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Et voici la suite, le début du chapitre I
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I
"La Nature…Comment définir sa beauté d’une sensualité enchanteresse ? Sa voix est aussi douce que celle des sirènes de Seisanne. Sa peau si suave, et ses gestes si exquis et pleins de subtilité, qu’ils semblent flotter dans l’air comme des arabesques féeriques. Et à chacun de ses mouvements, les dessins les rêves de ses lutins, cachés dans les racines des arbres, apparaissent dans le ciel. Alors, les fées, dissimulées dans les frondaisons, se glissent le long du tronc, des branches, ou des feuilles, pour venir voir, écouter, ressentir, comprendre… partager et poursuivre les songes des lutins.
Le regard de la Nature, éternellement passionné, nous donne et nous envoie tant de choses, que l’on ne sait plus exactement ou l’on se trouve, une fois que nos yeux ont quitté les siens. Son sourire nous ouvre à elle, telle une déclaration d’amour et de compréhension de chaque instant…
Ses prunelles, toujours fixées sur celles du ciel, nous renvoient toute la beauté des étoiles que lui offre ce dernier. Et dans chacun de ses yeux, ce que l’on y lit est si intense, que lorsque l’on quitte la délicate douceur de son corps, sa vision, son parfum et ses chants nous hantent longtemps encore, même quand sa présence se fait plus discrète.
Mais jamais elle ne nous quitte. La nature jette à tous ceux qui la comprennent, un sort… et c’est la plus fabuleuse magie qui puisse exister. Ce n’est pas une sorcière. C’est une fée aux ailes enchantées… "
Sara Mylegna bougeait ses fines lèvres en un murmure presque intimidé. Comme si elle avait peur de troubler la quiétude des lieux ou elle se trouvait. Le cheval qu’elle montait, un grand étalon noir, au port fier et noble, semblait marcher sur la pointe de ses pattes. Lui aussi était respectueux de la nature qui l’environnait.
La forêt de Diane…
Tout était démesuré ici. La beauté, à la fois troublante et éclatante, excentrique et si simple… Aux troncs couchés et tortus, succédait des ramifications infinies d’arbres aux hauteurs disproportionnées. La diversité des plantes, des plus petites fleurs, aux plus éclatants arbustes, en passant par les fruits sauvages aux couleurs insensées, et les fougères aux formes dantesques, était une invitation à l’émerveillement. Les couleurs, à la fois, sobres dans leur apaisante tranquillité, mais aussi excitantes, dans la gourmandise de l’éclat des fleurs, était à l’image du lieu : paradoxal et fascinant. Toutes ces gouaches naturelles, peintes par une artiste aux mains d’ange, étaient magnifiques dans leur si pure féerie. Du vert, partout, qui scintillait, comme une émeraude, sublimé par le marron sombre des écorces, et les minuscules points de couleurs vives disséminés un peu partout.
Un frisson naquit dans la nuque de Sara ; agréable et tendrement envahissant, il vint se perdre dans le bas de son dos. Sa respiration s’accéléra. Ses mains serrèrent encore plus fort l’encolure du cheval, qui broncha légèrement pour signaler qu’il n’appréciait pas cette brusquerie. Sara sourit machinalement, posant une main apaisante sur son destrier, tout en lui murmurant un tranquillisant « Désolé Welad. » à l’oreille. Puis elle se redressa et ferma les yeux, ramenant le haut de son visage dans la capuche qui la protégeait. Elle inspira intensément, et des milliers d’odeurs envahirent ses narines et se diffusèrent dans tout son être. Les senteurs de l’humus mouillé, fraîches, côtoyaient celles, chaudes, des champignons, et d’autres, infinies, des innombrables plantes. Les fragrances émanaient de chaque graminée, arbuste ou du moindre petit brin d’herbe. Toutes différentes. Toutes complémentaires. Toutes magiques. Au pouvoir revigorant et vivifiant instantané.
C’était un paysage tellement utopique, de par sa si saine beauté. Tout ici n’était que merveilles et prodiges. La Nature était une artiste complète. Une amante dont l’amour était l’inspiration de ses chefs d’œuvres. Tantôt musicienne, d’autres fois peintre, parfumeuse, cuisinière, sculptrice, écrivaine, ou grande poète ; danseuse et chanteuse, murmurant ses mélodies et déclamant ses vers à tous ceux, et celles, qui prenaient le temps de la comprendre, et de partager avec elle la complicité et l’amour qu’elle nous offrait.
La luminosité aurait du être extrêmement sombre, à cause de la hauteur disproportionnée des végétaux. Il n’en était rien. Le vert presque émeraude de l’infini tapi mousseux, qui recouvrait tout, cachant même le sol, semblait briller, reflétant sa luminescence sur les arbres et les feuilles, comme si un magicien avait lancé un sort sur les lieux.
Un bonheur et une tranquillité découlaient de toutes choses en ce lieu si féerique. Pour beaucoup de gens, ceux qui ne prenaient pas le temps de s’arrêter tout simplement, tout ici était sale et insignifiant. Quelle tristesse….
