Un nouvel age

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Il fait sombre, la pièce est à peine éclairée et les volets sont clos depuis des jours. Quelques bougies finissent de se consumer sur la table. Le lit n'est même pas vraiment défait. Dans un coin le plateau de repas du jour attend que l'on s'intéresse à lui depuis des heures. Le sol est jonché de feuilles de papier pour la plupart noircies d'une écriture austère et irrégulière. Sous la table, assise en tailleur, les cheveux défaits et le dos courbé, elle écrit. Sans s'arrêter, elle écrit.

Frénétiquement.

Des décennies de lecture, de recherche et de collecte des écrits de toutes les races. Envolées. Perdues à jamais. Englouties dans la faille avec la maison qu'elle s'était construite.

Evanouie aussi la flamme qu'elle portait sans l'avoir su.

Brûlée, sa forêt. Disparue, son île.

Perdue, son âme.

La peur s'est logée dans son cœur.

Yeoni, propriétaire de l'auberge de Bois de Saules monta la première à l'étage pour guider la visiteuse. Elle se faisait beaucoup de souci pour la "mystérieuse pensionnaire" comme on l'appelait déjà dans le village. Voilà plusieurs mois que le demie-elfe est arrivée, et elle n'a quitté sa chambre que trois ou quatre fois, et toujours à la nuit tombée. Devant la porte, Yeoni se retourne et avant de laisser entrer la Dame elle dit :

- Elle mange à peine. Elle passe son temps enfermée dans le noir. Parfois elle parle à voix haute je peux l'entendre depuis le couloir. Elle a refusé de voir le médecin que je lui ai envoyé à deux reprises. Elle s'est fait livrer des rames entières de papier, pour rire en ville on dit qu'elle s'en nourrit. Moi je ne sais pas ce qu'elle en fait vraiment, mais je suis bien contente que quelqu'un vienne enfin lui rendre visite. Pour sûr, elle fait un peu peur quand même, on pourrait croire à un fantôme.

Tout en parlant elle dévisagea la visiteuse de pied en cape. La Dame avait assurément beaucoup d'argent et des manières très nobles

Ne sachant pas qu'ajouter à son rapport, Yeoni ouvrit la porte et laissa pénétrer la visiteuse dans la chambre.

Comme la porte se refermait, une forme humanoïde émergea d'un coin de la pièce à l'opposé de la porte, tandis que la visiteuse faisait quelques pas pour s'avancer. Toutes deux pouvaient voir suffisamment malgré le peu de lumière. La visiteuse fit le tour de la pièce des yeux d'un air dégoûté. Elle enleva ses gants d'un geste gracieux et fit tombé sa capuche.

- Hors de ma vue, sale garce !

Yeoni, l'oreille collée à la porte n'entendit rien pendant quelques instants, puis elle sursauta vivement alors que sa pensionnaire hurlait comme une damnée. Le rouge aux joues et encore sous la surprise, elle se précipita pour rejoindre le hall afin qu'on ne la surprit pas en train d'espionner ses clients.

La visiteuse eu un petit sourire narquois.

- Bonjour aussi, je suis contente de te revoir. Je n'étais pas sûre que tu aies survécu au grand cataclysme.

L'ombre se déplaça vers le lit et la visiteuse pu voir briller une lame que l'on sortait de son fourreau.

- Tu vas sortir de ma chambre et partir loin d'ici, sinon par tous les dieux je jure de te tuer. Et cette fois ma main ne tremblera pas.

La visiteuse défit sa cape en silence prenant bien soin de ralentir le moindre de ses mouvements. Elle devinait sur elle le regard haineux de son interlocutrice et s'amusait à user sa patience. Elle s'assit sur la chaise devant la table et dit, tout en feuilletant, sans y porter attention, les manuscrits posés là :

- Tu pourrais au moins me montrer le respect d'une fille à sa mère, Bruine. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour te retrouver uniquement pour entendre tes jérémiades. Je veux la Larme. Tu me la donne et je disparais.

La lame jaillit et se ficha dans la main d'Aredhel, la clouant sur la table. Le sang coula et les parchemins se gorgèrent du liquide aussitôt.

- Sors d'ici créature impie, fit la demie-elfe, ou cette fois je te crève pour de bon.

L'Elfe se mordit les lèvres pour ne pas montrer sa douleur, elle arracha la dague de sa main sans un mot, peut être était elle allée trop loin cette fois. Elle sortit de la pièce sans échanger un autre regard avec sa fille. Elle trouverait un autre moyen.

Aredhel se rendit dans le hall auprès de Yeoni immédiatement. Quand elle parvint à sa hauteur, la tenancière fit crier après un médecin pour qu'on prit soin de sa main. Elle n'eut de cesse, tout en babillant bruyamment, que Aredhel accepte une chambre pour se reposer le temps qu'elle se rétablisse complètement de cette vilaine blessure. Aredhel se retrouva allongée sur un fauteuil confortable dans une des plus belles chambres de l'auberge sans qu'elle ait pu dire ouf, un repas sur une table l'attendait tandis qu'un druide se penchait sur sa main pour la soigner.

- Par les dieux c'est une catastrophe ! s'exclamait Yeoni, faut il que je fasse venir les gens d'armes pour faire arrêter cette folle ? Elle mérite d'être jetée au cachot si vous voulez mon avis !

- Qu'arrivera-t-il à ses biens si on la met en prison ? demanda l'Elfe sylvestre, tandis que le docte s'affairait à bander sa main.

- Eh bien il y a fort à parier qu'ils seront confisqués ! Et je peux faire un croix sur mon argent je crois. Répondit Yeoni d'un air désolé.

