Chapitre XII
Ce ne fut qu'après plusieurs minutes d'efforts intenses passées à secouer la pandawa inconsciente dans tous les sens qu'Ecarlia réussi enfin à faire revenir Pam à elle. Celle-ci ouvrit difficilement les yeux en marmonnant quelque chose de parfaitement incohérent, et poussa un gémissement de douleur en passant sa main derrière sa tête et en sentant un peu de sang coagulé.
- Mais...qu'est ce qui s'est passé ? demanda-t-elle à la sacrieur en se relevant et en se massant l'arrière du crâne. Qu'est ce qui m'est encore tombé dessus ?
- Rien n'est tombé sur toi Pam. Nous avons été attaquées par des brigand, répondit-elle en saisissant son amie par le bras pour éviter qu'elle ne retombe. Tu as été assommée dans l'embuscade.
- Quoi ?!? Des bandits à Astrub ? s'exclama la pandawa choquée. Ils voulaient quoi, de l'argent ?
Ecarlia haussa les épaules.
- Je n'en ai aucune idée. Ils n'ont absolument rien dit. Je suppose qu'ils voulaient nous voler nos affaires.
- C'est étrange...souffla Pam tandis qu'elle appuyait précautionneusement à l'endroit où elle avait le plus mal avec une petite grimace. Astrub est réputée pour être plutôt calme, au niveau des agressions. J'ai pas une grosse bosse là ?
Elle se tourna pour qu'Ecarlia puisse voir. La sacrieur préféra ne pas dire tout de suite à Pam la couleur de sa bosse, effectivement très grosse, pour ne pas trop l'inquiéter. Elle se contenta d'un « ça peut aller » distrait, et de toute façon Zankioh réparerait ça très vite.
- Mais où est-ce qu'ils sont maintenant ? questionna la pandawa. Tu as réussi à les repousser toute seule ? On dirait qu'ils ne t'ont rien prit du tout !
- Non, quelqu'un est venu m'aider, répondit Ecarlia d'un air sombre. Les bandits étaient trois, sans lui, je n'aurais pas eu la moindre chance.
- Ah ? C'était qui ?
La sacrieur leva la tête vers le ciel, songeuse, et elle attendit quelques secondes que ses pensées se remettent en ordre, avant de répondre :
- Je n'en sais rien du tout.
***
Ecarlia n'en revenait pas. Ses katanas lui parlaient ?!? Impossible ! Comment des objets pouvaient-ils discuter et lire dans des pensées ? Elle était en train de devenir folle !
° D'accord. Tu peux ne pas nous croire si tu veux. Mais dans ce cas tu vas bientôt devenir vraiment cinglée ma grande ! Personnellement, si on entendait des voix en essayant de se convaincre qu'on les entend parce qu'on est fou à lier, je ne sais pas combien de temps on pourrait tenir.
- Attendez, qui ça « on » ? lança Ecarlia à haute voix. Vous êtes combien ? Et puis vous êtes qui d'abord ?
° Là par contre, c'est les autres qui vont croire que t'es bonne à enfermer...t'as pas besoin de parler tout haut, contente-toi de penser !
Ecarlia essaya de faire le vide dans sa tête. Si ces voix venaient vraiment de son esprit, elle devrait pouvoir les chasser, à condition de le vouloir vraiment. Sinon...
° Sinon quoi ? Qu'est-ce qu'il va se passer ?
° Aaaaah ! Mais vous allez vous taire oui ?!?
° Ben voilà, c'est quand même pas difficile !
Ecarlia réalisa avec surprise qu'elle venait de répondre à ses étranges interlocuteurs par la pensée. Quelle sensation bizarre !
° Ouais, on sait, merci, t'es pas la première à penser ça...mais bon, assez rigolé, regarde plutôt le type qui t'as sauvée...
Elle tourna le regard vers l'écaflip qui lui était venu en aide, et eu un mouvement de recul. Il était agenouillé par terre quelques instants plus tôt, la tête entre les mains et marmonnant des choses incompréhensibles. Mais à présent, il s'était relevé, et Ecarlia aurait voulu être n'importe où sauf à cet endroit.
Le jeune combattant avait laissé tomber son lourd manteau, et exhibait son corps terriblement meurtri. Sa fourrure blanche était en de nombreux endroits atrocement entaillée, la couleur du sang ressortant sur la clarté de ses poils. Son œil était également traversé par une cicatrice et une grosse goutte de sang en perlait, comme une larme sinistre. La totalité de ses avant-bras et le bout de sa queue avaient l'air d'avoir été plongés dans du sang frais.
Mais ce n'était pas la vue de son corps mutilé qui effrayait le plus la sacrieur, habituée aux pires blessures.
Non, c'était son aura, la chose qui émanait de lui qui lui donna envie de prendre ses jambes à son cou.
La terre aux pieds de l'écaflip se couvrait d'une pellicule de givre, et la sacrieur, alors qu'elle était éloignée de lui de plusieurs mètres, sentait un frisson glacé parcourir sa colonne vertébrale.
L'air se déformait autour de lui, comme s'il devenait petit à petit opaque, et une brume noire très légère l'enveloppait tel un fantôme sombre.
Au milieu de ce chaos dans la matière, il restait immobile, la tête baissée, serrant la garde de son épée noire et inquiétante à s'en faire craquer les jointures, et de sa bouche sortait un flot de sons étranges et continu.
Ecarlia restait pétrifiée sur place. Jamais elle n'avait vu une chose pareille. Son esprit lui disait de fuir, mais ses jambes refusaient de bouger.
Elles refusaient
réellement. La sacrieur ne pouvait quasiment plus faire un seul mouvement !
Paniquée, elle tenta de se débattre, de se libérer de cette emprise malsaine, mais rien ne semblait la retenir. Ses membres étaient tout bonnement paralysés.
Soudain, l'écaflip stoppa le flot ininterrompu de sons, qui émanaient de lui comme cette brume, plus qu'il ne les prononçait. Sa voix faible parvint aux oreilles d'Ecarlia, qui était toujours immobilisée.
- Arrête...je ne pourrai pas...je...refuse que...
Une seconde voix se fit entendre. Ou plutôt ressentir. Ecarlia n'aurait pas su le dire avec certitude, mais en tout cas elle venait encore du jeune écaflip, qui remuait les lèvres en même temps que la voix langoureuse d'une femme emplissait l'air.
« Tu ne dois pas tenter de résister ! Tu sais ce qui pourrait arriver sinon ! »
- Non...pas cette fois...ce n'est pas...pas...
« Pourquoi me refuse-tu ? Lutter te fait souffrir, et ce sera pire si je part maintenant ! Laisse-moi faire ! »
- Non, non...elle...ne va pas...on est trop près d'elle...
« Ne t'inquiète pas pour elle, elle ne s'en souviendra même pas ! Par contre, toi oui ! Laisse-moi faire avant qu'il n'arrive malheur ! »
- Je...je veux...rester...non...je veux qu'elle...sache...
Un silence vocal suivi cette dernière déclaration. Plus aucune des voix ne parlait. Ecarlia était en train d'assister à une dispute entre l'écaflip et...l'écaflip ! On aurait dit qu'il se parlait à lui même avec deux voix, voire deux personnalités, différentes !
Soudain la voix féminine se refit entendre.
« Très bien, je te laisse gâcher tous nos efforts...mais après tout c'est toi qui décide n'est-ce pas ? Tu es assez grand pour savoir ce que tu dois faire...mais ne viens pas dire que je ne t'aurais pas prévenu... ».
Et aussi brusquement que les phénomènes chaotiques étaient apparus, ils s'en allèrent, comme ré-aspirés par le corps du jeune écaflip. L'air redevint normal, la brume noire se dissipa immédiatement et la sensation de froid disparu.
