Prélude d'un roman

Répondre
Partager Rechercher
Voili voilou, j'ai commencé l'écriture il y a quelques temps d'un roman médiéval fantastique, dont j'avais posté certaines parties sur un autre forum... (dont je tairais le nom ! lol). Ayant besoin d'avis neufs et de points de vues différents et diversifiés, sur ce que j'écris, j'ai décidé de poster le prologue de mes écrits, en espèrant que ça vous plaira...
Je suis bien conscient qu'il y a très certainement de nombreuses erreurs de style et sans doute quelques répétitions et maladresses, mais si vous arrivez à accrocher, le chapitre 1 suivra...
Bonne lecture...


____________________________________________________


La Symphonie de Sonaruo - Des Ombres dans les ténèbres

Prélude


Les légendes disent que le Fort Hérémos est né de la dernière larme de Uel, le Dieu aveugle du savoir, lorsqu’il perdit ses yeux dans le combat qui l’opposa a son ancienne amante, la reine Hérème. La goutte chuta du Neocromion, le Palais-Blanc, et vint s’écraser dans la mer, au bord des côtes de Tol. Du point de sa chute, jaillit tout d’abord un énorme geyser. Et alors surgit une presqu’île, sortant des eaux, au milieu de laquelle trônait l’Anyon, la Grande Bibliothèque des dieux à l’architecture dantesque. Alors les elfes, enfants de Uel, se mirent en quête de protéger le plus grand des trésors divins : la connaissance. Ils ont bâti des remparts insensés, pour protéger les plus grands secrets de l’univers des autres créatures de Sonaruo. Fort Hérémos fut ainsi créé.
C’est ce que me racontais toujours mon père, quand je n’étais encore qu’un tout petit enfant. Je ne comprenais pas pourquoi tout ce lieu, si grand et si beau, était autant protégé. Je ne comprenais pas non plus pourquoi tous les gens qui y vivaient semblaient tous si accablés par la fatalité. Quand papa m’a raconté la légende de la création de Fort Hérémos, j’ai enfin été éclairé. Le lieu est né d’une larme. Le Dieu qui a créé la presqu’île pleurait de douleur et de tristesse. Alors la peine divine a attiré à les gens dans le chagrin qui se sont regroupés, formant une Communauté bâtie sur les pleurs. Mais à ce moment là, un autre problème s’est posé. Pourquoi donc, alors que je vivais depuis toujours à Fort Hérémos, je n’étais jamais triste ?
Mon papa m’a dit en souriant que c’est parce que j’étais un ange. Et que les anges ne sont jamais tristes… sauf quand ils sont dans une prison et qu’ils ne peuvent pas voler. Je n’en croyais pas un mot. J’étais persuadé d’être une personne très spéciale, ça c’est un fait (comme en témoignaient mes oreilles pointues), mais justement, je ne savais pas voler. Alors mon papa m’a dit que si, je savais le faire. Et de la plus belle des manières : avec mon esprit et mon imagination. Ne trouvant plus rien à redire, je restais cette fois-ci perplexe.
Papa a toujours voulu sublimer ma vie, et tout ce qui m’entourait, inventant des milliers d’histoires, et toute une infinité de légendes, autour desquelles il voulait que je bâtisse ma future existence.
Pourtant aujourd’hui, c’est moi qui tiens cette plume qu’il a tant utilisé, et ce sont mes mains qui vont écrire à sa place. Cette simple idée m’angoisse affreusement. Je ne sais pas si je dois… Coucher sur le papier toute cette histoire laisse germer en moi une sensation paradoxale. Je ne saurais la définir, mon âme est trop trouble pour cela. Mais je prendrai le temps de comprendre enfin. Ce n’est plus ça qui me manque…
Le Fort Hérémos n’est pas l’œuvre d’un dieu qui perdit ses yeux, ni un lieu bâti pour les gens « tristes ou déprimés ». Ce n’est pas non plus le dernier bastion d’un peuple elfique qui a aujourd’hui totalement sombré dans la déchéance. Non, ce n’est rien de tout cela.
Fort Hérémos est le rêve d’un homme qui a passé toute sa vie à croire en sa beauté. Et qui est arrivé à la matérialiser. Antoine Nöllopa était son nom. Aujourd’hui déifié par la Communauté crée après sa mort, la plupart des gens ont totalement oublié qu’il était avant tout : le porte parole d’une nouvelle manière de penser. Pas d’une nouvelle doctrine.
Il est assez compliqué d’expliquer en quelques mots quel était le message véhiculé par les idées de Nöllopa. On a tué en son nom. On a justifié des horreurs, bâti des monstruosités et commis des atrocités. Mais on a aussi fondé des rêves, des espoirs, et des merveilles. On a tout fait, ou presque. On a tout interprété, chacun des actes de sa vie.. Mais on a peut-être oublié de comprendre. Il est étrange de voir à quel point les écrits peuvent être déformés différemment selon les époques, les cultures, les âges, ou je ne sais quelles autres choses encore. Il est dérangeant de voir à quel point les gens veulent s’approprier, à n’importe quel prix, quelque chose qui leur rappelle ce qu’ils voudraient êtres, ce qu’ils voudraient avoir, ou ce qu’ils voudraient faire. Il est effrayant de voir ces mêmes personnes s’imaginer que ce qu’ils font, est juste car déjà cela a déjà été réalisé par le passé. Il écoeurant de constater que leurs actes ne sont dictés que par la vilenie et l’appât du gain.
Personne n’a jamais compris le message d’Antoine Nöllopa. Ni mon père. Ni moi. Ni la plupart de tout ces gens qui ont la prétention de dire qu’ils continuent les travaux de leur maître. Le seul être, qui incarnait l’âme même de la pensée de cet homme ne l’a jamais su…
Ma bouche s’assèche, mes mains sont parcourues par de légers tremblements convulsifs. Je ne sais pas par où commencer. Je pose la plume. Evidemment, j’ai les mains moites. Les lettres que je dessine avec ma plume sont irrégulières. L’encre s’efface, sur le papier les lettres coulent… Je froisse la feuille avec dépit, et la jette dans le feu de bois qui brûle dans la cheminée.
Depuis tout petit, j’ai continuellement les mains humides. Mes camarades de classe, au Fort Hérémos pensaient qu’il s’agissait d’un grave un problème *pythopathologique* ou d’une maladie *neuropsychologique*, et ils n’arrêtaient pas de chercher les hypothèses les plus farfelues sur ce si grand mystère...
Le feu brûle dans l’âtre, les flammes crépitent, et je les observe, le regard dans le vague. La pièce ou je me trouve est plutôt petite, et exiguë. Il n’y a aucune décoration, les murs sont sales et miteux, et le plancher en mauvais état n’est même pas droit. Des bruits de souris et de rats, qui courent sous les lattes, se font parfois entendre, éveillant de temps à autre le chat obèse, qui dort sur l’unique coussin de la pièce. Mais il ne bouge jamais de son lieu fétiche, préférant le doux confort de la pâtée que je lui apporte, plutôt que de se fatiguer à chasser. Il est un peu comme moi. Il se complait à se ramollir dans la facilité en vieillissant.
Je scrute la pièce des yeux, l’air désabusé. Le lit défait à côté de moi semble me dire d’oublier mes soucis et de venir m’allonger. Oui je suis fatigué… de rien faire. Tout sent un peu le renfermé ici, mais je ne peux pas ouvrir la fenêtre pour aérer les lieux. Il fait beaucoup trop froid, et je crains énormément ce temps glacial hivernal. Le chat qui dort à côté de la cheminée n’apprécierait pas trop non plus que je purifie les lieux. Il dort si profondément que je ne sais même pas s’il s’en rendrait compte d’ailleurs.
Mes paupières clignent nerveusement. Mon ventre se serre. Ma tête tourne. J’ai froid. Dans mon esprit les étincelles se croisent et s’entrechoquent. Tout comme mon âme, mon corps tout entier redoute ce moment. Cet instant ou cette page blanche, belle, pure, sera noircie par mes mains.
Mon père essayait autant qu’il le pouvait, d’être le plus neutre possible dans ses écrits, mais il y parvenait rarement. C’était un homme merveilleux, à l’imagination débordante, qui cachait sa réelle personnalité derrière un masque qui ne plaisait pas toujours à tout le monde.
Mais j’ai réussi à voir le lutin caché derrière le démon. C’est une petite fille qui me l’a montré. Elle a grandie. Mais elle n’est pas devenu adulte. Elle s’est mise à raconter des histoires. Puis elle s’est transformée en fée, et elle s’est envolée. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Mais elle m’a laissé des plumes en partant, que j’ai gardées précieusement jusqu’au jour ou je pouvais enfin tenir ma promesse...
Je lui avais toujours juré que j’écrirais un jour quelque chose, sur tout ce qui s’était passé… il y a maintenant si longtemps. Je n’ai jamais eu le courage de prendre la plume, jusqu'à aujourd’hui. Pourquoi ?
Je sais la réponse. Je la sens au plus profond de mon cœur. Elle bat et résonne à mes tempes. J’écoute un moment ma respiration. La vague me berce. Je me concentre sur elle, me laissant entraîner dans sa complainte.
Je prends une nouvelle feuille, et doucement, je me remet à écrire. Mais ma main tremble de plus en plus. Je pose un peu le stylet en soufflant. J’étire mes doigts, les faisant tous craquer par ce geste. Les os de mes mains ont toujours craqué, dans n’importe quelle circonstance que ce soit. Je les regarde un peu machinalement. Il me manque le pouce à gauche. Lorsque je l’ai perdu, je ne pouvais plus supporter la vue de ma main sans lui. A travers mon doigt, on m’avait pris tellement… Mon père n’arrêtait pas de me répéter que j’avais des mains de pianiste. J’aurais du l’écouter, prendre des cours de musique, quand j’en avais encore l’occasion. C’est vrai qu’elles sont très fines. Et j’avais plutôt l’oreille musicale…
Je soupire à nouveau. Dans son coin, le chat bouge nerveusement de la patte. Il rêve. Son poil roux est magnifique. Si roux… si beau…
Dans le coin la petite pendule sonne péniblement, me tirant en sursaut de mes souvenirs. Le chat daigne à peine lever une de ses oreilles. Il est quatre heures de l’après-midi. Une heure merveilleuse dans ma jeunesse, ou une petite fille aux cheveux de la même couleur que ceux du félin, me faisait tous les jours, ou presque, apprendre à sourire d’une manière à chaque fois différente…
Je prends à nouveau une feuille, et je reste là, à contempler cette blancheur désespérante. Mes yeux s’attardent ensuite sur le reste de la table qui me sert de bureau. Des couverts sales côtoient des verres à moitié remplis, et des bougies à demi consumées se mélangent avec des feuilles froissées et des restes de nourriture. Finalement, je suis devenue encore plus désordonné que mon père. Mes yeux s’égarent à nouveau sur le chat. Je devrais faire comme lui, et me mettre à nouveau à dormir. Je ne veux pas être pris dans ce terrible piège qu’est l’écriture… Mais je ne peux pas aller plus loin comme ça. Je n’ai plus la force, je m’étouffe et je manque de chuter, chaque pas me rapprochant de cet instant ou je vais sombrer.
D’un revers de la main, je fais tomber toutes les cochonneries, et les assiettes vides, qui envahissaient mon bureau. Le chat sursaute sur son coussin, ses yeux dorés écarquillés, puis il se rendort aussitôt, voyant qu’il n’y avait aucun danger. Je me penche sous la table pour prendre un petit sac de cuir noir. J’en sors une petite poche de tissu vert que je pose sur le meuble. Je l’ouvre délicatement, pour en sortir une petite boite de fer, sur laquelle peuvent se lire deux mots, gravé en or.
Nux Delym, « le thé des écrivains », en langue ancienne Argonien. L’homme qui m’a donné ça ne s’en est jamais servi. Il ne voulait pas utiliser une aussi belle plume pour écrire, préférant passer son temps à la regarder. Sincèrement, je pense qu’il était idiot. J’ouvre la boite délicatement pour en sortir une longue plume de Genar, les oiseaux caméléons. Leur duvet change à la lueur de la lumière selon les lieux ou ils se trouvent. Je la fais machinalement tourner entre mes doigts un instant.
C’est à moi de diriger ma route. Pas à mon passé. Mes vieilles souffrances ont assez duré. Elles se sont trop attardées. Tant de temps je n’ai pas su voir autre chose qu’elles… Il est temps que je tienne ma promesse.
Mon esprit se perd. Ca y est, je sais par où commencer. Mes idées fusent sur le papier, images, sons, odeurs, sensations et émotions s’entrelacent et se percutent. Je m’égare sur des sentiers infiniment tortueux, dans des endroits où je ne veux pas revenir. Dans des lieux que je n’ai que trop fréquentés, et que je ne veux plus explorer.
J’ai si peur. J’appréhende tellement de revenir sur ces notes, et de chanter à nouveau des paroles, et des musiques que je n’ai entendues qu’une seule fois… Mais je ne l’ai jamais fait jusqu’ici, conservant en moi ce que je ne n’exprimais pas. Peut-être que tout cela m’aidera à mieux appréhender le futur ? Mon futur... Je ne sais pas.
Il ne me reste plus beaucoup d’avenir dans cette vie. Passé, présent, futur, tout est toujours flou ou ténébreux dans mon esprit. Une fine larme coule le long de ma joue droite. Je ne l’essuie pas, laissant un goût amer et salé frôler mes lèvres.
Quoi que l’on fasse, une chose est sûre, il ne faut pas subir ce que l’on a décidé. Je l’ai assez compris. Ce qui compte, c’est comprendre pourquoi on a choisi de foncer ou de s’enfuir, de continuer ou de lâcher, de monter ou de descendre…De dire oui. Non.
Je crois que la pire des choses à faire est de stagner… Plus d’hésitations. Plus de tentations de renoncer. J’ai assez porté mon propre deuil. Et ceux des autres, avec le mien.
Je sais ce que je dois faire. J’ai peur de le faire. Mais je vais le faire. Je vais leur chanter la Symphonie de Sonaruo. Nous allons le faire, petite fée. Même si c’est la dernière fois, j’aimerais que tu sois là. Fais juste semblant alors, s’il te plait. Laisse-moi cette illusion, encore une fois, je t’en prie. Fais-moi croire que tu es là.
c'est tres beau, j'aime beaucoup bravo et continu!!
Smile
Et bien, merci beaucoup de ton commentaire et de ton compliment. Le chapitre premier était déjà écrit, mais je l'ai totalement repris, pour l'améliorer, j'espère le poster d'ici peu. En espérant qu'il vous plaira...
Smile
Merci beaucoup de tout vos encouragements et compliments, ça me fait très plaisir. Je pense vous poster le premier chapitre ce soir (beaucoup plus long que ce prologue), voire demain dans la journée dans le pire des cas.
Merci encore de vos commentaires :-)
Et voici la suite, le début du chapitre I