- Voilà Madame, intervint le médecin. Vous ne devriez pas sentir de douleur bien longtemps. Si la magie fait effet rapidement il n'en reste pas moins qu'une blessure de cette gravité doit être traitée avec sérieux. Vous pourrez enlever le bandage demain quand l'onguent aura été entièrement absorbé par la peau.

- D'ici là évitez tout de même de vous agiter, continua-t-il en rangeant ses affaires.

Yeoni le regardait d'un air entendu, lui tint la porte pour le laisser partir.

- Au revoir mesdames, et bonne chance pour la suite.

Aredhel se leva d'un air las et fit mine de réfléchir intensément. Puis elle tendit une bourse pleine à Yeoni en souriant tristement.

- Je ne souhaite pas que l'on jette ma fille en prison, prenez cet argent pour couvrir les frais de son séjour et du mien. Je vais rester ici pour tenter de la raisonner.

Yeoni s'empourpra mais accepta prestement l'argent qu'on lui tendait.

- C'est votre fille ? Je ne l'ai pas bien vue mais je trouve qu'elle ne vous ressemble guère. Vous êtes une Dame si ... belle. Et ses manières à elle sont si frustres. C'est à peine croyable !

- Il est vrai, Dame Yeoni, répondit Aredhel. Mais elle a été très perturbée par le Cataclysme, plus qu'aucun de nous. Soyons indulgentes envers elle et aidons là à retrouver le chemin de la raison voulez-vous ?

- Vous êtes une bonne mère, ma Dame, et je vous aiderai de tout mon cœur. Répondit Yeoni, subjuguée par le dernier battement de cils de son interlocutrice.

Aredhel se tourna vers la fenêtre pour réprimer un sourire de satisfaction, et simula un bâillement discret. Puis elle s'adressa de nouveau à l'aubergiste.

- Je me sens très lasse tout à coup. Laissez moi maintenant je vous prie.

Yeoni ne put s'empêcher de faire la révérence à cette Dame aux si belles manières, puis elle quitta la chambre en silence.

Enfin seule ! Pensa Aredhel.

Elle s'installa à table et mangea son repas sans y penser, toute concentrée sur la stratégie qu'elle devrait adopter dans les prochains jours. Il lui était dorénavant impossible d'affronter Bruine directement. Donc elle devrait trouver quelqu'un en qui elle a confiance pour l'approcher et ainsi obtenir ce qu'elle convoite depuis plusieurs siècles.

La patience paie toujours.

Non elles ne se ressemblaient vraiment pas. Et alors même que Bruine l'avait accueillie chez elle, tandis qu'elle ne connaissait encore rien de sa mère, elles avaient eu toutes les peines du monde à s'entendre.

Le lendemain, Aredhel passa une partie de sa matinée avec Yeoni, la bombardant de questions au sujet de sa fille, de ceux qui la fréquentent ou qui l'ont fréquentée. L'aubergiste n'était pas très finaude, et se laissa questionner sans y prendre garde, touchée par l'attention que lui prodiguait une dame si noble à ses yeux. Finalement exaspérée par l'étroitesse d'esprit de son hôte, Aredhel perdit patience et planta soudainement la brave Yeoni qui en resta coite.

Elle s'en retournait dans sa chambre quand elle failli croiser un elfe sauvage qui sortait de chez Bruine l'air soucieux. Elle le reconnu immédiatement comme sa fille lui en avait longuement parlé : Brekilien Korrigan, le rôdeur, le roi exilé, le diplomate de Katta. Elle suivit l'elfe le reste de la journée. Il semblait très occupé à prendre contact avec nombres Qeynosiens, sans s'occuper d'être discret, de telle sorte qu'il ne se rendit compte de rien. Quand la nuit vint, il passa par chez lui quelques instants. Aredhel en profita pour poignarder un message sur sa porte et s'éclipsa rapidement, regagnant ses propres appartements.

Citation :
Je souhaite vous rencontrer pour vous entretenir d'un sujet qui m'est cher, votre lieu et votre heure seront miens. Je loge au Bois de Saules comme tous nos compatriotes.
Citation :

Aredhel de Kéléthin.


Elle avait cru un moment que le rôdeur était l'amant de sa fille, mais à deux reprises l'elfe des bois avait fait référence à celle-ci pendant sa longue conversation avec un Erudit, ce qui avait démenti son impression. Enfin, elle le savait curieux, il ne tarderait pas à entrer en contact avec elle.

Brekilien lui laissa à son tour un message le lendemain quand il fut de retour d'une expédition périlleuse l'invitant à se joindre à lui le soir même au "Lions Mane Inn" dans Qeynos sud. Quand l'heure vint, Aredhel s'apprêta sans hâte, tout en réfléchissant à la façon dont elle procéderait avec l'elfe. Elle le savait curieux, d'une certaine intelligence, œuvrant toujours pour le bien, et veuf... Qui sait, elle pourrait peut être joindre l'utile à l'agréable.

Quand elle entra dans la taverne, il était là qui l'attendait. Elle nota en souriant pour elle-même qu'il avait troqué son armure de cuir pour une tenue plus "citadine" et nettement plus élégante, mettant en valeur la noblesse de ces traits et ses formes sveltes. Elle ne put réprimé une moue de plaisir quand elle parvint à sa hauteur. Plutôt bien fait de sa personne, elle le trouva tout à fait à son goût, malgré sa relative jeunesse. Brekilien surpris son regard sur lui et le lui rendit sans ciller.

