Jamin, chercheur de héros

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Mais qu'est-ce qui avait pris à Jamin de repartir sur les routes avec Talan… Enfin les routes… Ca c'est quand il avait de la chance. La plupart du temps, le chasseur l'entraînait sur des terrains où même un animal ne se serait risqué qu'en cas de danger extrême. Par exemple si Jamin avait poussé la chansonnette. En plus la région qu'ils traversaient avaient un nom très difficile à faire rimer. Non, vraiment, quelle idée de repartir à l'aventure ! Et tout ça pour quoi ? Un lac perdu par ci, une crête avec vue sur une mer de nuages par là… Jamin devait régulièrement rappeler à son guide que chasser les belles vues et les beaux moments c'est bien joli, mais que chasser quelque chose qui se mange c'est bien aussi…

En plus, il ne croyait pas un instant à cette théorie selon laquelle s'il était moins dodu à force d'exercice il se ferait moins repérer par les différents prédateurs qu'ils risquaient à tout moment de croiser. Et puis de toute façon il avait son luth pour se défendre alors les prédateurs, ils pouvaient toujours venir !

Oui, décidément, qu'est-ce qui lui avait pris de suivre Talan dans ses errances alors qu'il aurait eu tellement plus de choses à raconter sur cette charmante serveuse du Poney Fringuant… Hmm, oui, quel potentiel héroïque elle avait…

Un instant, Jamin fut bien tenté de rebrousser chemin. Mais voilà, d'une il n'avait aucune idée de la direction à prendre vu qu'il n'y avait pas vraiment de chemin et de deux, il avait une peur effroyable de ce qui les suivait depuis
plusieurs jours.
En effet, même lui s'en était rendu compte. Depuis l'avant veille et peu de temps après qu'ils aient quitté le dernier hameau avant bien longtemps, il avait commencé à sentir qu'ils n'étaient pas seuls. Pourtant il n'avait rien vu, rien entendu. C'était simplement une impression. Il se retournait sans cesse. Son cœur battait à tout rompre. Des frissons lui parcouraient l'échine. Un très bref instant, il avait nourri l'espoir fou que la jolie serveuse du Poney Fringuant allait surgir de derrière la colline pour se jeter dans ses bras et lui dire à quel point elle ne pouvait plus se passer de sa musique. Mais non, ce qui les suivait l'épouvantait sans qu'il sache pourquoi. Ca ne pouvait donc pas être la jolie serveuse…
Jamin songea à ses bras accueillants, au bon fumet de l'auberge…

Un terrible grondement se fit entendre.


"Raaaaaah, s'écria Jamin, tremblant, en se retournant. Il arrive messire Talan !"

"C'était ton ventre", lui répondit posément le chasseur sans se retourner.

"Ah… Oui… Peut-être… Mais quelque chose nous suit bien, vous en convenez au moins ?"

"En effet."

Le chasseur ne semblait pas paniqué. Cela rassura un peu Jamin. Ils poursuivirent leur route. La tension sembla un peu se retirer des épaules du ménestrel, comme si leur poursuivant avait mis de la distance entre eux et lui. Cela dit il continua de se retourner régulièrement, par précaution...

Ils arrivaient à l'une des cachettes du chasseur, en général rien de plus qu'un trou dans un arbre où étaient stockés quelques biens de première nécessité.
Quand il eut descendu le paquet empaqueté de toile au pied de l'arbre, Jamin, en face de lui, arborait un visage horrifié. Ce qu'il voyait le tétanisait. Derrière le chasseur venait enfin d'apparaître leur poursuivant…


"Un… un…"

"Un ?" lui demanda Talan qui déjà s'affairait à défaire les liens autour du paquet de toile et semblait n'avoir rien remarqué.

"Un luth !"

En effet dépassait des plis du paquet le manche d'un luth court et assez rudimentaire.
Jamin en aurait presque oublié la créature apparue derrière le chasseur et qui s'approchait en rampant, prête à bondir. Un frisson d'horreur le parcourut.


"Je savais que vous n'étiez pas vraiment chasseur ! Dire que tout ce temps je me croyais en sécurité avec vous ! Vous n'êtes qu'un vulgaire ménestrel ! Oui, enfin, je veux dire…"

C'est l'instant que choisit la créature surgie de nulle part pour bondir sur Talan.

"Miaouuuuuuu !"

Le chaton se réceptionna tant bien que mal sur l'épaule droite du chasseur, toutes griffes sorties. Talan ne regretta pas d'avoir doublé sa tenue de voyage et recueillit l'animal dans sa main. Il y tenait presque en entier.

"Vous… vous…"

Le regard de Jamin allait du luth au chaton. Sa colère semblait disparaître peu à peu. Il avait désormais ce regard des moments où lui vient l'inspiration.

