par un criminel monstrueux. Jamais il n'avait décroché le moindre sourire devant son travail accompli.
Zacharias prit sa décision. Il inspira profondément une nouvelle fois, et se vida l'esprit de toutes ces pensées. « Tu réfléchis trop... ».
Il banda ses muscles douloureux, et abattit ses armes tranchantes avec toute la force qui lui restait.
Chapitre XI - 2ème partie
Bruit métallique. Zacharias se releva, le visage sombre. Il s'adressa au pandawa étendu à terre :
- Une vie pour une autre Kan, murmura-t-il. Tu m'as épargné autrefois, en souvenir de nos années passées côte à côte. Moi non plus, je ne les pas oubliées.
Le sram s'éloigna en titubant légèrement. Il sorti une potion bleutée d'une petite poche intérieure de son manteau, et en bu tout le contenu d'une seule gorgée. Sa douleur s'estompa un peu.


Le pandawa entrouvrit un œil, et remua faiblement. Deux dagues affûtées comme des rasoirs étaient plantées à un centimètre d'écart dans son plastron. Il vit une forme s'éloigner lentement vers la forêt sombre de bambous. Il essaya de se rappeler ce qu'il s'était passé, mais son esprit souffrait autant que son corps. Il fit un geste de son bras droit. Pas trop de mal de ce côté-là. Le poing douloureux, seulement...
Bras gauche. Rien d'inquiétant non plus à première vue.
Même chose pour ses deux jambes.
En revanche, il avait beaucoup de mal à respirer. Il semblait qu'il avait des côtes cassées.
Il tenta de se redresser, et y parvint au prix de douleurs intenses. Heureusement qu'il gardait toujours un flacon de potion sur lui...
Il la bu, et se senti aussitôt beaucoup mieux, même s'il n'était sûrement pas près de refaire des folies. Il saisi les dagues plantées dans le métal, et les retira vigoureusement avant de les jeter par terre. Sa mémoire lui revint petit à petit. Il avait affronté ce traître de Zacharias, qu'il avait longtemps regretté d'avoir épargné, et avait été mit hors-combat par une sorte de marteau d'air.
« Le marteau de Moon...songea-t-il. C'est donc à ça que ça ressemble. Gilles ne m'avait pas menti, c'est plutôt désagréable... »
Il ferma les yeux quelques instants, en essayant de se concentrer sur ce qu'il s'était passé. Il passait devant la maison abandonnée de son vieil ami, quand il avait entendu un bruit de meuble qui tombe. Devinant un minable petit pilleur, il avait enjambé les barrières ridicules posées là par les gardes du village, et était monté silencieusement à l'étage pour donner une bonne correction au voleur.

Et il était tombé sur Zacharias. Zacharias le traître, Zacharias son ancien compagnon qui lui avait sauvé plus d'une fois la mise, Zacharias qui avait tenté de le tuer deux ans plus tôt, pour une bourse de kamas, et qu'il avait décidé d'épargner...
Et il était tombé sur lui. Sa colère avait alors littéralement explosé. Il avait aussitôt vu en lui l'image du tueur qui revenait sur les lieux du crime, et qui devait payer le prix fort cette fois-ci.
S'en était suivi un affrontement terrible, au cours duquel Zacharias avait à peine essayé de l'abattre. Kan se souvint que le sram avait demandé à ce qu'il le laisse s'expliquer, mais dans sa fureur, il ne l'avait pas écouté, et avait défoncé le mur. D'où la douleur dans son poing, sans doute...

Kan ne savait pas vraiment combien de temps il était resté inconscient suite au formidable coup que lui avait porté le sram, mais au vu de la faible lumière qui régnait encore, cela n'avait duré que quelques minutes. Il regarda les deux dagues effilées, forgées pour tuer efficacement et rapidement. Plantées dans son plastron plutôt que dans son cœur. Pourquoi diable Zacharias avait-il fait une chose pareille ? S'il avait eu une telle occasion, Kan n'aurait sûrement pas hésité à se débarrasser de quelqu'un qui voudrait sa mort.
Et puis d'ailleurs, qu'est-ce qui aurait bien pu motiver suffisamment ce mercenaire cupide pour le pousser à revenir sur l'île, en sachant très bien qu'un combat à mort l'aurait attendu ? Kan savait le sram très intelligent, bien trop pour prendre un risque pareil sans une excellente raison. Restait à savoir si cette raison était une somme faramineuse, ou bien autre chose...

La curiosité de Kan était désormais piquée à vif. Il fallait qu'il sache ce que Zacharias venait faire ici, quitte à devoir une nouvelle fois devoir croiser le fer. Il se remit debout avec milles précautions, et voyant que la mixture magique avait fait effet, il ramassa sa hache, tombée non loin de là, ainsi que les dagues abandonnées. Puis il prit en marchant la direction que la forme sombre avait elle-même prise juste quand il se réveillait. Dans l'état où Zacharias devait être, il n'était de toute façon certainement pas allé bien loin.

Bien que sa douleur ne se fut en partie atténuée, Zacharias souffrait toujours bien trop pour pouvoir avancer vite. La simple posture debout lui était très pénible, il avait l'impression de recevoir un coup de marteau dans le dos à chacun de ses pas. Bien sûr, il avait connu pire douleur, mais là il devait en plus se dépêcher de partir de l'île pour au moins deux raisons. La première était qu'il risquait de voir Kan lui retomber dessus très rapidement, chose à laquelle il ne survivrait probablement pas. Il commençait d'ailleurs à se dire que la haine que lui vouait le pandawa était légèrement exagérée, au vu de la rage qui l'animait pendant leur affrontement...mais peu importe.
La seconde était qu'il devait prévenir la jeune sacrieur du danger qui planait au-dessus d'elle. Après tout, il lui devait bien ça, même si elle ne lui avait jamais demandé de veiller sur elle d'une quelconque façon. Et puis cette gamine lui rappelais l'un de ses vieux amis...quelqu'un qui lui avait autrefois été très cher.
Mais tout ceci était secondaire. Dans un premier temps, la première raison lui suffirait amplement.

Cela faisait à présent une bonne demi-heure qu'il marchait. Le zaap de Pandala ne lui avait jamais paru aussi éloigné...mais dans ses malheurs, il se rendait bien compte avoir beaucoup de chance. D'une part, cela aurait pu tourner beaucoup plus mal contre Kan, et d'autre part il n'avait eu à se défendre contre aucune attaque nocturne de la part d'une des créatures de la forêt de bambous. En sachant quelle agitation et quelle agressivité pouvaient s'emparer des bestioles en tous genres lorsque la nuit tombait, il s'agissait là d'un incroyable bon coup du sort.
Le zaap n'était plus qu'à un quart d'heure de marche environ. Dès qu'il y serait rendu, il pourrait se rendre à Astrub, et acheter de quoi guérir rapidement. Peut-être même qu'un eniripsa pourrait lui faire ça gratuitement, moyennant une légère intimidation de sa part bien entendu...après tout, il faut bien qu'il y ait quelques avantages à être un assassin redouté dans tout le monde des 12.

- À l'attaque pandikazes ! Châtions ceux qui viennent pervertir notre île et nos coutumes ! cria soudain une voix pâteuse.
Aussitôt, une dizaines de pandawa bedonnants sortirent de derrière les troncs sombres des bambous qui bordaient le chemin. Tous étaient vêtus plus ou moins de la même façon : une cape rouge, ainsi qu'un foulard de même couleur qui leur cachait la moitié inférieure du visage jusqu'au nez.
« Évidemment, je ne pouvais pas avoir autant de chance », songea Zacharias en voyant les terroristes pandikazes l'encercler rapidement.
Celui qui semblait être le chef prit la parole.
- Hé bien misérable ! Aujourd'hui n'est pas ton jour de chance ! scanda-t-il avec cette voix pâteuse qui fauchait tout le sérieux de ce qu'il pouvait déclarer. Car tu vas payer pour tous ce que les étrangers comme toi ont apporté de mauvais à notre île et notre peuple ! Qu'as-tu à dire avant de trépasser ?
- J'enquête sur la disparition de deux personnes, répondit Zacharias le plus naturellement et calmement du monde. Vous surveillez cette jungle de bambous en permanence je suppose ?
Le chef pandikaze jeta un regard perplexe au sram souriant. Il n'avait pas entendu ? Il allait mourir ! Qu'est ce que c'était que cette façon de poser des questions ?
- Heu...en effet, nous surveillons tout ce qui se passe sur notre île, répondit-il hésitant. Mais là n'est pas la question ! Tu vas pér...
- Dans ce cas peut-être pourrez-vous me renseigner, continua Zacharias. Il y a de cela quelques jours, deux dénommés Gilles et Prune ont disparu, après avoir été attaqués par un ennemi nombreux et je pense peu discret. Leur maison se situe à environ vingt minutes de marche dans la direction d'où je viens, précisa-t-il en montrant le chemin qu'il avait parcouru du doigt. Elle est à l'abandon désormais, vous voyez sans doute de quelle maison je veux parler.
Le chef pandikaze semblait avoir déjà baissé toute sa garde, et un rapide coup d'œil autour de lui apprit à Zacharias que les autres en faisaient autant. Son stratagème fonctionnait à merveille, ces terroristes étaient d'une stupidité effarante. Il allait peut-être pouvoir s'en sortir sans même avoir à se battre.
- Oui, je vois de quoi vous voulez parler, dit le chef en se grattant la tête. Prune, prune...ça me dit quelque chose. Et vous dites qu'ils ont disparu ?
- Tout bonnement.
- Chef ! C'est pas à eux qu'on a déjà volé des tartes aux fruits qui refroidissaient à la fenêtre ? lança l'un des sous-fifres.
Il sembla réfléchir un instant.
- Oui, ça me revient...une petite bonne femme, une eniripsa, un vrai cordon bleu...et son mari c'était un iop il me semble ?
- Oui, c'est bien eux. Vous savez quelque chose sur ce qu'il s'est passé ? insista Zacharias, qui sentait son salut très proche.
- Sur ce qu'il s'est passé exactement, non, répondit le chef. Mais il y a deux ou trois jours, on a vu toute une compagnie passer par ici.
Zacharias écarquilla des yeux stupéfaits. Il ne se serait pas douté un seul instant qu'il pourrait réellement obtenir des indices avec ces idiots ! Il voulait juste ouvrir une conversation naïve et repartir sans qu'il y ait eu le moindre affrontement une fois le dialogue terminé ! Mais les pandikazes avaient vu ceux qui étaient entré par effraction chez Gilles et Prune. Il allait enfin savoir à quoi ressemblaient ces mystérieux agresseurs !
- Est-ce que...vous avez vu à de quoi ils avaient précisément l'air ? demanda Zacharias en essayant de ne pas montrer sa surprise.
- Bien sûr que oui ! répliqua le pandikaze sur un ton presque vexé. Vous croyez peut-être qu'on laisse passer des intrus comme ça sans même les observer des pieds à la tête ?!? Pour votre information, ils étaient tous habillés en ocre, et ils avaient des petites ailes en bois. Un peu comme vos mercenaires du continent, là, les...heu...
- Les Sériannes ?
- Oui, voilà, merci. C'est vraiment une couleur affreuse, l'ocre. On dirait qu'on est en permanence recouvert de boue, c'est un manque de goût total ! commenta le chef en s'appuyant sur l'un de ses sabres qu'il avait sorti pour s'en servir comme accoudoir.
- Pour ça nous somme d'accord, chuchota Zacharias en même temps qu'il ne pouvait s'empêcher de décocher un sourire. Autre chose peut-être ? Leur comportement ? La façon dont ils se déplaçaient ?
- Ça, on peut le dire, fit le pandikaze, en appuyant ses mots d'un geste de la main qui devait montrer son exaspération. Je n'avais encore jamais vu de guerriers aussi bizarres ! Ils marchaient tous droit comme des bambous, en regardant droit devant eux ! Il n'y en a pas un qui disait le moindre mot, et ils ne faisaient presque aucun bruit ! Vraiment jamais vu ça. Tiens, toi, montre-lui un peu ! lança-t-il à un guerrier au hasard.
Celui-ci s'exécuta aussitôt, et se mit à avancer presque en se mettant au garde-à-vous, le regard fixé devant lui. Il provoqua l'hilarité immédiate de ses camarades de beuverie, et commença à en rajouter en balançant ses bras de manière ridicule.
- Oui, c'est bon, ça suffit, dit le chef en envoyant au guerrier un regard froid. Enfin bref, voilà tout ce qu'on a vu. Ensuite on a changé de coin, on les a pas vu repasser. Qu'est ce que vous leur faites à vos mercenaires pour qu'ils deviennent comme ça ? demanda-t-il à Zacharias.
Le sram tentait de s'imaginer la scène, mais la description qu'on lui en faisait était si étrange qu'il avait du mal à se la représenter. Il reporta son attention sur le chef des pandikazes, et répondit honnêtement :
- Je n'en ai pas la moindre idée.
Un temps de silence s'abattit sur l'étrange spectacle d'un sram entouré par une dizaine de guerriers pandikazes. Zacharias se dit qu'il était plus que temps de mettre fin à la discussion, qui risquait fort de moins bien tourner maintenant.
- Hé bien, je vous remercie tous de votre aide, vos informations m'ont été très précieuses, commença-t-il sur un ton d'extrême politesse. Sur ce, je vais vous laisser à vos...occupations, et vous souhaite une bonne soirée.
- Merci l'ami ! renvoya le chef. On rencontre pas souvent d'étrangers aussi sympathiques que toi, la plupart défendent cher leur vie, tu sais...
Soudain, il fronça les sourcils, et sembla réfléchir intensément. Zacharias senti venir les problèmes, et fit un premier pas, en espérant pouvoir prendre une légère avance le temps que ce crétin ne fasse le point dans ses idées. Il n'en n'eut pas le loisir.
- Hé, attend une seconde toi ! gronda le chef en pointant son sabre sur le sram. T'as essayé de nous duper ! Qu'est-ce que tu croyais, pouvoir t'échapper en douce, hein ? Mais on me la fait pas à moi ! Pandikazes, tous sur lui ! Il a essayé de nous rouler !
Zacharias se mit aussitôt en position de combat, et d'un geste rapide saisi ses dagues à sa ceinture.

Mais...??? Ses fourreaux étaient vide !

Il avait oublié ! Ses dagues étaient restées plantées dans le plastron de Kan ! Idiot sentimentale ! Abandonner ses armes était la chose la plus stupide qu'il eût jamais faite ! Le combat risquait maintenant de très mal tourner pour lui. Quelle ironie ! Il avait survécu à son duel avec Kan, mais allait peut-être se faire tuer part de stupides pandikazes !

Non ! Pas sans vendre chèrement sa peau !
Le premier était déjà sur lui, il brandissait ses sabres effilés comme un novice. Zacharias fit un simple pas de côté et d'une seule main lui retira un sabre, avant de l'envoyer par terre d'une poussée à peine brutale. Désormais il avait une arme. De piètre qualité, certes, mais c'était déjà mieux que rien.
Le deuxième arrivait déjà à toute allure. Zacharias para un coup avec son sabre, et concentra son énergie corporelle dans son poing libre. Avant que le pandikaze n'ait pu donner un autre coup de son arme libre, le sram le frappa en pleine poitrine, et l'expédia cinq mètres plus loin sur le dos.
Il entendit un cri d'attaque derrière lui, et se retourna juste à temps pour pouvoir arrêter une lame qui l'aurait coupé en deux. Mais l'effort qu'il dû faire pour stopper l'acier tranchant fit crier son dos.
Son bras défailli quelques secondes à peine sous la douleur, mais cela fut suffisant pour que Zacharias ne puisse pas parer la seconde lame.
Son flanc droit fut entaillé profondément, lui arrachant un cri de douleur et de surprise. Soudain comme enragé, il en oublia son dos et le sang qui coulait de sa plaie, et accumula une quantité d'énergie phénoménale dans son corps en une fraction secondes.
Son dieu lui donnait des pouvoirs effrayants, pour peu qu'il en soit digne. Et être digne de sram, c'est être fourbe, cruel et sans pitié.
Il dirigea la puissance contenue dans son corps juste au-dessus du pandikaze qui venait de le blesser. Un trou noir dans l'air apparu alors à deux mètres au-dessus du sol, et il crépitait d'étincelles tout aussi noires. Une formidable décharge d'énergie sombre se déversa alors en un instant sur le pandikaze, tel un éclair noir. Il tomba au sol, mort.
Tout cela n'avait duré qu'un bref moment, durant lequel aucun autre pandikaze n'avait pu intervenir d'aucune façon. Ils s'étaient à présent arrêtés, et regardaient le sram d'un œil terrifié. Même le chef avait l'air très hésitant quant à poursuivre le combat.

Soudain, la douleur qu'il avait ignorée au mieux vint réclamer les quelques secondes pendant lesquelles il avait réussi à la mettre de côté. Zacharias tomba à genoux, se sachant s'il devait s'inquiéter de son flanc qui versait du sang, ou bien de son omoplate qui suppliait qu'il se tienne tranquille, à tel point que tout son bras gauche le brûlait atrocement.
Il était épuisé, et ses ennemis le remarquèrent aussitôt. Les pandikazes profitèrent de sa faiblesse pour se ruer sur lui, leurs sabres tranchants en avant.

Zacharias ferma les yeux, et se laissa aller à sa douleur et ses pensées. Cette fois, il ne pourrait pas échapper à son destin. Dommage. Il aurait bien aimé pouvoir être quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui ne serait pas craint et haït de tous. Cette vie de liberté qu'il avait choisie avait un gros défaut. La solitude. Il avait toujours été seul, et ne s'en était jamais plaint. Du moins jusqu'au jour de sa mort...mourir seul l'avait longtemps angoissé. Il avait espéré pouvoir changer un peu de vie avant que n'arrive le jour fatidique. Tant pis...peut-être était-ce ainsi qu'il fallait qu'il meurt après tout. Seul.
On lui avait souvent répété que ses victimes revoyaient toute leur vie en un seul instant, juste avant qu'il ne remplisse son office. Qu'elle repassait devant leurs yeux à toute vitesse, leur montrant ce qu'ils avaient fait de bien, de mal...qu'ils portaient un jugement sur ce qu'avait été leur existence, un simple instant avant qu'elle ne se finisse. Ainsi ils mourraient heureux, ou bien malheureux de ce qu'avait été leur vie.
Il n'avait jamais réellement cru à ça. Une telle chose prenait forcément du temps, elle ne pouvait pas se réaliser entre le moment où ses dagues sortaient de leur fourreau, et le moment où elles se plantaient dans un cœur battant la chamade. Il avait longtemps pensé à ce qu'il pourrait bien voir de sa vie lorsque arriverait le moment de lui dire au revoir. La réponse lui convenait, car elle confortait son idée. La vie qu'on a menée ne repasse pas à l'envers devant nos yeux qui regardent notre mort arriver. Il ne voyait presque rien de sa vie.

Ou alors...peut-être qu'il la voyait, justement, sa vie. Courte. Remplie de rien. Sa vie défilait peut-être en ce moment devant ses yeux. Il n'y avait presque rien. Quelques visages, quelques moments agréables. De rares malheurs, des bonheurs qui l'étaient encore plus.
Était-ce cela, la vie qu'il avait choisie ? Celle qui ne méritait même pas de défiler devant ses yeux au moment où il allait la quitter ? Tellement insignifiante que, honteuse, elle ne voulait même pas se présenter à celui qui l'avait choisie elle plus qu'une autre ?

Était-ce cela, la vie qu'il avait menée, et qu'il aurait menée jusqu'au bout si elle avait pu continuer plus longtemps ?

Un souffle brûlant lui chauffe le visage.
Tiens ? C'était donc ça la mort ? Il s'imaginait quelque chose de pire...

Un bruit assourdissant lui agresse les oreilles.
Ah, ça commence à devenir désagréable...

Des voix éparses, paniquées, ou surprises.
Quelque chose cloche...

Il ouvre les yeux.
Du feu. Il est au royaume des démons. Bien sûr, à quoi s'attendait-il...Rushu en personne doit l'attendre pour le féliciter de sa vie terrestre.

Un pandikaze passa, fumant et criant, devant ses yeux. Un autre passa dans l'autre sens, les armes levées. Puis il repassa comme l'autre, fumant et criant.

Zacharias regarda autour de lui. L'air était chaud. Le feu l'éblouissait. Il arrivait à distinguer des bambous, tout autour de lui.
Il n'était pas mort. Les pandikazes ne l'avaient pas dépecé. Que s'était-il passé ? Il vit une petite forme passer au-dessus de sa tête, comme un morceau de bambou, duquel s'échappait une légère fumée noire.
L'instant d'après, une explosion, et un souffle brûlant, beaucoup plus proche cette fois-ci. Si proche qu'il tomba sur le côté. Une voix tonna dans la direction de laquelle venait l'explosif.
- Zacharias ! Bouge de là, ou bien la prochaine est pour toi !
Il reconnu aussitôt la voix.
Kan.
Le sram ne chercha pas à en savoir d'avantage pour le moment. Rassemblant tout ce qui lui restait de force, il se remit debout dans un équilibre précaire, et tituba vers la voix. Il avait du mal à voir ce qu'il se passait, mais parvint à repérer la forme sombre d'un pandawa musculeux. Une autre flasque fusa très près de lui, mais alla exploser plus loin, provocant de nouveau des cris de rage et de panique.
Zacharias s'éloigna du champs de bataille, pour aller s'adosser à des bambous. Kan l'avait suivi...il s'occupait des pandikazes pour le moment, mais dès que les bandits seraient anéantis, il reporterait son attention sur lui. Il fallait qu'il se cache.


Kan avait bien fait de poursuivre le sram. Au bout d'une petite demi-heure de marche en direction du zaap, il l'avait découvert en bien mauvaise compagnie. Des pandikazes s'apprêtaient à se ruer sur lui à plus de dix contre un.
Il ne comprit jamais ce qui l'avait réellement poussé à faire une telle chose, mais il la fit bel et bien. Au moment où les pandikazes chargèrent, il fit apparaître une petite flasque en bambou dans sa main, au bout de laquelle brûlait une très courte mèche. Deux secondes après, la flasque allait exploser dans une gerbe de flammes au milieu des pandikazes affolés, qui stoppèrent tout mouvement pour essayer de comprendre ce qui venait de se passer. Zacharias, lui, ne bougeait pas.
« Mais qu'est-ce qu'il fabrique ? Il est déjà mort ou quoi ? » pensa Kan, en espérant que ce n'était pas le cas - ce qui le surprit lui-même.
Une seconde flasque vola, et explosa à son tour, bien plus près du sram cette fois. Kan le vit bouger la tête, en même temps qu'il se protégeait du souffle brûlant de l'explosion. Il était donc encore vivant.
- Zacharias ! hurla le pandawa. Bouge de là, ou bien la prochaine est pour toi !
Il réagit. Il se releva difficilement, Kan cru bien qu'il allait retomber plusieurs fois avant de pouvoir se remettre sur pieds, mais ce ne fut pas le cas. Le sram se dirigea d'abord vers lui, puis bifurqua vers la forêt de bambous. Il allait certainement essayer de s'enfuir, une fois de plus, mais Kan avait des choses plus importantes à régler dans l'immédiat.
Les pandikazes qui ne s'étaient pas enfuis ou bien n'étaient pas morts le toisaient avec un regard haineux, sans pour autant oser avancer. Kan s'approcha calmement d'eux, et fit apparaître une grosse chope pleine d'un liquide qui sentait terriblement fort.
- Alors, on essaye encore d'agresser des voyageurs isolés, hein ? lança-t-il et riant et en avançant d'un pas assuré. Notez que cette fois-ci vous avez eu une sacrée chance, celui-là était blessé. Je n'aurais pas donné cher de votre peau s'il avait été en pleine forme.
- Ne...ne fait pas un pas de plus ! cria le chef d'une voix qui trahissait sa peur. Tu n'es qu'un traître à ton espèce ! Comment peux-tu aider des étrangers, qui nous apportent tant de souffrances de leur continent perverti et...
- Épargne-moi ton discours de terroriste, coupa Kan. Je suis bien assez grand pour savoir ce que j'ai à faire. Ce n'est pas un misérable qui a renié toutes nos lois et nos véritables coutumes qui pourra me dire comment je dois me comporter. Espèce de parodie de pandawa...tu es la honte de notre peuple.
Les yeux de son interlocuteur s'emplirent de rage.
- C...comment oses-tu ?!?
- Je vais te montrer ce dont un véritable pandawa est capable, envoya Kan en tendant devant lui sa chope.
Et d'un seul trait, il en vida le contenu. Le chef pandikaze hurla sa colère, et fonça à la rencontre du pandawa qui avait osé l'insulter ainsi.
Kan jeta sa chope derrière lui, de la mousse plein la moustache, et attendit tranquillement que son adversaire soit sur lui.
Le pandikaze fit siffler sa lame en visant la tête. D'un geste précis et rapide, Kan saisi le bras du bandit de sa main gauche, et le stoppa net dans son élan. Celui-ci n'avait pas eu le temps de réagir que Kan l'arracha du sol de sa main droite, en le prenant à la gorge, et lui décocha un fantastique coup de boule en pleine tête.
Le chef pandikaze tomba à ses pieds, inconscient, sous les yeux médusés de ses congénères. Kan enjamba le corps inerte et recommença à avancer vers les terroristes, mais d'une démarche plus titubante. Ils étaient pétrifiés de peur.
- Je...vous ai déjà montré de quoi est capable un VRAI pandawa quand il est s...sobre, articula Kan. Maintenant...il est temps pour vous de voir de quoi est capable un p...pandawa...quand il est IVRE !
Il prit une grande inspiration, et souffla de toutes ses forces en direction d'un des pandikazes. Il y eut une détonation, suivie de près par une petite explosion qui envoya valser le pauvre panda loin derrière.
Kan croisa ses poings au-dessus de sa tête, et ils s'enflammèrent simultanément. Il donna plusieurs coups dans le vide, produisant à chaque fois un son qui laissait deviner de véritables flammes. Il prit de nouveau une grande inspiration, et souffla en mettant cette fois un de ses poings devant lui. L'effet fut spectaculaire. Un jet de flammes vint lécher la fourrure des pandikazes pourtant à six bon mètres de lui, accompagné par des cris de panique francs.
C'en était trop pour eux, les pandikazes n'avaient pas été prévenus qu'ils allaient devoir subir ça, quand ils s'étaient enrôlés ! Ils déguerpirent tous, sans demander leur reste, et disparurent dans la forêt de bambous aussi vite qu'ils étaient apparus.
Kan souleva le corps du chef étendu à terre, et le jeta à la suite les bandits.
- Reprenez ça avec vous, b...bande de lâches ! hurla-t-il à la forêt.

Le silence retomba. Kan restait debout, sans bouger, ses poings enflammés éclairant les alentours. Jugeant qu'il n'y avait plus de danger, il fit s'éteindre le feu qui ne le brûlait pas le moins du monde, et replongea le chemin dans l'obscurité. Il fit apparaître une nouvelle flasque dans sa main, mais celle-ci n'avait ni de mèche qui se consumait très vite, ni d'odeur à rendre ivre une mouche qui passerait au-dessus. Elle contenait un liquide blanc, une sorte de lait à l'odeur sucrée. Kan la vida elle aussi d'un trait, et la jeta sur le côté, où elle disparu aussitôt en touchant le sol.
Cette boisson, le lait de bambou, était encore ce qui se faisait de mieux en matière d'anti-gueule-de-bois. Ses effets contre l'alcool étaient radicaux.
Kan devait maintenant retrouver Zacharias dans l'obscurité.
« Retrouver un sram dans le noir...», songea-t-il avec amusement. « En voilà d'un défi sympa pour passer au grade Yondanwa. Il faudra que j'en parle au Grandapan. »

Zacharias s'était assez enfoncé dans la forêt, il y avait peu de chances que Kan puisse le retrouver dans l'obscurité quasi-totale. Il s'arrêta et s'assit contre un gros bambou, le visage crispé par la douleur. Il n'était pas près de remettre les pieds à Pandala, ça non...du moins, s'il n'en sortait pas les pieds devant.
Il tâta d'abord son omoplate. Elle était brûlante, et affreusement gonflée et douloureuse. La faire soigner demanderait du temps...et certainement de l'argent. Puis il s'inquiéta de son flanc entaillé. Il sentait que la blessure était profonde, mais il ne savait pas réellement à quel point. De sa main, il passa autour, en serrant les dents. Au moins, la lame tranchante avait semble-t-il fait une entaille bien nette, recoudre ça serait facile. Le seul problème, c'est qu'il n'avait rien pour se recoudre. Et le sang coulait abondamment. Il ne tiendrait pas très longtemps comme ça...il fallait à tout prix qu'il trouve soit une personne capable de lui prodiguer les premiers soins nécessaires, soit qu'il trouve de quoi le faire lui-même. Autrement dit, en pleine nuit, c'était pas gagné.

Alors qu'il se concentrait pour tenter d'enfermer sa douleur, sa situation le fit presque rire. Le passé se répétait avec une précision véritablement étonnante. Deux ans s'étaient écoulés depuis sa dernière venue à Pandala, mais elle se terminait pourtant presque exactement de la même façon.

Il venait de subir l'un de ses premiers échecs en tant qu'assassin, et pas des moindres. Kan l'avait épargné, mais l'avait laissé au beau milieu de Pandala dans un état lamentable. Les blessures qu'il lui avait infligées étaient loin d'être superficielles, Zacharias en était à moitié mort, à la fois à cause de la perte de sang, mais aussi à cause de la honte et la douleur. Il se rappelait avoir amèrement regretté de ne pas être né sram. Quand on est un tas d'os, les problèmes de perte de sang vous passent bien loin au-dessus de la tête...
Il s'était adossé à un bambou, comme aujourd'hui, et avait fermé les yeux en espérant dormir lorsque cela arriverait, pour pouvoir partir dans la paix et la sérénité, et que l'on retrouve son corps paisiblement endormi.
Il n'en fut rien. La douleur l'avait réveillé. Une douleur causée par quelqu'un qui le secouait. Il avait ouvert les yeux, et découvert le visage d'une très belle jeune fille. C'était une sacrieur qui le secouait. Il se souvint des paroles exactes de la jeune fille :
- Ouf, j'ai cru que vous étiez mort monsieur ! Je ne vous ai pas découvert trop tard en fait, je suis rassurée. Qu'est ce qui vous est arrivé ?
Zacharias grommela quelque chose d'incompréhensible.
- D'accord...ce n'est pas grave, je vais vous aider. Attendez moi-là, ne bougez pas ! avait-elle lancé en partant à toutes jambes.
« Ha ha...ne bougez pas... », rit-il intérieurement. Zacharias se demandait encore si c'était sérieux ou si c'était juste une plaisanterie destinée à lui garder les yeux ouverts.
Toujours est-il qu'il les avait gardés ouverts, puisque la sacrieur était revenue peu de temps après, avec tout ce qu'il fallait pour le soigner en attendant de voir un véritable médecin.
- J'aurais bien amené ma tante, c'est une eniripsa, avait-elle dit en serrant un bandage sur une longue coupure qu'il avait au bras. Le problème, c'est qu'elle est à Bonta en ce moment...
- Ce n'est pas grave, avait-il répondu d'une voix faible. Tu te débrouilles aussi bien qu'une petite eniripsa. Je suppose que ta tante a dû déteindre un peu sur toi, avait-il ajouté en souriant, sourire auquel la sacrieur avait répondu.

En vérité, il souffrait alors le martyre, les sacrieurs n'étant pas très réputés pour leur douceur...mais ils n'étaient pas très réputés non plus pour leur altruisme. Zacharias s'estimait donc chanceux d'être tombé sur une sacrieur qui savait plus moins bien prodiguer les premiers soins. En plus, cette sacrieur aurait presque pu être sa fille.
Lorsqu'elle eût fini les bandages, elle lui avait donné deux potions inventées par sa tante : une contre la douleur, et une autre pour faire se régénérer partiellement les chairs. Zacharias n'avait pas tout de suite comprit en quoi sa tante avait inventé ces potions, qui existaient depuis aussi longtemps qu'il s'en souvienne, mais il avait vite comprit pourquoi. Alors que ces potions, préparées par un alchimiste classique, étaient exécrables au goût, celles-ci étaient délicieuses.
Elles avaient aussi eut l'air plus efficaces. Il avait très rapidement reprit suffisamment de forces pour pouvoir aller se faire soigner par un véritable médecin.
- Je te remercie infiniment pour ce que tu as fait, se souvint-t-il avoir dit. Peu de gens auraient ainsi donné quelques minutes de leur temps pour aider une personne aussi sinistre que moi.
- Vous n'êtes pas sinistre, avait-elle répliqué, juste un peu ténébreux. Personnellement, je vous trouve même plutôt bel homme ! ajouta-t-elle en pouffant à moitié de rire.
À ces mots, Zacharias s'était senti envahir par une profonde affection envers cette jeune fille, qui lui parlait comme aucune autre personne ne lui avait parlé depuis des lustres.
- Jeune fille, j'ai désormais une dette envers toi, lui avait-il dit en s'inclinant devant elle. Puis connaître le nom de celle qui m'a aujourd'hui sauvé la vie ?
D'abord surprise, la sacrieur s'était à son tour inclinée.
- C'est Ecarlia, avait-elle simplement répondu.
- Ecarlia, je me nomme Zacharias. Sache que si un jour tu as besoin d'aide, tu pourras compter sur moi, quel que soit ta requête. Tu pourras me contacter à Astrub, à la maison des mercenaires. J'espère que nos chemins se croiseront à nouveau.
- Woaw ! Vous êtes Sérianne ? s'était-elle étonnée alors qu'il tournait les talons et repartait vers le zaap. Mais vous ne portez pas d'uniforme pourtant ?
- Pour le travail que je fait, je n'ai pas besoin de cet uniforme ocre absolument horrible.
- Ça c'est bien vrai, pouffa-t-elle. Vous faites quoi exactement ?
Zacharias s'était arrêté de marcher suite à cette question. Avait-il bien fait de lui répondre ? Elle avait à peine 16 ans à l'époque, savoir la vérité ou non ne l'aurait pas dérangée outre mesure. Mais de toute façon, c'était fait, impossible d'y changer quoi que ce soit à présent.
- Je suis un assassin, avait-il répondu sans se retourner.
Et il était parti.

Il n'avait jamais vu la réaction de la sacrieur lorsqu'il avait dit cela. Elle n'avait pas répondu. Sans doute Zacharias n'aurait-il pas aimé l'expression sur son visage. Sachant qu'elle venait de sauver la vie à un tueur en puissance elle devait être mortifiée, peut-être honteuse...
Aujourd'hui, Zachrarias était seul. Il n'avait toujours aucun moyen de se soigner et l'unique personne qui pourrait le trouver ne le sauverait certainement pas.
Chaque fois qu'il venait à Pandala, sa situation empirait...