Une goutte d’eau fraîche chuta sur le nez du professeur de philosophie du Fort Hérémos. Et la fit sursauter. La pluie… Une fine bruine commençait doucement à tomber au travers des branches des végétaux. Chacune des gouttes étaient uniques. En chutant sur les feuilles, la mousse, le lichen et le bois, elles produisaient des notes. Une mélodie, une musique… les instruments se mélangeaient, s’associaient, s’harmonisaient en de délicats airs réconfortants et apaisants…
La Symphonie… La Symphonie de Sonaruo… songea Sara.
La lumière se fit à la fois plus vive, mais terne en même temps. La forêt s’ouvrait sur une clairière qui faisait ressortir le gigantisme des arbres. Elle offrait à la jeune femme un moment de clarté qu’elle semblait apprécier pleinement. Le vieux chemin de terre qui serpentait s’élargissait en une route un peu plus praticable. Une centaine de mètres plus loin, il sortait définitivement de la forêt pour rejoindre la route côtière de Fort Hérémos. Les arbres étaient plus espacés et de moins en moins hauts. La mousse semblait se faire plus rare. La mer était toute proche, d’ailleurs une bouffée d’air marin s’engouffra dans la clairière par une rafale.
Avant que la nuit tombe, elle devait revenir au Fort Hérémos. Les moines de la Communauté avaient des horaires très stricts et précis, et même les enseignants du collège de Nol devaient s’y conférer. Sara n’aimait pas trop ces manières trop étouffantes, mais elle devait aux Nollopéens l’immense privilège de pouvoir vivre au Fort Hérémos et d’avoir accès à l’Anyon. Et ça c’était exceptionnel.
La bruine qui avait commencé à tomber tout à l’heure, s’était stoppée aussi vite qu’elle avait débutée. D’ailleurs le soleil perçait à travers les nuages maintenant. Elle n’apercevait pas la fantastique boulle de feu de là ou elle se trouvait, mais on distinguait ses rayons, qui arrivaient quand même à passer au travers de quelques arbres. Le ciel commençait doucement à virer au foncé par l’Est. Elle tourna son regard vers l’Ouest. Les nuages y étaient décidément bien sombres, allant de toutes teintes de gris et de bleus en passant par des reflets jaunes et verts. Un orage se préparait, et d’une grosse ampleur. Une raison de plus pour se dépêcher de rentrer.
Elle rabattit sa capuche, dévoilant sa chevelure rousse et frisée. Elle n’avait que si peu de temps libre pour venir profiter de la bienfaisance de la Nature... Ses cours au Fort Hérémos occupaient la moitié de son temps, et comme le temps n’était que trop rarement clément ici, oscillant entre vent, orages, et froid, elle occupait ses heures perdues à jouer de la lyre… et à lire !
« Hé bonjour ! »
Sara sursauta et se tourna prestement sur la selle, pour voir arriver une silhouette derrière elle. Elle fit pivoter et mit sa main sur sa cuisse, là ou pendouillait une fine dague. Derrière elle, sur le chemin qu’elle venait d’emprunter, un homme arrivait d’une démarche preste et assurée.
Il fermait ses yeux assez souvent, semblant y voir mieux encore que s’il les avait ouverts. Il passait, entre l’enchevêtrement que formaient les innombrables arbres et divers végétaux, avec une aisance rare. Comme si une carte était tatouée à l’intérieur de ses paupières, et qu’elle lui suffisait de les clore pour la consulter.
La jeune femme avait l’impression que l’homme amplifiait tout ce qu’il faisait. Il était encore à une vingtaine de mètres d’elle, mais elle entendait le moindre de ses petits bruits, comme si elle était un être miniature perché sur son épaule. Les bruits que produisait chaque foulée étaient agréables et pénétrants. En parfaite harmonie avec le suave chant des oiseaux, et la douce mélodie captivante et reposante du vent qui soufflait de plus en plus fort, se frayant un chemin à travers le labyrinthe des feuilles et des branches.
« Hé bonjour ! Bien le bonjour ! » répéta l’inconnu, d’une intonation ne laissant transparaître aucune animosité. Sara empoigna le manche de la dague, sans toutefois la sortir de son fourreau. Les voyageurs sont rares en ces lieux et surtout à pied qui plus est !
« Bien le bonjour belle dame. Oh l’heureuse rencontre en ces lieux… comme qui dirait…Oh oui, assurément. Heureuse rencontre. »
L’homme s’arrêta à quelques pas seulement du cheval qui recula nerveusement. Il arborait des cheveux châtain foncé longs et ondulés qui lui descendaient autour des deux cotés de son long visage. Sa légère barbe grisonnante étoffait un peu la forme très rectiligne de ses traits. Pourtant, une impression de folie se dégageait de cet individu. Ses yeux, tellement enfoncés dans ses orbites, donnaient presque l’impression qu’il en était dénué. Son regard était difficilement visible derrière ses épais sourcils. On ne percevait à peine que le fin mouvement de ses paupières qui clignaient sans cesse.
Il s’appuyait sur un bâton avec sa main droite. Un bout de bois finement sculpté et magnifiquement ouvragé, semblant être une prolongation de sa main. A gauche, une épée dans son fourreau pendouillait, presque nonchalamment sur sa cuisse, attachée à sa ceinture. Une minuscule dague y était aussi fixée tout comme de nombreuses petites poches de cuir. Il portait sur son dos un léger sac de voyage qui ne semblait contenir que le strict minimum. L’homme toussa, posa son sac à terre et il essaya de se tenir le plus droit possible, arborant un air impénétrable en souriant.