Les muscles d'Ecarlia se remirent à fonctionner soudainement, et elle tomba à la renverse, emportée par son élan qui était revenu sans qu'elle ne s'y attende.
Quant à l'écaflip, il poussa un gémissement de douleur en tombant à quatre pattes.
Pris de nausées, il vomi un liquide sombre, qui disparu aussitôt qu'il toucha le sol, suivi rapidement par le contenu de son estomac.
Ecarlia se releva lentement, sans quitter le jeune guerrier des yeux. Elle ne savait plus si elle devait fuir à toutes jambes ce combattant démoniaque ou bien demander s'il avait besoin d'aide...
Il recommença à respirer à peu près normalement, après un instant à chercher son souffle dans une tempête de sensations atroces. Il restait cependant immobile, fixant le sol, comme terrifié à l'idée de se relever de nouveau.
La sacrieur s'approcha prudemment de l'écaflip meurtri. Elle observait les scarifications qui maculaient de rouge sa fourrure blanche, et doutait de plus en plus de ce qu'elle voyait...
Ce ne fut que lorsqu'elle pu apercevoir les traces de poussières sur les poils immaculés qu'elle se rendit compte de la nature des traces rouges barrant le corps du guerrier.
Ce n'étaient pas des traces de sang, mais bel et bien sa fourrure qui était rouge écarlate ! Elle formait des motifs ressemblant exactement à des marques sanguinolentes, entailles et éclaboussures, à tel point que l'illusion était totale à plusieurs mètres.
En fait, ces marques macabres étaient en tout point semblables...aux siennes ! Celles qu'elle avait aux avant-bras, sur les joues et le ventre. Les marques uniques des sacrieurs ! Et cet écaflip les avait sur lui ! Comment était-ce possible ? Il s’était peut-être peint la fourrure, ou…ou peut-être pas ?
À la fois effrayée et intriguée, elle se pencha au-dessus du garçon qui ne se relevait toujours pas. Il avait l'air de ne même plus se rendre compte de ce qui l'entourait...
° À ta place on ferait gaffe...ce type est louche, avertit la voix dans sa tête alors qu’elle tendait son bras.
Elle décida cette fois de l’ignorer, et posa sa main sur l’épaule du félin.
La réaction fut immédiate. L'écaflip lui saisi le bras avec une force hallucinante, et faucha l'air au ras du sol d'une de ses jambes. Ecarlia n'avait rien vu venir, et s'écroula lourdement par terre dans une suffocation lorsque son dos rencontra la dureté du sol.
Le garçon semblait paniqué. Il regardait autour de lui sans sembler comprendre où il se trouvait. Puis, sans crier gare, il détala à toutes jambes vers le labyrinthe de ruelles du quartier.
Ecarlia se releva une fois de plus, mais cette fois plus furieuse qu'autre chose. Il n'allait pas s'en tirer comme ça...
Voyant la direction qu'il empruntait, elle repoussa une mèche rebelle qui tombait sur son front d'un geste rageur, et se lança à sa poursuite colère au ventre.
Cela faisait plusieurs jours qu'elle n'avait plus couru ainsi. Elle avait plus souvent l'habitude d'être poursuivie par son gibier pour le piéger, et non de le chasser, mais cette fois-ci les rôles étaient inversés. C'était elle qui pourchassait.
Le fugitif était très rapide, sa course était aussi fluide et maîtrisée que celle d'Ecarlia, peut-être même plus. La sacrieur avait du mal à le suivre à travers les ruelles étroites et toutes perpendiculaires. Mais l'écaflip avait emporté son épée sombre en s'enfuyant, et elle semblait le ralentir et même le déséquilibrer. Ecarlia gagnait du terrain.
Soudain, le fugitif sorti du dédale de rues, et se retrouva en plein milieu de l'effervescence du centre ville. La sacrieur aurait largement préféré continuer dans le quartier désert et étroit plutôt que dans cette foule.
L'écaflip, lui, tournait bien évidemment l'ébullition d'Astrub à son avantage. Avec une surprenante agilité, il slalomait entre les passants, sautait par-dessus les étales et passait en glissant sous les charrettes, sous les regards médusés des badauds qui voyaient filer cet éclair rouge et blanc.
Bien qu'elle fût incroyablement agile, Ecarlia avait le plus grand mal à suivre le rythme que lui imposait le formidable coureur. Elle failli plus d'une fois rentrer dans un enutrof qui se traînait au milieu de la rue, ou bien trébucher sur un morceau de quelque chose qui tombait d'un étalage. Lui, évidemment, évitait ce genre de problème sans aucune difficulté, et il provoqua lui-même la destruction de quelques étales pour la ralentir. Il renversa brusquement une charrette de melons sur son passage, alors qu'Ecarlia se rapprochait dangereusement. Les fruits bien ronds roulèrent tout en travers de la rue, et ce ne fut que par une acrobatie improvisée qui la vit courir le long d’un mur qu’Ecarlia pu éviter de justesse le piège classique mais efficace.
Elle réussi, au prix d’énormes efforts, à maintenir entre elle et lui la distance suffisante pour ne pas le perdre de vue. L’adrénaline qui giclait dans ses veines lui donnait une énergie qu’elle ne soupçonnait même pas, et sa course, loin de ralentir, s’accélérait au contraire de plus en plus. À moins que ce ne fut l’autre qui commençât à fatiguer.
Soudain, le fugitif bifurqua de nouveau vers une ruelle. Ecarlia le suivi, persuadée d’avoir gagné cette course-poursuite. Mais elle comprit vite pourquoi il avait décidé de repasser dans un lieu étroit…
Juste après qu’il eut prit la direction de la ruelle, deux bûcheron passèrent devant, en portant une énorme planche d’au moins trois mètres de haut. Les deux hommes, bien que fortement bâtis, avaient le plus grand mal à garder leur stabilité, et marchaient donc bien trop lentement pour avoir le temps de passer avant qu’Ecarlia n’arrive.
La sacrieur n’avait pas le choix. Refusant d’abandonner la course-poursuite alors qu’elle était si près du but, elle fonça droit sur l’épaisse planche. Elle canalisa l’énergie qui irradiait son corps, et frappa du poing le bois massif.
Son élan et sa volonté étaient tels que la puissance du souffle brisa la planche en deux et fit tomber à la renverse les bûcherons stupéfaits.
Elle continua à courir à travers les échardes et la sciure en suspension dans l’air, se protégeant les yeux pour ne pas se faire aveugler.
L’écaflip n’était plus qu’à quelques mètres devant elle, et…la ruelle se finissait en cul-de-sac ! Elle avait réussi ! Cette fois il ne pouvait plus s’échapper !
Mais alors…pourquoi est-ce qu’il ne ralentissait pas ?
La réponse ne se fit pas attendre. Sous les yeux médusés d’Ecarlia, l’écaflip sauta sur le mur de droite, et s’en servit d’appui pour sauter sur celui de gauche. En seulement trois bonds, il monta à plus de cinq mètres de hauteurs, et reprit sa course de plus belle sur les toits !
Subjuguée par une telle agilité, la sacrieur ne se découragea pas. Se rappelant ses chasses dans la forêt de Cania, elle couru droit vers le mur du fond et, comme si elle était poursuivie par un dangereux sanglier des plaines, s’y jeta de toute la force de ses jambes.
Son élan était suffisant pour lui permettre de courir sur le mur. Elle s’éleva, s’éleva…la gouttière du toit n’était plus qu’à cinquante centimètres de ses doigts…elle commençait à retomber…
Non, pas question, pas si près du but ! Pas après tous ces efforts, pas pour une toute petite coudée infranchissable !
Son corps sembla soudain s’éveiller d’un long sommeil. Comme s’il n’était jusqu’à présent qu’à un tout petit régime, que son potentiel n’était qu’endormi. Son esprit se mit en action comme jamais, à tel point qu’elle avait l’impression que tout était plus lent autour d’elle. Sa chute, le son du vent, un oiseau qui passait…elle voyait tout, et réfléchissait à une vitesse ahurissante.