Une vibration dans le bambou sur lequel il s'appuyait le fit sursauter. Une seconde suivi la première de près. Zacharias se pencha silencieusement pour regarder derrière le bambou géant, si quelque cra ne le prenait pas pour cible. Ce qu'il y découvrit le stupéfia beaucoup plus.
Dans le bois étaient plantées ses deux dagues, l'une au-dessus de l'autre. Il les décrocha lentement, sachant très bien ce qui allait se produire dans quelques instants.
- Je pensais que suivre un sram dans le noir et dans une forêt serait plus difficile, railla une voix derrière lui.
Et voilà. Zacharias ne se retourna même pas pour faire face au pandawa.
- Vas-y, murmura-t-il. C'est l'occasion ou jamais. Je suis sans défense. Je ne pourrai pas lutter contre toi dans mon état.
- Je le vois bien, répliqua Kan. Te tuer maintenant m'apporterait autant de gloire ou de plaisir que d'écraser une arakne sans le faire exprès. Je ne vois pas l'intérêt. Si tu es incapable de te défendre, je ne me battrai pas.
Zacharias ne répondit rien. Il entendit Kan s'asseoir contre un bambou, comme lui. Il reprit lui aussi sa position, et fit face au pandawa, qui le fixait intensément. Il y eut un long moment de silence, durant lequel les deux hommes s'échangèrent un très long regard, sous les bruits des insectes nocturnes qui s'éveillaient pour une longue nuit de sérénades. Zacharias haletait doucement. Sa douleur était difficile à supporter, mais il n'était pas question qu'il s'autorise le moindre signe de faiblesse. Ce fut Kan qui rompit le fil du silence.
- Pourquoi est-ce qu'elles étaient fichées là ? demanda-t-il en montrant du doigt deux entailles dans son plastron.
Zacharias émit un rire faible.
- Tu aurais préféré dix centimètres plus bas ? J'ai hésité tu sais.
- Mais tu as choisi dix centimètres plus haut, insista Kan d'une voix neutre. Pourquoi ?
Nouveau moment de silence. Zacharias voyait bien que Kan voyait qu'il souffrait.
- Pour la même raison que tu as choisi de ne pas abattre ta hache il y a deux ans, sans doute, fini par répondre Zacharias.
- J'aurais dû, tu crois ?
- Certainement pas, je n'aurais pas pu t'épargner à mon tour sinon.
Kan eut un petit rire sincère. Il sorti un flacon d'une de ses poches, et le jeta au sram. Zacharias prit le flacon avec méfiance. Il le renifla, et reconnu une potion de régénération des chairs. Le pandawa restait silencieux, et le regardait.
- Si je prend ça, je vais souffrir le martyre, dit-il à son encontre. Je préfère éviter de la boire sans une potion anti-dou...
Le pandawa sorti de sa poche un autre flacon, rempli d'un liquide rosé. Une potion anti-douleur. Zacharias ne comprenait pas du tout cet élan de générosité soudain.
- Si on continue cette discussion honnêtement, je voudrai bien te donner celle-ci, fit le pandawa en montrant bien le petit flacon. Si tu mens, je pense être capable de le deviner, et tu pourras guérir mais au prix d'une longue nuit de souffrances.
- Je ne te savais pas aussi cruel, mon vieux, répondit le sram en riant jaune. Tu es pire que moi en fait.
Ignorant le sarcasme, le pandawa plongea son regard dans celui du sram.
- Qui est-tu venu tuer ?
- Personne.
Le pandawa se releva aussitôt et s'apprêta à repartir.
- Personne Kan, bon sang ! Personne ! gronda Zacharias exaspéré, au prix d'une intense douleur au flanc. Je ne suis pas là sur contrat, je n'ai aucune personne à supprimer !
Kan s'arrêta. Il regarda de nouveau le sram assit par terre. Le doute persistait dans ses yeux, mais, curieux, il vint se rassoir en face de lui.
- As-tu quelque chose à voir avec la disparition de Gilles et Prune ?
- Non.
- Alors qu'est ce que tu faisais chez eux ?
- Je cherchais des indices.
- Des indices sur quoi ?
- Mais à ton avis ! s'emporta Zacharias. Des indices sur ce qu'il s'est vraiment passé là-bas, sur qui les a attaqué, sur où ils sont allés ! Il faut que je le sache, c'est tout !
- Tu mens comme tu respires, cracha Kan. Je ne vois pas en quoi ça peut t'intéresser ce qui leur est arrivé.
- Ce n'est pas moi que ça intéresse.
- Ah ! Donc tu es bien ici pour un contrat, conclu Kan. Quand je te dis que tu mens comme tu respires.
- Non ! NON !
Zacharias se replia sur lui-même pour mieux supporter la douleur causée par son hurlement. Il prit plusieurs secondes pour reprendre son souffle.
- Il serait temps de jouer carte sur table, déclara solennellement Kan, sinon la douleur va t'achever avant que tu puisses boire ces fichues potions.
Le sram se redressa lentement. Il n'avait plus le choix, en effet...
- Si je tente de les retrouver, c'est parce je l'ai promis à une personne qui me l'a demandé, et en qui j'ai une dette, résuma-t-il.
Kan ne répondit pas tout de suite. Lorsqu'il le fit, ce fut en se moquant presque.
- Tu essayes de me faire croire que tu es revenu à Pandala, en sachant très bien le risque que tu avais de tomber sur moi, pour rendre service ? Et tu espères que je vais te donner ma potion après ça ?
- On avait dit que je n'y aurais droit que si je jouais cartes sur table, donc...oui.
- Et cette personne, c'est qui au juste ? Leur créancier, leur pire ennemi ? Oh, attend, je crois bien que Gilles a trouvé un dofus autrefois. C'est le dragon cochon, ou le Chêne mou, qui t'ont demandé de les trouver pour récupérer leur bien, c'est ça ?
- Non. C'est leur nièce.
Zacharias vit clairement, à l'expression du pandawa, que la balance commençait à pencher en sa faveur.
- Impossible, finit-il par dire. Impossible. D'où te connaîtrait-elle ? Elle n'était jamais allé à Astrub avant...il y a deux ou trois jours.
- Possible, mais moi je suis déjà venu à Pandala, répliqua le mercenaire. Souvient-toi Kan. Il y a à peu près deux ans...railla-t-il.
Il eut une quinte de toux, qui lui transperça le corps de pointes acérées. Il continua en allant à l'essentiel, haletant :
- Elle m'a trouvé agonisant, et m'a sauvé la vie. Je lui ai dit que j'avais une dette envers elle, et après que sa famille ait disparu, elle s'en est souvenu et est venu me chercher à Astrub pour que je l'aide. Je peux l'avoir maintenant, cette potion ?
Kan lui envoya distraitement le flacon, peut-être sans même s'en rendre compte. Il comprenait maintenant l'empressement de la sacrieur, lorsqu'il l'avait rencontrée sur le pont, et encaissait ces informations comme on encaisse la charge d'un sanglier. En s'en prenant plein la figure.
Zacharias était alors bien là pour savoir ce qui était arrivé à Gilles et Prune...c'était à la fois la nouvelle la plus abominable et la plus excellente qu'il pouvait avoir.
Il avait une confiance totale en les capacités de Zacharias, il ne faisait aucun doute qu'il pourrait les retrouver, un jour ou l'autre.
En revanche, il n'avait aucune confiance en la personne de Zacharias. Il les retrouverait, d'accord...mais ensuite impossible de savoir ce qu'il ferait.
Kan regarda le sram qui respirait profondément en se tenant au côté. Les potions faisaient vite effet, dans quelques minutes il pourrait sans problème lui fausser compagnie si l'envie lui en prenait. Il fallait donc régler ce problème au plus vite.
- Qu'est ce que tu as apprit dans leur maison ? demanda-t-il.
Zacharias prit son temps pour répondre, comme s'il avait deviné le plan du pandawa.
- Ils se sont fait attaquer par un groupe armé, commença-t-il. Un groupe étrange, selon les pandikazes à qui tu as botté le train tout à l'heure. Ils se conduisaient un peu comme des automates xélor...
Kan avait un peu de mal à se représenter cette description, mais il aurait tout le temps d'y réfléchir plus tard.
- Quoi d'autre ? pressa-t-il.
- Gilles a tenté de se défendre lorsqu'ils ont pénétré chez eux, et a porté tout au plus deux coups. Un sortilège de masse, juste pour prévenir qu'il savait se défendre, et il a tué un assaillant. Mais c'est à peu près tout.
- Comment ça ? Il ne s'est plus défendu ensuite ? interrogea Kan surpris.
- Non, répondit Zacharias avec un sourire malicieux, parce qu'ils ne se défendaient pas non plus.
- Tu veux dire qu'ils ne répondaient pas aux coups de Gilles ?
- Exactement. Et bien que ça puisse paraître étrange, ça conforte l'idée des automates. Mais il y a pire, du moins à mes yeux.
Il marqua une petite pause mélo-dramatique, qui vit Kan se suspendre à ses lèvres.
- C'était Ecarlia qu'ils étaient venu chercher. J'en suis absolument sûr et certain, lança-t-il.
Cette dernière révélation termina d'achever Kan. C'était la meilleure.
- Qu'est ce qui te fais croire une chose pareille ? Comment est-ce que tu peux savoir ça ?
- Ils sont monté à l'étage et ont défoncé sa porte à elle, répondit l'interrogé. Et ne la voyant pas, ils sont simplement partis.
Il écarquilla soudain les yeux, comme s'il venait de voir devant lui quelque chose d'aussi inmanquable qu'un bouftou rose et vert.
- Ou bien alors...
Nouvelle pause, pendant laquelle il parut lui-même réfléchir.
- Ou bien alors quoi ?
- Ou bien alors...ils ont bel et bien enlevé Gilles et Prune ! dit-il triomphant.
Kan lui lança un regard perplexe.
- Je ne comprend plus rien, je croyais qu'ils étaient venus pour Ecarlia.
- Mais oui ! Et c'est tellement simple que je n'y ai même pas pensé sur le coup ! Ils les ont enlevés justement pour qu'Ecarlia vienne les chercher ! Dans ce cas-là, il y a encore un ou deux points d'ombre, comme pourquoi il n'y a toujours aucune trace de lutte, mais je suis certain que c'est la bonne piste !
Zacharias se releva. Il se sentait maintenant beaucoup mieux. Jamais il n'aurait cru de Kan une quelconque aide, mais le fait est que les gens sont parfois beaucoup plus imprévisibles que ce qu'il pensait.
- Il faut aller la prévenir. Elle ne doit surtout pas rentrer à Pandala, ni essayer de retrouver son oncle et sa tante. J'espère que tu consens à me laisser partir, parce que pour une fois c'est pour la bonne cause, envoya-t-il à Kan.
Celui-ci se releva à son tour.
- Je te laisse partir, oui...mais à une condition seulement, dit-il en regardant le sol.
Zacharias attendit, inquiet. Le pandawa redressa soudain la tête et le fixa droit dans les yeux. Une flamme ardente, nourrie à la fois de détermination et de colère, brûlait intensément dans les siens.
- Je viens avec toi.

Le sram s'attendait à tout sauf à ça. Il fit un pas en arrière, l'air effaré et totalement dérouté.
- Quoi ?!? Et on peut savoir pourquoi ?
- Tu as été franc avec moi, donc je vais l'être aussi. MA nièce est avec Ecarlia, donc elle aussi est en danger. Ça ne me plaît pas de voyager avec toi, mais à deux on sera beaucoup plus efficaces pour les retrouver toutes les deux.
Zacharias comprit qu'il serait impossible de faire changer le pandawa d'avis. Et puis qui de plus qualifié que son pire ennemi pour faire un voyage inoubliable.
- Très bien, j'accepte, répondit-il.
- Ha ! Excuse-moi, mais tu n'avais pas trop le choix ! railla la pandawa.
Il sorti un sifflet de sa poche, et souffla dedans de toutes ses forces. Aussitôt, une magnifique dragodinde d'une couleur jaune-doré apparu à ses côtés.
- Voici Pépite, dit-il en flattant l'encolure de la bête. Pépite, voici Zacharias, tu n'es pas obligé de l'aimer.
L'animal fixa le sram avec deux yeux globuleux totalement inexpressifs, tandis que Kan montait sur la longue selle en cuir. D'un signe de tête, il fit signe à Zacharias de faire de même.
Celui-ci sauta avec agilité sur le dos de la bête, et Kan n'attendit pas une seconde de plus pour talonner sa monture.

La dragodinde Pépite fila à toute allure vers le zaap de Pandala. Sur son dos, était assis le duo le plus improbable que le monde des 12 ait jamais vu. Mais peut-être était-il aussi le plus dangereux.
Chapitre XII
Chapitre XII


Ce ne fut qu'après plusieurs minutes d'efforts intenses passées à secouer la pandawa inconsciente dans tous les sens qu'Ecarlia réussi enfin à faire revenir Pam à elle. Celle-ci ouvrit difficilement les yeux en marmonnant quelque chose de parfaitement incohérent, et poussa un gémissement de douleur en passant sa main derrière sa tête et en sentant un peu de sang coagulé.
  • Mais...qu'est ce qui s'est passé ? demanda-t-elle à la sacrieur en se relevant et en se massant l'arrière du crâne. Qu'est ce qui m'est encore tombé dessus ?
  • Rien n'est tombé sur toi Pam. Nous avons été attaquées par des brigand, répondit-elle en saisissant son amie par le bras pour éviter qu'elle ne retombe. Tu as été assommée dans l'embuscade.
  • Quoi ?!? Des bandits à Astrub ? s'exclama la pandawa choquée. Ils voulaient quoi, de l'argent ?
Ecarlia haussa les épaules.
  • Je n'en ai aucune idée. Ils n'ont absolument rien dit. Je suppose qu'ils voulaient nous voler nos affaires.
  • C'est étrange...souffla Pam tandis qu'elle appuyait précautionneusement à l'endroit où elle avait le plus mal avec une petite grimace. Astrub est réputée pour être plutôt calme, au niveau des agressions. J'ai pas une grosse bosse là ?
Elle se tourna pour qu'Ecarlia puisse voir. La sacrieur préféra ne pas dire tout de suite à Pam la couleur de sa bosse, effectivement très grosse, pour ne pas trop l'inquiéter. Elle se contenta d'un « ça peut aller » distrait, et de toute façon Zankioh réparerait ça très vite.
  • Mais où est-ce qu'ils sont maintenant ? questionna la pandawa. Tu as réussi à les repousser toute seule ? On dirait qu'ils ne t'ont rien prit du tout !
  • Non, quelqu'un est venu m'aider, répondit Ecarlia d'un air sombre. Les bandits étaient trois, sans lui, je n'aurais pas eu la moindre chance.
  • Ah ? C'était qui ?
La sacrieur leva la tête vers le ciel, songeuse, et elle attendit quelques secondes que ses pensées se remettent en ordre, avant de répondre :
  • Je n'en sais rien du tout.
***


Ecarlia n'en revenait pas. Ses katanas lui parlaient ?!? Impossible ! Comment des objets pouvaient-ils discuter et lire dans des pensées ? Elle était en train de devenir folle !
° D'accord. Tu peux ne pas nous croire si tu veux. Mais dans ce cas tu vas bientôt devenir vraiment cinglée ma grande ! Personnellement, si on entendait des voix en essayant de se convaincre qu'on les entend parce qu'on est fou à lier, je ne sais pas combien de temps on pourrait tenir.
  • Attendez, qui ça « on » ? lança Ecarlia à haute voix. Vous êtes combien ? Et puis vous êtes qui d'abord ?
° Là par contre, c'est les autres qui vont croire que t'es bonne à enfermer...t'as pas besoin de parler tout haut, contente-toi de penser !
Ecarlia essaya de faire le vide dans sa tête. Si ces voix venaient vraiment de son esprit, elle devrait pouvoir les chasser, à condition de le vouloir vraiment. Sinon...
° Sinon quoi ? Qu'est-ce qu'il va se passer ?
° Aaaaah ! Mais vous allez vous taire oui ?!?
° Ben voilà, c'est quand même pas difficile !
Ecarlia réalisa avec surprise qu'elle venait de répondre à ses étranges interlocuteurs par la pensée. Quelle sensation bizarre !
° Ouais, on sait, merci, t'es pas la première à penser ça...mais bon, assez rigolé, regarde plutôt le type qui t'as sauvée...


Elle tourna le regard vers l'écaflip qui lui était venu en aide, et eu un mouvement de recul. Il était agenouillé par terre quelques instants plus tôt, la tête entre les mains et marmonnant des choses incompréhensibles. Mais à présent, il s'était relevé, et Ecarlia aurait voulu être n'importe où sauf à cet endroit.
Le jeune combattant avait laissé tomber son lourd manteau, et exhibait son corps terriblement meurtri. Sa fourrure blanche était en de nombreux endroits atrocement entaillée, la couleur du sang ressortant sur la clarté de ses poils. Son œil était également traversé par une cicatrice et une grosse goutte de sang en perlait, comme une larme sinistre. La totalité de ses avant-bras et le bout de sa queue avaient l'air d'avoir été plongés dans du sang frais.


Mais ce n'était pas la vue de son corps mutilé qui effrayait le plus la sacrieur, habituée aux pires blessures.
Non, c'était son aura, la chose qui émanait de lui qui lui donna envie de prendre ses jambes à son cou.
La terre aux pieds de l'écaflip se couvrait d'une pellicule de givre, et la sacrieur, alors qu'elle était éloignée de lui de plusieurs mètres, sentait un frisson glacé parcourir sa colonne vertébrale.
L'air se déformait autour de lui, comme s'il devenait petit à petit opaque, et une brume noire très légère l'enveloppait tel un fantôme sombre.
Au milieu de ce chaos dans la matière, il restait immobile, la tête baissée, serrant la garde de son épée noire et inquiétante à s'en faire craquer les jointures, et de sa bouche sortait un flot de sons étranges et continu.
Ecarlia restait pétrifiée sur place. Jamais elle n'avait vu une chose pareille. Son esprit lui disait de fuir, mais ses jambes refusaient de bouger.
Elles refusaient réellement. La sacrieur ne pouvait quasiment plus faire un seul mouvement !
Paniquée, elle tenta de se débattre, de se libérer de cette emprise malsaine, mais rien ne semblait la retenir. Ses membres étaient tout bonnement paralysés.


Soudain, l'écaflip stoppa le flot ininterrompu de sons, qui émanaient de lui comme cette brume, plus qu'il ne les prononçait. Sa voix faible parvint aux oreilles d'Ecarlia, qui était toujours immobilisée.
  • Arrête...je ne pourrai pas...je...refuse que...
Une seconde voix se fit entendre. Ou plutôt ressentir. Ecarlia n'aurait pas su le dire avec certitude, mais en tout cas elle venait encore du jeune écaflip, qui remuait les lèvres en même temps que la voix langoureuse d'une femme emplissait l'air.
« Tu ne dois pas tenter de résister ! Tu sais ce qui pourrait arriver sinon ! »
  • Non...pas cette fois...ce n'est pas...pas...
« Pourquoi me refuse-tu ? Lutter te fait souffrir, et ce sera pire si je part maintenant ! Laisse-moi faire ! »
  • Non, non...elle...ne va pas...on est trop près d'elle...
« Ne t'inquiète pas pour elle, elle ne s'en souviendra même pas ! Par contre, toi oui ! Laisse-moi faire avant qu'il n'arrive malheur ! »
  • Je...je veux...rester...non...je veux qu'elle...sache...
Un silence vocal suivi cette dernière déclaration. Plus aucune des voix ne parlait. Ecarlia était en train d'assister à une dispute entre l'écaflip et...l'écaflip ! On aurait dit qu'il se parlait à lui même avec deux voix, voire deux personnalités, différentes !
Soudain la voix féminine se refit entendre.
« Très bien, je te laisse gâcher tous nos efforts...mais après tout c'est toi qui décide n'est-ce pas ? Tu es assez grand pour savoir ce que tu dois faire...mais ne viens pas dire que je ne t'aurais pas prévenu... ».


Et aussi brusquement que les phénomènes chaotiques étaient apparus, ils s'en allèrent, comme ré-aspirés par le corps du jeune écaflip. L'air redevint normal, la brume noire se dissipa immédiatement et la sensation de froid disparu.
Les muscles d'Ecarlia se remirent à fonctionner soudainement, et elle tomba à la renverse, emportée par son élan qui était revenu sans qu'elle ne s'y attende.
Quant à l'écaflip, il poussa un gémissement de douleur en tombant à quatre pattes.
Pris de nausées, il vomi un liquide sombre, qui disparu aussitôt qu'il toucha le sol, suivi rapidement par le contenu de son estomac.


Ecarlia se releva lentement, sans quitter le jeune guerrier des yeux. Elle ne savait plus si elle devait fuir à toutes jambes ce combattant démoniaque ou bien demander s'il avait besoin d'aide...
Il recommença à respirer à peu près normalement, après un instant à chercher son souffle dans une tempête de sensations atroces. Il restait cependant immobile, fixant le sol, comme terrifié à l'idée de se relever de nouveau.
La sacrieur s'approcha prudemment de l'écaflip meurtri. Elle observait les scarifications qui maculaient de rouge sa fourrure blanche, et doutait de plus en plus de ce qu'elle voyait...
Ce ne fut que lorsqu'elle pu apercevoir les traces de poussières sur les poils immaculés qu'elle se rendit compte de la nature des traces rouges barrant le corps du guerrier.
Ce n'étaient pas des traces de sang, mais bel et bien sa fourrure qui était rouge écarlate ! Elle formait des motifs ressemblant exactement à des marques sanguinolentes, entailles et éclaboussures, à tel point que l'illusion était totale à plusieurs mètres.
En fait, ces marques macabres étaient en tout point semblables...aux siennes ! Celles qu'elle avait aux avant-bras, sur les joues et le ventre. Les marques uniques des sacrieurs ! Et cet écaflip les avait sur lui ! Comment était-ce possible ? Il s’était peut-être peint la fourrure, ou…ou peut-être pas ?


À la fois effrayée et intriguée, elle se pencha au-dessus du garçon qui ne se relevait toujours pas. Il avait l'air de ne même plus se rendre compte de ce qui l'entourait...
° À ta place on ferait gaffe...ce type est louche, avertit la voix dans sa tête alors qu’elle tendait son bras.
Elle décida cette fois de l’ignorer, et posa sa main sur l’épaule du félin.


La réaction fut immédiate. L'écaflip lui saisi le bras avec une force hallucinante, et faucha l'air au ras du sol d'une de ses jambes. Ecarlia n'avait rien vu venir, et s'écroula lourdement par terre dans une suffocation lorsque son dos rencontra la dureté du sol.
Le garçon semblait paniqué. Il regardait autour de lui sans sembler comprendre où il se trouvait. Puis, sans crier gare, il détala à toutes jambes vers le labyrinthe de ruelles du quartier.


Ecarlia se releva une fois de plus, mais cette fois plus furieuse qu'autre chose. Il n'allait pas s'en tirer comme ça...
Voyant la direction qu'il empruntait, elle repoussa une mèche rebelle qui tombait sur son front d'un geste rageur, et se lança à sa poursuite colère au ventre.
Cela faisait plusieurs jours qu'elle n'avait plus couru ainsi. Elle avait plus souvent l'habitude d'être poursuivie par son gibier pour le piéger, et non de le chasser, mais cette fois-ci les rôles étaient inversés. C'était elle qui pourchassait.
Le fugitif était très rapide, sa course était aussi fluide et maîtrisée que celle d'Ecarlia, peut-être même plus. La sacrieur avait du mal à le suivre à travers les ruelles étroites et toutes perpendiculaires. Mais l'écaflip avait emporté son épée sombre en s'enfuyant, et elle semblait le ralentir et même le déséquilibrer. Ecarlia gagnait du terrain.


Soudain, le fugitif sorti du dédale de rues, et se retrouva en plein milieu de l'effervescence du centre ville. La sacrieur aurait largement préféré continuer dans le quartier désert et étroit plutôt que dans cette foule.
L'écaflip, lui, tournait bien évidemment l'ébullition d'Astrub à son avantage. Avec une surprenante agilité, il slalomait entre les passants, sautait par-dessus les étales et passait en glissant sous les charrettes, sous les regards médusés des badauds qui voyaient filer cet éclair rouge et blanc.
Bien qu'elle fût incroyablement agile, Ecarlia avait le plus grand mal à suivre le rythme que lui imposait le formidable coureur. Elle failli plus d'une fois rentrer dans un enutrof qui se traînait au milieu de la rue, ou bien trébucher sur un morceau de quelque chose qui tombait d'un étalage. Lui, évidemment, évitait ce genre de problème sans aucune difficulté, et il provoqua lui-même la destruction de quelques étales pour la ralentir. Il renversa brusquement une charrette de melons sur son passage, alors qu'Ecarlia se rapprochait dangereusement. Les fruits bien ronds roulèrent tout en travers de la rue, et ce ne fut que par une acrobatie improvisée qui la vit courir le long d’un mur qu’Ecarlia pu éviter de justesse le piège classique mais efficace.
Elle réussi, au prix d’énormes efforts, à maintenir entre elle et lui la distance suffisante pour ne pas le perdre de vue. L’adrénaline qui giclait dans ses veines lui donnait une énergie qu’elle ne soupçonnait même pas, et sa course, loin de ralentir, s’accélérait au contraire de plus en plus. À moins que ce ne fut l’autre qui commençât à fatiguer.


Soudain, le fugitif bifurqua de nouveau vers une ruelle. Ecarlia le suivi, persuadée d’avoir gagné cette course-poursuite. Mais elle comprit vite pourquoi il avait décidé de repasser dans un lieu étroit…
Juste après qu’il eut prit la direction de la ruelle, deux bûcheron passèrent devant, en portant une énorme planche d’au moins trois mètres de haut. Les deux hommes, bien que fortement bâtis, avaient le plus grand mal à garder leur stabilité, et marchaient donc bien trop lentement pour avoir le temps de passer avant qu’Ecarlia n’arrive.


La sacrieur n’avait pas le choix. Refusant d’abandonner la course-poursuite alors qu’elle était si près du but, elle fonça droit sur l’épaisse planche. Elle canalisa l’énergie qui irradiait son corps, et frappa du poing le bois massif.
Son élan et sa volonté étaient tels que la puissance du souffle brisa la planche en deux et fit tomber à la renverse les bûcherons stupéfaits.
Elle continua à courir à travers les échardes et la sciure en suspension dans l’air, se protégeant les yeux pour ne pas se faire aveugler.
L’écaflip n’était plus qu’à quelques mètres devant elle, et…la ruelle se finissait en cul-de-sac ! Elle avait réussi ! Cette fois il ne pouvait plus s’échapper !
Mais alors…pourquoi est-ce qu’il ne ralentissait pas ?


La réponse ne se fit pas attendre. Sous les yeux médusés d’Ecarlia, l’écaflip sauta sur le mur de droite, et s’en servit d’appui pour sauter sur celui de gauche. En seulement trois bonds, il monta à plus de cinq mètres de hauteurs, et reprit sa course de plus belle sur les toits !
Subjuguée par une telle agilité, la sacrieur ne se découragea pas. Se rappelant ses chasses dans la forêt de Cania, elle couru droit vers le mur du fond et, comme si elle était poursuivie par un dangereux sanglier des plaines, s’y jeta de toute la force de ses jambes.
Son élan était suffisant pour lui permettre de courir sur le mur. Elle s’éleva, s’éleva…la gouttière du toit n’était plus qu’à cinquante centimètres de ses doigts…elle commençait à retomber…


Non, pas question, pas si près du but ! Pas après tous ces efforts, pas pour une toute petite coudée infranchissable !


Son corps sembla soudain s’éveiller d’un long sommeil. Comme s’il n’était jusqu’à présent qu’à un tout petit régime, que son potentiel n’était qu’endormi. Son esprit se mit en action comme jamais, à tel point qu’elle avait l’impression que tout était plus lent autour d’elle. Sa chute, le son du vent, un oiseau qui passait…elle voyait tout, et réfléchissait à une vitesse ahurissante.
Il ne lui fallu qu’une fraction de seconde pour se tourner face contre terre, et décharger cette énergie qui l’emplissait sous la forme d’un souffle qui fit tourbillonner la poussière comme une véritable tempête. Son corps continua de s’élever alors que la nature aurait voulu qu’il tombe.
Ecarlia su d'instinct qu’elle avait réussi à monter suffisamment haut. Elle se retourna de nouveau à la vitesse de l’éclair, et agrippa le rebord du toit de ses deux mains. La seconde d’après, elle s’y était hissée, et cherchait l’écaflip des yeux.


Il avait prit quelques mètres d’avance, et sautait de toit en toit avec une facilité déconcertante. Mais ces réflexes inhumains n’avaient pas quitté le corps d’Ecarlia, elle se sentait parfaitement capable de continuer la poursuite. Ses jambes se remirent en action, et leur impulsion propulsa Ecarlia jusqu’au toit suivant sans la moindre difficulté.
Elle n’en revenait pas…c’était soudain si facile. D’où lui venaient ces capacités fantastiques ? Elle se sentait si puissante, si libre ! Elle ne semblait même plus soumise à la gravité, ses possibilités étaient décuplées !
Son « gibier » continuait sa fuite sans avoir remarqué qu’elle le poursuivait toujours. Elle remontait sur lui à toute vitesse, courant le long des toits sans le moindre problème, galvanisée par ses réflexes foudroyants. Ses bonds ressemblaient à de véritables envols, ses atterrissages ne cassaient pas la moindre tuile, et se faisaient presque en silence.


Et tout à coup, il se retourna. Ecarlia eut le temps de voir la stupéfaction sur le visage de l’écaflip, lorsqu’il la vit sauter plus de cinq mètres pour changer de toit et se rétablir sans heurt. Il n’attendit pas une seule seconde de plus pour réagir.
Fixant la prochaine maison sur laquelle Ecarlia allait sauter, il brandit son épée à deux mains vers le ciel. Lorsqu’elle comprit ce qu’il allait faire, il était trop tard, son élan l’emportait déjà dans les airs.
L’écaflip frappa dans le vide. Rien ne sorti de son épée, pas d’onde de choc sombre, pas de décharge d’énergie, pas même un courant d’air froid.
Et pourtant, alors qu’Ecarlia était suspendue à six mètres au-dessus du sol, la moitié du toit sur lequel elle devait se réceptionner fut emportée par une force invisible.
On eût dit qu’un cyclone balayait tout ce qu’il y avait à sa portée, ou alors qu’un géant chassait de sa main immense ce vulgaire tas de pierres qui le gênait.
Ecarlia n’avait plus pour atterrir qu’un nuage de poussière.


Elle passa au-travers en suppliant Sacrieur pour qu’un sol pas trop dur ne l’accueille.
Sa déesse l’entendit probablement. Elle tomba sur quelque chose de très mou, et reparti aussitôt dans les airs, avant rencontrer beaucoup plus violemment un nouveau sol bien solide.
Roulé-boulé. Elle se protège la tête de ses mains. Après plusieurs rebonds, son corps s’immobilise enfin contre une paroi.


Ecarlia se releva en titubant. Le tournis la prit, elle fut obligée de s’appuyer contre le mur pour ne pas retomber. Le nuage de poussière, quant à lui, retombait bel et bien sur un gros lit bien épais, au milieu duquel un large renfoncement signalait le passage d’Ecarlia.
Décidément, la chance semblait vraiment de son côté. Si ce lit avait été décalé ne serait-ce que d’un mètre, elle se serait fracassée sur un sol en pierre.
La sacrieur alla se placer sous le trou béant, à la place duquel il y avait un toit entier quelques instants auparavant, pour essayer d’apercevoir celui qui avait causé un tel désastre.
Elle le vit, debout, à la même place. Il la fixait intensément, de sa position en hauteur. Son regard ne trahissait pas la moindre émotion. Ecarlia le soutint, mais dans son regard à elle se mêlaient crainte et rage. Qui était-il pour pouvoir faire une chose aussi incroyable et terrible que de détruire la moitié d’une maison en un seul geste et sans aucun scrupule ?


L’écaflip fini par détourner les yeux. Il sauta hors de la vue d’Ecarlia, et disparu. La sacrieur savait qu’il était maintenant inutile d’essayer de le poursuivre, et surtout beaucoup trop dangereux. Qui que ce fut, il n’était pas prêt à discuter, loin de là.
  • Ma maison ! Ma maison ! cria une voix derrière elle. Qu’est ce qui s’est passé ? C’est vous qui avez fait ça ?!?
Ecarlia se retourna pour faire face au visage effaré d’un homme plutôt jeune. Il était mince, élancé, pas athlétique mais tout de même sportif. Il portait un ensemble complet de voyage, avec tunique en cuir et en toile verte, pantalon et bottes solides, ainsi qu’une cape rapiécée. Ses cheveux longs étaient attachés en une queue de cheval sur une tête à la peau pâle et aux yeux vert, et leur couleur platine était si naturelle que c’en était tout bonnement stupéfiant.
Il se dégageait de lui la grâce et la beauté d’un noble animal. Mais un animal en colère…
Alors qu’Ecarlia était en train de se faire cette rapide description de lui, un arc luisant lui apparu dans les mains, et une longue flèche enflammée fut pointée sur elle en un éclair, prête à la transpercer de part en part à tout moment. Ecarlia eu un mouvement de recul et posa sa main gauche sur la garde d’une de ses armes.
° Qu’est-ce que tu pensais il y a deux ou trois minutes ? Que la chance était de ton côté c’est ça ? railla la voix.
  • La ferme !
  • Quoi ?!? Je n’ai rien dit du tout ! s’indigna le jeune homme. Et qui êtes-vous pour me donner des ordres sous mon propre…enfin, sous ce que vous en avez laissé ! Vous la voulez vraiment entre les deux yeux ma parole ! menaça-t-il en bandant son arc de plus belle.
° On t’avait prévenu, arrête de nous causer à voix haute…tu vas finir par y avoir droit à la camisole, si ce type t’en laisse le temps en tout cas.
Ignorant sagement cette nouvelle remarque, Ecarlia leva ses mains au-dessus de sa tête en signe de non-agression :
  • Non, non, ce n’est pas à vous que je…ce n’est pas moi qui ai détruit votre toit, je vous assure ! se rattrapa-t-elle en comprenant qu’elle risquait de faire une bourde.
  • Qu’est-ce que vous fichez ici alors ? continua l’autre sans baisser son arme. Vous êtes arrivée par le trou dans toit non ? Alors comment vous expliquez que juste avant que vous n’arriviez il n’y avait pas de trou, et que maintenant que vous êtes là il y en ai un ?
  • Je vous jure que vais vous expliquer, tenta-t-elle de dire pour calmer la situation, mais s’il vous plaît baissez ça !
Le jeune homme furieux ne semblait pas très enclin à parlementer, mais après plusieurs secondes d’hésitation, il fini par baisser lentement son arme, qui s’évapora aussi vite qu’elle était apparue. Ecarlia se doutait bien qu’au moindre geste suspect de sa part, elle risquait de se retrouver épinglée au mur comme un tableau, et décida donc de ne pas s’approcher davantage de l’archer pour ne pas l’inciter à se défendre.
  • J'attends, dit-il d’un ton menaçant.
Ecarlia inspira lentement et essaya de dire le plus calmement et simplement possible :
  • J’étais en train de poursuivre…quelqu’un, sur les toits de la ville. Quand j’ai voulu sauter sur votre maison, ce « quelqu’un » l’a détruite pour que je ne puisse pas le rattraper, et donc je suis tombée…ici.
° Mon dieu, on est fichus…tu pouvais dire les choses de cent façon différentes, sauf de celle-là !


Mais contrairement à ce que raillait la voix pessimiste, le jeune homme ne réagit pas tout de suite. Il commença par lever les yeux vers son ancien toit, et l’observa pendant plusieurs secondes sans bouger. Puis son regard descendit vers son lit couvert de débris, et revint lentement se poser sur la sacrieur qui attendait avec anxiété de voir comment il allait prendre cette histoire.
  • Ça semble plausible…fini-t-il par annoncer au grand soulagement d’Ecarlia. Je vous crois.
  • Ah…ah oui ? fit-elle alors qu’elle avait difficilement réussi à se convaincre elle-même.
  • Oui, le toit a comme été arraché par le côté, pas enfoncé par quelque chose venant du dessus, continua-t-il. Et ce creux dans mon lit prouve qu’une masse assez lourde y a rebondit…donc je vous crois quand vous dites que vous n’avez pas saccagé ma maison.
  • Qu…quoi ?! Comment ça une… ? s’indigna Ecarlia.
  • Mais je suppose, puisque vous le poursuiviez, que vous savez qui a fait ça, coupa-t-il. Alors qui ?
Ecarlia décida de mettre de côté pour le moment ce qu’elle considérait comme une insulte, mais ce fut avec un air renfrogné plein d’antipathie qu’elle répondit :
  • C’est un écaflip. Mais je ne le connais pas, c’était justement pour ça que je le poursuivais. Pour savoir qui c’était.
  • Là je commence à avoir du mal à vous croire, menaça le jeune homme en faisant réapparaître dans ses mains l’arc luisant. Vous le poursuiviez parce que vous vouliez qu’il se présente ?
  • C’était plus lui qui fuyait que moi qui le poursuivais en fait…répondit-elle sur un ton sarcastique. Mais on peut dire ça oui. Il m'a aidée à me sortir d'une situation difficile et s'est sauvé comme un voleur ensuite. Donc j'ai essayé de le suivre pour comprendre qui était ce type bizarre...c'est tout, expliqua-t-elle.
  • Et c'est pour se débarrasser de vous qu'il a eu l'idée d'anéantir ma maison ? s'indigna le jeune homme.
Ecarlia hocha la tête. Apparemment furieux, l'archer baissa pourtant son arme en serrant les dents, et fixa son regard sur le mur. Il avait l'air de chercher quelque chose dans sa mémoire.
  • À quoi ressemblait-il ? Précisément ? demanda-t-il soudain.
  • Heu...il était assez spécial, répondit Ecarlia un peu surprise. Plutôt jeune, pas très grand. Fourrure blanche avec des motifs rouges, qui ressemblent à des taches de sang.
Son interlocuteur haussa un sourcil douteux.
  • Spécial, en effet, c'est le mot. Tant mieux, il sera plus facile à retrouver, ajouta-t-il. Je vais faire afficher un avis de recherche. Où est-ce que vous habitez ?
Elle était de plus en plus prise au dépourvu. Le jeune homme menait la conversation où il le voulait depuis le début de façon toute naturelle.
  • J'habite chez un ami en ce moment, il s'appelle Zankioh. Mais pourquoi est-ce que vous voulez savoir...?
  • Zankioh ? coupa-t-il. Tiens donc...
  • Vous le connaissez ?
Encore une fois, le jeune homme attendit avant de répondre. Il semblait beaucoup réfléchir à chacune des choses qu'il disait ou allait dire, et Ecarlia trouvait ce comportement stressant.
  • Oui...de nom, fini-t-il par lâcher. Je sais où il habite en tout cas. Je passerai en soirée avec les avis de recherche, et vous me direz si c'est ressemblant. Et on en restera là. Ça vous convient ?
Ecarlia mit plusieurs secondes avant de comprendre qu'il lui demandait son avis à elle pour s'inviter chez Zankioh.
  • Hé bien...oui, je suppose que oui, lâcha-t-elle hésitante.
° Quelle confiance en soi, c'est vraiment impressionnant.
° Taisez-vous, vous !
Ecarlia se félicita d'avoir répondu une fois de plus par la simple pensée. La situation était déjà suffisamment compliquée pour qu'elle n'ai pas besoin en plus de parler à voix haute à un interlocuteur qu'elle était la seule à entendre.
  • Dans ce cas, je vous dit à ce soir, conclu le jeune homme en tournant le dos à Ecarlia. Soyez là, vous me devez au moins ça. Après tout, si vous n'aviez pas essayé de rattraper ce type, il n'aurait jamais eu besoin de détruire mon toit.
Et avant qu'Ecarlia n'ait pu se défendre de cette accusation, il disparu dans l'escalier.


La sacrieur attendit un petit moment avant de descendre à son tour, voulant éviter de recroiser ce personnage pour le moins inhabituel dans sa maison. Elle descendit en silence l'escalier, et traversa trois pièces presque vides avant de finalement trouver la porte d'entrée et de sortie. Elle aurait aussi pu sortir par le toit...mais elle s'était ravisée après avoir pensé qu'il avait été assez emprunté pour aujourd'hui. Rien ne vaut une bonne vieille sortie prévue à cet effet.
Elle ne pu s'empêcher, après l'avoir vue de haut en bas, de remarquer l'absence de personnalité dans la maison. Couleur des murs unie, sol de pierre froid, meublé uniquement par ce qui était indispensable à une maison...c'était comme si la demeure était toute neuve, et que personne n'y avait encore habité. Ce jeune homme ne devait pas être très souvent ici.


Ecarlia fut, à sa grande surprise, heureuse de se retrouver dehors dans la foule plutôt que dans cette maison vide. Vu qu'elle ne pouvait pas fermer derrière elle à clef, elle parti en vérifiant juste que la porte ne s'ouvrirait pas d'elle-même sur un courant d'air. Et puis de toute façon, vu ce qu'il y avait à voler et l'état actuel du toit, personne ne serait assez stupide pour prendre possession des lieux en l'absence du propriétaire.


La jeune sacrieur fit un rapide topo de tout ce qui s'était passé depuis cette matinée, et ce n'était pas un luxe.
Elle venait d'entrer involontairement par effraction dans la maison d'un archer au comportement plutôt original.
Elle lui avait fait part de l'existence de cet écaflip carrément étrange et dangereux pour éviter d'être empalée par une flèche enflammée, et l'archer lui avait donné rendez-vous pour qu'elle confirme la ressemblance des avis de recherche qu'il voulait faire afficher, avec la personne réelle.
Cette même personne qu'elle avait poursuivie sur la moitié d'Astrub, dans les ruelles étroites, la foule et même sur les toits de la ville, et qui pourtant lui avait sauvé la vie.
Car elle avait été agressée par des bandits, et que sans son aide elle n'aurait certainement jamais pu s'en sortir vivante, vu que Pam avait été...


Pam !!!