Le vent se leva alors doucement, comme emportant avec lui certaines notes et en emmenant de nouvelles… Il semblait qu’un instrument inédit venait s’insinuer dans la litanie… un instrument crée par le côtoiement des trois autres… Une mélodie plus un autre. Elles formaient non pas un mélange des deux, mais une toute nouvelle musique. L’union des deux talents les a dépassés… L’homme tourna soudain la tête derrière lui, comme s’il était aux aguets, il regarda avec suspicion, humant l’air un instant, puis il sourit et se retourna vers Sara. Il ouvrit un peu plus ses yeux, essayant d’écarquiller ses paupières au maximum. Sara ne distinguait toujours pas ses pupilles mais elle les savait très… dérangeantes.
« Mademoiselle, cela suffira je vous prie. » répondit Sara d’une voix froide. Son interlocuteur sourit, et il se baissa en une révérence théâtrale. Les os de son bas de dos, craquèrent, et un « oh » de douleur se peignit sur son visage. Il se redressa en se tenait les reins, tentant le plus possible de sourire.
« Très bien, mademoiselle. Mademoiselle, oui, c’est bien… comme qui dirait…Très bien… » fis t’il sur une tonalité enjôleuse, tout en grimaçant intérieurement. Il se releva et plongea ses pupilles dans celle de la jeune femme.
« Très bien. Mademoiselle. » répéta t’il sur un ton devenu oppressant. Son visage était laid sans être repoussant. Mais ses yeux étaient horribles… et attirants. Son regard, aussi vide que la nuit était sombre et pure, ne laissait rien ne transparaissait de lui, aucune émotion. La folie qu’avait entre aperçue Sara s’était envolée pour faire par au néant le plus total. Elle ne voyait pas la couleur de ses pupilles. Mais elle les trouvait effrayantes. Soudain mal à l’aise, elle cligna des yeux, puis baissa la tête le temps de souffler quelques instants. Son souffle s’était accéléré. Un murmure avait semblé trotter dans sa tête.
« C’est vous qui déclamiez de si jolies phrases tout à l’heure ? » demanda l’inconnu.
« Heu… et bien oui » répondit Sara, surprise par le ton séducteur. « Comment avez-vous pu m’entendre… je murmurais à peine ? »
« Je ne vous ai pas entendue… je vous ai perçue disons. »
« Perçue ? »
L’homme se contenta de hocher la tête en silence. A nouveau un chuchotement vint chatouiller les oreilles de Sara. Il y avait plusieurs voix cette fois-ci, comme si de minuscules créatures venaient lui parler à l’oreille. Nerveuse, elle tourna la tête de droite à gauche. Le cheval trépignait de plus en plus, et elle essaya de le calmer en posant une main rassurante au dessus de sa tête. L’homme avait croisé les bras.
« Qui êtes-vous ? » cria presque Sara, pour tenter d’oublier son malaise et retrouver un peu d’assurance.
« Moi ? Oh c’est à moi que vous parliez ? » L’homme semblait faussement étonné et s’amusait visiblement de la situation.
« Oui, bien sur c’est à moi. Oui bien sur. Bien sur. » Il tourna sa tête de droite à gauche. « Hé bien… hé bien…comme qui dirait…Disons que je suis celui qui devait être ici même pour vous rencontrer avant que vous ne partiez. Je suis celui que vous deviez rencontrer et avec qui vous deviez avoir cette conversation, à cet instant précis. Mais qui je suis n’a aucune importance, vous savez, les arbres se fichent totalement de savoir comment je m’appelle pour me parler.»
« Je ne suis pas un arbre. » dit Sara.
« Certes… » fit l’étranger, évasif en perdant son regard dans le ciel. « Mais vous me parlez. (il abaissa sa tête en un mouvement vif et rapide) Alors, comme qui dirait, comprenez que je vous associe à ces fiers végétaux. D’ailleurs vos cheveux ont la couleur et la forme exacte d’une fleur rare que l’on ne trouve que dans ces forêts nordiques… »
« Abrégez, je vous prie. » coupa Sara.
« Oh tiens, je ne me souviens plus du nom de cette plante… Tiens oui, c’est étrange, elle est semble t’il sortie de ma mémoire… comme qui dirait… »
« Abrégez ! » coupa à nouveau la jeune femme, qui retrouvait peu à peu sa confiance.
« Conduisez-moi au Fort Hérémos. » tonna l’homme sur un ton instant et presque sans aucune contestation possible. Il n’avait même pas laissé à Sara le temps de finir son mot. Comme sonnée, elle le dévisagea avec de grands yeux ronds, et mit du temps à articuler quelques mots.
« Pardon ? »
« Oh… excusez-moi… comme qui dirait…je me suis égaré… (il sourit) je reprends. »
L’homme recula de quelques pas et bomba son torse, il prit son bâton dans une main et étira ses deux mains en croix, puis il fit une révérence exagérée en se baissant plus que nécessaire.
« Gente demoiselle à la belle chevelure rousse, auriez vous l’extrême amabilité de conduire le pauvre gueux fatigué que je suis, jusqu’au au lieu que l’on nomme Fort Hérémos ou je dois me rendre le plus rapidement possible. »
Sara ne savait que dire. Elle leva ses yeux pour voir le soleil décliner.
