Depuis ce matin, je vois des crânes à chaque recoin.
En me rendant à mon travail, j'ai croisé toutes sortes de ces boites montées sur des golems déambulateurs. Des crânes ambitieux, aux formes oblongues et aux canines crissant sur le parquet. Des crânes amoureux, interposant des langues rapeuses et humides pour éviter de s'entrechoquer. Des crânes hagards, aux orbites insondables et aux pommettes aquilines. Chez eux la mort a déjà pris une option, et sachant ses proies sécurisées, elle prend son temps en les laissant esseulés. Des crânes bien remplis, sûrs d'eux, qui par un étrange caprice de la gravité dodelinent comme des pantins cassés. Des crânes gonflés à l'imagination comme une beaudruche à l'hélium. Ceux là regardent perpétuellement vers le haut. Des crânes fracturés, des crânes fissurés ou simplement ébrechés. Des crânes d'obus, des crânes ancestraux. L'avantage de ne voir que des crânes, c'est qu'on ne distingue plus les couleurs. Impassibles, nous sommes identiques.
Un peu triste je pense au crâne qui m'a dit oui il y a déjà bien longtemps, et à nos deux crânes pygmées qui laissent échapper des torrents d'une énergie en apparence intarissable à chaque seconde.
Dans quelques siècles, j'aimerais bien qu'on nous dispose côte à côte.
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