Frozen Tears Story

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/HRP

Bonjour,

Je me propose ici de vous raconter l'histoire de la guilde Frozen Tears du serveur Maimane.
Je suis aidé dans ce récit par une féca du nom de Brihannah.

Merci de votre lecture

/HRP


PROLOGUE

Dans le temps où une guerre terrible faisait rage entre la cité de Brâkmar et celle de Bonta, Maimane, dit « Le Stabilisateur», décida, pour obtenir la paix, de dissimuler au monde les émotions. Celles-ci (amour comme haine) furent enfouies dans des totems et écartées du monde. Malheureusement des années de violence s'étaient écoulées. Les batailles avaient éclaté de partout, décimant soldat après soldat, homme après homme. Jamais il n'y avait eu pareil affrontement et lorsque le calme revint, tout n'était que feu, sang, ruine et désolation. Bontariens et Brâkmariens avaient tous subi des pertes incommensurables et il faudrait encore bien plus de temps aux deux peuples pour se reconstruire dans ce monde nouveau, dépourvu de tout sentiment.

Ce que la légende ne raconte pas, c’est que Rushu, lui-même, le démon des démons, décida de son côté d’envoyer une poignée de braves à la recherche des totems.
Cette troupe des armées de Brâkmar fût nommée les « Frozen Tears » par Rushu, en mémoire de ses larmes de rage qui ne coulaient plus par la faute de Maimane.

Les Frozen Tears, après un long périple à travers le monde, retrouvèrent le sanctuaire des émotions. Ils étaient alors sur le point d'exécuter les ordres de leur maître lorsque quelque chose les arrêta et leur fit prendre conscience du pouvoir qu'ils avaient entre leurs mains. Liés par leur loyauté à Rushu mais ne pouvant se résigner à obéir, ils décidèrent de ne libérer qu'en partie ces précieuses émotions et d'en conserver l'essence pure dissimulée dans les totems, leur permettant ainsi d'en contrôler la puissance. Mais le seigneur des démons sentit que sa rage retrouvée n'était pas entière et comprit la supercherie. Il se retourna donc contre ses guerriers, ne se doutant pas que ces derniers oseraient se rebeller. C'est pourtant ce qu'ils firent et, d’un commun accord, ils décidèrent de garder ce grand secret pour eux seuls.

Malheureusement, à trop vouloir protéger leur secret, les « Givrés », tel qu’ils se nommaient entre eux, déjà peu connus, tombèrent dans l’oubli et une épidémie de bouftou fou les emporta jusqu’au dernier.

Personne ne retrouva jamais le sanctuaire des émotions, et même le puissant Rushu se résigna et oublia de maudire ses anciens guerriers.

Ce récit, Astrae et Chazuro, deux guerriers démons, sont en train de le lire sur le mur d’une cellule dans les oubliettes de la Tour de Gisgoul…

Voici leur histoire…


CHAPITRE 1


Astrae et Chazuro étaient deux guerriers des armées de Brâkmar, rentrés le même jour au service de Rushu. Ils avaient fait leurs classes ensemble et s'étaient vite liés d’amitié. Le côté exacerbé et bavard de Chaz' contrastait avec le calme d'Astrae et c'est justement ce qui faisait qu'ils s'entendaient bien. Ils se complétaient et pouvaient compter l'un sur l'autre dans n'importe quelle situation.

Ce jour-là, ils avaient été envoyés en patrouille à Gisgoul pour suivre les mouvements des troupes bontariennes.
« Allez, va encore falloir se farcir toutes ces marches...! soupira Chaz'.
-Petite nature ! Tu veux pas que je te porte... comme l'autre fois ? dit Astrae d'un air narquois.
-L'autre fois, c'était pas pareil ! Et je préfèrerais qu'on évite d'en reparler !» Ils se regardèrent un instant et éclatèrent de rire. Ils continuèrent ainsi à plaisanter tout en poursuivant leur ascension...

...Arrivés en haut de la Tour, ils commençaient à souffler un peu quand tout-à-coup, sentant une présence, ils se retournèrent et tombèrent nez-à-nez avec un loup blanc. Cela n'était pas la première chose qu'ils s'attendaient à rencontrer ici et l'animal profita de leur stupeur pour prendre la fuite.
« Qu'est-ce qu'on fait ? On le suit ?
-Un peu qu'on le suit ! On va pas le laisser rôder dans la Tour ! »
Une folle course-poursuite s'en suivit alors. Le loup leur faisait prendre mille et un détours et ils se demandaient bien où ils allaient pouvoir atterrir ! Ils crurent l'attraper à un moment mais c'était comme si l'étrange animal s'était évaporé à leur contact pour réapparaître plus loin.
« Tu as vu ça ?! s'étonna Chazuro. Il s'est comme...
-Rooh mais non, il s'est faufilé, c'est tout. Allez viens, dépêche-toi ou on va le perdre ! » répondit Astrae en reprenant sa course... et se retrouvant face-à-face avec un supérieur...
« Que faites-vous, soldats, à courir comme ça dans cette direction ? Vous ne devriez pas plutôt aller dans le sens opposé hmm ? Vous êtes en repérage, alors à votre poste ! gronda le chef brâkmarien.
« Oui, tout de suite ! Nous y allons de ce pas » acquiesca le Iop, contrit. Ils attendirent qu'il passe son chemin en les toisant du regard, d'un air suspicieux...
« C'est fichu, on l'a perdu maintenant ! soupira Chaz'.
-Non, regarde là ! Il me semble avoir vu quelque chose bouger !
-Tu plaisantes ! Il aurait fallut qu'il nous attende, vu le temps qu'on a perdu...
-Rooh arrête de parler et viens ! Vite ! »
Ils continuèrent leur traque et finirent par rattraper ce drôle de fuyard.
« On va l'avoir !
-J'ai une idée : prend à droite ! ordonna Astrae.
-Hmm oui, je crois que j'ai compris... » répondit son ami, un sourire en coin.
Ils avaient talonné le loup jusque dans les oubliettes de l’immense bâtiment, oubliettes qui n'avaient que 2 entrées possibles.... Astrae vit une traînée blanche pénétrer par celle de gauche et renter dans une cellule, vers laquelle il se précipita.
« Coincé ! » dit Chaz' surgissant à côté de lui par l'autre issue. Le Iop lança furtivement un regard à son compagnon et ils déboulèrent dans la pièce. Rien, aucune trace, le loup n'y était plus...comme volatilisé.
« C'est impossible ! Je l'ai vu rentrer, il n'y a aucune issue possible ! » ragea le Sacrieur faisant frénétiquement le tour de la cellule.
C'est alors que leurs regards furent attirés par des mots gravés à même la roche sur l'un des murs...

« Drôle d’histoire, commenta Astrae après avoir relu ce récit gravé dans la pierre.
- Etrange en effet, cela paraît tellement vrai qu’on a presque envie d’y croire, répondit Chazuro, mais comment peut-on être assez fou pour oser défier le grand Rushu ?
- Ah ça, je n’en sais rien, ce pouvoir est peut-être vraiment immense…allez viens, continuons notre patrouille. »

Un mois plus tard, Astrae et Chaz’ furent envoyés avec trois compagnons en mission au Village des Brigandins. En traversant les plaines de Cania, Chazuro remarqua qu’un loup blanc les suivait en gardant ses distances.

« Astrae ! Regarde ! Un loup blanc…on dirait le même que celui de Gisgoul.
- Tu rêves Chaz’, un loup c’est un loup ! Comment veux-tu que ce soit le même ?
- Je repense souvent aux Frozens Tears et à l’histoire des émotions du monde, j’ai envie d’en savoir plus.
- Arrête ! Tu vas nous faire repérer ! D’abord le loup, puis les Frozen Tears : tu hallucines mon vieux, comme le pauvre bougre qui a écrit ça sur le mur de sa cellule. Encore un Racontar Prétentieux qui s’est pris pour un poète. »

Chazuro, vexé, se mura dans un profond silence tout le long du trajet, mais ne quitta pas du coin de l’œil ce loup qui, depuis maintenant trois jours, les accompagnait. Il aurait pu jurer que c'était cette même lueur étrange qu'il avait aperçu dans le regard de l'animal la fois précédente et qui lui donnait une drôle d'impression qu'il n'avait pas su définir. Pourquoi Astrae refusait-il de le croire ? Etait-ce la différence de grade qui commençait à fissurer leur confiance mutuelle ? La petite troupe brâkmarienne arriva sur leur lieu d’intervention. Le but de leur mission était de tendre un piège à trois hauts gradés bontariens au moment de leur débarquement. Astrae désigna à chacun son poste. Chazuro suivit à contre-cœur les indications : il aurait préféré être à l’abri d’un feuillage plutôt qu’au milieu de serpentins, tapi derrière ce buisson...Ces vicieuses petites bestioles lui avaient laissé un cuisant souvenir par le passé...Essayant de se concentrer sur ses instructions, il fit le point dans sa tête sur les événements à venir... Etre attentif au moindre mouvement dans le ciel... Dès qu'ils arrivent, je lance le signal et on leur fait leur fête à ces bontariens... Ne t'approche pas de moi, sale petite vermine rampante !... Des hauts gradés, ce ne sera pas les premiers que j'affronterai, ça devrait aller... Et c'est ainsi que l’attente commença.

Au bout d'une heure, les cinq démons étaient toujours en place. Le ciel s’assombrissait de plus en plus, les nuages formant d'énormes volutes d'un gris menaçant, et la chaleur devenait étouffante, un orage se préparait en cette fin d’été. Chazuro leva le regard et sentant les premières gouttes de pluie sur son visage, aperçut au loin le ballon brigandin qui amorçait sa descente. Il avertit immédiatement ses compagnons et se prépara au combat. Il dégaina alors son épée et s’entailla le bras : comme tout bon Sacrieur, il avait besoin de souffrir pour être efficace. Près de lui, Astrae frémit. Depuis qu’il connaissait Chaz’, il ne s’était jamais habitué à cette débauche de souffrance et de douleur. A leurs côtés, l’Eniripsa, l’Osamodas et le Xélor étaient eux aussi prêts à bondir sur les voyageurs bontariens. A l'affût du moindre geste de leur ennemi, les sens en alerte, en cette seconde, ils ne marchaient plus qu'à l'instinct, ce subtil mélange de rage envers leurs adversaires et de crainte de se faire tuer bouillant dans leurs veines. Astrae était fier de ses compagnons, des guerriers loyaux et féroces comme l'on n'en rencontrait pas souvent.

Tout d’un coup, sur le chemin en contre-bas, des bruits de troupe retentirent. Bonta avait dépêché un bataillon pour escorter les trois hauts gradés en lieu sûr.