------------------------------------------------------------------------------------

I




"La Nature…Comment définir sa beauté d’une sensualité enchanteresse ? Sa voix est aussi douce que celle des sirènes de Seisanne. Sa peau si suave, et ses gestes si exquis et pleins de subtilité, qu’ils semblent flotter dans l’air comme des arabesques féeriques. Et à chacun de ses mouvements, les dessins les rêves de ses lutins, cachés dans les racines des arbres, apparaissent dans le ciel. Alors, les fées, dissimulées dans les frondaisons, se glissent le long du tronc, des branches, ou des feuilles, pour venir voir, écouter, ressentir, comprendre… partager et poursuivre les songes des lutins.
Le regard de la Nature, éternellement passionné, nous donne et nous envoie tant de choses, que l’on ne sait plus exactement ou l’on se trouve, une fois que nos yeux ont quitté les siens. Son sourire nous ouvre à elle, telle une déclaration d’amour et de compréhension de chaque instant…
Ses prunelles, toujours fixées sur celles du ciel, nous renvoient toute la beauté des étoiles que lui offre ce dernier. Et dans chacun de ses yeux, ce que l’on y lit est si intense, que lorsque l’on quitte la délicate douceur de son corps, sa vision, son parfum et ses chants nous hantent longtemps encore, même quand sa présence se fait plus discrète.
Mais jamais elle ne nous quitte. La nature jette à tous ceux qui la comprennent, un sort… et c’est la plus fabuleuse magie qui puisse exister. Ce n’est pas une sorcière. C’est une fée aux ailes enchantées… "

Sara Mylegna bougeait ses fines lèvres en un murmure presque intimidé. Comme si elle avait peur de troubler la quiétude des lieux ou elle se trouvait. Le cheval qu’elle montait, un grand étalon noir, au port fier et noble, semblait marcher sur la pointe de ses pattes. Lui aussi était respectueux de la nature qui l’environnait.
La forêt de Diane…
Tout était démesuré ici. La beauté, à la fois troublante et éclatante, excentrique et si simple… Aux troncs couchés et tortus, succédait des ramifications infinies d’arbres aux hauteurs disproportionnées. La diversité des plantes, des plus petites fleurs, aux plus éclatants arbustes, en passant par les fruits sauvages aux couleurs insensées, et les fougères aux formes dantesques, était une invitation à l’émerveillement. Les couleurs, à la fois, sobres dans leur apaisante tranquillité, mais aussi excitantes, dans la gourmandise de l’éclat des fleurs, était à l’image du lieu : paradoxal et fascinant. Toutes ces gouaches naturelles, peintes par une artiste aux mains d’ange, étaient magnifiques dans leur si pure féerie. Du vert, partout, qui scintillait, comme une émeraude, sublimé par le marron sombre des écorces, et les minuscules points de couleurs vives disséminés un peu partout.
Un frisson naquit dans la nuque de Sara ; agréable et tendrement envahissant, il vint se perdre dans le bas de son dos. Sa respiration s’accéléra. Ses mains serrèrent encore plus fort l’encolure du cheval, qui broncha légèrement pour signaler qu’il n’appréciait pas cette brusquerie. Sara sourit machinalement, posant une main apaisante sur son destrier, tout en lui murmurant un tranquillisant « Désolé Welad. » à l’oreille. Puis elle se redressa et ferma les yeux, ramenant le haut de son visage dans la capuche qui la protégeait. Elle inspira intensément, et des milliers d’odeurs envahirent ses narines et se diffusèrent dans tout son être. Les senteurs de l’humus mouillé, fraîches, côtoyaient celles, chaudes, des champignons, et d’autres, infinies, des innombrables plantes. Les fragrances émanaient de chaque graminée, arbuste ou du moindre petit brin d’herbe. Toutes différentes. Toutes complémentaires. Toutes magiques. Au pouvoir revigorant et vivifiant instantané.
C’était un paysage tellement utopique, de par sa si saine beauté. Tout ici n’était que merveilles et prodiges. La Nature était une artiste complète. Une amante dont l’amour était l’inspiration de ses chefs d’œuvres. Tantôt musicienne, d’autres fois peintre, parfumeuse, cuisinière, sculptrice, écrivaine, ou grande poète ; danseuse et chanteuse, murmurant ses mélodies et déclamant ses vers à tous ceux, et celles, qui prenaient le temps de la comprendre, et de partager avec elle la complicité et l’amour qu’elle nous offrait.
La luminosité aurait du être extrêmement sombre, à cause de la hauteur disproportionnée des végétaux. Il n’en était rien. Le vert presque émeraude de l’infini tapi mousseux, qui recouvrait tout, cachant même le sol, semblait briller, reflétant sa luminescence sur les arbres et les feuilles, comme si un magicien avait lancé un sort sur les lieux.
Un bonheur et une tranquillité découlaient de toutes choses en ce lieu si féerique. Pour beaucoup de gens, ceux qui ne prenaient pas le temps de s’arrêter tout simplement, tout ici était sale et insignifiant. Quelle tristesse….
Une goutte d’eau fraîche chuta sur le nez du professeur de philosophie du Fort Hérémos. Et la fit sursauter. La pluie… Une fine bruine commençait doucement à tomber au travers des branches des végétaux. Chacune des gouttes étaient uniques. En chutant sur les feuilles, la mousse, le lichen et le bois, elles produisaient des notes. Une mélodie, une musique… les instruments se mélangeaient, s’associaient, s’harmonisaient en de délicats airs réconfortants et apaisants…
La Symphonie… La Symphonie de Sonaruo… songea Sara.
La lumière se fit à la fois plus vive, mais terne en même temps. La forêt s’ouvrait sur une clairière qui faisait ressortir le gigantisme des arbres. Elle offrait à la jeune femme un moment de clarté qu’elle semblait apprécier pleinement. Le vieux chemin de terre qui serpentait s’élargissait en une route un peu plus praticable. Une centaine de mètres plus loin, il sortait définitivement de la forêt pour rejoindre la route côtière de Fort Hérémos. Les arbres étaient plus espacés et de moins en moins hauts. La mousse semblait se faire plus rare. La mer était toute proche, d’ailleurs une bouffée d’air marin s’engouffra dans la clairière par une rafale.
Avant que la nuit tombe, elle devait revenir au Fort Hérémos. Les moines de la Communauté avaient des horaires très stricts et précis, et même les enseignants du collège de Nol devaient s’y conférer. Sara n’aimait pas trop ces manières trop étouffantes, mais elle devait aux Nollopéens l’immense privilège de pouvoir vivre au Fort Hérémos et d’avoir accès à l’Anyon. Et ça c’était exceptionnel.
La bruine qui avait commencé à tomber tout à l’heure, s’était stoppée aussi vite qu’elle avait débutée. D’ailleurs le soleil perçait à travers les nuages maintenant. Elle n’apercevait pas la fantastique boulle de feu de là ou elle se trouvait, mais on distinguait ses rayons, qui arrivaient quand même à passer au travers de quelques arbres. Le ciel commençait doucement à virer au foncé par l’Est. Elle tourna son regard vers l’Ouest. Les nuages y étaient décidément bien sombres, allant de toutes teintes de gris et de bleus en passant par des reflets jaunes et verts. Un orage se préparait, et d’une grosse ampleur. Une raison de plus pour se dépêcher de rentrer.
Elle rabattit sa capuche, dévoilant sa chevelure rousse et frisée. Elle n’avait que si peu de temps libre pour venir profiter de la bienfaisance de la Nature... Ses cours au Fort Hérémos occupaient la moitié de son temps, et comme le temps n’était que trop rarement clément ici, oscillant entre vent, orages, et froid, elle occupait ses heures perdues à jouer de la lyre… et à lire !