Ecarlia se frappa le front le plus fort qu'elle le pu. Elle avait complètement oublié la pandawa qui avait été lâchement assommée par surprise ! Elle devait encore être évanouie par terre, toute seule dans cette ruelle sombre !
La sacrieur refit fonctionner ses jambes pour courir le plus vite possible, insultant copieusement les passants qui la gênaient dans sa course, et s'insultant soi-même lorsque les passants plus sages s'écartaient prudemment.
° Mais arrête de te traiter comme ça ! À quoi on sert nous, si t'as même plus besoin de nous pour te rabaisser ? Hein ?
° Ça suffit, silence ! J'essayerai de comprendre qui vous êtes plus tard ! Pour l'instant je vous conseille de la fermer, sinon je vous met au placard et je ne vous utiliserai plus que pour couper du bois !
° Hum...vu sous cet angle...
Décidément, cette journée n'était vraiment pas une journée comme les autres.


***

La dragodinde Pépite était véritablement un animal impressionnant. Malgré les deux adultes qui étaient assis sur son dos, elle courrait sans se fatiguer à une vitesse plus que respectable. Zacharias songeait qu'une dragodinde lui serait d'un très grand secourt pour ses longs déplacements, mais il ne savait pas trop s'il aurait la patience de s'en occuper convenablement.
En tout cas, Kan l'avait eue apparemment, car l'animal lui obéissait au doigt et à l'œil. Malgré l'obscurité presque totale qui était tombée sur Pandala, elle semblait savoir exactement où aller pour rejoindre le zaap.
  • Elle a l'air de connaître le chemin quasiment par cœur, dit-il au cavalier qui tenait les rennes. Je ne t'ai pas vu lui imposer la moindre direction, ni donner un seul ordre.
Kan ne répondit pas tout suite, et Zacharias ne s'en étonna pas. Il eut la sagesse d'attendre patiemment que le pandawa ne se décide à répondre de lui-même, au lieu de lui reposer la question.
  • Les dragodindes qui ont été bien élevées savent d'instinct où leur cavalier désire aller, expliqua-t-il sur un ton neutre. Personne de ma connaissance ne connaît de bonne explication à ça, pas même les meilleurs éleveurs, mais en tout cas c'est bel et bien la vérité. Et c'est tant mieux.
  • Et en quoi ça consiste « bien élever sa monture » ? continua le sram curieux.
  • Écoute, il y a des tas de livres sur le sujet, et je les ai presque tous lu pour savoir ce qu'il y avait à savoir. Si ça t'intéresse vraiment, je te suggère de faire la même chose, lança sèchement Kan.
Zacharias n'insista pas. Inutile d'essayer d'avoir une conversation avec une personne dans ce genre d'état.
Le reste de la route jusqu'au zaap se fit sans un mot supplémentaire. Lorsqu'ils y arrivèrent, quelques minutes plus tard, Zacharias fut surpris par le nombre de personnes qui s'y pressaient. Il devait bien sûr être moins fréquenté que dans la journée, mais il avait tout de même du mal à comprendre pourquoi il y avait autant de personnes de sortie à une heure pareille.
Kan remarqua sûrement l'étonnement du sram, puisque cette fois ce fut lui qui engagea la conversation :
  • Pandala a pas mal changé depuis ta dernière visite, lui dit-il simplement. Les aventuriers du continent viennent y chercher toutes sortes de choses. La plupart s'entraînent en affrontant les créatures de la jungle, du nord à Feudala, ou même les spectres de l'île de Grobe. Il y en a d'autres qui viennent pour trouver des objets qui n'existent qu'ici, comme nos artefacts pandawushu...il y a même une légende qui dit qu'un dofus serait caché quelque part.
  • Je ne m'intéresse pas aux dofus, répondit aussitôt Zacharias.
  • Tu devrais pourtant..., fit Kan avec un sourire qui se voulait malveillant. Beaucoup y perdent la vie.
Le pandawa guida sa monture vers le cercle de pierres claires, au milieu des aventuriers de tous horizons qui y entraient ou en sortaient dans de rapides flashs bleutés. Pépite franchit la porte magique sans hésitation, habituée qu'elle était du voyage inter-zaap. Zacharias vit disparaître la tête de la dragodinde, puis le cou entier de l'animal, suivi bientôt par les bras et le corps de Kan. La vision était étrange, car il voyait le paysage derrière la fine membrane bleutée par transparence, mais ceux qui la traversaient comme un voile d'eau extrêmement fin ne réapparaissaient pas de l'autre côté.
Le passage dans un zaap le mettait toujours mal à l'aise. Tout le monde avait l'air persuadé que le zaap se franchissait simplement comme une porte, mais lui était certain que ce n'était pas le cas. Son esprit lui disait que c'était plutôt un raccourci, un couloir, plutôt qu'une simple porte. Mais ce qui lui posait problème, c'était qu'il ignorait totalement où se trouvait ce raccourci.
Pour lui, le déplacement d'un zaap à l'autre n'était pas instantané. Il y avait un infime laps de temps entre le moment où il disparaissait dans cette membrane magique et le moment où il réapparaissait là où il voulait. Et il ne savait pas allait son corps durant ce laps de temps.


Bien sûr, il n'avait jamais eu le moindre problème en franchissant un zaap, la création du dieu du temps qui remontait aussi loin que la mémoire des hommes était sans reproche. Mais c'était quelque chose qu'il ne comprenait pas. Et lorsqu'il se servait de quelque chose qu'il ne comprenait pas, il n'était rien de plus qu'un jeune sadida vêtu d'habits de feuilles sèches qui jouait avec une torche allumée.
La cité d'Astrub lui apparu presque aussitôt qu'il eût franchi le cercle bleuté.
« Presque... » songea-t-il.
Contrairement à Pandala, la cité des mercenaires était bien plus calme la nuit. Peu de personnes se risquaient d'ailleurs dehors après la nuit précédente, la peur qu'un autre cataclysme se produise était dans tous les esprits.
  • Je rappelais d'une ville plus agitée, murmura Kan à Zacharias lorsqu'il vit le peu de personnes à se balader. Astrub a un couvre-feu maintenant ?
  • Non. Il y a eu quelques...problèmes la nuit dernière, répondit le sram tout aussi bas. Je préférerais qu'on en reparle plus loin, et plus discrètement si tu veux bien, ajouta-t-il en se masquant le visage à l'aide de son capuchon noir. Je n'aime pas être vu en public habituellement, et je crois que la population m'en remercie. Ma réputation est assez...sinistre par ici.
  • J'ai comprit, ça va, fit le pandawa sur un ton réprobateur. Désolé Pépite, il va falloir qu'on te cache, tu attires l'attention sur ce gros corbac et c'est mauvais pour notre enquête.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Zacharias n'eut même pas le temps de comprendre ce qu'allait faire le pandawa, qu'un nuage de fumée les enveloppa et que la dragodinde sur laquelle il était assis disparu brusquement. Les réflexes du sram lui permirent de se réceptionner sans problème, mais il savait pertinemment que Kan aurait voulu le voir sur le derrière, et c'était pour cela qu'il lui avait fait cette farce stupide.
Celui-ci s'était bien évidemment rétabli tout naturellement, et regardait Zacharias d'un air innocent. Le sram le fusilla un instant du regard, puis voyant qu'il ne réagissait pas, décida de passer outre la puérilité de son ancien ami.
Il remonta son manteau noir et son capuchon et, telle une véritable ombre, prit la direction qui lui semblait la plus judicieuse pour commencer leurs recherches.
Kan le suivi à quelques pas jusqu'à ce qu'ils soient complètement seuls, puis le rattrapa en quelques enjambées.
  • Alors ? Qu'est-ce qu'il se passe ici ? ré interrogea-t-il à côté du sram. Pourquoi n'y-a-t-il presque personne dehors ?
  • Parce que les gens sont craintifs.
Kan fronça les sourcils.
  • Soit plus précis s'il te plaît. Ils ont peur de quoi ?
  • Je ne sais pas...des dieux sans doute, répondit évasivement Zacharias. Ou bien de la nature, ou juste de mourir, comme presque tout le monde. Les gens ont peur de beaucoup de choses...
Une main forte lui agrippa le bras et le fit s'arrêter net.
  • Arrête de jouer avec ma patience, je vais finir par la perdre, menaça Kan en le fixant avec des yeux noirs. Pour la dernière fois, que s'est-il passé ici ?
Calmement, et sans plus de violence, Zacharias empoigna l'avant-bras puissant du panda, et y appliqua une pression de son pouce à un endroit précis. Aussitôt, les doigts de la main s'écartèrent pour libérer son bras, sans que Kan puisse y faire quoique ce soit. Le sram lâcha prise, et le pandawa ne réagit pas.
On sentait planer dans l'air une tension extrême, que le regard mutuel et féroce que se lançaient les deux compagnons forcés ne faisait qu'accroître.
Finalement, ce fut Zacharias qui détourna les yeux. Il ne se sentait pas spécialement effrayé par le pandawa, non. Il voulait juste éviter un rixe inutile en pleine nuit.
  • Deux objets célestes se sont écrasés pas très loin d'Astrub après être passés juste au-dessus la nuit dernière, fini-t-il par répondre en même temps qu'il se remettait en marche. Les impacts ont eu beau être assez éloignés pour qu'on ne subisse pas l'onde de choc directe, nous avons eu des « échos » de sa puissance, qui ont fait de gros dégâts. Et maintenant, les gens ont peur de sortir.
  • Des « objets céleste » ? répéta Kan interdit. Qu'est-ce que ça veut dire, c'étaient des étoiles ?
  • Ça y ressemblait. Je dirais plutôt une sorte d'énorme roche entourée de flammes aveuglantes, mais je ne l'ai aperçue que très brièvement.
Zacharias arrêta là la conversation, car il voyait le bâtiment qu'il cherchait.
La taverne était bien évidemment encore ouverte à cette heure-ci, et le sram connaissait assez bien Astrub pour savoir que c'était la plus grande mine à informations du coin, surtout après une journée entière de soûleries en tous genres.
Kan le suivi dans ce bâtiment, l'un des plus grands de la ville, sans mot dire. Il devait être on ne peut plus d'accord avec lui, une taverne est le lieu idéal pour commencer une enquête.


Zacharias poussa la porte en premier. Un flot d'air chaud, qui sentait des centaines de choses à l'odeur désagréable en même temps, lui attaqua aussitôt le nez. Il y avait des effluves d'alcool de piètre qualité, de nourriture plus ou moins comestible, de sueur, de mauvaise haleine, et même de sécrétions humaines diverses...
Il n'aimait toujours pas fréquenter ce genre d'endroit, ça c'était certain, mais impossible de passer à côté lorsqu'on espionnait ou recherchait quelqu'un. Aussi se forçat-il à entrer. Après tout il avait déjà senti bien pire...
Kan ne sembla pas apprécier beaucoup plus l'environnement olfactif de la taverne, mais ne se plaignit pas. Étrange pour un pandawa de ne pas aimer une taverne, songea Zacharias.
Les recherches commençaient maintenant. Il fallait trouver une trace de la jeune sacrieur, et ça ne serait pas facile dans le tohubohu qui régnait ici.
Première étape : le bar et le tavernier. Zacharias passa entre les tables si rapidement et silencieusement que sa silhouette sombre n'attira pas un seul regard. C'était tant mieux, ne pas être reconnu était un avantage certain pour lui, quoi qu'il fasse.
Kan se faisait un peu plus remarquer. Un pandawa de sa stature dans une taverne attirait les commentaires tels que : « un p'tit concours de buvette mon grand ? » ou « hey, tu nous payeras bien un tonneau pour toi et un pour nous mon vieux ! ». Rien de bien gênant en somme...
Zacharias s'assit à un tabouret libre, à côté d'un crâ qui ne lui semblait pas trop éméché et bien sur lui, et posa quatre pièces sur le comptoir.
Le tavernier, un homme au physique plutôt ingrat, aux cheveux longs et luisants, vint aussitôt les prendre, et ramena une chope de bière quelques instants plus tard. Il posa son œil sur Zacharias, le dévisagea du mieux qu'il pu à travers le capuchon noir qui lui couvrait la tête, et fini par engager la conversation en même temps qu'il prit une chope vide pour la nettoyer :
  • Je ne vous ai jamais vu ici, commença-t-il. Vous êtes de passage ?
  • On peut dire ça oui, répondit le sram content que cela commence aussi bien. Je voyage beaucoup, et aujourd'hui ça m'a conduit jusqu'ici.
  • Ah oui ? Et qu'est-ce qui vous amène, sans vouloir être indiscret ? interrogea le tavernier. Y a pas grand-chose à faire à Astrub, à part aller voir ces maudits mercenaires.
Un sourire traversa rapidement le visage de Zacharias, mais il s'effaça aussitôt en faveur d'une expression neutre.
  • Vous avez tout à fait raison, je ne m'imagine pas une seconde faire appel à eux. Je préfère régler mes problèmes tout seul, dit-il sur un ton tout à fait honnête.
  • J'aimerais en voir plus souvent des comme vous, dit le tavernier en se dirigeant vers un autre client qui réclamait une énième chope. Tenez, je vous offre la prochaine choppe. Mon chiffre de ce soir me suffira.
  • Non, merci. Je ne suis pas un très gros consommateur, désolé, s'excusa le sram. Mais vous pouvez m'aider d'une autre façon.
Le tavernier revint en face de lui, curieux. Il ne devait pas avoir de discussions agréables très souvent avec ses clients, vu la façon avec laquelle Zacharias avait réussi à le mettre dans sa poche en seulement quelques mots échangés.
  • Je cherche une de mes amies, expliqua-t-il à voix basse. Une sacrieur, assez jeune. Elle est ici depuis au moins la nuit dernière. Pas très bavarde, plutôt jolie, accompagnée par une pandawa à peu près du même âge. Est-ce que vous savez quelque chose sur elle ?
Le tavernier leva quelques instants les yeux au plafond, et se gratta la tête.
  • Oui, ça me dit quelque chose...lâcha-il difficilement. Une jeunette pas très bavarde, avec son amie pandawa ? Elles sont arrivées hier, tard, et elles ont aidé la ville toute la nuit après que ces trucs soient tombés. Des sacrées bonnes femmes...
  • Voilà, c'est bien elle ! s'exclama Zacharias. Est-ce que vous savez où elle est en ce moment ?
  • Ouais, je crois bien ! clama-t-il en se mettant les poings sur les hanches. Il me semble qu'elle était avec Zankioh quand elle est arrivée. Un type assez connu par ici. Il doit l'héberger le temps qu'elle reste à Astrub. Je vous montre où il habite si vous voulez.
  • Oui, merci.
  • Inutile.
Zacharias et le tavernier se tournèrent en même temps vers la personne qui avait dit cela. Le crâ, qui était assis juste à côté du sram, fixait le fond de sa chope d'un air songeur.
Puis il se décida à échanger un regard avec les deux hommes qu'il avait interrompus, et qui le toisaient d'un air dubitatif.
  • Elle n'y est plus, s'expliqua-t-il simplement. Ils sont partis il y a environ quatre heures, au coucher du soleil.
  • Et peut-on savoir d'où vous tenez cette information ? interrogea Zacharias légèrement soupçonneux.
  • J'y étais, voilà tout, se contenta de répondre le crâ. Je les vu partir. Enfin, s'enfuir plutôt...je crois même que je les ai aidés.
Zacharias trouvait ce jeune homme de plus en plus suspect. Qu'est-ce qu'il avait à voir avec Ecarlia ?
  • Je cherche l'une de ces personnes, répéta-t-il. Si vous avez la moindre information, je suis prêt à y mettre le prix.
Il posa la main sur une de ses dagues, bien visibles à sa ceinture. Contrairement au tavernier, le crâ vit ce geste, et comprit aussitôt qu'il lui était destiné. Cependant, il sembla ne pas s'en inquiéter d'avantage, se contentant de replonger son regard dans le fond de sa chope.
  • Pas besoin d'argent, merci, j'ai ce qu'il faut...dit-il distraitement. Mais si vous y mettez un peu de bonne volonté, je veux bien essayer de vous aider. Je la cherche également.
Zacharias haussa un sourcil.
  • Vous pourriez être plus clair ?
  • Retrouvez-moi dans quelques minutes à la sortie de cette auberge avec votre ami pandawa, fit le crâ en se levant. Nous avons à parler.
Zacharias était d'accord sur ce point, ils avaient apparemment beaucoup de choses à se dire.

À peine le mystérieux jeune homme était-il sorti que Kan vint prendre sa place aux côtés du sram. Il avait l'air de bonne humeur, après avoir semble-t-il cherché des informations autour des tables.
  • Alors, tu as trouvé quelque chose ? demanda-t-il joyeusement. Moi il a fallu que je vide plusieurs chopes pour mettre les clients en confiance, mais ils ont fini par m'apprendre des choses intéressantes.
  • Ah ? Je t'écoute, dit Zacharias en sirotant sa bière.
  • Il semble qu'elles soient chez un certain Zankioh, chuchota Kan à l'oreille du sram. J'ai même réussi à obtenir l'adresse. On peut y aller dès qu'on sortira d'ici. Qu'est-ce que tu dis ça ?
  • J'en dit qu'on a rendez-vous dehors, répondit-il en se levant.
Zacharias fut amusé de l'incompréhension qui se pointa dans le regard du pandawa. Il avait l'air de se demander si Zacharias l'avait entendu, ou s'il faisait exprès de l'ignorer. Le sram jugea qu'il serait plus utile de lui faire part de ses découvertes, mais il grava cependant bien profondément dans sa mémoire l'expression du pandawa. Ce serait un souvenir des plus agréables.
  • J'ai trouvé une personne qui pourrait peut-être nous aider à savoir où elles sont allées après avoir été chez ce Zankioh, expliqua-t-il. Il nous a donné rendez-vous dehors.
Kan en fut comme abattu. Ses épaules tombèrent, ainsi que ses yeux. Zacharias lui tourna le dos, et se dirigea vers la sortie, le laissant assis là. S'il ne voulait pas venir, c'était son problème. Il avait bien comprit le petit jeu auquel se livrait le pandawa, et préférait ne pas y porter attention. S'il voulait mesurer ses talents de pisteur aux siens, très bien, mais qu'il ne s'étonne pas alors de ne pas se montrer à la hauteur d'un homme qui en a fait sa vie.


Le sram sorti de l'auberge en inspirant à fond l'air frais de la nuit. L'atmosphère là-dedans était vraiment étouffante. Si certains s'évanouissaient sur les tables, cela n'avait rien à voir avec l'alcool, mais bien parce qu'ils devaient manquer d'air...
En revanche, il n'y avait aucun informateur en vue. Il avait dit « quelques minutes », or Zacharias était sorti presque à sa suite. Probablement qu'il était allé chercher quelque chose...ou quelqu'un. Un autre informateur ? Des bandits pour le dépouiller ? Si c'était le cas, il n'avait pas bien choisi sa proie.
La porte derrière lui s'ouvrit puis se referma. Il sentait la présence du pandawa proche de lui. Étrangement, il ne l'inquiétait plus tellement, alors qu'une heure auparavant il aurait donné n'importe quoi pour ne plus jamais le recroiser. L'avenir était vraiment plein de surprises.
  • Alors, il est où cet informateur ? demanda la voix grave de Kan.
  • Il ne va plus tarder, ne t'inquiète pas.
  • Ouais...je dit qu'on devrait aller voir chez ce Zankioh avant toute chose. Ils sont plusieurs à m'avoir dit ça, c'est une piste sûre au mo...
  • Bon, écoute, le coupa Zacharias avec une pointe de colère. Je sais que tu as vraiment envie ET de retrouver ta nièce, ET te prouver que tu vaux mieux que moi, et j'ai AUSSI mes raisons de bien vouloir faire équipe avec toi pour réussir à les retrouver. Je sais également que tu me détestes, que tu n'as pas confiance en moi, que ça t'énerves de devoir me supporter, et figure-toi que c'est réciproque.
Il se retourna pour face au pandawa qui le fixait, le visage impassible.
  • Mais comprend bien que dans le domaine de l'espionnage, du pistage, de la recherche de personnes disparues ou cachées, c'est MOI qui suis le meilleur de nous deux, et peut-être le meilleur d'Amakna, lui envoya-t-il. Je suis aussi le meilleur dans les attaques surprises, les embuscades, la filature, la discrétion, et l'assassinat ! Et ça n'a rien à voir avec le fait que je vaille mieux ou moins bien que toi, c'est parce que j'y ai voué ma vie, voilà tout ! Alors fait-moi plaisir et arrête d'essayer de me doubler dans ce que je sais faire de mieux. Si tu veux travailler en équipe, il va falloir non pas me concurrencer mais me compléter ! Sinon, autant partir chacun de notre côté dès maintenant.
  • Hem...je vous dérange peut-être ? demanda une voix derrière eux.
Zacharias la reconnu. Le jeune homme de l'auberge était bel et bien revenu, et seul. Le sram l'ausculta des pieds à la tête en un instant.
Il semblait qu'il était parti chercher ses affaires de voyage. Une coiffe ronde, de couleur bleu nuit, pendait à sa main.
Un Dora Bora. Cet objet possédait des propriété spectaculaires, Zacharias en avait déjà posé un sur sa tête et s'était vu emplir d'une lucidité et d'une force qui l'avaient presque rendu mégalomane. Cet informateur ne devait pas être n'importe qui, à la fois pour posséder un tel objet et pouvoir l'utiliser.
  • Non...je discutais avec mon équipier, rien de bien important, répondit Zacharias en s'approchant de lui pour pouvoir parler à voix basse. Nous ne nous sommes pas présentés je crois, je suis...
  • Je pense avoir deviné qui vous étiez, inutile de me donner une fausse identité, coupa le jeune homme, un sourire malicieux sur les lèvres.
Il tendit sa main devant lui, vers le sram surpris.
  • Monsieur Holter, votre réputation vous précède ! Je m'appelle Nathaniel Tombépine, disciple de Crâ la juste, déclara-t-il. C'est un grand plaisir pour moi de vous rencontrer en des circonstances aussi...peu hostiles.
Le sram démasqué ne lui serra pas la main. Sa suspicion naturelle venait d'exploser, et à cet instant précis il n'avait plus la moindre confiance en son informateur. S'il le connaissait, il pouvait être n'importe qui, du chasseur de primes engagé par un proche d'une de ses victimes pour la venger, jusqu'au proche lui-même.
  • Il paraît que vous pourriez nous aider à retrouver les deux personnes que nous cherchons, intervint Kan qui avait senti l'atmosphère se tendre d'un coup sec alors que le crâ retirait sa main. Nous voudrions pouvoir les rejoindre au plus vite, et soyez assuré que nos intentions ne sont pas mauvaises.
  • Je n'y aurais pas mit ma main à couper pourtant, lâcha ironiquement le jeune homme en fixant un Zacharias totalement silencieux. Mais de toute façon, ce pourquoi vous les cherchez ne me regarde pas, ajouta-t-il plus sérieusement. J'ai moi aussi besoin de les retrouver, pour...affaires personnelles. Et je ne vous donnerai mes informations qu'à une seule condition...
Zacharias savait déjà ce qu'allait dire le jeune homme. Celui-ci mit son Dora Bora sur sa tête, et déclara :
  • Je veux vous accompagner.
  • C'est hors de question, répondit aussitôt le sram.
Visiblement, ce Nathaniel ne s'attendait pas à une réponse aussi directe, puisque son visage se teinta de surprise.
  • On va avoir un problème alors, parce que moi je suis d'accord, intervint à nouveau Kan. À condition que ces informations valent le coup.
  • Elles le valent, soyez-en sûr, certifia le crâ.
  • Vous permettez, je dois discuter avec mon équipier, fit Zacharias d'une voix transpirant la colère.
Kan se laissa gentiment entraîner quelques mètres plus loin, et avec un sourire non caché fit face au sram furieux :
  • Je refuse continuer avec lui ! vociféra-t-il. Ce type me connaît, donc il peut très bien être de la famille d'une des personnes que l'ont m'a faite assassiner ! Il pourrait essayer de me supprimer à n'importe quel moment, et s'il y arrivait tu pourrais dire adieu à tes chances de retrouver ta nièce et Ecarlia !
Étrangement, Kan ne semblait pas le moins du monde affolé par cette probabilité. Au contraire, il en riait presque.
  • Mon pauvre vieux, ton sale boulot t'as rendu complètement paranoïaque, lui lâcha-t-il à la figure.
Zacharias en resta bouche bée. C'était tout ce qu'il trouvait à dire ?
  • Figure-toi que si je me méfie, c'est parce j'ai déjà eu à faire face à ce genre de vengeance, se défendit-il. Pourquoi crois-tu que les tueurs agissent en secret, et anonymement ? On veut éviter les représailles ! Si quelqu'un connaît mon identité personnelle, c'est qu'il sait ce que je fais. S'il sait ce que je fais, il est dangereux, c'est comme ça.
  • Il est dangereux ? Tu as peur de lui ? C'est tant mieux ! répondit Kan toujours le sourire aux lèvres. Si on est deux à te surveiller de très près, ça m'arrange !
  • MOI, ça ne m'arrange pas ! Je refuse de prendre un tel risque !
Kan leva les yeux aux ciel, comme s'il assistait au caprice d'un petit enfant.
  • Très bien, et si moi je le surveille lui ? proposa-t-il. On sera deux à te surveiller, et deux à le surveiller, comme ça tout le monde se surveille et le petit sram arrête de trembler comme un tofu devant un trooll ! Qu'est ce que tu en penses ?
Zacharias voyait bien que le pandawa se moquait ouvertement de lui. Mais c'était à la limite s'il ne s'en fichait pas éperdument. Hors de question de continuer aux côtés d'une personne susceptible de le tuer à n'importe quel moment, Kan était déjà suffisamment doué dans ce rôle. De plus, au vu de ce que la crâ portait sur lui, il n'était pas un débutant. Zacharias aurait peu de chances de s'en sortir s'il essuyait une attaque surprise.
Et puis d'abord, quelque chose clochait. Pourquoi diable voudrait-il partager ses informations avec deux parfaits inconnus, alors qu'il avait l'air bien assez fort pour il aller seul ?


Ce fut à ce moment-là que le crâ lui-même décida de rejoindre la conversation. Il s'approcha sans se vouloir discret, et clama à haute voix :
  • J'ai l'impression que vous n'êtes pas tout à fait d'accord sur l'attitude à adopter à mon égard. Je me trompe ?
Zacharias le toisa avec suspicion, guettant le moindre geste suspect.
  • Non, en effet, lui répondit-il froidement.
  • Dans ce cas, laissez-moi vous montrer pourquoi est-ce que je tiens à aller à leur recherche accompagné et non seul, bien je pense savoir par où ils sont allés.
Et il se mit à marcher en direction des ruelles, sans même attendre que les deux antagonistes ne se mettent d'accord.
Kan fut le premier à lui emboîter le pas, suivi quelques instants plus tard par Zacharias qui soupira en songeant que le crâ était en train de les emmener à part, et dans la pénombre. Pour lui, tout cela sentait le traquenard à plein nez.
  • Peut-on savoir où nous allons Nathaniel ? demanda poliment Kan au jeune homme.
  • Chez Zankioh.
Le sram dût reconnaître qu'il ne s'attendait absolument pas à ça. Et le jeune homme au Dora Bora avait l'air d'être on ne peut plus sincère. Il aurait très bien pu s'éclipser dans l'ombre dès le premier embranchement, mais sa curiosité venait d'être piquée à vif. Ce crâ en savait beaucoup plus qu'il ne voulait bien le dire, ça ne faisait aucun doute. Et peut-être qu'en allant là-bas, il allait pouvoir trouver un quelconque indice qui pourrait lui éviter d'avoir besoin du crâ.
Il marchèrent donc dans les rues d'Astrub pendant quelques minutes, le jeune homme en tête, suivi par Kan puis Zacharias. Chacun semblait essayer de prévoir les moindres faits et gestes des deux autres, ce qui avait pour conséquence que la procession avançait dans un silence absolu.


Enfin, après quelques ruelles traversées en vitesse, ils arrivèrent à destination. Du moins ce fut ce que Zacharias supposa puisque le crâ s'arrêta soudain devant une grande bâtisse non-éclairée, de laquelle on ne voyait presque rien.
  • Et bien ? Qu'est-ce qu'on fait ici ? demanda le sram en regardant partout autour de lui. Il n'y a pas l'air d'y avoir grand chose.
Soudain, Nathaniel fit apparaître dans ses mains un arc luisant, sur lequel était encochée une flèche à la pointe si lumineuse qu'elle éclairait les alentours comme au moins cinq torches.
Zacharias réagit au quart de tour, et porta ses mains aux poignées de ses dagues. Mais il ne les sorti pas de leur fourreau.
Le crâ tira en direction de la grande maison sombre, et la flèche alla se planter dans un mur.


Du moins, dans un reste de mur.


La flèche éclairante faisait maintenant son office. Elle éclairait. Elle dévoilait dans sa majeure partie les ruines d'une maison encore fumantes. Les murs s'étaient pour la plupart écroulés, comme soufflés de l'intérieur. Des débris de bois et de roches jonchaient le sol à proximité de ce qui devait être quelques heures auparavant une grande et belle maison. On voyait de-ci de-là quelques traces de brûlé, des morceaux de plantes complètement ratatinés, comme privés d'eau pendant des jours entiers.


Et l'air était glacial. Zacharias en frissonnait. Une pellicule de givre recouvrait le sol par endroits.
  • Voilà, dit simplement le crâ en regardant le spectacle désolant qui s'offrait à eux. Voilà pourquoi je ne veux pas les poursuivre seul.
  • Mais...que s'est-il passé ici ? fit Kan, avec dans la voix un effroi que Zacharias ne lui connaissait pas.
  • Nous ne sommes pas les seuls à vouloir les retrouver, murmura le sram, suffisamment fort pour que les deux autres entendent.
Kan avait l'air horrifié par ce qu'il voyait. Était-il en train d'imaginer quelle abomination pouvait bien être aux trousses de sa nièce ? Zacharias ne le savait pas, et n'avait pour le moment pas envie de le savoir.
  • En effet, acquiesça Nathaniel après quelques instants de silence, lui aussi avec un timbre semblable à celui de la peur dans la voix. Et croyez-moi...ils ont intérêt à courir vite. Et nous encore plus, si on veut les rattraper. Enfin, si je peux me permettre de dire « on », bien sûr.
Il se tourna vers le pandawa au visage décomposé et le sram plus pensif que jamais. Tous les deux ne disaient plus rien, mais à leurs expressions il ne faisait aucun doute de ce qu'ils allaient décider.
  • Très bien, c'est d'accord.
C'était Zacharias lui-même qui avait parlé. Pour lui, il n'y avait plus d'autre solution. Il se méfiait toujours du jeune homme ténébreux, trop bien informé à son goût, mais la décision ne lui revenait plus désormais. Elle revenait à l'instinct de conservation le plus élémentaire.
Si ce qui poursuivait Ecarlia et la nièce de Kan était capable de détruire une maison dans sa quasi-totalité avec une telle brutalité, il ne fallait plus qu'il y aille seul, ni même accompagné par une personne au moins aussi forte que lui.


Il lui fallait un bataillon entier. Et trois personne, c'était toujours une personne de plus que seulement deux. Zacharias ne comprenait pas encore tout à fait dans quoi lui, Kan et le jeune crâ s'étaient impliqués sans réellement le vouloir. Mais au moins une chose était sûre. Cet air glacial, et la puissance qui avait été déployée ici en étaient la preuve.


C'était loin d'être une affaire de simples mortels.
Chapitre XIII !
Chapitre XIII


Ecarlia et Pam ne furent pas vraiment surprises lorsqu'elles trouvèrent la maison de Zankioh vide à leur retour. L'eniripsa avait l'air d'être un véritable globe-trotteur, toujours en vadrouille quelque part, presque jamais chez lui. Elles avaient d'ailleurs assez longuement parlé de ce qu'il pouvait bien faire à longueur de journée qui lui permettait de gagner assez d'argent pour s'offrir une telle maison et ne pas y habiter.
S'il ne travaillait pas à temps plein à une quelconque activité particulièrement lucrative, alors ses moyens de revenus restaient pour elles un véritable mystère.


Cependant, ce qui occupa le plus leurs esprits à toutes les deux fut cette attaque surprise en pleine journée par trois bandits qui n'avaient rien laissé paraître de leurs véritables intentions, si ce n'était faire passer l'arme à gauche aux deux jeune femmes.
Selon Pam, c'était on ne peut plus troublant. Ce genre d'agression ressemblait férocement à un contrat d'assassinat. Ecarlia en eut un frisson de dégoût. Songer que Zacharias, à qui elle avait demandé de l'aide, était susceptible de tomber comme ça sur ses malheureuses victimes lorsqu'il remplissait sa « mission »...cela la mettait atrocement mal à l'aise.


Pam s'était appliqué dès qu'elle était rentrée un petit sac en toile rempli de sable humide sur la tête, à l'emplacement de sa bosse. La fraîcheur du sac semblait la soulager, et elle avait l'air de ne même plus sentir la douleur quand elle discutait avec la sacrieur.
  • Donc le crâ dont le toit a été démoli va passer dans la soirée pour te montrer les affiches qu'il a faites faire pour retrouver ce drôle d'écaflip? Il t'en arrive des choses quand je dors ! s'exclama-t-elle.
Ecarlia lui sourit gentiment. Elle s'était sentie mieux après avoir tout raconté à la pandawa dans le moindre détail. Celle-ci avait d'ailleurs écouté son récit sans en perdre une seule goutte et en n'émettant aucun doute quand à sa véracité, comme si elle était elle aussi soulagée qu'Ecarlia se confie à sa personne. Enfin...elle ne lui avait pas encore parlé de ses nouvelles armes. Elle voulait d'abord tirer cette affaire au clair.
  • Oui, il va passer, répondit-t-elle en chassant cette pensée. Il avait l'air de connaître Zankioh aussi. On dirait qu'il est assez célèbre celui-là en fait...
  • Je ne te le fais pas dire ! continua Pam. Ce matin, quand je suis allée à l'atelier des alchimistes et que j'ai dit que j'étais chez Zankioh en ce moment, on m'a regardée de toutes les façons possibles !
  • Il doit sans doute venir ici de temps en temps pour soigner les malades ? hasarda Ecarlia. Du coup presque tout le monde le connaît.
  • Oui, probablement...dit Pam d'une voix qui transpirait pourtant le doute. Mais certaines personnes n'avaient pas l'air de l'apprécier pourtant. Ils me regardaient comme si j'allais leur sauter à la gorge à tout moment. Je n'y ai pas fait plus attention sur le coup, mais maintenant que j'y repense, c'était quand même un peu louche...
La porte de la maison s'ouvrit sans qu'elles ne s'y attendent. Elles se retournèrent vivement, presque comme si elles n'avaient pas à être là, comme deux gamine qui se seraient retrouvées où il ne fallait pas, quand il ne fallait pas.
Zankioh entra chez lui. Les deux jeunes femmes affichèrent la même expression de surprise lorsqu'elles virent l'allure de l'eniripsa.
Il était à moitié couvert de poussière noire, une sorte de suie, et ses vêtements étaient déchirés en plusieurs endroits. Sous les traces sombres qui constellaient la peau des bras et du visage, on pouvait remarquer plusieurs ecchymoses plus ou moins grosses.
Mais le plus étrange n'était pas qu'il avait tout l'air de s'être battu. C'était surtout le fait qu'il arborait un grand sourire content.
Il remarqua soudain la présence d'Ecarlia et de Pam dans la pièce.
  • Bonjour les filles ! lança-t-il d'une voix enjouée en même temps qu'il abattait son sac de voyage sur la table de son salon dans un grand fracas. Vous ne devinerez jamais d'où je viens et ce que je ramène !
Il ne leur laissa pas le temps de donner leur avis, et déversa sur la table le contenu de son sac.


Une grosse pierre noire et craquelée roula sur le bois. Zankioh la ramena devant lui avec le regard pétillant d'un enfant devant un énorme cadeau. Ecarlia et Pam, intriguées par l'étrange trouvaille de Zankioh, s'approchèrent pour voir de plus près ce qu'était cet objet.
Aucun doute possible, c'était bien une pierre. Elle avait l'air d'avoir été mise dans un gigantesque feu de bois pendant des jours entiers, puis tapée au marteau par un colosse, avant d'être sculptée pour lui donner une forme ovale, mais c'était bel et bien une pierre.
  • Ça m'a tout l'air d'être un caillou un peu brûlé, non ? hasarda Pam.
  • Oui, on dirait bien, confirma Ecarlia. Mais qu'est-ce qui a pu la noircir à ce point ?
Zankioh leur offrit sa plus sincère expression d'amusement.
  • Allez...réfléchissez un peu ! les piqua-t-il. Qu'est-ce qui est, ou était, assez chaud pour brûler de la roche à ce point ?
  • Un volcan ? lança Pam innocemment.
  • Le soleil ? dit Ecarlia presque au même moment.
Toutes les deux avaient dit la première chose qui leur était passée par la tête, ce qui eut l'air de beaucoup surprendre Zankioh.
  • Hé bien, vous n'avez pas eut à réfléchir longtemps ! Ce sont en effet deux des possibilités les plus probables. Mais c'est Ecarlia qui s'en approche le plus selon moi.
Alors que Pam faisait une moue peu discrète, la sacrieur essayait de comprendre comment cette pierre aurait pu s'approcher suffisamment du soleil pour être tellement noircie. Lancée ? Non, impossible, rien n'aurait pu la lancer assez fort...
Maintenue proche du soleil alors ? Mais dans ce cas il aurait fallu qu'elle soit envoyée vers le soleil, puis ramenée, ce qui était tout aussi improbable.
Ça ne laissait plus énormément de possibilités...
  • Zankioh, est-ce que c'est vraiment ce à quoi je pense ? demanda-t-elle sans oser y croire.
  • Vu la tête que tu fais, je crois que oui, répondit-il malicieusement.
Il reposa son regard sur la roche noire ovoïde. Ses yeux se perdirent dans la contemplation de ce qu'il avait ramené, ce dont Ecarlia venait de deviner la nature.
  • C'est ÇA, qui est tombé hier soir, susurra-t-il. Rien d'autre. Pas une étoile, pas une immense boule de feu venue de nulle part, juste ça. C'est absolument incroyable...
  • Quoi ?!? s'exclama Pam. Tu veux veut dire que ce misérable bout de caillou a provoqué le cataclysme d'hier ? Mais c'est pas possible !
  • Tu as raison, il devait être beaucoup plus gros quand il est tombé, répondit Zankioh en prenant l'objet avec milles précautions. Mais l'impact a été tel qu'il ne reste plus que ça, tout le reste a disparu.
  • Où est-ce que tu l'as trouvé ? demanda Ecarlia.
  • Dans un endroit qui explique pas mal de choses.
Il reposa la roche venue des cieux sur la table, et essuya ses mains noircies par la suie sur son pantalon déjà dégoûtant.
  • C'est tombé en plein sur la montagne des craqueleurs, au sud-ouest d'ici, expliqua-t-il. Je ne sais pas comment, mais le méga-craqueleur de l'autre nuit à certainement dû la sentir arriver, et s'est réfugié dans les petites montagnes d'Astrub où on l'a « croisé ». Il a bien fait, parce qu'il n'y avait presque plus rien de vivant là-bas...c'était la désolation.
  • Comment ça ? fit Pam.
  • Tu imagines bien que là où cette chose est tombée, rien n'a résisté, continua Zankioh sur son ton froid de médecin. Tout était aussi noir que cette pierre, et elle a creusé un trou énorme là où elle s'est écrasée.
  • C'est terrible...commenta la pandawa.
  • Moi je trouve ça incroyable ! s'exclama Ecarlia.
Zankioh et Pam la regardèrent comme si un arbre était en train de lui pousser sur le front. Elle s'en fichait complètement, ce qu'elle venait d'apprendre la rendait folle de curiosité.
  • Je veux dire, vous vous rendez compte que c'est une roche qui peut venir absolument de n'importe où ? Si ça se trouve c'est un morceau d'étoile qui s'est détaché ! Ou bien peut-être que ça vient d'un autre monde, qui ressemble au nôtre ! On pourrait découvrir tellement de choses en essayant de comprendre d'où ça vient ! Vous ne trouvez pas ça formidable vous ?
Il semblait que sa réaction avait ôté toute faculté d'expression chez ses compagnons. Ils étaient en train de découvrir quelqu'un d'autre en ce moment même, une Ecarlia totalement différente de celle qu'ils connaissaient.
Pour sa part, la sacrieur était trop excitée pour faire attention au fait qu'elle était en train de passer pour une parfaite inconnue aux yeux de Pam et Zankioh. Elle regardait le morceau de roche noire sous tous les angles, pour essayer de trouver quelque chose.
Trouver quoi ? Elle n'en savait rien du tout, juste quelque chose.