« Quelle merde, comment on fait nous ?? A cinq contre trois, la mission était relativement simple, mais contre quinze bontariens dont trois auréoles, ça devient impossible, marmonna le Xélor.
- Cesse donc de te plaindre, Swatchy ! On doit neutraliser les trois principaux, les autres on s’en occupe pas. Concentrons-nous sur l’objectif, rien que sur l’objectif ! gronda l’Osa.
- Drago a raison : on fonce ! Préparez-vous », ordonna Astrae.

La pluie devenait plus insistante, le ballon se posa et l’équipage sauta prestement au sol pour amarrer l’aéronef. Leurs pieds eurent à peine le temps de frôler le sol qu'Astrae lança le signal de l’attaque. Les cinq démons jaillirent de leur cachette en hurlant, foncèrent vers le ballon…et s'arrêtèrent net, pris au dépourvu par ce qu'ils voyaient. Le grand Iop ne comprit que trop tard la réaction de ses compagnons : tout cela n’était qu’un piège ! Une garnison entière de Bontariens débarquait et il n’y avait aucune trace des trois hauts gradés...

Il était trop tard pour reculer. Une fois l’assaut lancé, impossible de s’échapper ! Les bontariens, avaient immédiatement fait volte-face et paraient déjà les coups de marteaux de Swatchy et Drago. L’effet de surprise avait été nul, tout se passait à l’envers, mais malgré tout Astrae bondit en première ligne et commença à décimer les rangs ennemis. C'est de ma faute, c'est moi qui les ai conduit dans ce traquenard, à moi de les en sortir...Il transperça de part en part le corps de son adversaire avec une fureur inimaginable... Comment j'ai pu me faire avoir comme ça ?.... Il esquiva de justesse, une pointe de flèche entaillant légèrement son flanc. Il eût à peine le temps de repérer au loin l'archer ennemi qu'une Harcelante fendait déjà les airs en sa direction et l'atteignit de plein fouet. Il chercha alors les siens du regard, espérant qu'ils arriveraient à s'en sortir...
Du côté bontarien, les troupes s’organisaient, les enis en retrait psalmodiaient leurs formules soignantes et revitalisaient les guerriers touchés par Chazuro et ses amis.
« Raah c'est pas vrai ! Ils guérissent à vue d'oeil ! pesta Swatchy.
-A ta gauche !!! » cria Chaz'. Le Xélor tourna la tête juste à temps pour voir une hache s'abattre sur lui. Il était trop tard et il se préparait à prendre le coup....mais rien ne vint. Il s'aperçut alors que Chaz' avait pris sa place au dernier moment. La lame incisa profondément le torse du Sacri qui, jetant un coup d'oeil à sa blessure, releva lentement la tête, une lueur étrange mêlant rage et satisfaction dans le regard. Il la connaissait très bien cette hache. Et la Pandalette qui la maniait, encore mieux.
« Sénécia ! Toujours contrariée, on dirait ? »
Sentant ses forces se décupler, il s'élança sur elle... et reçut son souffle alcoolisé en pleine figure, le forçant à reculer.
« Contrariée ? Non. Juste envie de te pulvériser : la routine quoi ! » dit-elle en faisant de nouveau siffler sa lame étincelante dans les airs. Chaz' contra avec son épée et prit le dessus sur son adversaire déchaînée. Le sang qui coulait de sa poitrine le stimulait et se battre contre Sénécia avait ce goût de défi dont il raffolait.
« Bon ben je vous laisse batifoler hein ! Cette grosse touffe verte pleine de ronces est en train d'assommer Drago » dit Swatchy en s'élançant en direction de l'Osa.
Le Sacri profita de ce bref moment de distraction pour asséner un violent coup de pied dans le ventre de la Pandalette, la projetant au sol.
« Oh Séné...tu te laisses faire, là !
-Minable petit sacrieur ! » dit-elle en se relevant prestement et fonçant sur lui.
Un éclair de satisfaction transparut sur son visage lorsqu'elle vit qu'elle l'avait atteint au bras.
« Touché ! Mais... j'en ai un deuxième, hé hé !, dit-il en basculant son épée dans sa main gauche et fendant les airs à quelques millimètres de son adversaire. Il jouait les fanfarons pour la distraire et ne pas lui accorder le plaisir de le voir souffrir mais sa blessure au bras n'avait rien de comparable à celle qu'il s'était faite lui-même auparavant. La hache de Sénécia, il le savait, avait une sorte de double effet et faisait de sérieux dégâts tout en soignant son porteur. Ce qui avait d'abord renforcé sa vigueur était maintenant en train de l'affaiblir lentement et Acinra était introuvable. Il fallait en finir...

De son côté, Astrae était toujours aux prises avec le Crâ.
« Acinra !!!! » hurla-t-il, la douleur provoquée par ses blessures se faisant de plus en plus vive. Mais l'énie, devant également se défendre des attaques bontariennes, avait du mal à tenir ses compagnons d’arme en vie. A peine avait-elle le temps de dire un Mot, qu'elle se faisait assaillir.
« Tant pis, va falloir se débrouiller seul ! », se murmura le Iop à lui-même.
Des nuages menaçants commencèrent alors à s'amasser au-dessus du Crâ, devenant de plus en plus noirs au fur et à mesure que la puissance d'Astrae montait. L'archer banda son arc. La flèche et la foudre explosèrent à l'unisson, provoquant un éclair aveuglant de part et d'autre des deux camps.
Chaz' secoua la tête pour chasser la multitude de petites étoiles qui dansaient devant ses yeux. Quand il les rouvrit, Sénécia qu'il tenait en joue quelques secondes plus tôt, avait disparu ! Il jeta un regard alentours d'un air pensif... Mais qu'est-ce que...Il savait qu'elle aurait eu au moins cent fois le temps de le tuer en profitant de sa désorientation passagère. Où était-elle passée ? Les affrontements avaient repris de plus belle et il dût remettre ses interrogations à plus tard.

La bataille durait depuis un bon moment maintenant. La furie des Brâkmariens permettait d’équilibrer ce combat inégal, quand un élément inattendu vint tout faire basculer. Chazuro, aux prises avec deux Ecaflip, entendit un hurlement. Acinra s’écroula sur le sol, une dague plantée dans le dos. Une sramette était apparue de nulle part pour l’assassiner. Le combat bascula irrémédiablement. Notre Sacrieur résistait du mieux possible, Drago et Swatchy succombèrent ensemble sous les coups de bâton du grand Sadida. Chazuro cherchait Astrae du regard et le trouva enfin sur sa droite combattant avec toute l’habileté et la dignité d’un Iop. Au moment où il allait le rejoindre pour unir leurs forces dans un dernier espoir, un Ecaflip lui asséna un coup sur la tête. Sa vision sombra…
Chapitre 2 :

De petites étincelles éblouissantes dansaient dans les airs... Lentement, Chazuro tentait d’ouvrir ses yeux. Les étincelles piquaient et brûlaient : une lumière blanche l'aveuglait et il ne savait pas du tout où il se trouvait. Ça y est, je suis mort !!... Hmm non... Il reprenait petit à petit conscience de son corps et surtout de la douleur courant dans ses membres. D'abord un léger fourmillement qui s'était ensuite transformé en un milliard de piqûres puis en une douleur sourde qui, partie de son torse, s'était généralisée dans tout son corps, comme si plusieurs personnes en même temps l'assénaient de coups.


« Que pensez-vous du rapport de nos espions ? Etrange, n’est-ce pas ?
- Oui, je l'ai lu tout à l'heure : on croirait une histoire de panda ivre ! Je ne comprends pas comment cela a pu se passer. J’espère que nos deux survivants pourront nous éclairer…
- Je n’en suis pas sûre, ils sont inconscients depuis trois jours maintenant... leur état est préoccupant.
- Ce qui est encore plus préoccupant, c'est comment nous allons justifier tout cela auprès de la population brâkmarienne. Nous avons perdu des éléments précieux lors de ce regrettable affrontement.
- J'avoue que j’aimerais comprendre... Nous nous sommes fait totalement berner ! Enfin... ce qui me réjouit, c’est que mon frère doit être tout aussi surpris que nous de cette fin si…
- Je crois qu’il bouge !
- Ah enfin… »


Chazuro arrivait enfin à réaliser où il se trouvait : cette grande salle...c'était l’infirmerie de Brâkmar ! La seule pièce de la ville munie de grandes fenêtres permettant à la lumière de rentrer. Le fracas des armes…As’ , où est As’ ?? Sénécia... pourquoi était-elle là… ah ma tête !! mais pourquoi je suis encore vivant... Les idées fusaient dans son esprit mais il n’arrivait pas à se concentrer, la douleur était trop forte.
Enfin, il aperçut au pied du lit, sur lequel il était allongé, deux personnes bien connues de Brâkmar et même du monde des douze. Oto Mustam et Emma Sacre !

Oto Mustam, chef de la milice de Brâkmar, était le formateur de tous les démons novices. C'est à lui que Chaz' avait apporté les premières dagues de boisailles qui avaient fait du jeune Sacri un Brâk'. Ce dernier s'en souvenait comme si c'était hier... En effet, difficile d'oublier ses yeux couleur sang qui, s'ils avaient été des éclairs, vous aurez foudroyé sur place. C'était quelqu'un d'imposant. Non pas qu'il était particulièrement grand ou charpenté, mais il dégageait quelque chose, une sorte d'aura qui lui donnait de l'autorité et forçait le respect chez ses congénères. Il s'était illustré de nombreuses fois dans des combats d'une rudesse implacable et en était toujours ressorti vainqueur, la lame de son épée plus rouge encore que son armure, tant elle avait fait coulé le sang de ses ennemis.


Emma Sacre, quant à elle, était une grande Iop facilement reconnaissable à son chapeau de Crocodaille Dandi. Nés dans une des plus riches et puissantes familles du monde des douze, son frère Thomas et elle avaient décidé de relancer la guerre entre Bonta et Brâkmar. En effet, les jumeaux prisaient une forme sauvage de combats, préférant les traques, l'espionnage, les sabotages et embuscades sanglantes en tout genre, avec récompenses à la clé, qui caractérisaient les guérillas plutôt qu'une grande guerre en bonne et due forme et rangs organisés. Ayant chacun choisi un camp, Brâkmar pour elle, Bonta pour lui, ce qui n'était au départ qu'un jeu pour eux s'était transformé, au fil des victoires et des défaites, en une véritable haine de l'autre, une soif de carnage qui ne semblait pouvoir être étanchée. Emma se distinguait par sa grande maîtrise au combat et ses remarquables capacités de décision pour lesquelles elle était reconnue dans tout Brâkmar. Mais malgré tout, Chazuro n'avait jamais réellement admiré ses états de fait. Pour lui, être démon était une vocation, un honneur. Certains mouraient pour défendre leur peuple, c'était loin d'être un divertissement où l'on comptait les points...