Quelle agréable surprise. Enfin quelqu'un à qui parler ! Sa moue se mua en sourire éclatant qu'elle ne chercha pas à dissimuler cette fois, et comme tout deux prenaient place à une table, une joute sensuelle s'engagea aussitôt entre eux.

Chacun se présenta rapidement, sachant plus ou moins déjà qui était l'autre, et Aredhel se décida finalement à ne pas jouer le rôle de la mère éplorée qui cherche à protéger sa fille, et il lui sembla que Brekilien lui en était reconnaissant. Parler de Bruine, alors qu'elle la connaît si mal contrairement à son interlocuteur, lui pesait terriblement aussi décida t elle d'entamer les "négociations" par un autre biais. Elle fit promettre au rôdeur de surveiller Bruine davantage aux vues de son état actuel, et afin de surveiller mieux ce nouvel allié temporaire, elle lui proposa de but en blanc de le retrouver chez lui quand il le désirerait pour entamer un autre style de conversation beaucoup moins sérieux mais ô combien agréable.

Avant qu'il puisse répondre, leur tête à tête fut interrompu par la visite d'une gnome zézayant, Aredhel eut toutes les peines de monde à cacher son mépris pour cet être ridicule. Elle s'éloigna avant de se trahir, et laissa Brekilien discuter avec l'importun. Quand le gnome salua respectueusement l'elfe, elle s'approcha de nouveau avec des boissons.

Brekilien se remémora son entrevue avec Aredhel. Il la trouvait fort belle, et bien qu'elle fut son aînée d'un siècle, son regard emprunt d'une certaine cruauté excitait sa curiosité. Il n'avait rien dit de Bruine que sa mère ne sut déjà, lui semblait-il, mais sachant les rapports houleux qu'elles entretenaient toutes deux, il avait préféré s'en tenir là. Promettre de veiller sur son amie ne lui coûtait pas bien cher puisqu'il le faisait déjà. Aredhel devait le savoir. Ils avaient prévus de se revoir rapidement...

Assis sur l'unique chaise devant l'unique table de la pièce, il lisait distraitement les pages qu'il avait fini de rassembler. Il tentait à chaque fois d'y mettre un peu d'ordre, mais c'était peine perdue. L'écriture de Bruine, minuscule et irrégulière, était parfois complètement illisible. Il se contentait de trier ce qu'il parvenait à déchiffrer, faisant des tas sur le sol.

Les volets de la chambre étaient toujours clos, et quelques bougies se consumaient, posées sur le sol à quelques pas de lui, qui éclairaient presque suffisamment pour ses yeux d'elfe.
Il jeta un regard bref en direction du lit. Seule une main dépassait, sur le sol. Ses doigts s'agitaient. Bruine dormait sous le lit, recroquevillée comme animal blessé. Sa respiration était forte et irrégulière, elle devait encore faire un cauchemar.

L'elfe des bois se dirigea vers le lit et se pencha pour mieux la voir. Comme il approchait, Bruine ouvrit de grands yeux. Il cru d'abord qu'il l'avait réveillée et s'en excusa. Il lui tendit la main pour l'aider à s'extraire de dessous le lit. Mais elle ne le vit pas. Elle dormait encore. Il la vit ouvrir la bouche en grand, les yeux écarquillés, et un cri muet le traversa comme une onde. La terreur se lisait sur son visage. Bruine, toujours perdue dans son rêve, se débattit comme une furie alors que Brekilien tentait de la réveiller. Doucement d'abord, en l'appelant. Mais comme elle s'agitait d'avantage, il finit par la tirer franchement de sa cachette pour lui jeter de l'eau au visage. Enfin elle s'éveilla en sursaut, suffoqua quelques instants, alors que tremblante, elle revenait à la réalité.
L'expression de Bruine à cet moment là le projeta tout à coup dans ses souvenirs, quand pour la première fois, jeune homme, il avait rencontré cette gamine échevelée. Il avait rit suite à une question étrange qu'elle avait posée, elle s'était mise en colère... Que de chemin parcouru depuis, pour lui et pour elle.

Mais l'heure n'était pas à la rêverie, Bruine, maintenant blottie contre lui, tremblait toujours. L'elfe sauvage s'assit plus confortablement sur le sol, et pris son amie dans ses bras. Il attendit qu'elle se calme pendant un moment.
- Que t'est il arrivé petite soeur ? finit il par demander.
- La peur. Répondit elle simplement. Seulement la peur.

Ils restèrent tous deux ainsi perdus dans leurs pensées un long moment. La respiration de Bruine se fit plus calme et enfin elle décida de bouger. Elle se leva, marchant sans les voir sur des parchemins, et se dirigea vers un malle en bois qui lui servait de desserte. Elle s'assit devant en tailleur, et sans un mot se mit à grignoter mécaniquement le morceau de formage et les fruits qui y étaient disposés. Elle fit chauffer de l'eau, et y jeta hâtivement quelques herbes. Brekilien la regarda faire, il se rendait bien compte qu'elle avait encore perdu du poids, son visage était émacié, elle manquait de sommeil, et ne s'alimentait pas suffisamment. L'odeur âcre des herbes qui infusaient ne laissait aucun doute quant à la nature des produits qu'elle ingérait pour se "soigner" et fuir ses cauchemars.