« Pourquoi voulez-vous aller à Fort Hérémos ? » fit Sara sans détourner son regard de la lumière qui passait à travers les arbres.
« Suez. »
Sara se tourna vers l’homme, interloquée.
« Suez ? »
L’homme sourit de toutes ses dents. Son dur visage presque métallique et tellement froid semblait empli de folie… et d’une noirceur qu’elle masquait…
« Oui, Suez, c’est ainsi que l’on me nommait…autrefois. »
Sara fronça les sourcils. L’homme ne lui laissait même pas le temps de finir ses phrases.
« Autrefois ? Comment ça autrefois ? Je… je me fiche de votre nom !»
« Oh vous savez, je suis très âgé… et autrefois, il y a bien longtemps, on m’appelait Suez. Oui, c’est ainsi que l’on m’appelait. Vous me l’avez demandé tout à l’heure d’ailleurs. Mais vous savez, le temps suit son cours, et les noms…tombent parfois dans l’oubli. Ils resurgissent, tantôt… Oui… mais…»
« Vous êtes fou.»
Le cheval s’impatientait et trépignait sur place de plus en plus.
« Et d’ailleurs je vous ai seulement demandé qui vous étiez. Je ne vous ai pas demandé votre nom. » poursuivit Sara.
« Certes… » fit l’homme évasif. Il observa l’animal, comme soudain fasciné, il inclina sa tête à droite, puis à gauche. Puis à nouveau à droite. Petit à petit l’étalon se calma.
« Oh, la folie, mademoiselle, est quelque chose de bien étrange en ce monde… Très vaste… Vous devez en savoir quelque chose … non… » fis-il sans le lâcher des yeux.
L’homme sembla hésiter un moment, comme s’il cherchait une information à travers les yeux de l’animal.
« Mademoiselle la professeur de philosophie ? » déclara t’il en relevant les yeux vers Sara.
La femme eut un hoquet de surprise, puis elle fronça les sourcils. Et ne répondit rien. Elle voulait dire quelque chose, mais elle n’arrivait plus à parler. Suez sourit de plus belle.
« Oh, là vous devez vous demander sans doute comment je peux connaître ce que vous faites…non ? » Il eut soudain l’air étonné. Il commença à marcher vers Sara et sa monture. La jeune femme n’eut aucun mouvement de recul.
« Et bien disons que j’ai des intuitions très fortes. » Il sourit encore une fois et se mit à faire le tour du cheval, comme s’il voulait voir la personne à qui il s’adressait sous toutes ses facettes. Sara était avait l’impression que quelque chose la bloquait, quelque part dans son être.
« Vous jouez de la musique. » Sa voix se fit plus pressante. « De la lyre. » Les yeux perdus dans le vague, Sara n’eut aucun mouvement. Tous les muscles de son corps se contractaient, et une douleur piquante s’infiltra dans son crâne.
« J’adore la lyre. » se délectait Suez en esquissant un sourire. « J’en joue moi aussi. »
Il se trouvait à présent derrière la femme qui respirait de plus en plus rapidement, entendant dans sa tête résonner les battements de son propre cœur, qui s’amplifiaient, envahissant tout, pour se diffuser petit à petit dans chacune des parties de son corps, au rythme de la voix de Suez. La douleur dans sa tête s’était transformée en une désagréable présence intérieure. L’homme vint se replacer devant son interlocutrice. Son regard plongea instantanément dans les yeux la jeune femme, sans que celle-ci ne pus faire quelque chose pour l’éviter. Elle voulut fermer les paupières, mais elle n’y arrivait pas, elle n’avait plus leur contrôle !
Face à elle, Suez, par l’intermédiaire de ses pupilles, n’était plus qu’un immense poison qui s’insinuait petit à petit dans ses veines.
« Oui voyez-vous…car comme qui dirait… »
Sa voix roque et sourde se répercutait dans le crâne de Sara, comme s’il était soudain devenu creux. Suez réfléchissait et hésitait, son visage prenant un air de plus en plus concentré et intense. Ses traits se tendirent au ralenti, comme si son visage se préparait à une métamorphose. Mais Sara ne le voyait ni ne l’écoutait plus. Elle ne distinguait que ses pupilles qui s’amplifiaient, encore et encore.
« Je suis même capable de savoir comment vous vous appelez en lisant dans vos yeux.... »
Elle sentait dans son esprit quelque chose qui la touchait, la caressait, la soupesait et s’amusait à fouiller dans son être. Doucement, avec une délicatesse presque sadique, c’était comme si l’on ouvrait tendrement son cerveau… avec amour… pour l’embrasser et voir de quoi il était constitué.
« C’est très important vous savez les yeux, je peux tout savoir à travers eux. »
Ils étaient blanc les yeux de cet homme, oui totalement blancs, Sara les distinguait à présent. Elle ne voyait plus qu’eux, et ses pupilles… infimes grains rouges dans un océan pur… Ses pupilles, oh… ses pupilles, elle ne voyait qu’elles !