« Ah enfin, jeune homme, vous ouvrez un œil ! Je pensais les sacrieurs beaucoup plus résistants, ironisa Emma. Vous pouvez parler ?
- Difficilement... souffla Chazuro.
- Ça suffira dans un premier temps. Alors que s’est-il passé au village brigandin ? Racontez-nous votre version. Vous comprendrez que celle de nos espions ne nous suffit pas dans pareille situation. »


Le Sacrieur essaya de faire un rapport cohérent à ses supérieurs, il parla de l’attente, de l’arrivée du bataillon, du piège tendu par Bonta, de la mort du soignant de la troupe Acinra et de l’immense trou noir dans lequel sa mémoire semblait s’être échappée. Oto et Emma approuvaient, opinaient du chef, parlaient entre eux et à la fin du récit, un silence pesant s’insinua. Le chef de la milice de ses yeux rouges semblait scruter le survivant pour trouver une faille ou un mensonge. Chazuro comprit que quelque chose clochait : il était en vie et ce n’était pas dans les habitudes des Bontariens de laisser des survivants après avoir gagné une bataille. Que s’était-il donc passé ? Emma rompit enfin le silence.
« Tu me sembles honnête, ce qui est même inquiétant pour un Brâkmarien…Je vais donc compléter ton histoire. Nous avons reçu hier, au crépuscule, un rapport par corbac de nos espions infiltrés à Bonta. Il règne là-bas une certaine agitation depuis l’escarmouche du village brigandin. Des guerriers sont revenus du lieu de la bataille et, au lieu de crier victoire comme à leur habitude, ils avaient l’air effrayés et abattus. Il se raconte partout qu’au moment d’achever un grand Iop, chef de troupe, et un Sacrieur, une meute de loup a surgi de nulle part et les a mis en déroute… »
Chazuro n’eût aucune difficulté à dissimuler son étonnement, tellement son visage était crispé par la douleur. Encore ces loups… étrange d’en croiser autant en si peu de temps, surtout s’ils me sauvent la vie… j’en parle à Emma ou je le garde pour moi ?? Difficile de choisir... j’en parlerai à Astrae, apparemment il est vivant… c’est une bonne nouvelle !
Emma continuait son récit.
« … Tout cela nous paraît étrange. Vous êtes tombés dans un piège dont nous n’avons pas eu vent. Ça signifie que les espions de Bonta sont bien mieux introduits qu’on ne l’imaginait. Et cette histoire de loups rajoute beaucoup de mystère à cette affaire... Votre compagnon Iop, quant à lui, ne va pas beaucoup mieux que vous, mais il s’en sortira. Reposez-vous et essayez de vous rappeler d’un maximum de détail. »


Oto et Emma se retirèrent et laissèrent Chazuro qui, perdu dans ses pensées, ne tarda pas à plonger dans un profond sommeil.


Trois jours après, le Sacrieur allait beaucoup mieux. Ses blessures avaient entamé leur résorption et il commençait à marcher doucement dans l’infirmerie.
« Attention Mr Chazuro ! Ne vous éloignez pas trop...Vous savez que vous devez éviter de vous fatiguer !
-Promis ! » répondit-il en esquissant un léger sourire que la douleur transforma rapidement en grimace. Nosire était son infirmière préférée.... Il fallait bien un point positif à être coincé dans cet endroit sans pouvoir bouger ! Il avait d'ailleurs depuis compris la présence des fenêtres : pouvoir apercevoir l'extérieur aidait à supporter l'enfermement ou bien donnait envie de se jeter à travers pour fuir....c'était selon l'humeur !
Différents rideaux étaient suspendus à travers l'immense salle pour délimiter les différentes zones de l'infirmerie et donner un peu d'intimité aux malades. Après avoir traversé ce qui ressemblait à un petit salon où les moins mal en point pouvaient se retrouver pour discuter et passer le temps, il arriva dans une zone moins animée, où les lits s'alignaient de part et d'autre de l'entrée : la section des blessés graves qui n'avaient pas encore récupéré. Quelques jours auparavant, il y avait retrouvé Astrae, qui, lui, restait encore au lit. Son combat contre le crâ et un sadida avait laissé des traces et une poupée du grand poilu lui avait gravement endommagé la jambe. Jusque-là, ils avaient parlé de choses et d’autres, évitant soigneusement le sujet du village brigandin. Mais Chazuro finit par lancer le sujet.


« Emma et Oto m’ont interrogé sur le guet-apens du village brigandin. Ils sont inquiets et pensent que des espions sont infiltrés dans le haut commandement de notre cité.
- Je n’ai eu aucune visite pour le moment. On a été pris au piège, c’est tout, y'a rien à dire de plus. »


Le Sacri prit alors le temps de lui rapporter sa conversation avec Emma, mentionnant son air suffisant qui l'agaçait, et insista sur le sauvetage par les loups.


« Des loups ? Encore ? » Astrae lut tout de suite dans le regard de son compagnon. « Ah non ! Ne me ressors pas ta théorie du loup blanc protecteur, c'est totalement absurde. Un loup est un prédateur : il ne protège pas, il chasse. Je reconnais que celui de l'autre jour était étrange. Je ne comprends toujours pas comment nous avons pu le perdre ni même ce qu'il faisait là. D'habitude, ils n'approchent pas d'aussi près. Mais à part ça...
- Mais tu oublies celui qui nous suivait un peu avant qu'on se fasse ratatiner …. »
Astrae tiqua en entendant ce mot. Cet affrontement lui avait peut-être laissé plus de séquelles qu'il ne le pensait...
« Si des loups sont intervenus et ont repoussé les Bontariens, nous épargnant la vie par la même occasion, ça n'est pas une coïncidence ! Je pense qu'ils ont été avertis par celui qui nous suivait...ou bien ils nous suivaient tous, j'en sais rien ! Mais c'est sûr que quelque chose s'est tramé dans l'ombre à notre insu et... ça nous a sauvés... »
Le Iop connaissait bien cette lueur dans le regard de Chaz'.
« Tu penses vraiment ce que tu dis alors ?
- Oui, répondit le Sacri d'un ton ferme et résolu.
- Et tu penses que c'est lié à ce qu'il s'est passé l'autre fois dans la Tour ?
- Oui et aussi au texte qu'on a trouvé gravé dans la cellule, sur les Frozen Tears. »
Astrae se tut une seconde. Il avait confiance en son ami : s'il était convaincu comme ça de ce qu'il disait, c'est qu'il y avait sûrement du vrai dans tout ça... enfin du moins dans son raisonnement !
« Dans ce cas, il va falloir enquêter et tirer ça au clair. On va tirer parti de la situation, qu'on se soit pas fait estropier pour des clous ! dit-il en lançant un regard complice à Chaz'.
- Ah ! Là je te retrouve, mon Iop ! J'avoue que je me posais des questions depuis quelques temps mais là, tu me donnes envie de partir à l'aventure tout de suite ! »


Astrae esquissa un sourire un peu crispé... Son entrée dans l’ordre des guerriers et celle simultanée de Chazuro dans l’ordre des espions les avaient effectivement éloignés. Mais cette amitié teintée de complicité lui manquait. Peut-être que cette intrigue leur permettrait de renouer ces liens.


Les semaines passant, Astrae et Chazuro se rétablissaient, et même s’ils étaient encore cantonnés à la milice, ils échafaudaient leurs plans et surtout sentaient l’agitation qui régnait à Brâkmar. Il y avait eu de nouvelles escarmouches violentes et Bonta en était toujours sortie vainqueur.
Ce soir-là, les deux compagnons étaient allés se coucher, bon gré mal gré, interrompus dans leurs complots par l'infirmière refusant de transiger sur le couvre-feu.
« Bon on finira de réfléchir à tout ça demain alors...
-Oui, oui bien sûr ! Demain..., répondit Chaz' en insistant bien sur ce dernier mot d'un air amusé. On se retrouve dans une heure au petit salon, ok ? », chuchota-t-il discrètement à Astrae. Ce dernier acquiesça d'un clin d'oeil et ils se séparèrent.
Quarante minutes plus tard, le Sacrieur tournait et retournait dans sa tête l'ensemble des événements de ces dernières semaines. Qui aurait cru ? Oh remarque, ça serait pas la première fois que je me retrouverais dans une situation abracadabrante... On est démon ou on l'est pas !...Sauf que là, ça surpasse tout ce que j'ai vu jusqu'à présent...
Soudain un énorme grondement le tira de ses pensées, faisant tout vibrer dans la pièce. Un deuxième...puis un troisième...Les malades commençaient à se réveiller et les soignants à affluer pour vérifier que tout le monde allait bien et gardait son calme. Chazuro aperçut Astrae qui arrivait. Leurs regards se croisèrent l'espace d'une seconde et ils se dirigèrent tous deux vers l'une des fenêtres, rapidement rejoints par d'autres. Le ciel était bardé d'éclairs, d'étincelles qui jaillissaient au loin, bien au-delà des landes.
« A ton avis ? demanda le grand Iop.
-Ça m'a l'air d'être pas loin de la côte...
-Les Dopeuls, tu crois ?
-Hmm oui peut-être... répondit Chaz', le visage assombri.
-Mais le territoire des Dopeuls est à plusieurs centaines de kilomètres d'ici ! s'exclama l'un des malades qui les avait entendus.
-Oui et c'est bien ce qui me préoccupe...répliqua le Sacrieur. L'affrontement doit être au-delà de l'imaginable pour que cela résonne jusqu'ici... ». Le silence se fit dans la pièce. On entendait plus que le grondement menaçant au loin qui annonçait à lui seul de terribles nouvelles à venir...


« Etrange ambiance » Chazuro et Astrae était attablés dans la cantine de la milice, une bonne odeur de wabbit grillé emplissait l’air. Les nouvelles de la veille étaient effectivement plus que mauvaises. Selon le rapport dont deux soldats leur avaient fait part, Bonta avait encore eu le dessus. Il y avait eu des pertes considérables dans les deux camps mais selon leurs dires, ce qui avait fait irrémédiablement basculé l'affrontement du côté bontarien, avait été l'intervention particulièrement virulente d'une Pandalette qui s'en était pris directement au commandant des troupes. Et sans commandant...le sort de la bataille en était alors pratiquement scellé... Bonta dominait à présent les territoires Dopeuls...
« Il faudrait tous les enfermer et les torturer ! On leur arracherait les tripes jusqu'au dernier, à ces maudits Bontariens ! s'emporta l'un des deux soldats.
- Ouais !!! approuva son comparse en criant à travers la pièce, bientôt suivi par d'autres, hurlant en coeur.
- La tension monte, dit Astrae à Chaz' en s'éloignant un peu des deux déchaînés.
- Demain, on aura enfin le droit de se promener dans la ville. Ça fera du bien, j’ai les jambes qui me démangent !
- Et surtout hors de la ville ! Vu l'état actuel des choses, il ne faut pas traîner. Je veux retourner voir la cellule à Gisgoul, essayer de comprendre un peu mieux l'histoire qui y était gravée.
- Nous avons tellement de choses à comprendre... Ce qui me perturbe énormément, c’est la présence de Sénécia au village brigandin... et maintenant aux Dopeuls !…
- Ah Sénécia… c’est vrai que cette mercenaire se retrouve toujours sur notre chemin, mais la voir du côté bontarien est surprenant, en effet. »


Sénécia était une Pandalette qui avait souvent posé problème à nos deux amis. Faisant partie du clan des Mercenaires, elle offrait ses services à celui qui payait le plus. Ils l’avaient donc croisée régulièrement lors de missions à Amakna ou dans les tavernes. Suivant les situations, elle était tantôt amicale, tantôt hostile, mais leurs rencontres se finissaient toujours par une bagarre de comptoir ou bien un défi. Ce qui surprenait tant Astrae, c’est qu’elle avait toujours laissé transparaître une aversion pour la chaste Bonta tandis qu'une préférence pour la vile Brâkmar se faisait sentir. Et la retrouver si ouvertement dans le camp bontarien n’augurait rien de bon pour leurs prochaines rencontres...