Toujours silencieux, Brekilien quitta lentement la chambre. Bruine ne leva même pas les yeux de son assiette, fuyant son regard. Du coup le rôdeur n'osa pas poser d'autres questions. Lui et elle avaient encore quelques secrets qu'ils n'avaient pas échangé. Les siècles passés ne les avaient pas ménagés l'un comme l'autre, mais le temps de la confidence n'était pas encore venu.
Deux jours plus tard Brekilien était revenu prendre de ses nouvelles. Bruine était encore partagée entre le désir d'exorciser ses démons et la peur de les voir s'imposer à elle si jamais elle y faisait allusion. Son vieil ami restait silencieux et posait peu de question, parfois il lui parlait des Loyalistes de Katta Castelum et de ce rêve qu'il avait caressé avec eux de voir enfin la paix s'établir. Mais ce jour-là, Bruine sentait bien que le vieil elfe taisait des questions plus pressantes. Elle fit mine de ne pas s'en rendre compte, bénissant, pour une fois, l'impassibilité habituelle de son ami.

Brekilien était assis sur une caisse, et lisait en diagonale les feuillets noircis de la veille, fronçant par moment les yeux pour déchiffrer les lettres tordues par l'empressement.
Quelque chose en lui était différent cette fois, quelque chose d'impalpable. La rôdeuse tendit ses sens, faisant appel à ce qui lui restait de la forme du loup. Comme elle s'approchait de Brekilien, celui-ci se redressa et posa sur la table les parchemins qu'il avait rassemblés.
- Louve ? souffla-t-il, en reconnaissant immédiatement la démarche et la posture de Bruine.
Bruine s'approcha encore de quelques pas, concentrée à l'extrême. Elle cherchait quelque chose, comme une aura, qui émanerait de son ami, comme une odeur.

Une odeur !

Bruine ouvrit de grands yeux quand elle se rendit compte de ce qu'elle venait de réaliser. Au même instant exactement Brekilien comprit, ses yeux rivés dans ceux de son amie, ce qui lui passait par la tête.
- Tu sens... tu sens Elle ! s'exclama Bruine incrédule.
Pour toute réponse, l'elfe étendit ses sens à son tour comme l'avait fait Bruine. Ses pensées se heurtèrent rapidement à celles de son amie. Il ressentit sa colère comme les questions de Bruine le percutaient sèchement. Toujours suspendu à son regard, il lui répondit sans détour.
Que cherche la femelle ?
La femelle chasse la louve.
Que veut le loup ?
Le loup prend la femelle.
Mauvaise femelle.
Le loup ne craint pas la femelle. Que la louve s'apaise.

- Je quitte l'auberge ce soir, ne me cherches plus ici. Finit par articuler Bruine.
Brekilien acquiesça, il cessa d'être le loup et voulu saluer son amie pour l'apaiser. Mais la rôdeuse, la mâchoire toujours serrée, les yeux plissés et les narines dilatées, évita le contact de sa main tendue. Il savait bien que si Bruine avait encore eu le pouvoir de se transformer, elle l'aurait mordu.
Il quitta la pièce en soupirant pour dissimuler son sourire. Il venait de retrouver Bruine...

Aredhel était encore en ville ! Elle harcèlerait sa fille jusqu'à obtenir l'objet de sa convoitise... La rôdeuse choisit d'éviter la confrontation autant que possible. Incapable de réfléchir plus avant, Bruine se sentait acculée. Elle pensa un instant fuir la ville, quitter l'enceinte des murs protecteurs... Mais elle se ravisa, devant ses yeux défilaient encore des images de terreur.
Bruine ne pris rien qui pu l'encombrer, en dehors d'une lame et de ces herbes. Elle laissa là toutes ses affaires y compris son armure, ses bottes et son arc. Puis elle ouvrit la fenêtre, poussa un peu le volet. Le jour diminuait et bientôt les éclats de la lunes illumineraient la nuit.

En attendant qu'il fasse noir, elle rêva distraitement de Sharval, de ses palais élégants, et des rues qu'elle avait si souvent arpentées... Puis comme toujours des images plus douloureuses vinrent la hanter. Sa mère était donc encore en ville, trissant sa toile pour récupérer ce qu'elle convoitait depuis qu'elle en connaissait l'existence. Une Larme de verre. Bruine avait reçu l'objet en même temps que le reste quand cette Présence s'était imposée à elle. C'était avant. Avant l'horreur, avant ses chairs brûlées, avant la mort de mes ennemis. Avant la fin du monde. L'Ayr'Dal avait perdu ce tout qu'on lui avait donné, mis à part cet objet de verre qu'elle ne savait pas utiliser.
Aredhel ne l'aurait pas.

L'air plus frais s'engouffra bientôt dans sa chambre, la ramenant doucement à la réalité. Elle enjamba le bord de la fenêtre, et d'un bond fut dans la rue. Ses pieds nus ne firent pas un bruit dans l'herbe, et elle se fondit dans l'ombre.
Disparue !

Aredhel n'en revenait pas. Brekilien, assis sur le lit, la regardait faire nerveusement les cents pas tandis qu'elle réfléchissait à toute vitesse sur la marche à suivre pour retrouver sa fille. Elle était exaspérée par l'attitude du rôdeur.

- Ne te mets pas dans un état pareil, fit-il doucement, je sais que Bruine reviendra. En tout cas cela prouverait plutôt que son état s'est amélioré, elle n'avait pas encore quitté une seule fois sa chambre d'auberge.

Aredhel se tourna vers Brekilien et le regarda longuement. Elle n'était pas parvenue à lire en lui, ni à lui soutirer la moindre information en réalité. Ils avaient joué au chat et à la souris jusque sous les draps mais à aucun moment ils n'avaient cédé du terrain, ni l'un ni l'autre. Chacun avait gardé ses secrets, répondu des demies vérités et orienté la conversation de façon à ne jamais avoir à mentir, ni dévoiler quoique ce soit sur eux, ou sur Bruine. Son entreprise avec lui était donc un fiasco. Sa fille avait disparu de la circulation et elle n'avait toujours pas récupérer l'objet qu'elle était venu chercher. Pourtant elle n'arrivait pas à s'en vouloir tant ses derniers jours avaient été agréables.