Une voix dérangeante et écrasante résonnait dans toute sa conscience, mais elle ne comprenait pas ce qu’elle disait, elle parlait trop doucement, et elle était trop aiguë, tantôt trop grave, puis d’autre fois trop forte, ou trop lourde. Elles étaient même plusieurs voix parfois. En face d’elle, la tête de Suez n’était plus à présent, qu’une intense déclaration de peur et de haine, son, visage et ses traits se déformaient à une vitesse monstrueuse. La respiration de la jeune femme s’accéléra encore… et tout s’arrêtât subitement.
Suez tourna la tête à droite. Dans les feuillage, un oiseau s’était envolé, faisant bruisser les feuilles. Sara baissa lentement la tête, et repris son souffle. Elle réussit enfin à fermer ses yeux. Sans réfléchir, d’une voix semi tremblante, elle articula difficilement :
« Continuez tout droit… le Fort Hérémos c’est… tout droit… vous en avez pour une demi heure de marche… tout au plus… »
Puis, semblant accomplir un effort surhumain, sans un regard pour Suez, elle fit pivoter son cheval, et s’en alla dans la direction opposée.
« Au revoir Sara.» dit Suez. Et elle fila à bribe abattue en direction de la route côtière.
Un sourire noir sans humour aux lèvres, l’homme observait avec noirceur la cavalière s’en aller devant lui à une vitesse impressionnante. Il ramassa son sac, en sortit une gourde d’eau avec laquelle dans laquelle il se désaltéra un court moment, puis il leva ses yeux vers le ciel. Un vent de plus en plus fort et lourd se levait, emmenant avec lui une ambiance de plus en plus électrique.
« Alors c’est ce soir que tu vas te mettre à jouer de ton instrument Nëmes… » dit il le visage toujours tourné vers le ciel. Lentement, il se remit en marche. Il fallait qu’il se dépêche. Il voulait être au Fort Hérémos avant la nuit.
« Très bien ce soir… » murmura t’il. « Très bien… »
Glissant à la vitesse du vent qui soufflait sur la lande côtière déserte, la cavalière et sa monture semblaient vouloir défier l’allure du souffle de la nature. Sara Mylegna avait lancé son cheval au galop, à une vitesse folle. Elle voulait mettre le plus de distance entre elle et ce dérangeant personnage. Cet homme l’avait…asphyxiée. Elle lui avait semblé qu’il avait sondé son esprit. D’un revers de main imaginaire, elle chassa ces idées ridicules de ses pensées. Elle était fatiguée par ses cours au Fort, et cet homme était dérangé mentalement. Voilà tout.
A présent le vent balayait ses cheveux et ses idées vers l’arrière, se cognant avec fureur sur sa peau. Elle cravachait sa monture avec une allégresse surprenante. Elle lui semblait qu’elle renaissait. A sa droite, une falaise vertigineuse défilait à une vitesse incroyable, et l’Océan étalait son corps jusqu'à l’horizon. A gauche, les premiers arbres de la forêt de Diane se faisaient de plus en plus rares, et défilaient extrêmement vite.
La route côtière de Fort Hérémos était l’une des plus impressionnantes, qui lui ai été donné de voir dans cette région sauvage et splendide qu’était le Toluel. Des falaises désertes mais d’un vert étonnant, restent inébranlables alors que l’Océan se jetait en mugissant contre les rochers. Les eaux déchaînées et striées de blanc, s’abattaient en un spectacle ahurissant sur les pierres inflexibles. Au loin, d’incroyables nuages, aux infinies teintes de gris s’accumulaient en de terrifiants nuages, s’approchant doucement des côtes, et venant s’étaler en forme d’enclumes au dessus de la mer.
Le mistral balayait tout avec une ahurissante violence, contraignant le cheval et sa cavalière à un comportement d’équilibriste des plus étonnants. Toute idée de stabilité semblait bouleversée dans ces flots en furie, ou les vagues qui s’écrasaient avec force sur le bas des falaises, semblaient faire trembler le paysage.
Dame Nature… songea Sara. Belle mais si puissante…
La route se détachait à présent du bord de la falaise, gravissant une courte, mais haute colline qui semblait se terminer sur un précipice. Il n’en était rien. Arrivés en haut, la cavalière et sa monture s’arrêtèrent net de stupéfaction, le souffle coupé, les mots balayés par le vent, les sensations envolées par l’ébahissement. Sara Mylegna avait maintes fois vu la crique, qui entourait le Fort Hérémos et la presqu’île, lui apparaître sous ses yeux comme surgissant de la mer, lors de la fin du gravissement de la colline. Mais il lui semblait qu’elle la découvrait à chaque instant. Une exultation incroyable s’empara d’elle. C’était comme un conte merveilleux que l’on avait entendu tant de fois que l’on pourrait en être lassé. Mais non. La magie est toujours suffocante car, à chaque fois, on trouve une nouvelle manière de la vivre.
Sara laisse échapper un petit cri de jubilation, et elle stoppa Welad, pour s’arrêter un instant ; le temps de contempler la forteresse de pierre démesurée. Elle posa la main sur l’encolure de son étalon, et le flatta du plat de la main. Il respirait à en perdre haleine. Ce cheval l’étonnait toujours. Malgré son âge plus que respectable, il était capable d’atteindre des vitesses encore exceptionnelles. Même contre le vent ; qui d’ailleurs était encore plus puissant ici en haut. Les hautes herbes flottaient dans tous les sens. Les mouettes avaient le plus grand mal à se maintenir en vol, et elles traçaient des courbes irrégulières dans le ciel. Les quelques rares arbres, de vieux chênes, tremblaient de tous leurs membres, sans plier sous les coups qui leur étaient infligés.