Au bout de dix secondes environ, elle n'y tint plus, et se décida à prendre la pierre dans ses mains.
La première chose qu'elle remarqua fut sa chaleur. La roche sombre était aussi tiède que la fourrure d'un animal.
  • Waouh, c'est fou.
  • Quoi donc ? demanda Zankioh.
  • Sa chaleur...répondit Ecarlia sans quitter la pierre des yeux. On dirait presque qu'elle chauffe de l'intérieur.
Surpris, l'eniripsa posa sa main sur la roche, et fronça les sourcils d'incompréhension.
  • Mais qu'est-ce que tu racontes ? Elle est aussi chaude que n'importe quelle pierre ! Elle est froide, comme quand je l'ai ramassée !
Pam posa à son tour sa main sur la surface sombre.
  • Oui, je suis d'accord avec Zankioh, elle est froide, dit-elle sans hésitation.
Ecarlia les regarda comme s'ils se moquaient d'elle.
  • Enfin, je ne suis pas folle non plus, je vous dit qu'elle est chaude ! se défendit-elle. Elle est aussi chaude que...qu'un être vivant !
Zankioh fit « non » de la tête, retira sa main, et échangea un regard entendu avec Pam.
  • Ecarlia, on est désolé mais...commença la pandawa.
  • Cette pierre est définitivement froide, termina l'eniripsa.
La sacrieur ne comprenait pas pourquoi ces deux-là faisaient ça. Elle la sentait parfaitement cette chaleur ! Ce n'était en aucun cas une hallucination venant d'elle ! Alors qu'est-ce qu'ils cherchaient en essayant de la faire passer pour une idiote ?
  • Il vaudrait peut-être mieux que je la range, déclara calmement Zankioh. Cette pierre m'a l'air d'avoir un effet bizarre sur certaine personnes, je devrais d'abord l'examiner d'un peu plus...AÏE !
Ecarlia et Pam sursautèrent en même temps. Zankioh avait reposé sa main sur la pierre, et l'avait retirée vivement en poussant ce petit cri de douleur. Il se frotta le bout des ses doigts qui commençaient à rougir, et jeta un regard effrayé à la pierre qu'Ecarlia tenait contre elle.
  • Je...elle m'a brûlé, dit-il sans avoir l'air d'y croire lui-même.
  • Ah ! Alors ? Je t'avais bien dit qu'elle était chaude ! répondit aussitôt Ecarlia.
  • Je me suis brûlé alors que je l'ai à peine effleurée ! se défendit Zankioh. Comment est-ce que tu pourrais la tenir dans tes bras sans te faire mal ? C'est impossible !
Pam posa brusquement sa main sur la pierre, à la grande surprise de Zankioh et d'Ecarlia. Elle attendit quelques secondes, puis la retira sans avoir eu l'air de souffrir.
  • Froide, déclara-t-elle.
Les trois personnes se regardèrent tour à tour, chacune cherchant ce qu'il convenait de faire à présent dans les yeux des autres. Mais il semblait bien que les yeux n'étaient pas une excellente source d'informations, car ni Ecarlia, ni Zankioh, ni Pam, ne comprenaient ce qu'il était en train de se passer.


Ce fut le bruit d'un doigt tapant sur la porte qui brisa le silence. Zankioh se retourna, et alla ouvrir machinalement, encore un peu sonné par cette expérience troublante.
  • Salut Zankioh ! brailla la voix enjouée d'un homme. Je suis venu prendre des nouvelles des nouvelles ! Elles sont encore là au moins ? Tiens, tu t'es brûlé ?
Zankioh regarda sa mains d'un air gêné.
  • Oh, ça, non ce n'est rien...vas-y, entre Hutar, elles sont là.
Le colosse à la tignasse verte se baissa pour entrer par la porte trop petite pour lui, et offrit un immense sourire aux deux jeunes femmes en les voyant.
  • Hé ! Ça m'a l'air d'aller plutôt bien vous deux ! clama-t-il. Vous avez fait un sacré boulot hier soir, je m'attendais plus à vous voir après-demain qu'aujourd'hui ! J'aurais pu dormir une journée entière après ce que vous avez fait.
Il s'approcha de Pam en première, et la serra brièvement dans ses bras puissants. Il se tourna ensuite vers Ecarlia, mais s'arrêta en voyant ce qu'elle tenait dans ses bras.
  • Hum ? C'est quoi cette horreur ? demanda-t-il en pointant la pierre du doigt.
Zankioh fit entendre un mot inconnu de tous, suivi d'un petit flash lumineux, avant de revenir dans la conversation sans aucune brûlure sur la main.
  • C'est l'un des objets célestes qui est tombé hier, expliqua-t-il. Je suis allé le récupéré cet après-midi à la montagne des craqueleurs.
  • Quoi ?!? C'est vrai ? s'exclama le sadida. Ça veut dire que tu étais dans le gros tas d'aventuriers qui se cognaient dessus quand j'y suis allé ? Voilà d'où viennent ta brûlure et tes bleus !
  • Les bleus oui, mais pas la brûlure...
  • Tient Hutar, tu veux bien le tenir une minute ? demanda soudain Ecarlia en donnant la pierre au Sadida.
Zankioh s'apprêta à crier un « NON ! » sonore au Sadida, mais le colosse se retrouva avec la pierre dans les mains avant que le moindre son ne sorte de la bouche de l'eniripsa.
Et aucun son n'en sorti, tant il fut surpris.


Hutar tenait l'objet avec une seule main sans le moindre problème. Pam et Ecarlia l'observaient avec intérêt, et la sacrieur tout particulièrement avait l'air de beaucoup réfléchir. Hutar, lui, ne savait pas du tout quel risque elle venait de lui faire prendre.
  • Hé, elle est plus légère qu'elle en a l'air ! commenta-t-il. Et c'est normal cette forme qu'elle a ? On dirait presque que c'est un œuf.
Il remarqua soudain que les trois autres le dévisageaient de trois façon différentes. Zankioh était complètement éberlué, Pam était pensive, et Ecarlia donnait l'impression de jubiler intérieurement.
  • Cette fois, je crois que j'ai comprit ! déclara-t-elle avec un sourire qu'elle ne réussi pas à dissimuler.
  • Si tu pouvais m'éclairer dans ce cas, fit Zankioh toujours à moitié ahuri par ce qu'il se passait. Moi je nage en plein délire en ce moment.
  • J'ai du mal à suivre moi aussi ! Quelqu'un peut m'expliquer ce qui se passe ? Je déteste ne rien comprendre ! se plaignit Hutar.
  • Est-ce que tu veux bien la donner à Zankioh ? demanda Ecarlia au sadida. Ne t'en fait pas, je suis certaine que tu ne te brûleras pas cette fois, ajouta-t-elle en voyant les yeux de l'eniripsa s'écarquiller.
Zankioh hésita quelques instants, doutant un peu du bien-fondé de cette idée. Mais sa curiosité quant à ce qu'Ecarlia semblait avoir comprit prit le dessus, et il se décida à approcher d'un Hutar qui avait l'air de vouloir maintenant se débarrasser de la pierre au plus vite, comprenant bien qu'il tenait quelque chose de plus que bizarre dans ses mains.
Zankioh tendit lentement ses doigts vers la surface noircie, et l'effleura l'espace d'une seconde.
Pas de brûlure.
Il recommença, un peu plus longtemps.
Cette fois il senti le froid du début. Il posa sa paume dessus, et ne ressenti pas la moindre douleur.
  • C'est incroyable...
  • Mais quoi à la fin ? Qu'est-ce qui est incroyable ? Vous allez me répondre ou bien ? s'énerva Hutar.
  • Il y a quelques instants à peine, Zankioh s'est brûlé en la touchant, répondit Ecarlia.
  • Qu'est-ce que tu racontes ? Elle est froide cette pierre, la contredit le sadida.
  • Je t'assure que c'est la vérité Hutar, intervint Zankioh. Pam aussi la trouve froide, mais pour Ecarlia elle devient tiède. Et quand j'ai essayé de lui reprendre, elle est devenu brûlante pour moi, mais pas pour elle. C'est à n'y rien comprendre...
De nouveau, trois coups résonnèrent dans la pièce. Trois coups de poing donnés sur une porte en bois. Et une voix résonna depuis derrière cette même porte.
  • Vous êtes là ? C'est moi ! Je suis venu avec les affiches !
Zankioh réagit presque aussitôt.
  • Mais...? Cette voix ? Ce n'est quand même pas...?
Il se retourna avec colère vers les deux jeunes femmes.
  • Laquelle de vous deux a rencontré un crâ aujourd'hui ?!? leur lança-t-il furieux.
  • C'est...c'est moi, répondit timidement Ecarlia, qui se demandait ce qu'elle avait bien pu faire comme bêtise sans le vouloir.
La sacrieur essaya de trouver un quelconque soutient chez Hutar et Pam, mais l'un gardait ses yeux fixés sur la porte, les sourcils froncés, tandis que l'autre haussait les épaules d'incompréhension face au regard suppliant d'Ecarlia.
  • Et tu l'as invité ici sans me demander mon avis !
  • Il doit juste passer me montrer une affiche, pour que je lui dise si c'est ressemblant...essaya-t-elle de se justifier. Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Qui est ce type ?
  • Quelqu'un de vraiment pas très fréquentable, répondit Hutar, la voix sévère.
Les coups sur la porte se firent plus forts.
  • Je parie que tu ne veux pas ouvrir Zankioh, fit le crâ, une pointe d'amusement dans la voix. N'ai pas peur voyons, je suis ici uniquement pour voir ta protégée.
L'eniripsa serrait les dents de colère. D'un geste rageur, il alla ouvrir la porte en grand, et fit face au jeune homme aux cheveux platine.
  • Quoique tu en dises, je n'ai pas peur de toi Nathaniel ! lui cria-t-il avec une rage non contenue. Qu'est-ce que tu veux ? Tu sais bien que tu n'es pas le bienvenu ici !
Ecarlia n'en revenait pas. Elle n'aurait jamais imaginé que Zankioh fût capable de se mettre dans un tel état. Qui pouvait bien être ce Nathaniel pour rendre l'eniripsa, d'habitude si clame, aussi violent ?Elle remarqua alors que Hutar serrait les poings de colère, et que ses yeux ne quittaient pas un seul instant ceux du crâ. Il semblait qu'elle avait fait une très mauvaise rencontre.

  • Il faut que je montre quelque chose à la sacrieur que tu héberges en ce moment, dit calmement le jeune homme. Ce sera l'affaire de quelques instants, ensuite je m'en irai si c'est ce que tu veux.
  • Ce que je veux, c'est que tu partes MAINTENANT ! lui envoya Zankioh au visage avec une férocité qu'Ecarlia n'aurait jamais soupçonnée chez lui.
  • Je regrette, mais c'est impossible. Je dois lui parler.
Ecarlia prit la décision de mettre fin à tout ça. Elle sorti et fit à son tour face au crâ, le visage impassible.
  • Je suis là, c'est bon, dit-elle. Montrez-moi ces affiches.
Nathaniel afficha un léger sourire, qu'Ecarlia ne parvint pas à déchiffrer, avant de sortir de sa poche un rouleau de parchemin qu'il déplia devant la sacrieur.
Le portrait d'un écaflip à la carrure impressionnante y était dessiné. C'était le portrait d'un homme dans la force de l'âge, musclé, semblant rugir, et qui était éclaboussé de sang un peu partout.
Ecarlia fit un « non » exaspéré de la tête.
  • Pas du tout...il n'était pas comme ça, fit-elle en posant sa main sur son front. Il était jeune, pas aussi musclé. Et ses marques n'avaient rien à voir avec des éclaboussures grossières, elles étaient...presque comme les miennes.
Elle montra les marques rouges qu'elle avait aux bras et et sur les joues. Le crâ était attentif à tout ce qu'elle disait, et donnait toujours cette impression d'attribuer à chaque mot une importance capitale, comme s'il tentait de trouver un sens caché à ce qu'on lui racontait.
  • La description que vous me faites n'est pas vraiment celle de quelqu'un susceptible de détruire un toit entier d'un seul geste, fit-il remarquer à la sacrieur après un petit moment de réflexion. Vous êtes certaine de vos souvenirs ?
  • Oui, absolument, répondit-elle sans hésitation.
  • Un type comme ça nous a suivi, déclara soudain Hutar.
Tous les yeux se tournèrent vers lui en même temps, tout particulièrement ceux de Nathaniel. Le sadida un peu gêné par cette soudaine attention se dépêcha de terminer sa révélation :
  • Jusqu'à la cité d'Astrub en tout cas. Si ça se trouve il ne nous suivait pas du tout, je ne l'ai plus vu une fois en ville...
  • Dans ce cas, il n'y a pas de raison que j'enquête dans ce sens, n'est-ce pas ? s'empressa de dire Nathaniel. Très bien, merci pour ces informations, ma chère...mais je n'ai pas le plaisir de connaître votre nom ? fit-il d'une voix mielleuse à la sacrieur.
  • Ecarlia.
  • Ma chère Ecarlia. J'espère que nos chemins se recroiseront dans de meilleures circonstances.
Sur ce, il tourna les talons, et en quelques foulées rapides disparu dans une ruelle.



  • « Ma chère Ecarlia » ?!? Une explication, vite ! vociféra un Zankioh furieux.
Il venait de refermer la porte de chez lui, et Ecarlia pouvait sentir dans son regard une colère franche tournée contre elle.
  • D'abord, explique-moi TOI qui est ce type et ce qu'il t'a fait pour que tu le détestes à ce point, répondit-elle avec un air de défi.
  • C'est probablement l'une des pires ordures de ce monde, voilà qui c'est ! cria-t-il, faisant sursauter d'un seul tenant Pam et Hutar. Ecarlia ne broncha pas.
  • Il ne m'a pas semblé si monstrueux à moi, répliqua-t-elle. Je le trouve poli et calme, même si j'avoue qu'il est un peu inquiétant.
  • Ne crois pas ça Ecarlia, intervint Hutar d'une voix posée. Nathaniel est vraiment une personne dangereuse. Il n'obéit à rien d'autre que lui-même, et il est prêt à tout pour obtenir ce qu'il veut. Je ne sais pas ce que tu as à voir avec lui, mais il vaut mieux pour toi que ça se finisse le plus vite possible, et ne plus jamais le recroiser.
  • J'ai du mal à croire qu'il soit à ce point mauvais...dit Pam. Il n'avait vraiment pas l'air méchant, Ecarlia a raison.
  • Ça c'est parce que tu ne le connais pas aussi bien que moi ! pesta Zankioh. Ecarlia, je veux savoir immédiatement d'où tu le connais !
La sacrieur soupira comme une adolescente. Elle avait l'impression de se retrouver dans une scène de ménage avec Gilles et Prune...à la différence près que cette fois il était question de ses fréquentations au lieu de sa queue.
  • Je l'ai rencontré il y a quelques heures seulement, finit-elle par avouer à contrecœur. Son toit a été détruit par une personne dont j'ai vu le visage, et il a dit qu'il venait juste pour me demander si l'avis de recherche qu'il compte faire afficher lui ressemble, c'est tout !
  • J'avais bien comprit alors, il parlait de son toit ? fit Hutar surpris. Tu veux dire qu'il a une maison ici, à Astrub ?
  • Oui, il en a une depuis longtemps, répondit Zankioh. Je vois mal comment quelqu'un pourrait détruire un toit entier, surtout le sien, mais en quoi est-ce que ça peut le gêner, puisqu'il n'habite pas dans sa maison ? Je suis certain qu'il prépare quelque chose !
  • Comment est-ce que tu peux savoir ça ? interrogea Ecarlia, une pointe de suspicion dans la voix. Qu'il n'habite pas chez lui ? Tu le fais suivre peut-être ?
  • Je le sais, c'est tout ! Et pas la peine de changer de sujet !
Il tendit son doigt vers Ecarlia, et déclara d'une voix forte et vibrante de colère :
  • En attendant, toi, tu peux te vanter d'avoir quasiment tué une personne aujourd'hui ! Je te félicite, vraiment tu as fait très fort !
Sur ce, il parti en furie vers l'escalier qui menait à l'étage, grommelant des choses peu élogieuses, et mit ainsi fin à la conversation.
Ecarlia resta bouche bée face à ce qu'il venait de lui lancer à la figure. Elle venait de tuer quelqu'un ? Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Elle tourna encore une fois ses yeux vers ceux d'Hutar, cherchant chez le sadida plus calme que Zankioh une explication à cette accusation morbide.
Il semblait avoir une fois de plus très bien saisi les paroles de son ami, car il hochait gravement la tête en regardant Ecarlia d'un air réprobateur. La sacrieur ne savait plus où se mettre. Pam remarqua sa détresse montante, et décida de venir à son secourt.
  • Hutar, qu'est-ce qu'il a voulu dire ? demanda-t-elle. Pourquoi Ecarlia aurait-elle tué une personne ?
  • Et bien...en fait, je ne crois pas que Nathaniel ne fasse une grande utilisation de ces affiches, répondit-il tout en se grattant rapidement la barbe d'un geste nerveux. Il n'est pas réputé pour laisser aux forces de l'ordre le travail d'intercepter les criminels, il aurait plutôt tendance à se faire justice lui-même.
  • Alors il s'est moqué de moi en me faisant croire qu'il allait afficher ces avis de recherche ?!? s'emporta la sacrieur. En fait il voulait juste que je lui décrive celui qui a endommagé sa maison pour pouvoir tranquillement le retrouver et se venger, c'est ça ?
  • Probablement. Mais ne t'en veux pas trop à cause de ce qu'a dit Zankioh, ajouta Hutar, soucieux de protéger la sacrieur contre ses remords. Ces deux-là ont un compte personnel à régler, qui traîne depuis un certain temps...je suis même étonné que ça n'ait pas éclaté à l'instant où ils se sont vus.
  • Mais il s'est servi de moi ! cria-t-elle folle de rage, aussi bien à l'encontre du crâ que d'elle-même. Il m'a manipulée pour arriver à ses fins ! J'ai été complètement naïve !
Hutar secoua la tête.
  • Ne t'en veux pas, répéta-t-il. Nathaniel est un véritable artiste de la parlote et de l'embobinage. Je pense que je ne l'ai jamais vu convaincre qui que ce soit de faire ce qu'il voulait par la menace. Il est intelligent et calculateur, il sait très bien manipuler une personne pour arriver à ses fins. Vu que tu ne le connaissais pas, tu ne t'es pas méfiée, voilà tout...et de toute façon, même si ça avait été le cas, il aurait sans doute réussi à te faire cracher le morceau d'une façon ou d'une autre.
Il n'avait jamais recourt à la menace ? Pourtant, Ecarlia se souvenait encore parfaitement avoir été tenue en joue par un arc à trois mètres à peine. Est-ce que ça avait été une autre manipulation ?
Elle était en train de se rendre compte que le jeune homme l'avait bernée presque du début à la fin. Et maintenant, s'il retrouvait le jeune écaflip avant elle, peut-être qu'elle ne saurait jamais qui était-ce, et pourquoi il était intervenu pour lui sauver la vie. Quelle idiote elle avait été !


Un bourdonnement se fit petit à petit entendre dans la pièce, où plus personne désormais n'osait dire un mot. Ils étaient tous les trois perdu dans leurs pensées profondes, et mirent plusieurs instants à se rendre compte de ce bruit qui s'amplifiait.
  • Vous entendez ? D'où ça vient ? demanda Pam en tendant l'oreille.
Ils cherchèrent des yeux et des oreilles d'où provenait le son, et leurs regards finirent par se poser en même temps sur la pierre venue de l'espace, que Hutar avait posée sur la table en bois lorsque Nathaniel avait frappé à la porte.
Le bruit provenait de toute évidence de la pierre.
Ecarlia s'approcha, et toucha la surface rugueuse du bout des doigts.
  • Elle...vibre, dit-t-elle d'une petite voix.
Trois coups répétés à la porte.
Ils se retournèrent en même temps vers le panneau de bois qui donnait sur la rue. Puis ils regardèrent à nouveau la pierre. Elle continuait de vibrer.
Trois nouveaux coups.
Hutar, qui sorti le premier de l'effet de surprise qu'avait provoqué ce nouveau prodige, prit l'initiative d'aller ouvrir, mais chuchota aux filles en passant :
  • Si jamais ce satané crâ est revenu, comptez sur moi pour lui botter le train !
Il tourna la poignée et ouvrit la porte.
Un instant de silence total et oppressant s'installa, et l'atmosphère se tendit si brusquement qu'Ecarlia aurait été certaine de la casser en bougeant ne serait-ce que le petit doigt.
  • Oh, je vois, dit-il à voix haute lorsqu'il eut fini de découvrit le visiteur. Je m'attendais à tout sauf à ça.
La sacrieur et la pandawa étirèrent le cou pour essayer de voir quelque chose derrière la silhouette massive du sadida. Celui-ci s'écarta et fit silencieusement signe à l'inconnu d'entrer.
Ecarlia étouffa un cri de surprise, et dû mobiliser tous ses efforts pour ne pas sauter au plafond.


Un jeune écaflip à la fourrure blanche, constellée de motifs rouge sang, avec une grosse épée sombre fermement attachée dans son dos, franchit le pas de la porte en disant un « merci » timide à Hutar.
Il avança jusque dans le milieu de la pièce, sans dire un mot, et y resta debout les bras ballants, tandis que Hutar refermait doucement la porte.
Ecarlia ne savait absolument pas quoi dire ou faire. Juste se taire pour attendre une explication ? Se jeter sur lui comme une furie, le maintenir solidement au sol pour l'empêcher de fuir encore une fois, et lui faire cracher toutes les réponses à toutes les questions qu'elle voulait lui poser, en même temps que quelques dents si besoin était ?
En tout cas, parmi toutes les possibilités de réaction qu'il y avait, c'était celle-ci qu'elle avait le plus envie d'essayer. Il méritait au moins ça !
Mais Pam brisa ce mutisme qui semblait s'être profondément incrusté chez les trois autres personnes présentes dans la pièce avant que la sacrieur, dont la colère montait dangereusement, ne brise un bras. Elle décida d'engager la conversation, comme seuls les pandawas, si doués dans l'art de l'éloquence, étaient capables de le faire :
  • Mon amie m'a raconté que c'est grâce à vous que nous sommes encore en vie, commença-t-elle. Vous vous êtes battu contre ces bandits pour nous aider. Je vous en remercie du fond du cœur.
Elle s'inclina, comme le voulaient les us de Pandala, pour lui signifier sa gratitude. Ecarlia se rappela la façon dont le jeune écaflip lui était effectivement venu en aide, alors même qu'elle se serait très certainement faite tuer par ces brigands, sans qu'elle ne lui ait demandé quoi que ce soit, et sans rien attendre en retour.
  • De rien, répondit-il en se tortillant les doigts. Vous aviez l'air en danger, alors j'ai...heu...pas réfléchit. Et vous pouvez me tutoyer mademoiselle, je n'ai que 16 ans !
Il était gêné. Ce garçon était timide. Où était passé le tueur à l'aura démoniaque qu'elle avait vu dans cette ruelle ? Où était celui qui, après avoir monté sur les toits de la ville en quelques bonds, en avait balayé un d'un seul geste ? Il était complètement différent.
  • Très bien, tutoyons-nous alors, continua Pam avec un sourire rassurant, contente que sa tentative de conversation aie réussi. Je n'aime pas non plus qu'on me vouvoie pour tout dire. Je m'appelle Pam.
Elle tendit lui tendit sa main, et après un court instant d'hésitation, l'écaflip lui serra amicalement.
  • Moi c'est Cimon.
Ecarlia arrêta d'enregistrer ce qui se dit ensuite à ce moment précis. Sa mémoire venait de l'arracher à la réalité de ce qui l'entourait.
Cimon.
Cimon.
Elle connaissait ce nom.
Il lui faisait mal.
Pourquoi ?
Où avait-elle entendu ce nom ?
Son ventre commença à se serrer douloureusement alors qu'elle essayait de se souvenir.
Elle en était certaine, il ne lui était pas inconnu, pas autant qu'elle aurait voulu le croire.
Mais c'était un véritable vide à l'endroit où elle aurait dû trouver ce nom. Il n'y avait rien du tout.
Et pourtant cela lui piquait la gorge et lui comprimait l'estomac.
Cimon...Cimon...
Pourquoi est-ce qu'elle n'arrivait pas à se rappeler ? Ce souvenir existait elle en était sûre ! Il était là, quelque part, tout près !
Mais en même temps si loin...si loin d'elle. Inaccessible, comme mis hors de portée...

  • Hé, Ecarlia, tu es avec nous ?
Elle se fit légèrement secouer par l'épaule, et son esprit redescendit brusquement sur terre, dans la pièce où ce Cimon était entré.
  • Oui, oui, je suis là. Désolée, j'ai eu une petite absence, s'excusa-t-elle.
  • Encore ? Ça fait la deuxième fois en deux jours ! s'inquiéta Hutar qui avait toujours la main sur son épaule, comme s'il s'attendait à devoir la réveiller une fois de plus. Chez un sadida ce serait normal, mais moins pour une sacrieur ! Tu en as souvent comme ça ?
  • Oui, ça m'arrive, mentit-elle. Mais ça va, je t'assure. Où on en était déjà ?
  • Cimon vient de s'excuser se s'être enfui tout à l'heure, et d'avoir...heu...détruit ce toit sous tes pieds, répondit Pam qui avait tout l'air d'avoir encore du mal à croire à cette histoire, même après l'avoir entendue à trois reprises.
  • Je suis désolé, j'ai paniqué...ajouta celui-ci visiblement navré. Vu que vous me courriez après, j'ai cru que vous me preniez pour un bandit aussi, alors j'ai voulu me défendre...
Ecarlia massa ses tempes douloureuses. La voix du jeune écaflip la troublait, lui était familière...elle résonnait dans sa tête, comme cherchant à toucher de son timbre ce souvenir perdu, si lointaint, mais pourtant bel et bien quelque part.
  • Ce n'est rien, fit-elle d'une voix fatiguée. Pas grave. Je ne me suis pas blessée...
  • Vous ne sentez pas quelque chose ? demanda Hutar.
Soudainement prise d'une grande fatigue, elle s'assit sur la table qui était juste derrière elle, et sa main rencontra quelque chose de dur et tiède qui roula sur le boit.


La pierre. Elle ne vibrait plus. Personne ne s'en était rendu compte, l'apparition incongrue de Cimon avait été encore plus incroyable que l'étrange morceau de caillou noirci, si bien qu'à tous, cela leur était sorti de la tête.
Ecarlia se retourna pour prendre la pierre, qu'elle trouvait rassurante par sa chaleur, dans ses mains.
Mais elle se ravisa.
Le bois avait littéralement brûlé à son contact. La table était creusée sur plusieurs centimètres à l'endroit où l'objet reposait quelques instants plus tôt, et ce devait être l'odeur de brûlé qui avait alerté Hutar. La pierre avait été si chaude que le bois restait rouge comme la braise à certains endroits, mais pas une seule flamme ne s'était formée.
Par réflexe, Ecarlia se saisi de la pierre pour l'éloigner de ce phénomène, même si ce geste lui sembla par la suite tout à fait ridicule. Elle parvenait encore à la tenir entre ses mains sans le moindre problème, alors même qu'elle venait de la voir brûler la table en bois à une vitesse impressionnante.
Hutar eut un mouvement de recul, tout comme Pam. Ils se protégeaient le visage de leurs mains, comme s'ils étaient aveuglés par quelques chose.
  • Bon sang ! Elle me chauffe la barbe d'ici ! s'exclama Hutar. Qu'est-ce qui se passe ? Elle doit être au moins aussi brûlante qu'un brasier de forge !
  • Ecarlia...repose-la, supplia Pam. Elle...elle est vraiment trop chaude, ça me me chauffe le visage à moi aussi. S'il te plaît, repose-la !
  • Elle va finir par mettre le feu quelque part si ça continue ! surenchéri Hutar.
Ecarlia ne comprenait pas. Comment pouvait-elle ne rien ressentir ? Elle était une sacrieur, certes, donc la douleur ne la gênait pas, ou alors très peu, mais elle la sentait comme tout le monde ! Pourquoi sa peau n'était-elle pas en train de se couvrir de cloques, voire même de s'enflammer ?
Cimon non plus ne semblait pas du tout affecté par la chaleur infernale qui faisait reculer Pam et Hutar. Il fixait la pierre avec admiration, peut-être même un soupçon d'adoration. Il n'avait presque pas l'air surpris.
  • Tu avais raison, murmura-t-il. Il me répond...il me reconnaît.
L'écaflip s'approcha d'Ecarlia qui tenait fermement la pierre contre elle, de la façon dont il se serait approché d'un dieu vivant. Il marchait lentement, calmement, le visage exulté, on aurait presque dit qu'il était ralenti dans ses mouvements par une quelconque magie xélorienne.
  • Que...qu'est-ce qu'il fait ? Ça devient de plus en plus chaud ! Recule, tu vas être brûlé idiot ! lui cria Hutar en s'éloignant lui-même de plus en plus.
Mais Cimon ne l'écoutait pas. Il semblait quasiment hypnotisé par Ecarlia et le monolithe qu'elle tenait. Elle, trop subjuguée par ce qui arrivait, n'osait même plus bouger un doigt. La main de l'écaflip effleura la surface rugueuse et noire, juste l'espace d'une seconde.


C'est alors que la pierre se fissura. Un craquement sonore retenti, le même genre de craquement que l'on entendrait si une montagne se cassait en deux. Une vive et aveuglante lumière dorée jailli de la fissure, faisant détourner la tête à Ecarlia et à l'écaflip. Hutar et Pam crièrent de douleur.
Ecarlia ouvrit les yeux, et pu voir que la table était maintenant en train de brûler véritablement. Des flammes commençaient à la lécher, tout comme la plupart des objets en bois présents dans la pièce. Le papier quant à lui s'enflammait instantanément. Les livres noircissaient et tombaient en cendres à une vitesse folle.


Pam réagit presque immédiatement. Elle frappa le sol de son pied, faisant jaillir de nulle part une grande vague écumante. Mais au lieu de l'envoyer balayer tout ce qu'il y avait face à elle, la main de la pandawa sembla la saisir en pleine course, et la vague se mit à tournoyer autour d'elle et de Hutar, formant ainsi un mur d'eau rugissant et protecteur, mais à travers lequel ils ne voyaient plus rien.
La pierre spatiale continuait de se fissurer par à-coups, émettant une lumière de plus en plus forte, qui dégageait à chaque fois une énergie telle que la sacrieur pouvait la ressentir au plus profond de son corps et de son esprit, même si elle n'avait pas conscience du brasier qui l'entourait. L'écaflip regardait la météorite se briser petit à petit comme un œuf avec des yeux vides, complètement absorbé par ce spectacle à la fois magnifique de cette lumière solaire, et terrifiant de cette énergie brûlant tout autour d'elle.


