Ys - Hibernia - Langue ancienne

 
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- Tu me demandes de sacrifier une partie de mon âme, l'Archer mon ami. Cela est pour moi un trop grand sacrifice.
- Vous êtes mon dieu et mon ami, répondit Mnementh le ranger. Mais votre vision du monde n'est plus la mienne, si tant est qu'elle le fut un jour.
- Expliques toi.
- Le rêve que vous croyez avoir imaginé pour moi n'en est peut-être pas un, et peut-être est-ce moi qui vous ai rêvé et non l'inverse. De cela vous ne pourrez en avoir jamais la certitude.
- Tu me fais peur.
- N'avez-vous pas remarqué les changements en moi quand vous veniez me rejoindre de temps à autre ? Regardez-moi.
- Votre nouvelle apparence et le simple fait que nous puissions communiquer est au-delà de ma compréhension. Mais vous êtes mon ami et ce que vous me demandez...
- N'est rien de plus que la continuité de votre monde et du mien, cela doit se faire, mon ami et mon dieu, je le sais jusque dans le bout de mes doigts quand je caresse Portevent, quand je brandis mon fleuret et quand j'aime une femme aussi, murmura l'Archer.
- J'ai peur.
- J'ai combattu dans ma jeunesse des heures durant pour la défense de mon royaume, alors même que l'ennemi était aux portes de la Salle des Reliques... J'ai combattu jusqu'à ce que mes bras ne puissent plus supporter le poids de mes armes, dit l'Archer.
- Cela je le sais mieux que quiconque.
- J'ai vu mourir des créatures si puissantes que les dieux eux-mêmes hésiteraient à les affronter, j'ai vu mourir tant et tant d'ennemis et tant d'amis aussi, qui ne reviendront plus, poursuivit-il sans faillir. Et je suis las, si las. Toi, mon dieu et mon ami, entends ma prière.
- Qui crois-tu donc que je suis pour m'opposer à pareille demande ?
- Alors qu'il en soit ainsi, répondit l'Archer.




Le troll était imposant, gigantesque et massif, au point de ressembler à un arbre plusieurs fois centenaire, si ce n'était qu'il marchait, de cette démarche étrangement chaloupée qui était la caractéristique de sa race.
Mnementh le voyait s'éloigner tranquillement, sans hâte, alors que de nombreux pas derrière cette formidable créature gisaient les dépouilles de plusieurs hiberniens.
L'archer vieillissant prit une poignée de flèches, encocha, leva l'arc en direction du ciel comme si celui-ci était sa cible et tira. La flèche tirée se planta devant le troll, stoppant net sa progression. Mnementh encocha de nouveau et réitéra en une volée de flèche qui vint de nouveau se planter devant le troll.

Le vent était nul, si ce n'était une brise fraîche venant du nord, comme toujours dans cette partie d'Emain Macha. Des trois guerriers gisant à quelques pas émanait l'odeur du sang et du combat qu'il ne connaissait que trop bien.
Le troll se retournait lentement comme dans un rêve.

L'archer s'approcha du groupe agonisant. Les deux hommes était morts mais l'elfe respirait encore, par saccade, les yeux ouverts mais se voilant peu à peu devant l'avancée du grand oubli.

Mnementh fit quelques pas, posa un genou à terre. Il passa Portevent, son grand arc, en travers de ces épaules, avant d'enlever ses gants dans un geste lent. Sa main caressa le front et les cheveux poisseux de sang de l'enchanteresse.
Il murmura quelques mots de cette langue ancienne, de cette langue universelle et imparfaite que les hommes et les elfes réinventaient à chaque fois que la mort approchait pour l'un d'entre eux. Personne ne saura jamais si celle-ci réconforte celui qui l'entend. La brise emporta le dernier souffle de l'elfe sans un bruit ni murmure.

Le troll l'avait vu, fit un pas dans sa direction.
L'archer se releva, enfila ses gants en observant son destin qui approchait sans se presser. Portevent vibrait maintenant dans sa main d'une force tranquille et sans haine.
- Je t'attend, Troll. parla-t-il d'une voix grave et profonde. Les deux versants de la vallée répercutèrent en échos diffus ces quelques mots. Le troll s'arrêta, huma l'air en sortant sa hache sans hâte.
- Je vais mourir mais je vais te faire mal, mal jusque dans ton âme.
Le troll resta immobile quelques secondes en observant ce petit homme. Voulait-il donc mourir ? Les souhaits et les désirs n'étaient bien souvent que paroles inutiles, mais parfois ceux-ci se réalisaient.
Le troll se mit à courir pesamment. L'archer encocha sa première flèche.
- Je suis Mnementh le ranger...
La flèche partit dans un sifflement aigus, vint se planter dans le poitrail épais du mastodonte, qui chancela mais reprit sa course.
- Le demi elfe...
Il encocha une seconde flèche, qui partit aussitôt se ficher dans la jambe du troll, qui tomba, mais se relevait déjà en arrachant les deux flèches dans un hurlement de douleur.
- Le demi homme...
Ces cheveux gris flottaient maintenant car le vent s'était levé. Sa courte barbe blanche cachait un sourire désabusé. Le troll courait de nouveau. L'archer encocha une nouvelle flèche dans un mouvement calme. Il banda Portevent jusqu'au point de rupture de celui.
- Je suis Mnementh l'Archer, souviens toi de mon nom.
La flèche se ficha dans l'épaule droite du troll qui chancela dans sa course effrénée.
Mnementh passa son arc sur ses épaules alors que la créature n'était qu'à quelques pas. Son fleuret sortit sans un bruit du fourreau soigneusement huilé, la dague apparut dans sa main gauche dans un geste automatique.
- Approches.