La Cité de Fort Hérémos semblait vouloir atteindre le ciel, et le défier le vent. Elle semblait incroyablement forte. Elle semblait invincible. Bâtie juste à coté du petit village côtier de Port Regen, qu’elle écrasait de toute sa splendeur (le plongeant dans l’ombre lorsque le soleil passait à l’Ouest), la Cité étirait toute sa géométrie complexe et élégante sur plusieurs kilomètres de diamètre, le long une presqu’île plongeant dans la mer. Elle débordait même un peu sur l’océan, depuis la création du Port Intérieur et de sa grande coupole dorée. Sa forme était ronde, tendant plutôt vers l’ovale, vue de haut, mais de là ou elle se trouvait, Sara voyait surtout les tours des plus hauts bâtiments, qui se détachaient sur un fond de ciel apocalyptique. Une immense tempête se préparait dans le lointain, donnant au lieu une allure de fin du monde.
C’était une véritable anthologie de pierre, cinquante trois tours d s’étalaient le long d’une immenses et démesurément haute double muraille extérieure. Vu d’ici, l’ensemble dégageait un tel sentiment de gigantisme et de majesté, que l’on avait parfois du mal à croire que des mains humaines étaient à l’origine de la splendeur de l’ouvrage. L’harmonie des proportions côtoyait une certaine folie dans les lignes. Et avec le vent et la tempête dans le lointain, le lieu semblait lui aussi défier la gravité et les lois de la physique. Il paraissait flotter sur l’eau.
L’intérieur était lui-même une source constante d’émerveillements, étalés autant en hauteur qu’en largueur. Le Château-Séluné, bâti en marbre blanc et beige, aux altitudes disproportionnées, étalait toute sa sublimité au Nord du Fort, face à la mer. De là ou se trouvait Sara, on pouvait voir les huit tours rondes triangulaires du sommet du château, dont les deux plus grandes, à l’Est et à l’Ouest, étaient reliées par des ponts enjambant tout le Fort pour venir rejoindre les immenses murailles extérieures. On apercevait le sommet triangulaire de l’Eglise de Noto, qui dépassait des remparts du Sud. Les statues dantesques, représentant le fondateur des lieux, Antoine Nöllopa, et diverses créatures mythologiques ne se voyaient pas d’ici, mais le collège de Nol (ou le lieu d’enseignement le plus prisé de tous les Royaumes) étalait sa géométrie triangulaire et rectiligne en dessous du Château.
Mais ce qui sautait le plus aux yeux, la chose la plus impressionnante et démentielle du Fort Hérémos, autant par ce qu’elle était que par ce qu’elle renfermait, c’était l’Anyon. Un immense trésor que le Fort abritait depuis sa fondation. Il s’agissait de la plus exubérante et complète de toutes les bibliothèques du monde. Même le mot bibliothèque semblait disproportionné face à l’infinie source de renseignent, d’inspiration et de savoir que constituait l’Anyon. Un lieu avec une architecture bien particulière, ne ressemblant à rien de déjà bâti sur ce monde. Ses formes étaient à la fois fines, effrayantes, intimistes, oppressantes et attirantes, construites dans du marbre, de la pierre, du bois et du bronze. Elles s’étalaient sur toute la partie centrale et jusqu'à l’Est du Fort. Du haut de lande on ne voyait que le haut du bâtiment, en fait constitué de plusieurs autres édifices, reliés autour d’une tour démesurément haute, en une construction pyramidale arrondie. Rien n’était carré ni rectiligne dans l’Anyon.
La tour, nommée Agurn Yessol, la tour de l’horloge, la plus haute de tout le Fort, qui surplombait les lieu, s’étirait sur des dizaines et des dizaines de mètres au dessus du Fort, dominant tous les alentours. Le temps comme gardien de la connaissance, étalant son sommet en cône au dessus du Fort, et ses quatre gigantesques cadrans aux vues de tous.
La partie supérieure de la bibliothèque, accessible *relativement* facilement était le plus grand rassemblement d’ouvrages de tout Sonaruo. Une véritable mine de connaissances et de savoir sans cesse renouvelée, dans tous les domaines possibles et imaginables, mais dont l’accès au public était limité par des règles assez draconiennes.
Trop draconiennes… songea Sara.
Une large plaine tourbière peu profonde entourait la crique, s’étendant du bas de la colline jusqu'au début de la presqu’île. La tourbe est formée par de la végétation en décomposition depuis des milliers d'années, ce qui faisait plutôt ressembler le lieu en un vaste marécage. Quelques fermiers avaient tenté, avec plus ou moins de succès de cultiver quelques céréales, mais devant leurs échecs répétés, ils sont rapidement revenus à la leur activité première : la pêche.
Dans le lointain, juste derrière le Fort, un premier éclair rougeoyant éclaira un instant le ciel. La tempête était encore loin, mais il valait mieux se dépêcher. Elle s’annonçait terriblement destructrice.