« Hé bonjour ! »
Sara sursauta et se tourna prestement sur la selle, pour voir arriver une silhouette derrière elle. Elle fit pivoter et mit sa main sur sa cuisse, là ou pendouillait une fine dague. Derrière elle, sur le chemin qu’elle venait d’emprunter, un homme arrivait d’une démarche preste et assurée.
Il fermait ses yeux assez souvent, semblant y voir mieux encore que s’il les avait ouverts. Il passait, entre l’enchevêtrement que formaient les innombrables arbres et divers végétaux, avec une aisance rare. Comme si une carte était tatouée à l’intérieur de ses paupières, et qu’elle lui suffisait de les clore pour la consulter.
La jeune femme avait l’impression que l’homme amplifiait tout ce qu’il faisait. Il était encore à une vingtaine de mètres d’elle, mais elle entendait le moindre de ses petits bruits, comme si elle était un être miniature perché sur son épaule. Les bruits que produisait chaque foulée étaient agréables et pénétrants. En parfaite harmonie avec le suave chant des oiseaux, et la douce mélodie captivante et reposante du vent qui soufflait de plus en plus fort, se frayant un chemin à travers le labyrinthe des feuilles et des branches.
« Hé bonjour ! Bien le bonjour ! » répéta l’inconnu, d’une intonation ne laissant transparaître aucune animosité. Sara empoigna le manche de la dague, sans toutefois la sortir de son fourreau. Les voyageurs sont rares en ces lieux et surtout à pied qui plus est !
« Bien le bonjour belle dame. Oh l’heureuse rencontre en ces lieux… comme qui dirait…Oh oui, assurément. Heureuse rencontre. »
L’homme s’arrêta à quelques pas seulement du cheval qui recula nerveusement. Il arborait des cheveux châtain foncé longs et ondulés qui lui descendaient autour des deux cotés de son long visage. Sa légère barbe grisonnante étoffait un peu la forme très rectiligne de ses traits. Pourtant, une impression de folie se dégageait de cet individu. Ses yeux, tellement enfoncés dans ses orbites, donnaient presque l’impression qu’il en était dénué. Son regard était difficilement visible derrière ses épais sourcils. On ne percevait à peine que le fin mouvement de ses paupières qui clignaient sans cesse.
Il s’appuyait sur un bâton avec sa main droite. Un bout de bois finement sculpté et magnifiquement ouvragé, semblant être une prolongation de sa main. A gauche, une épée dans son fourreau pendouillait, presque nonchalamment sur sa cuisse, attachée à sa ceinture. Une minuscule dague y était aussi fixée tout comme de nombreuses petites poches de cuir. Il portait sur son dos un léger sac de voyage qui ne semblait contenir que le strict minimum. L’homme toussa, posa son sac à terre et il essaya de se tenir le plus droit possible, arborant un air impénétrable en souriant.
Le vent se leva alors doucement, comme emportant avec lui certaines notes et en emmenant de nouvelles… Il semblait qu’un instrument inédit venait s’insinuer dans la litanie… un instrument crée par le côtoiement des trois autres… Une mélodie plus un autre. Elles formaient non pas un mélange des deux, mais une toute nouvelle musique. L’union des deux talents les a dépassés… L’homme tourna soudain la tête derrière lui, comme s’il était aux aguets, il regarda avec suspicion, humant l’air un instant, puis il sourit et se retourna vers Sara. Il ouvrit un peu plus ses yeux, essayant d’écarquiller ses paupières au maximum. Sara ne distinguait toujours pas ses pupilles mais elle les savait très… dérangeantes.
« Mademoiselle, cela suffira je vous prie. » répondit Sara d’une voix froide. Son interlocuteur sourit, et il se baissa en une révérence théâtrale. Les os de son bas de dos, craquèrent, et un « oh » de douleur se peignit sur son visage. Il se redressa en se tenait les reins, tentant le plus possible de sourire.
« Très bien, mademoiselle. Mademoiselle, oui, c’est bien… comme qui dirait…Très bien… » fis t’il sur une tonalité enjôleuse, tout en grimaçant intérieurement. Il se releva et plongea ses pupilles dans celle de la jeune femme.
« Très bien. Mademoiselle. » répéta t’il sur un ton devenu oppressant. Son visage était laid sans être repoussant. Mais ses yeux étaient horribles… et attirants. Son regard, aussi vide que la nuit était sombre et pure, ne laissait rien ne transparaissait de lui, aucune émotion. La folie qu’avait entre aperçue Sara s’était envolée pour faire par au néant le plus total. Elle ne voyait pas la couleur de ses pupilles. Mais elle les trouvait effrayantes. Soudain mal à l’aise, elle cligna des yeux, puis baissa la tête le temps de souffler quelques instants. Son souffle s’était accéléré. Un murmure avait semblé trotter dans sa tête.
« C’est vous qui déclamiez de si jolies phrases tout à l’heure ? » demanda l’inconnu.
« Heu… et bien oui » répondit Sara, surprise par le ton séducteur. « Comment avez-vous pu m’entendre… je murmurais à peine ? »
« Je ne vous ai pas entendue… je vous ai perçue disons. »
« Perçue ? »
L’homme se contenta de hocher la tête en silence. A nouveau un chuchotement vint chatouiller les oreilles de Sara. Il y avait plusieurs voix cette fois-ci, comme si de minuscules créatures venaient lui parler à l’oreille. Nerveuse, elle tourna la tête de droite à gauche. Le cheval trépignait de plus en plus, et elle essaya de le calmer en posant une main rassurante au dessus de sa tête. L’homme avait croisé les bras.
« Qui êtes-vous ? » cria presque Sara, pour tenter d’oublier son malaise et retrouver un peu d’assurance.
« Moi ? Oh c’est à moi que vous parliez ? » L’homme semblait faussement étonné et s’amusait visiblement de la situation.
« Oui, bien sur c’est à moi. Oui bien sur. Bien sur. » Il tourna sa tête de droite à gauche. « Hé bien… hé bien…comme qui dirait…Disons que je suis celui qui devait être ici même pour vous rencontrer avant que vous ne partiez. Je suis celui que vous deviez rencontrer et avec qui vous deviez avoir cette conversation, à cet instant précis. Mais qui je suis n’a aucune importance, vous savez, les arbres se fichent totalement de savoir comment je m’appelle pour me parler.»
« Je ne suis pas un arbre. » dit Sara.
« Certes… » fit l’étranger, évasif en perdant son regard dans le ciel. « Mais vous me parlez. (il abaissa sa tête en un mouvement vif et rapide) Alors, comme qui dirait, comprenez que je vous associe à ces fiers végétaux. D’ailleurs vos cheveux ont la couleur et la forme exacte d’une fleur rare que l’on ne trouve que dans ces forêts nordiques… »
« Abrégez, je vous prie. » coupa Sara.
« Oh tiens, je ne me souviens plus du nom de cette plante… Tiens oui, c’est étrange, elle est semble t’il sortie de ma mémoire… comme qui dirait… »
« Abrégez ! » coupa à nouveau la jeune femme, qui retrouvait peu à peu sa confiance.
« Conduisez-moi au Fort Hérémos. » tonna l’homme sur un ton instant et presque sans aucune contestation possible. Il n’avait même pas laissé à Sara le temps de finir son mot. Comme sonnée, elle le dévisagea avec de grands yeux ronds, et mit du temps à articuler quelques mots.
« Pardon ? »
« Oh… excusez-moi… comme qui dirait…je me suis égaré… (il sourit) je reprends. »
L’homme recula de quelques pas et bomba son torse, il prit son bâton dans une main et étira ses deux mains en croix, puis il fit une révérence exagérée en se baissant plus que nécessaire.
« Gente demoiselle à la belle chevelure rousse, auriez vous l’extrême amabilité de conduire le pauvre gueux fatigué que je suis, jusqu’au au lieu que l’on nomme Fort Hérémos ou je dois me rendre le plus rapidement possible. »
Sara ne savait que dire. Elle leva ses yeux pour voir le soleil décliner.
« Pourquoi voulez-vous aller à Fort Hérémos ? » fit Sara sans détourner son regard de la lumière qui passait à travers les arbres.
« Suez. »
Sara se tourna vers l’homme, interloquée.
« Suez ? »
L’homme sourit de toutes ses dents. Son dur visage presque métallique et tellement froid semblait empli de folie… et d’une noirceur qu’elle masquait…
« Oui, Suez, c’est ainsi que l’on me nommait…autrefois. »
Sara fronça les sourcils. L’homme ne lui laissait même pas le temps de finir ses phrases.
« Autrefois ? Comment ça autrefois ? Je… je me fiche de votre nom !»
« Oh vous savez, je suis très âgé… et autrefois, il y a bien longtemps, on m’appelait Suez. Oui, c’est ainsi que l’on m’appelait. Vous me l’avez demandé tout à l’heure d’ailleurs. Mais vous savez, le temps suit son cours, et les noms…tombent parfois dans l’oubli. Ils resurgissent, tantôt… Oui… mais…»
« Vous êtes fou.»
Le cheval s’impatientait et trépignait sur place de plus en plus.
« Et d’ailleurs je vous ai seulement demandé qui vous étiez. Je ne vous ai pas demandé votre nom. » poursuivit Sara.
« Certes… » fit l’homme évasif. Il observa l’animal, comme soudain fasciné, il inclina sa tête à droite, puis à gauche. Puis à nouveau à droite. Petit à petit l’étalon se calma.
« Oh, la folie, mademoiselle, est quelque chose de bien étrange en ce monde… Très vaste… Vous devez en savoir quelque chose … non… » fis-il sans le lâcher des yeux.
L’homme sembla hésiter un moment, comme s’il cherchait une information à travers les yeux de l’animal.
« Mademoiselle la professeur de philosophie ? » déclara t’il en relevant les yeux vers Sara.
La femme eut un hoquet de surprise, puis elle fronça les sourcils. Et ne répondit rien. Elle voulait dire quelque chose, mais elle n’arrivait plus à parler. Suez sourit de plus belle.
« Oh, là vous devez vous demander sans doute comment je peux connaître ce que vous faites…non ? » Il eut soudain l’air étonné. Il commença à marcher vers Sara et sa monture. La jeune femme n’eut aucun mouvement de recul.
« Et bien disons que j’ai des intuitions très fortes. » Il sourit encore une fois et se mit à faire le tour du cheval, comme s’il voulait voir la personne à qui il s’adressait sous toutes ses facettes. Sara était avait l’impression que quelque chose la bloquait, quelque part dans son être.
« Vous jouez de la musique. » Sa voix se fit plus pressante. « De la lyre. » Les yeux perdus dans le vague, Sara n’eut aucun mouvement. Tous les muscles de son corps se contractaient, et une douleur piquante s’infiltra dans son crâne.
« J’adore la lyre. » se délectait Suez en esquissant un sourire. « J’en joue moi aussi. »
Il se trouvait à présent derrière la femme qui respirait de plus en plus rapidement, entendant dans sa tête résonner les battements de son propre cœur, qui s’amplifiaient, envahissant tout, pour se diffuser petit à petit dans chacune des parties de son corps, au rythme de la voix de Suez. La douleur dans sa tête s’était transformée en une désagréable présence intérieure. L’homme vint se replacer devant son interlocutrice. Son regard plongea instantanément dans les yeux la jeune femme, sans que celle-ci ne pus faire quelque chose pour l’éviter. Elle voulut fermer les paupières, mais elle n’y arrivait pas, elle n’avait plus leur contrôle !
Face à elle, Suez, par l’intermédiaire de ses pupilles, n’était plus qu’un immense poison qui s’insinuait petit à petit dans ses veines.
« Oui voyez-vous…car comme qui dirait… »
Sa voix roque et sourde se répercutait dans le crâne de Sara, comme s’il était soudain devenu creux. Suez réfléchissait et hésitait, son visage prenant un air de plus en plus concentré et intense. Ses traits se tendirent au ralenti, comme si son visage se préparait à une métamorphose. Mais Sara ne le voyait ni ne l’écoutait plus. Elle ne distinguait que ses pupilles qui s’amplifiaient, encore et encore.
« Je suis même capable de savoir comment vous vous appelez en lisant dans vos yeux.... »
Elle sentait dans son esprit quelque chose qui la touchait, la caressait, la soupesait et s’amusait à fouiller dans son être. Doucement, avec une délicatesse presque sadique, c’était comme si l’on ouvrait tendrement son cerveau… avec amour… pour l’embrasser et voir de quoi il était constitué.
« C’est très important vous savez les yeux, je peux tout savoir à travers eux. »
Ils étaient blanc les yeux de cet homme, oui totalement blancs, Sara les distinguait à présent. Elle ne voyait plus qu’eux, et ses pupilles… infimes grains rouges dans un océan pur… Ses pupilles, oh… ses pupilles, elle ne voyait qu’elles !
Une voix dérangeante et écrasante résonnait dans toute sa conscience, mais elle ne comprenait pas ce qu’elle disait, elle parlait trop doucement, et elle était trop aiguë, tantôt trop grave, puis d’autre fois trop forte, ou trop lourde. Elles étaient même plusieurs voix parfois. En face d’elle, la tête de Suez n’était plus à présent, qu’une intense déclaration de peur et de haine, son, visage et ses traits se déformaient à une vitesse monstrueuse. La respiration de la jeune femme s’accéléra encore… et tout s’arrêtât subitement.
Suez tourna la tête à droite. Dans les feuillage, un oiseau s’était envolé, faisant bruisser les feuilles. Sara baissa lentement la tête, et repris son souffle. Elle réussit enfin à fermer ses yeux. Sans réfléchir, d’une voix semi tremblante, elle articula difficilement :
« Continuez tout droit… le Fort Hérémos c’est… tout droit… vous en avez pour une demi heure de marche… tout au plus… »
Puis, semblant accomplir un effort surhumain, sans un regard pour Suez, elle fit pivoter son cheval, et s’en alla dans la direction opposée.
« Au revoir Sara.» dit Suez. Et elle fila à bribe abattue en direction de la route côtière.
Un sourire noir sans humour aux lèvres, l’homme observait avec noirceur la cavalière s’en aller devant lui à une vitesse impressionnante. Il ramassa son sac, en sortit une gourde d’eau avec laquelle dans laquelle il se désaltéra un court moment, puis il leva ses yeux vers le ciel. Un vent de plus en plus fort et lourd se levait, emmenant avec lui une ambiance de plus en plus électrique.
« Alors c’est ce soir que tu vas te mettre à jouer de ton instrument Nëmes… » dit il le visage toujours tourné vers le ciel. Lentement, il se remit en marche. Il fallait qu’il se dépêche. Il voulait être au Fort Hérémos avant la nuit.
« Très bien ce soir… » murmura t’il. « Très bien… »