Il ne lui fallu qu’une fraction de seconde pour se tourner face contre terre, et décharger cette énergie qui l’emplissait sous la forme d’un souffle qui fit tourbillonner la poussière comme une véritable tempête. Son corps continua de s’élever alors que la nature aurait voulu qu’il tombe.
Ecarlia su d'instinct qu’elle avait réussi à monter suffisamment haut. Elle se retourna de nouveau à la vitesse de l’éclair, et agrippa le rebord du toit de ses deux mains. La seconde d’après, elle s’y était hissée, et cherchait l’écaflip des yeux.
Il avait prit quelques mètres d’avance, et sautait de toit en toit avec une facilité déconcertante. Mais ces réflexes inhumains n’avaient pas quitté le corps d’Ecarlia, elle se sentait parfaitement capable de continuer la poursuite. Ses jambes se remirent en action, et leur impulsion propulsa Ecarlia jusqu’au toit suivant sans la moindre difficulté.
Elle n’en revenait pas…c’était soudain si facile. D’où lui venaient ces capacités fantastiques ? Elle se sentait si puissante, si libre ! Elle ne semblait même plus soumise à la gravité, ses possibilités étaient décuplées !
Son « gibier » continuait sa fuite sans avoir remarqué qu’elle le poursuivait toujours. Elle remontait sur lui à toute vitesse, courant le long des toits sans le moindre problème, galvanisée par ses réflexes foudroyants. Ses bonds ressemblaient à de véritables envols, ses atterrissages ne cassaient pas la moindre tuile, et se faisaient presque en silence.
Et tout à coup, il se retourna. Ecarlia eut le temps de voir la stupéfaction sur le visage de l’écaflip, lorsqu’il la vit sauter plus de cinq mètres pour changer de toit et se rétablir sans heurt. Il n’attendit pas une seule seconde de plus pour réagir.
Fixant la prochaine maison sur laquelle Ecarlia allait sauter, il brandit son épée à deux mains vers le ciel. Lorsqu’elle comprit ce qu’il allait faire, il était trop tard, son élan l’emportait déjà dans les airs.
L’écaflip frappa dans le vide. Rien ne sorti de son épée, pas d’onde de choc sombre, pas de décharge d’énergie, pas même un courant d’air froid.
Et pourtant, alors qu’Ecarlia était suspendue à six mètres au-dessus du sol, la moitié du toit sur lequel elle devait se réceptionner fut emportée par une force invisible.
On eût dit qu’un cyclone balayait tout ce qu’il y avait à sa portée, ou alors qu’un géant chassait de sa main immense ce vulgaire tas de pierres qui le gênait.
Ecarlia n’avait plus pour atterrir qu’un nuage de poussière.
Elle passa au-travers en suppliant Sacrieur pour qu’un sol pas trop dur ne l’accueille.
Sa déesse l’entendit probablement. Elle tomba sur quelque chose de très mou, et reparti aussitôt dans les airs, avant rencontrer beaucoup plus violemment un nouveau sol bien solide.
Roulé-boulé. Elle se protège la tête de ses mains. Après plusieurs rebonds, son corps s’immobilise enfin contre une paroi.
Ecarlia se releva en titubant. Le tournis la prit, elle fut obligée de s’appuyer contre le mur pour ne pas retomber. Le nuage de poussière, quant à lui, retombait bel et bien sur un gros lit bien épais, au milieu duquel un large renfoncement signalait le passage d’Ecarlia.
Décidément, la chance semblait vraiment de son côté. Si ce lit avait été décalé ne serait-ce que d’un mètre, elle se serait fracassée sur un sol en pierre.
La sacrieur alla se placer sous le trou béant, à la place duquel il y avait un toit entier quelques instants auparavant, pour essayer d’apercevoir celui qui avait causé un tel désastre.
Elle le vit, debout, à la même place. Il la fixait intensément, de sa position en hauteur. Son regard ne trahissait pas la moindre émotion. Ecarlia le soutint, mais dans son regard à elle se mêlaient crainte et rage. Qui était-il pour pouvoir faire une chose aussi incroyable et terrible que de détruire la moitié d’une maison en un seul geste et sans aucun scrupule ?
L’écaflip fini par détourner les yeux. Il sauta hors de la vue d’Ecarlia, et disparu. La sacrieur savait qu’il était maintenant inutile d’essayer de le poursuivre, et surtout beaucoup trop dangereux. Qui que ce fut, il n’était pas prêt à discuter, loin de là.
- Ma maison ! Ma maison ! cria une voix derrière elle. Qu’est ce qui s’est passé ? C’est vous qui avez fait ça ?!?
Ecarlia se retourna pour faire face au visage effaré d’un homme plutôt jeune. Il était mince, élancé, pas athlétique mais tout de même sportif. Il portait un ensemble complet de voyage, avec tunique en cuir et en toile verte, pantalon et bottes solides, ainsi qu’une cape rapiécée. Ses cheveux longs étaient attachés en une queue de cheval sur une tête à la peau pâle et aux yeux vert, et leur couleur platine était si naturelle que c’en était tout bonnement stupéfiant.
Il se dégageait de lui la grâce et la beauté d’un noble animal. Mais un animal en colère…
Alors qu’Ecarlia était en train de se faire cette rapide description de lui, un arc luisant lui apparu dans les mains, et une longue flèche enflammée fut pointée sur elle en un éclair, prête à la transpercer de part en part à tout moment. Ecarlia eu un mouvement de recul et posa sa main gauche sur la garde d’une de ses armes.
° Qu’est-ce que tu pensais il y a deux ou trois minutes ? Que la chance était de ton côté c’est ça ? railla la voix.
- La ferme !
- Quoi ?!? Je n’ai rien dit du tout ! s’indigna le jeune homme. Et qui êtes-vous pour me donner des ordres sous mon propre…enfin, sous ce que vous en avez laissé ! Vous la voulez vraiment entre les deux yeux ma parole ! menaça-t-il en bandant son arc de plus belle.
° On t’avait prévenu, arrête de nous causer à voix haute…tu vas finir par y avoir droit à la camisole, si ce type t’en laisse le temps en tout cas.
Ignorant sagement cette nouvelle remarque, Ecarlia leva ses mains au-dessus de sa tête en signe de non-agression :
- Non, non, ce n’est pas à vous que je…ce n’est pas moi qui ai détruit votre toit, je vous assure ! se rattrapa-t-elle en comprenant qu’elle risquait de faire une bourde.
- Qu’est-ce que vous fichez ici alors ? continua l’autre sans baisser son arme. Vous êtes arrivée par le trou dans toit non ? Alors comment vous expliquez que juste avant que vous n’arriviez il n’y avait pas de trou, et que maintenant que vous êtes là il y en ai un ?
- Je vous jure que vais vous expliquer, tenta-t-elle de dire pour calmer la situation, mais s’il vous plaît baissez ça !
Le jeune homme furieux ne semblait pas très enclin à parlementer, mais après plusieurs secondes d’hésitation, il fini par baisser lentement son arme, qui s’évapora aussi vite qu’elle était apparue. Ecarlia se doutait bien qu’au moindre geste suspect de sa part, elle risquait de se retrouver épinglée au mur comme un tableau, et décida donc de ne pas s’approcher davantage de l’archer pour ne pas l’inciter à se défendre.
- J'attends, dit-il d’un ton menaçant.
Ecarlia inspira lentement et essaya de dire le plus calmement et simplement possible :
- J’étais en train de poursuivre…quelqu’un, sur les toits de la ville. Quand j’ai voulu sauter sur votre maison, ce « quelqu’un » l’a détruite pour que je ne puisse pas le rattraper, et donc je suis tombée…ici.