- Je vais devoir te quitter je pense, dit Aredhel en s'approchant du rôdeur. Tu es le seul à l'avoir approchée. Mais tu ne sais pas où elle est en ce moment alors que tu m'avais promis de veiller sur elle. Ajouta-t-elle avec une moue coquine. J'ai dû trop accaparer tes pensées en fait.

Brekilien sourit, et se garda bien de répondre. Il savait que Bruine reviendrait rapidement pour le rejoindre dans l'Alliance des Seigneurs car, tout comme lui, elle y était très attachée.
- Je sais bien que je ne saurais pas te retenir… commença-t-il.

Aredhel comprit le sous entendu, et vint s'asseoir aux côtés de Brekilien sur le lit. Les deux amants se regardèrent un instant puis s'embrassèrent. Aredhel rompit le contact de leurs lèvres, puis s'habilla en silence. Brekilien la regarda faire sans rien dire, admirant la beauté parfaite qui s'offrait à son regard pour la dernière fois. Quand elle fut prête, elle se tourna de nouveau vers lui, son visage n'exprimait aucune émotion.
- Ce fut un plaisir que de croiser ta route, rôdeur, dit elle. Je ne pense pas que nos routes se croiseront de nouveau. Je vais quitter la ville d'ici peu.
- Adieu à toi alors. Saches que je compte bien protéger Bruine, malgré tout ajouta-t-il à mi-voix.
- Evidement, répondit Aredhel, puisque tu me l'as promis.

Aredhel attacha sa cape sur ses épaules et ouvrit la porte. Elle quitta l'appartement sans se retourner.
Le jeune humain se retourna dans son lit, un frisson le parcourut et cela le réveilla. Il s'assit en se frottant les yeux puis regarda en direction de la fenêtre. Ouverte ?

La pièce était plongée dans le noir, malgré la lumière de la lune. Il n'avait pas peur et il se leva sans précipitation. Puis, dans l'obscurité, traversa la pièce pour allumer un chandelier posé sur un guéridon près de la porte d'entrée. Ses yeux s'accoutumèrent à cette nouvelle lumière, et il put distinguer une ombre assise sur un fauteuil. Intrigué et finalement un peu inquiet, il se saisit de sa masse d'arme et s'approcha.
Il éclaira le fauteuil et fut bien surpris d'y trouver une femme qui le scrutait avec attention.

- Par Mithaniel qui êtes vous et que faites vous là ? fit-il avec humeur.
- Bonjour, Starriders. Répondit la femme en souriant. Est-ce ainsi que vous accueillez votre arrière cousine ?
- hein ?
- N'êtes vous pas Kylion le descendant de Galadan Starriders, mon oncle ?
- Si fait... Bruine !! Enchanté de faire votre connaissance… mais vous auriez pu passer en journée non ? Fit-il remarquer.
- Non.

Kylion ne connaissait la rôdeuse que de nom, et ne s'attendait pas à ce qu'il avait sous les yeux. Il garda son sang froid habituel, et posa le chandelier.
- Allumez un peu par ici, mes yeux ne sont pas les vôtres. Je vais m'habiller un peu puisque vous vous invitez. Fit-il d'un ton martial.
Bruine se leva et fit de la lumière, tandis que Kylion passait une chemise et des chausses par dessus son linge de corps.

Quand ils se retrouvèrent face à face le jeune homme fut saisi par la pâleur de l'elfe. Sa maigreur faisait peine à voir et ses yeux noircis par le manque de sommeil lui donnaient un air affreux.
- Vous êtes souffrante ? s'enquit-il.
- Je suis en fuite surtout.

Kylion allait poser d'autres questions mais d'un geste bref Bruine le coupa et expliqua :
- J'ai besoin d'un endroit sûr pour un certain temps, et je vous savais installé en ville… Ce fauteuil m'ira très bien. Continua-t-elle.
- J'ai vaguement l'impression de ne pas avoir le choix. Répondit Kylion sans sourire.
- Je n'ai pas ce luxe non plus; remarqua Bruine. Personne ne sait que je suis ici.

Le jeune humain soupira. Il fit signe à la rôdeuse de s'installer dans le fauteuil si elle le désirait, puis éteignit les bougies.
- Nous en reparlerons demain. Dit-il.
Et vous aurez intérêt à répondre à mes questions. Pensa-t-il. Les Anciens vont et viennent sans se préoccuper des mortels, c'est agaçant à la fin.
Trois jours plus tard Bruine se risqua enfin à sortir. Elle n'avait plus le choix de toutes façons puisque son stock d'infusion était épuisé. Accoudée au chambranle de la porte d'une échoppe, elle regardait son fournisseur habituel qui préparait son paquet.

Le nain Roufrack Ogrebane, honnête commerçant, s'était porté à son service, s'il on peut dire, quand elle était revenue en ville, après le fracassement. Bruine à ce moment là avait été assez gênée, et puis finalement elle s'était habituée à la présence de cet "aide de camp" à ses côtés. Le nain lui avait juré fidélité en mémoire de son père qu'elle avait sauvé pendant la guerre, et elle n'était pas en mesure de refuser l'aide de quiconque. Elle consommait déjà ces infusions régulièrement. Roufrack, bien que fermement opposé à ce genre de pratique, lui fournissait cependant ce dont elle avait besoin, mais elle ne savait pas pourquoi.