Sara rassembla ses rênes et d’une pression ses talons, elle intima à son étalon de descendre la pente. Le cheval, encore un peu épuisé de sa folle course, grogna quelque peu, puis il bondit en hennissant, pour descendre la route qui allait les conduire à l’entrée du Fort. Portée par Welad, les yeux piquants à cause du vent, elle traversait à une vitesse incroyable les plaines tourbières. Devant elle, Fort Héremos semblait grandir et sortir de l’eau, au fur et à mesure qu’elle s’approchait. Sara se sentie envahie d’une énorme poussée d’adrénaline. Oublié cet homme horrible et cette sensation d’enfermement, et cet effroi qui l’avait saisie tout à l’heure…
A ce moment précis, elle n’était qu’une humaine sur un cheval, ballottée par la nature comme une brindille, qui se demandait comment elle était encore debout et en équilibre. Elle se laissa envahir par une bouffée de passion intense. Des larmes lui coulaient le long des joues, elle ne voyait plus rien, seulement le Fort qui se rapprochait, et le paysage qui défilait à toute allure. Elle ne faisait plus qu’une avec sa monture, unie par un lien intense, elle accompagnait Welad dans ses mouvements amples, fluides, et rapides. Elle se mit à sourire béatement. Elle se sentait euphorique. Elle était heureuse.
Le petit lutin avait un énorme nez, et d’immenses rides qui creusaient et sillonnaient son visage. Mais au contraire de le vieillir, elles le rendaient encore plus attachant. Sa petite barbe, soigneusement taillée contrastait avec ses cheveux désordonnés. Il portait de grandes bottes en cuir par-dessus sa salopette trop grande pour lui. Ses deux yeux pétillaient de malice et de sagesse à la fois. Il était plutôt réussi en fin de compte.
Elliot grimaça. Non, quelque chose clochait. Les bras étaient trop disproportionnés par rapport à ses jambes. Il repassa les contours de la salopette avec son crayon, pour essayer de d’allonger ses membres. Mais il n’en eut même pas le temps. Une nouvelle bourrasque lui arracha sa feuille des mains, et son crayon ne rencontra que du vide. Il jura en voyant son dessin s’envoler. Ce n’était même pas la peine de songer à le rattraper avec le vent qu’il faisait aujourd’hui.
De rage, il lança son stylo dans le canal artificiel qui valait à la Cité d’être une presqu’île. Il souffla d’exaspération. Etre un des gardes d’entrée de Fort Hérémos, n’était pas la tache la plus agréable qui soit donné de faire. Mais il n’avait nulle part ou aller, et nulle autre chose à faire. Il adorait dessiner, et il aurait tellement pouvoir aimé vivre de cette seule chose qu’il savait faire. Mais il ne pouvait pas. Son père, un pêcheur de Port Regen, était mort l’année dernière dans un accident de bateau. Sa mère, l’avait suivi seulement quelques mois après, des suites d’une longue maladie. Et n’ayant aucune autre famille, il s’est retrouvé orphelin à seize ans.
« Alors Elliot, on a encore loupé son dessin gamin ? »
Le jeune homme surpris, tourna la tête pour se trouver nez à nez avec le Portier, son supérieur direct au Fort. C’est lui qui l’avait engagé il y a six mois, prétextant qu’être Garde de la Communauté Nöllopéenne était tout sauf une corvée. Et en plus de la paye, il aurait le lit et le couvert offerts. L’homme avait une voix lourde et grasse. Il était gentil, mais insupportable.
« On ne dessine pas pendant le service bonhomme. Je te l’ai déjà dit je crois non ? »
Elliot baissa la tête. Ce n’est pas la première fois qu’il se faisait réprimander sur le sujet. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher, et tous ces gens à l’esprit borné ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient rien. Même s’il n’avait pas le choix, rester toute la journée plantée comme un piquet pour surveiller une double porte magistrale, ce n’était pas du tout son truc. Mais il ne voulait pas non plus perdre sa seule source de revenus, et surtout le logement que lui accordait la Communauté Nöllopéenne.
« Oui monsieur. » répondit timidement Elliot. Le Portier sourit de toutes ses dents à moitié gâtées, et il donna une grande claque dans le dos du jeune homme.
« Bon, ça va pour cette fois, mon gars. Mais que je ne te vois plus recommencer, sinon c’est hors d’ici que tu continueras tes graffitis. C’est compris ? »
« Oui monsieur. »
« Bien… T’as de la chance que je sois pas le Capitaine Bayard. Lui mon gars, il aurait pas été aussi sympa que moi tu sais. »
Le Portier parlait de celui qui dirigeait la garde de la Communauté Nöllopéenne. Un ancien grand chevalier sanguinaire, un vrai bourreau, comme il disait. Elliot ne l’avait vu que deux fois. La première fois, lors de son engagement, et la seconde fois, lors d’une réunion des dirigeants de la Communauté à laquelle il avait accompagné le Portier (il ne savait pas pourquoi, mais cet homme c’était pris d’affection pour lui, sans qu’il fasse quelque chose pour).
Il avait trouvé le Capitaine Bayard certes très impressionnant, avec une carrure et une aura très imposantes, mais il lui semblait que tout cette violence qui avait été en lui n’était plus qu’enfouie derrière des tas de souvenir désagréables. L’homme avait l’air complètement désabusé à vrai dire.