Glissant à la vitesse du vent qui soufflait sur la lande côtière déserte, la cavalière et sa monture semblaient vouloir défier l’allure du souffle de la nature. Sara Mylegna avait lancé son cheval au galop, à une vitesse folle. Elle voulait mettre le plus de distance entre elle et ce dérangeant personnage. Cet homme l’avait…asphyxiée. Elle lui avait semblé qu’il avait sondé son esprit. D’un revers de main imaginaire, elle chassa ces idées ridicules de ses pensées. Elle était fatiguée par ses cours au Fort, et cet homme était dérangé mentalement. Voilà tout.
A présent le vent balayait ses cheveux et ses idées vers l’arrière, se cognant avec fureur sur sa peau. Elle cravachait sa monture avec une allégresse surprenante. Elle lui semblait qu’elle renaissait. A sa droite, une falaise vertigineuse défilait à une vitesse incroyable, et l’Océan étalait son corps jusqu'à l’horizon. A gauche, les premiers arbres de la forêt de Diane se faisaient de plus en plus rares, et défilaient extrêmement vite.
La route côtière de Fort Hérémos était l’une des plus impressionnantes, qui lui ai été donné de voir dans cette région sauvage et splendide qu’était le Toluel. Des falaises désertes mais d’un vert étonnant, restent inébranlables alors que l’Océan se jetait en mugissant contre les rochers. Les eaux déchaînées et striées de blanc, s’abattaient en un spectacle ahurissant sur les pierres inflexibles. Au loin, d’incroyables nuages, aux infinies teintes de gris s’accumulaient en de terrifiants nuages, s’approchant doucement des côtes, et venant s’étaler en forme d’enclumes au dessus de la mer.
Le mistral balayait tout avec une ahurissante violence, contraignant le cheval et sa cavalière à un comportement d’équilibriste des plus étonnants. Toute idée de stabilité semblait bouleversée dans ces flots en furie, ou les vagues qui s’écrasaient avec force sur le bas des falaises, semblaient faire trembler le paysage.
Dame Nature… songea Sara. Belle mais si puissante…
La route se détachait à présent du bord de la falaise, gravissant une courte, mais haute colline qui semblait se terminer sur un précipice. Il n’en était rien. Arrivés en haut, la cavalière et sa monture s’arrêtèrent net de stupéfaction, le souffle coupé, les mots balayés par le vent, les sensations envolées par l’ébahissement. Sara Mylegna avait maintes fois vu la crique, qui entourait le Fort Hérémos et la presqu’île, lui apparaître sous ses yeux comme surgissant de la mer, lors de la fin du gravissement de la colline. Mais il lui semblait qu’elle la découvrait à chaque instant. Une exultation incroyable s’empara d’elle. C’était comme un conte merveilleux que l’on avait entendu tant de fois que l’on pourrait en être lassé. Mais non. La magie est toujours suffocante car, à chaque fois, on trouve une nouvelle manière de la vivre.
Sara laisse échapper un petit cri de jubilation, et elle stoppa Welad, pour s’arrêter un instant ; le temps de contempler la forteresse de pierre démesurée. Elle posa la main sur l’encolure de son étalon, et le flatta du plat de la main. Il respirait à en perdre haleine. Ce cheval l’étonnait toujours. Malgré son âge plus que respectable, il était capable d’atteindre des vitesses encore exceptionnelles. Même contre le vent ; qui d’ailleurs était encore plus puissant ici en haut. Les hautes herbes flottaient dans tous les sens. Les mouettes avaient le plus grand mal à se maintenir en vol, et elles traçaient des courbes irrégulières dans le ciel. Les quelques rares arbres, de vieux chênes, tremblaient de tous leurs membres, sans plier sous les coups qui leur étaient infligés.
La Cité de Fort Hérémos semblait vouloir atteindre le ciel, et le défier le vent. Elle semblait incroyablement forte. Elle semblait invincible. Bâtie juste à coté du petit village côtier de Port Regen, qu’elle écrasait de toute sa splendeur (le plongeant dans l’ombre lorsque le soleil passait à l’Ouest), la Cité étirait toute sa géométrie complexe et élégante sur plusieurs kilomètres de diamètre, le long une presqu’île plongeant dans la mer. Elle débordait même un peu sur l’océan, depuis la création du Port Intérieur et de sa grande coupole dorée. Sa forme était ronde, tendant plutôt vers l’ovale, vue de haut, mais de là ou elle se trouvait, Sara voyait surtout les tours des plus hauts bâtiments, qui se détachaient sur un fond de ciel apocalyptique. Une immense tempête se préparait dans le lointain, donnant au lieu une allure de fin du monde.
C’était une véritable anthologie de pierre, cinquante trois tours d s’étalaient le long d’une immenses et démesurément haute double muraille extérieure. Vu d’ici, l’ensemble dégageait un tel sentiment de gigantisme et de majesté, que l’on avait parfois du mal à croire que des mains humaines étaient à l’origine de la splendeur de l’ouvrage. L’harmonie des proportions côtoyait une certaine folie dans les lignes. Et avec le vent et la tempête dans le lointain, le lieu semblait lui aussi défier la gravité et les lois de la physique. Il paraissait flotter sur l’eau.
L’intérieur était lui-même une source constante d’émerveillements, étalés autant en hauteur qu’en largueur. Le Château-Séluné, bâti en marbre blanc et beige, aux altitudes disproportionnées, étalait toute sa sublimité au Nord du Fort, face à la mer. De là ou se trouvait Sara, on pouvait voir les huit tours rondes triangulaires du sommet du château, dont les deux plus grandes, à l’Est et à l’Ouest, étaient reliées par des ponts enjambant tout le Fort pour venir rejoindre les immenses murailles extérieures. On apercevait le sommet triangulaire de l’Eglise de Noto, qui dépassait des remparts du Sud. Les statues dantesques, représentant le fondateur des lieux, Antoine Nöllopa, et diverses créatures mythologiques ne se voyaient pas d’ici, mais le collège de Nol (ou le lieu d’enseignement le plus prisé de tous les Royaumes) étalait sa géométrie triangulaire et rectiligne en dessous du Château.
Mais ce qui sautait le plus aux yeux, la chose la plus impressionnante et démentielle du Fort Hérémos, autant par ce qu’elle était que par ce qu’elle renfermait, c’était l’Anyon. Un immense trésor que le Fort abritait depuis sa fondation. Il s’agissait de la plus exubérante et complète de toutes les bibliothèques du monde. Même le mot bibliothèque semblait disproportionné face à l’infinie source de renseignent, d’inspiration et de savoir que constituait l’Anyon. Un lieu avec une architecture bien particulière, ne ressemblant à rien de déjà bâti sur ce monde. Ses formes étaient à la fois fines, effrayantes, intimistes, oppressantes et attirantes, construites dans du marbre, de la pierre, du bois et du bronze. Elles s’étalaient sur toute la partie centrale et jusqu'à l’Est du Fort. Du haut de lande on ne voyait que le haut du bâtiment, en fait constitué de plusieurs autres édifices, reliés autour d’une tour démesurément haute, en une construction pyramidale arrondie. Rien n’était carré ni rectiligne dans l’Anyon.
La tour, nommée Agurn Yessol, la tour de l’horloge, la plus haute de tout le Fort, qui surplombait les lieu, s’étirait sur des dizaines et des dizaines de mètres au dessus du Fort, dominant tous les alentours. Le temps comme gardien de la connaissance, étalant son sommet en cône au dessus du Fort, et ses quatre gigantesques cadrans aux vues de tous.
La partie supérieure de la bibliothèque, accessible *relativement* facilement était le plus grand rassemblement d’ouvrages de tout Sonaruo. Une véritable mine de connaissances et de savoir sans cesse renouvelée, dans tous les domaines possibles et imaginables, mais dont l’accès au public était limité par des règles assez draconiennes.
Trop draconiennes… songea Sara.
Une large plaine tourbière peu profonde entourait la crique, s’étendant du bas de la colline jusqu'au début de la presqu’île. La tourbe est formée par de la végétation en décomposition depuis des milliers d'années, ce qui faisait plutôt ressembler le lieu en un vaste marécage. Quelques fermiers avaient tenté, avec plus ou moins de succès de cultiver quelques céréales, mais devant leurs échecs répétés, ils sont rapidement revenus à la leur activité première : la pêche.
Dans le lointain, juste derrière le Fort, un premier éclair rougeoyant éclaira un instant le ciel. La tempête était encore loin, mais il valait mieux se dépêcher. Elle s’annonçait terriblement destructrice.
Sara rassembla ses rênes et d’une pression ses talons, elle intima à son étalon de descendre la pente. Le cheval, encore un peu épuisé de sa folle course, grogna quelque peu, puis il bondit en hennissant, pour descendre la route qui allait les conduire à l’entrée du Fort. Portée par Welad, les yeux piquants à cause du vent, elle traversait à une vitesse incroyable les plaines tourbières. Devant elle, Fort Héremos semblait grandir et sortir de l’eau, au fur et à mesure qu’elle s’approchait. Sara se sentie envahie d’une énorme poussée d’adrénaline. Oublié cet homme horrible et cette sensation d’enfermement, et cet effroi qui l’avait saisie tout à l’heure…
A ce moment précis, elle n’était qu’une humaine sur un cheval, ballottée par la nature comme une brindille, qui se demandait comment elle était encore debout et en équilibre. Elle se laissa envahir par une bouffée de passion intense. Des larmes lui coulaient le long des joues, elle ne voyait plus rien, seulement le Fort qui se rapprochait, et le paysage qui défilait à toute allure. Elle ne faisait plus qu’une avec sa monture, unie par un lien intense, elle accompagnait Welad dans ses mouvements amples, fluides, et rapides. Elle se mit à sourire béatement. Elle se sentait euphorique. Elle était heureuse.

Le petit lutin avait un énorme nez, et d’immenses rides qui creusaient et sillonnaient son visage. Mais au contraire de le vieillir, elles le rendaient encore plus attachant. Sa petite barbe, soigneusement taillée contrastait avec ses cheveux désordonnés. Il portait de grandes bottes en cuir par-dessus sa salopette trop grande pour lui. Ses deux yeux pétillaient de malice et de sagesse à la fois. Il était plutôt réussi en fin de compte.
Elliot grimaça. Non, quelque chose clochait. Les bras étaient trop disproportionnés par rapport à ses jambes. Il repassa les contours de la salopette avec son crayon, pour essayer de d’allonger ses membres. Mais il n’en eut même pas le temps. Une nouvelle bourrasque lui arracha sa feuille des mains, et son crayon ne rencontra que du vide. Il jura en voyant son dessin s’envoler. Ce n’était même pas la peine de songer à le rattraper avec le vent qu’il faisait aujourd’hui.
De rage, il lança son stylo dans le canal artificiel qui valait à la Cité d’être une presqu’île. Il souffla d’exaspération. Etre un des gardes d’entrée de Fort Hérémos, n’était pas la tache la plus agréable qui soit donné de faire. Mais il n’avait nulle part ou aller, et nulle autre chose à faire. Il adorait dessiner, et il aurait tellement pouvoir aimé vivre de cette seule chose qu’il savait faire. Mais il ne pouvait pas. Son père, un pêcheur de Port Regen, était mort l’année dernière dans un accident de bateau. Sa mère, l’avait suivi seulement quelques mois après, des suites d’une longue maladie. Et n’ayant aucune autre famille, il s’est retrouvé orphelin à seize ans.
« Alors Elliot, on a encore loupé son dessin gamin ? »
Le jeune homme surpris, tourna la tête pour se trouver nez à nez avec le Portier, son supérieur direct au Fort. C’est lui qui l’avait engagé il y a six mois, prétextant qu’être Garde de la Communauté Nöllopéenne était tout sauf une corvée. Et en plus de la paye, il aurait le lit et le couvert offerts. L’homme avait une voix lourde et grasse. Il était gentil, mais insupportable.
« On ne dessine pas pendant le service bonhomme. Je te l’ai déjà dit je crois non ? »
Elliot baissa la tête. Ce n’est pas la première fois qu’il se faisait réprimander sur le sujet. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher, et tous ces gens à l’esprit borné ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient rien. Même s’il n’avait pas le choix, rester toute la journée plantée comme un piquet pour surveiller une double porte magistrale, ce n’était pas du tout son truc. Mais il ne voulait pas non plus perdre sa seule source de revenus, et surtout le logement que lui accordait la Communauté Nöllopéenne.
« Oui monsieur. » répondit timidement Elliot. Le Portier sourit de toutes ses dents à moitié gâtées, et il donna une grande claque dans le dos du jeune homme.
« Bon, ça va pour cette fois, mon gars. Mais que je ne te vois plus recommencer, sinon c’est hors d’ici que tu continueras tes graffitis. C’est compris ? »
« Oui monsieur. »
« Bien… T’as de la chance que je sois pas le Capitaine Bayard. Lui mon gars, il aurait pas été aussi sympa que moi tu sais. »
Le Portier parlait de celui qui dirigeait la garde de la Communauté Nöllopéenne. Un ancien grand chevalier sanguinaire, un vrai bourreau, comme il disait. Elliot ne l’avait vu que deux fois. La première fois, lors de son engagement, et la seconde fois, lors d’une réunion des dirigeants de la Communauté à laquelle il avait accompagné le Portier (il ne savait pas pourquoi, mais cet homme c’était pris d’affection pour lui, sans qu’il fasse quelque chose pour).
Il avait trouvé le Capitaine Bayard certes très impressionnant, avec une carrure et une aura très imposantes, mais il lui semblait que tout cette violence qui avait été en lui n’était plus qu’enfouie derrière des tas de souvenir désagréables. L’homme avait l’air complètement désabusé à vrai dire.
« Bien… » murmura le Portier en se grattant la barbe. Il fit tourner son regard autour de lui et il observa ses soldats un moment. Ils étaient une vingtaine à surveiller les allées et venues des gens qui sortaient ou rentraient au Fort Hérémos. Les visiteurs n’étaient pas très nombreux, car tous ceux qui vivaient dans les lieux ne voulaient pas en sortir, et ceux qui venaient de l’extérieur n’arrivaient pas à y vivre.
Mais la Communauté Nöllopéenne tenait à tout prix à protéger l’Anyon. A l’entrée de la Cité pour commencer, même si pénétrer dans le Fort Hérémos était accessible à tout le monde. La mission du portier et de ses hommes, était seulement de vérifier qu’aucune des personnes qui s’introduisaient dans le lieu, ne soit un danger potentiel pour la Communauté.