Le lendemain, sortant enfin en ville, nos deux amis commencèrent leurs préparatifs. L’expédition dans la tour se ferait de nuit car ils ne voulaient pas se faire remarquer et surtout devoir rendre des comptes à Emma Sacre. Le soir-même, deux de leurs amis étaient de garde : Gibs, aux portes de la ville, et Jaken, à la tour de Gisgoul. Il fallait donc profiter de cette occasion pour se faufiler hors de la ville jusqu’aux oubliettes de la Tour. Pour le moment, Chazuro et Astrae devaient aller récupérer leurs armes à la forge. Ils se dirigèrent donc dans cette direction.


Sur le chemin, ils croisèrent peu de monde mais leur lieu de destination était quant à lui fourmillant d’activités. La forge de Brâkmar, véritable cœur de la ville, était scindée en deux parties : l'une pour le touriste, le simple badaud, propre et soignée, incitant à acheter, l'autre destinée uniquement aux Brâkmariens, aux démons. Chazuro activa le levier pour accéder à ce lieu réservé et Astrae le suivit pour descendre au sous-sol par un escalier dérobé que la gigantesque armoire avait découvert. Le bruit assourdissant des marteaux tapant l’enclume et l’odeur du fer chaud s’amplifiaient au fur et à mesure de leur descente. La véritable forge de Brâkmar était au cœur du monde souterrain, au plus près de la lave en fusion et du sanctuaire du grand Rushu. Chazuro aimait cette ambiance particulièrement étouffante lui rappelant la furie des combats. La chaleur ne le gênait pas, au contraire ! La sueur luisante sur son torse nu faisait saillir ses muscles et ses cicatrices. Astrae, lui, n’était pas à l’aise... Il avait chaud et son habit de Iop le collait de partout. Un forgeron vint à leur rencontre et s’adressa à Chazuro.
« Alors mes mignons, que puis-je faire pour vous aider ? rugit-il pour couvrir le bruit.
- Nous venons chercher nos armes, elles ont été déposées ici par Oto Mustam. Il s’agit….
- PAUSE GENERALE ! hurla le maître forgeron. Nous avons parmi nous les Survivants ! »
Le silence se fit, seul le grondement de la terre persistait. Chazuro et Astrae se regardèrent, ils ne savaient quoi penser. Les Survivants ? leur histoire était-elle si connue ? et si oui, jusqu’à quel point ?


« Allons, braves guerriers, racontez-nous votre victoire sur les troupes bontariennes et surtout comment vous avez réussi à dompter une meute de Croc-Glands pour vous aider dans vos batailles. Emma nous a dit que vous étiez des héros de guerre. »


Nos deux amis étaient sous le choc. Chazuro sentit la colère monter en lui. Emma se servait d’eux pour calmer la ville, éviter les déserteurs et motiver les troupes. Pour l’ensemble de la milice, ils étaient les héros, la solution à la guerre, eux et une armée de Croc-Glands. Voila pourquoi on avait fait durer leur convalescence un maximum ! Pour que le bruit court, que la rumeur se répande jusqu’à Bonta via les espions, faire changer la peur de camp ! Chazuro savait la fille Sacre retorse mais se faire manipuler à ce point, ç’en était trop ! Il fît demi-tour et partit en courant en direction de la milice. Il voulait une explication !
Astrae se retrouva démuni face aux forgerons. Il balbutia des excuses et des remerciements, récupéra les épées qu’un commis avait apportées et s’enfila à la suite de son ami. Il le rattrapa en pleine rue juste devant la milice.
« Où tu cours comme ça ?
- Je vais régler mes comptes avec cette peste d’Emma.
- Arrête, c’est idiot ! répliqua Astrae en le tirant par le bras. Tu vas faire quoi ? Lui parler ? La frapper ? Pour t’avoir mué en héros ?
- Oui ! Elle nous manipule et j’aime pas ça ! Son simulacre de guerre aura bientôt fait plus de dégâts que les grandes guerres de nos ancêtres.
- Et alors ? On a décidé d’enquêter sur le loup, non ? Alors profitons de notre « notoriété » pour faire parler les gens et visiter divers endroits.
- Oui, tu as peut-être raison…
- Et si on doit partir loin de Brâkmar, dans Amakna ou même Astrub, pour trouver l’origine de ce loup, je suis sûr que cette Emma que tu détestes tant sera très heureuse de ne plus nous avoir dans les pattes pour diriger la ville à sa manière.
- C’est vrai, c’est vrai... acquiesça notre Sacrieur.
- Et en plus, tu allais partir, sans arme, te battre contre une des meilleures guerrières de la ville !» plaisanta Astrae en tendant sa grande épée à son ami.


Le crépuscule arrivait, Chazuro et Astrae avait patienté tranquillement jusqu’à ce moment-là dans une taverne excentrée de la ville. Il était maintenant temps de se mettre en route vers les lourdes portes à l’Est de Brâkmar. Ils avaient convenu d’un code avec Gibs, un jeune feca, pour sortir facilement de la ville.


« OoOoOoOOo Gibs OoOoOOo, hulula Chazuro.
- OoOOooOOo, répondit une voix dans la nuit.
- Allons-y, la route est libre ! » souffla Astrae.


Nos deux amis se faufilèrent hors de la ville, tout en faisant un petit signe de la tête à Gibs qui patrouillait sur le haut du rempart. Ils se trouvaient maintenant dans le cimetière des Torturés.
« Plus qu’à sortir de là par le Nord et droit sur Gisgoul, dit Astrae en accélérant le pas.
- Doucement ! Je voudrais pas me faire attaquer par des fantômes ! J’ai encore mal au bras et le combat prendrait beaucoup trop de temps avec le bras gauche » répliqua Chaz'.


La traversée du cimetière se fit sans encombre. Astrae sentait la bonne humeur de Chaz revenir. Être là ensemble, unis dans une même galère, lui rappelait leurs toutes premières missions ordonnées par Oto Mustam. La plus marquante avait été une chasse aux dents de bouftou. Ils en avaient ramené une de trop en pensant bien faire mais Oto, de mauvais poil ce jour-là, les avait renvoyé en Tainéla faire un travail propre et exact. Cette expédition avait été une bonne tranche de rigolade et de course-poursuite avec les gentils bouftous, le tout armés d’une pince de dentiste !
La Tour était enfin en vue, Jaken aussi. Il les attendait patiemment devant l’entrée de l’édifice. Cet osa était un guerrier expérimenté, habitué des joutes contre les Bontariens. Il avait été le chef de la première expédition de Chazuro et Astrae. Il les avait dirigés et aidés de son mieux pour leur apprendre les bases de survie et de combats en groupe. Depuis, ils lui vouaient une grande reconnaissance et une franche amitié.
« Enfin vous voilà ! J’ai failli commencer une partie d’échec avec mon craqueleur tellement vous êtes en retard.
- Désolé, on se promenait sous le clair de lune !
- Je vois ça, toujours en couple alors ?
- Ouai ouai bien sûr, qu’est ce que tu crois ? on s’aime à la folie ! Bon et sinon tu nous ouvres ?
- Bien évidemment ! J’ai pas attendu la moitié de la nuit pour rien. Bonne visite les jeunes ! Et si je pose pas de questions, c’est pour pas me faire attaquer par votre armée de Croc-Glands enragés, plaisanta Jaken.
- Merci, » maugréa Chazuro que l’humour sur cette histoire avait encore du mal à faire rire.


D’un pas de plus en plus pressé et fébrile, nos deux compères se dirigèrent vers les cellules du sous-sol. Mais stupeur en entrant dans la cellule ! Il n’y avait plus l’inscription sur le mur ! Un flocon de neige était gravé à l’endroit exact du récit.
« Quelle est encore cette magie ?
- Je n’en sais fichtre rien. On s’est trompés de cellule ?
- Non je ne crois pas. Je reconnais la paillasse, ainsi que les autres graffitis sur la paroi.
- Hey les gars, venez vite ! Vite ! J’ai besoin d’aide ! » cria Jaken du haut de l’escalier menant au sous-sol.
Astrae et Chazuro remontèrent quatre à quatre la trentaine de marches et tombèrent sur Jaken, aussi pâle que les ailes d’un Bontarien.
« Euh… je plaisantais sur les Croc-Glands, je voulais pas vous vexer…
- Quoi ?
- Là dehors, votre meute, elle fait vraiment peur… »


Astrae entrouvrit la porte. Une grande meute de Croc-Glands se tenait devant l’entrée. Elle semblait obéir à un immense loup blanc qui, en voyant Astrae et Chazuro apparaître, la dispersa. Il s’approcha alors, se lécha les babines et se volatilisa dans la nuit.


« Vous me faites peur, les gars ! Votre histoire de bataille avec les Croc-Glands et puis maintenant ça ! Il se passe quoi exactement ? La défaite aux Dopeuls a beaucoup affaibli Brâkmar à ses frontières mais si vous avez les Crocs avec vous, on peut gagner ! »


Chazuro ne répondit rien, Astrae non plus. Ils saluèrent vaguement Jaken puis retournèrent vers Brâkmar… perdus dans leurs pensées.
/HRP

N'hésitez pas à me faire parvenir vos avis, ça m'aidera pour la suite et surtout m'encouragera à publier la suite!