° Mon dieu, on est fichus…tu pouvais dire les choses de cent façon différentes, sauf de celle-là !
Mais contrairement à ce que raillait la voix pessimiste, le jeune homme ne réagit pas tout de suite. Il commença par lever les yeux vers son ancien toit, et l’observa pendant plusieurs secondes sans bouger. Puis son regard descendit vers son lit couvert de débris, et revint lentement se poser sur la sacrieur qui attendait avec anxiété de voir comment il allait prendre cette histoire.
- Ça semble plausible…fini-t-il par annoncer au grand soulagement d’Ecarlia. Je vous crois.
- Ah…ah oui ? fit-elle alors qu’elle avait difficilement réussi à se convaincre elle-même.
- Oui, le toit a comme été arraché par le côté, pas enfoncé par quelque chose venant du dessus, continua-t-il. Et ce creux dans mon lit prouve qu’une masse assez lourde y a rebondit…donc je vous crois quand vous dites que vous n’avez pas saccagé ma maison.
- Qu…quoi ?! Comment ça une… ? s’indigna Ecarlia.
- Mais je suppose, puisque vous le poursuiviez, que vous savez qui a fait ça, coupa-t-il. Alors qui ?
Ecarlia décida de mettre de côté pour le moment ce qu’elle considérait comme une insulte, mais ce fut avec un air renfrogné plein d’antipathie qu’elle répondit :
- C’est un écaflip. Mais je ne le connais pas, c’était justement pour ça que je le poursuivais. Pour savoir qui c’était.
- Là je commence à avoir du mal à vous croire, menaça le jeune homme en faisant réapparaître dans ses mains l’arc luisant. Vous le poursuiviez parce que vous vouliez qu’il se présente ?
- C’était plus lui qui fuyait que moi qui le poursuivais en fait…répondit-elle sur un ton sarcastique. Mais on peut dire ça oui. Il m'a aidée à me sortir d'une situation difficile et s'est sauvé comme un voleur ensuite. Donc j'ai essayé de le suivre pour comprendre qui était ce type bizarre...c'est tout, expliqua-t-elle.
- Et c'est pour se débarrasser de vous qu'il a eu l'idée d'anéantir ma maison ? s'indigna le jeune homme.
Ecarlia hocha la tête. Apparemment furieux, l'archer baissa pourtant son arme en serrant les dents, et fixa son regard sur le mur. Il avait l'air de chercher quelque chose dans sa mémoire.
- À quoi ressemblait-il ? Précisément ? demanda-t-il soudain.
- Heu...il était assez spécial, répondit Ecarlia un peu surprise. Plutôt jeune, pas très grand. Fourrure blanche avec des motifs rouges, qui ressemblent à des taches de sang.
Son interlocuteur haussa un sourcil douteux.
- Spécial, en effet, c'est le mot. Tant mieux, il sera plus facile à retrouver, ajouta-t-il. Je vais faire afficher un avis de recherche. Où est-ce que vous habitez ?
Elle était de plus en plus prise au dépourvu. Le jeune homme menait la conversation où il le voulait depuis le début de façon toute naturelle.
- J'habite chez un ami en ce moment, il s'appelle Zankioh. Mais pourquoi est-ce que vous voulez savoir...?
- Zankioh ? coupa-t-il. Tiens donc...
- Vous le connaissez ?
Encore une fois, le jeune homme attendit avant de répondre. Il semblait beaucoup réfléchir à chacune des choses qu'il disait ou allait dire, et Ecarlia trouvait ce comportement stressant.
- Oui...de nom, fini-t-il par lâcher. Je sais où il habite en tout cas. Je passerai en soirée avec les avis de recherche, et vous me direz si c'est ressemblant. Et on en restera là. Ça vous convient ?
Ecarlia mit plusieurs secondes avant de comprendre qu'il lui demandait son avis à elle pour s'inviter chez Zankioh.
- Hé bien...oui, je suppose que oui, lâcha-t-elle hésitante.
° Quelle confiance en soi, c'est vraiment impressionnant.
° Taisez-vous, vous !
Ecarlia se félicita d'avoir répondu une fois de plus par la simple pensée. La situation était déjà suffisamment compliquée pour qu'elle n'ai pas besoin en plus de parler à voix haute à un interlocuteur qu'elle était la seule à entendre.
- Dans ce cas, je vous dit à ce soir, conclu le jeune homme en tournant le dos à Ecarlia. Soyez là, vous me devez au moins ça. Après tout, si vous n'aviez pas essayé de rattraper ce type, il n'aurait jamais eu besoin de détruire mon toit.
Et avant qu'Ecarlia n'ait pu se défendre de cette accusation, il disparu dans l'escalier.
La sacrieur attendit un petit moment avant de descendre à son tour, voulant éviter de recroiser ce personnage pour le moins inhabituel dans sa maison. Elle descendit en silence l'escalier, et traversa trois pièces presque vides avant de finalement trouver la porte d'entrée et de sortie. Elle aurait aussi pu sortir par le toit...mais elle s'était ravisée après avoir pensé qu'il avait été assez emprunté pour aujourd'hui. Rien ne vaut une bonne vieille sortie prévue à cet effet.
Elle ne pu s'empêcher, après l'avoir vue de haut en bas, de remarquer l'absence de personnalité dans la maison. Couleur des murs unie, sol de pierre froid, meublé uniquement par ce qui était indispensable à une maison...c'était comme si la demeure était toute neuve, et que personne n'y avait encore habité. Ce jeune homme ne devait pas être très souvent ici.
Ecarlia fut, à sa grande surprise, heureuse de se retrouver dehors dans la foule plutôt que dans cette maison vide. Vu qu'elle ne pouvait pas fermer derrière elle à clef, elle parti en vérifiant juste que la porte ne s'ouvrirait pas d'elle-même sur un courant d'air. Et puis de toute façon, vu ce qu'il y avait à voler et l'état actuel du toit, personne ne serait assez stupide pour prendre possession des lieux en l'absence du propriétaire.
La jeune sacrieur fit un rapide topo de tout ce qui s'était passé depuis cette matinée, et ce n'était pas un luxe.
Elle venait d'entrer involontairement par effraction dans la maison d'un archer au comportement plutôt original.
Elle lui avait fait part de l'existence de cet écaflip carrément étrange et dangereux pour éviter d'être empalée par une flèche enflammée, et l'archer lui avait donné rendez-vous pour qu'elle confirme la ressemblance des avis de recherche qu'il voulait faire afficher, avec la personne réelle.
Cette même personne qu'elle avait poursuivie sur la moitié d'Astrub, dans les ruelles étroites, la foule et même sur les toits de la ville, et qui pourtant lui avait sauvé la vie.
Car elle avait été agressée par des bandits, et que sans son aide elle n'aurait certainement jamais pu s'en sortir vivante, vu que Pam avait été...
Pam !!!
Ecarlia se frappa le front le plus fort qu'elle le pu. Elle avait complètement oublié la pandawa qui avait été lâchement assommée par surprise ! Elle devait encore être évanouie par terre, toute seule dans cette ruelle sombre !
La sacrieur refit fonctionner ses jambes pour courir le plus vite possible, insultant copieusement les passants qui la gênaient dans sa course, et s'insultant soi-même lorsque les passants plus sages s'écartaient prudemment.
° Mais arrête de te traiter comme ça ! À quoi on sert nous, si t'as même plus besoin de nous pour te rabaisser ? Hein ?
° Ça suffit, silence ! J'essayerai de comprendre qui vous êtes plus tard ! Pour l'instant je vous conseille de la fermer, sinon je vous met au placard et je ne vous utiliserai plus que pour couper du bois !
° Hum...vu sous cet angle...
Décidément, cette journée n'était vraiment pas une journée comme les autres.