Ensuite elle s'était tenue cloîtrée chez elle, Roufrack venait la voir discrètement parfois, pour lui amener du papier aussi. Et puis au retour de Brekilien, il avait espacé ses visites…

Sans un mot le commerçant lui remis un paquet, il était attristé de voir ainsi la "Capitaine" - c'est ainsi qu'il l'appelait en référence à son grade dans l'armée de Qeynos - se ruiner la santé. Bruine enfourna le tout dans sa besace qui ne la quittait pas.
- Je n'ai pas pu emporté d'argent avec moi, mais si vous voulez vous pourrez en trouver à l'Auberge du Rameau à la place habituelle. Fit-elle.
- Pourquoi n'êtes vous pas venue me trouver quand vous êtes partie ? Vous savez bien que je vous aurais trouver un endroit sauf ou vous auriez pu emporter vos affaires…

Roufrack n'était pas parvenu à déguiser son ton de reproche, et Bruine s'en rendit compte. Elle se demanda un instant s'il était offusqué qu'elle n'ait pas recouru à ses services plutôt qu'à ceux de Kylion…

Elle sourit tristement et dit :
- Avez vous eu récemment la visite d'une elfe des bois richement vêtue, d'une grande beauté, le regard clair et des manières un peu apprêtées ?
- si fait, répondit Roufrack. Elle m'a demandé si je pouvais lui fournir un anti-douleur puissant. Je lui ai répondu que je n'étais pas herboriste.
- C'est elle que je fuis. Lui confirma Bruine en se dirigeant vers la porte.
Le nain secoua la tête d'un air désolé.
- Ma Capitaine…
Arrivée sur le palier, elle se retourna avant de sortir.
- Je ne porte plus ce titre depuis plus de 10 ans, Ogrebane. Fit elle doucement. Appelez-moi Bruine plutôt puisque vous vous dites mon ami.

Elle sortit sans attendre la réponse du nain, et longea les murs de la ruelle. La nuit tombait à peine et les ombres portées par les lumières de la ville, encore faiblement allumées, lui permettrait de se rendre discrètement chez Kylion.

Le jeune humain l'avait littéralement harcelée de questions. A ces yeux il n'était qu'un gamin, et pourtant elle sentait en lui le souvenir de l'humain qui s'était occupé d'elle enfant. Malgré son jeune âge Kylion s'était révélé très calme et posé, quoiqu'un peu sec. Et intraitable aussi, au sujet de ses infusions répétées, notamment. Bruine devait quitter sa cachette bientôt car la cohabitation s'avérerait rapidement impossible.

Elle s'était arrangée pour lui donner le moins d'informations possible, ce qui avait partiellement apaisé la curiosité du jeune homme :
" Un agent de D'Lere est en ville, il me cherche. Il veut récupérer un artefact qui est en ma possession. Je n'ai jamais réussi à le faire fonctionner ni même à déterminer à quoi il servait, mais dans le doute je ne veux pas qu'il tombe entre des mains ennemies."

Kylion avait examiné l'objet et ne lui avait rien trouvé de particulier, pas plus que tous les experts qu'elle avait déjà consultés. Bruine avait obtenu ce petit bijou d'une façon tellement étrange qu'elle ne parvenait pas à accepter que ce put être seulement ce à quoi ça ressemblait : une larme de verre translucide, montée sur une chaînette dorée. Et le fait que sa mère cherche à obtenir l'objet la confortait dans son idée.

Bruine espérait sans y croire que sa mère se lasserait de la chercher et qu'elle quitterait la ville. Malgré toutes les drogues qu'elle pouvait ingurgiter, elle savait qu'elle devrait affronter sa mère un jour ou l'autre, et elle savait qu'elle y perdrait probablement la vie. Mais pour de bon cette fois.
Aredhel avait du mal à garder son calme. Depuis sa rupture avec Brekilien les choses n'avaient pas tellement avancé mais elle tenait enfin une piste. Dans d'autres lieux elle avait entendu bien des histoires au sujet de Bruine, et elle était tiraillée entre le désir d'en finir avec elle rapidement, et la peur de se confronter à un pouvoir qui la dépasserait probablement. Si Bruine l'avait toujours… L'elfe sauvage fut choquée quand elle remarqua que les Qeynosiens avaient pratiquement oublié l'existence de leur héroïne. Un instant elle eut même la sensation de comprendre un peu mieux sa fille, car elle aussi se sentait hors de cette époque. Toutes deux appartenaient à un autre âge. Même les elfes semblaient avoir oublié l'histoire.

Pourtant Aredhel souvenait de tout. Elle se remémora alors avec exactitude ce qui l'avait amenée là, les choix qu'elle avait dû faire, la passion qui l'avait animée et puis l'amertume et la haine qui l'avaient aidée ensuite à tout supporter. Puis elle fit comme elle avait l'habitude, elle chassa ses pensées inutiles de son esprit, fit taire la douleur qu'elle sentait poindre dans sa poitrine, et se remit en marche.

L'affaire devenait intéressante. Elle était parvenue à savoir qui fournissait Bruine en papier, et dans l'échoppe de ce nain imbécile elle avait tout de suite remarqué le bocal qui contenait ce que Bruine viendrait chercher rapidement : ces herbes mélangées qui, infusées avec une écorce particulière, permettaient d'atténuer les plus grandes douleurs, malgré d'autres effets néfastes et dangereux… Elle n'avait plus qu'à attendre.

