[Kirin Tor] Puits

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Un songe d’enfant…il y a longtemps…



Une vaste étendue verte. Une mer d’herbe. Ondulant au rythme du vent, comme des vagues. Dans cet océan de verdure, il y avait un puits. Un puits profond dont tout le monde ignorait la localisation. Un puits à même le sol. Un puits sans fond.

L’azur cruel laissait triompher un ignoble soleil. Un soleil fiévreux, et aucune ombre pour y échapper. Je suais, je fuyais dans les herbes folles.



« Attention au puits ! » Entendais-je.

Je ne voulais pas entendre. Courir encore et toujours.

Je trébucha. Mon corps tomba, ventre contre terre. Mais ma tête ne reposait sur rien…un immense vide, un trou béant. J’avais trouvé le puits.



« Ne t’approche pas ! » Crus-je entendre au loin.

Je me relevais, fixant ces abysses. Je n’arrivais pas à m’y soustraire. Elles occupaient mon esprit. Comme si elles étaient miennes. Je voulais reculer, mais mon corps ne m’obéissait plus.



« Pars d’ici » un murmure à peine audible.

Mon pied droit s’engouffra dans ce vide. Il m’aspirait. Un pied sur terre, un pied dans le néant. Déséquilibré.

Pied gauche. Je chuta. Un mètre, dix mètres, peut être cent. Une seconde, dix minutes, peut être des heures. Au dessus de moi, le ciel était réduit à un simple cercle qui disparut peu à peu. Aucun dieu pour me secourir.

Personne ne viendra. J’étais seul, seul au milieu de nul part. J’avais l’impression d’être une bouteille, une vieille bouteille vide, abandonnée. Je voulais pleurer, mais aucune larme ne vint. Mon moi m’avait laissé tomber.



« Je suis là…tant que je serais avec toi, ce puits ne t’engloutira pas. Ignore-moi et… »

Je sentais une main griffue sur mon ventre. Je me retournai et je « le » vis… « il » était affreux…mais… « il » me rassurait…je n’étais pas seul…

« Je suis en toi Loerys…je suis toi…Ombrelune »



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Un songe, bien plus récent…



De nouveau seul…dans ce puits…plus de démon…plus de mage…plus rien…plus qu’une vieille bouteille vide…fissurée…

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Une robe…des étoffes lunaires…un don, un symbole…du sens…beaucoup de sens dans cette robe…une essence argentée…touchant mes fissures…

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Des sacs…des petits sacs…des plus gros…cousus par moi…pour Kerandhil…

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Essence argentée…comblant mes brèches…le temple d’Elune…Azshara…la grotte du temps…le cimetière de Lakeshire…attrait…je vibrais, de plus en plus…des souvenirs, une mémoire…j’existais quelque part…j’avais du sens…je n’étais pas rien…je…

De la peine, du mépris…de l’attirance, de la confiance…elle me détestait…elle m’aimait…Ayame…

L’essence argentée se sacrifiait pour combler mes brèches, mes vides…elle s’oubliait pour me redonner mémoire, sens…Ayame…



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Le réveil d’un enfant…



Une gifle. Douloureuse et brutale. Mes yeux s’ouvraient…une chambre, quatre murs gris. Devant moi ma mère…

« Réveille-toi ! Arrête de pleurer, soit un homme ! »

Il y avait du sens. C’était moche, je ne supportais pas cet endroit, je détestais cette guenon du nom de mère mais tout cela existait. C’était réel. J’étais dans ce monde, je sentais la douleur, je comprenais ce que l’on me disait…

Il y avait une marque sur mon ventre…une griffure…ce n’était pas un rêve…ce démon…



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Un réveil récent…



Un baiser. Doux et tendre. Mes yeux s’ouvraient…des vastes plaines blanches. Devant moi une femme…

« Qu’est-ce que… »