"Ca vous va si je raconte que c'était plutôt un énorme loup et que l'envie de vous mettre au luth vous est venue en voulant suivre mon exemple ? Après tout je ne mentirai qu'à propos du chaton…"

Celui-ci le regarda de ses grands yeux et Jamin ne put s'empêcher de reculer avec crainte. Il avait de bien grandes griffes ce chaton… S'il retrouvait les cordes de son luth sectionnées au matin, il saurait qui accuser. Oui, l'animal
n'était de toute évidence pas un animal ordinaire. Jamais il n'aurait eu si peur sinon ! Un chaton, mouhahahahaha ! Jamin eut un rire nerveux.
Bon sang que le Poney Fringuant lui manquait…

P.S. : Jamin n'avait pas tort de croire, après que son ventre ait grondé, qu'ils avaient mis de la distance avec leur poursuivant. En effet, le chaton avait été très effrayé par le bruit produit par le ménestrel. Mais si ce dernier l'ignore, c'est plus amusant.
- Père ?
- Hmm ?
- Quand les soldats disent que la guerre gronde au loin, c'est comme pour mon ventre ? C'est parce qu'elle a faim ?
- Tu n'aurais pas dû entendre ça, lui répond son père, sans toutefois pouvoir s'empêcher de sourire. Mais oui, la guerre a faim et soif de bon sang, de courage et d'honneur.
- Alors c'est bien de se battre ?
- Non, la guerre est quelque chose d'injuste fils. Beaucoup vont mourir qui ne le méritent pas, qui auraient pu, sans ça, être heureux. Et d'autres vont vivre alors que leur existence est un fardeau ou qu'ils se sont mal comportés. Il n'y a rien de beau ou de juste dans une guerre, pas même quand on se bat pour défendre sa terre, sa famille ou ses idéaux. On ne devrait pas avoir à se battre. Jamais.
- Oh…

Un soldat passant à quelques pas adresse à l'homme un regard moqueur, avant de poursuivre sa ronde.

- Demain, ta mère, tes sœurs et toi vous partirez.
- Où ça ?
- Là où les seuls grondements que tu entendras, ce seront ceux de ton ventre… du moins je l'espère…
- Et vous père ? Vous ne viendrez pas avec nous ?
- Non, il faut que je participe à quelque chose d'injuste.

Son regard se perd à l'horizon.

- Autant jeter des gravillons pour tenter de stopper le cours d'une rivière...
- Je ne comprends pas…
- Moi non plus, fils, moi non plus…

Au loin, la guerre gronde...

Assis derrière la colline, Jamin essaie de faire taire son estomac. Voilà une journée qu'il a épuisé les réserves de nourriture préparées à son attention par Talan. Ce dernier avait prévu que Jamin se perdrait et lui avait donc donné un peu plus de provisions que nécessaire. Il n'avait toutefois pas prévu que le ménestrel se perdrait à ce point. Après tout, Jamin rentrait chez lui. Il était donc censé se souvenir un minimum du chemin. Eh ben non…


- Je suis bientôt arrivé. Et ma' aura préparé son fameux gigot d'agneau. Avec des pommes de terre sautées. Et… et des champignons…

Une larme perle au coin de l'œil du ménestrel à cette pensée.

- Bon sang j'ai si faim…

Un bruit de carriole attire son attention.
Prévenants, ses parents sont venus à sa rencontre. Connaissant mieux leur fils que Talan, ils se doutaient qu'il aurait plutôt trois jours de ****** que deux. Sa mère lui a même apporté un échantillon de son fameux gigot aux pommes sautées. Cela retardera toujours un peu le moment où son fils voudra leur raconter ses dernières aventures.
Eh bien quoi ? Parce que ce sont ses parents ils devraient avoir appris à le supporter ? Ils l'ont élevé près d'une vingtaine d'années, perdant leurs amis en même temps que leur audition, alors merci, ils ont fait leur part ! Enfin bon, Jamin ne devrait pas rester plus de quelques jours normalement donc tout va bien.

Deux semaines plus tard…


- Oh ! M'man ! Tu ne serais pas en train de préparer ces bonnes galettes dont tu as le secret dis-moi ?

Jamin ferme les yeux et penche légèrement la tête en arrière pour mieux
respirer la bonne odeur venant de la cuisine .


- Tu ne veux pas vraiment que je reparte, avoue, poursuit-il d'un ton taquin.

Avant que sa mère n'ait pu lui répondre, le voilà reparti dans sa chambre pour défaire son sac et remettre ses affaires à leur place, dans le coffre au pied de son lit. Une fois de plus...
Dans la cuisine, sa mère soupire…
Elle a bien essayé de faire de moins bons plats qu'à l'accoutumée mais rien à faire : Jamin ne semble pas vouloir repartir. Ce Talan avec qui il a voyagé doit vraiment être un très mauvais cuisinier (si ça se trouve, lui aussi fait exprès de préparer de mauvais plats...)
En plus, Jamin a même laissé entendre que l'inspiration semblait lui venir aussi bien ici qu'en ces terres hostiles qu'il a pris l'habitude de traverser ces derniers mois. Se pourrait-il qu'il… qu'il ne reparte plus jamais ?
Un instant, la mère de Jamin demeure sans expression à cette idée.


- M'man ! Tu vas faire brûler la galette !

Avec les gestes de celle qui fait ça depuis qu'elle est en âge de tenir une spatule, la mère de Jamin retourne la petite galette brune en souriant à son fils par dessus son épaule.

- Merci Jamin. Que ferais-je sans toi ?
- Je sais m'man. Tu pensais déjà à tout ce bon temps qu'on va passer ensemble je suis sûr.

Elle se retourne vers sa poêle et son feu puis soupire.

- Si tu savais…

Jamin laisse échapper un cri de victoire avant de sortir de la maison pour aller annoncer à son père la bonne nouvelle. Le fils prodigue est de retour !
La mère de Jamin soupire de nouveau.

Très loin de là, au milieu du silence des terres solitaires, les oreilles de Talan se mettent à siffler…
Précisément alors qu'il aurait besoin de toute sa concentration face à ce ouargue sorti de nulle part. Décidément c'est de famille ce don inné pour épicer le quotidien du chasseur...
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