Depuis elle surveillait personnellement la boutique de ce Ogrebane. La nuit tombante, elle entrait, en face, dans l'appartement d'un couple de kerra qu'elle avait soudoyé. Depuis leur balcon, elle pouvait à loisir surveiller les allées et venues.
Et ce soir là fut son soir de chance. Elle se mettait en place quand elle vit sa fille pénétrer dans la boutique. Bruine en ressortit quelques minutes plus tard. Aredhel était déjà redescendue et se mit à la suivre. Bruine longea les murs tâchant de rester dans la pénombre. Aredhel pressa le pas silencieusement, et dès qu'elle fut à hauteur, elle sauta sur la rôdeuse pour la pousser contre un mur dans l'ombre d'une porte cochère.

Surprise, Bruine ne pu esquiver le premier coup de dague. Sa mère essaya de l'immobiliser, mais ses réflexes de combats reprirent le dessus, et elle se dégagea en feintant de tomber au sol. Elle fit une roulade et se rétablit rapidement sur ses jambes. Bruine sortit une dague de sa botte. Les deux femmes se regardèrent un instant, face à face, prêtes à bondir pour fendre ou pour feinter.

Aredhel ne pouvait pas courir le risque de laisser sa fille incanter, elle se jeta sur elle la première, visant le cœur. Bruine para la lame en empoignant l'avant bras de sa mère, mais ne put empêcher le choc. Aredhel se récupéra sur elle. Les deux femmes roulèrent au sol. Bruine ne parvint pas à repousser sa mère, pourtant bien moins lourde qu'elle, et se retrouva rapidement couchée sur le dos sans pouvoir bouger. Sa blessure au flanc lui faisait un peu mal.

La Fierd'Al, assise sur sa proie, se rendit soudain compte de son état. Bruine soufflait et suait. Malgré la pression des mains de sa mère, ses bras tremblaient légèrement. Elle était visiblement en manque.
Aredhel eut un sourire, et maintenant Bruine au sol, elle fit jouer un instant sa lame sur la joue de sa fille.
- Petite pimbêche, voici l'heure de ta mort venue dirait-on.
Aredhel aurait voulu que cet instant dure éternellement, elle sentait en elle bouillonner la haine qui l'avait maintenue en vie. Elle rit. Enfin ! Elle tenait à sa merci la créature à laquelle elle avait donné vie, elle allait enfin pouvoir réparer son erreur. Finalement cette histoire d'artefact n'était peut être qu'un prétexte, car elle savait bien que même sans cela, à cet instant précis, elle ferait exactement la même chose.
Elle fit jouer de sa dague sur la joue de Bruine qui ne tentait plus de se dégager. Sa bâtarde de fille n'avait plus aucun des pouvoirs si puissants qu'elle avait utilisés pendant la guerre. Ca n'en était que plus excitant. Mais là, sous ce porche, Aredhel savait qu'elle n'aurait pas le temps…

L'elfe des bois cracha au visage de sa fille qui ouvrit les yeux. Bruine trembla de plus belle, ses traits étaient extrêmement pâles. Aredhel peina à la maintenir au sol sous elle tant les tremblements se firent violents. Les yeux de sa fille s'étaient voilés, elle se débattait contre d'autres ennemis qu'elle, et il lui sembla alors qu'on lui avait volé sa victoire.
- Tant pis, je jouerai un autre jour. Fit Aredhel, un peu déçue.

Elle découpa les vêtements de Bruine d'un rapide coup de dague. Attaché au cou de sa proie, le bijou tant convoité pendait à une chaînette sans valeur : la Larme de Tunarë. Bruine avait reçu cet objet d'une façon mystérieuse, la rumeur prétendait que La Mère elle-même était sortie de sa retraite pour le lui apporter.

Aredhel ne se saisit pas tout de suite de l'objet, redoutant une protection quelconque. Elle incanta et des racines sortirent du sol, attrapant Bruine par les poignets et les chevilles. La magicienne se redressa, cédant au désir de faire durer cet instant encore. Son ennemie était à sa merci, et cette pensée la réjouissait tant que pendant quelques secondes elle rêva de garder sa proie ainsi sous sa coupe pour l'éternité.

Finalement elle se décida, sorti de sa botte un couteau sacrificiel. Aredhel s'agenouilla devant le corps convulsé de la rôdeuse, et psalmodia silencieusement une prière à son maître et dieu. Puis elle défit les vêtements de Bruine, et grava sur sa poitrine les mots rituels thexians du bout de sa lame. Le sang perla rapidement. Bruine soufflait et tremblait, son visage était tordu de douleur, mais elle ne cherchait pas à se libérer. Aredhel se pencha pour dessiner sur le front de Bruine le dernier symbole. Elle croisa son regard : bruine avait renoncé.

La magicienne fit une moue de dépit, mais n'arrêta pas son geste. Elle planta sa lame bien droite, visant le cœur. Au passage elle fit céder la chaîne dorée et la larme de verre roula sur le sol.

Aredhel fut rejetée contre le mur à quelques mètres de là, par une force soudaine et brutale. Elle tomba lourdement au sol, et entendit son bras craquer sous elle. Elle reteint un cri de douleur et jeta un coup d'œil rapide au corps de sa fille. Il n'y avait rien, ni personne. Elle tenta de se redresser et devant son nez, entre deux cailloux, elle vit la larme de verre brisée.

- Je suis la Larme, et je décide de qui vit et qui meurt. Aujourd'hui la Tempête reste en vie, et la messagère retourne auprès de son maître.

Aredhel vit une lueur se faire autour d'elle, elle eut à peine de le temps de lever la tête pour voir une petite forme dans l'ombre suspendue à plusieurs mètres du sol. Elle entendit un petit rire étrange, et fut téléportée.