***
La dragodinde Pépite était véritablement un animal impressionnant. Malgré les deux adultes qui étaient assis sur son dos, elle courrait sans se fatiguer à une vitesse plus que respectable. Zacharias songeait qu'une dragodinde lui serait d'un très grand secourt pour ses longs déplacements, mais il ne savait pas trop s'il aurait la patience de s'en occuper convenablement.
En tout cas, Kan l'avait eue apparemment, car l'animal lui obéissait au doigt et à l'œil. Malgré l'obscurité presque totale qui était tombée sur Pandala, elle semblait savoir exactement où aller pour rejoindre le zaap.
- Elle a l'air de connaître le chemin quasiment par cœur, dit-il au cavalier qui tenait les rennes. Je ne t'ai pas vu lui imposer la moindre direction, ni donner un seul ordre.
Kan ne répondit pas tout suite, et Zacharias ne s'en étonna pas. Il eut la sagesse d'attendre patiemment que le pandawa ne se décide à répondre de lui-même, au lieu de lui reposer la question.
- Les dragodindes qui ont été bien élevées savent d'instinct où leur cavalier désire aller, expliqua-t-il sur un ton neutre. Personne de ma connaissance ne connaît de bonne explication à ça, pas même les meilleurs éleveurs, mais en tout cas c'est bel et bien la vérité. Et c'est tant mieux.
- Et en quoi ça consiste « bien élever sa monture » ? continua le sram curieux.
- Écoute, il y a des tas de livres sur le sujet, et je les ai presque tous lu pour savoir ce qu'il y avait à savoir. Si ça t'intéresse vraiment, je te suggère de faire la même chose, lança sèchement Kan.
Zacharias n'insista pas. Inutile d'essayer d'avoir une conversation avec une personne dans ce genre d'état.
Le reste de la route jusqu'au zaap se fit sans un mot supplémentaire. Lorsqu'ils y arrivèrent, quelques minutes plus tard, Zacharias fut surpris par le nombre de personnes qui s'y pressaient. Il devait bien sûr être moins fréquenté que dans la journée, mais il avait tout de même du mal à comprendre pourquoi il y avait autant de personnes de sortie à une heure pareille.
Kan remarqua sûrement l'étonnement du sram, puisque cette fois ce fut lui qui engagea la conversation :
- Pandala a pas mal changé depuis ta dernière visite, lui dit-il simplement. Les aventuriers du continent viennent y chercher toutes sortes de choses. La plupart s'entraînent en affrontant les créatures de la jungle, du nord à Feudala, ou même les spectres de l'île de Grobe. Il y en a d'autres qui viennent pour trouver des objets qui n'existent qu'ici, comme nos artefacts pandawushu...il y a même une légende qui dit qu'un dofus serait caché quelque part.
- Je ne m'intéresse pas aux dofus, répondit aussitôt Zacharias.
- Tu devrais pourtant..., fit Kan avec un sourire qui se voulait malveillant. Beaucoup y perdent la vie.
Le pandawa guida sa monture vers le cercle de pierres claires, au milieu des aventuriers de tous horizons qui y entraient ou en sortaient dans de rapides flashs bleutés. Pépite franchit la porte magique sans hésitation, habituée qu'elle était du voyage inter-zaap. Zacharias vit disparaître la tête de la dragodinde, puis le cou entier de l'animal, suivi bientôt par les bras et le corps de Kan. La vision était étrange, car il voyait le paysage derrière la fine membrane bleutée par transparence, mais ceux qui la traversaient comme un voile d'eau extrêmement fin ne réapparaissaient pas de l'autre côté.
Le passage dans un zaap le mettait toujours mal à l'aise. Tout le monde avait l'air persuadé que le zaap se franchissait simplement comme une porte, mais lui était certain que ce n'était pas le cas. Son esprit lui disait que c'était plutôt un raccourci, un couloir, plutôt qu'une simple porte. Mais ce qui lui posait problème, c'était qu'il ignorait totalement où se trouvait ce raccourci.
Pour lui, le déplacement d'un zaap à l'autre n'était pas instantané. Il y avait un infime laps de temps entre le moment où il disparaissait dans cette membrane magique et le moment où il réapparaissait là où il voulait. Et il ne savait pas
où allait son corps durant ce laps de temps.
Bien sûr, il n'avait jamais eu le moindre problème en franchissant un zaap, la création du dieu du temps qui remontait aussi loin que la mémoire des hommes était sans reproche. Mais c'était quelque chose qu'il ne comprenait pas. Et lorsqu'il se servait de quelque chose qu'il ne comprenait pas, il n'était rien de plus qu'un jeune sadida vêtu d'habits de feuilles sèches qui jouait avec une torche allumée.
La cité d'Astrub lui apparu presque aussitôt qu'il eût franchi le cercle bleuté.
« Presque... » songea-t-il.
Contrairement à Pandala, la cité des mercenaires était bien plus calme la nuit. Peu de personnes se risquaient d'ailleurs dehors après la nuit précédente, la peur qu'un autre cataclysme se produise était dans tous les esprits.
- Je rappelais d'une ville plus agitée, murmura Kan à Zacharias lorsqu'il vit le peu de personnes à se balader. Astrub a un couvre-feu maintenant ?
- Non. Il y a eu quelques...problèmes la nuit dernière, répondit le sram tout aussi bas. Je préférerais qu'on en reparle plus loin, et plus discrètement si tu veux bien, ajouta-t-il en se masquant le visage à l'aide de son capuchon noir. Je n'aime pas être vu en public habituellement, et je crois que la population m'en remercie. Ma réputation est assez...sinistre par ici.
- J'ai comprit, ça va, fit le pandawa sur un ton réprobateur. Désolé Pépite, il va falloir qu'on te cache, tu attires l'attention sur ce gros corbac et c'est mauvais pour notre enquête.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Zacharias n'eut même pas le temps de comprendre ce qu'allait faire le pandawa, qu'un nuage de fumée les enveloppa et que la dragodinde sur laquelle il était assis disparu brusquement. Les réflexes du sram lui permirent de se réceptionner sans problème, mais il savait pertinemment que Kan aurait voulu le voir sur le derrière, et c'était pour cela qu'il lui avait fait cette farce stupide.
Celui-ci s'était bien évidemment rétabli tout naturellement, et regardait Zacharias d'un air innocent. Le sram le fusilla un instant du regard, puis voyant qu'il ne réagissait pas, décida de passer outre la puérilité de son ancien ami.
Il remonta son manteau noir et son capuchon et, telle une véritable ombre, prit la direction qui lui semblait la plus judicieuse pour commencer leurs recherches.
Kan le suivi à quelques pas jusqu'à ce qu'ils soient complètement seuls, puis le rattrapa en quelques enjambées.
- Alors ? Qu'est-ce qu'il se passe ici ? ré interrogea-t-il à côté du sram. Pourquoi n'y-a-t-il presque personne dehors ?
- Parce que les gens sont craintifs.
Kan fronça les sourcils.
- Soit plus précis s'il te plaît. Ils ont peur de quoi ?
- Je ne sais pas...des dieux sans doute, répondit évasivement Zacharias. Ou bien de la nature, ou juste de mourir, comme presque tout le monde. Les gens ont peur de beaucoup de choses...
Une main forte lui agrippa le bras et le fit s'arrêter net.
- Arrête de jouer avec ma patience, je vais finir par la perdre, menaça Kan en le fixant avec des yeux noirs. Pour la dernière fois, que s'est-il passé ici ?
Calmement, et sans plus de violence, Zacharias empoigna l'avant-bras puissant du panda, et y appliqua une pression de son pouce à un endroit précis. Aussitôt, les doigts de la main s'écartèrent pour libérer son bras, sans que Kan puisse y faire quoique ce soit. Le sram lâcha prise, et le pandawa ne réagit pas.