La hache se leva et s'abattit lourdement, il esquiva d'un cheveux, le fleuret et la dague entamèrent leur danse macabre en frappant le torse, le bras gauche et la jambe gauche du troll, qui hurla de douleur et de colère. Le sang coulait.
La hache s'abattit de nouveau et l'archer sentit l'acier mordre sa jambe droite. Un genou à terre, suis-je donc si vieux qu'un seul coup de hache suffise ? Le troll relevait déjà sa lourde hache.
Le ranger esquiva une fois de plus, le fleuret pénétra profondément à la base du cou du mastodonte d'un mouvement rapide ; la dague transperça la la maille épaisse une fois de plus. Le troll chancela en portant une main rougie à son cou inondé de sang. Il recula d'un pas. Mnementh se relevait complètement en chancelant lui aussi, s'appuyant sur le fleuret, trop faible désormais pour espérer esquiver de nouveau.
- Souviens toi de mon nom.

Les yeux de la formidable créature brillaient de douleur, mais sa détermination d'en finir était intact. Il rugit, avança d'un pas, repoussa le petit homme de son bouclier qui chuta. La hache s'éleva de nouveau et s'abattit, le fleuret s'interposa, acier contre acier. La dague brilla une dernière fois en s'abattant sur le bras dévastateur, faisant couler un sang épais. En vain. Trop faible désormais, l'archer vit la lourde hache s'élever au dessus de lui. Il ferma les yeux.

Toi mon dieu et mon ami, ne me fais pas renaître cette fois-ci. Tu sais que d'autres contrées m'attendent, d'autres amis et adversaires valeureux. Aies confiance...

La hache s'abattit lourdement, enlevant la fatigue et la douleur de ses membres endoloris. Le troll tomba à genoux, ivre de douleur et de fatigue, regardant l'homme mourir devant lui. Non pas un homme, un demi elfe observa-t-il au travers du brouillard rouge de la douleur. La créature mourante parla une dernière fois, sa main droite tâtonnant dans l'herbe humide de rosée.
- Portevent... S'il vous plaît...
Le troll hoqueta en se relevant, ramassa le grand arc hors de portée de la main frénétique du demi elfe. Il admira une longue seconde la pureté de ligne de l'arc presque aussi grand que lui. Comment une chose aussi légère pouvait-elle faire aussi mal ? Il s'agenouilla, déposa Portevent sur la poitrine du demi homme, lequel referma ces mains sur l'arc.

Le troll murmura quelques mots de cette langue ancienne, de cette langue universelle et imparfaite que les hommes les elfes et les trolls réinventaient à chaque fois que la mort approchait l'un d'entre eux.

Le troll resta longtemps ainsi, presque mort lui-aussi, contemplant la dépouille de son ennemi abattu, méditant sur la légende du peu de courage des elfes. Il se releva, il ne servait à rien de rester ici. Dans l'air les effluves d'ennemis proches emplissaient l'air et il ne voulait pas mourir.
Le corps du demi elfe perdait de sa substance, il ne fut bientôt plus qu'une ombre indistincte qui pâlissait rapidement, mais l'Archer ne disparut pas tout à fait. Le grand arc, le fleuret et la dague étaient encore là, pleins d'une réalité inaltérée. Les armes s'élevèrent sans un bruit dans l'air humide du matin, la dague et le fleuret oscillant lentement de part et d'autre de Portevent, auréolés d'un halo semblable à un pâle soleil d'hiver.
G'nhar contemplait ce spectacle inhabituel sans réel surprise. Ce qui arrivait là l'emplissait d'une tristesse infinie. Il contempla l'arc, sentit les vibrations de l'âme de L'archer dans celui-ci, des vibrations presque amicales et puissantes. Le Troll s'inclina.
- Permets moi d'emporter une parcelle de ton âme, l'Archer.
Il tendit le bras vers la poignée du fleuret ensanglanté, lequel se glissa sans résistance dans sa main massive.

- Tu reviendras Mnementh, dans ce monde ci ou un autre, et je te rendrais ce qui t'appartient. Tu reviendras L'Archer et je serais là pour te combattre de nouveau, pour mourir peut-être, murmura-t-il. Que ton dieu et le mien gardent à jamais le respect et l'honneur qu'ils ont l'un pour l'autre, et par là même l'honneur et le respect qui nous unit désormais.

Portevent resta longtemps ainsi, entre deux réalités. G'nhar n'était plus en vue lorsqu'il disparut tout à fait.

Dernière modification par Mnementh ; 07/07/2018 à 19h49.
 

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