« Un cavalier s’approche de la porte ! » hurla une voix.
Le Portier se dirigea, d’un pas lourd et nonchalant, vers le bout du pont-levis (qui ne servait plus et restait continuellement baissé au dessus du canal). Son armure en cotte de mailles tintait au même rythme que ses pas raisonnaient sur le bois.
A une dizaines de mètres de là, un cheval monté arrivait sur le Fort à une vitesse impressionnante. Non, ce n’était pas un cavalier. Le Portier reconnaissait ce long manteau vert foncé et ce beau cheval noir. C’était Sara Mylegna qui rentrait.
« Alors mademoiselle, la promenade fut-elle agréable ? »
Le visage empourpré, Sara séchait ses larmes dues autant au plaisir qu’au vent. « Ma foi… oui plutôt. » dit elle essoufflée. Elle se mit la main sur la poitrine. Le vent séchait les quelques gouttes de sueur qui commençaient à perler sur son front. Elle rapprocha un peu du Portier.
« J’ai rencontré un homme étrange à la sortie de la forêt de Diane. (elle reprit encore son souffle) Il m’a dit vouloir venir ici. Il est à pied. Il a l’air quelque peu… dérangé… faites attention. »
Le Portier fronça les sourcils et il prit un air méfiant.
« Un étranger ? Il vous a fait du mal ? Il vous a menacé ? »
« Non pas du tout. » Sara hésita. « Disons que j’ai eu l’occasion d’avoir une conversation plutôt dérangeante avec lui. »
Voyant que la jeune femme était troublée, le Portier n’insista pas plus.
« Je vois mademoiselle Mylegna. Hé bien nous veillerons à tout cela, soyez-en sure. Ne vous en faites pas.»
Sara hocha de la tête. « Je vous fais confiance. »
Elle tira sur les rênes de son cheval et traversa le pont de bois. Accroché sur les rambardes, des drapeaux de la Communauté Nöllopéenne(une spirale blanche sur un fond noir et rouge) côtoyaient ceux de la famille royale du Romir, battus aux vents.
La situation politique de Fort Hérémos était elle aussi particulièrement spéciale. Déchu de son royaume après la deuxième guerre du Dragon, il y a plus de cinquante décennies, la famille royale du Romir, exilé de son pays, a trouvé refuge à Fort Hérémos. William Bernis, le Recteur de la Communauté de l’époque était un cousin éloigné de l’ancien roi du Romir, Gerard II (qui fut décapité à la fin de la guerre), et il fit offrit à la famille royale une partie du Château-Séluné pour qu’ils puissent y être protégés.
Ce qui devait être une installation temporaire devint finalement définitive, les princes du Romir, génération après génération, partageant le pouvoir politique de la presqu’île avec les membres de la Communauté Nöllopéenne. La Cité-Etat de Fort Hérémos alors devint une Principauté, ou ‘le nouveau Royaume-Romir’. Ce qui créa bien des tensions entre les moines et la cour royale. Les Romir (la famille souveraine porte le même nom que celui de son pays d’origine), trop satisfaits du confort et de la sécurité du Fort Hérémos, se déclarèrent ouvertement les maîtres des lieux. Jamais la Communauté n’a pu les faire partir, elle n’a d’ailleurs jamais réellement essayé. Le fait d’abriter une famille royale est une incroyable source de développement pour le Fort. Et maintenant ils ont pris trop d’importance dans la Cité pour qu’ils s’en aillent, allant même jusqu'à fonder une « armée royale » de cinquante hommes (soit même pas un dixième de la Garde Nöllopéenne) dévouée à la protection des monarques Romir.
Les fers de Welad qui résonnaient sur le pont en bois tirèrent Sara de ses pensées. Les soldats qui surveillaient la gigantesque double porte de bois, se battaient tant bien que mal, contre le vent, pour arriver à rester debout. Tous avaient l’air si jeunes…
De là ou il était, Elliot trouvait la jeune femme et sa monture magnifiques. Elle avait l’allure intemporelle d’une princesse de contes de fées. Il devrait la dessiner un jour. Son profil est très joli.
Sara leva sa tête pour constater la hauteur démesurée des murailles. Le ciel s’assombrissait de plus en plus. Elle lança un dernier regard en direction de la colline d’où elle venait, puis elle s’engouffra sous le porche.

Excellent. La suite Aller au boulot je veux la suite moi

Un tout petit bémol, attention aux fautes de frappe. Pour le reste quasi rien à dire. Monde complexe, différentes lectures possibles...
Impressionnant. Ne laisse pas ça ici, protège ton texte et cherche des éditeurs, tu devras peut-être remanié certaines chose mais il y a des chances pour que cela intéresse du monde...
Chapeau bas
Citation :
Provient du message de Keldhra

Excellent. La suite Aller au boulot je veux la suite moi

Un tout petit bémol, attention aux fautes de frappe. Pour le reste quasi rien à dire. Monde complexe, différentes lectures possibles...
Impressionnant. Ne laisse pas ça ici, protège ton texte et cherche des éditeurs, tu devras peut-être remanié certaines chose mais il y a des chances pour que cela intéresse du monde...
Chapeau bas
Si il le recopie de manuscrit vers pc c'est pas évident de ne pas faire de faute ...
Bah je ne lui jette pas la pierre je lui en fais juste la remarque...
Comme ses fautes ne gênent pas la compréhension, ni la lecture ce n'est pas très grave, mais ce serait un "plus" en plus au merveilleux récit qu'il a écrit.
Smile
Merci beaucoup de tes compliments Kedhra :-)
Je pense qu'il y a encore beaucoup de choses à retoucher sur ce texte... (désolé pour les nombreuses fautes de frappe notamment), mais être édité, oui pourquoi pas ! En tout cas, je vais tout faire pour (le texte est protégé) ! J'en ai déjà écrit plus d'une centaines de pages, et je le poste sur ce forum pour avoir le plus d'avis différents possibles, et surtout essayer de progresser dans mon écriture :-)
J'essayerai de mettre la suite bientôt, si des lecteurs sont intéressés...
La suite!!!

Je suis déçue là, dès que j'ai vu que le post avait été up par l'auteur j'ai cru que tu nous avais reposté une de tes petite merveilles et bah non

Sincèrement, je trouve que tu réussis un beau défi. Ton monde est complexe, il tient debout, l'architecture a un cachet particulier, l'héroïne a une vraie personnalité, les personnages de seconds plans ne sont pas transparents (quand je lis un livre qui ne travaille pas assez les seconds rôles, je pense toujours aux dessins-animés japonais où le public des gradins n'étaient que des "ombres" les mêmes en plus répétées cent fois dans l'espace)...
Stylistiquement parlant, rien à dire. Et ce que j'aime particulièrement c'est que "les mots ne disent pas tout". Je sais c'est paradoxal, mais je veux dire par là qu'il plane toujours un petit mystère, comme si tu nous disais "vous ne savez pas tout"à chaque ligne et cela me plaît énormément. En fait c'est ça le "suspens"

Continue comme ça
le prélude est bien...vraiment, j'adore...hésite pas a envoyer tout le reste....
mai valeureusement, je n'ai pas le temps de lire le chapitre I, je le garde donc pour cette nuit ou plus tard....continue, c'est très joli....
p.s:t'as une fan en plus...
Et voici la première partie du second chapitre, s'il y a toujours des lecteurs.

II
------------------------------------------------------------------------------------

"J’ai toujours pensé que les yeux des gens sont des galaxies, remplies d’étoiles. Que chacune de nos larmes est une de ces étoiles, qui s’en va, vers de nouveaux cieux, briller dans d’autres lieux, là ou sa luminescence peut déployer toute sa beauté. La nuit est le reflet de toutes les peines et joies du monde. Elle est l’éclat de notre évolution. C’est pour cela qu’elle brille autant, même si le fond est noir et vide pour certains. Le néant n’est qu’une infinité de choses que les désespérés ne savent pas voir. Nombreux sont ceux qui ont essayé de ternir l’éclat des étoiles. En vain. Le but de tout est d’évoluer. On ne peut pas détruire cette envie naturelle. Ce besoin. Ce devoir."