On sentait planer dans l'air une tension extrême, que le regard mutuel et féroce que se lançaient les deux compagnons forcés ne faisait qu'accroître.
Finalement, ce fut Zacharias qui détourna les yeux. Il ne se sentait pas spécialement effrayé par le pandawa, non. Il voulait juste éviter un rixe inutile en pleine nuit.
- Deux objets célestes se sont écrasés pas très loin d'Astrub après être passés juste au-dessus la nuit dernière, fini-t-il par répondre en même temps qu'il se remettait en marche. Les impacts ont eu beau être assez éloignés pour qu'on ne subisse pas l'onde de choc directe, nous avons eu des « échos » de sa puissance, qui ont fait de gros dégâts. Et maintenant, les gens ont peur de sortir.
- Des « objets céleste » ? répéta Kan interdit. Qu'est-ce que ça veut dire, c'étaient des étoiles ?
- Ça y ressemblait. Je dirais plutôt une sorte d'énorme roche entourée de flammes aveuglantes, mais je ne l'ai aperçue que très brièvement.
Zacharias arrêta là la conversation, car il voyait le bâtiment qu'il cherchait.
La taverne était bien évidemment encore ouverte à cette heure-ci, et le sram connaissait assez bien Astrub pour savoir que c'était la plus grande mine à informations du coin, surtout après une journée entière de soûleries en tous genres.
Kan le suivi dans ce bâtiment, l'un des plus grands de la ville, sans mot dire. Il devait être on ne peut plus d'accord avec lui, une taverne est le lieu idéal pour commencer une enquête.
Zacharias poussa la porte en premier. Un flot d'air chaud, qui sentait des centaines de choses à l'odeur désagréable en même temps, lui attaqua aussitôt le nez. Il y avait des effluves d'alcool de piètre qualité, de nourriture plus ou moins comestible, de sueur, de mauvaise haleine, et même de sécrétions humaines diverses...
Il n'aimait toujours pas fréquenter ce genre d'endroit, ça c'était certain, mais impossible de passer à côté lorsqu'on espionnait ou recherchait quelqu'un. Aussi se forçat-il à entrer. Après tout il avait déjà senti bien pire...
Kan ne sembla pas apprécier beaucoup plus l'environnement olfactif de la taverne, mais ne se plaignit pas. Étrange pour un pandawa de ne pas aimer une taverne, songea Zacharias.
Les recherches commençaient maintenant. Il fallait trouver une trace de la jeune sacrieur, et ça ne serait pas facile dans le tohubohu qui régnait ici.
Première étape : le bar et le tavernier. Zacharias passa entre les tables si rapidement et silencieusement que sa silhouette sombre n'attira pas un seul regard. C'était tant mieux, ne pas être reconnu était un avantage certain pour lui, quoi qu'il fasse.
Kan se faisait un peu plus remarquer. Un pandawa de sa stature dans une taverne attirait les commentaires tels que : « un p'tit concours de buvette mon grand ? » ou « hey, tu nous payeras bien un tonneau pour toi et un pour nous mon vieux ! ». Rien de bien gênant en somme...
Zacharias s'assit à un tabouret libre, à côté d'un crâ qui ne lui semblait pas trop éméché et bien sur lui, et posa quatre pièces sur le comptoir.
Le tavernier, un homme au physique plutôt ingrat, aux cheveux longs et luisants, vint aussitôt les prendre, et ramena une chope de bière quelques instants plus tard. Il posa son œil sur Zacharias, le dévisagea du mieux qu'il pu à travers le capuchon noir qui lui couvrait la tête, et fini par engager la conversation en même temps qu'il prit une chope vide pour la nettoyer :
- Je ne vous ai jamais vu ici, commença-t-il. Vous êtes de passage ?
- On peut dire ça oui, répondit le sram content que cela commence aussi bien. Je voyage beaucoup, et aujourd'hui ça m'a conduit jusqu'ici.
- Ah oui ? Et qu'est-ce qui vous amène, sans vouloir être indiscret ? interrogea le tavernier. Y a pas grand-chose à faire à Astrub, à part aller voir ces maudits mercenaires.
Un sourire traversa rapidement le visage de Zacharias, mais il s'effaça aussitôt en faveur d'une expression neutre.
- Vous avez tout à fait raison, je ne m'imagine pas une seconde faire appel à eux. Je préfère régler mes problèmes tout seul, dit-il sur un ton tout à fait honnête.
- J'aimerais en voir plus souvent des comme vous, dit le tavernier en se dirigeant vers un autre client qui réclamait une énième chope. Tenez, je vous offre la prochaine choppe. Mon chiffre de ce soir me suffira.
- Non, merci. Je ne suis pas un très gros consommateur, désolé, s'excusa le sram. Mais vous pouvez m'aider d'une autre façon.
Le tavernier revint en face de lui, curieux. Il ne devait pas avoir de discussions agréables très souvent avec ses clients, vu la façon avec laquelle Zacharias avait réussi à le mettre dans sa poche en seulement quelques mots échangés.
- Je cherche une de mes amies, expliqua-t-il à voix basse. Une sacrieur, assez jeune. Elle est ici depuis au moins la nuit dernière. Pas très bavarde, plutôt jolie, accompagnée par une pandawa à peu près du même âge. Est-ce que vous savez quelque chose sur elle ?
Le tavernier leva quelques instants les yeux au plafond, et se gratta la tête.
- Oui, ça me dit quelque chose...lâcha-il difficilement. Une jeunette pas très bavarde, avec son amie pandawa ? Elles sont arrivées hier, tard, et elles ont aidé la ville toute la nuit après que ces trucs soient tombés. Des sacrées bonnes femmes...
- Voilà, c'est bien elle ! s'exclama Zacharias. Est-ce que vous savez où elle est en ce moment ?
- Ouais, je crois bien ! clama-t-il en se mettant les poings sur les hanches. Il me semble qu'elle était avec Zankioh quand elle est arrivée. Un type assez connu par ici. Il doit l'héberger le temps qu'elle reste à Astrub. Je vous montre où il habite si vous voulez.
- Oui, merci.
- Inutile.
Zacharias et le tavernier se tournèrent en même temps vers la personne qui avait dit cela. Le crâ, qui était assis juste à côté du sram, fixait le fond de sa chope d'un air songeur.
Puis il se décida à échanger un regard avec les deux hommes qu'il avait interrompus, et qui le toisaient d'un air dubitatif.
- Elle n'y est plus, s'expliqua-t-il simplement. Ils sont partis il y a environ quatre heures, au coucher du soleil.
- Et peut-on savoir d'où vous tenez cette information ? interrogea Zacharias légèrement soupçonneux.
- J'y étais, voilà tout, se contenta de répondre le crâ. Je les vu partir. Enfin, s'enfuir plutôt...je crois même que je les ai aidés.
Zacharias trouvait ce jeune homme de plus en plus suspect. Qu'est-ce qu'il avait à voir avec Ecarlia ?
- Je cherche l'une de ces personnes, répéta-t-il. Si vous avez la moindre information, je suis prêt à y mettre le prix.
Il posa la main sur une de ses dagues, bien visibles à sa ceinture. Contrairement au tavernier, le crâ vit ce geste, et comprit aussitôt qu'il lui était destiné. Cependant, il sembla ne pas s'en inquiéter d'avantage, se contentant de replonger son regard dans le fond de sa chope.
- Pas besoin d'argent, merci, j'ai ce qu'il faut...dit-il distraitement. Mais si vous y mettez un peu de bonne volonté, je veux bien essayer de vous aider. Je la cherche également.
Zacharias haussa un sourcil.
- Vous pourriez être plus clair ?
- Retrouvez-moi dans quelques minutes à la sortie de cette auberge avec votre ami pandawa, fit le crâ en se levant. Nous avons à parler.