Bonne lecture

/HRP

Chapitre 3

Voilà deux jours que Chazuro et Astrae avaient quitté Brâkmar. Après cette nuit étrange à la Tour de Gisgoul, les événements s'étaient précipités. Nos deux amis s’étaient rendus à la bibliothèque de la ville dans l’espoir de trouver des renseignements sur les Frozen Tears.
« Jeunes hommes, que puis-je faire pour vous aider ? » dit une voix sortie de nulle part sur un ton timoré. Tout d'un coup, ils virent un vieil hibou s'avancer vers eux. Vêtu d'un long manteau traînant par terre et de petites lunettes bien incrustées sur son bec, Jean-Sol Patre, le bibliothécaire de la ville semblait intrigué par l'intrusion de nos deux amis dans ce lieu on ne peut moins fréquenté. Aussi poussiéreux que ses livres...pensa Chazuro. Astrae expliqua au vieillard qu'ils cherchaient des renseignements sur les légendes du monde des douze et le Stabilisateur. Aussitôt le visage du hibou s'éclaira et il troqua son ton hautain pour un autre, beaucoup plus amical !
« Ah par ici mes amis ! Dans la section 8, allée 4 ! Venez, je vais vous montrer. » Les deux compagnons revinrent ainsi les bras chargés de livres de toutes tailles et de toutes formes. Ils s'installèrent aux gigantesques tables dominant le centre de la salle et se plongèrent dans l'histoire de leurs ancêtres...
Quelques heures plus tard, nos deux amis commençaient à se décourager. Les livres, même s’ils parlaient de l’action de Maimane, ne mentionnaient en aucun cas l’existence des « Givrés ».
« Aaaah mais il fallait le dire plus tôt, voyons ! s'exclama Jean-Sol. Je vous aurais alors dit tout de suite que ce n'est pas là que vous pourrez trouver de telles informations ! Cela vous aurait évité un temps fou en lecture inutile... bien que la lecture n'est jamais par essence inutile, elle forge l'esprit et... Pardon je m'égare ! » un sourire penaud illuminant son visage. « Pour trouver des réponses à de telles questions, la bibliothèque d'Amakna est le lieu idéal, mes amis !
- Raah j'aurais dû être plus clair ! Amakna ?
- Oui, ils ont la plus grande collection de livres sur les clans, des plus célèbres aux plus méconnus ainsi que de très vieilles éditions sur les légendes perdues que l'on a préféré conserver là-bas. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais moi-même ! De plus, Harry Stote est un très bon ami à moi : dites-lui que vous venez de ma part, ça vous évitera de devoir gagner sa confiance pour qu'il accepte de vous montrer certains ouvrages rares. C'est vrai qu'il est très méfiant. Tous les hiboux le sont mais lui est vraiment....
- Bon... le coupa Astrae. Eh bien nous te remercions pour ton aide précieuse, Jean-Sol. Allons-y Chaz', on a perdu assez de temps comme ça.
- Bon courage ! Et n'hésitez pas si vous avez besoin d'autres informations ! » répondit le hibou en esquissant un clin d'oeil.
Il n'était pas si désagréable que ça finalement, ce bibliothécaire ! Il était même plutôt sympa ! C'est sur cette pensée que les deux démons repartirent se fondre dans la foule .
Et l'ambiance y était tout autre....Le bruit courait dans la ville que le village de Zoth, de la lointaine île d’Otomaï, était tombé sous le pouvoir des anges. Et encore une fois, une Pandalette était citée…
Nos deux amis n’hésitèrent pas longtemps. Ils voulaient des réponses. D’où venait ce loup blanc qui ne se cachait plus ? Quel était son lien avec les Frozen Tears ? Pourquoi Sénécia combattait-elle avec les troupes de Bonta ? Pour quelles raisons la guerre entre les deux villes s’intensifiait-elle autant ces derniers mois ? Les réponses à ces questions étaient hors de Brâkmar et il fallait parcourir le monde des douze. Chazuro et Astrae se préparèrent et partirent donc en direction d’Amakna.

Le voyage était lent : en temps de guerre, les zaaps étaient coupés et toutes les dragodindes de Brâkmar avaient été réquisitionnées pour partir au combat. Nos deux amis étaient donc à pieds, sillonnant les landes de Sidimote pour atteindre les montagnes Koalak et son village. Une fois là-bas, il y aurait deux choix : le nord et la forêt sombre, repère d’arbres ancestraux plutôt agressifs, ou l’est et les marécages infestés de crocodailles tout aussi hostiles.
Mais tout cela était encore loin et si les landes étaient un terrain familier pour Chazuro et Astrae, la montagne des Koalaks leur était encore inconnue.

De l’autre côté du monde... hmm... eh bien la ponctualité n'est pas de mise avec celui-là... Les gens affluaient dans tous les sens. Ce qui n'était pas plus mal : ça évitait de se faire trop remarquer.
« Feuilles de salace et cawottes à volonté, mesdames et messieurs ! 50 kamas de réduction pour 10 kg achetés ! »
Un livreur pressé surgit de nulle part en coupant la route.
« Eh !! Vous ne pouvez pas faire attention, non ?! »
Non mais pour qui il se prend celui-là ?! Grr... il mériterait que je lui fasse goûter de ma hache !
« Bonjour Mercenaire.
- Bonjour, sursauta Sénécia, qui n'avait pas senti l'ombre apparaître dans un coin derrière elle. Elle s'approcha de quelques pas, essayant encore une fois de percevoir un visage sous le capuchon de son mystérieux commanditaire.
- Votre mission est actuellement un succès : le village brigandin, le territoire des Dopeuls et le village Zoth sont maintenant bontariens. Tout cela est parfait...
- ...merci monsieur...
- ...mais rien n’est encore fini. J’ai soufflé aux Bontariens et à cet idiot de Thomas Sacre que Tainéla était indispensable pour leur guerre contre Brâkmar.
- Dans quel but ?
- Il ne vous est pas utile de le savoir pour l'instant. Vous allez les aider, votre force a l’air de les galvaniser. Mais n’oubliez pas ! Vous êtes à mon service, pas au leur...
- Absolument ! aquiesça la Pandalette.
- Je préfère être sûr... Comme convenu, voilà votre prime, dit l’homme en jetant une bourse à Sénécia. Le reste viendra pour la fin de votre mission. Laissez-moi maintenant. »

Sénécia se retira et reprit la route en direction d’Astrub et Tainéla… Etrange… La plupart des gens pour qui elle travaillait recherchaient la discrétion, elle en avait l'habitude. Mais dans le cas présent... Il ne me met même pas au courant du but de l'opération ! Je ne suis pas un pantin quand-même ! Quel est son intérêt dans cette guerre ? Pourquoi manipuler Bonta contre Brâkmar ?... Des plans tordus, elle en avait connus, mais des comme celui-là, jamais ! Oh et puis après tout, il me paye, je n’ai rien à dire... et puis ça m’occupe !
« Hiiiii !
-Aïe ! Lâche-moi, sale petite bête ! » La Pandalette, perdue dans ses pensées, n'avait pas remarqué qu'elle était arrivée dans le coin des Tofus. Et ces petites choses appréciaient rarement qu'on leur marche dessus ! Tout en continuant son chemin, Sénécia repensait au déroulement de ces derniers mois... Cette mission est plus longue que d'habitude... Des images du village brigandin et de Chazuro lui revinrent en mémoire... J’espère ne pas l’avoir trop amoché... ça serait dommage... non reprend-toi, on s'en fiche s'il est éclopé, c'est un ennemi après tout !... Mais il est vivant puisque des loups les ont sauvés… raah pourquoi je suis partie si vite en pensant la victoire acquise ?… Elle avait commis une erreur qui n'était pas dans ses habitudes... Mais des loups ! pfff avoir peur de loups !… et puis quoi encore ?! Ils valent vraiment rien ces soldats aux ailes blanches !… Il était craquant quand-même… oh allez, arrête Séné !… Elle ne devait surtout pas se laisser distraire par ce genre de futilité, surtout pas maintenant... Garder son calme et rester concentrée sur l'objectif...
Elle planta un grand coup de hache sur le côté, clouant une Arakne sur la souche d'un arbre.
« Je déteste ces bestioles ! Une fois mais pas deux ! » dit-elle tout haut en reprenant sa marche.... Et cette bataille des Dopeuls !… Elle avait bien fait d'attendre que le coeur du village soit ouvert pour prendre les démons à revers... Il paraît même qu’on a vu mes flasques explosives jusqu’à Brâkmar !... D'un air satisfait, Sénécia poursuivit ainsi sa route…

Chazuro et Astrae, pour leur part, étaient enfin dans la montagne Koalak. La végétation contrastait totalement avec celle des landes de Sidimote. Elle était luxuriante, d’un vert incroyable, pleine de fleurs. Le soleil baignait le tout dans une luminosité chatoyante et des plantes grimpantes tapissaient les parois rocheuses. Nos deux compères étaient éblouis par tant de beauté. La différence était flagrante avec Brâkmar et ses environs et la richesse des paysages du monde des douze les surprenait de plus en plus.

Tout d’un coup, des grands bruits de feuillage sur leur droite les firent sursauter. Un troupeau de dragodindes sauvages leur coupa la route, les renversant au passage. Celles-ci semblaient fuir à toute vitesse un féroce prédateur… Effectivement, quelques secondes plus tard, un Enutrof arriva par le même chemin. Il était tout rouge et totalement essoufflé.
« Pff Pff... courent trop vite ces oiseaux-là… pfff pfff... raah mon dos… pfff pfff... c’est plus de mon âge ce genre de sport….ah tiens, des touristes ! dit-il en remarquant enfin notre Sacrieur et notre Iop en train de se relever.
- Bonjour vieil homme, répondit Astrae
- Vieil homme ! Vieil homme ! Et puis quoi encore ! se rebiffa l’Enutrof. Je n’ai que 199 ans, jeune impertinent ! Et que faites vous par ici ? Vous êtes pas du coin et ça se voit ! Par les temps qui courent, afficher son appartenance à Brâkmar est chose risquée…
- Nous sommes fier d’être démons !
- Ouai ouai je vois ça, moi aussi ! Mais c'est pas pour ça que je me pavane de la sorte. Que venez-vous faire dans le coin, jeunes guerriers ?
- Nous allons en Amakna….
- A deux ? hmmm ça sent les déserteurs à plein nez, renifla le papy…Encore deux jeunes qui mériteraient un coup de pied dans le derrière de la part de Dimple ! maugréa-t-il dans sa barbe.
- Non non, nous ne sommes pas déserteurs, nous sommes à la recherche…. Chazuro fût interrompu par un grand coup de coude d’Astrae.
- A la recherche ? Vous cachez quoi ? Bon c’est pas grave… allez venez je vais vous passer des tenues moins voyantes. Un jus de palme, ça vous tente ? Au fait, je me nomme Taiky !