Soudain, Ecarlia entendit un « tchac » bien net. Comme si quelque chose se plantait dans du bois. Affolée, elle se tourna vers la porte ignifugée de la maison, qui n'avait pas la moindre trace de brûlé à sa surface. Quelqu'un venait-il de frapper ? Il ne fallait surtout pas que cette personne entre !
Une explosion violente dispersa la solide porte en petits éclats dans toute la pièce, coupant court à son inquiétude. Elle les projeta elle et Cimon au sol comme de vulgaires pantin. Parmi les débris qui retombaient, une silhouette se détacha, qui tenait un objet brillant ressemblant à un arc.
  • Bon sang, quelle chaleur ici ! s'exclama une voix amusée. Il ne se passe rien de grave au moins ? Je ne voudrais pas qu'il soit abîmé avant que je m'en soit occupé !
Ecarlia reconnu la personne qui se tenait devant elle avant même d'avoir vu son visage. Nathaniel était revenu.
Cimon s'était prit la tête contre le mur en tombant, et se massait douloureusement le crâne en se relevant.
  • Alors c'est toi qui a amoché ma maison ? fit le crâ en voyant le voyant pour la première fois. La description était assez fidèle, je le reconnais. Je n'avais jamais vu un écaflip avec une telle fourrure.
  • Vous êtes qui vous ?!? demanda Cimon avec rage en faisant face à l'agresseur.
  • Je viens de te le dire. Je suis celui à qui appartenait la maison dont tu as détruit le toit. Pas de chance d'être tombé sur moi d'ailleurs, ajouta-t-il alors qu'il levait de nouveau son arc lumineux.
Une flèche à la pointe rouge clignotante apparu comme par magie, déjà encochée sur l'arc, et le crâ la tira avec une vitesse et une précision mortelle droit sur l'écaflip.
Un réflexe salvateur le fit plonger sur le côté au moment même où la flèche partait, et le projectile alla se ficher dans le mur à moins d'un mètre d'Ecarlia, qui, encore sonnée, ne la vit même pas.
Le visage de l'écaflip se teinta d'horreur. Il sauta sur elle pour la tirer brusquement en arrière avec une force surprenante pour sa constitution.
L'instant d'après, la flèche explosait, les jetant de nouveau à terre.
  • Hé ! Mais qu'est-ce que tu fais là toi ?!? gronda Hutar dont la bulle protectrice venait de tomber.
  • Il est en train de les attaquer ! s'alarma Pam tandis qu'elle relâchait son contrôle sur l'eau tourbillonnante.
La vague mit une fraction de seconde à suivre la volonté de la pandawa, et déferla à travers la pièce droit sur le crâ. Il mit environ autant de temps à encocher une nouvelle flèche magique et à la décocher. Face au torrent d'eau, un torrent de flammes jailli lorsqu'il tira, et les deux éléments s'annulèrent l'un l'autre dans un nuage de vapeur.
Mais Hutar ne regardait pas la scène sans rien faire. Il frappa le sol du plat de sa main, et une longue ronce perça le plancher, pour ensuite se dresser tel un serpent épineux en direction de Nathaniel. Venant à peine de contrer la colère de Pam, celui-ci réagit pourtant incroyablement vite et décrocha de son dos une grosse hache dont la couleur du métal rappelait celle de flammes dansantes. D'un coup rapide et précis, il coupa net la ronce qui manqua le toucher de ses épines acérées. Puis il encocha une nouvelle flèche explosive, et la tira pile entre ses deux adversaires.
Le redoutable projectile explosa en plein vol, envoyant valser Pam et Hutar contre les murs.
Le crâ se retourna ensuite vers Cimon, qui se relevait encore en aidant Ecarlia par la même occasion. Il fit apparaître une flèche enflammée sur son arc, et, le sourire aux lèvres, visa la tête de l'écaflip.
Le trait parti, déclenchant une véritable tempête de feu sur son passage, qui englouti les deux cibles. Et pourtant, Nathaniel vit de ses yeux les flammes se dissiper et les corps de ses cibles intacts de relever précipitamment. Il ne mit pas longtemps avant de comprendre le pourquoi de ce miracle.
Zankioh venait d'apparaître dans l'escalier, alerté par tout ce bruit, et sa main tendue vers les deux corps qui auraient dû brûler était le signe d'un sort protecteur lancé au dernier moment.
« Quelle chance insolente... » songea Nathaniel en se disant qu'il allait devoir faire face à cinq adversaires en même temps à présent. Mais tant pis, il ferait face. Il avait confiance en ses capacités, et surtout en son équipement. C'était probablement les seules choses qui ne l'avaient jamais trahi.
  • Je vais te tuer Nathaniel. Tu ne me prendras d'autres de mes amis, déclara l'eniripsa avec une froideur tout bonnement terrifiante.
  • En voilà une façon de me remercier Zankioh ! railla-t-il. Je viens de sauver ta maison, il était train d'y mettre le feu ! Tu pourrais être plus aimable.
En guise réponse, l'eniripsa prononça un mot inconnu d'Ecarlia, mais qui résonna atrocement dans son esprit, comme si c'était la chose la plus violente qui puisse être dite.
Nathaniel tituba sous l'impact d'un coup invisible, et se protégea les oreilles aussitôt après.
Zankioh prononça de nouveau ce mot, et Ecarlia en ressenti la puissance et la haine jusque dans son corps, qui se mit à la chauffer très désagréablement. Elle n'osait imaginer ce que ressentait le crâ, vers qui ce mot était tourné.
Mais Nathaniel semblait impossible à déstabiliser. Avec une grimace de douleur, il banda de nouveau son arc et tira sur Zankioh une seule flèche bleutée et lumineuse.
Zankioh n'eut pas le temps de l'esquiver, et reçu le projectile en plein dans l'épaule.
Et, chose difficile à comprendre, les deux adversaires crièrent de douleur en même temps et en portant la main à leur épaule.
  • Ça suffit !
Cimon s'était relevé et mit en travers des ennemis.
  • Je vous paierai les réparations de votre maison ! cria-t-il à l'encontre du crâ. Mais arrêtez ça !
  • Des réparation ? s'indigna Nathaniel comme si cette possibilité ne pouvait même pas être envisagée. Mais ce que tu as détruit ne pourra jamais être réparé ! Tu crois que je m'occuperais de ton cas pour une simple affaire de toit démoli ? Idiot !
Il brandit sa hache et l'abattit avec rage en direction de l'écaflip. L'épée sombre fendit l'air et stoppa l'arme du crâ dans une pluie d'étincelles. Surpris par une telle rapidité, celui-ci essaya de frapper une nouvelle fois de toutes ses forces de la lourde lame, mais son coup fut paré avec la même aisance par le jeune combattant. Soudain effrayé, Nathaniel fit un pas en arrière
  • Partez d'ici, ordonna Cimon en pointant vers le crâ son inquiétante épée, d'une voix qui n'avait plus rien à voir avec celle qui était sortie de sa gorge quelques instants auparavant.
Ecarlia écarquilla les yeux, car elle avait déjà entendu cette voix. Cette voix à la fois féminine et masculine, qui semblait venir d'outre-tombe.
  • Non, ne le laisse pas partir, il doit payer pour tout ce qu'il a fait ! intervint Zankioh déjà prêt à en découdre de nouveau, alors qu'il venait tout juste de retirer la flèche de son épaule meurtrie.
Ecarlia sentait le froid commencer à émaner de l'écaflip, et l'air autour de lui se déformait, comme s'il devenait petit à petit solide.
  • Ce n'est pas à lui qu'il parlait, dit Ecarlia.
Elle s'éloigna prudemment de l'écaflip, sans le quitter des yeux. Nathaniel ne bougeait plus non plus, il restait en position de garde, essayant de comprendre ce qui se passait chez son nouvel adversaire.
  • On doit s'en aller, déclara-t-elle inquiète.
  • Quoi ? Hors de question ! Je veux le voir me supplier de l'épargner ! hurla Zankioh fou de rage. Ce monstre a fait trop de mal, je ne peux pas le laisser s'en tirer !
  • Zankioh, fait-moi confiance ! Il faut qu'on parte avant que...
Elle ne termina pas sa phrase. Cimon venait de bondir l'épée en avant et de frapper Nathaniel avec une force stupéfiante. Le crâ, bien qu'ayant vu venir le coup et réussi à mettre sa hache en opposition, fut tout bonnement jeté sur le côté par la force de l'impact.
Il se releva avec souplesse et célérité, et décocha une autre flèche bleutée vers Cimon. Le trait fut attrapé en plein vol par la seule main de l'écaflip, et la flèche disparu, n'ayant pu se planter nulle part.
Nathaniel ne se laissa pas déstabiliser pour autant, et tira une rafale de feu droit sur la tête de l'écaflip. Il se protégea en plaçant le tranchant de son épée devant lui, et sembla découper le jet de flammes en le déviant sur les côtés.
Puis il contre-attaqua. Son bras décrivit un arc de cercle vertical descendant, et au moment où l'épée frôla le sol, une onde choc déferla en direction du crâ en creusant le plancher jusqu'à la terre sur son passage. Nathaniel sauta sur le côté juste à temps pour éviter de subir le même sort que le mur. Celui-ci fut tout bonnement soufflé par l'onde de choc, aussi facilement qu'on souffle une fleur de pissenlit.
  • Du calme Cimon, arrête ! Tu vas faire s'écrouler la maison ! lui cria Hutar qui venait de se relever après la flèche explosive que le crâ leur avait envoyé à lui et à Pam.
L'écaflip se tourna vers lui, et sans aucune hésitation, recommença son geste dans sa direction.
Pam plongea sur le sadida et le bouscula assez pour qu'il tombe hors de la trajectoire de l'onde de choc mortelle.
Cependant, ce ne fut pas son cas.
Ses jambes reçurent l'attaque au niveau des genoux. Un craquement sonore retenti, suivi d'un hurlement de douleur de la pandawa. Le mur derrière elle vola à son tour en éclats.
Ecarlia dégaina ses sabres, et se rua sans plus attendre sur l'écaflip qui avait complètement perdu la raison.
° Enfin de l'action ! Vas-y, rase-le de près ce cinglé !
La sacrieur frappa un premier coup, paré sans difficulté par Cimon, puis un deuxième aussitôt après, si rapide que l'écaflip peina à l'arrêter. La jambe d'Ecarlia faucha l'air et alla cogner l'estomac de Cimon avec un bruit sourd.
Mais il ne se plia pas en deux sous la douleur du coup. Il restait parfaitement droit, comme s'il n'avait pas senti le pied s'enfoncer dans son ventre. Sa main enserra la cheville d'Ecarlia, et il lança la jeune femme à l'autre bout de la pièce sans aucune difficulté apparente.
Elle heurta un mur encore intact, faisant tomber une étagère noircie et tous les objets qui reposaient dessus en plein sur elle. Cimon lui fonça dessus, l'épée levée.
Mais il fut frappé sur le côté et mit à terre par une décharge d'énergie venant de...Nathaniel. Le crâ s'était relevé et avait tiré sur l'écaflip, sauvant par la même occasion la vie de la sacrieur. Un autre tir du même genre repoussa Cimon encore plus loin.
Zankioh intervint alors, et prononça vers Cimon le même mot qui avait permit d'immobiliser le craqueleur géant dans les montagnes. Des filaments d'or enserrèrent les pieds de l'écaflip, l'empêchant de se mouvoir avec facilité.
  • Pam est blessé ! Il faut partir Zankioh ! cria Hutar dans le feu de la mêlée.
Il était penché au-dessus de la pandawa à terre, qui gémissait en se tenant les jambes. Sans attendre la décision de l'eniripsa, il sorti une fiole bleu foncé de sa sacoche et la fit boire à Pam. L'instant d'après, elle avait disparu.
  • Retrouve-nous à la milice ! lui lança-t-il juste avant de boire lui-même le contenu d'une autre fiole et de disparaître.
Désormais, il n'y avait plus que Zankioh, Nathaniel et Ecarlia pour faire face à l'écaflip déchaîné. Il avait d'ailleurs déjà réussi à se débarrasser de ses entraves magiques, et toisait férocement les trois combattants qui lui résistaient.
Il regarda Ecarlia, qui se relevait après son choc contre le mur, et, jugeant qu'elle serait la plus facile à tuer en première, lui envoya une nouvelle onde de choc. La sacrieur n'aurait jamais pu l'éviter sans l'aide de Zankioh, qui d'un de ses mots magiques la poussa d'un mètre à peine sur le côté, mais juste assez pour que la vague d'énergie malsaine n'emporte que le mur et rien d'autre. Nathaniel réagit ensuite et tira l'un de ses traits enflammés sur Cimon. Encore une fois, il réussi à le dévier, mais il ne vit pas la seconde flèche plus petite, qui vint se ficher dans son avant-bras qui tenait l'épée.
Celui-ci se mit à geler autour du projectile, jusqu'au coude. Étonné, mais ne semblant pas souffrir le moins du monde, il retira la flèche et tapa sur la glace qui emprisonnait son bras. Ecarlia profita de cet instant pour attaquer. Elle donna un coup de poing dans sa direction, et le souffle d'air frappa l'écaflip en pleine poitrine.
Cette fois, il en eut visiblement le souffle coupé. Elle donna un autre coup de poing rapide, qui fit encore mouche au même endroit, repoussant l'écaflip sonné contre le mur. Elle recommença une troisième fois, et visa cette fois la tête. Écrasé à la fois par la paroi et la puissance du souffle, l'écaflip tituba quelques instants, instants que Ecarlia mit à profit pour courir aller fouiller des débris de l'autre côté de la pièce.
Elle trouva par chance la pierre noire tout de suite, bien qu'elle eut arrêté de briller ou de vibrer. Mais les craquelures étaient toujours visibles à sa surface.
  • Zankioh ! cria-t-elle en se précipitant vers l'eniripsa. Il faut qu'on s'en aille ! Fait-nous partir d'ici !
Cette fois, il ne protesta pas. Il sorti d'une poche de sa veste la même fiole qu'avait utilisée Hutar, et la donna à Ecarlia. Puis il bu le contenu d'une autre fiole et disparu.
La sacrieur jeta un dernier regard à l'écaflip qui reprenait ses esprits, et à Nathaniel qui le tenait déjà en joue. Elle avala la potion bleue.


***

  • On dirait que ça va se jouer entre toi et moi alors, dit Nathaniel à l'écaflip.
Il ne répondit pas. Il se contenait de le fixer intensément, et dans ses yeux le crâ pouvait deviner une présence. Une conscience autre que celle du jeune homme de seize ans à peine, qui lui donnait ces pouvoirs démoniaques et en faisait une machine à tuer.
  • Je ne sais pas qui tu es, ni d'où tu viens, mais peu m'importe. Je refuse de mourir avant d'avoir pu te tuer d'abord, déclara-t-il.
  • Tu n'as aucune idée de ce dans quoi tu t'es impliqué, répondit l'écaflip de sa double voix terrifiante. Et tu n'as aucune raison d'y rester impliqué. Oublie-moi avant qu'il ne soit trop tard pour toi.
  • Désolé...mais tu as fait quelque chose que tu dois payer par le sang. Je ne te laisserai pas filer.
  • Soit.
Ce qui contrôlait Cimon leva son épée au-dessus de sa tête. Une brume noire se mit à monter du sol, et à tourbillonner autour de lui comme une tornade. Nathaniel sentait la brume glacée pénétrer ses poumons et le vider de son énergie. Les ronces que le sadida lui avaient envoyés se ratatinaient et pourrissaient à vue d'œil. Ses membres devenaient atrocement lourds...
Il n'allait pas se laisser faire.
Une flèche fusa à la vitesse de l'éclair et alla se planter dans le dernier mur intact. Il explosa l'instant d'après. Cela ne troubla en rien l'écaflip, qui continuait à s'enveloppait d'un manteau de mort noir.
Mais Nathaniel savait ce qu'il faisait. Réunissant les forces qui lui restaient, il sauta dans la rue par le trou que l'écaflip avait fait dans un des murs, et s'éloigna en courant de plusieurs mètres.
  • Tu as fait le bon choix mortel ! lui cria Cimon en baissant son épée quand il le vit s'enfuir.
Un grondement terrible suivi la fuite du crâ. Celui-ci se retourna après s'être suffisamment éloigné, et tira une autre flèche qui vint se planter tout en haut de la maison de Zankioh.
L'écaflip comprit alors ce qu'il voulait faire, mais trop tard. Un hurlement sinistre s'échappa de sa gorge. La flèche explosa, et la totalité de la maison s'écrasa sur lui en un instant.




Nathaniel inspira profondément. Quel adversaire redoutable ! Ce gamin était probablement possédé par un démon, ce qui expliquait ses pouvoirs dévastateurs. Mais il avait libéré le pauvre écaflip de son bourreau. Sans corps, ce démon n'avait sans doute que peu de pouvoirs. Il était certainement prisonnier dans l'épée sombre que le garçon tenait tout au long du combat. Le plus sûr était d'aller chercher cette épée dans les décombres et de la détruire, car le prochain qui la trouverait redeviendrait le pantin du démon, pourvu que sa volonté soit faible, et celui-ci voudrait se venger à coup sûr.
Le crâ attendit donc quelques minutes à bonne distance, le temps qu'il s'assure que plus rien ne bouge, avant de se rapprocher prudemment des décombres fumants. Il marcha au milieu des gravas, et en quelques coups de flèche repoussante réussi à dégager la zone où le jeune écaflip se trouvait avant d'être écrasé.
Mais la seule chose qu'il trouva, ce fut un pot cassé. Aucune trace de l'écaflip.
Inquiet, il décida de fouiller le reste de la ruine. Au bout d'une heure, alors que la nuit commençait à recouvrir le ciel, il avait retrouvé sa hache, tombée lors de son combat, mais pas d'épée sombre.
L'écaflip avait disparu.


Nathaniel prit la décision de quitter la ville au plus vite dans les minutes qui suivirent. Si le démon avait disparu d'ici, cela voulait dire qu'il était réapparu ailleurs, et il devait trouver où. Il avait d'ailleurs une petite idée sur la question...
Le sadida avait mentionné le fait qu'ils étaient suivis par cet écaflip depuis un certain temps. Il avait alors eu tout simplement l'idée de surveiller la maison et d'attendre qu'il se pointe de lui-même, ce qui avait été plutôt fructueux.
Donc, pour retrouver l'écaflip, il fallait juste qu'il retrouve le groupe de cette sacrieur et qu'il attende.
Le seul problème, c'est qu'ils avaient tous bu une potion qui les avait emmenés à Bonta...il allait avoir du mal à les atteindre là-bas.


Dernière chose à faire dans ce cas : trouver des alliés de taille, et de préférence qui ne posaient pas trop de questions. Ça tombait bien, il était à Astrub. La cité des mercenaires.
Chapitre XIV (14)
Chapitre 14




Ecarlia cru tout d'abord que la potion n'avait pas fait effet. Elle n'avait rien ressenti, et alors qu'elle avait bu d'un trait le liquide bleu exactement comme Zankioh et Hutar, qui avaient disparu l'instant d'après, elle n'avait pas bougé d'un poil. Paniquée, elle regarda tour à tour Nathaniel et Cimon, craignant de les voir se jeter sur elle à tout instant.


Mais ils ne semblaient même plus la voir.
Nathaniel était en train de dire quelque chose à l'écaflip, et celui-ci avait l'air d'écouter attentivement, sans faire le moindre mouvement, sans l'interrompre. Elle n'entendait en revanche plus rien du tout de la scène.
Soudain, Ecarlia eut l'une des sensations les plus étranges de sa vie. Elle avait l'impression d'être à deux endroits différents en même temps. L'un de ces deux endroits était la maison dévastée de Zankioh, avec Nathaniel et Cimon qui se faisaient face silencieusement. L'autre elle ne le connaissait pas. Elle voyait beaucoup de personnes, un sol et des murs très clairs, très propres, ainsi qu'un vieil homme à la barbe blanche bien entretenue qui discutait avec de jeunes gens.
Et tout ça, elle le voyait exactement en même temps, dans un silence total.


Puis des bruits commencèrent à lui arriver aux oreilles. C'était plus un brouhaha montant que de véritables mots, mais elle percevait tout de même des morceaux de conversations par-ci par-là. Ensuite, sa vision de la confrontation entre Cimon et Nathaniel devint plus trouble que celle de la place inconnue.
Enfin non, elle n'était pas vraiment plus trouble...elle avait plus l'impression qu'elle devenait une sorte de souvenir. Oui, voilà, un souvenir. Elle ne voyait plus la scène que dans son esprit, certes encore toute fraîche, mais néanmoins grâce à sa mémoire et non ses yeux.
En revanche, l'autre endroit devenait rapidement plus réel, cohérent. Après l'image et les sons, elle commença à percevoir les odeurs, puis le sol sous ses pieds. Elle avait toujours la sensation de n'être là qu'en spectateur, mais quel spectacle stupéfiant de réalité ! C'était comme si elle y était !


Et d'un coup, elle fut lâchée et plein milieu de cette scène à laquelle elle assistait. Son corps reprit le contrôle de la situation, l'air frais du soir vint au contact de sa peau, et le sol de ses pieds. Des brûlures se firent connaître à plusieurs endroits de son corps à ce moment-là, alors qu'elles se faisaient discrètes auparavant.
Ecarlia tituba légèrement suite à cette expérience troublante. Elle avait déjà entendu parler de ces potions de voyage instantané, mais elle n'imaginait pas ça comme ça. Elle avait imaginé que c'était plus...instantané.
Elle eut d'autant plus de mal à garder son équilibre que la foule qu'elle avait cru voir pendant ce long moment où elle avait été « ailleurs », se révéla bien plus grande en réalité. À plusieurs reprises elle fut bousculée sans aucune excuse, et manqua de tomber bêtement.
Heureusement, elle parvint rapidement à se stabiliser au milieu de tout ce monde qui remuait sans cesse. Maintenant, restait à comprendre où est-ce qu'elle se trouvait. Et aussi où étaient passés Zankioh, Hutar et Pam.


Où était-elle ? Au vu des murs blanc-beige, de l'architecture simple et chaleureuse de l'immense bâtiment dans lequel elle venait d'atterrir, il ne faisait aucun doute qu'elle était à Bonta, la « cité des anges ».
Où étaient ses compagnons était une question à laquelle il était plus difficile de répondre. Mais elle ne tarda pourtant pas à y trouver une réponse on ne peut plus précise.
Elle remarqua qu'à un certain endroit, la foule formait un cercle dense et poussait des « hooo, la pauvre » et des « haaa, j'ai connu ça moi aussi... ». Au milieu de ces propos dénués d'intérêt, une voix masculine puissante criait : « Allez, place ! Poussez-vous ! Laissez-lui de l'air ! Tenez, faites encore mieux, fichez-moi le camp tout de suite, avant que je ne m'énerve ! »
La sacrieur reconnu entre milles la voix singulière de Hutar.
Jouant des coudes au milieu de la masse grouillante d'êtres vivants, Ecarlia parvint tant bien que mal à se frayer un chemin vers ce cercle de curieux. Bizarrement, certains s'écartaient d'eux-même en la voyant, comme effrayés par son apparence.
Elle ne s'en soucia pas plus, et avança jusqu'à ce qu'elle puisse enfin voir autour de quoi la foule s'était en partie rassemblée.
Zankioh était penché sur les jambes étendues de Pam, psalmodiant des mots inconnus de tous sauf des eniripsas, et Hutar tournait autour, l'air menaçant, pour repousser cette foule qui tendait à les submerger de la même façon qu'un rocher isolé se voit peu à peu engloutir par la marée.
La pandawa assise mordait son poing, le visage complètement crispé. Elle souffrait visiblement beaucoup. Ecarlia repoussa vigoureusement un gamin trop entreprenant qui s'était approché jusqu'à moins d'un mètre et qui avait déconcentré Zankioh dans son récital. Ignorant les protestations du sale môme, elle se pencha sur son amie blessée pour la soutenir dans son inconfortable position.

  • Comment vont tes jambes Pam ? s'enquit-elle. Il t'as cassé quelque chose ? Que t'a-t-il fait ?
La pandawa répondit par un signe de tête qui aurait pu être traduit par un « je n'en sais rien ! Je ne sais pas ce qui m'arrive ! » apeuré.
Ecarlia regarda les jambes de la pandawa qui retint un cri de douleur sonore. Elles étaient dans un sale état. La fourrure qui recouvrait auparavant l'endroit où l'onde de choc avait touché tombait en lambeaux de poils. Ses deux chevilles étaient déjà à nu, et cela avait l'air de se propager. La peau sous les poils avait prit une teinte affreuse. La chair semblait vieille, en train de s'assécher comme le corps d'une momie, de mourir lentement. Comme si cela ne suffisait pas, on voyait ressortir atrocement sous la peau des bosses et des traces rouges, qui montraient que les os étaient cassés net.


La pandawa hurlerait probablement comme une folle si Zankioh n'était pas en train de résorber la blessure du mieux qu'il le pouvait. D'ailleurs, l'effet de ses incantations semblait être moindre que d'habitude, car aucune guérison flagrante ne pouvait se voir sur les jambes meurtries de Pam.
  • Quelque chose m'empêche de soigner cette blessure, dit-il soudain entre deux phrases mystérieuses. Il y a une...force qui contre mes pouvoirs, je ne sais pas ce que c'est.
  • On va voir si cette « force » en est vraiment une, ou si c'est encore un petit tour de magie ridicule ! gronda soudain Hutar, que la foule pressante avait visiblement énervé au plus haut point.
Sans attendre d'en savoir d'avantage, il lança en l'air une petite graine sortie de nulle part. Il joignit ses mains en un symbole étrange, et la graine resta miraculeusement suspendue en l'air. Puis, comme si elle réagissait à un ordre muet du sadida, elle se mit à bourgeonner à une vitesse surnaturelle. Ecarlia, ébahie, regardait ce spectacle avec des yeux émerveillés.
Quel pouvoir fantastique, que celui de faire pousser ainsi des plantes ! Quelle facilité de donner la vie, d'être si proche de la nature qu'elle en vient à vous obéir au doigt et à l'œil tant elle vous considère comme un ami !
Cependant, le bourgeonnement de la graine commença vite à devenir chaotique. Elle ressemblait de plus en plus à une sorte de pieuvre aux multiples tentacules, qui se tordaient affreusement dans tous les sens.
Et tout à coup, la graine explosa. Une large ronce en jailli brutalement, et s'enfonça droit dans le sol aussi facilement que si ç'avait été de l'eau. Ecarlia senti la pierre vibrer sous ses pieds alors que le végétal poussait sous terre. Mais pour aller où ?
Pam poussa soudain un cri de surprise et de douleur. La ronce venait de jaillir du sol pile sous ses jambes blessées ! La plante s'enroula autour de ses deux jambes, toujours semblable à une horrible tentacule, et ses feuilles aussi aiguisées que de véritables épines percèrent sa peau et s'y enfoncèrent profondément.
Ecarlia lâcha Pam, qui secouait ses jambes pour se libérer de l'étreinte du végétal, et dégaina ses sabres. Il fallait trancher cette ronce avant qu'elle n'arrache les jambe de sa pauvre amie !
Mais au moment où elle allait donner le premier coup libérateur à la plante agressive, Zankioh bloqua son bras dans son élan d'une seule de ses mains. Stupéfaite par ce geste, Ecarlia n'essaya même pas de se libérer, elle se contenta de fixer Zankioh avec incompréhension.
  • Attend, ça va peut-être marcher ! lui dit-il simplement.
Quoi ? Qu'est-ce qui allait marcher ? Il avait perdu la tête en même temps que la vue ou quoi ? Cette ronce était en train de mutiler Pam !

C'est alors que la sacrieur remarqua que Pam ne criait plus. Tout aussi éberluée qu'elle, elle regardait la ronce s'enfoncer sous sa peau...sans sembler en souffrir. Ecarlia entendit murmurer dans la foule qui avait sagement décidé de rester à bonne distance : « évidemment, ronce insolente...j'aurais pensé à la même chose. Sûr que ça va marcher ! Ça ne rate jamais ! ».
Le végétal se retira soudain de la chair de Pam, qui ne fit pas la moindre grimace de douleur. Il n'y avait même aucune blessure, aucune coupure causée par la ronce. Comme si la peau se refermait d'elle-même derrière les feuilles acérées.


À peine le long serpent de bois s'était-il retiré qu'il commença à se rétracter complètement sur lui-même. On aurait dit que le film de sa croissance se déroulait à l'envers, tout bonnement. En un instant, il ne resta plus que la petite graine du départ, qui tomba simplement dans la main de Hutar.
Zankioh n'attendit pas une seconde de plus et se pencha de nouveau sur la pandawa. Il se remit à fredonner dans cette langue mystérieuse connue des eniripsas seuls.
Pam frissonna et serra les dents. Il semblait que la magie de Zankioh fonctionnait mieux à présent, puisque la couleur des blessure de la pandawa virait au rose-rouge, teinte beaucoup plus « rassurante », même si c'était loin d'être guéri.
  • Bravo Hutar, ça a marché, la ronce a absorbé la magie qui imprégnait sa blessure, déclara Zankioh avec un sourire. Je peux la soigner !
  • Je te propose d'aller ailleurs, lui répondit nerveusement Hutar. Je ne sais pas si c'est le meilleur endroit pour la remettre sur pieds.
L'eniripsa acquiesça, et s'écarta de Pam alors que Hutar s'approchait pour la soulever. La pandawa se laissa faire sans rien dire, bien qu'il était évident qu'elle souffrait du déplacement.
  • Allez, écartez-vous maintenant, le spectacle est terminé ! gronda le sadida pour que la foule s'écarte de son chemin.
Zankioh le suivait de près, et continuait d'observer la blessure de Pam pendant que Hutar la transportait on ne sait où.


Ecarlia n'avait plus dit un seul mot ni fait un seul geste depuis qu'elle avait failli couper la ronce qui venait peut-être de sauver son amie. Jamais elle ne s'était sentie aussi inutile et ignorante. Tout le monde dans cette foule avait aussitôt comprit ce que Hutar voulait faire. Personne ne s'était précipité en hurlant : « Mais vous êtes fou ?! Vous allez l'estropier ! », comme elle l'aurait sans doute fait si elle avait fait partie de cette foule.
Elle se rendait compte maintenant de sa méconnaissance du monde. Elle pensait pourtant qu'elle était une voyageuse, toujours en vadrouille quelque part, que ce soit pour chasser ou juste histoire de se promener...mais en réalité elle ne savait presque rien de son monde. Elle avait toujours été solitaire, et voilà le résultat : elle ne connaissait que son île, celle où elle vivait, et rien d'autre.
Elle était véritablement ignorante de tout ce qui l'entourait.


° C'est triste de penser ça...
° Vous...vous êtes encore là vous ??? songea-t-elle, surprise par cette intervention mentale. Je croyais vous avoir dit de me laisser tranquille !
Elle préféra éviter de prendre ses sabres en public et de les tenir face à elle comme de vrais personnes pour soi-disant leur « parler », mais ce n'était pas l'envie qui lui en manquait. Ces conversation psychiques étaient vraiment troublantes.
° Non, tu nous as dit de nous taire, nuance. Et là, c'est difficile de la boucler, quand on sait ce que tu es en train de penser.
° Ça ne vous regarde pas ce que je pense ! Fichez le camp de mon esprit !
° Ho ho, c'est quelque chose de difficile à faire ça ! répondit la voix avec amusement. On ne peut pas, c'est comme si on te disait de quitter ton plan de réalité. On ne peut exister que via l'esprit, alors non on ne fichera pas le camp.
° Quelle plaie...j'ai l'impression de parler toute seule.
° Oui mais ce n'est pas le cas ! Bon écoute, tu as remarqué qu'on a été sages pendant un certain temps non ? On se l'est plus ou moins fermée depuis que tu as rencontré cet espèce de psychopathe de Nathaniel...
° Oui, et c'était très bien comme ça.
° Seulement il faut bien qu'on discute nous ! On ne peut pas se taire indéfiniment, ce n'est pas possible ! On n'a pas fait vœu de silence hein !
° Alors dépêchez-vous d'en faire un, parce que je ne vais pas supporter encore ce genre de « discussion » longtemps, je vous préviens !
° Bon bon, on a un marché à te proposer sale grincheuse.
Ecarlia cru qu'elle allait s'écrier « QUOI ?!? » à voix haute en plein milieu de la place.
° Avant que tu ne nous jettes dans la plus proche poubelle (chose tu regretterais, crois-nous), attend un peu de voir ce qu'on te propose : c'est vrai que tu n'as pas l'air de connaître grand-chose de ton petit monde, et nous on trouve que c'est triste de se croire ignorant et inutile. Alors ce qu'on te propose, c'est d'accepter de te taper la causette avec nous de temps à autres, et en échange on t'aidera en t'expliquant les choses que tu ne comprends pas.
° Mais qu'est-ce que vous racontez ?!? Comment vous pourriez savoir plus de choses que moi et surtout savoir ce que je ne comprend pas ? Vous êtes des OBJETS ! pensa-t-elle furieuse.
° Ouais...j'espère quand même que tu as remarqué qu'on est un peu spéciaux comme bibelots non ? Il n'y a pas beaucoup de couteaux à beurre ou de hachoir à viandes qui peuvent te chanter du Francisque Cabroul !
° Du...qui ? Ooh, et puis je ne veux pas le savoir ! Vous commencez à me...
° La ronce insolente est une technique maîtrisée par les sadidas ayant atteint un cercle de puissance élevé dans leur apprentissage primordial. Il s'agit d'un végétal rare issu d'une graine que seuls eux sont capable de trouver et d'utiliser. Cette plante survit en absorbant la magie résiduelle laissée par un sortilège quelconque, et utilise cette magie pour conserver et nourrir sa graine. Il va sans dire qu'une personne touchée par cette ronce sera vidée de toute magie résiduelle, certains aventuriers appellent cela le désenvoûtement. Ici, une magie puissante empêchait l'eniripsa de guérir la blessure de ta copine, alors la ronce l'a absorbée pour se nourrir, ce qui a permit de la soigner.


Ecarlia resta bouche bée. Ils avaient répondu à tout. Tout ce sur quoi elle aurait pu poser une question. Ses sabres connaissaient le monde qui l'entourait mieux qu'elle. Comment était-ce possible ? On lui avait donné des armes encyclopédiques ou quoi ?
° Alors ? Avoue que c'est pratique hein ? jubilèrent-ils. Complet, concis, et discret en plus !
° Mais...comment est-ce que vous savez tout ça ?
° Ça on en reparlera plus tard...pour l'instant essaye de ne pas te faire distancer.
La sacrieur reporta son attention sur son entourage direct. Elle fut plus qu'étonnée de voir qu'il n'avait pratiquement pas évolué. Comme s'ils avaient attendu qu'elle ait fini de parler avec...ce avec quoi elle parlait, avant de se remettre à bouger.
° Combien de temps on a discuté ? interrogea-t-elle éberluée.
° Deux ou trois secondes...environ. Ça va vite de penser. Quoique, on n'a jamais essayé de iop encore.
Deux ou trois secondes...alors qu'elle avait eut l'impression de converser une ou deux minutes. « Incroyable... » songea Ecarlia. « Mais sur quoi je suis tombée ? »
° Plus tard on t'a dit ! Ils vont finir par te semer !
Ecarlia se reprit et chercha ses compagnons du regard. Ils avaient avancé de quelques mètres à peine. Elle les rejoignit en deux enjambées, et se rendit utile en écartant les personnes qui affluaient un peu plus à chaque instant, semblant venir de nulle part.


Hutar s'arrêta devant un étrange promontoire noyé par la foule. Il ressemblait vaguement à une sorte d'étalage en bois, avec un petit toit en toile pour le protéger des intempéries. Il y avait une effigie d'un gros oiseau jaune en plein milieu, que de multiples mains s'efforçaient de toucher...pour disparaître immédiatement après.
Le sadida se tourna vers Zankioh, et lui cria :
  • Chez moi ! Tu te souviens où c'est ?
Il répondit d'un hochement de tête. Hutar joua des épaules pour se rapprocher de la petite statue, et la toucha du bout des doigts. L'instant d'après il s'était volatilisé.
Zankioh saisi Ecarlia par la main, alors qu'elle regardait médusée des dizaines de personnes disparaître de sa vue à chaque seconde qui passait.
  • Suis-moi ! lança-t-il.
Traînée de force, la sacrieur ne tenta pas de résister, épatée de tout ce qu'elle avait pu voir d'incroyable en si peu de temps. Zankioh parvint à toucher à son tour la figurine de tofu, et Ecarlia comprit enfin ce qu'étaient ces drôles de promontoires.
La sensation de froid qui l'envahit ne faisait aucun doute : il s'agissait de zaaps miniatures.
Son bras libre serra contre lui la pierre noire qu'elle avait tenu dans ses bras presque sans s'en rendre compte pendant tout ce temps. Sa texture, son poids et sa tiédeur avaient quelque chose de réconfortant. Et puis, elle ne voulait surtout pas la laisser derrière elle, à la portée de la première personne qui viendrait. C'est pourquoi elle la maintint fermement contre elle.


Elle passa d'un endroit à l'autre de la même façon qu'avec les anneaux de pierre à la membrane bleutée. Presque naturellement. Un instant elle était compressée par la foule, et le suivant elle était à côté d'un grand bâtiment qui semblait être une taverne, au vu du tonneau débordant de bière qui lui servait d'enseigne. Il y avait également un genre de comptoir de plein air, avec un jeune homme à l'aspect sérieux qui grattait frénétiquement sur une feuille de papier. Un autre enseigne, qui représentait un simple bâton de bois, se dressait derrière lui.
Elle n'eut pas le temps de détailler plus longtemps l'endroit dans lequel elle avait atterrit, car Zankioh l'entraîna de nouveau à sa suite. Hutar avait déjà prit quelques pas d'avance, et se dirigeait apparemment vers une maison modeste par la taille, mais tout à fait charmante aux yeux d'Ecarlia. Elle était recouverte de beaucoup de plantes grimpantes aux couleurs et formes toutes différentes, sans pour autant en être submergée. Elle respirait la nature à la fois douce et sauvage, amicale et libre de reprendre ses droits à tout moment. Les plantes avaient l'air d'être en symbiose totale avec la maison entière, et ses occupants. Elles vivaient à côté d'eux, sans les déranger, sans qu'elles ne soient dérangées elles-même...un parfait équilibre entre le végétal et l'homme, inspirant le calme et la tranquillité.


Hutar entra sans hésitation en poussant la porte boisée de son épaule, ce qui acheva de convaincre Ecarlia sur l'identité du propriétaire de la maison. Zankioh en fit bientôt de même, suivi de près par la sacrieur.
Contrairement à l'extérieur très « personnalisé », l'intérieur était tout ce qu'il avait de plus banal. Une table, des chaises, un petit escalier montant à l'étage, quelques tapis et deux gros fauteuils à l'aspect moelleux...en bref ce qu'on pouvait trouver dans n'importe quelle maison un tant soit peu accueillante.
  • Voilà, ici on sera au calme, déclara Hutar en déposant Pam sur l'un des deux fauteuils. Tu vas pouvoir te reposer un peu pendant que Zankioh s'occupe de tes jambes.
  • Merci, répondit la pandawa apparemment encore un peu sonnée. Ça m'a l'air vraiment très confortable chez toi. J'avoue que je ne m'attendais pas à ça, vu de l'extérieur.
  • C'est vrai qu'il y a une sorte de décalage entre l'aspect extérieur et l'intérieur, intervint Ecarlia sur un ton entendu. C'est un peu surprenant.
  • Quoi ? Qu'est-ce que vous racontez ? demanda le sadida visiblement encore plus surpris que ses invitées.
Ecarlia et Pam échangèrent un regard légèrement gêné. Elles auraient mieux fait de se taire sur ce point, une fois de plus...
  • Et bien...les plantes grimpantes, l'aspect naturel, végétal, tout ça...on s'attend un peu à le retrouver à l'intérieur en fait, tenta d'expliquer la sacrieur.
  • Oui, ça fait un drôle de contraste, voilà tout, continua la pandawa. Mais ne le prend pas mal, c'était juste une remarque comme ça...
Hutar les regarda tour à tour d'une façon qui mettait les deux jeunes femmes de plus en plus mal à l'aise. Il ne disait plus rien, et son visage ne reflétait plus la moindre expression. Il se contentait de les fixer presque bêtement.
« Mais qu'il nous en fasse une, expression, qu'on sache si on doit s'excuser ou rire au moins ! » songea la sacrieur.
° Il nous semble plutôt que tu devrais courir là, au vu de la tête que tire l'autre.


Suite à cette remarque de ses armes volubiles, Ecarlia fit rapidement changer son regard de direction pour observer la réaction de Zankioh. Et elle vit que celui-ci s'était tapé le front avec la paume de sa main, dans un geste dépité. Ceci ne manqua pas de faire croître l'inquiétude de la sacrieur. Aurait-elle vraiment gaffé en faisant une si petite remarque ?
  • Vous...avez une idée de ce que je pourrais faire pour l'intérieur ? demanda soudain Hutar sur un ton si sérieux qu'il aurait pu demander pourquoi des gens mourraient de façon injuste.
  • Je ne crois pas que ce soit le moment idéal pour parler de ça, hein ? intervint Zankioh alors que Pam et Ecarlia s'échangeaient de nouveau un regard gêné. Allez, je me met au travail, toi tu sais que tu as quelqu'un à aller voir de toute urgence, non ?
Il se mit à pousser gentiment Hutar vers la sortie, comme s'il voulait le chasser de sa propre maison.
  • Mais attend...protesta le sadida en essayant faiblement de résister. Elles ont l'air de savoir quoi faire...il peut bien attendre quelques minutes de plus, non ?
  • NON, il ne peut pas, il est comme ça, et tu le sais, trancha l'eniripsa.
Il referma la porte avec fermeté sur son propriétaire légal, laissant celui-ci sur perron. Puis il se retourna vers les deux jeunes femmes qui avaient assisté non sans ahurissement à cette scène pour ainsi dire très bizarre.
  • Il est...un peu tatillon quand on aborde sa décoration d'intérieur, expliqua-t-il. Il n'a jamais su quoi en faire. Donc il vaut mieux carrément éviter d'en parler ne serait-ce qu'un tout petit peu en sa présence, ça risque de...l'obséder plus que de raison.
La pandawa retint un rire montant.
  • Il est obsédé par sa décoration d'intérieur ? demanda-t-elle à deux doigts de s'esclaffer.
  • J'avoue, c'est pas banal, ajouta Ecarlia en sentant le rire venir elle aussi.
  • Bon, si on en revenait aux jambes de Pam ? coupa Zankioh sur un ton sévère. C'est encore loin d'être guéri !
La pandawa le laissa se remettre au travail. Zankioh amena une chaise sur laquelle elle posa ses jambes tendues, et une autre sur laquelle il s'assit pour ausculter sa nouvelle « patiente ».