Zacharias était d'accord sur ce point, ils avaient apparemment beaucoup de choses à se dire.
À peine le mystérieux jeune homme était-il sorti que Kan vint prendre sa place aux côtés du sram. Il avait l'air de bonne humeur, après avoir semble-t-il cherché des informations autour des tables.
- Alors, tu as trouvé quelque chose ? demanda-t-il joyeusement. Moi il a fallu que je vide plusieurs chopes pour mettre les clients en confiance, mais ils ont fini par m'apprendre des choses intéressantes.
- Ah ? Je t'écoute, dit Zacharias en sirotant sa bière.
- Il semble qu'elles soient chez un certain Zankioh, chuchota Kan à l'oreille du sram. J'ai même réussi à obtenir l'adresse. On peut y aller dès qu'on sortira d'ici. Qu'est-ce que tu dis ça ?
- J'en dit qu'on a rendez-vous dehors, répondit-il en se levant.
Zacharias fut amusé de l'incompréhension qui se pointa dans le regard du pandawa. Il avait l'air de se demander si Zacharias l'avait entendu, ou s'il faisait exprès de l'ignorer. Le sram jugea qu'il serait plus utile de lui faire part de ses découvertes, mais il grava cependant bien profondément dans sa mémoire l'expression du pandawa. Ce serait un souvenir des plus agréables.
- J'ai trouvé une personne qui pourrait peut-être nous aider à savoir où elles sont allées après avoir été chez ce Zankioh, expliqua-t-il. Il nous a donné rendez-vous dehors.
Kan en fut comme abattu. Ses épaules tombèrent, ainsi que ses yeux. Zacharias lui tourna le dos, et se dirigea vers la sortie, le laissant assis là. S'il ne voulait pas venir, c'était son problème. Il avait bien comprit le petit jeu auquel se livrait le pandawa, et préférait ne pas y porter attention. S'il voulait mesurer ses talents de pisteur aux siens, très bien, mais qu'il ne s'étonne pas alors de ne pas se montrer à la hauteur d'un homme qui en a fait sa vie.
Le sram sorti de l'auberge en inspirant à fond l'air frais de la nuit. L'atmosphère là-dedans était vraiment étouffante. Si certains s'évanouissaient sur les tables, cela n'avait rien à voir avec l'alcool, mais bien parce qu'ils devaient manquer d'air...
En revanche, il n'y avait aucun informateur en vue. Il avait dit « quelques minutes », or Zacharias était sorti presque à sa suite. Probablement qu'il était allé chercher quelque chose...ou quelqu'un. Un autre informateur ? Des bandits pour le dépouiller ? Si c'était le cas, il n'avait pas bien choisi sa proie.
La porte derrière lui s'ouvrit puis se referma. Il sentait la présence du pandawa proche de lui. Étrangement, il ne l'inquiétait plus tellement, alors qu'une heure auparavant il aurait donné n'importe quoi pour ne plus jamais le recroiser. L'avenir était vraiment plein de surprises.
- Alors, il est où cet informateur ? demanda la voix grave de Kan.
- Il ne va plus tarder, ne t'inquiète pas.
- Ouais...je dit qu'on devrait aller voir chez ce Zankioh avant toute chose. Ils sont plusieurs à m'avoir dit ça, c'est une piste sûre au mo...
- Bon, écoute, le coupa Zacharias avec une pointe de colère. Je sais que tu as vraiment envie ET de retrouver ta nièce, ET te prouver que tu vaux mieux que moi, et j'ai AUSSI mes raisons de bien vouloir faire équipe avec toi pour réussir à les retrouver. Je sais également que tu me détestes, que tu n'as pas confiance en moi, que ça t'énerves de devoir me supporter, et figure-toi que c'est réciproque.
Il se retourna pour face au pandawa qui le fixait, le visage impassible.
- Mais comprend bien que dans le domaine de l'espionnage, du pistage, de la recherche de personnes disparues ou cachées, c'est MOI qui suis le meilleur de nous deux, et peut-être le meilleur d'Amakna, lui envoya-t-il. Je suis aussi le meilleur dans les attaques surprises, les embuscades, la filature, la discrétion, et l'assassinat ! Et ça n'a rien à voir avec le fait que je vaille mieux ou moins bien que toi, c'est parce que j'y ai voué ma vie, voilà tout ! Alors fait-moi plaisir et arrête d'essayer de me doubler dans ce que je sais faire de mieux. Si tu veux travailler en équipe, il va falloir non pas me concurrencer mais me compléter ! Sinon, autant partir chacun de notre côté dès maintenant.
- Hem...je vous dérange peut-être ? demanda une voix derrière eux.
Zacharias la reconnu. Le jeune homme de l'auberge était bel et bien revenu, et seul. Le sram l'ausculta des pieds à la tête en un instant.
Il semblait qu'il était parti chercher ses affaires de voyage. Une coiffe ronde, de couleur bleu nuit, pendait à sa main.
Un Dora Bora. Cet objet possédait des propriété spectaculaires, Zacharias en avait déjà posé un sur sa tête et s'était vu emplir d'une lucidité et d'une force qui l'avaient presque rendu mégalomane. Cet informateur ne devait pas être n'importe qui, à la fois pour posséder un tel objet et pouvoir l'utiliser.
- Non...je discutais avec mon équipier, rien de bien important, répondit Zacharias en s'approchant de lui pour pouvoir parler à voix basse. Nous ne nous sommes pas présentés je crois, je suis...
- Je pense avoir deviné qui vous étiez, inutile de me donner une fausse identité, coupa le jeune homme, un sourire malicieux sur les lèvres.
Il tendit sa main devant lui, vers le sram surpris.
- Monsieur Holter, votre réputation vous précède ! Je m'appelle Nathaniel Tombépine, disciple de Crâ la juste, déclara-t-il. C'est un grand plaisir pour moi de vous rencontrer en des circonstances aussi...peu hostiles.
Le sram démasqué ne lui serra pas la main. Sa suspicion naturelle venait d'exploser, et à cet instant précis il n'avait plus la moindre confiance en son informateur. S'il le connaissait, il pouvait être n'importe qui, du chasseur de primes engagé par un proche d'une de ses victimes pour la venger, jusqu'au proche lui-même.
- Il paraît que vous pourriez nous aider à retrouver les deux personnes que nous cherchons, intervint Kan qui avait senti l'atmosphère se tendre d'un coup sec alors que le crâ retirait sa main. Nous voudrions pouvoir les rejoindre au plus vite, et soyez assuré que nos intentions ne sont pas mauvaises.
- Je n'y aurais pas mit ma main à couper pourtant, lâcha ironiquement le jeune homme en fixant un Zacharias totalement silencieux. Mais de toute façon, ce pourquoi vous les cherchez ne me regarde pas, ajouta-t-il plus sérieusement. J'ai moi aussi besoin de les retrouver, pour...affaires personnelles. Et je ne vous donnerai mes informations qu'à une seule condition...
Zacharias savait déjà ce qu'allait dire le jeune homme. Celui-ci mit son Dora Bora sur sa tête, et déclara :
- Je veux vous accompagner.
- C'est hors de question, répondit aussitôt le sram.
Visiblement, ce Nathaniel ne s'attendait pas à une réponse aussi directe, puisque son visage se teinta de surprise.
- On va avoir un problème alors, parce que moi je suis d'accord, intervint à nouveau Kan. À condition que ces informations valent le coup.
- Elles le valent, soyez-en sûr, certifia le crâ.
- Vous permettez, je dois discuter avec mon équipier, fit Zacharias d'une voix transpirant la colère.