L’Enutrof tourna les talons et repartit à travers les arbres. Chazuro et Astrae lui emboîtèrent le pas tout en discutant à voix basse de ce qu’il fallait dire ou ne pas dire sur leur enquête. Ils décidèrent de parler à ce curieux vieillard des Frozen Tears et de la guerre. Taiky les mena jusqu'à une petite clairière, où se trouvait une maison en bois de kalyptus et un petit enclos.
« Suivez-moi ! »
Taiky s’engouffra dans la maison. Une grande pièce servait à tout : il y avait un grand lit, une table, des chaises, une penderie et un coffre fort. Il ouvrit l’armoire :
« Choisissez-vous une tenue discrète et pratique, moi je vais voir mes bêtes.
- Merci de votre aide…. »
Mais Taiky était déjà retourné dehors. Chazuro et Astrae fouillèrent l’armoire. Celle-ci regorgeait de trésors du monde entier : des tenues koalaks bien sûr, en fourrure d’un magnifique bleu azur, mais aussi des objets étranges à base de noix de coco et de grandes feuilles séchées, des casques plus travaillé en bois peint, mais aussi des armures Brâkmariennes des anciennes guerres. Au fond de l’armoire une boîte renfermait une impressionnante collection de badges de miliciens bontariens. A côté plusieurs chausses s’entassaient, une magnifique paire de sandales circulaires semblait être la seule utilisée régulièrement par Taiky. Finalement ils finirent par troquer leurs capes brâkmariennes contre des capes bleutées toutes simples. Une fois changés, ils sortirent de la maisonnette et trouvèrent leur hôte gesticulant devant son enclos. Debout, assis, râlant, lançant des bisous, vociférant, tapant dans les mains, il s’en donnait à cœur joie pour élever ses dragodindes ! Ces grandes montures de couleurs variées, résultant d'un étrange croisement, avaient constamment l'air hagard avec leurs yeux globuleux, ressortant excessivement de leur orbites, leurs grandes pattes d'autruche qui leur permettaient de faire de gigantesques bonds et leur grande queue de dragon, courbée comme si ce curieux appendice était trop grand et trop lourd pour elles à porter. Mais il ne fallait pas se fier aux apparences car au-delà de ça, c'étaient surtout d'excellents compagnons de route, d'une résistance incroyable et qui permettaient d'aller deux fois plus vite qu'à pieds ! A voir la façon dont le petit vieux s'agitait, on se doutait que ce n'était pas des animaux faciles à dompter. Mais une fois que c'était fait, il n'y avait pas plus doux et fidèle.
Taiky, entre deux mouvements, leur fit signe de s’asseoir. Il avait préparé le jus de palme promis, à l’ombre d’une sorte de grand palmier en pot.
« J’ai ramené ce Kokoko de l’île de Moon, juste pour me sentir en vacances. Agréable, n’est-il pas ?
- Oui, très ! répondirent en cœur Astrae et Chazuro, profitant pleinement de l’ombre salvatrice de l’arbre.
- Vous avez déjà été là-bas ? »
Ils commencèrent ainsi à discuter ensemble de tout et de rien. L'Enu donnait l'impression d'avoir vu tellement de choses du haut de ses presque deux siècles que cela suscitait le respect chez nos deux jeunes aventuriers. Comme pour ses dragodindes, il ne fallait pas se fier à l'allure : il avait sans nul doute été un très bon guerrier avant de se reconvertir dans l'élevage.
« Bon, d’ici 154 heures 32 minutes et 27 secondes, mes dindes devraient mettre bas. Je suis content, je vais pouvoir les vendre au marché !
- Vous en avez beaucoup ? demanda Chazuro.
- Un couple de chaque race, répondit fièrement Taiky. Enfin, sauf des Amandes qui m’ont encore échappé ce matin. Et encore, je ne fais pas de l’élevage intensif ! Mon enclos est trop petit : 4 places seulement ! J'ai confié les autres à mon ami Darkin qui habite dans le coin : il a une étable. Il me tarde que la guerre cesse et qu’Emma puisse enfin finir les gigantesques enclos au sud de Brâkmar. D’ici là, j’aurais assez d’économies pour me payer un enclos 12 places. Et une fois acheté, je serai le roi de la dinde !
- A propos de la guerre, repris Chazuro, vous en pensez quoi ?
- Hmmm difficile à dire... Bonta étend sa domination, mais le choix des territoires est surprenant.
- Comment ça ?
- C’est trop bien pensé pour ressembler à une idée de Thomas Sacre…
- Trop bien pensé ?
- Oui, généralement les affrontements ont lieu à Pandala pour la domination des villages. Alors que là, ils ont pris le village brigandin pour le transport, soit, mais pour les Dopeuls et les Zoths, il n’y a aucune raison apparente de faire autant de dégâts. Ce ne sont pas des zones si stratégiques que ça. Il doit donc y avoir un but caché. Mais si c’est caché, c’est pas Sacre. Il est trop prévisible et idiot pour avoir un objectif secondaire….A moins que ça soit sa bêtise, plaisanta l’Enu.
- Je comprends, dit Astrae.
- Je dois être un bon professeur pour que tu comprennes, jeune Iop, ironisa Taiky.
- Nous voudrions vous poser une autre question, continua Astrae, laissant passer la pique à son encontre. Il l'aurait bien assommé mais il voulait aller plus avant dans le sujet qui les intéressait vraiment. Avez-vous déjà entendu parler des Frozen Tears ?
- Les Frozen Tears ? répéta le vieil homme avec un regard mêlant à la fois stupeur et curiosité.
- Oui.
- Hmmm en voila une drôle d’idée…ainsi des gens connaissent encore cette ancienne légende… »
Astrae et Chazuro se redressèrent sur leurs fauteuils. Le silence se fit dans la forêt, comme si toute la nature environnante s'était figée d'un seul coup au son du nom des « Givrés ». Taiky, cet Enutrof rencontré inopinément, était la première personne qui semblait avoir déjà entendu le nom de Frozen Tears.
« Frozen Tears... murmura-t-il… que voulez-vous savoir ?
- Tout, répondit prestement Chazuro, impatient d’apprendre enfin quelque chose de nouveau.
- C’est un long récit, répondit Taiky, le regard malicieux, jouant de l’impatience qu’il avait provoqué. Mon grand-père me racontait une histoire quand je n’étais qu’un jeune Enutrof jouant avec son premier kama. Cette légende racontait la vie d’un clan sur un territoire gelé. Ils s’appelaient les Frozen Tears et prônaient une forme d’éducation, l’élite de l’élite, celle qui ne parle pas le Bwork... »

Plus aucun gazouillis d'oiseaux dans les arbres, plus de bruits des dindes se baladant alentours. Le temps semblait suspendu. L'humidité de l'air était presque palpable et l'on pouvait maintenant apercevoir des centaines de petits yeux luisant à l'ombre des Kalyptus les observer et écouter curieusement.

« C’était un clan valeureux qui, malheureusement, s’est éteint il y a des siècles car plus personne ne correspondait à leurs critères. Mon papy disait aussi que les Frozen Tears équilibraient le monde en apaisant les colères et contenant les amours. Mais tout cela n’est qu’une légende, rien ne me semble très possible là-dedans.
- Un territoire gelé ?
- Oui ! Le légendaire continent des glaces : Frigost ! Mais vous, que savez-vous sur les Frozen Tears ? »

Chazuro prit la parole et expliqua le texte de la cellule, omettant volontairement l’épisode du loup. Il préférait garder cette partie-là de l’histoire secrète, craignant des réactions bizarres ou d'être accusé de folie.

« Hmmm intéressant, ça colle presque à l’histoire de mon grand-père…. Mais que faites-vous ici pour cette recherche ?
- Nous nous rendons à la Bibliothèque d’Amakna pour chercher de plus amples renseignements. Nous espérons trouver un livre relatant cette ancienne histoire. À moins que cela ne soit qu’une légende...
- Oh ! Vous êtes jeunes, c’est bien de partir à l’aventure même si ça ne mène à rien au
final ! »
Comme si elle l'avait écouté, la forêt recommença à vaquer à ses occupations.
« Tiens ! Vous me plaisez bien, je vais vous donner des dragodindes pour votre voyage. Ça vous permettra d’aller plus vite et le cas échéant de fuir le danger.
- Merci à vous !
- Mais de rien ! Par contre, j’aurais besoin d’un service : si vous passez en Amakna, arrêtez-vous à la Taverne. Il doit y avoir un Crâ qui traîne par là-bas, il s’appelle Hapero, c’est un ami à moi. Si vous pouviez lui dire de venir ici… Sans son aide, je ne vais jamais attraper ces satanées dindes amande.
- Bien sûr ! Sans problème !

Taiky se leva et sortit deux dindes de son enclos : une noire qu’il amena à Chazuro et une couleur ivoire pour Astrae. Il leur fournit quelques conseils pour s’en occuper correctement puis leur donna une tape d’adieu. Astrae et Chazuro repartirent de la clairière en faisant de grands signes à Taiky. Cette rencontre avait été pour eux riche en enseignements. Chazuro mit sa dragodinde au galop, suivi de près par Astrae. Il leur fallait maintenant traverser les marécages les séparant du village d’Amakna...

Chazuro écrasa un moustique sur son bras….Satanées bestioles…Le paysage avait totalement changé. Les merveilles de la montagne étaient derrière eux : devant et à perte de vue s’étendait un pays marécageux et hostile. L’air y était plus lourd, le sol boueux…Heureusement que le vieux Taiky nous a donné des dragodindes. Sans elles, la traversée prendrait des semaines... Le Sacrieur entendait, derrière lui, Astrae râler et pester. L’eau n’était pas son élément, loin de là, alors la boue et toutes les créatures cachées en dessous encore moins ! Plus ils s’enfonçaient dans les marécages, plus leurs montures avaient du mal à avancer.
« Va falloir continuer à pieds, on les épuise trop vite dans cette boue.
- Oh non, pas à pieds... gémit Astrae
- Allez, ce n’est que de l’eau et on ira plus vite ! Fais attention….
- Ahhhhhhh……

Chazuro n’eut pas le temps de finir sa phrase, son ami en sautant de sa dinde était tombé dans des sables mouvants.
« Surtout ne bouge pas ! Je vais te tirer de là, dit-il, lui lançant un bout de corde.
- Facile à dire, c’est plein de bestioles ici ! Mais dépêche-toi ! Tire ! Tire ! »

Au moment où il allait commencer à sortir Astrae de la boue, le Sacri sentit une vive brûlure dans son dos. Immédiatement il se retourna, mais ne vit rien.