Errion stoppa sa lecture, et il leva son nez de son ouvrage, pour scruter l’assemblée silencieuse qui l’écoutait religieusement. Il avait parlé avec un ton tellement transporté, fiévreux et bouillant, que la moitié de ses étudiants –ceux qui l’écoutaient- en étaient restés abasourdis. Et parmi ceux qui ne l’écoutaient pas, il y avait ceux -assommés- qui n’accordaient même pas de l’importance à ce qu’il disait. Ils étaient surtout fascinés par l’intense aura de passion, qui émanait de leur professeur des Sciences de l’évolution.
« … toujours aussi fabuleux… » murmura pieusement Errion, en fermant le livre qu’il tenait dans ses mains. Un nuage de poussière lui envahit la face alors qu’il claquait les pages du vieux manuscrit. En toussant, il balaya la pièce du regard. Un silence assommant tomba sur la petite salle de classe. Il y avait là trente-six visages de jeunes hommes et femmes, d’une vingtaine d’années tout au plus. Tous le dévisageaient, sourire aux lèvres, bouche ouverte d’ébahissement, ou mine dépitée de stupeur. Il y en avaient quand même deux ou trois, qui indifférents, continuaient d’écrire ou dessiner sur leurs cahiers.
C’est presque effrayant en fait toutes ces têtes, songea Errion.
« Je voudrais avoir votre avis sur ce texte. » tonna t’il avec ferveur, pour réveiller ses auditeurs encore sonnés. Il était perçu tellement différemment par ses élèves, qu’il ne savait plus trop au juste, si les silences qu’il suscitait, étaient dus à leur attention démesurée ou à leur ennui profond. En tout cas, une chose était sure, son enthousiasme débordant les avait étourdis. Bien plus que le texte qu’il lisait.
« Est ce qu’il y a quelque chose qui vous choque à la lecture de ces lignes ? » fit il, en serrant ses mains devant lui, pour éveiller une quelconque réponse chez ses étudiants. « Enfin, à l’audition plutôt. » se corrigea t’il d’un revers de la main devant son visage.
Il fit passer ses yeux de droite à gauche, aux aguets de la moindre réponse. Devant le mutisme des jeunes gens, un long soupir intérieur de désespoir le traversa. Il se passa la main dans ses cheveux en bataille. Puis il se mit à faire quelques pas le long de son bureau, en faisant craquer les planches du sol. La salle où il enseignait était la plus petite, et la plus vétuste du Collège de Nol. Ses hauts plafonds étaient emplis de toiles d’araignées, et d’innombrables autres espèces d’insectes. Mais au moins, il avait pu obtenir le droit de la personnaliser à son goût. Un nombre impressionnant de citations étaient affichées un peu partout, entre de vieilles cartes de Sonaruo, de Fort Hérémos et quelques dessins de ses élèves. Errion s’arrêta devant la fenêtre, et regarda un instant le paysage au dehors. Entre la lourdeur des nuages, les timides derniers rais de soleil, venaient faire scintiller les grains de poussière qui traînaient flottaient dans la pièce.
La salle donnait directement sur la cour intérieure du Collège. C’était en fait un vaste cloître qui avait abrité, il y a deux mille ans ce qui allait devenir la Communauté Nöllopéenne. Les arcades étaient très larges et hautes, et elles donnaient encore plus d’ampleur à la fontaine qui trônait au centre de la cour. La puissance du vent était telle que les jets d’eau en étaient légèrement déviés.
Un homme passait sous les arches d’un pas pressé. Errion fut traversé d’une bouffé d’énervement, quand il reconnu le personnage. C’était Jacques Rieffag, le Recteur de la Communauté. L’homme censé avoir le plus de pouvoir sur tout le Fort Hérémos. Aujourd’hui son influence est infime, mais il y mille ans, il aurait été tout simplement le pape de plus d’un millier d’adeptes. Il marchait d’un pas pressé et nerveux, la nuque presque déformée à force de garder la tête continuellement baissée. Le vent s’amusait à décoiffer les quelques cheveux qui parsemaient son crâne, à chaque fois que l’homme venait de passer la main pour les remettre en place. Un soldat à l’air patibulaire l’attendait à la porte de sortie. C’était son garde du corps, aussi grand et sinistre, que le Recteur était petit et ennuyeux.
Errion souffla avec mépris sur la vitre, dessinant une tache de buée sur le carreau. Il l’effaça avec le bout de sa manche, puis il croisa ses bras derrière son dos, et se tourna à nouveau vers ses étudiants. Son visage crispé sublimait l’agacement qui l’avait submergé.
« Bon. » dit il, sur un ton lourd.
Les élèves, qui discutaient entre eux à voix basse, lancèrent un regard en coin vers leur professeur. Errion monta sur l’estrade d’un pas lourd, et il vint s’asseoir sur son bureau. Il posa son livre et resta là quelques temps, à écouter le silence ironiquement. Il se mit à taper avec ses doigts sur le bois du meuble.
« Il n’y a rien qui vous saute aux yeux ? Rien qui vous éclate devant les pupilles ? (il mima une explosion avec ses mains) » fit il, en haussant les épaules et les sourcils d’un air narquois. Quelques rires timides fusèrent. Et une main se leva.
Errion soupira. C’était Henri Degar, le fils d’un notable de Tandris –une ville proche du Fort Hérémos. Son père était ami avec le Recteur, et Errion savait que la seule chose pourquoi Henri levait la main, c’était pour montrer à son enseignant qu’il était attentif et intéressé. Il lui fit signe de parler.
« Ce que je ne comprends pas dans ce texte, c’est pourquoi Noto associe le désespoir avec la notion d’évolution. C’est assez paradoxal.» fit le garçon sur un ton posé et arrogant.
Errion leva un doigt en signe d’avertissement.
« Antoine Nöllopa, monsieur Degar. Antoine Nöllopa. Noto n’est pas la même personne. »
Son regard noir ne laissait place à aucune contestation.
« Mais votre question est… bonne. » jubila Errion, hypocrite.
« En effet, par rapport à ce que vous connaissiez auparavant, c’est vrai que la notion de désespoir est nouvelle chez Antoine Nöllopa. » Une bouffée de fierté luisit sur le visage d’Henri, il jeta un regard satisfait à son collègue de droite.
« Mais par rapport à vous-même, qu’est-ce que ça vous évoque ? hein ?! Par rapport à vous ? » Errion posa son dos sur son dossier. Il fixa Henri. Et ses yeux bleus étincelants voyaient loin, très loin, au travers l’esprit.
« Que représente la nuit pour vous ? »
« Heu… Et bien. » L’élève recula involontairement sur son siège, sous le regard pénétrant d’Errion, mais il ne rencontra que le dossier derrière lui.
« Et je ne vous demande pas ce que vous enseignent vos professeurs d’astronomie monsieur Degar. Qu’est-ce que la nuit ? Les étoiles ? Pourquoi cette noirceur ? Imaginez, vous ne l’ayez jamais vu de votre vie, et vous découvrez sa splendeur pour la première fois. Quelle serait votre réaction ?»
Nouveau silence dans la salle. Quelques toux nerveuses se firent entendre. Errion tapota à nouveau avec ses doigts sur le bureau.
« Essayez simplement de donner un sens aux choses. » dit il d’une voix plus calme et posée. « C’est essentiel, sinon vous n’avancerez pas. Si on ne trouve pas un sens aux choses, on ne peut pas espérer donner une forme au vide. »
Une petite voix résonna dans la salle.
« Excusez-moi monsieur Lornal, mais j’ai un peu du mal à vous suivre là. » se risqua une nouvelle étudiante. « On ne peut pas donner du sens à quelque chose que l’on ne comprend pas. Le vide c’est rien, tout simplement.»
La terre semblait s’ouvrir sous les pieds d’Errion. Il frappa de dépit du poing sur la table, lorsque la porte de la salle s’ouvrit en couinant. Un homme pénétra dans la pièce, avec une retenue impressionnante. Errion surpris par cette intrusion fronça d’abord les sourcils, puis il se leva en reconnaissant le visiteur. C’était un des archivistes, les adjoints de Prométhée, le Grand Bibliothécaire de l’Anyon. Ils portaient tous de longues robes violettes et arboraient des cheveux rasés sur le haut du crâne, mais longs dans la nuque. L’homme s’excusa et se dirigea sur la pointe des pieds vers Errion. Les archivistes étaient tellement habitués à rester dans la bibliothèque, qu’ils étaient devenus d’une discrétion des plus absolues, en toutes circonstances.
A pas feutrés, l’homme s’approcha d’Errion, et il lui chuchota quelques mots à l’oreille. Le visage du professeur se renferma, et il hocha doucement la tête à plusieurs reprises.
« Dites lui que je viens dès la fin de mon cours, je n’en ai pas pour longtemps. » murmura t’il.
« Il a bien précisé que c’était très urgent. »
Errion soupira.
« J’arrive dans un quart d’heure, tout au plus. »
L’archiviste s’inclina poliment, et il ressortit de la salle aussi discrètement qu’il était entré. Errion scruta à nouveau ses élèves, et il contracta sa bouche en une grimace désabusée. Il se força à sourire nerveusement à ses élèves.
« Bien. » cria t’il en claquant dans ses mains. « Je vois que les étoiles d’Antoine Nöllopa vous ont beaucoup inspiré aujourd’hui. » continua t’il en se levant de son siège. «Et j’imagine à quel point le fait de voir un cours se terminer plus tôt vous afflige, mais j’ai l’immense regret de vous affirmer que c’est bien le cas aujourd’hui. » Des murmures commencèrent à germer dans la salle.
« Ne cachez pas votre peine de me quitter, je vous en prie, vous me savez très émotif. » Errion lança un regard acerbe à son assemblé, mais plus personne ne le regardait déjà. La moitié des étudiants se mit à rire de bon cœur pourtant, l’autre partie avait déjà rangés ses affaires et commençait à sortir. Agacé de les voir partir aussi rapidement, Errion n’arrêtait pas de contracter son visage en toute une série de tics, tout en reculant vers son bureau.
« Bien, alors je vous dis à la semaine prochaine. » Il fit un au revoir de la main, mais déjà plus personne ne lui y accordait de l’attention. Il s’affala lourdement sur son siège en attendant que les derniers étudiants aient quittés la pièce. Il rassembla ses trois livres devant lui et les fixa, le regard vague. Un sourire triste et mélancolique apparut sur ses lèvres. Il se leva et partit, laissant la pièce vide derrière lui.

****

Fort Hérémos était divisé en deux zones depuis mille années. Ce qui correspond au moment où l’ampleur de la religion Nöllopéenne se faisait de plus en plus important. Les premiers bâtiments (l’Anyon, puis le Château-Séluné, l’Eglise de Noto et le Collège de Nol) furent bâtis sur la colline qui soulevait tout l’Est de la presqu’île. Lorsque Fort Hérémos devint un lieu de pèlerinage, des centaines de croyants vinrent s’installer au pied de la Cité. Mais la Communauté Nöllopéenne voulait à tout prix conserver intacte la « vieille-ville », et par-dessus tout protéger et limiter l’accès à l’Anyon. Elle imposa des règles d’accès rigoureuses, et entrepris la construction d’une seconde muraille, plus haute encore que la précédente, autour de ce qui devint la Cité-Haute. Le reste de la presqu’île fut rapidement surnommé Cité-Basse. Et au fur et à mesure des années, les murailles se multiplièrent. Aujourd’hui, on a même du mal à distinguer si la frontière entres les deux parties de la Cité, est naturelle ou artificielle.

Sara venait de rentrer Welad dans l’écurie. Elle n’aimait pas laisser son cheval enfermé dans un box si petit. Elle se sentait toujours coupable de le priver de sa liberté, lorsqu’il lui adressait un dernier regard presque implorant. Mais la gentillesse, avec laquelle les palefreniers lui assuraient qu’ils lui donneraient tous les soins nécessaires, avait raison de ses remords. C’est avec quand même un pincement au cœur qu’elle sortit de l'étable. Le grand vent qui l’accueilli à la sortie du lieu, se chargea de lui rappeler qu’elle devrait se dépêcher si elle ne voulait pas être mouillée. C’est étrange, mais elle avait l’impression que l’orage se retenait au plus d’éclater, comme s’il voulait exploser sa furie avec plus de vigueur encore.
Elle se dépêcha de s’engouffrer dans la rue principale, pour atteindre le grand escalier qui allait l’amener à la Cité-Haute. Ici, les rues étaient en terre, souvent boueuses à cause de l’eau. Quelques chats assis sous des porches des maisons se léchaient nerveusement. De vieilles femmes balayaient leur pas de porte, un air inquisiteur en coin. Deux hommes étaient sur le point de se disputer parce que l’un avait bousculé l’autre avec sa charrette. Les gens parlaient fort, sans tact et leurs gestes étaient brusques et lourds. La tension était palpable, et tout le monde la touchait. Tous les bruits environnants semblaient entrer et sortir du crâne de Sara, comme une nuée d’abeilles bourdonnantes autour de sa ruche. Elle pressa le pas. Des profondeurs de son être, une sphère d’irritation exacerbée n’en finissait pas de s’étaler.

« Mais laissez- moi entrer ! Laissez-moi ! »
Un hurlements de rage résonna entre les passants, se frayant un passage entre les potins, les le cris du poissonnier, et les négociations de prix entre clients et marchands. Personne n’y prêta attention. Sara, au contraire, se sentit traversée de part en part par ce son d’une colère désespérée. Elle se dépêcha d’arriver au croisement qui allait la mener à la Cité-Haute. La terre laissa place à des pavés. Elle tourna à droite, pour monter vers le poste de contrôle des Nöllopéens, lorsqu’elle vit l’origine des bruits. Une jeune femme effarouchée était repoussée par deux soldats, alors qu’elle essayait de forcer le passage pour monter. Sara connaissait l’un des deux militaires, le Sergent Selers, connu pour ses excès de zèle. Elle n’avait rien à lui reprocher de particulier, il était gentil et poli avec elle. Mais il respectait le règlement beaucoup trop à la lettre.
La jeune fille lui était inconnue, mais sa colère était impressionnante à voir. Son visage, déformé par un l’irritation et la fatigue, laissait transparaître un caractère terriblement pulsionnel. Elle essayait d’intérioriser son courroux le plus possible, mais elle n’y parvenait qu’avec d’énormes difficultés.
« Laissez-moi monter, laissez-moi rentrer ! Je veux voir mon père ! »
« Je suis désolé mais vous n’avez pas les papiers requis, je ne peux pas vous laisser passer. » s’obstinait à dire le Sergent Selers, d’un ton le plus ferme possible.
La jeune femme serra les dents. Elle se mit la main entre les sourcils, et ferma les yeux en baissant la tête.
« Ecoutez… » Elle parla d’un ton plus calme. « J’ai fait un très long voyage pour venir ici, et ce n’est pas pour me retrouver bloquée si près du but. » Avec aplomb, elle bomba la poitrine, et ouvrit grand ses yeux. « Je veux rentrer ! Laissez-moi passer !» appuya t’elle dans un étrange mélange entre l’ordre et la supplique.
Le Sergent Selers eut un rictus d’agacement.
« Vous devez avoir une autorisation mademoiselle, je suis vraiment désolé, mais je ne peux rien faire pour vous. Envoyez une lettre à la Communauté, et d’ici un à deux mois, avec un peu de chance, vous aurez l’autorisation de passer. »
« D’ici un à deux mois !? » s’indigna la jeune femme. Elle prit un air scandalisé. « Mais… (elle ouvrit sa bouche d’effarement) non ! Non ! Non ! Je veux rentrer tout de suite ! »
Elle frappa ardemment le sol du pied.
« Je me répète encore mais je… »
« Laissez-moi passer !! » coupa la jeune femme en s’avançant franchement. Le Sergent la stoppa, en lui mettant la main fermement sur l’épaule, pour la contraindre à rester devant lui.
« Je vous ai dit que vous ne pouviez pas passer ! » cria t’il avec sang-froid.
« N’insistez pas. » appuya l’autre soldat d’une voix grave.
La fille repoussa la main de l’homme et recula de quelque pas. Avec sa bouche à demi-ouverte, et son regard de félin enragé, elle semblait être prête à le mordre. Des griffes paraissaient presque prêtes à sortir à tout moment de ses mains. Elle fixa le Sergent un instant en serrant les poings, puis elle détourna le regard vers son subordonné, pour ensuite revenir vers l’autre homme. Quatre soldats sortirent de la caserne proche, et voyant les problèmes que rencontraient leur Sergent, ils commencèrent à descendre les pavés pour venir rejoindre leurs collègues. La jeune femme ne leur accorda qu’un bref coup d’œil.
Sara secoua la tête de dépit. Elle ne supportait pas la violence, et la situation allait vraisemblablement dégénérer. Les soldats Nöllopéens n’étaient ni des rustres, ni des barbares, ni des gens particulièrement violents. Mais ils avaient pour habitude d’exercer leurs fonctions avec beaucoup trop de zèle. Les badauds qui passaient autour, s’éloignèrent le plus possible des protagonistes de la scène, sans pour autant cesser de la regarder.
« Allez appeler mon père. » Le dernier mot avait sonné avec une étrange ambiguïté dans sa bouche. « Il me laissera passer. »
Le Sergent dressa un sourcil. L’homme affichait à présent une mine foncièrement antipathique.
« Allez l’appeler ! » cria t’elle, sur un ton agressif, en accompagnant ses paroles d’un geste de la main. Les autres soldats commençaient à entourer la jeune personne. Elle les surveillait du coin de l’œil, en allant machinalement de droite à gauche, comme un animal en cage. Elle se faisait doucement encercler.
« Je n’ai à appeler personne, allez-vous en ou je serais contraint de vous chasser. » Il haussa le ton, sans crier. « Avec plus de brutalité. »
« Mais je suis la fille de Yarrum Llib-Oscusotolo ! Le chroniqueur officiel du roi Planus ! Laissez-moi passer ! »
Le sergent, un éclair de surprise dans ses yeux, se tourna vers son subordonné. L’homme haussa des épaules à son supérieur, dubitatif. Il reporta à nouveau son regard inquisiteur vers la jeune femme, qu’il dévisagea de la tête aux pieds. Une vague d’incertitude l’effleura.
« Comment vous appelez-vous ? » fit il en plissant des yeux.
« Mathilda. » répondit elle, glaciale.
« Et vous êtes la fille du chroniqueur ? »
« Oui. »
Un sourire narquois naquit sur ses lèvres. Il retrouva son assurance.
« Je ne savais pas qu’il en avait une. »
Elle fixa ses yeux sur les bottes du militaire, entre exaspération et abattement. « De toute façon, je crois qu’il ne s’en est jamais aperçu. » fit t’elle, un ton plus bas. Elle plongea à nouveau son regard dans ceux du sergent, et l’homme fut un temps déstabilisé par la haine viscérale qui régnait dans ses yeux.
« Et alors ? C’est une raison pour m’empêcher de rentrer ? Que vous ne me connaissiez pas !? »
« Non. Mais vous n’avez pas les papiers requis pour pénétrer dans la Cité-Haute. Les ordres que je reçois sont très clairs à ce sujet. Vous pouvez prétendre être qui vous voulez, je ne vous laisserais pas passer. Et la violence n’est pas une solution.»
Mathilda était à deux doigts de se laisser submerger totalement par l’agressivité.
« Allez appeler mon père ! » dit elle en appuyant bien sur chaque syllabe.
« Vous ne pouvez entrer. »
« Veuillez appeler mon père !!! » hurla t’elle.
« Veuillez partir ! » répondit l’homme de la même manière.
Mathilda s’avança un peu plus. Un des soldats tira son épée, mais le Sergent le stoppa d’un geste de la main. Elle se trouvait à présent à quelques centimètres seulement du visage du militaire. Ils restèrent ainsi à se regarder un moment, se jauger mutuellement, en un combat silencieux, mais plus agressif que n’importe qu’elle autre démonstration de violence. Les lèvres de Mathilda tremblaient. Le Sergent restait de marbre.
Il respira intérieurement lorsque la jeune femme se retourna. Il ne était tellement satisfait de se débarrasser de cette furie, qu’il ne vit rien venir. Une douleur fulgurante transperça sa pommette, et il recula en arrière, sonné, pour se retrouver à assis sur les pavés. Un voile noir envahit ses yeux. Il tomba au sol en poussant un grand « woof ».
Il entendit un « Arrêtez-là ! », alors que la vue lui revenait petit à petit. La douleur fut fugace, mais intense. Derrière lui, trois soldats avaient tirés leurs épées, et s’étaient jetés sur la jeune femme. Prise au piège, elle hurlait de rage, alors que l’un des gardes la saisit par une main, pour la contraindre à se mettre au sol. Ils durent s’y mettre à plusieurs pour la maîtriser, Mathilda se débattant avec hargne, et distribuant nombre de coups à ses adversaires. Ils réussirent enfin à la plaquer violemment au sol. Le Sergent, l’air encore sonné, se releva en titubant. Son subordonné vint lui demander si tout allait bien, mais il le repoussa avec dédain. La douleur physique se dissipait, mais sa fierté avait encore très mal. Il vint se placer devant la jeune femme qui se débattait, entre les bras de ses hommes.
Allongée au sol par quatre paires de bras puissants et armés, Mathilda pouvait à peine bouger. De rage, des larmes lui montèrent aux yeux. L’air antipathique et las, le Sergent plongea ses yeux dans ceux de Mathilda.
« Je pourrais te mettre au trou pour ça petite idiote. » fit il, le regard sombre.
La fille se mit à rire. « Ouais... (elle ria de plus belle) Comme ça je pourrais rentrer en haut peut-être. » fit elle sur un ton dépréciatif et méprisant. L’homme se baissa, et il lui attrapa durement le visage avec ses mains, écrasant sa mâchoire. Sa douleur dans sa pommette, devenue bleue, se révéla, et il eut un petit rictus de douleur avec ses lèvres.
« Non désolé de te décevoir, la prison est en bas. » Il l’observa un instant, puis relâcha son étreinte. « Mais tu n’en vaux pas la peine. » fit il en se relevant.
« La violence n’est pas une solution. » murmura Mathilda au milieu d’une quinte de toux.
Le Sergent lui jeta un coup d’œil acerbe. Il mit sa main sur le pommeau de son épée.
« En effet. C’est un gros problème. »
Sara s’était arrêtée non loin de la scène, scandalisée. Le Sergent avait du sentir sa présence car il se tourna vers elle. La professeur ne le remarqua même pas. Elle regardait Mathilda avec pitié et compassion, semblant trouver en elle quelque chose qu’elle aurait pu être.
« Allez, laissez-la partir. » fit il en fixant Sara, un peu mélancolique soudain.
Elle frissonna lors que les soldats la relevèrent, et la traînèrent jusqu’au coin de la rue, tel un gibier mort. Mathilda semblait avoir perdu toute son âme. Elle se laissa faire, avec une apathie surprenante, le regard dans le vague, lorsque les militaires la déposèrent par terre. Toute la tristesse du monde semblait s’être abattue sur elle en quelques instants. Comme sur Sara qui avait suivi toute la scène d’un œil amer.
« Et ne reviens plus ici. » cria le Sergent.
La jeune femme se releva doucement, alla chercher un grand sac de cuir marron, qui traînait au milieu de la rue, et elle disparut en direction du centre de la Cité-Basse. Des larmes commençaient à lui brouiller la vue. Mais personne ne le voyait. Entre le désespoir et la colère, il y a un lieu dans lequel on est vraiment tout seul.