Tout me paraissait vide. Cette neige, ces arbres, ces montagnes au loin…je ne comprenais pas. Cela ne m’évoquait rien…ce n’était pas réel. Ce monde ne représentait plus grand chose pour moi…il y avait juste…Ayame…elle avait encore du sens…

Il y avait un manque en moi…une fissure…c’était bien réel…ce vide…



Elle me rejeta soudainement. Ses lèvres quittaient les miennes. Elle, le seul être qui avait encore du sens à mes yeux. Mon nom ? Elle ne le savait plus. Je n’étais plus qu’un mage…méprisable par sa magie…





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Quelque part sur les rives d’Azshara…



Je courrais, j’errais sur les deux continents. Il n’y avait rien, rien d’intéressant dans ce monde…tout me paraissait fade…sans couleur. Je voulais trouver quelque chose qui me fasse encore vibrer, un être qui suscite encore des émotions en moi, un rêve qui me donne la force de continuer…mais non. Ce monde était désespérément vide…mis à part Ayame…pour qui je n’existais plus.



« Elle ne se souvient plus des mauvais moments…vous pouvez tout recommencer. » me disait ce chasseur…un certain Fumazu. Comme si c’était simple…

Etions-nous heureux moi et Ayame avant ? Je ne crois pas…tout était si compliqué, si confus. La première fois que je l’ai vu, elle était terrifiante. Elle, sortant du temple d’Elune, avatar elfique de la Déesse, me regardant, moi, sombre idiot, ignorant aux yeux de la divinité. Elle était si belle…une icône qu’on ne pouvait que regarder au loin, seul M…je n’arrive même plus à écrire son nom…Alpha du Centaure pouvait y accéder. Il était l’Ombre, et Elle la Lumière ; de temps en temps c’était l’inverse. Le contraste les rendait sublimes…ils ne formaient qu’Un.

Cela me convenait. Je ne voulais pas m’approcher, je ne voulais pas salir l’union, ils étaient beaux ainsi, il ne fallait pas les déranger…je les enviais pourtant…

Consciemment ou non, par ma présence, je les ai troublé. Sans doute, si je n’avais existé, ils seraient toujours ensembles…

Pourquoi cet attrait Ayame ? Ne pouvais-je pas rester pour toujours cet odieux lanceur de sorts ?

On trouvait des prétextes pour parler ensemble, on s’inquiétait pour Alpha du Centaure…au début oui, nous nous parlions uniquement à cause de lui puis…peu à peu…il n’était plus qu’un prétexte…tu me reprochais de ne venir te voir que pour parler de lui…mais étions-nous sensés nous rapprocher Ayame ?

Attirance, rejet…je fuyais…tu me rattrapais…tu prenais tes distances…j’essayais de me rapprocher…j’ai fini par tuer ton enfant et trahir ton Indo. Tu voulais la trancher ma gorge, et tu voulais aussi l’embrasser…

Qui étais-je pour te voler à une étoile sanglante ? Qui étais-je pour te dérober à la Lune?



Au clair de l’astre, je buvais, buvais encore. Je me souviens qu’auparavant c’était un bon remède pour oublier. Pour oublier mes problèmes…pour t’oublier Ayame. J’étais pathétique. Je puais l’alcool, je riais et je pleurais, je disais des insultes sans que personne ne puisse les entendre…et les bouteilles vides jonchaient le cimetière des Biens-Nés. J’étais une de ces bouteilles…sans gloire et sans honneur…un être méprisable. Je n’aspirais plus qu’à cela…Elle devait rester loin, un idéal inaccessible que je ne pouvais atteindre. Elle devait briller avec insolence au milieu de la nuit, superbe et cruelle. Et moi, triste ivrogne, la regarder avec mes yeux de profane sans la comprendre, meurtri par sa beauté.