Kan se laissa gentiment entraîner quelques mètres plus loin, et avec un sourire non caché fit face au sram furieux :
- Je refuse continuer avec lui ! vociféra-t-il. Ce type me connaît, donc il peut très bien être de la famille d'une des personnes que l'ont m'a faite assassiner ! Il pourrait essayer de me supprimer à n'importe quel moment, et s'il y arrivait tu pourrais dire adieu à tes chances de retrouver ta nièce et Ecarlia !
Étrangement, Kan ne semblait pas le moins du monde affolé par cette probabilité. Au contraire, il en riait presque.
- Mon pauvre vieux, ton sale boulot t'as rendu complètement paranoïaque, lui lâcha-t-il à la figure.
Zacharias en resta bouche bée. C'était tout ce qu'il trouvait à dire ?
- Figure-toi que si je me méfie, c'est parce j'ai déjà eu à faire face à ce genre de vengeance, se défendit-il. Pourquoi crois-tu que les tueurs agissent en secret, et anonymement ? On veut éviter les représailles ! Si quelqu'un connaît mon identité personnelle, c'est qu'il sait ce que je fais. S'il sait ce que je fais, il est dangereux, c'est comme ça.
- Il est dangereux ? Tu as peur de lui ? C'est tant mieux ! répondit Kan toujours le sourire aux lèvres. Si on est deux à te surveiller de très près, ça m'arrange !
- MOI, ça ne m'arrange pas ! Je refuse de prendre un tel risque !
Kan leva les yeux aux ciel, comme s'il assistait au caprice d'un petit enfant.
- Très bien, et si moi je le surveille lui ? proposa-t-il. On sera deux à te surveiller, et deux à le surveiller, comme ça tout le monde se surveille et le petit sram arrête de trembler comme un tofu devant un trooll ! Qu'est ce que tu en penses ?
Zacharias voyait bien que le pandawa se moquait ouvertement de lui. Mais c'était à la limite s'il ne s'en fichait pas éperdument. Hors de question de continuer aux côtés d'une personne susceptible de le tuer à n'importe quel moment, Kan était déjà suffisamment doué dans ce rôle. De plus, au vu de ce que la crâ portait sur lui, il n'était pas un débutant. Zacharias aurait peu de chances de s'en sortir s'il essuyait une attaque surprise.
Et puis d'abord, quelque chose clochait. Pourquoi diable voudrait-il partager ses informations avec deux parfaits inconnus, alors qu'il avait l'air bien assez fort pour il aller seul ?
Ce fut à ce moment-là que le crâ lui-même décida de rejoindre la conversation. Il s'approcha sans se vouloir discret, et clama à haute voix :
- J'ai l'impression que vous n'êtes pas tout à fait d'accord sur l'attitude à adopter à mon égard. Je me trompe ?
Zacharias le toisa avec suspicion, guettant le moindre geste suspect.
- Non, en effet, lui répondit-il froidement.
- Dans ce cas, laissez-moi vous montrer pourquoi est-ce que je tiens à aller à leur recherche accompagné et non seul, bien je pense savoir par où ils sont allés.
Et il se mit à marcher en direction des ruelles, sans même attendre que les deux antagonistes ne se mettent d'accord.
Kan fut le premier à lui emboîter le pas, suivi quelques instants plus tard par Zacharias qui soupira en songeant que le crâ était en train de les emmener à part, et dans la pénombre. Pour lui, tout cela sentait le traquenard à plein nez.
- Peut-on savoir où nous allons Nathaniel ? demanda poliment Kan au jeune homme.
- Chez Zankioh.
Le sram dût reconnaître qu'il ne s'attendait absolument pas à ça. Et le jeune homme au Dora Bora avait l'air d'être on ne peut plus sincère. Il aurait très bien pu s'éclipser dans l'ombre dès le premier embranchement, mais sa curiosité venait d'être piquée à vif. Ce crâ en savait beaucoup plus qu'il ne voulait bien le dire, ça ne faisait aucun doute. Et peut-être qu'en allant là-bas, il allait pouvoir trouver un quelconque indice qui pourrait lui éviter d'avoir besoin du crâ.
Il marchèrent donc dans les rues d'Astrub pendant quelques minutes, le jeune homme en tête, suivi par Kan puis Zacharias. Chacun semblait essayer de prévoir les moindres faits et gestes des deux autres, ce qui avait pour conséquence que la procession avançait dans un silence absolu.
Enfin, après quelques ruelles traversées en vitesse, ils arrivèrent à destination. Du moins ce fut ce que Zacharias supposa puisque le crâ s'arrêta soudain devant une grande bâtisse non-éclairée, de laquelle on ne voyait presque rien.
- Et bien ? Qu'est-ce qu'on fait ici ? demanda le sram en regardant partout autour de lui. Il n'y a pas l'air d'y avoir grand chose.
Soudain, Nathaniel fit apparaître dans ses mains un arc luisant, sur lequel était encochée une flèche à la pointe si lumineuse qu'elle éclairait les alentours comme au moins cinq torches.
Zacharias réagit au quart de tour, et porta ses mains aux poignées de ses dagues. Mais il ne les sorti pas de leur fourreau.
Le crâ tira en direction de la grande maison sombre, et la flèche alla se planter dans un mur.
Du moins, dans un reste de mur.
La flèche éclairante faisait maintenant son office. Elle éclairait. Elle dévoilait dans sa majeure partie les ruines d'une maison encore fumantes. Les murs s'étaient pour la plupart écroulés, comme soufflés de l'intérieur. Des débris de bois et de roches jonchaient le sol à proximité de ce qui devait être quelques heures auparavant une grande et belle maison. On voyait de-ci de-là quelques traces de brûlé, des morceaux de plantes complètement ratatinés, comme privés d'eau pendant des jours entiers.
Et l'air était glacial. Zacharias en frissonnait. Une pellicule de givre recouvrait le sol par endroits.
- Voilà, dit simplement le crâ en regardant le spectacle désolant qui s'offrait à eux. Voilà pourquoi je ne veux pas les poursuivre seul.
- Mais...que s'est-il passé ici ? fit Kan, avec dans la voix un effroi que Zacharias ne lui connaissait pas.
- Nous ne sommes pas les seuls à vouloir les retrouver, murmura le sram, suffisamment fort pour que les deux autres entendent.
Kan avait l'air horrifié par ce qu'il voyait. Était-il en train d'imaginer quelle abomination pouvait bien être aux trousses de sa nièce ? Zacharias ne le savait pas, et n'avait pour le moment pas envie de le savoir.
- En effet, acquiesça Nathaniel après quelques instants de silence, lui aussi avec un timbre semblable à celui de la peur dans la voix. Et croyez-moi...ils ont intérêt à courir vite. Et nous encore plus, si on veut les rattraper. Enfin, si je peux me permettre de dire « on », bien sûr.
Il se tourna vers le pandawa au visage décomposé et le sram plus pensif que jamais. Tous les deux ne disaient plus rien, mais à leurs expressions il ne faisait aucun doute de ce qu'ils allaient décider.
- Très bien, c'est d'accord.
C'était Zacharias lui-même qui avait parlé. Pour lui, il n'y avait plus d'autre solution. Il se méfiait toujours du jeune homme ténébreux, trop bien informé à son goût, mais la décision ne lui revenait plus désormais. Elle revenait à l'instinct de conservation le plus élémentaire.
Si ce qui poursuivait Ecarlia et la nièce de Kan était capable de détruire une maison dans sa quasi-totalité avec une telle brutalité, il ne fallait plus qu'il y aille seul, ni même accompagné par une personne au moins aussi forte que lui.
Il lui fallait un bataillon entier. Et trois personne, c'était toujours une personne de plus que seulement deux. Zacharias ne comprenait pas encore tout à fait dans quoi lui, Kan et le jeune crâ s'étaient impliqués sans réellement le vouloir. Mais au moins une chose était sûre. Cet air glacial, et la puissance qui avait été déployée ici en étaient la preuve.
C'était loin d'être une affaire de simples mortels.