Dans la nuit, invisible aux yeux des vivants et des morts, un corps inanimé lévitait en direction du Bois des Saules, suivit de près par une petite créature sombre.
Brekilien entra en poussant la porte sans bruit. Prévenu par Yeoni du retour de Bruine à l’Auberge du Rameau, il s’y était rendu dès que possible, curieux mais surtout anxieux de savoir comment Bruine avait pu échapper à sa mère.

Au fond de la chambre, un volet mal fermé laissait filtrer une raie de lumière qui traversait la pièce en diagonale. Ses sens déployés à l’extrême, le rôdeur n’avait pas encore franchit le seuil de la chambre que déjà il savait que Bruine était effectivement rentrée chez elle, et qu’elle n’était pas seule. La pièce résonnait étrangement mais dans la semi pénombre, et malgré ses yeux d’elfe, il ne distinguait rien de différent.

Il pénétra doucement et ferma la porte derrière lui. Tout semblait en ordre –ou plutôt dans le désordre habituel-, il pouvait deviner une silhouette allongée sur le lit. Il fit un pas et pu voir son amie qui dormait paisiblement, les cheveux défaits, enfouie sous plusieurs couvertures qui devaient lui tenir bien chaud à en juger par la couleur de ses joues.

Et puis il y eu un bruit, à l’opposé du lit, de drap que l’on bougeait. Une petite forme noire sortit de l’ombre. Brekilien ne fut pas tant surpris pas sa présence que par son apparence. Il avait en face de lui une sorte de petite fille potelée et joufflue, la peau noire comme l’ébène, sans cheveux ni sourcils, le regard si clair qu’on aurait pu le croire aveugle, vêtue d’une robe de coton finement tissé, taillé, lui sembla t’il dans une chemise de Bruine.

- Bonjour, Brekilien Korrigan de Firiona Vie, fit la créature.
- Bonjour répondit le rôdeur, cherchant à dissimuler sa surprise. Nous connaissons nous ?
- Non, rit la petite créature. Je suis la Larme, ajouta t’elle simplement, comme si c’était une évidence.
Brekilien, toujours aussi discret, se contenta de cette réponse pour l’heure. Son habitude de ne rien laisser paraître, à l’opposé de l’attitude de Bruine, l’avait éloigné de lui alors que son amie courrait assurément un grand danger. Il s’en voulait évidement d’autant plus que sa relation avec Aredhel avait finalement nuit à la jeune femme puisqu’il n’avait pas pu la protéger comme il aurait voulu.

- Qu’est-il arrivé à Bruine ? Est-elle encore en danger ? Questionna-t-il.
- Hi hi, non, rit la petite créature. La fille de la Douleur ne reviendra pas de sitôt.
Brekilien ne comprit pas tout mais il savait confusément que c’était plutôt une bonne nouvelle.

Autant il trouvait l’apparence de la « Larme » désagréable, autant sa voix était apaisante et douce. Il avait envie de rester un peu et de profiter d’un moment de calme.
- Vous n’êtes pas une enfant, remarqua-t-il à haute vois sans le vouloir.
- Non, rit doucement la créature. Mais j’aime bien cette image quand même.
- Vous pourriez presque passer pour une jeune halfelin, fit le rôdeur en essayant de la faire parler.
- Je trouve aussi, ça pourrait être amusant, répondit-elle en imitant l’accent de Valrive.

Brekilien sourit et s’assit sur le bord du lit. Il prit la main de Bruine dans la sienne quelques instants. En face de lui la petite fille s’assit de la même façon, imitant son geste avec espièglerie.

En regardant dormir son amie, Brekilien se remémora une de ces nombreuses fois où Bruine, irritée, l’avait envoyé promener. Elle était alors une très jeune adolescente sans éducation ni manières. Il se souvint de ses cheveux courts et ébouriffés, de sa tunique de maille rapiécée et tachée. Elle avait rejoint l’Alliance pour y trouver un refuge, et la famille qui lui manquait tant. Ce sujet d’ailleurs revenait bien souvent dans leurs conversations…

- Tu crois que Tunarë voudrait bien de moi comme fille, j’veux dire qu’elle pourrait m’adopter et tout et tout ? Avait-elle demandé un jour.
- La seule façon de le savoir est de lui poser la question quand tu la rencontreras, mais je crois que d’ici là ça n’aura plus d’importance. Avait-il répondu.
Bruine s’était tout à coup rembrunie.
- Ouais c’est bon j’ai capté que t’en à rien à battre et que je te gave ac’ mes questions débiles. C’est pas la peine de prendre tes airs. D’ici que je puisse aller la trouver on sait bien toi et moi que vous m’aurez foutue à la porte passque je vaux rien.

Brekilien avait cherché à expliquer ses paroles, mais Bruine ne l’avait plus écouté et sans attendre elle était partie, furieuse encore, tout en marmonnant pour elle-même.
- Ou des coups de pied au cul... M’en fiche, j’irai lui causer si je veux.

Le rôdeur n’avait jamais su si finalement elle était allée trouver la Mère de Tous.
Lui pensait que oui.
Il sourit à la créature qui le regardait sans rien dire.

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Nul n’entendit vraiment parler de la fillette. Brekilien oublia de s’y intéresser tant il était occupé, car l’Alliance des Seigneurs fut reformée à Qeynos quelques semaines plus tard. Bruine rejoignit les rangs de sa famille d’adoption et fut chargée par Brekilien, alors Commandeur, d’enquêter discrètement sur les nouvelles recrues et d’aider les officiers dans leurs fonctions.

Bruine s’acquitta de ses responsabilités, et, à grand renfort d’infusion, finit même par sortir de Qeynos pour accompagner des Seigneurs et des Miliciens…



[Fin du Background, Début du Jeu]
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