Ombrelune…où était la fierté, le respect, l’amour de soi-même ? Mon nom n’avait plus de sens car j’avais perdu mon héritage…je n’avais plus de sens car j’avais perdu mon nom…et Elle brillait, désinvolte, sur cet amas de chair que constituait mon être…
Songer, percevoir...
Mentir, mais savoir...
Rire et pouvoir...

N'être qu'un reflet pâle, un miroir.

Déception.

Le Mercenaire prend dans une main un anneau, celui du coeur, qu'il retire de son doigt ; de l'autre, le médaillon, la larme d'Elune. Faisant un geste de balance, presque sans s'en rendre compte, il laisse tomber les deux symboles dans les eaux noires de la rivière de la passe du grand gouffre.

- Cacher des actes de bassesse derrière le visage d'une Déesse, mais quelle divinité ? Une belle Elfe à la peau couleur Lune, des mots qui camouflent des gestes biens différents, des mots qui se disent confiants pour mieux tromper. Finalement ce n'est qu'une poire céleste pourrie par le ver, une larve aux yeux turquoise. Belle en surface, noséabonde à l'intérieur.

Le médaillon tombe dans un bruit d'eau, un rire sadique, mais de qui ?

- Je n'ai pas besoin de symbole pour être de ton essence, je m'en retourne là d'où je viens. Ces terres sont déjà mortes tout comme l'était le mort-né. Ce vaste pays d'illusion n'est qu'un amat de charognard s'entretuant pour la petite parcelle de vie pure qui reste, pour une puissance vaporeuse, dirigée par ce qui se trouve entre les cuisses des êtres primitifs. Pourtant cela est un équilibre utile pour ceux qui s'en amuse, j'envie votre table de jeu Ô puissantes divinités. Est ce aussi ludique entre vous ?

Deux traits droits sont tracés avec le pointu de la dague, l'un est barré sans aucune hésitation, l'autre plus difficile, les doigts se crispent, une main se porte sur la poitrine à l'emplacement d'un coeur plus mort que vivant ; il sera pourtant rayé. Il range la dague, se confond dans les ombres et songe déjà à sa prochaine victime pour oublier, oublier qu'il a voulu donner un peu d'honneur à des "hommes" qui ne sauront jamais ce que veut dire ce mot.

- Qu'il est difficile de devenir "quelqu'un"...
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"Je n’obéis à aucune règle, aucune injonction...
Si je dois honorer un contrat, je décide
seul, pour qui et quand ! "

Contre-nature ?
Kerandhil adossé à un arbre, revêtant son chapeau des grands jours et son kilt fétiche médite, réfléchit. Ses pensées ne parviennent à pas se fixer, divaguent, à la mesure des blafardes lueurs lunaires reflétées par le lac d'Havrenuit.

"Ce vide... serait-ce son démon ? La chose qui le possède ? Non c'est faux, il ne le possède pas, il est lui, il fait partie de lui... Il ne peut le renier...
Il s'isole, il semble désespéré... il me rapelle quelqu'un..."



Un sourire incongru se dessine sur le visage du druide, comme si un récent souvenir refaisait surface.


"Mais personne ne peut s'échapper des limbes du néant si il ne le désire pas promptement... J'en ai fait l'expérience... Mais est-ce pareil pour tout le monde ? Après tout je n'étais pas seul... Certes on elle m'a grandement aidé..."


L'elfe imite alors spontanément un grognement, le même grognement qu'elle lâche quelque fois, des restes de comportement animal dit-elle... oui il adore lorsqu'elle fait ça.


"Oui mais c'est moi qui suis venu vers elle. Misérablement j'ai imploré son aide, j'ai fait le premier pas... Je n'aurai jamais réussi sans elle...
Mais pour Lo' ? Essaie-t-il de s'en sortir ? Ce puits... ce rêve étrange, cette vision ? Qu'était-ce... Une oeuvre de son moi démoniaque ?"


Le druide frissonne à l'idée d'avoir été souillé par une quelconque force démoniaque.