À présent qu'il était au calme, il en profita pour observer plus avant la blessure en elle-même avant de commencer à la soigner véritablement. Ecarlia vint se placer à côté de lui, voulant voir de plus près ce personnage qui pouvait faire se refermer les pires blessures, chasser la douleur et ressouder les os d'un simple mot.
Zankioh était visiblement perplexe. Il regardait, touchait très délicatement les chevilles à nu de la pandawa en plusieurs endroits, et gardait sur son visage cette expression impassible qui rendait ses pensées impossibles à deviner.
  • Il y a un problème Zankioh ? demanda Pam quand elle se rendit compte que l'eniripsa n'avait pas commencé ses soins.
  • Je ne sais pas...cette blessure est vraiment très étrange.
  • Qu'est-ce qu'elle a de plus étrange que tout à l'heure ? interrogea la sacrieur juste à côté de lui. Tu avais commencé à la guérir sur le chemin non ?
  • Oui, oui...mais je faisais ça dans la précipitation. Là j'essaye de savoir quel sera le meilleur moyen de faire se résorber ça et...quelque chose m'échappe.
Il avait prononcé ces derniers mots à voix basse, les yeux fixés sur la blessure de Pam.
  • C'est loin d'être un traumatisme classique, c'est certain, fit-il plus pour lui-même que pour les deux jeunes femmes suspendues à ses lèvres. On dirait qu'il n'y a aucun impact, aucune trace de choc...la peau est lisse, pas éraflée du tout. Pourtant l'os avait été brisé net, je l'ai senti sous mes doigts. Et puis...la fourrure qui tombait, la peau qui se ratatinait...ça semblait se propager comme un venin.
Ecarlia et Pam se regardèrent, effrayées par les déclarations inquiétantes de l'eniripsa. C'était surtout Pam qui était effrayée en fait, vu que c'était de ses jambes dont il était question. Ecarlia quant à elle était plutôt...stupéfaite. Stupéfaite par ces détails qu'elle n'avait pas relevés, et qui pourtant semblaient avoir une grande importance.
  • C'était peut-être une forme de venin magique après tout, continua l'eniripsa dans sa lancée diagnostique. Ou bien une magie résiduelle qui absorbe ton énergie !
Dans ses yeux se lisait une curiosité de plus en plus vive, qui ne manqua pas d'accentuer l'inquiétude de Pam.
  • Et donc...qu'est-ce que tu vas faire ? demanda-t-elle timidement.
  • Ah...je n'en sais rien, je n'avais jamais eu affaire à une magie semblable auparavant. C'est assez mystérieux, ça ne ressemble à rien de ce que je connais, c'est complètement nouveau pour moi !
Il avait dit cela comme s'il découvrait avec de grands yeux ronds remplis de bonheur un gros cadeau au pied d'un sapin de Nowel.
  • La ronce insolente de Hutar a purgé toute la...substance, ou bien la magie qui faisait se propager la blessure, donc normalement je peux étudier ça tranquillement, ne t'en fait pas.
Il senti soudain une sorte de courant d'air froid parcourir son dos, comme un frisson de malaise intense. Il leva son regard, et vit que les deux jeunes femmes le fixaient avec un effarement non dissimulé.
  • Heu...je voulais dire soigner, rectifia-t-il en comprenant la cause de leur émoi.
Elles se détendirent un peu, mais Pam replia légèrement sa jambe vers elle. Une sorte de réflexe conservateur, sans doute...
  • Alors...essayons de réfléchir de façon logique, commença Zankioh. Pam, qu'est-ce que tu as ressenti lorsque cette vague d'énergie t'a atteinte ? Est-ce qu'il y a eu un choc, une décharge électrique dans ton corps, une sensation de froid...?
  • Oui, très froid même, répondit aussitôt la pandawa. J'avais l'impression que mes jambes étaient...gelées. Comme si j'avais marché des heures dans l'eau glacée. C'était effrayant...
  • Mais aucun choc ?
  • Non.
Zankioh réfléchit quelques instants.
  • Les morts sont froids, dit soudain Ecarlia. Et tes jambes avaient vraiment l'air d'être « mortes » depuis des jours tout à l'heure...ça ne peut pas être ça ? Une magie qui fait mourir la chair ?
L'eniripsa fronça les sourcils de dégoût.
  • Bon sang...quelle horreur. Ce genre de magie n'existe pas ! Aucune créature de ma connaissance n'est capable de faire dépérir comme ça les êtres vivants. Ce n'est pas possible !
  • Et pourquoi ça ?
  • Parce qu'une créature magique porte en elle la source de sa magie, et puise en elle ce qui permet de lui donner forme. Cela veut dire qu'un être vivant capable de faire tout simplement mourir comme cela les autres êtres vivant porte en lui une force qui détruit la vie. C'est impossible, puisque cette force le détruirait lui-même ! Ça n'a pas de sens !
  • Il n'était plus lui-même.
Zankioh dévisagea Ecarlia. Puis il fini par comprendre qu'elle parlait de l'écaflip. Il semblait que cette information lui avait été cachée jusqu'à maintenant.
  • Comment ça ?
  • Tu n'as pas pu le voir AVANT qu'il ne devienne complètement fou, lui expliqua Ecarlia. Tu étais trop en colère, et tu es monté en claquant la porte derrière toi.
  • Il n'y a pas de porte dans l'escalier.
  • Heu, oui...c'était une façon de parler. Enfin bon, tu ne l'as vu que lorsqu'il s'est mis à attaquer tout le monde.
  • Oui, c'est vrai ! intervint la pandawa. Il avait l'air si timide quand il est entré ! Il s'est excusé alors qu'on lui doit la vie, il semblait vraiment désolé.
  • On ne doit pas parler de la même personne, les contredit Zankioh. Ce foutu Nathaniel disait qu'il voulait incendier la maison. Alors il n'était pas aussi timide que vous le dites !
  • Oui, mais...ce n'était pas le même ! essayait d'expliquer Ecarlia. Il avait changé ! Lorsque Nathaniel nous a attaqué, il a complètement changé...sa voix aussi ! Il avait une sorte d'écho, de voix féminine qui recouvrait la sienne ! Et il est devenu comme fou !
Le visage de Zankioh devint grave. Il semblait avoir comprit quelque chose, avoir trouvé dans les explications brouillonnes d'Ecarlia une véritable explication à ce qu'il avait vu.
  • Possession démoniaque, dit-il simplement.
Pam et Ecarlia s'échangèrent ce regard surpris qui leur allait si bien à toutes les deux.
  • Incroyable...le gardien d'un démon...ce gamin était un gardien. Et perverti apparemment.
  • Zankioh, tu veux bien nous expliquer un peu ? On ne sait plus de quoi on parle là ! supplia Pam.
  • Je ne vois que cette solution ! s'exclama l'eniripsa. Attendez, je vais vous expliquer : parfois, il arrive qu'un démon se retrouve enfermé dans un objet par un concours de circonstances. Le plus souvent un bijou précieux, ou une arme. On appelle cela un Shushu. L'objet est alors confié à une personne de confiance, à la volonté d'acier, qui saura à la fois utiliser avec sagesse et justice les pouvoirs du démon enfermé, et résister à son charme. Le gardien doit vouer sa vie à la protection de l'artefact maudit dont il a la charge, et à la recherche de son successeur pour porter son fardeau. Mais...
Il marqua une pause. De la tristesse se lu soudain sur son visage. Ecarlia et Pam étaient pendues à ses lèvres comme jamais, et ne s'en rendirent même pas compte.
  • Mais...? le pressa la sacrieur.
Le visage de Zankioh redevint impassible.
  • Mais parfois le gardien n'est pas assez fort pour résister à la séduction du démon, et fini par tomber sous son contrôle. Enfin, plutôt que contrôle, il faudrait dire qu'il suis de son plein gré ses désirs. Les démons ne jouent pas les marionnettistes, ils manipulent leurs gardiens pour leur faire croire qu'ils agissent de leur propre chef...et le malheureux devient l'instrument de la vengeance du démon contre ceux qui l'ont enfermé. Il utilise son gardien soit pour trouver un nouveau corps, qu'il pourra habiter et contrôler totalement, soit juste comme une arme pour répandre le chaos où il le veut. Quoi qu'il en soit, les gardiens pervertis héritent des pouvoirs de leur démon...et suivent leurs moindres désirs sans pouvoir y faire quoi que ce soit.
  • Alors c'était un...démon qu'on entendait ? La seconde voix était celle d'un démon ? demanda Pam, sous le choc de cette terrible révélation.
  • Pour moi, ça ne fait plus aucun doute, malheureusement, lui répondit Zankioh.
Un silence oppressant s'abattit dans la pièce. Ecarlia serra contre elle la vulgaire pierre noire qui avait incendié la maison de l'eniripsa, tandis que celui-ci tâtait encore précautionneusement une des jambes de Pam, qui se laissait docilement faire. Un effroi difficilement dissimulé pouvait se lire sur son visage.
On aurait dit qu'ils avaient déjà eu affaire à un démon, tant leur réaction était sans ambigüité. Car il était évident que même Zankioh, pourtant si calme en apparence, si sûr de lui, venait de ressentir les griffes de la peur lui écorcher le ventre.
La présence de la pierre à ses côtés rassurait Ecarlia. Les autres n'y prêtaient plus la moindre attention pour l'instant, et même si ce désintéressement soudain était un peu étrange, c'était tant mieux. Elle voulait la garder contre elle, pour elle toute seule, la réchauffer, et se laisser elle-même réchauffer par la douce chaleur de la surface rugueuse.


° Cette pierre n'est pas nette...
Encore eux. Ils venaient une fois de plus troubler ses pensées en s'y insinuant sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit.
° Désolé, mais on préfère te prévenir. Cette pierre a vraiment quelque chose...de...de très bizarre.
° Si c'est tout ce que vous pouvez déduire du fait qu'elle soit différente pour chaque personne qui l'approche, autant vous taire, leur lança-t-elle. J'ai pu m'en rendre compte par moi-même qu'elle est bizarre, vous savez, je ne suis pas complètement idiote non plus.
° Non, tu ne comprends pas...elle dégage...quelque chose. Quelque chose qu'on ne connaît pas...on dirait des pensées...des pensées de magie !
° Quand vous aurez quelque chose d'intéressant et de clair à dire, vous me ferez signe.


Les armes bleutées n'insistèrent pas. Le silence retomba aux oreilles et à l'esprit d'Ecarlia, et elle serra la pierre ovoïde plus tendrement contre elle. Évidemment qu'elle était magique et que ses propriété étaient inconnues de tous, elle venait vraisemblablement d'un autre monde, quelque part là-haut, dans ce ciel étoilé infini ! Cet objet était une preuve que tout ce qu'elle imaginait de cet espace si lointain, si inconnu et mystérieux, ce n'était peut-être pas qu'un simple rêve éveillé. Il y avait d'autres endroits au-dessus de sa tête, que personne ne pouvait connaître. Et elle en avait une preuve, serrée contre elle.




Zankioh ne mit pas longtemps à soigner Pam. Il comprit rapidement que sa blessure n'avait plus rien de magique depuis que Hutar était intervenu, et répara donc sans soucis les os et la chair avant de prescrire à la pandawa ce sempiternel conseil : « repose-toi, et ça ira beaucoup mieux très bientôt ».
Le reste de la soirée fut étrangement calme. Zankioh parti chercher des documents à la banque de Bonta et les étudia longuement dans le salon de Hutar. Celui-ci ne montra pas un seul poil de sa barbe de toute la soirée.
Pam resta allongée encore un peu, et se leva seulement que lorsque l'obscurité fut tombée au-dehors pour accompagner Ecarlia lorsqu'elle décida de sortir prendre l'air frais de la nuit. Les deux jeunes femmes discutèrent un peu, de la journée qui venait de se passer, mais aucune n'avait véritablement envie d'en parler, elles se rappelaient trop bien chaque détail et n'avaient pas du tout besoin de se les remémorer. Mais la pandawa déclara quelque chose qui fit tiquer Ecarlia aussitôt :
  • C'est quand même dommage pour cette pierre que Zankioh a trouvé...elle était vraiment très étrange, j'aurais bien aimé qu'on l'emporte avec nous.
La sacrieur la regarda comme si son amie devenait à moitié folle. Soucieuse de comprendre pourquoi la pandawa avait dit une chose aussi absurde, elle alla dans la direction de ses propos :
  • Oui...elle était étrange. Mais si ça se trouve elle est encore là-bas, Cimon l'a peut-être oubliée.
  • Ça m'étonnerait, tu as bien vu ce qui s'est passé...il était complètement captivé, continua Pam. Il n'en détachait plus ses yeux, on aurait dit qu'il était hypnotisé. Qui sait ce qu'était cette pierre ? Si quelqu'un l'avait ramenée, on aurait pu essayer de comprendre, mais là...
Ecarlia ne répondit rien. Est-ce que Pam avait partiellement perdu la vue sans même s'en rendre compte ? Ses propos étaient complètement incohérents, la pierre avait été sous son nez tout au long de la soirée !
Elle voulu vérifier ce qu'elle craignait le plus.
  • Bon, je rentre, il commence à faire frisquet, déclara-t-elle.
La véracité de son excuse la rendit plus discrète encore. L'air se rafraîchissait vite. La pandawa la suivi quelques secondes plus tard à l'intérieur, et retourna s'asseoir sur le fauteuil qu'elle venait de quitter.
Ecarlia prit la pierre sous son bras, et vint se planter devant la pandawa, le regard fiévreux.
Pam la fixa quelques instants, puis, inquiète, demanda :
  • Ça va Ecarlia ? Tu n'as pas l'air bien...
Ecarlia failli rire. Et c'était elle qui lui disait ça !
Sans ajouter un mot, elle alla se mettre devant Zankioh, et tendit la pierre noire de façon à ce qu'elle soit à moins de trente centimètres de sa tête. Celui-ci releva les yeux, et la regarda à travers la roche sombre comme si elle était transparente.
  • Oui ? Il y a un problème ?
Il ne voyait pas pierre non plus. Elle lui était complètement invisible. Il n'avait même pas l'air se rendre compte qu'Ecarlia lui tendait. La sacrieur en était éberluée.
  • À ton avis, qu'est-ce qu'elle a pu devenir cette météorite qui est tombée ? demanda-t-elle innocemment.
  • Je n'en sais rien...elle a dû rester là-bas, c'est tout, répondit-t-il. Elle doit toujours y être, ça m'étonnerait que Nathaniel s'y soit intéressé...
Rien à faire. Il ne savait absolument pas que ce qu'il croyait encore à des kilomètres d'ici était en fait devant son nez. La pierre...lui faisait croire qu'elle n'était pas là.
° Ce truc est incroyable. Il s'efface de la perception de son entourage !
Ses sabres avaient raison. Cette chose était à la fois fascinante et effrayante. Ecarlia était encline à discuter cette fois-ci.
° Mais comment est-ce possible ? Et pourquoi est-ce que moi je peux la voir ?
° Là, c'est la colle...on n'avait encore jamais rencontré une chose pareille avant.
° Tout-à-l'heure, vous avez dit qu'elle...pensait. Vous croyez que c'est vivant ?
° Oui, enfin non...c'est étrange. On sent juste que...elle a...
° Quoi ? QUOI ?
° Hé, ne crie pas comme ça ! On t'a dit qu'on n'avait jamais rencontré une chose pareille avant, ne crois pas qu'on va pouvoir te décrire ça si facilement ! C'est comme si elle avait...une volonté ! C'est bourré de magie, et cette magie est dirigée de façon volontaire, ou instinctive, pour la protéger de son environnement. De tout, sauf de toi...comment et pourquoi, ça on ne saurait pas dire.
° Ça...ça veut peut-être dire que...qu'elle veut que ce soi MOI qui la garde et qui la protège ?
° Comme si elle avait besoin de toi ! Je te signale qu'elle s'est rendue invisible pour tout le monde sauf toi, qu'elle est capable de brûler les gens et même de déclencher un incendie en quelques secondes. Il me semble qu'elle est largement capable de se débrouiller toute seule...quelle que soit cette chose.


Ecarlia restait sceptique. Et il y avait de quoi. Ce qu'elle tenait dans ses bras, comme un œuf qu'elle chérissait, était vraisemblablement doté d'une volonté propre...et voulait rester avec elle.
Car elle en était certaine : si Zankioh s'était brûlé à son contact, c'est parce qu'il voulait reprendre la pierre des mains d'Ecarlia. Si Pam et Hutar ne sentaient absolument rien de spécial en la touchant, c'est parce qu'ils n'avaient eu aucune intention de la garder pour eux. Ils avaient seulement été curieux.
Et ce démon qui s'était approché de la pierre...elle s'était sentie en grand danger, et avait mobilisé toute sa puissance pour se défendre, sans se soucier de ce qu'il y avait autour d'elle à ce moment-là...


Mais alors pourquoi n'avait-il pas été brûlé ? La pierre avait enflammé la maison entière, Pam et Hutar avaient dû se protéger avec un mur d'eau, et lui s'était rapproché sans rien sentir. Était-ce un pouvoir démoniaque, que celui de ne pas craindre le feu ?
Non, Nathaniel s'était battu avec lui, et le démon avait évité les attaques brûlantes, il ne les avait pas encaissées sans broncher. Donc il n'était pas insensible aux flammes.
C'était un véritable casse-tête...


Ecarlia s'assit en face de Zankioh, la pierre sur les genoux. Elle avait besoin d'en discuter avec quelqu'un. Devait-elle lui dire ce qui se passait à son insu ? Devait-elle lui parler de ce qu'elle avait découvert, ce dont il ne se doutait pas une seule seconde ?
° Ce n'est pas une bonne idée Ecarlia. Il est trop curieux cet eniripsa. S'il venait à savoir, il essayerait de comprendre, il voudrait l'étudier, pourquoi il ne la voit pas, d'où ça vient exactement...et elle risquerait de se défendre. Si ça recommence, il pourrait bien avoir moins de chance que la dernière fois. On ne sait pas encore de quoi est capable cette chose...il vaut mieux qu'il la croit loin d'ici, au moins il n'y a pas de risque qu'elle se sente en danger d'une quelconque manière...


Oui. Ils avaient raison. Zankioh voudrait l'étudier. Pam avait déjà lancé cette idée, alors qu'elle était cent fois moins curieuse que Zankioh. Si elle lui dévoilait que cette pierre était juste devant lui sans qu'il la voit, il voudrait immédiatement en savoir plus. Ce qui aurait à coup sûr des effets dangereux si la pierre se sentait agressée. Il fallait qu'elle garde le secret pour le moment. Cela valait mieux pour tout le monde.


Elle restait assise en face de Zankioh, le regard perdu dans le vide. Celui-ci avait détaché son attention de ses documents, et attendait qu'Ecarlia ne donne une raison à ce comportement étrange qu'elle avait. Que lui dire ? Il voulait une réponse, mais quoi lui donner, si elle ne devait pas lui dire la vérité ? Elle avait bien une idée, mais...
  • Zankioh, est-ce que ta maison était...commença-t-elle.
L'eniripsa baissa les yeux. Il avait deviné la suite de la question. « Importante pour toi ? ». Apparemment oui, elle l'était.
  • Je suis vraiment désolée, s'excusa-t-elle sincèrement. Si tu veux, je t'aiderai à la reconstruire...
  • Pourquoi es-tu désolée ? Tu as quelque chose à voir avec l'incendie ? demanda-t-il de façon plus sèche que d'habitude.
Ce ton légèrement agressif surprit Ecarlia, qui soudain mal à l'aise, répondit tant bien que mal :
  • Quoi ? N...non, bien sûr que non !
  • Alors tu n'as pas à t'excuser. Ni à vouloir m'aider à reconstruire. Si ça se trouve, il n'y a plus rien à reconstruire d'ailleurs...
  • Mais...
Il inspira profondément, comme s'il voulait se convaincre lui-même de ce qu'il allait dire :
  • C'était une simple maison. Je pourrai m'en faire construire une nouvelle, ou bien en acheter une autre...ça n'a pas d'importance.
Et il se replongea avec plus de passion encore dans la lecture de son document. Ecarlia n'insista pas. Il était évident que l'eniripsa était blessé par la perte de son domicile, mais essayait de le cacher. Elle se leva, et alla s'asseoir dans un fauteuil aux côtés de Pam.
La reste de la soirée se passa tranquillement, et les trois amis allèrent rapidement se coucher, éreintés par cette journée harassante. Hutar ne rentra pas.
Chapitre XIV (14) (suite)
Douglas observait le bois silencieux et calme d'un œil perçant. Au moindre mouvement, il était prêt à donner l'alerte et à vendre chèrement sa peau pour sauver sa ville et ses concitoyens, et il le montrait par sa pose fière, stoïque, et en mettant sa grande hallebarde bien en évidence devant lui ! Il était le protecteur de la noble cité de Bonta, et cela était sa seule raison de vivre !


Satisfait, le vieux chef de patrouille qui passait par là continua son inspection plus loin. Douglas resta dans sa pose militairement parfaite jusqu'à ce que ce vieil imbécile ne se soit suffisamment éloigné pour qu'il ne le voit plus du tout, puis lorsqu'il fut certain qu'aucun haut gradé ne pourrait le prendre, il ressorti les quatre dés écaflips de sous sa cuirasse et retourna vers ses deux compagnons de garde, qui l'attendaient impatiemment.
  • Allez Douglas, c'est à toi de parier ! lui envoya l'un deux en secouant ses propres dés dans sa main.
  • OK ! Alors je parie cinq kilos de corvée d'épluchure !
Ils lancèrent leurs dés en même temps. Ceux de Douglas s'arrêtèrent sur deux trèfles, une tête d'homme couronnée et une pique.
  • Deux gardes de trèfle ! jubila-t-il. Stan, je crois que tu es bon pour éplucher ces satanées patates !
Ceux de l'autre s'étaient arrêtés sur une tête féminine couronnée, ainsi que deux cœurs et un trèfle.
  • Pfff...deux amants en plus. Tu as vraiment de la chance ce soir Douglas.
  • Il faut croire que le vieux a sapé la tienne avec son « garde à vous ! », rigola le gagnant. Ces enutrofs sont tellement chanceux que les autres ont la poisse dès qu'ils passent quelque part !
  • N'empêche, moi tu me dois trois heures de garde ! répliqua l'autre, qui regardait en riant la partie de dés. Il fallait bien que la chance tourne un peu !
Seigneur, mais quel sale boulot ! Être de garde la nuit était vraiment la pire des corvées ! Dire qu'il pourrait en ce moment même être dans son lit, avec sa magnifique petite amie serrée contre lui...mais au lieu de ça il devait rester ici à se geler les doigts de pied devant les remparts de la cité, pour surveiller qu'aucune intrusion brâkmarienne n'était tentée.
Mais les brâkmariens ne venaient JAMAIS ! Chaque nuit qu'il passait ici était un peu plus de temps perdu ! Et au petit matin, quand il était relevé, il rentrait chez lui et dormait toute la journée. Quelle vie gâchée...
Heureusement que les autres gardes étaient aussi dégoûtés de leur travail que lui, et qu'ils étaient tout aussi enclins à faire passer le temps en pariant tout ce qu'ils pouvaient parier : des heures de corvées.


Douglas se remonta le moral en se disant que la nuit devait déjà être bien avancée. Au moins à la moitié. Plus que l'autre moitié et il pourrait rentrer chez...


Craquement.


Une branche venait d'être brisée dans le bois de Litneg, qui s'étendait devant la porte est de Bonta. Cette branche était très grosse, et surtout beaucoup, beaucoup trop proche des portes. Douglas et ses compagnons se levèrent et empoignèrent leurs hallebardes. Ils scrutaient l'obscurité du mieux qu'ils le pouvaient, mais les torches des murs et les arbres qui marquaient l'entrée du bois jetaient trop d'ombres vacillantes pour pouvoir discerner quoique ce soit.
Tous les trois savaient pertinemment quelles créatures vivaient dans ce bois. Le jour, beaucoup d'aventuriers chevronnés y allaient et revenaient tout sourire avec d'énormes crocs et griffes d'ivoire dans leurs mains. Ou bien restés plantés dans leurs corps déchiquetés.


Le jour, il n'y avait aucun risque, ces monstres restaient bien à l'abri dans leur bois touffu, et ne faisaient pour la plupart que se défendre contre les agressions de chasseurs.
Mais la nuit...les rôles étaient inversés. Les chassés devenaient chasseurs, et les chasseurs chassés. Les attaques aux murs de Bonta étaient rares, mais elles étaient tout de même à l'origine de terribles combats qui ne laissaient jamais la défense indemne.


Douglas s'approcha prudemment de l'orée du bois. Il n'avait entendu qu'un seul craquement. Peut-être que la créature était effrayée et n'osait plus bouger ?
  • Revient ici idiot ! lui soufflèrent ses camarades. Tu vas te faire bouffer imbécile ! Il faut aller chercher du renfort !
  • Si ça se trouve, ce n'est qu'un milimulou ! leur répondit-il. Si vous voulez donner l'alarme, libre à vous, mais je doute que l'autre vieux squelette ne soit content si vous mobilisez les autres pour abattre un gros chien !
Ignorant les mises en garde des autres, qui restaient en arrière sans pour autant appeler de l'aide, il continua d'avancer doucement dans la direction du craquement. Il n'y voyait plus grand chose à présent. Les torches n'éclairaient presque plus rien, et tendaient même à tromper l'œil par les ombres qu'elles projetaient.
Il entendit remuer dans les buissons juste devant lui, et s'immobilisa aussitôt. Derrière lui, l'un de ses camarades poussa un petit cri de frayeur pathétique. Des miliciens, tu parles...
Lentement, il se pencha et ramassa une pierre grosse comme son poing sur le chemin. Il visa le buisson, qui était à une dizaine de mètres de lui, et lança son projectile en plein dedans.


Un couinement canin se fit entendre, et l'instant d'après, une créature à la silhouette presque humaine en sorti, l'air furieuse.
Humaine, car elle se tenait sur deux pattes. Presque, car le reste de son corps était celui d'un énorme loup gris-brun. Elle était légèrement plus petite que Douglas, mais sa mâchoire redoutable pouvait le démembrer sans aucun problème.


C'était bien un milimulou. Le milicien rassuré brandit sa hallebarde, et attendit que son adversaire ne vienne à lui. La créature ne se fit pas attendre. Elle se mit à courir dans sa direction à quatre pattes, en grognant bruyamment. Douglas ne bougea pas d'un pouce.
Le milimulou parcouru les dix mètres qui les séparaient en deux secondes à peine. Largement assez pour que Douglas puisse réagir. Il leva sa hallebarde, et l'abattit sur le monstre dès qu'il fut assez près.
Le corps du milimulou s'effondra sur le sol, inerte, sans plus de combat. Douglas, inspira profondément. Il se senti ridicule d'avoir eu si peur pendant un instant. Ces bêtes-là avaient beau être agressives, elles n'étaient pas bien dangereuses pour quelqu'un de bien armé. Vraiment trop stupides pour représenter un réel danger. Celui-là n'avait même pas eu la présence d'esprit d'esquiver la lame !
Laissant là la dépouille, il fit demi-tour, et afficha un grand sourire moqueur à ses compagnons penauds.
  • Alors les gars ! Vous avez raté votre heure de gloire, là ! Regardez, j'ai triomphé seul de l'abominable monstre ! Dommage que les renforts n'aient pas pu venir, je suis certain qu'ils auraient été contents de partager notre victoire !
  • C'est ça, moque-toi, répondit un Stan amer. N'empêche que t'as encore eu de la chance mon vieux, il n'y a pas que des milimulous dans ce bois. Si ça avait été autre chose, on aurait retrouvé tes bras à plusieurs mètres de ton corps demain matin !
  • Autre chose comme quoi ?
  • Je ne sais pas...moi par exemple, fit une voix inconnue derrière lui.
Douglas se retourna juste à temps pour voir le plat d'une énorme épée le frapper en plein ventre. Il cru que ses entrailles éclataient sous le choc, et la douleur fut si forte qu'il ne senti pas ses pieds quitter le sol.
Il ne s'en rendit compte que lorsqu'il ré-atterrit lourdement sur le dos. Il ne contrôlait plus sa respiration, ses poumons étaient en feu. Il avait beau essayer d'inspirer, d'expirer, rien ne lui obéissait plus. La nausée le prit, et il parvint à se remettre sur le ventre juste à temps pour répandre son dîner de ce soir sur l'herbe fraîche plutôt que son visage.
Un bras l'aida à se relever, et alors qu'il cherchait encore à reprendre son souffle, l'un de ses compagnons hurla en se précipitant sur son agresseur.
  • Douglas ! Ça va ? lui demanda Stan qui le soutenait.
  • Qu...qu'est-ce qui s'est passé ?
  • Un type est sorti de la forêt et il t'as envoyé jusqu'ici en seul coup ! Tu as fait un vol plané de plus de dix mètres ! Je dois aller aider Pit !
Au moment où Stan dit cela, une forte détonation retenti, et le dénommé Pit fut projeté avec une violence inouïe sur le mur clair de Bonta. Sa cuirasse avait été enfoncée si profondément au niveau de sa poitrine que le sang coulait au travers. Il s'écroula, laissant un mur fissuré et taché de rouge derrière lui. Stan lâcha Douglas, et brandit sa hallebarde devant lui sans charger à la façon de son pauvre compagnon. Il n'osait pas attaquer cet adversaire terrifiant.
  • Mais v...vous êtes qui bordel ?! cria-t-il à la silhouette qui s'avançait tranquillement vers eux.
Douglas n'essaya pas de faire face en même temps que Stan. Il s'éloigna, mût par un protocole obscur qui résonnait dans sa tête douloureuse, et tituba vers un renfoncement dans le mur, dans lequel une cloche avait été insérée. Il aggripa la chaînette reliée à une boule de métal, et sonna le plus fort qu'il le pût. Les autres le savaient maintenant, son groupe avait des problèmes...
Des sons métalliques d'armes qui s'entrechoquent lui parvinrent aux oreilles tandis qu'il s'appuyait à la paroi pour retrouver ses esprits. Sa hallebarde ? Où était-elle ?
Il l'avait lâchée suite à la violence du choc. Il était désarmé ! Mais Stan avait besoin d'aide maintenant ! Il retourna près de Pit, qui allongé sur le ventre, ne bougeait plus du tout. Son sang ruisselait sur l'herbe, mais il avait gardé son arme en main. Douglas dû tirer de toutes ses forces pour lui faire lâcher sa prise. Il pria pour que ce ne soit pas la rigidité cadavérique qui causait cela...


Arme en main, il se sentait mieux. Il chercha du regard le combat qui se déroulait entre Stan et le mystérieux agresseur.
Lorsqu'il vit enfin son compagnon, il était à genoux, et une large lame sortait de son dos.
Horrifié, Douglas dévisagea celui qui tenait l'épée rougie par le sang. Il ne put pas. Son visage entier était caché par un casque effrayant. Il était simplement torse nu, et des gouttelettes écarlates l'avaient éclaboussé. Il n'avait pas l'air d'en être dégoûté le moins du monde.

  • Là ! Il a tué Stan !
Les renforts arrivaient enfin. Douglas vit le guerrier sanguinaire regarder dans la direction des miliciens qui se précipitaient sur lui. Il ne s'enfuyait pas. Pourquoi ? Est-ce qu'il croyait pouvoir tenir tête à tout un régiment à lui seul ?
Soudain, le tueur porta sa main à sa bouche. Il était de dos, Douglas ne pouvait pas voir pas ce qu'il faisait exactement, mais une chose était sûre : il entendait.
Un long hurlement s'échappa de cet homme abominable, un hurlement tel qu'aucun véritable être humain de pouvait pousser. Et Douglas comprit que cette nuit serait sans doute sa dernière.


Du bois mal éclairé, des formes immenses jaillirent, qui poussaient des hurlements semblables. Le milicien reconnu entre milles les silhouettes animales gigantesques et puissantes des mulous. Le régiment qui s'approchait cria sa surprise et sa peur lorsque les bêtes énormes leur foncèrent dessus.
Douglas ne pouvait rien pour les aider. Rien du tout. Il n'y avait plus qu'une chose à faire : s'éloigner de cette chose à l'apparence humaine qui commandait aux mulous comme à des chiens. Il fallait qu'il se cache. Sinon...il allait mourir.
Il trouva refuge derrière un gros frêne, qui le soustrayait à la vue des terribles créatures qui attaquaient les miliciens. Il entendit le fracas des armures enfoncées, les cris déchirants des hommes broyés par des mâchoires terrifiantes...
Mais il entendit rapidement les mulous cracher de douleur. Les miliciens se défendaient vaillamment. À sa grande surprise, le vacarme mené par les bêtes féroces en train de combattre fut petit à petit couvert par les cris de mêlé des combattant de Bonta.
Ils étaient en train de gagner !


Douglas se retourna pour voir comment le combat était réellement en train de tourner. Il ne restait plus que deux mulous debout, les plus gros, et une bonne dizaine de miliciens les frappaient de leurs hallebardes effilées. Il était sauvé ! Bonta avait triomphé !
Mais l'autre était toujours là. Tout comme lui, l'homme casqué observait la bataille sans bouger, indifférent au fait que ses bêtes soient vaincues. Douglas cru même l'entendre ricaner.


La terre trembla sous les pieds du milicien. Les deux derniers mulous étaient sur le point de tomber, les bontariens hurlaient leur joie à pleins poumons. Des pas énormes secouaient le sol de plus en plus. Dopés qu'ils étaient par la fièvre du combat, les miliciens à deux doigts de remporter la victoire repoussaient comme un seul homme les monstres vers le bois. Ils disparurent quelques instants de la vue de Douglas...
Et puis leurs cris de victoire se transformèrent en cris de terreur.


Un rugissement sauvage aussi puissant qu'un coup de canon empli l'air. Des soldats fuyaient vers les portes de la cité, laissant leurs armes derrière eux. Un homme fut projeté par-dessus les murailles en hurlant, un autre s'arrêta contre le mur, et retomba sans vie. Douglas, qui n'osait plus bouger un seul muscle, vit un énorme marteau, tenu par un bras poilu plus gros que le tronc derrière lequel il se cachait, écraser l'un des siens comme il écraserait un insecte.


Un trooll. Un trooll attaquait la cité.


La créature titanesque avançait, tel une armée réunie en une seule entité. Son pas lourd faisait tomber les feuilles des arbres, sa tête et ses mâchoires massives, décorées de canines pointées vers le haut reflétaient autant sa force que sa stupidité destructrice. D'une main, il tenait son marteau dont un seul coup aurait pu arracher trois arbres du sol, et de l'autre il traînait un milicien derrière lui par la jambe. Celui-ci était encore vivant, et frappait en criant le bras qui l'avait attrapé avec son arme affûtée. Le trooll n'avait même pas l'air de sentir la lame. Les bracelets hérissés de pointes qu'il avait aux poignets et son plastron fait d'un assemblage grossier de morceaux métalliques arrêtaient la plupart des coups, son cuir plus épais que celui du plus gros des sanglier et ses poils foncés dur comme de l'os faisaient le reste.


Les miliciens n'avaient aucune chance contre cette force de la nature. Il allait tous les massacrer...et Douglas ne pouvait rien faire contre ce monstre.


Hum...contre le trooll, il n'avait aucune chance, certes, mais...l'homme casqué n'avait pas bougé. Il était évident que c'était lui qui contrôlait cette bête, et il lui tournait le dos.
Il fallait agir. Douglas ne pouvait pas ne rien faire. Rien n'est pire que la lâcheté ! Malgré le coup qu'il avait reçu au ventre, lui était encore vivant, et son devoir était donc de continuer à combattre pour protéger les citoyens !
Le plus silencieusement possible, il s'approcha de la silhouette qui admirait le spectacle du trooll écrasant toujours plus de miliciens qui arrivaient pour voir ce qui causait ce vacarme. Il sembalit apprécier cela car il sifflotait gaiement.
Douglas devait tuer cet homme, si tant est que c'en était un. S'il mourrait, les bêtes sauvages n'auraient plus de chef et seraient désorganisées, permettant ainsi aux miliciens de reprendre le dessus. L'avenir de milliers d'habitant étaient en jeu, il ne devait pas faillir.


Retenant sa respiration, il s'approcha jusqu'à être assez près pour lui fendre le casque d'un coup de hallebarde. Il leva son arme, et l'abattit de toutes ses forces...


L'homme n'eut pas le crâne fendu. La hallebarde n'arriva jamais jusqu'à sa tête. Il s'était retourné au dernier moment, et avait arrêté la lame dans sa main. Dans sa main.
Le sang coulait le long de son bras, l'acier avait profondément pénétré dans sa chair. Et pourtant, aucun tressaillement ne se vit sur son corps, aucun son de douleur se sorti de sa bouche. Maintenant Douglas savait quel était son ennemi.
Un redoutable Sacrieur.


Il essaya de retirer son arme, mais l'autre ne la lâchait pas. De sa seule main mutilée, il parvenait à contrer la force d'un homme jeune et bien portant.
Il fini par tirer à son tour sur la lame, et Douglas fut obligé de lâcher prise pour ne pas tomber par terre. Le jeune milicien recula, apeuré. Il pouvait maintenant voir de très près le terrible combattant.


Il était musclé, taillé comme un athlète. Pas une montagne de muscles brutale comme le trooll qu'il commandait, non. Il était juste musclé. Peau mate. Pantalon jaune usé. Une balafre lui traversait le torse. Son casque était fait d'os, et lui couvrait presque la totalité du visage. Fait d'os, il avait deux cornes enroulées qui pointaient vers l'avant, comme un bélier, et deux trous pour les yeux. Des orifices oculaires plutôt...car ce qu'il portait en guise de casque était en réalité bel et bien le crâne d'un animal qu'il aura probablement tué.
Cet homme imposait un respect mêlé de crainte. Il respirait la puissance au moins autant que son monstrueux trooll, malgré sa taille tout à fait normale.

  • Qui êtes vous ?! Qu'est-ce que vous nous voulez à moi et ma ville ?! lui cria Douglas alors qu'il continuait de reculer lentement.
  • Tu te soucieras de ta ville plus tard...inquiète-toi de ton sort pour le moment, lui répondit l'autre d'une voix sincère.
Mais pas de cruauté dans sa voix. Pas de folie, pas de ton menaçant. Douglas avait peine à croire que cet homme puisse tuer ainsi des êtres humains comme il l'avait vu le faire. Il n'était même pas brâkmarien, il l'aurait montré depuis longtemps en déployant des ailes de cuir rouge sinon !
L'homme lança la hallebarde vers Douglas. Elle se planta entre ses deux jambes, sans le toucher. Le milicien la récupéra et la brandit devant lui sans hésiter. Il lui avait rendu son arme ? Très bien. Mais qu'il ne croie pas qu'il n'allait pas s'en servir contre lui !
  • Tu m'as demandé ce que je te voulais...voici la réponse, continua-t-il de sa voix grave. Bat-toi vaillamment, jeune milicien !
Le sacrieur le pointa de sa large épée. C'était un défi. Douglas n'avait pas le choix. Il fallait qu'il se batte pour sauver sa vie, et c'est ce qu'il ferait.


Ce fut le sacrieur qui attaqua en premier. Son épée décrivit un arc de cercle qui visait à tailler la jambe droite de Douglas. Celui-ci réagit vite, et mit son arme en opposition. Le métal hurla, et l'épée remonta le manche de bois en l'entaillant, mais ne toucha aucune chair. Douglas fut cependant traversé de part en part par le choc des armes. Le sacrieur avait une force impressionnante. Contre un tel adversaire, sa seule chance était d'éviter le corps-à-corps trop rapproché. Il avait une arme moins puissante que celle de son adversaire, mais bien plus longue, il devait en tirer profit !