« Là dans ton dos ! Une arakne ! cria le iop.
- Raah horrible animal…
- Sors-moi de là, vite ! »

Chazuro se concentra à sauver son ami, l’arakne continuant à le mordre. Astrae, une fois tiré d’affaire, l’en débarrassa.
« Tu as le dos couvert de piqûres… tu es sûr que tout va bien ? demanda-t-il inquiet.
- Oui ça ira, surtout que nous avons d’autres visiteurs, répondit Chazuro désignant les trois crocodailles s’approchant férocement. »

Un difficile combat dans la boue commença. Les crocodailles disparaissaient dans l’eau boueuse et revenaient à la charge à revers. Astrae et Chazuro contenaient les attaques mais avaient du mal à toucher leurs fuyants adversaires. Les crocos étaient insaisissables dans ce marécage, le terrain et leurs capacités amphibiennes les avantageaient grandement. Chazuro sentait toujours les piqûres de son dos… mes jambes s’engourdissent… la boue ne m’aide pas .. fichue arakne… il serrait dent, il avait de plus en plus de mal à se mouvoir. Les créatures des marais arrivaient de plus en plus nombreuses, attirées par l’odeur du sang qui suintait dans le dos du Sacrieur.
« Astrae ! Aide-moi, je suis paralysé ! Je ne peux plus bouger ! » cria soudain Chazuro.

Le Iop se retourna après avoir envoyé un bon coup d’épée dans la gueule d’un croco pour le faire reculer. Son ami s’était évanoui, incapable de bouger. Il s’enfonçait dans le marécage. Astrae bondit à ses côtés, le souleva tout en écrasant du pied des boos et des araknes. Vite ! Retrouver une dinde…ah ! Elles ont trouvés de la terre ferme, je préfère ça !... Il se dirigea vers les dindes. La sienne s’enfuit en le voyant approcher poursuivi par une horde de crocodailles. Il hissa son ami sur le dos de la dragodinde la plus courageuse… Je suis sur la terre ferme, petits crocos… c’est mon terrain… vous allez souffrir…. Astrae planta violemment son épée dans le sol, créant un véritable tremblement de terre. Les crocodailles tombèrent à la renverse et déguerpirent dans le marais… courageux mais pas téméraires… Chaz’ a pas l’air bien… il faut sortir des marais et trouver des soins…. Vite, le temps presse…. Astrae enfourcha la dragodinde tout en tentant de maintenir son ami dessus, puis il l’éperonna pour partir au triple galop sur cette bande de terre consistante qui semblait mener droit vers Amakna.
Chapitre 4 :


Astrae et Chazuro entrèrent enfin dans la taverne d’Amakna. L’épisode des marécages n’était plus qu’un lointain souvenir. Astrae avait trouvé le temple Sadida et une jeune disciple avait pris le temps, entre deux siestes, de soigner Chazuro. Celui-ci avait encore le dos endolori par les piqûres et le résidu de venin mais toutes ses facultés de mouvements et d’esprit étaient revenues.

La taverne sentait bon le sanglier rôti, la bière et le tabac. Une fois la lourde porte ouverte, on entrait dans un autre univers, fait d’alcool, de cris, de rires et de chants. Il y avait beaucoup de monde en ce début de soirée, ce qui procurait à la pièce une chaleur étouffante. Les gens se mêlaient les uns aux autres pour partager un verre et plaisanter. Certains devisaient tranquillement dans leur coin en dégustant de bons plats encore fumants, d'autres faisaient un concours à celui qui descendrait le plus de pintes en une minute. Un grand Sadida qui semblait avoir gagné la partie précédente braillait à tue-tête une chanson paillarde au sujet d'un Ougah, emportant ses compagnons de beuverie dans sa folie festive. Les serveuses sillonnaient la salle avec leurs plateaux, slalomant entre les tables sous le regard lubrique de quelques clients avinés. Un malotru risqua d’ailleurs une main baladeuse sur l’une d’elle...
« Hep ! Toi là-bas ! Range tes mains ! Si tu cherches un bordel, va au port de Madrestam ! Pas de ça ici ! » intervint le tavernier, veillant au bon ordre de la salle.
Astrae et Chazuro regardèrent ce grand moustachu : il n’avait pas l’air commode… Couvrant tout le monde de sa grosse voix, il en imposait physiquement et se faisait respecter de tous les clients. On racontait même qu'il n'avait pas toujours été tavernier et qu'il avait par le passé fait partie des meilleurs chasseurs de prime qu'il eût existé. C'est sur cette « douce » pensée que nos deux amis s’approchèrent du comptoir. Un Xélor y était assis, le nez plongé dans sa pinte, se lamentant auprès du serveur.
« Tu comprends, elle est tellement...tellement....
- Oui je sais, aérienne...en même temps, c'est une Enie ! ironisa le Panda en astiquant énergiquement ses verres. Ça fait des mois que tu m'en rabats les oreilles tous les jours, mon ami ! Pourquoi tu ne lui dis pas, tout simplement ? Je te laisse, j'ai des clients à servir. »
Il se dirigea alors vers nos compagnons.
« Qu'est-ce que je vous sers, messieurs ? Tant que vous ne finissez pas comme celui-là après... » dit-il avec un sourire en faisant signe de la tête vers le petit homme couvert de bandelettes. Nos amis se regardèrent d'un air ironique.
« Y'a aucun risque ! Deux grandes bières bien fraîches, s'il-vous-plaît. »
Ils se mirent ainsi, tout en sirotant leur délicieux breuvage, à scruter plus attentivement la clientèle à la recherche du Crâ. Mais il régnait une telle cohue, les gens passant et repassant dans tous les sens, qu'il était difficile d'y reconnaître qui que ce fût.
« Vous cherchez quelqu’un ? »
Chazuro sursauta en entendant la voix tonitruante du tavernier résonner dans son oreille.
« J’aime pas trop qu’on épie mes clients de cette façon ! Que voulez-vous ?
- Heu… rien de particulier. Connaîtriez-vous par hasard un dénommé Hapero ? répondit Astrae, hésitant.
- Si je le connais ? »
Un grand sourire se dessina sous la moustache de l’aubergiste…

A l’étage, au bout d’un couloir enfumé, une pièce, de laquelle s'échappaient rires et fracas, était éclairée. A l’intérieur, une partie de poker enflammée battait son plein.
« Tapis ! Et cette fois-ci, je vais gagner ! cria un Ecaflip à moitié nu.
- Il te reste quoi à jouer après ta paire de bottes ? répliqua un Iop. Cette main est pour moi ! Je suis !
- Tsss, t’y connais rien aux cartes ! continua le félin. Je suis sûr de mon coup !
- Comme à chaque fois… » glissa un Sadida à la touffe bleue-verte.

Un Crâ au regard embrumé partit dans un bruyant éclat de rire à la remarque du Sadida.
« Tais-toi, Hap !! C’est un coup important ! râla le grand Iop, plus concentré que jamais.
- Rooh allez, montrez vos cartes ! se reprit l’archer en vidant une pinte.
L’Ecaflip abattit son jeu, le Iop fit de même. Le chat se mit à bondir de partout dans la pièce.
« Wouhou ! Quinte flush !!Ahaha je vous ai eu !!! Rendez-moi mes fringues. Ah mais quel coup ! »

Le bruit et les discussions repartaient de plus belle quand soudain, un Sram jusque-là silencieux fit un signe de la tête à ses compagnons de jeux.
« On dirait qu'on est plus seuls : y’a du monde à la porte. » Ils dirigèrent alors tous leurs regards dans cette direction.
« Que voulez-vous ? questionna le Iop, que la défaite avait rendu amer.
- Bonsoir ! Je suis Chazuro et voici Astrae. Nous cherchons un Crâ du nom d’Hapero.
- Hips ! Présent ! répondit le Crâ d’une voix chargée d’alcool.
- Votre ami Taiky nous envoie. Il…
- Taiky ! s’exclama l’Ecaflip. Comment va ce vieux grincheux ?
- Rooh laisse-les parler et rhabille-toi ! coupa le Sadida. Je suis Carbon. Le Iop qui fait la tronche, c’est Lagaffe. Le Sram se surnomme Chip’s et l’Eca tout nu, c’est Xeroxx.
- Eh bien ravis de faire votre connaissance ! Taiky nous a demandé de passer voir Hapero. Il a besoin d’aide pour chasser des dragodindes…
- Hahaha ! Le vieux brigand ! Il trouve toujours des excuses ! S’il vous a envoyé ici, c’est que c’est vous qui avez besoin d’aide, pas lui. »
Nos deux amis se regardèrent, interloqués. Quel était encore ce piège dans lequel ils étaient tombés ?
« Détendez-vous, dit Hapero. Franchement, vous me voyez chasser des dindes ? Hips !
-A moins qu'elles soient couleur hydromel ! plaisanta Carbon.
-Eh... c'est une idée ça ! sourit le Crâ. Ouais enfin bref, « dinde amande » est le nom de code entre Taiky et nous pour « besoin d'aide ». Nous sommes une petite bande mais on a de l’organisation, hé hé ! Alors que faites-vous en Amakna ? »

Chazuro décida de raconter leur histoire. Après tout, Taiky semblait homme de confiance et ces joyeux lurons aussi. Les cinq compagnons écoutèrent avec attention son récit.
« …Mais nous ne savons pas pourquoi Taiky nous a envoyé vers vous, conclut le Sacrieur.
- Oh… c’est très simple : la bibliothèque est impossible d’accès depuis cinq jours. Une escouade bontarienne bloque l’accès. La rumeur court qu’un très haut dignitaire bontarien effectue des recherches à l’intérieur, répondit Lagaffe.
- Ça va nous compliquer la tâche, sourit Xeroxx.
- Quelle tâche ? demanda Astrae.
- Eh bien, si Taiky pense qu’on doit vous aider, c'est évident que c’est pour vous permettre de pénétrer dans l’édifice, continua l’Eca.
- Comment faire ? Forcer le passage ne sera pas discret…
- Oh nous avons plus d’un tour dans notre sac ! Ne vous inquiétez pas. Demain soir, vous serez au milieu de tous les livres que vous voulez. Allez passer la nuit chez Lagaffe, ça sera notre point de départ pour cette mission qui promet d'être...hmm intéressante, dit-il en souriant. On vous expliquera demain. Pour le moment, nous avons une partie de cartes à finir !