"J'espère que non... pas encore... Je ne veux pas replonger là-dedans, pas encore. J'ai tellement perdu... Mais Loerys, dois-je l'abandonner ? Est-ce le prix à payer ?

Après tout... ce n'est pas la première fois que cela lui arrive. Nous pensions pourtant l'avoir sorti de cette horrible affaire, lorsqu'il avait ressuscité. Mais non, irrémédiablement, toujours et encore plongé inéluctablement vers le néant, le vide ! Il ne peut s'empêcher de s'isoler, de se taire. Et si c'était simplement... sa nature ?"



Cette pensée défaitiste plonge alors l'esprit du druide dans un silence des plus glaçants, ne sachant pas quoi se répondre...


"Peut-être qu'il doit en être ainsi... Et si après tout Ayame avait raison... ? L'équilibre... Il en faut bien des deux côtés non... ?"



Le regard de l'elfe se porte alors à la source des lueurs glauques et inquiétantes, vers la lune, son éclat blafard, cruelle et si belle à la fois. Voilà bien longtemps qu'il n'avait pas daigné la regarder en face, sans baisser la tête...

"Et si les choses étaient déjà toutes tracées ? Et si la vraie nature de Loerys était bel et bien démoniaque ? Pourrait-il lutter là-contre ? Sa lutte ne serait-elle pas vaine... ?"
Les milles pointes, le sommet d'un pic, un chasseur elfe et un vieux tauren aux cornes usées par le temps et les combats chantent sous les étoiles et la lune pleine.



"ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé !"



- Que vois-tu semeur des vents ?

- Je vois de la fumée pour l'instant et ça me brûle les yeux.



"ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé !"



Le jeune elfe ramène du bois vert humide de la pile et le jette dans le feu avec quelques herbes, la fumée devient plus épaisse.



"ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé !"



- Que vois-tu semeur des vents ?

- Je vois les esprits qui tournent autour de nous et qui veulent nous pousser en bas. Je vois les jours et les nuits du passé et du futur qui se mélangent.



"ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé !"



Le jeune elfe reprend encore un peu de venin de guêpe au miel. Ses yeux ne sont plus que pupilles. Le vent est plus fort mais la fumée reste compacte autour des deux chanteurs.



"ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé !"



- Que vois-tu semeur des vents ?

- Je vois les esprits de ceux qui sont morts et je vois les esprits de ceux qui vont naître. Je vois mes amis et mes ennemis. Je vois le premier chasseur et sa première femme qui luttent et qui s'aiment tout à la fois.

- Semeur des vents, raconte moi une histoire que je ne connais pas.



"ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé !"



- Je vais conter ici l'histoire des Ombrelunes



"ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé !"



Le récit se prolonge fort longtemps et si l'elfe ne raconte pas la véritable histoire, il ne raconte pas non plus de vrais mensonges au vieux tauren, et si les personnages de cet histoire sont archétypes de la Grande Chasse ils trouvent aussi écho dans le monde que nous appelons "réel" et sont, sans doute, cité les noms de Loerys, Ayame, Môr'haun, Kerandhil, Felyndiria, Ashinah et d'autres encore, acteurs passés ou futurs de ce sombre drame et sont aussi mentionnés des lieux et des époques, des objets et des créatures et même Fumazu et son maître deviennent personnages de ce conte nocturne halluciné.



"ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé !"



- Ainsi s'achève ou ne achève pas l'histoire des Ombrelunes



"ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé ! ha ! ho ! hé !"



Le vieux tauren s'est endormi sous les étoiles, le feu se meurt et le jeune chasseur lui même n'est pas dans une forme terrible. L'histoire est dite dans le temps suspendu de la grande chasse. Fumazu est plus serein car même s'il est en train de l'oublier, il a aperçu pendant le rituel sa place dans cette histoire, son rôle, le texte qu'il a à dire, les actions à mener, afin que la Grande Chasse se poursuive encore et encore...
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