Le sacrieur porta un nouveau coup, d'estoc cette fois. Sa lourde épée n'était pas faite pour ce genre d'attaque, Douglas le repoussa aisément, et en profita pour tenter lui aussi une percée. Il se fendit en avant et transperça l'épaule gauche de son adversaire.
Douglas cru tout d'abord avoir déjà remporté le duel, mais le sacrieur empoigna la lame et la retira de son épaule sans donner le moindre signe de douleur. Puis il tira le milicien à lui, et lui décrocha un coup de pied terrible en pleine poitrine. Le jeune soldat fut jeté en arrière comme une poupée de chiffon, le souffle littéralement coupé. Il glissa sur plusieurs mètres lorsqu'il retomba, avant de s'arrêter en heurtant un arbre. Il se releva le plus vite qu'il le pu, mais complètement sonné, il tituba et fut obligé de s'appuyer sur l'arbre qui l'avait arrêté pour ne pas retomber.
Lorsqu'il recouvrit tous ses esprits, le sacrieur avançait tranquillement vers lui. Lorsqu'il fut à un mètre, il leva son épée et porta un large coup de taille.
Douglas se baissa juste à temps, et l'épée s'enfonça dans le tronc jusqu'à la moitié. Le milicien profita de la surprise de son adversaire pour se jeter sur lui dans un plaquage violent. Le sacrieur lâcha son épée et roula à terre avec lui. Douglas devait agir vite, car dès que l'autre réagirait il serait pratiquement fichu.


Il attrapa la main blessée du sacrieur et l'écarta de toutes ses forces. Les chairs s'ouvrirent jusqu'à ce que les os blancs apparaissent sous ses yeux. Le sacrieur cria cette fois sa douleur. Il dégagea sa main, et Douglas ne l'en empêcha pas, car il portait maintenant son attention sur l'épaule ouverte. Il y plongea la main le profondément possible, et senti le contact dur et chaud du squelette au bout de ses doigts. Il appuya fort dessus.
Le sacrieur hurlait de rage et de douleur à présent. Sa main mutilée et sa blessure maintenant béante à l'épaule l'empêchaient presque de bouger les bras, et les torrents de sang qui en jaillissaient ne lui donnaient plus beaucoup de temps avant de s'écrouler exsangue.
Douglas se jeta sur le côté et roula loin de son adversaire. Il était maintenant couvert de son sang, et une écœurante sensation lui retournait l'estomac. Il avait plongé sa main dans un corps humain...c'était absolument ignoble.


Mais il n'eut pas le temps de se purger de ce dégoût sur le sol. Déjà, l'autre se relevait. Difficilement, mais il se relevait tout de même. Il empoigna son épaule ouverte avec sa main déchiquetée, et pressa dessus au point de s'en faire lui-même crier. Mais lorsqu'il retira sa main, les deux blessures ne saignaient presque plus, remplacées par des plaques de quelque chose ressemblant à du sang coagulé. Et il affichait une profonde expression de réconfort.
Douglas voulu courir chercher son arme avant que l'autre ne se venge, mais il n'en eut pas le temps. Le sacrieur tendit vers lui sa main ouverte, et fit un mouvement de traction en fermant le point. Aussitôt, Douglas fut tiré droit sur son ennemi par une force irrésistible, et celui-ci referma sa main valide sur son cou avant de le soulever du sol presque sans effort.


Le milicien se débattit de tout son corps pour échapper à la poigne terrible du sacrieur, mais rien n'y faisait. Il était en train de l'étouffer.
  • Tu es un adversaire surprenant ! jubila son bourreau en le fixant de ses orbites vides. Mais ce n'était pas suffisant ! C'est moi qui ai gagné ce duel !
  • Arghlll...allez...en...enfer ! réussit-il à articuler.
  • L'enfer sur terre, je l'ai connu ! Celui de Rushu me ferait rire en comparaison ! lui cria soudain le sacrieur avec rage en approchant son casque à quelques centimètres du visage de Douglas. Tu mériterais que je t'y envoie sale petite vermine à ailes blanches !
  • Maudit...brâk...ma...
  • Tait-toi ! vociféra-t-il. TAIT-TOI ! Ne le dit pas ou je te tue sur-le-champ !!!
Le sacrieur lança Douglas devant lui. Il essaya une fois de plus de se relever, mais ses jambes ne le soutenaient plus. Il recula à en se traînant à quatre pattes, incapable de fuir le prédateur qui allait lui ôter la vie.
  • Bontariens, brâkmariens...qu'importe, vous êtes tous pareils ! De vulgaires pions, tous aussi cruels et sans pitié les uns que les autres ! Tu les traite de maudits ? Ils te traitent de monstre ! Ils volent et assassinent ? Vous tuez et vous pillez ! Tu crois sans doute que ta cause est juste hein ? Tu crois que tu vaux mieux que l'un d'eux ? Quand tu iras combattre à leurs murailles, tu n'auras pas le choix ! On t'y enverra de force, quitte à ce que tu sois tué sans avoir servi à quoi que ce soit ! Et si jamais tu arrivais à entrer, qu'est-ce que tu ferais hein ? Tu attaquerais et tu tuerais des civils ! Tu es conditionné pour la guerre ! Tu es aussi mauvais qu'un brâkmarien !
Douglas n'en croyait pas ses oreilles. Le sacrieur était presque devenu fou ! Il avait l'air de haïr les deux cités du monde des 12 plus que tout au monde ! Qu'est-ce Bonta et Brâkmar avaient bien pu lui faire pour les déteste à un tel point ?
Soudain, il se rua sur lui et le prit par le col de sa tunique pour le soulever de nouveau au-dessus du sol.
  • Tu es un gamin fini si tu continues dans la voix que tu as choisi, lui dit-il d'une voix maintenant redevenue calme et sincère. Tôt ou tard, tu seras transformé en chair à canon. J'ai choisi de m'écarter des chemins qu'ils avaient tracé pour moi, et de mener ma propre existence.
  • C'est vous qui allez me tuer, pas mes compagnons...c'est vous le tueur, lui cracha Douglas dans un souffle.
Un petit rire s'échappa de derrière le casque en os.
  • Ha ha...pauvre gosse va. Lorsque tu te réveilleras, dit-leur que Padgref t'as laissé en vie pour que tu annonces son retour. Sans ça, tu seras exécuté comme un vulgaire traître.
  • Qu...quoi ? Qu'est-ce que vous racontez ?
Douglas n'en su pas plus. Le sacrieur le frappa dans le ventre de son simple poing fermé, et le monde autour du jeune soldat se figea. La douleur lui retira toute perception de l'espace et du temps, irradiant chaque muscle, chaque os, chaque parcelle de son corps qu'il connaissait, et celles qu'il ne connaissait pas. Tout se déchirait, explosait, se reformait, explosait ou se déchirait à nouveau à l'infini. Son esprit allait sombrer dans la folie la plus totale, il allait perdre toute faculté de raisonnement, toute possibilité de penser normalement à nouveau. La douleur était trop forte pour qu'un être humain puisse la supporter. Il voulait mourir, maintenant, tout de suite, quitter ce monde où tout n'était que souffrance, mettre fin à son supplice, à cette punition venue de nulle part.


Mais, soudain, la douleur le quitta comme elle était venue. Son esprit et son corps furent libérés de leur martyre, leur punition était terminée. Et ce fut l'inconscient le plus sombre et apaisant qu'il pouvait espérer qui l'accueillit.
Chapitre XV
Chapitre 15


Elle avait posé ses armes bavardes contre le pied de son lit, juste avant de s'endormir comme une pierre. Le fait de ne plus être en contact direct avec le cuir de leurs fourreaux, ou bien leurs manches, les éloignait de ses pensées. Cela faisait maintenant presque une journée entière qu'elle n'avait pas pu être seule avec elle-même, et c'était un soulagement qu'elle n'aurait pas soupçonné un instant que de pouvoir vagabonder, entièrement solitaire, dans son esprit.


Ecarlia avait passé une excellente nuit, la maison de Hutar était très confortable. Les lits moelleux, la température agréable des chambres, l'odeur de végétation qui venait de l'extérieur par les petites ouvertures dans les murs apportant en permanence de l'air frais...
Oui, cette maison avait tout pour pouvoir se reposer longtemps et agréablement.
Mais maintenant, elle était éveillée. Et elle pouvait enfin penser à tout ce qu'elle voulait, autant qu'elle le voulait, aucune voix ne viendrait l'interrompre intempestivement. Ecarlia ne s'en priva pas.


Les quelques jours qui étaient passés avaient été riches en émotions, toutes plus fortes les unes que les autres. Elle avait vécu plus de choses durant ces dernières soixante-douze heures qu'en dix-neuf ans de vie.
Elle était en ce moment-même dans la maison d'une personne qu'elle n'avait jamais rencontré avant la veille, dans l'une des deux grandes cités du continent : Bonta, la ville aux murs blancs, dites « cité des anges », car les bontariens signalaient leur affinité politique et militaire par une paire d'ailes de plumes immaculées, plus ou moins large selon le grade de leur possesseur.
Le lieu où elle logeait la veille avait été ravagé par un homme redoutable et à moitié fou, ainsi que par un garçon possédé par un démon, selon Zankioh tout du moins...encore une personne dont elle ne savait presque rien d'ailleurs, et à qui elle pourrait tout de même confier sa vie sans hésiter. Alors que quelques jours auparavant, elle n'aurait su faire confiance à presque personne de son entourage...que de changements dans sa vie et sa personnalité, en si peu de temps !


Ce qu'elle commençait à vivre...c'était peut-être bien cette aventure, celle qu'elle rêvait de vivre lorsqu'elle était petite fille, qui venait enfin à elle ? Celle où elle s'imaginait alors triompher de terribles monstres aux têtes et bras multiples, pour récupérer ensuite au beau milieu de leurs carcasses fumantes, un magnifique Dofus brillant ? Alors qu'elle n'avait même pas idée à l'époque, de ce que pouvait bien être un Dofus...
Aujourd'hui, elle s'en fichait pour ainsi dire éperdument, elle savait que les Dofus n'étaient en fait que des artefacts de pure puissance, des œufs de dragon que tout le monde recherchait pour pouvoir un jour devenir un immortel suffisamment fort pour détrôner les dieux...aucun intérêt, elle préférait laisser aux dieux le soin de faire leur boulot de dieux. La puissance infinie procurée par les six Dofus réunis ne lui donnait pas envie de se mettre à la recherche de ces œufs si légendaires, que leur existence n'était pour beaucoup de gens que pure hypothèse.


Pour le moment, elle avait bien d'autres soucis en tête. Car la soi-disant « aventure » qu'elle était en train de vivre, elle ne la vivait pas pour elle, mais pour Gilles et Prune. Le voyage qu'elle avait entrepris avait pour seul but de les retrouver, tous les deux, et de rentrer chez elle à Pandala, avec son oncle et sa tante saufs, en s'excusant de tout le mal qu'elle avait pu leur dire. Elle avait fait le chemin précisément jusqu'à Astrub pour que Zacharias Holter, cet assassin mercenaire qui avait une dette envers elle, s'acquitte de cette dette en l'aidant à retrouver Gilles et Prune.
Elle le savait en ce moment même à leur recherche. Cet homme était compétent, ça ne faisait aucun doute. Il finirait certainement par découvrir ce qu'il était advenu d'eux. Mais elle, qu'est-ce qu'elle allait faire à présent qu'elle avait « engagé » ce limier ? Tenter de le suivre à la trace ? Ou bien devait-elle essayer par tous les moyens de retrouver elle-même son oncle et sa tante, pendant que l'autre cherchait aussi de son côté ?


Oui, c'était la meilleure chose à faire. Pas question de rester les bras ballants ! Elle allait aussi se mettre à leur recherche, personnellement. Restait à savoir par où les commencer, ces recherches...
C'était de nouveau un bien bel obstacle qui se dressait devant elle. Elle n'avait aucune idée de la façon dont elle pourrait s'y prendre pour faire cela, c'était la première fois qu'elle se mettait en tête de retrouver une ou plusieurs personnes dans le vaste monde des 12.
Quelle était la méthode à suivre ? Les professionnels devaient bien avoir une technique, un « truc » pour réussir à chaque fois ? Si quelqu'un pouvait lui donner de bons conseils, c'était bien Zacharias.
Problème : pour pouvoir lui parler, il fallait qu'elle le retrouve lui aussi, donc mieux valait oublier. Si le mercenaire était bon pour retrouver les personnes, il devait être encore meilleur dans l'art de ne pas se faire retrouver lui.


Dernière solution pour mener ses propres recherches dans ce cas : mettre la main sur quelqu'un de compétent, qui pourrait et voudrait bien l'aider à avancer dans la bonne direction.
Encore une fois, trouver la personne adéquate allait peut-être lui demander plus d'effort que d'aller fouiller tous les recoins du monde les uns après les autres pour dénicher Gilles et Prune. Quelle prise de tête...


Mais il restait peut-être une dernière solution...Ecarlia y songea alors que son regard allant et venant dans la chambre passait par hasard sur ses épées, silencieuses et immobiles au pied de son lit, comme des épées normales.
Quels objets incroyables. Ils n'avaient l'air de rien comme ça. Enfin, un peu quand même, leur fourreau richement ouvragé en disait long sur l'unicité de ces armes, mais personne ne pouvait se douter d'à quel point elles étaient uniques.
Elle avait senti leur pouvoir à l'instant même où Deudoiné le forgeron les avait mises dans ses mains. Elles étaient aussitôt devenu des prolongements de ses bras, des bras longs et puissants. Mais cela n'était rien du tout comparé à leur fabuleuse faculté à communiquer avec l'esprit de la personne qui les touchait...
Ecarlia eut l'envie d'en savoir plus sur ces étranges sabres, et tout de suite. À plusieurs reprises hier, elle avait voulu en apprendre davantage sur eux, mais leur réponse avait à chaque fois été « Plus tard ! ». Et elle-même se rappelait leur avoir plusieurs fois imposé le silence, de façon plutôt désagréable...
Cette fois-ci, elle avait tout son temps, alors ils avaient intérêt à être aussi coopératifs qu'elle.


Elle redressa sur son lit, de manière à être assise en tailleur, et tendit ses doigts vers les sabres, en se préparant déjà mentalement à devoir supporter leurs sarcasmes dès qu'elle les toucherait.
Ses mains enserrèrent le cuir rouge des fourreaux, et les soulevèrent comme s'ils avaient été en papier.


« Bonjour. »
Premier contact de la journée. Elle n'aimait toujours pas la façon dont les mots s'imposaient dans son esprit. Mais ce simple bonjour, sans ironie et sans aucun sarcasme, était assez agréable pour qu'elle ne se laisse pas aussitôt dominer par l'agressivité due à cette intrusion dans sa tête.
« Bonjour », répondit-elle au tac-au-tac.
« Bien dormi ? »
« Heu...oui, merci. Et vous ? »
« On ne dort pas, on n'est pas vivants ».


Première claque de la journée. Ecarlia passa outre, car le ton qu'elle avait ressenti n'avait rien de moqueur.
« Justement, en parlant de ça...tenta-t-elle comme ouverture, vous n'avez toujours pas voulu m'expliquer ce que vous êtes. Vous me disiez qu'on en reparlerait plus tard, non ? Je pense que maintenant est un bon moment. »
« Oui, on sait. On l'a senti dès que tu nous as effleurés. »


Silence.
Ecarlia avait oublié qu'ils avaient accès à n'importe laquelle de ses pensées sans qu'elle puisse s'en rendre compte. C'était tout de même extrêmement gênant...
Mais aujourd'hui, ils semblaient beaucoup moins bavards que d'habitude. Ils avaient l'air différents, plus sérieux. Rien à voir avec les joyeux lurons qu'elle connaissait.


« Normal, il n'y a pas vraiment moyen de rigoler avec ce qu'on est, en fait. C'est pas très drôle. »
« Mais...vous allez m'expliquer alors ? Pourquoi est-ce que vous êtes capables de parler à mon esprit ? »
« Oui, si c'est ce que tu veux...de toute façon il aurait bien fallu le faire à un moment ou un autre. »
Ecarlia en frétillait d'impatience. Enfin elle allait comprendre le mystère de ces sabres parlants ! Et sans avoir à les convaincre en argumentant des heures, s'il vous plaît ! C'était un luxe qu'elle n'aurait pas espéré.


« Par où commencer ? On ne sait pas trop... »
« Qui vous a créés ? » demanda aussitôt Ecarlia qui n'avait absolument pas envie d'un long monologue hésitant.
« D'accord, alors on va dire que tu poses toutes les questions qui te passeront par la tête, et on fera de notre mieux pour y répondre. On ne peut pas répondre à celle-là. »


Ça commençait bien...


« Et pourquoi ça ? »
« On n'a pas le droit. On ne peut révéler l'identité de notre créateur qu'à certaines conditions. »
« Quelles conditions ? »
« On ne peut pas te le dire non plus. »
Pff...elle aurait dû s'en douter. Elle ne saurait absolument rien de plus à la fin de cette discussion, c'était une perte de temps pure et simple. Ils ne dévoileraient rien du tout sur eux, ils se moquaient d'elle.


« Juste pour te donner tort, on va nous-même poser une question à laquelle on peut répondre : Qui sommes-nous ? »


La curiosité d'Ecarlia fut de nouveau piquée. Finalement, ils voulaient peut-être bien en dire plus long sur eux...


« Je vous écoute. »
« On va essayer d'être le plus clair possible du premier coup, même si ce n'est pas facile...
Alors voilà : nous somme la personnalité et les connaissances de notre créateur à l'époque où il nous a forgés. »


Deuxième claque de la journée. Ecarlia avait entendu cette réponse, formulée très clairement en effet, et elle en comprenait chaque mot, mais elle était incapable de se représenter ce qu'elle signifiait. Est-ce que leur créateur avait enfermé sa personnalité et ses connaissances dans ces armes ? Cela voulait-il dire qu'il était devenu complètement stupide et dénué de toute personnalité après les avoir forgées ?


« Non, non, pas du tout. En fait, il a plutôt laissé une empreinte de lui-même dans le métal de nos lames », expliquèrent les armes. « Il a mit dans des objets inanimés une partie de lui, pour en faire des objets pensants. Il a lié la matière et l'esprit, son esprit. »
« Mais...mais comment a-t-il pu faire ça ? »
« Ah, ça...c'est un secret aussi bien pour lui que pour nous. Donc pour lui au final, puisque nous et lui, c'est le même. On est une sorte...d'accident. »


Ecarlia peinait à tout comprendre, les épées commençaient à être un peu chaotiques, mais elle faisait l'effort de suivre du mieux qu'elle pouvait. Ainsi donc, ces armes avaient en elles des copies de la personnalité de leur créateur...
Formidable, mais en quoi cela leur permettait-il de communiquer via la pensée ? Les autres êtres humains n'étaient pas particulièrement doués pour cela, même avec un corps adapté à leur esprit !


« On pense que ça vient de l'alliage qu'il a utilisé pour faire nos lames. Il a fait un savant mélange d'argent, de bauxite et de dolomite. Enfin, aussi savant que ça aurait pu l'être s'il avait fermé les yeux en le faisant...mais bon, ça a marché. »
« Juste en mélangeant trois minerais rares ??? » s'exclama mentalement Ecarlia, éberluée. Juste trois pierres un peu coûteuses, et vous avez soudain été capable de parler dans l'esprit de n'importe qui ? »


Ils ne répondirent pas. Ecarlia n'en revenait pas. Non, pire, elle n'en croyait pas un mot, c'était impossible ! Si c'était aussi simple, alors Gilles aurait depuis longtemps réussi quelque chose de semblable ! Des centaines de fois, elle l'avait vu utiliser ces matériaux pour fabriquer ses armes ou ses boucliers. Et lui aussi essayait parfois de jouer les apprentis sorciers avec toutes sortes de ressources magiques, la plupart du temps sans grand succès. Et les rares fois où cela avait marché, jamais il n'avait réussi à rendre des objets...pensants !


Ces armes ne lui disaient pas tout, c'était évident. Il y avait autre chose, une chose qu'ils ne voulaient pas lui dévoiler, à qui que fussent les pensées qui se déversaient dans son esprit.


« Tu te trompes, on n'essaye pas de te cacher quoique ce soit. C'est juste que...nous aussi, on doute. Pourquoi on est là ? Figure-toi qu'on ne le sait qu'à moitié. Puisque tu le veux vraiment, on va te dévoiler la moitié que nous savons. Mais tu n'auras que la moitié, et rien d'autre, parce que nous n'avons rien d'autre. On espère que c'est assez clair cette fois. »


La moitié ? Mais qu'est-ce que ça représentait la moitié ? Est-ce que ça pouvait seulement être la moitié intéressante, ou bien celle qui la laisserait sur sa faim ?
Peu importe en fait, elle voulait savoir !


« Voilà, voilà, ça vient, arrête de t'impatienter comme ça. Ce qui fait qu'on est...comme on est, c'est un ingrédient unique que notre créateur a utilisé pour faire nos lame. Quelque chose qu'il a fait fondre avec le métal. »
« Quoi ? »
« Une...écaille. »


Ils se turent. Ecarlia attendit la suite, mais rien ne vint. Elle senti un début de frustration l'envahir. Ce n'était quand même pas ça la moitié ?!?


« Une écaille ? Mais une écaille de quoi ? » insista-t-elle.
« Ça, c'est dans l'autre moitié, comme tu as l'air de t'en douter... »
« Non ! Vous devez bien avoir une idée ! Vous devez bien savoir de quel animal elle venait cette écaille ? Où est-ce qu'il l'a trouvée, sur quoi ? »
« Bon, bon, d'accord...il l'a trouvée en possession d'une bestiole qui n'avait rien à faire avec. Un simple ouginak, dans les landes de Sidimote. Un peu plus costaud que ses congénères, et un peu plus malin aussi. Il l'avait sur lui, comme ça...et mon créateur a réussi à la récupérer. »
« Mais à quoi elle ressemblait ? »
« Elle était très lisse, très légère, à peu près de la taille de ta main. Irisée aussi, elle avait des reflets de couleurs différentes, selon comment on la regardait. Mais elle était comme...ternie, lorsqu'il l'a trouvée. »
« Comment ça ? »
« Et bien, à l'instant où il l'a touchée et observée de près, elle s'est mise progressivement à devenir plus brillante, plus éclatante. C'était très étrange. »
« Elle a réagit lorsqu'il l'a touchée ? »
« Oui. Il l'a gardée, présentée à beaucoup de spécialistes des ressources magiques, et aucun n'a su dire très exactement d'où provenait cette écaille. Certains ont dit d'une créature marine très ancienne, qui dort quelque part au fond de la mer...et d'autre ont dit que c'était l'écaille d'un dragon. Il y en a même qui ont affirmé que c'était le pétale d'une plante sacrée disparue depuis des lustres. Enfin, chacun y allait de sa petite idée. »
« Mais au final, personne ne savait avec certitude ce que c'était... Et qu'est-ce qui s'est passé ensuite ? »
« Il a conservé ce machin pendant plusieurs mois, sans savoir quoi en faire, et un jour il a décidé d'essayer d'en faire quelque chose d'utile. Il a réuni ses connaissances sur la forge des armes, et il a fait son petit mélange avec d'autres trucs rares et magiques qui traînaient dans ses affaires. Par exemple le cuir des fourreaux, c'est du cuir de minotoror en réalité. Et la couleur rouge, c'est de la teinture rouge mélangée à du sang de dragon cochon. Tu peux être certaine que personne n'a jamais eu l'idée de faire un truc aussi dingue, vu le prix d'un litre de sang ! »


Les divagations commençaient...les révélations n'allaient plus pouvoir durer très longtemps.
« Je n'en doute pas, mais si on revenait à ce qui nous intéresse ? »
« Oui, oui, c'est bon. Quand il a commencé à battre l'alliage qu'il avait créé pour faire nos lames, on s'est éveillé lentement...vraiment petit à petit. Chacun de ses coups de marteau imprégnait notre métal d'un peu de lui-même. Et quand il termina de forger nos lames en les plongeant dans l'eau, tout ce qu'il avait mis en nous s'y enferma pour de bon, totalement scellé dans le métal.
Il nous avait donné sa personnalité, son caractère, ses connaissances...mais en nous refroidissant il a aussi empêché quoique que ce soit d'entrer ou de sortir de ces lames. »
« Comment ça ? »
« On va se répéter, mais au moins tu vas définitivement comprendre ! Nous sommes une véritable empreinte de notre créateur, un moulage de qui il était à l'instant exact où il nous a fabriqués ! On ne mûri pas, on ne grandit pas, on n'apprend pas, tout ce que nous sommes est défini et impossible à changer. Nous sommes une em-prein-te, faite à un moment très précis. Notre créateur a changé avec le temps, ses connaissances se sont étiolées, sa personnalité a évolué, mais nous, nous sommes toujours restés les mêmes. Nous...ne pouvons pas changer. Jamais ! »


Ecarlia n'en fut pas certaine, mais elle cru ressentir de la tristesse et de la colère au plus profond d'elle-même. Une tristesse et une colère qui n'étaient pas les siennes. Est-ce que ses armes ressentaient des émotions ? Étaient-ce les leurs, qu'elle pouvait deviner à travers ces pensées passionnées et étrangères aux siennes, qui se glissaient toutes seules dans sa tête ?


« Tu te poses un peu trop de questions compliquées gamine...ça risque de te jouer des tours. »
Compliquée, elle ? Là, c'était l'hôpital qui se moquait de la charité !
« C'est moi qui suis compliquée, alors qu'il n'y a pas moyen de vous faire prononcer un simple nom pour je ne sais quelle raison saugrenue ? Alors que vous parlez en permanence dans ma tête sans même être capable d'expliquer clairement pourquoi vous en êtes capable ???
Tiens, encore une autre chose d'ailleurs ! Pourquoi, si vous êtes une seule personnalité, d'une seule personne, vous dites « on » au lieu de « je », hein ? Vous êtes un ou deux au final ? »
« Ben...on est des sabres jumeaux. On est deux, mais on pense comme un seul, comme de vrais jumeaux quoi. C'était pourtant pas sorcier à comprendre, ça. »


Ecarlia resta silencieuse après cette réplique. Oui, ça paraissait logique en effet, mais de toute façon sa dernière question, elle l'avait posée par pur énervement. Qu'elle en connaisse la réponse ne lui donnait aucune satisfaction, c'étaient plutôt les réponses qu'elle ne connaissait pas qui auraient pu lui en donner !
Qui avait créé ces objets incroyablement...incroyables, mais aussi incroyablement énervants ? Pourquoi ? Et pourquoi lui parlaient-ils à elle, pourquoi réagissaient-ils ainsi à son contact ?
Elle se souvenait, la première fois qu'elle les avait empoignés, de cette sensation de picotement qui lui avait aussitôt envahi les bras, de cette légèreté telle que les armes en étaient devenues presque symbiotiques. Pourquoi elle ? Pourquoi ceux à qui Deudoiné avait fait essayer ces épées jumelles n'avaient pas ressenti la même chose ?


« Holà, holà, tout doux, ça fait beaucoup de question ça... » l'arrêta la voix désormais familière.
« Vous avez dit que vous répondriez à tout ce que vous pourrez, alors je fait de mon mieux pour vous trouver des questions auxquelles vous pouvez répondre ! » répondit ironiquement la sacrieur.
« Pourquoi ça marche avec toi, on n'en a aucune idée, franchement, sincèrement, on ne sait pas, juré. »
« Ben tiens, justement celle qui m'intéressait le plus... »
« En revanche, avec les autres, on sait très bien pourquoi ça ne marchait pas ! On essayait d'entrer en contact avec eux, mais ils n'entendaient rien du tout ! Tu imagines à quel point c'est navrant de crier des trucs à l'oreille de quelqu'un et qu'il ne tourne même pas la tête vers toi ? Hein ?
Alors on essayait à chaque fois de dérégler notre flux magique, pour les perturber dans leurs mouvements, leur faire comprendre qu'il y avait quelqu'un ici-bas ! On le masquait, on le libérait, on le masquait encore...du coup on devenait lourds, puis légers, puis lourds, puis légers...mais ces idiots prenaient peur et nous ramenaient illico chez le forgeron !
Et on ne te parle pas de ceux avec qui on arrivait à entrer un peu en contact ! Là c'était la panique totale, ils nous jetaient presque à la tête du vieux, complètement affolés, et partaient en courant ! Dans des conditions de stupidité pareille, je ne vois pas comment ça pourrait marcher. »


Ecarlia prit quelques instants pour réfléchir. Les autres n'étaient pas capable d'entendre leur voix, ou très peu...ils ne ressentaient pas la même chose qu'elle à leur contact, cette légèreté, cette symbiose, elle était seule à connaître cela lorsqu'elle se saisissait des sabres.


Elle avait donc quelque chose de spécial ? Quelque chose qui faisait qu'elle était capable de percevoir des pensées ? C'était devenu encore plus mystérieux qu'avant. Elle n'avait qu'une question en tête au début de cette conversation : pourquoi ses sabres pensaient. Elle en avait maintenant des dizaines, aussi bien sur ces incroyables objets que sur elle-même !
Elle en venait parfois à regretter sa curiosité quasi insatiable. Que de tracas cela lui amenait...


« Tu te trompes en pensant ça, répondirent les armes comme si une fois de plus, elle avait pensé tout haut. Ta curiosité sera probablement ton meilleur atout dans ta vie. Où est l'intérêt d'apprendre directement ce qui est vrai, ou faux, bon ou mauvais ? Il n'y en a pas ! Ce qui est intéressant et important, c'est de toujours se poser de plus en plus de questions, sans arrêt. Même si les réponses ne viennent pas tout de suite. C'est en se posant des questions qu'on se met à chercher des réponses ! Et c'est en cherchant des réponses qu'on se trouve sans arrêt de nouveaux but à atteindre, qu'on avance ! »


Le ton était profond, sérieux, honnête. C'était inhabituel venant d'eux. Ecarlia senti un regain de confiance se déverser dans son esprit. Se poser de plus en plus de question, même si les réponses ne viennent pas...c'était exactement ce qu'elle avait sans arrêt l'impression de faire.


« Notre créateur devait beaucoup te ressembler, lui avoua la voix avec un ton amical. Aussi fouineur et intelligent que toi. C'était un aventurier, qui voulait découvrir le monde et les réponses aux questions qu'il s'était toujours posées. On comprend pourquoi tu peux nous parler sans problème. C'est parce qu'au fond, tu es comme lui...la même volonté de savoir, le même enthousiasme pour tout ce qui est nouveau et qu'il est possible d'apprendre...en fait, on est semblables, toi et nous. C'est peut-être grâce à ça qu'on peut se parler... »


Cela paraissait étrange à Ecarlia de se comparer à des sabres, même pensants, mais la bizarrerie ne l'avait jamais arrêtée. Ces objets renfermaient l'âme d'une personne qui avait vécu exactement comme elle rêvait de vivre. Un voyageur, voulant connaître le monde, et percer tous les mystères qu'il rencontrerait.
Elle avait devant elle ce à quoi elle pourrait ressembler plus tard. Pas physiquement, elle doutait de vouloir transférer son esprit dans des objets, aussi magnifiques soient-ils...mais c'était peut-être la personnalité qu'elle pourrait acquérir en menant une vie d'aventure, qu'elle tenait dans ses mains.


Une telle perspective lui donnait le vertige. Elle pouvait avoir en partie accès à l'un de ses avenirs possibles, grâce à ces sabres magiques. C'était son futur, avec lequel elle discutait !
Elle serra les mains sur les fourreaux rouges. Pour la première fois, elle se rendait vraiment compte du trésor qu'elle possédait maintenant. En un instant, ces sabres étaient devenus bien plus précieux pour elle que tout ce qu'elle aurait pu imaginer.
° Hé bien, heu...merci. C'est le genre de chose qu'on n'entend que la semaine des quatre jeudis ça.
° Non, merci à vous, répondit Ecarlia en les tenant devant elle comme si elle s'adressait à de véritables personnes. Merci de m'avoir dit tout ça.


Un étrange silence s'installa. Les deux « penseurs » ne s'étaient pas habitués l'un l'autre à avoir de tels dialogues, et cette intimité troublait Ecarlia. Les sabres l'étaient semble-t-il tout autant.
Ce furent pourtant eux qui décidèrent de mettre fin à ce mutisme gêné, après quelques instant passés à rester aussi silencieux que pouvaient l'être deux bouts de métal.
° À part ça...on pense pouvoir t'aider.
Ecarlia ne comprit d'abord pas de quoi ils parlaient. Puis elle se rappela de ce à quoi elle songeait juste avant de débuter cette longue conversation mentale avec ses armes. Ils avaient même su ça, lorsqu'elle les avait simplement touchés...
° C'est vrai ?
° Oui. Enfin, on suppose que oui. On se souvient d'un petit quelque chose qui pourrait t'être très utile.
° Vous vous en souvenez ? Comment ça, qu'est-ce que c'est ?


Elle n'en fut pas certaine, car elle était encore trop peu habituée à avoir une conversation mentale pour en saisir toutes les subtilités, mais elle jura que ce qui résonna dans sa tête à cet instant fut un petit rire malicieux.
Chapitre XV (suite)
Le vent chaud et humide, chargé d'une tension presque palpable, fouettait le visage de Zacharias, alors que Pépite, la dragodinde à la couleur dorée, filait à toute allure sans jamais se fatiguer à travers l'immense plaine de Cania.
Sur son dos sellé, le sram et Kan regardaient avec la même inquiétude arriver un large front nuageux au loin, et déjà des tremblements caractéristiques d'un violent orage faisaient trembler l'air.


À quelques pas derrière eux, une autre dragodinde d'une couleur éclatante transportait un unique passager : un jeune crâ chevauchait à leur suite sur sa monture orchidée, et lui non plus ne pouvait s'empêcher de regarder cette immense masse grise et menaçante se rapprocher d'eux aussi vite que couraient leurs dragodindes, peut-être même encore plus vite.
  • J'ai bien peur qu'on ne doive traverser cet orage ! cria Kan pour couvrir le bruit du vent, déjà fort alors qu'ils étaient encore relativement éloignés de la tempête. On ne pourra pas le contourner, et on ne sait pas combien de temps il pourra durer ! On va être obligés de passer dessous !
  • On voit rarement des orages aussi violents dans les plaines, sa cause m'échappe, dit Zacharias plus bas, pour que Kan soit le seul à entendre.
  • Les tempêtes ne m'ont jamais effrayé ! répondit Nathaniel avec la même voix forte que Kan. Si vous pensez qu'on doit passer au travers pour arriver plus vite à Bonta, ça ne me pose pas de problème, je vous suis !
  • Deux voix contre une, on va donc traverser cet orage Zacharias. Tu n'en n'as pas marre d'être dans la minorité qui a peur de tout, qui s'inquiète sans arrêt ? le piqua Kan, en veillant toutefois à parler assez bas lui aussi, pour que seul le sram entende.
  • Je n'ai pas dit que j'étais contre le fait de traverser, se défendit celui-ci. Mais cet orage me paraît très violent, et je n'en avais jamais vu de pareil dans cette région avant. Je trouve ça étrange, c'est tout.
  • Tu trouves tout étrange...tu es paranoïaque mon vieux.
  • Possible. Mais les paranoïaques ont tendance à vivre plus longtemps que la moyenne, donc je reste sur mes positions, répliqua le sram sans cesser de fixer le bouillonnement de nuages noirs au loin.
Les plaines de Cania étaient des étendues herbeuses recouvrant au moins un tiers du monde des 12. Elles s'étendaient tout autour d'un gigantesque massif rocheux, le massif de Cania, la plus grosse formation montagneuse connue. Cette région allait pratiquement de Astrub jusqu'à l'océan à l'ouest, sans interruption aucune. En restant sur les sentiers des plaines de Cania, on pouvait longer la forêt maudite des Abraknydes, une bonne moitié de la ceinture de montagne protégeant le vaste territoire des Koalaks en allant au sud, et arriver dans les sinistres landes de Sidimote.
En continuant vers l'ouest, on pouvait arriver au bord du monde, sur les plages de sable fin ou les falaises, derniers morceau de terre avant l'immensité bleue de l'océan. Et en se dirigeant vers le nord-ouest, on pouvait rejoindre Bonta, après avoir traversé une grande portion de plaines rocheuses ainsi que les dizaines de kilomètres carrés de champs de céréales naturels qui bordaient la cité aux murs blancs.


Le trio formé par Zacharias, Kan, et depuis peu de temps le crâ nommé Nathaniel, avait déjà parcouru une bonne moitié du chemin qui les emmènerait vers Bonta, où ils avaient bon espoir de retrouver Ecarlia et son petit groupe une bonne fois pour toutes. Ils chevauchaient depuis quelques heures déjà à travers les étendues d'herbe, où poussaient de grandes tiges pointues de pierre beige, véritables épines de la terre, qui faisaient ressembler ce paysage à un gigantesque buisson épineux étendu sur des lieues et des lieues, jusqu'à l'horizon.
Les voyageurs croisaient souvent des troupeaux de créatures, ainsi que des aventuriers en quête de sensations fortes qui venaient les affronter pour la gloire et l'expérience unique que cela leur apportait.
Mais les animaux des plaines se laissaient rarement faire, et la confrontation entre eux et les êtres humains se faisait avec une violence terrible.
Les plus dangereux étaient sans doute les Kanigrous, sortes de loup-garous au pelage jaune. La plupart étaient de taille relativement petite, à peine plus grands qu'un eniripsa, à la limite près qu'ils étaient presque aussi haut que larges, et il n'y avait pas une seule place pour de la graisse superflue dans leur organisme. C'étaient de véritables boules de muscle, de poils, de crocs et de griffes, pouvant éventrer un être humain d'un seul coup de leurs puissantes pattes.


Le trio passait loin des massacres qui avaient lieu un peu partout dans cette zone, ils avaient tous les trois bien d'autres choses en tête. D'ailleurs, au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient de l'orage, ils croisaient de moins en moins de gens. Cela paraissait logique, vu la couleur inquiétante des nuages...


Zacharias essayait de se concentrer sur ce qui allait se passer lorsqu'ils arriveraient à Bonta, et ce n'était pas facile, vu que Pépite avait beau courir longtemps, elle ne courait pas en douceur ! Il était sans arrêt brinquebalé dans toutes les directions. Même s'il était capable de s'en accommoder, il était difficile de réfléchir correctement en étant à ce point secoué.
Lorsqu'ils avaient décidé de se mettre en route vers Bonta la nuit dernière, après de rapides préparatifs, Nathaniel avait bien voulu leur avouer la raison pour laquelle il tenait absolument à les accompagner. De toute façon, ils avaient donné leur parole, donc il était trop tard pour changer d'avis, même si ce qu'il avait à dire était peu honorable...


Il s'était avéré que le jeune crâ était un lieutenant Brakmârien. Pour des raisons obscures qu'il avait refusé de dévoiler, sous peine d'être accusé de traîtrise par ses pairs, il fallait qu'il se rendre incognito à l'intérieur la ville ennemie, et pour cela il avait besoin de l'aide de personnes non alignées.
Il avait assuré à Kan et Zacharias qu'ils ne courraient aucun danger, qu'il ne leur demanderait pas de l'infiltrer par la force, mais Zacharias avait tout de même de légers doute quant à sa bonne parole...


Le sram essayait de prévoir les événements fâcheux qui pouvaient avoir lieu, et d'y trouver une issue. Par exemple, si Nathaniel était identifié comme étant un ennemi, s'il était attaqué, et si lui et Kan étaient accidentellement pris dans la bagarre ? Ou bien si des miliciens les suspectaient (à raison) de vouloir nuire à la ville ? Après tout, ils allaient aider un brakmârien à entrer dans la cité de ses pires ennemis, Sram seul sait pourquoi...
Mais en tout cas, si des miliciens de Bonta les attaquaient en masse, Zacharias ne donnait pas cher de leurs peaux à tous les trois. Il savait que les gardiens de la ville aux murs blancs étaient de redoutables adversaires, et préférait trouver une solution qui leur permettrait d'éviter l'affrontement direct...


La tâche ne devait pas être assez difficile comme ça au goût des dieux, puisqu'un orage cataclysmique s'était justement mis sur leur route, et ses deux compagnons fonçaient droit dedans comme des tofukazes ! Zacharias ne les aurait pas fait changer d'avis, quoi qu'il eut dit, mais il déplorait tout de même cette volonté farouche que ces deux-là avaient d'aller à l'encontre des problèmes.
C'était pourtant très clair que cet orage n'avait rien de normal !
Le sram dépité par tant d'imprudence tourna sa tête sur le côté pour regarder au loin, essayant de se concentrer dès maintenant sur la tâche qui les attendrait à Bonta, à savoir retrouver Ecarlia et Pam. Pour quoi déjà ? Ah oui, pour en prévenir une qu'il ne fallait pas essayer de chercher seule son oncle et sa tante disparus, et l'autre pour...heu...la protéger, s'il avait bien compris les intentions de Kan. Au final, cela revenait tout bonnement au même.


Alors qu'il fixait au loin une arrête de pierre claire qui pointait vers le ciel plus haut que les autres, il remarqua que Nathaniel avait légèrement forcé l'allure de sa dragodinde pour se retrouver au même niveau qu'eux, et non légèrement en arrière.
Lorsqu'il fut juste à côté de Pépite, le crâ les aborda d'une voix forte couverte par le vent venant de l'orage :
  • Dites, je ne voudrais pas paraître froussard ou lâche, je veux qu'on traverse cet orage pour arriver plus vite à Bonta, mais tout de même est-ce bien normal de voir ce genre de météo dans les plaines ? Aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais rien vu de semblable par ici !
Zacharias fut rassuré de voir qu'il n'était pas le seul à s'en inquiéter.
  • En effet, c'est très étrange, répondit-il. Ce genre de formation a le plus souvent lieu quand l'air chaud du continent rencontre l'air froid de l'océan. Mais là on est trop éloignés des côtes, et il ne fait encore assez chaud pour provoquer ça.
  • La preuve que si ! intervint Kan avec un ton irrité. Puisque c'est devant tes yeux, ça doit être réel, je ne vois pas ce qui te gêne ! Peu importe l'explication, cet orage est devant toi, et nous n'y pouvons rien, alors on fait comme avec tous les orages normaux et on le traverse en prenant notre mal en patience !
  • Je ne suis pas d'accord. Cet orage est devant mes yeux, très bien, je ne peux pas dire qu'il ne peut pas exister. Mais s'il est là, c'est qu'il est tout sauf normal, donc on ne peut pas passer au travers comme s'il l'était.
  • On n'a pas de temps à perdre avec tes subtilités de langage Zach' ! renchérit Kan, catégorique. C'est le chemin le plus direct vers Bonta, et je veux retrouver ma nièce au plus vite ! Pas question qu'on fasse un détour de plusieurs kilomètres parce que tu n'es pas...
  • Si je puis me permettre, il y a un autre itinéraire ! coupa Nathaniel. On pourrait dévier au nord, et rejoindre la porte Est de Bonta en passant par le bois de Litneg, plutôt que la porte Sud en passant par les champs. C'est quasiment la même distance, et on évite cet orage si je ne me trompe pas.
Kan et Zacharias fixèrent le crâ comme s'il venait de dire la plus grosse énormité de la semaine. Nathaniel reporta son attention sur l'horizon devant lui, pour échapper à ces regards lourds.
Kan fut le premier à reprendre la parole, d'une voix peu enthousiaste à l'idée de ce nouvel itinéraire :
  • Pour ma part, je crois que c'est encore plus dangereux que de traverser un cyclone entier, je préfère largement le chemin qui passe sous l'orage, merci bien.
  • Ce serait une bonne idée, si on n'y risquait pas notre vie de façon encore plus certaine qu'en passant sous ces nuages noirs, confirma Zacharias.
  • Ce sont les troolls qui vous effraient à ce point ? demanda un Nathaniel amusé.
  • L'idée de croiser une montagne de muscles et de poils, carnivore, et de quatre mètres de haut me laisse un peu inquiet, je l'avoue ! lança Kan, sarcastique.
  • Pour une fois, je suis d'accord avec lui, c'est proche du suicide ce que tu proposes là ! dit Zacharias, quant à lui plus sérieux que jamais.
  • Au moins on saurait vers quoi on va ! argumenta le crâ. On ne risque pas d'être surpris par ce qui nous tomberait dessus !
  • Non, mais par contre ça peut nous tomber dessus par surprise ! souligna Kan.
  • Tout à fait.
  • C'est la première fois que je vous vois aussi d'accord l'un avec l'autre depuis hier soir ! plaisanta Nathaniel. Ça m'a l'air d'être la meilleure solution, vous ne risquez pas de vous lancer dans de furieux débats pour savoir qui a tort et qui a raison, vous savez que vous avez tous les deux raison : c'est de la folie de passer par là !
Sur ce dernier argument, sans attendre davantage, Nathaniel éperonna sa monture et passa devant Pépite. Puis il commença à s'éloigner d'eux, en partant légèrement vers la droite.
  • Le bois de Litneg, c'est par là ! leur cria-t-il.
Kan et Zacharias le regardèrent filer devant dans un silence total. Ils fixèrent ensuite les nuages agités qui grondaient de plus en plus fort au loin, dans la direction qu'ils prenaient. Puis il regardèrent de nouveau le crâ qui s'éloignait.
Enfin, lentement, toujours sans dire un mot, Kan fit dévier sa dragodinde dans la même direction que celle que prenait le crâ. Zacharias ne fit ni ne dit rien pour tenter de l'en empêcher.


***


° J'espère que vous savez ce que vous faites et que je ne vais pas passer pour une idiote, ou pire !
° Mais oui, ne t'en fait pas, répondirent les sabres, sûrs d'eux. On n'est pas certains de ce que tu vas trouver, mais on est certains de comment y accéder. Aie confiance.


Ecarlia le sentait mal. Très mal. La dernière personne qu'elle avait vu faire ça s'était retrouvée encerclée par des dizaines de gardes et neutralisée par des sorts immobilisateurs en un rien de temps, et direction les cachots. Elle avait une folle envie de faire demi-tour sur-le-champ, et de réfléchir à un plan moins risqué.
° Arrête de t'inquiéter comme ça, puisqu'on te dit que ça ira !
° Facile à dire ! Vous n'avez probablement jamais vu ce qui arrive à quelqu'un qui essaye d'accéder à un compte qui n'est pas le sien !


Les sabres se turent quelques secondes. Puis ils demandèrent :
° Qu'est-ce qui lui arrive ?
Exaspérée, Ecarlia en poussa un profond soupir pour se calmer les nerfs. Ils n'avaient aucune idée de ce vers quoi ils l'emmenaient... Elle continuait cependant à marcher vers sa destination, sans s'arrêter, et surtout sans savoir ce qui pouvait bien la pousser à faire cette folie.
° Il lui arrive qu'il est immédiatement immobilisé par la force, fini-t-elle par répondre. Ensuite il est conduit dans la plus proche prison, mis devant la personne à qui appartient le compte, qui décide si elle va choisir de le laisser entre les mains de la justice ou bien se faire justice elle-même.
° Oulà, ça ne plaisante pas dit donc.
° C'est tout ce que vous trouvez à dire ?!? s'écria-t-elle mentalement. C'est peut-être ce qui va m'arriver je vous signale ! D'ailleurs non, puisque votre forgeron est mort, je vais directement aller dans les mains de la justice ! Et ce n'est pas la solution qui est la plus à mon avantage !
° Pourquoi, tu penses que si notre créateur avait voulu se faire justice lui-même tu aurais eu une chance de t'en tirer ? Ha ! Tu rêve !
° Je...! Je ne sais vraiment pas ce qui me retient de faire demi-tour !

  • Ça va bien Ecarlia ? lui dit Pam qui marchait à côté d'elle en posant une main sur son épaule. Tu es bien silencieuse, et tu as l'air toute pâlichonne. T'es pas malade au moins ?
Ecarlia se tourna vers Pam avec un sourire amical. Elle vit que Zankioh aussi la regardait d'un air interrogateur, presque suspicieux, et cela ne fit que la mettre plus mal à l'aise encore.
  • Ça va, oui, les rassura-t-elle. Je suis juste un peu fatiguée. Merci d'avoir bien voulu m'accompagner à la banque vous deux, je suppose que ça doit être un peu rébarbatif pour vous...
  • Pas du tout ! répondit Pam avec sa gaieté habituelle. Après avoir cru mes jambes fichues, je suis bien contente de pouvoir marcher, même si c'est pour aller dans un endroit où je n'ai rien à faire.
  • Et moi j'ai dit à Hutar que je le retrouverai à la banque un peu plus tard dans l'après-midi, ajouta Zankioh. Donc il aurait fallu que j'y aille dans à peine deux heures. Je peux bien t'accompagner si tu ne connais pas la ville, quitte à être en avance au rendez-vous.
  • Ah bon ? Tu lui as dit ça quand ? s'étonna Pam.
Pendant une seconde, Zankioh parut hésitant. Puis il répondit sobrement :
  • La réponse n'a pas beaucoup d'intérêt. Mais en tout cas on doit se retrouver.
La pandawa haussa les épaules, puis accepta sans doute que la réponse avait effectivement peu d'intérêt et reporta son attention sur les nombreuses belles maisons devant lesquelles ils passaient en marchant.


Ecarlia avait beau être angoissée à l'idée qu'elle allait demander l'accès à un compte qui n'était pas le sien, elle n'en restait pas moins curieuse de certaines choses qui lui venaient soudain à l'esprit.
  • Zankioh, est-ce que tu sais où est passé Hutar au fait ? demanda-t-elle à l'eniripsa. Il n'est pas rentré chez lui de toute la nuit ?
  • Si, il est rentré. Très tard, répondit-il. Et il est reparti très tôt.
  • Étrange pour un sadida de dormir aussi peu, tu trouves pas Ecarlia ? remarqua Pam.
  • Oui, je me disais la même chose.
  • Hutar est bien plus actif que la plupart des sadidas, répondit Zankioh sur un ton de professeur, comme s'il leur enseignait des caractéristiques spécifiques à un animal étrange. Il cumule plusieurs activités en plus de son rôle protecteur envers chaque plante, ainsi que plusieurs métiers différents.
  • Je suis prête à parier qu'il n'est pas bûcheron ! plaisanta Pam.
Zankioh émit un petit rire.
  • En effet, tu aurais dû parier quelque chose ! Mais il est tout de même sculpteur de bâtons, donc il a besoin des bûcherons pour être correctement fourni en bois, qu'il n'a pas le droit de couper en tant que sadida.
  • C'est un peu paradoxal ça...remarqua Ecarlia.
  • Peut-être bien...il est aussi cordonnier et assez bon pêcheur, mais il est loin d'exceller autant dans ces domaines qu'en tant que sculpteur.
  • Il est si doué que ça ? s'étonna Pam.
Encore une fois, Zankioh la gratifia d'un rire léger.
  • Il a équipé un grand nombre d'aventuriers très exigeants, des guerriers d'exception, donna-t-il pour exemple. Et il a lui-même sculpté son propre bâton, un objet absolument unique, aux propriétés à nulles autres pareilles. Je ne saurais pas dire s'il est le meilleur, mais oui, il est très doué.
  • Et toi Zankioh ? Tu exerces plusieurs métiers aussi ? demanda innocemment la pandawa.
L'eniripsa se tendit. Il se mit à fixer droit devant lui, le visage inexpressif. Apparemment. il n'aimait vraiment pas parler de lui. Ecarlia avait réellement cru que Pam avait posé cette question en toute innocence, mais en observant de biais la pandawa, désormais silencieuse elle aussi, la sacrieur se rendit compte qu'elle attendait une réponse en regardant elle aussi droit devant, à la limite de l'anxiété.
En fait, elle avait demandé cela en voulant avant tout satisfaire sa curiosité quant à l'aisance financière de Zankioh, curiosité qu'elle avait partagé au cours de plusieurs discussions avec Ecarlia. La sacrieur espérait donc également que l'eniripsa veuille bien répondre à ces questions qui les taraudaient toutes les deux depuis quelques temps déjà.


Zankioh les regarda toutes les deux rapidement, puis il poussa un soupir de résignation.
  • Très bien, très bien, je vais vous dire ce que je fais...leur lança-t-il en détournant la tête, l'air presque boudeur.
Ecarlia se suspendit à ses lèvres, tout comme Pam une fraction de seconde après elle. Avides de savoir ce que l'eniripsa avait à dire, elles ne regardaient même plus où elles allaient et manquèrent se cogner contre un mur.
Zankioh ne le remarqua pas, et ce fut avec une réticence non cachée qu'il dévoila un petit bout de sa vie aux deux jeunes femmes :
  • Je travaille en tant que médecin dans la guilde de la Fiole d'Otomaï, déclara-t-il.
Puis il se tut.
Ecarlia et Pam attendirent timidement qu'il veuille bien en dire plus, et, devant leurs regards appuyés, Zankioh céda rapidement :
  • C'est une guilde à vocation humanitaire, expliqua-t-il. Elle est presque exclusivement constituée d'eniripsas, mais certains autres aventuriers équipés d'armes magiques capables de prodiguer des soins efficaces se joignent parfois à nous. Et évidemment des alchimistes.
  • Et...qu'est-ce que vous faites exactement ? s'enquit Ecarlia.
  • Je dirais qu'ils soignent les gens, intervint Pam.
  • Oui, j'avais compris, mais de façon plus détaillée, comment vous procédez ?
  • Comme l'autre soir, lors du cataclysme à Astrub, lui répondit Zankioh. Nous commandons des potions, nous nous occupons des blessés, quelle que soit leur religion, leur âge ou leur statut, de façon égale en tous points. Nous soignons toutes les personnes qui en ont besoin, lorsque nous les voyons ou lorsqu'elles le demandent, qu'elles soient blessées ou malades. Et sans jamais rien demander en retour.
  • Vraiment ?!? Mais...mais alors vous travaillez gratuitement ? s'exclama Pam à la fois choquée et admirative. Vous ne gagnez pas d'argent du tout ?
  • Détrompe-toi Pam, nous gagnons au contraire beaucoup d'argent, répliqua Zankioh, que sa réticence à parler de lui avait quitté, remplacée par ce plaisir qu'il semblait éprouver à enseigner des choses aux autres. Notre guilde n'est pas alimentée en fonds par les membres, mais par le peuple tout entier du monde des 12 !
Les deux jeunes femmes se creusèrent la tête quelques secondes après cette révélation intrigante. Puis Ecarlia se résigna à avouer en leur nom à toutes les deux :
  • On ne comprend pas...
  • C'est pourtant simple, leur dit Zankioh, amusé sans être moqueur. Les gens du monde entier peuvent avoir accès à deux structures qui leur sont absolument indispensables : les banques et les hôtels de vente. Mais ils n'y ont accès qu'à une condition...
  • Il faut qu'ils payent une somme modique pour consulter leur compte ou bien mettre un objet en vente ! s'exclama Pam.
  • Tout à fait, confirma Zankioh. Les gens doivent payer un kama à la banque par objet stocké dans leur coffre bancaire, et une taxe de mise en vente aux hôtels de vente, égale à un centième du prix auquel ils vendent un objet, quel qu'il soit, avec un minimum de un kama. Ces dépensent peuvent paraître infimes, mais...
  • Multipliées par cent, par mille, par dix milles chaque jour, cela fait une vraie fortune ! comprit soudain Ecarlia.
  • Exactement, continua l'eniripsa. Les premières dépenses vont à l'entretient des banques et des hôtels de vente, ainsi qu'à leur personnel bien sûr. Mais ce qu'il reste est bien suffisant pour alimenter les organisations humanitaires, pas si nombreuses que ça. Chaque semaine, tous les membres de la Fiole d'Otomaï reçoivent un versement sur leur compte en banque pour les remercier de leurs services rendus à la population. Mais les membres se doivent de subvenir aux besoins des malades et des blessés avec cet argent, avant toute chose. Toutes les dépenses de la guilde sont assurées par ses membres uniquement, nous n'avons aucun percepteur. Tiens...on est déjà arrivés.
Ecarlia mis quelques secondes avant de se tirer de la stupeur qu'avaient provoqué les révélations de Zankioh. Puis elle comprit que ce grand bâtiment devant lequel ils s'étaient tous les trois arrêtés, cette majestueuse construction blanche, large de plus de trente pas, dotée de trois portes, desquelles entraient et sortaient des flots ininterrompus de personnes aux aspects multiples, cet endroit impressionnant était la grande banque de Bonta.
° Ça y est, nous y sommes, songea-t-elle. Dans quelques minutes, je vais savoir de quel côté des barreaux va se dérouler le reste de ma vie.
° Ne soit pas si pessimiste...ça va bien se passer, crois-nous.
Tout en se disant qu'elle faisait sans doute la plus grosse erreur de sa vie, Ecarlia marcha vers l'entrée centrale de la banque, raide comme un piquet, suivie de près par Pam et Zankioh. Elle essaya de ne pas faire attention au groupe de miliciens armés de hallebardes qui discutait à quelques pas du bâtiment, prêt à intervenir au moindre problème.
Malheureusement, une sourde anxiété la prit à la vue de ces soldats qui pourraient bien se jeter sur elle d'ici quelques minutes. Elle déglutit péniblement, passa devant eux sans leur adresser le moindre regard, et entra plus tendue que jamais dans la banque de la cité des anges.


L'intérieur était pour moins...spacieux. Elle arriva dans une grande salle, qui devait faire très exactement un tiers de la largeur totale de l'édifice. Sans doute que les deux entrées gauches et droites menaient à des salles quasi identiques, d'ailleurs de larges passages sur les côtés y menaient.
Devant elle, un très grand comptoir en bois, qui délimitait une enceinte entre les visiteurs et les employés, s'étendait en un grand rectangle depuis le mur du fond jusqu'à la moitié de la salle, et en couvrait une bonne largeur aussi.
Ce même mur du fond était occupé par la porte blindée d'un coffre gargantuesque. Elle était circulaire, sa serrure impressionnante était d'une complexité à donner mal à la tête rien qu'à la regarder de loin. Cette porte massive était cependant ouverte, et des dizaines d'employés de la banque entraient et sortaient du coffre les bras chargés d'objets en tous genres.


De son côté du comptoir, de nombreuses personnes parlaient à ces mêmes employés de la banque. Et ces travailleurs étaient...des hiboux ! Enfin, des créatures humanoïdes, aux faces de hiboux.
Ils étaient corpulents, mais sans doute était-ce dû à leur épais habit de cuir marron, étrange hybride de toge et de tunique. Leur tête était très grosse, et leurs yeux minuscules, cachés derrière de ridicules lunettes posées sur un petit bec. Leurs sourcils, en revanche, étaient aussi majestueux que pouvait l'être la crinière fleurie d'un Mufafah des plaines herbeuses d'Otomaï. Plumeux, aussi naturellement présents sur leurs visages que pouvaient l'être les cheveux sur la tête d'un humain, c'étaient eux, à n'en point douter, en plus de leur silhouette courbée, qui offraient à ces étranges créatures mi-oiseau, mi-homme, cette puissante aura de savoir et d'intelligence qui empêchait Ecarlia ne serait-ce que de songer s'amuser de leur apparence incongrue.
Ils tenaient tous, sous leur bras ressemblant fortement à une aile, un épais livre relié de cuir, probablement un livre de comptes tenu par chacun d'eux depuis des années.


Lentement, elle s'approcha du comptoir en se glissant parmi la foule. En un instant, elle avait perdu ses deux compagnons, ce qui était peut-être mieux. Elle se demanda comment Zankioh pourrait bien retrouver Hutar ici...
Lorsqu'elle fut devant le comptoir, elle n'attendit pas plus de trois secondes avant que l'un de ces hiboux vienne s'occuper d'elle en personne.
  • Bonjour mademoiselle, que puis-je pour votre service ? demanda-t-il, comme il devait le faire pour chacune des personnes qu'il voyait dans la journée.
  • Bonjour...répondit-elle hésitante. Je, heu...
Elle senti son cœur se serrer l'espace d'un instant. Elle se força à se rappeler ce que lui avaient dit ses sabres avant de partir pour la banque, les phrases qu'ils lui avaient faites répéter plusieurs fois pour qu'elle ne fasse pas d'erreur dans sa formulation. Elle respira un grand coup, puis se lança :
  • J'aimerais accéder au compte de la personne à qui appartenaient autrefois ces armes, dit-elle en posant sur le comptoir les deux sabres rangés dans leurs fourreaux rouges. Elle n'est plus là pour assurer la gestion de son coffre.
Le hiboux regarda successivement les sabres, puis Ecarlia. Soudain, il lui tourna le dos, et elle le vit ouvrir son livre épais alors qu'un fin nuage de poussière dorée témoignait de l'ancienneté des pages. Il le feuilleta pendant plusieurs minutes, durant lesquelles Ecarlia eut tout le temps de sentir son stress grimper en flèche.
Puis il lui refit face aussi soudainement qu'il lui avait tourné le dos, sembla la jauger quelques instants de son regard immobile, et lui posa ensuite une simple question :
  • Qu'est-ce qui vous fait croire que vous pouvez avoir accès à son compte simplement en présentant ses armes ici ?
Il n'était pas suspicieux du tout, pas plus qu'il n'était curieux. Il avait simplement énoncé cela, comme s'il avait demandé quel temps il faisait dehors en ce moment. Comme si c'était une banale question d'examen, du style « en quelle année a eu lieu la bataille de l'aurore Pourpre ? ». Ecarlia le fixa droit dans les yeux, et posa sa main sur les fourreaux, comme ils lui avaient dit de faire. Sans cesser de le dévisager, elle lui répondit :
  • Ce sont eux qui me l'ont dit.
Le hibou hocha silencieusement la tête, satisfait de cette réponse. Il ouvrit de nouveau son livre, tourna les pages à toute vitesse, et en quelques secondes en sorti une feuille volante qu'il remit à Ecarlia.
  • Voici le contenu exhaustif de son coffre, dit-il sur un ton hautement professionnel. Vous pouvez en disposer comme bon vous semble, selon la volonté de son ancien propriétaire, dès que vous aurez apposé vos nom et prénom dans les cases prévues à cet effet sur cette liste. Le premier accès vous est offert, vous devrez vous acquitter de la taxe de consultation lors de vos prochaines visites du coffre. Appelez l'un d'entre nous lorsque vous aurez choisi ce que vous désirez retirer ou placer dans notre banque, nous sommes à votre disposition chère cliente.
Puis il s'en alla accueillir un autre « client », laissant là Ecarlia avec la feuille dans une main, l'autre posée sur les fourreaux de ses sabres.


° Et voilà, tout s'est bien passé ! Tu vois que tu n'avais aucune raison de t'en faire, déclara la conscience enfermée dans les armes jumelles.
° Oui, vous aviez raison, reconnut Ecarlia soulagée. Mais j'ai quand même eut la trouille à un moment...bon, je fais quoi maintenant ?
° Cherche sur cette liste les « parchemins liés ». Il doit y en avoir plusieurs indifférenciés, alors il faudra que tu les retires tous.
° D'accord...
La sacrieur étudia la liste manuscrite de ce coffre qui n'était pas le sien. Elle était inscrite en encre noire, les noms des objets stockés ici par l'ancien propriétaire se succédaient en trois colonnes longues de plus de cent lignes, et à côté de chaque mot était un nombre, parfois petit, parfois plus grand. Probablement la quantité stockée.
Et tout en bas, en-dessous des longues colonnes les unes à côtés des autres, un chiffre était inscrit, suivi d'un K.
Son cœur fit un bond tellement fort qu'elle failli sauter sur place en même temps que lui.
° Que...?!? C...cinq millions de kamas !!!
° Oui, mais chut...retient-toi pour ne pas le hurler, la tempérèrent les sabres sur lesquels elle avait encore la main. Inutile de rameuter tous les détrousseurs et les bandits de Bonta...
° M...mais...mais il était millionnaire votre forgeron ! Il était plus riche que tous les habitants de Pandala réunis !
° C'était un aventurier, expliquèrent-ils. Il a beaucoup voyagé, il a amassé des tas d'objets rares, il a trouvé de nombreux trésors. En en revendant une partie, il a pu se faire une petite fortune.


Ecarlia avait des étoiles dans la tête. C'était donc ça la vie d'aventurier ? Une vie trépidante, remplie de richesses incommensurables ? Cela dépassait ses rêves les plus fous !


° Le hibou...il a bien dit que j'avais le droit de disposer du coffre comme je le voulais, non ? songea-t-elle malicieusement.
° Holà, holà ! Du calme, toi ! l'arrêtèrent-ils aussitôt. Vire-nous ça de ta p'tite tête sur-le-champ, c'est nous les anciens propriétaires, donc c'est nous qui te disons ce que tu as le droit de faire de tout ça !
° Ah oui ? Comment vous pourriez m'empêcher de venir prendre quelques petits kamas de temps en temps ? rétorqua-t-elle. En criant « au voleur » peut-être ? Hé hé...
Sentant qu'une profonde frustration s'emparait des esprits contenus dans les lames argentées, elle décida de les rassurer avant qu'ils ne deviennent insupportables :
° C'est bon, c'est bon, je ne prendrai rien sans vous demander la permission avant. Mais je suis la seule à pouvoir gérer ce compte à partir de maintenant, donc il faudra bien que vous me laissiez m'en occuper comme je le sens, vous ne croyez pas ?
° Ce sont quand même NOS kamas que tu comptais dépenser là !
° Je ne vois pas ce que vous pourriez bien en faire, tous seuls.


Tout en menant cette discussion mentale, Ecarlia cherchait du bout de son doigt les « parchemins liés » pour lesquels elle s'était déplacée jusqu'à la grande banque. Elle les trouva rapidement, puisqu'il en avait plusieurs les uns à la suite des autres. Très exactement...
° Il faut que je retire les vingt-sept jeux de parchemins ??? Et il y en a une cinquantaine d'exemplaire pour chacun en plus ! s'exclama-t-elle mentalement.
° Tu peux aussi essayer d'en retirer un seul de chaque, mais tu en auras un seul d'utile à ce moment-là...et tu ne sauras toujours pas lequel des vingt-sept était le bon. C'est pour ça qu'on t'a dit d'apporter un sac presque vide.
° Bon, d'accord, je vais en retirer dix de chaque alors. Ça ne me fera que deux cents soixante feuilles inutiles ! railla-t-elle.
Elle tapa de la main sur une sonnette, juste devant elle, et aussitôt un hibou en tous points semblable au premier vint se placer face à elle.
  • Oui ?
  • J'aimerais retirer de ce coffre dix de chacun de ces parchemins liés s'il vous plaît, demanda-t-elle poliment en remplissant les cases « nom - prénom » avec l'une des plumes à encre qui étaient disposées à intervalles réguliers sur le comptoir.
Sans attendre davantage, le hibou s'en alla vers le fond de la salle, et entra dans l'immense coffre. Il en revint une poignée de secondes après, les bras chargés de parchemins.
  • Et voilà. Besoin d'autre chose ? demanda-t-il en posant sur le comptoir la pile de deux cents soixante-dix feuilles.
  • Hé bien...
° N'y pense même pas, pas d'argent ! lui crièrent mentalement ses armes.
Elle soupira sans retenue.
  • Non, merci beaucoup, ce sera tout.
Sans même dire au revoir, le hibou s'en alla aussitôt s'occuper d'une autre personne. Ecarlia souleva la pile de parchemins, en même temps qu'elle ôtait son sac à dos pour le poser à plat sur le comptoir de bois.
Avant d'y ranger le tas de feuilles, elle y glissa sa main, et senti, bien calée au fond, la surface familière de la pierre spatiale magique. Elle sourit en remarquant que la pierre émettait une douce chaleur dès qu'elle la touchait, comme si elle réagissait joyeusement au contact de sa main. Ecarlia senti des fissures sur la surface rude, desquelles s'échappaient une chaleur légèrement plus intense. Elle ne s'en était pas rendue compte avant, mais le fait de la contempler uniquement avec ses doigts lui offrait des sensations au toucher bien plus précises.


Elle décida de remettre à plus tard cette inspection plus avant de la pierre, et la déplaça un peu dans son sac pour pouvoir y ranger les parchemins fraîchement sortis du coffre. Le tas de papier ne se décida à loger dans le sac qu'après une bataille brève mais intense avec la sacrieur, légèrement frustrée par ces simples feuilles qui se rebellaient.


À peine avait-elle fermé son sac à dos qu'une main se posa sur son épaule. Elle se retourna et vit le visage mi-soulagé, mi-énervé de Pam.
  • Ah, te voilà ! Ça fait cinq minutes qu'on te cherche partout, c'est pas très sympa de ta part de nous avoir lâchés comme ça ! la réprimanda-t-elle.
  • Je suis désolée, à peine j'avais fait quelques pas que je vous avais déjà perdus dans cette foule...s'excusa-t-elle. Mais j'ai fini ce que j'avais à faire, on peut s'en aller si vous voulez. Où est Zankioh ?
  • Figure-toi qu'il a retrouvé Hutar, alors qu'ils s'étaient donné rendez-vous dans plus d'une heure, soupira Pam, déjà lasse de cette excursion dans Bonta. Du coup je les ai laissés du côté de l'entrée et je t'ai cherchée, vu qu'ils se sont mis à parler à toute vitesse de choses incompréhensibles...
  • On va les retrouver alors ?
  • Ce serait un miracle qu'ils n'aient pas disparu eux aussi, soupira de nouveau la pandawa.
Elles firent toutes les deux le chemin inverse de celui qu'elle avaient emprunté pour venir jusqu'au comptoir, slalomant à travers la masse de personnes de la même façon que sur le pont qui joignait l'île de Pandala et le continent. Sortir semblait encore plus difficile que d'entrer, Ecarlia avait l'impression que la quantité de personnes essayant désespérément d'atteindre le guichet était deux fois plus importante que celle qui essayait désespérément de s'en éloigner. Pas facile d'aller contre une marée humaine...
Mais à leur grand soulagement, elle réussirent à atteindre plutôt vite la sortie, grâce à une utilisation intensive de leurs coudes et leurs épaules. Et, surprise, Zankioh et Hutar discutaient juste devant l'entrée ! Ils étaient simplement sortis, et s'étaient mis un peu en retrait du passage principal, ce qui les rendait facilement repérables pour quiconque sortait ou entrait dans la banque. Les jeunes femmes les rejoignirent en quelques pas, et Hutar les gratifia de son embrassade musclée en guise de bonjour, en plus de son sourire joyeux habituel :
  • Salut les filles ! Bien dormi ? claironna-t-il.
  • Très bien, merci, ta maison est très agréable Hutar ! lui répondit Pam.
  • Il faudra qu'on reparle de la déco tous les trois, hein ? Vous aviez l'air d'avoir des idées hier soir, reprit-il aussitôt sur un ton beaucoup plus sérieux, comme si c'était véritablement d'une importance capitale.
Ecarlia se souvint que le sadida souffrait d'une obsession plutôt étrange : celle de vouloir re-décorer son intérieur. Si c'en était vraiment une, il valait mieux ne pas arroser une plante grimpante déjà bien envahissante, se dit-elle pour rester dans « l'esprit sadida ».
  • Vous parliez de quoi ? s'enquit-elle de façon volontairement indiscrète pour changer de sujet.
  • Des affaires personnelles, surtout...fit Zankioh, évasif.
  • Je lui racontais ce qu'il s'était passé hier soir, précisa le sadida. Mais rien de bien important ou intéressant...ah, j'allais oublier une chose quand même ! s'exclama-t-il en se frappant la main.
L'eniripsa lui glissa un regard curieux, à l'instar de Pam et Ecarlia. Hutar souriait de toutes ses dents, comme s'il allait recevoir un gros cadeau bien emballé.
  • Il y a deux nuits, la porte est de Bonta a subit une attaque violente, commença-t-il. Les victimes se sont comptées par dizaines du côté des miliciens, et les dégâts matériels étaient relativement élevés aussi. Une bien triste nuit en somme...
  • Une attaque brakmârienne ??? Avant-hier ? Mais...pourquoi ont-ils attaqué si soudainement ? Il n'y a eu aucune alarme des espions ! se braqua aussitôt l'eniripsa.
  • Du calme, du calme, le tempéra Hutar. Ce n'était pas une attaque brakmârienne.
Il fit planer un petit moment de suspens, durant lequel ses trois compagnons attendirent impatiemment qu'il lève le voile sur ce mystère.
  • En fait, l'assaut venait droit du bois de Litneg. Et les attaquants, c'étaient des bêtes sauvages ! Un vrai bataillon de mulous et de troolls ! déclara-t-il tout excité.
  • Quoi ?!
Les trois auditeurs avaient réagit en même temps et de la même façon.
  • Depuis quand les bêtes du bois attaquent-elles la ville ? s'insurgea Zankioh. Elles sont peut-être stupides, mais leur instinct de conservation leur a toujours interdit de s'en prendre aux murailles, ils ne peuvent que s'y casser les griffes ! Je ne comprend pas.
  • Des monstres peuvent à tout moment entrer dans Bonta et venir tout saccager ? demanda Pam inquiète.
  • Ils ont tués des dizaines de miliciens tu dis ? C'est terrible ! Pourquoi ils font ça tout d'un coup ? renchérit Ecarlia.
  • Figurez-vous qu'ils n'étaient pas tous seuls, continua Hutar. Les mulous et les troolls sont incapables de s'organiser assez bien pour mener une attaque aussi coordonnée. Les rapports des survivants font état d'une sorte d'embuscade mêlée à la technique de l'appât...un comportement presque militaire et discipliné des monstres. Ils avaient un chef...
  • Un archimonstre ? hasarda Zankioh.
  • Non. Padgref Demoël.
Un silence pesant succéda à cette révélation. Zankioh afficha une stupéfaction totale. Ecarlia quant à elle, n'afficha rien de déchiffrable, juste un visage immobile. Et Pam, bien qu'elle n'eût pas comprit en quoi cette révélation était si surprenante, faisait silence devant ce froid jeté par le sadida.
Ce fut Zankioh qui mis un terme à cette soudaine tension, d'une voix hésitante :
  • Il...il a vraiment été identifié ?
  • Oui, par l'un des survivants, qui lui a même fait la causette avant de subir une punition, répondit Hutar. Il en est ressorti absolument terrifié par les sacrieurs, il a été secoué comme jamais dans sa vie. Heureusement qu'il avait réussi à le blesser un peu avant, sinon il serait sans doute mort...il a reçu un congé à durée indéterminé.
  • Mais comment a-t-il su que c'était bien lui ? s'enquit l'eniripsa.
  • C'est lui qui s'est présenté tout seul apparemment.
  • Mais c'est qui celui-là à la fin ? demanda Pam qui commençait à être vexée de ne pas pouvoir suivre la conversation.
  • Padgref Demoël est un criminel, expliqua Hutar. Un sacrieur qui attaquait les voyageurs un peu partout dans le monde, il y a quelques années.
  • Mais il a disparu une poignée de jours après s'être fait connaître des mercenaires en tant que criminel à capturer, ajouta Zankioh. Il a sans doute préféré redevenir silencieux avant d'être trop traqué...mais pourquoi est-ce qu'il réapparaît comme ça ?
  • Après un coup d'éclat pareil, son prix de capture va être revu à la hausse. À la très grosse hausse même ! jubila Hutar. C'est bon pour nous ça Zankioh !
L'eniripsa ne répondit pas par l'affirmative. Il pencha la tête et regarda le sol, pensif. Pam avait évidemment assisté à toute la scène, et ne semblait pas en revenir.
  • Attendez...vous êtes quoi au juste tous les deux ? Des mercenaires ?
  • Pas tout à fait, rectifia Zankioh. Beaucoup nous considèrent comme des mercenaires comme les autres, mais on ne s'occupe que des contrats « publiques » en fait. Les récupérations de reliques, les règlements de compte, les boulots de « bouche-trou » dans les équipes d'aventuriers...on ne s'occupe pas de ça.
  • On préfère les contrats qui sont d'utilité publique, comme la lutte contre les invasions de monstres qui embêtent un peu tout le monde, tu vois ? continua Hutar.
  • Pourquoi vous n'en avez jamais parlé ?! s'indigna Pam.
Les deux compères se regardèrent, comme gênés.
  • C'était pas tellement important, c'est juste un travail comme un autre, c'est heu... débuta le sadida.
  • ...secondaire, termina Zankioh.
  • Si c'est secondaire, pourquoi tu n'en as pas parlé tout à l'heure, en même temps que tu nous expliquais ton travail de médecin solidaire ? J'ai rien raté Ecarlia, il n'a pas parlé de ça, n'est-ce pas ?
Pas de réponse.
Et pour une bonne raison : Ecarlia n'était plus là.
  • Ça alors ! Elle était là il y a quelques secondes ! Où est-ce qu'elle est passée ? s'exclama Pam.
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