Hapero mit ainsi fin à la conversation. Lagaffe se leva et leur demanda de les suivre. Il les mena jusqu’à sa demeure, une grande maison non loin de l’atelier des bijoutiers. Les deux voyageurs étaient tellement épuisés qu'ils ne virent rien d'autre autour d'eux que les lits qu'on leur offrait, sur lesquels ils s'endormirent presque aussitôt.
Le lendemain matin, quand Chazuro se réveilla, la maisonnée semblait déjà bien active. Astrae rentra dans la chambre à ce moment-là.
« Allez, debout feignant ! Il y a plein de choses à faire !
- Doucement… crie pas si fort….
- Il faut se préparer pour ce soir ! Au fait, la nouvelle vient d’arriver… Tainéla a été prise d’assaut par Bonta cette nuit…et Sénécia doit être cette Pandalette chevauchant le Bouftou Royal dont tout le monde parle…
- Encore ! » Cette nouvelle eût pour effet de définitivement réveiller le Sacri. « Mais pourquoi une telle frénésie ? Et surtout pourquoi autant de défaites ?
- Ça, j’en sais rien… Allez debout ! On nous attend. »

Au rez-de-chaussée, toute la petite troupe semblait s’activer. Chip’s, le discret Sram, étudiait une carte, Xeroxx cirait ses bottes, Carbon confectionnait une jolie poupée et Hapero taillait des flèches. Lagaffe, lui, était en pleine discussion avec une jolie petite Enie autour de laquelle semblait flotter une aura douce et apaisante.
« Je n’arrive plus à travailler correctement avec cette guerre… Les ressources deviennent chères ou même introuvables.
- Pourquoi donc ? questionna-t-elle.
- Je sais pas, j’ai l’impression que tous les ingrédients des nouvelles régions bontariennes n’arrivent plus ou vont ailleurs…
- Etrange…
- Oui, c’est le mot. C’est vraiment impossible d’être artisan bijoutier-cordonnier dans ces conditions…
- Oh te plains pas ! coupa Carbon. Tu as fait fortune grâce à ça, c’est pas une petite baisse d’activité qui va te ruiner !
- Oui mais bon, c’est râlant….
- Bonjour, je m’appelle Ninoxe, dit la petite fée en apercevant nos deux amis. Je suis la cousine de Xeroxx. Je vais vous aider pour cette nuit. »

Chazuro et Astrae la saluèrent puis demandèrent des explications sur l’organisation de cette expédition. Tout le monde s’installa autour de la grande table et Hapero prit la parole.
« On va se diviser en deux groupes. Vous deux avec Chip’s et nous autres ensemble. Chip’s connaît tous les souterrains du village, il vous emmènera dans les sous-sols de la bibliothèque. Ces idiots de Bontariens ne doivent pas les connaître ! Et nous, on va faire diversion à l’extérieur, exciter les anges, faire du bruit, se défouler un peu quoi !
- Ça a l'air plutôt simple, dit Chaz'.
- Pas tant que ça : Ninoxe, en venant, a repéré cinq gardes à l’extérieur du bâtiment. Il doit y en avoir autant en pause, plus peut-être certains à l’intérieur. Il faudra être prudents. Je ne voudrais pas perdre l'un d'entre nous au passage. »

Le Sacrieur était impressionné par le dévouement de cette petite bande d’amis qui était prête à tout pour leur venir en aide alors qu'ils ne les connaissaient qu'à peine. Une fois la mise au point achevée, chacun retourna à ses préparatifs.

La nuit venue, Chip’s, Astrae et Chazuro partirent de leur côté. Une des entrées des souterrains d’Amakna se situait non loin de la demeure de Lagaffe. Le Sram, qui avait l’habitude de se déplacer furtivement dans la pénombre, avançait vite et avec une dextérité incroyable ! Astrae et Chazuro peinaient à le suivre. Ils crurent d'ailleurs à plusieurs reprises l'avoir perdu. Mais la lueur pâle et fantomatique de la lune le faisait toujours réapparaître au détour d'un fourré ou bien au coin d'une maison. Soudain leur guide stoppa enfin sa marche.
« Nous y sommes. »
Chazuro et Astrae regardèrent autour d’eux.
« Tu te moques de nous ?? s’exclamèrent-ils en cœur. On est de retour devant la maison de Lagaffe…
- Et oui ! rigola le Sram. Comme le dit mon vieux père, il ne faut ni voler ni tuer à moins d’être sûr que le coup réussisse ! Quoi de mieux comme assurance que d’avoir son propre accès aux souterrains ?
-
- Faites pas la tête ! C’était juste une petite promenade pour être sûr qu'il n'y ait personne qui rôde dans le coin ! Allez venez ! »

Chip’s pénétra dans la maison de Lagaffe, souleva le lourd tapis du salon et ouvrit une trappe dans le sol. Il sauta prestement dans le trou obscur qu’il venait de découvrir. Chazuro et Astrae se regardèrent : cette bande qu’ils suivaient aveuglément commençait à leur apparaître sous un jour différent... Passant au premier abord pour des joyeux lurons partant dans tous les sens et sans un brin de cohésion, ils se révélaient au fil des heures être en fait des guerriers parfaitement organisés. Les apparences trompeuses ne les en rendaient que plus redoutables... Mais avaient-ils le choix ? Les deux compères suivirent Chip’s sans se poser davantage de questions.


De l’autre côté du village, le reste de la troupe approchait de la bibliothèque. Des torches accrochées au mur du bâtiment éclairaient les alentours. Des miliciens faisaient la ronde tout autour de la porte.
« Je compte quatre gardes plus un auréolé, souffla Xeroxx.
- Autant que nous donc…allez on commence…. »

Hapero décocha une première flèche en direction du milicien le plus éloigné, celle-ci se planta juste devant lui.
« Alerte ! On nous attaque !!! » paniqua le milicien. Ses comparses s'étaient tendus et mis en position, prêts à riposter, quand ils aperçurent au loin deux silhouettes oscillant dans la nuit.
-Yohoooo ! Et une bouteille de rhuuuum ! Haha ! Regarde, tu vois que je tire loin !
-Pff ! Ha ! T'as même pas touché le Bontarien qui était en face de toi, espèce de Crâ bourré ! »
Les deux amis avançaient tranquillement et avec désinvolture en direction des Bontariens. Ces derniers les observaient à présent d'un air moqueur et méprisant : ce n'étaient après tout que deux ivrognes dont l'un ne savait apparemment pas viser !
« Allez vous amuser ailleurs, les deux pochetrons ! Et apprend à te servir de ton arc au lieu de faire le malin !
-Pas pochetron, amateur de liqueur d'exception ! répliqua le Crâ. Et avant de critiquer mon tir, tu ferais mieux d'apprendre à manier ton marteau pour pouvoir l'intercepter la prochaine fois, au lieu de crier comme une fillette.
-C'est une menace ?
-Quel esprit de déduction ! ironisa Lagaffe.
-Toi on t'a rien demandé, le grand benêt ! lança un autre soldat à côté du Iop.
-Benêt ? Ah oui ? Donc si je te suis... » Il asséna un grand coup sur la tête du Bontarien, l'assommant à moitié. « Oups, je t'ai frappé ! Je ne suis qu'un Iop, je ne sais pas ce que je fais, il paraît que je suis benêt ! Tu sais ce que ce mot veut dire, toi ? » dit-il en s'adressant au Panda qui arrivait pour défendre l'Osa étalé par terre. Il lui envoya une grande claque qui le fit tournoyer quelques mètres plus loin. « Ah non tu sais pas toi non plus ! Mais tu danses bien, une vraie ballerine ! » Le milicien alla percuter un de ces collègues qui s'élançait sur Hapero. Ce dernier, d'un pas sur le côté, esquiva le Panda juste à temps pour voir les deux soldats s'affaler par terre, l'un pestant contre l'autre en hurlant que c'était de sa faute.
« Striiiike ! » cria le Crâ en tendant déjà son arc sur un autre Bontarien en colère. Il décocha aussitôt une flèche glacée qui atteignit le sol. Le milicien ricana :
« Hahah tu sais vraiment pas viser ! » Il ne comprit que trop tard en voyant le sourire illuminant le visage de l'archer que la terre sous ses pieds avait gelé et s'était transformée en véritable patinoire ! Il eût beau faire des pieds et des mains, il finit par s'étaler et, au terme d'une longue glissade, atterrit aux pieds d' Hapero.
« Je trouve que je vise bien moi ! »

A l’intérieur de la bibliothèque, loin de toute cette agitation, un homme de haute stature feuilletait des ouvrages. A côté de lui, une Pandalette montait la garde.
« Grrr, il est introuvable…
- Que cherchez-vous ?
- Un ouvrage que moi seul doit détenir. Il n’y en a que quatre exemplaires dans le Monde des Douze. J’en ai un en ma possession et Thomas Sacre m’a fait remettre celui de Bonta que j’ai détruit. Il me faut encore celui de Pandala et l’exemplaire d’Amakna… mais impossible de mettre la main dessus… Va me chercher l’hibou, il va parler… »
Sénécia sortit de la pièce et revint quelques instants plus tard en tirant Harry Stote par la manche. Elle installa l’oiseau sur une chaise et lui enleva le bâillon qui oppressait son bec.
« C’est inadmissible ! commença aussitôt à crier Harry. Détachez-moi ! Vous n’avez pas le droit !
- Tais-toi, sac de plumes ! répondit Sénécia en lui claquant le bec.
- Tu vas m’aider, triste volatile... » fit l'homme d'une voix sombre et lancinante. L'hibou eut l'impression que ses paroles s'insinuaient lentement en lui comme un poison s'écoulant dans ses veines. « ...et je te rendrai ta liberté... Je cherche un livre qui date de l’époque des grandes guerres et qui raconte l’histoire des Frozen Tears…
- Les Frozen Tears ? coupa Harry Stote avec étonnement. Si vous cherchez les livres pour enfants, c’est au sous-sol !
- Quoi ? rugit l’homme. Au sous-sol ? Avec les livres pour... Mais quelle incompétence !! Amène-le ! »

Il tourna les talons et se dirigea vers l’escalier. Sénécia le suivit, traînant derrière elle le vieil hibou.


Dans les sous-sols d’Amakna, nos deux amis avançaient à la suite du Sram dans un dédale impressionnant de galeries. Les passages étaient tous parfaitement creusés, presque à hauteur d'homme. Il suffisait juste de se courber un petit peu et baisser la tête par moment pour éviter les racines qui ressortaient. De petites bestioles étranges croisaient parfois leur chemin au détour d'un boyau, ce qui ne manquait pas de rendre légèrement nerveux nos deux aventuriers. Ils étaient en terrain inconnu et ce labyrinthe avait de quoi désorienter ! Heureusement que leur guide avait eu la présence d'esprit de prendre une torche, leur permettant ainsi de voir plus ou moins où mettre les pieds et d'éviter une arakne ou deux à l'occasion... Après avoir quitté la petite artère venant de la maison de Lagaffe et surtout masqué son entrée, Chip’s les menait maintenant vers la bibliothèque avec la même aisance et connaissance du terrain qu’à l’air libre. La façon de se mouvoir de ce dernier était décidément déroutante.
« C’est encore loin ? demanda Astrae.
- Non, on y est presque, encore quelques petites minutes.
- J’espère qu’on va au moins trouver un livre parlant des Frozen Tears… »
Ils continuaient à s'enfoncer toujours plus profondément dans l'obscurité. Arrivé à un carrefour, As' crût apercevoir du coin de l'oeil quelque chose comme une silhouette se glisser subrepticement dans la galerie parallèle à celle où ils se trouvaient mais réalisa que ce n'était que son ombre. Ce souterrain commençait vraiment à lui agir sur les nerfs. Il donnait l'impression que la terre pouvait s'écrouler sur eux et les ensevelir à tout moment, une impression d'être comme écrasé par le sol au-dessus de leur tête. