Il est de coutume entre compagnons d'armes de révéler un peu de ce que chacun a vécu en tant qu'individu. Chez nous, les valkyns, la notion d'individu est cependant estompée par celle de meute, qui inclue ces ancêtres qui ont vécu avant nous, et, par leur vie et leur mort, auront permis que nous foulions de nos pieds cette terre. La meute en vient même à passer avant le sentiment d'appartenir à un peuple, ce qui doit être normal, nous qui sommes nés de notre séparation avec nos origines morvalts.
Mais je m'égare. Autrefois nos traditions, pour la courte vie qu'elles ont à ce jour, étaient surtout orales, ou gravées dans les couloirs souterrains de Trollheim sous le regard indulgents de Anciens. J'ai cependant appris l'utilité du papier, si facilement transportable, et dont le prix donne à réfléchir sur ce qu'on offre vraiment quand on fait don de ce qui est écrit dessus. Mais je n'oublie pas la paresse qu'il encourage, ni son caractère éphémère. C'est pourquoi je graverais sur une pierre ce que je consignerais sur le papier, pour que l'histoire de notre meute se transmette malgré tout à ces descendants que l'espoir nous accorde. Et je prendrais soin d'enseigner à ces futurs guerriers de la meute ce à quoi ils appartiennent.
Car la chute de Trollheim a eu un impact considérable sur notre société, passé sans doute inaperçu aux yeux extérieurs, qui n'y ont vu que la fin de celle des Anciens. Les efforts de la Horde Morvalt, opposés à ceux des Anciens et des nôtres, ont coûtés chers aux vaincus que nous avons été. Ce combat.. Il a été dur et long, m'a t'on dit et n'a pas perdu en intensité au fur et à mesure de son déroulement, bien au contraire. Car le siège n'a pas pu peser de toute son étreinte sur la ville dès le départ. Comment l'aurait il pu, alors que cette cité était si puissante? Les combattants ont su préserver pendant un temps un passage vers Bjarken, passage qui a vu passer de plus en plus de réfugiés valkyns, au fur et à mesure que la victoire, de certaine devenait hypothétique. Quand ce passage a été fermé dans les sangs de ceux qui l'avaient maintenu, les combats ont même atteints des extrêmes. Le fait que les Anciens aient choisis de tous demeurer défendre leur ville, sans nous l'imposer, y aura sûrement participé, leur donnant la force et le courage de combattre jusqu'à ce que leur dernier souffle anime leur lourde carcasse.
Les hauts faits qui auront eu lieu lors de cette longue bataille ne seront jamais tous racontés par les skald de Midgard. Non qu'ils créent une tristesse dans leur auditoire, sentiments que les serviteurs de Bragi aiment parfois susciter, mais parce que les tumultes de la bataille ne permettent pas de distinguer ces récits qui mériteraient d'être conté. Trop peu de valkyns ont pu revenir de la cité une fois que la poigne morvalt s'est resserré autour d'elle. On peut imaginer par leur récit les rages désespérées que les morvalts ont du abattre pour prendre et conserver le contrôle du tunnel d'entrée de Trollheim, puis qu'ils ont du à nouveau affronter dans la caverne principale et chacun des tunnels de la cité. La rumeur même dit que les maraudeurs sanglants, issus de la pâle et glacée rivale de Trollheim, Yss, ont leur part dans la chute des Anciens, faisant plus que leurs raids habituels, traquant ceux qui fuyaient la cité mise à sac.. Quelques valkyns ont réussi, par leur ressemblance physique et la ruse, à revenir vers Bjarken, mais leur récits sont à peine audibles, marqués par les souffrances mortelles de leurs compagnons qui, par un geste ou un mot déplacé, se seront révélés pour ce qu'ils étaient aux morvalts vainqueurs. Je me demande parfois qui était cet Ancien qui sera parvenu à quitter Trollheim à sa chute malgré son apparence qui le désignait clairement aux morvalts comme un ennemi. Un grand guerrier, un être rusé, un sage, un traître? Un avertissement laissé par les morvalts aux peuples de Midgard? Il sera retenu de lui un réfugié, dernier de son peuple agonisant.
Tant de morts parmi les valkyns.. Tant de perte, au delà des êtres et du sang. Je le sais bien, moi dont la meute, là ou les autres auront vu certains de leurs combattants en réchapper, s'est retrouvée sans adulte pour la mener. Au vu de nos âges, nous sommes probablement issus de la même portée, d'une femelle qui aura mis bas pendant le siège, peu avant que le passage de Bjarken ait été fermé. Je ne sais même pas qui nous aura fait amener à la sécurité de la ville en bas des montagnes Gripklosa, confiés aux mains provisoires et peu fermes des habitants qui devait déjà faire avec les réfugiés qui arrivaient toujours plus nombreux.
Je ne sais pas pourquoi nous existons toujours en tant que meute. Certes le fardeau de sept jeunes femelles et d'un jeune mâle aurait été bien lourd en ces temps, pourtant la promesse d'avenir qu'il impliquait aurait du faire fléchir d'autres meutes... Nous aurions alors appartenu à un esprit qui aurait été différent de ce qui nous auraient fait voir le jour, mais...
Quoiqu'il en soit, nous n'avons pas été recueillis comme cela. Etait ce du à des rancunes de meute datant d'avant la fin de Trollheim? Ces rancunes, ces règles qui régissent encore les relations entre chaque meute, et dont seuls les membres les plus vieux connaissent parfois les tenants et les aboutissants? Je sens parfois le poids du regard d'autres valkyns qui pèse sur moi, un poids du passé dont ils savent la raison et que je ne connais pas encore.
Un poids que j'ai ressenti comme rarement quand chacune d'entre nous a rejoints son Othila, et que les premières ont pu se prendre un nom de meute. "MorteGriffe" avons nous choisi, pour évoquer l'humeur acide qui parfois coulait le long de nos griffes. Et chacune de se trancher un peu de cette chair de nos pattes, et de lier nos sangs. Notre Sang.
Lakeamh MorteGriffe, Corbeau du Cercle (Midgard/Ys)
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