« Bien… » murmura le Portier en se grattant la barbe. Il fit tourner son regard autour de lui et il observa ses soldats un moment. Ils étaient une vingtaine à surveiller les allées et venues des gens qui sortaient ou rentraient au Fort Hérémos. Les visiteurs n’étaient pas très nombreux, car tous ceux qui vivaient dans les lieux ne voulaient pas en sortir, et ceux qui venaient de l’extérieur n’arrivaient pas à y vivre.
Mais la Communauté Nöllopéenne tenait à tout prix à protéger l’Anyon. A l’entrée de la Cité pour commencer, même si pénétrer dans le Fort Hérémos était accessible à tout le monde. La mission du portier et de ses hommes, était seulement de vérifier qu’aucune des personnes qui s’introduisaient dans le lieu, ne soit un danger potentiel pour la Communauté.
« Un cavalier s’approche de la porte ! » hurla une voix.
Le Portier se dirigea, d’un pas lourd et nonchalant, vers le bout du pont-levis (qui ne servait plus et restait continuellement baissé au dessus du canal). Son armure en cotte de mailles tintait au même rythme que ses pas raisonnaient sur le bois.
A une dizaines de mètres de là, un cheval monté arrivait sur le Fort à une vitesse impressionnante. Non, ce n’était pas un cavalier. Le Portier reconnaissait ce long manteau vert foncé et ce beau cheval noir. C’était Sara Mylegna qui rentrait.
« Alors mademoiselle, la promenade fut-elle agréable ? »
Le visage empourpré, Sara séchait ses larmes dues autant au plaisir qu’au vent. « Ma foi… oui plutôt. » dit elle essoufflée. Elle se mit la main sur la poitrine. Le vent séchait les quelques gouttes de sueur qui commençaient à perler sur son front. Elle rapprocha un peu du Portier.
« J’ai rencontré un homme étrange à la sortie de la forêt de Diane. (elle reprit encore son souffle) Il m’a dit vouloir venir ici. Il est à pied. Il a l’air quelque peu… dérangé… faites attention. »
Le Portier fronça les sourcils et il prit un air méfiant.
« Un étranger ? Il vous a fait du mal ? Il vous a menacé ? »
« Non pas du tout. » Sara hésita. « Disons que j’ai eu l’occasion d’avoir une conversation plutôt dérangeante avec lui. »
Voyant que la jeune femme était troublée, le Portier n’insista pas plus.
« Je vois mademoiselle Mylegna. Hé bien nous veillerons à tout cela, soyez-en sure. Ne vous en faites pas.»
Sara hocha de la tête. « Je vous fais confiance. »
Elle tira sur les rênes de son cheval et traversa le pont de bois. Accroché sur les rambardes, des drapeaux de la Communauté Nöllopéenne(une spirale blanche sur un fond noir et rouge) côtoyaient ceux de la famille royale du Romir, battus aux vents.
La situation politique de Fort Hérémos était elle aussi particulièrement spéciale. Déchu de son royaume après la deuxième guerre du Dragon, il y a plus de cinquante décennies, la famille royale du Romir, exilé de son pays, a trouvé refuge à Fort Hérémos. William Bernis, le Recteur de la Communauté de l’époque était un cousin éloigné de l’ancien roi du Romir, Gerard II (qui fut décapité à la fin de la guerre), et il fit offrit à la famille royale une partie du Château-Séluné pour qu’ils puissent y être protégés.
Ce qui devait être une installation temporaire devint finalement définitive, les princes du Romir, génération après génération, partageant le pouvoir politique de la presqu’île avec les membres de la Communauté Nöllopéenne. La Cité-Etat de Fort Hérémos alors devint une Principauté, ou ‘le nouveau Royaume-Romir’. Ce qui créa bien des tensions entre les moines et la cour royale. Les Romir (la famille souveraine porte le même nom que celui de son pays d’origine), trop satisfaits du confort et de la sécurité du Fort Hérémos, se déclarèrent ouvertement les maîtres des lieux. Jamais la Communauté n’a pu les faire partir, elle n’a d’ailleurs jamais réellement essayé. Le fait d’abriter une famille royale est une incroyable source de développement pour le Fort. Et maintenant ils ont pris trop d’importance dans la Cité pour qu’ils s’en aillent, allant même jusqu'à fonder une « armée royale » de cinquante hommes (soit même pas un dixième de la Garde Nöllopéenne) dévouée à la protection des monarques Romir.
Les fers de Welad qui résonnaient sur le pont en bois tirèrent Sara de ses pensées. Les soldats qui surveillaient la gigantesque double porte de bois, se battaient tant bien que mal, contre le vent, pour arriver à rester debout. Tous avaient l’air si jeunes…
De là ou il était, Elliot trouvait la jeune femme et sa monture magnifiques. Elle avait l’allure intemporelle d’une princesse de contes de fées. Il devrait la dessiner un jour. Son profil est très joli.
Sara leva sa tête pour constater la hauteur démesurée des murailles. Le ciel s’assombrissait de plus en plus. Elle lança un dernier regard en direction de la colline d’où elle venait, puis elle s’engouffra sous le porche.
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