« Alors vous n’avez pas oublié vos papiers aujourd’hui Sara ? »
La jeune femme s’approcha du Sergent, et elle sortit un parchemin à la couleur dorée réputé infalsifiable, qu’elle tendit au militaire avec froideur. L’homme jeta un bref coup d’œil à la chose, et le rendit assez rapidement à son propriétaire. Il sourit nerveusement, et d’un signe de tête il fit signe à Sara de passer. Un regard noir à l’attention du militaire, la jeune femme poursuivit son chemin.
Seuls le personnel du Collège du Nol, les membres de la Communauté, et les ressortissants de la famille royale, pouvaient pénétrer dans la Cité-Haute. Des gens bénéficiaires de passes exceptionnels, délivrés par le roi du Romir, ou le Recteur de la Communauté avaient eux aussi l’autorisation de rentrer. Visiblement, cette Mathilda ne rentrait dans aucune de ses catégories là, même si elle prétendait être la fille du Chroniqueur du roi. Et le Sergent ne laissait jamais passer ça. Une fois, Sara avait du avoir recours à l’intervention du Grand Bibliothécaire. Elle était sortie en oubliant son passe, et l’homme, même s’il avait reconnu son visage, ne voulait pas la laisser rentrer. En secouant la tête, elle abandonna derrière elle le poste de contrôle, pour pénétrer dans l’enceinte intérieure.
La montée des cent vingt trois larges et longues marches de marbre blanc l’attendait. Elles contournaient et gravissaient, en un demi-cercle, l’immense mur qui surélevait les lieux les plus importants du Fort, du reste de la Cité. Comme tout à l’heure, lors de son arrivée sur la colline qui surplombait la crique de Fort Hérémos, un émerveillement intense la submergea alors qu’elle débouchait sur l’un des joyaux visuels de Fort Hérémos : la Grande Place.
Elle surplombait toute la basse-Cité, s’étirant légèrement au dessus d’elle en une terrasse, pour se prolonger en un parc, qui était lui-même entouré par le Château-Séluné. Des dizaines de mètres en dessous de la large place, on distinguait les petites rues étroites, qui allaient se perdre jusqu’à l’immense coupole du Port Intérieur. La boue paraissait bien lointaine, vue d’ici. Le point de vue était magnifique. Au-delà du dôme, un bateau s’approchait. Ballotté par les vents, et suivi de peu par la tempête qui approchait derrière lui, il arrivait tant bien que mal au Port. Un nouvel éclair illumina le ciel, créant l’espace d’un instant une luminosité effroyablement belle, le soleil couchant perçant à travers certains nuages. L’atmosphère était incroyablement pesante. L’orage promettait d’être effroyable.
Sara inspira un grand coup. Derrière elle, entourant le reste de la place, le Château-Séluné étalait toute sa hauteur en une demi-lune, vue de haut. Il s’agissait de l’un des bâtiments les plus anciens du Fort Hérémos. Il aurait été construit par Kim Nöllopa, la fille d’Antoine, vingt années seulement après l’achèvement de l’Anyon -et la mort de l’explorateur canonisé. Sa façade, incroyablement blanche, reflétait toute la lumière environnante, donnant au lieu une aura quasi-divine. Un très large escalier d’une dizaine de marches menait à l’entrée du Château, passant entre la dizaine de magistrales colonnes.
Un très vieux châtaigner poussait juste à l’entrée de la petite allée qui menait aux marches. Témoin intemporel de l’histoire du Fort, dont il égalait la taille des plus hauts murs, sa sagesse et sa force subtile emplissaient toute la Cité de son aura bienfaisante. Son tronc était si immense que pour en faire le tour, cinq hommes réunis, même bras tendus seraient insuffisants. Ses frondaisons ont bravé de nombreuses tempêtes ; plusieurs fois il fut blessé, ses branches coupées jonchant alors le sol, sous ses énormes racines. L’arbre semblait alors triste et fatigué. Las et désabusé, il contemplait ses ramures arrachées, comme le ferait un homme atteint de calvitie en contemplant ses cheveux perdus avec amertume.
En automne, ses marrons tombaient par dizaines dans le grand jardin, formant un tapis brun bosselé, parsemé du jaune et du châtain des feuilles mortes. Les chutes des fruits du majestueux végétal étaient la source de bien des bosses parmi les étudiants et les moines de la Communauté.
Une petite fille jouait sous l’arbre. Elle avait la tête levée vers les branches, comme si elle attendait que les marrons lui tombent dessus. On entendait son rire, qui résonnait dans le lieu, s’égarant au travers des arbres, et emporté par le vent, il se perdait sur le Fort.
Sara Mylegna sourit, en finissant de gravir les dernières marches qui la menaient jusque devant le jardin. Elle était épuisée et s’arrêtât un peu pour souffler. L’escalier se poursuivait encore, pour contourner le Château, et arriver à devant l’Anyon et les installations de la Communauté Nöllopéenne.
Les rires reprirent. On avait que trop peu l’occasion d’en entendre à Fort Hérémos, ou alors c’était seulement des hilarités grasses, lourdes ou sarcastiques. Là, ce son absolument délicieux et délicat, joyeux et naturel, était une ode à la bonne humeur et au bonheur de vivre. C’était la pureté d’une fillette, de même pas une dizaine d’années, qui a gardé cette capacité fantastique de s’émerveiller de chaque seconde. Du moindre petit moment qui lui était offert, et de la moindre petite chose qui tombait sous ses yeux.
Les enfants étaient rares à Fort Hérémos, surtout de cet âge là. Hormis les plus jeunes étudiants du collège de Nol, on ne comptait que les huit frères et sœurs de Weldrane l’aubergiste, quelques fils d’ouvriers du port qui travaillaient avec leurs parents. Il y avait aussi des orphelins recueillis par la Communauté, et qui effectuaient des « travaux d’intérêt généraux », et les quelques enfants de la Cour Royale. Et le fils d’Errion Lornal, le professeur des Sciences de l’évolution.
Lykaïwyn… tellement différent des autres…songea Sara en un soupir. Elle observait avec sourire et ravissement la petite fille qui allait et venait sous l’arbre, semblant vouloir rattraper les marrons qui tombaient. Elle criait et riait, puis elle redevenait tout à coup sérieuse, attendant la chute d’un nouveau fruit, qui ne tardait jamais à venir, le vent précipitant leur chute.
« Monya ! Monya !! Petite peste, que fais-tu ici ! »
Une énorme femme en chignon, certainement une bourgeoise de la cour du Romir, à en juger par sa tenue, descendait précipitamment les marches du Château-Séluné. Elle manqua de chuter, se rattrapant au dernier moment avec une main. Ses joues déjà très rouges devinrent écarlates. La petite fille s’arrêta net de courir, et elle tourna le dos à la femme qui continuait à l’appeler.
« Viens ici ! Viens ici, Monya ! Je t’avais interdit de ne pas sortir ! Je te l’avais bien dit ! »
La petite fille regardait le sol, l’air absent. Elle se baissa et prit une pleine poignée de fruits dans ses mains.
« Tu ne m’écoutes pas hein ! Tu n’écoutes jamais ! Tu n’écoutes jamais rien ! Retourne-toi, espèce de garce ! Retourne-toi ! Oh, tu as de la chance que ton père ne soit pas là ! Oh oui, tu as de la chance, que je sois moins sévère que lui ! Allez viens ! Dépêche-toi !»
Lorsque la vieille femme arriva ou niveau de la petite fille, elle lui mit la main sur l’épaule pour la contraindre à se retourner. Monya obtempéra de bonne grâce… et elle glissa sa poignée de marrons dans le corset de la femme. Les fruits allèrent se perdre entre ses seins.
Elle poussa un cri horrifié, alors que Monya disparaissait déjà à l’intérieur du château. Sara Mylegna pouffa lorsque la bourgeoise remarqua sa présence, alors qu’elle passait sa main à l’intérieur de ses vêtements pour sortir les marrons. En rage, elle se tourna et remonta les marches en trottinant et maugréant.
Un sourire figé aux lèvres, Sara la regarda s’éloigner précipitamment. Elle n’avait jamais croisé la petite fille auparavant, pourtant, elle croyait bien connaître tous les enfants du Fort. Elle devait être nouvelle arrivante, sans doute la fille d’un visiteur de la cour…
« On profite d’un moment de pureté Sara ? »
La jeune femme, sursauta, et se tourna pour se trouvez nez à nez avec le personnage le plus fantasque du Fort.
« Errion… » fit elle en inclinant légèrement la tête. L’homme sourit, ses cheveux explosés aux vents semblant sublimer sa folie. Il tenait deux livres entre ses bras fermement collés sur sa poitrine.
« C’est quand on pense le moins à toi que tu apparais. »
« J’essaye de ne pas penser trop fort. Comme ça, je peux arriver à surprendre les gens. »
Errion cligna de l’œil avec malice. Sara lui attrapa passa son bras autour du sien, et ils se mirent à marcher le long de la place.
« Oh, s’il te plait, ne commence pas avec tes théories, laisse-moi respirer avant de reprendre le cours de ma vie. » fit elle, malicieuse.
« Mais je n’ai pas encore commencé. »
« Tu allais le faire. »
« Oh très bien ma petite mademoiselle. » Il s’inclina légèrement. Une bourrasque de vent rabattît la capuche de Sara.
« Alors je vais te parler de banalités tiens. Mauvais temps qui se prépare hein ? » fit Errion en regardant l’horizon.
« Ca te ressemblera jamais d’être banal. »
Errion ne l’écoutait pas. Totalement fasciné par le paysage, il s’avançait doucement, d’une démarche hypnotique jusqu'à la balustrade de marbre.
« Tu as vu la beauté de ces nuages ? C’est… »
La jeune femme vint se placer à côté de lui.
« Troublant. » murmura t’il. Au loin le ciel n’était plus qu’une accumulation, de plus en plus impressionnante de plusieurs teintes de gris, de noirs, de blancs et de verts. Le mur de nuages, se mélangeait à la mer déchaînée, tel un peintre trempant son pinceau dans ses gouaches, et mélangeant ses aquarelles, avant de commencer son œuvre. Errion avait le regard errant d’un homme qui essaye d’échapper à ses souvenirs dans sa passion. Il courba son dos. Un frisson le parcourut, et une crainte passa fugacement dans ses yeux.
« Ca n’a pas l’air d’aller. » fit Sara. Errion resta silencieux. La jeune femme le regarda jusqu'à ce qu’il daigne reporter à nouveau son regard sur elle. Une colère passa soudain au travers de ses yeux.
« J’en ai assez, de donner des cours à des gens qui ne comprennent rien ! Mes élèves ne font aucun effort. Rien du tout. Ils ne s’intéressent même pas à des choses essentielles ! »
Errion possédait une impressionnante vitesse dans ses changements d’humeurs. C’était très déroutant pour qui ne le connaissait pas. Et c’était toujours aussi perturbant pour les gens qui le côtoyaient souvent.
« Oh… tu te plains maintenant ?! Toi et ton espoir infini, tu te plains ! » fit Sara sur un ton compatissant. Errion gloussa nerveusement.
« Oh si tu savais… J’en ai plus qu’assez de devoir tout expliquer, tout détailler, et tout offrir ‘tout-cuit’ ! (il posa ses livre sur la rambarde) Même pas la moitié des guignols que j’ai en cours ne font le moindre effort pour essayer de comprendre ce que j’essaye de leur montrer. Non. (il souffla) Non ! Ce que la plupart de ces jeunes gens ont l’habitude de faire, c’est de s’asseoir tranquillement sur une chaise, en copiant bêtement un cours monotone qu’on leur dicte ! Je ne suis pas comme ça ! Ce n’est pas ça enseigner ! »
« Et qu’est-ce donc pour toi, enseigner ? »
Errion se redressa avec superbe.
« C’est montrer toutes les possibilités qui s’offrent à nous. » Son air excité s’apaisa un peu. Il repris, d’une voix plus posée. « Un professeur doit être là pour montrer les différentes voies possibles. Et c’est à l’élève de trouver le chemin, car la meilleure route à prendre est toujours celle que l’on se choisit. Pas celle qui nous est imposée. Et la liberté de pouvoir choisir sa route est quelque chose d’exceptionnel. Ils ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont. C’est… désespérant !»
Le dernier mot à peine prononcé, Sara passa son bras autour des épaules de l’homme, d’une geste apaisant. Errion n’avait pas pour habitude de se plaindre.
« Monsieur le professeur des Sciences de l’évolution qui se désespère… Ah, non, je t’en prie, tu es trop précieux, ne deviens pas comme toutes les autres personnes du Fort.»
Il sourit, et pencha son regard vers la Cité-Basse.
« Trop précieux ? Oui… » Il leva ses yeux vers le ciel, et posa ses deux mains sur le parapet. « Je préfère toujours être trop que pas assez de toute façon… »
Sara frotta le dos de l’homme. « Oh je le sais. » Elle s’assit sur le parapet de façon à pouvoir regarder son interlocuteur dans les yeux.
« Mais ne vole pas trop haut, je n’ai pas les ailes aussi longues que toi.»
Errion la regarda, bienveillant. « Tu ne sais pas les voir alors. »
« Peut-être qu’il vaut mieux. Tu sais, quand tu es posé, tu es quelqu’un de très fréquentable. »
« Oh. » fit il en hochant de la tête.
« Et puis j’aurais le vertige de voler si haut que toi. » Elle garda un instant le silence. « Et j’ai pas envie de devenir folle non plus. » se gaussa t’elle. Il se tourna vers elle, le regard suspicieux. Il eut un rire narquois.
« Non, il vaut mieux que tu restes philosophe. Et puis c’est bon pour la santé la philosophie. » Il leva le doigt, et pencha sa tête vers elle, le regard étincellent et complice. « C’est le chocolat pour le cerveau la philosophie. »
Ils éclatèrent tous deux de rire.
« C’est très bon, mais ça fait grossir si tu en consommes trop tu sais. Je ne veux pas devenir obèse. » fit Sara taquine.
Errion fixa à nouveau l’horizon, sourire aux lèvres.
« Ca fait grossir seulement si tu ne consommes pas de la bonne qualité. Du chocolat pur cacao, voilà ce qu’il te faut ! » tonna Errion. « D’ailleurs le bateau qui arrive doit en avoir plein les cales. » Sara eut une grimace de dégoût amusée.
« Oui, mais là c’est trop amer. » fit elle, un sourire en coin.
Ils gardèrent encore le silence pendant quelques instants. Sara ferma ses paupières.
« Errion, discuter avec toi est toujours un moment particulièrement… enthousiasmant. »
Il pouffa.
« L’enthousiasme est toujours partagé, mais le moment ne va pas pouvoir s’éterniser. (il repris un air sérieux, et ramassa ses livres) Je dois voir Prométhée. »
« Oh… je ne te retiens pas alors. » Sara descendit du parapet. « Des problèmes ? »
Errion haussa les épaules.
« Je ne sais pas. L’Archiviste m’a dit que ça concernait les recherches de Frère Michaël. »
« Tu travailles encore avec ce moine ? Je te pensais profondément non-croyant. »
« Je le suis. Mais Frère Michaël, à une grosse différence par rapport à ses semblables. »
« Laquelle ? »
« Il ne justifie pas sa foi. »
Sara eut l’air troublée un instant, mais elle n’eut pas le temps de comprendre pourquoi. Errion l’embrassa sur la joue délicatement.
« Il faut que j’y aille, excuse-moi. On aura le temps de reparler tout à l’heure. » Après un sourire sincère, il commença à partir, mais il s’arrêtât et revint vers Sara.
« Ca n’a pas trop l’air d’aller. » fit il inquiet.
« Je suis juste un peu fatiguée, ne t’inquiète pas. »
Errion sourit encore une fois.
« Tu devrais te dépêcher de rentrer. L’orage va être terrible. »
Elle hocha de la tête, et le regarda partir en trottinant contre le vent. Les gens pouvaient penser ce qu’ils voulaient sur sa folie et ses manières extravagantes, il n’y a que dans les yeux de ce personnage, qu’elle trouvait le réconfort qui lui avait manqué toute sa vie. Elle se dirigea vers le Château en soupirant.
Répondre

Connectés sur ce fil

 
1 connecté (0 membre et 1 invité) Afficher la liste détaillée des connectés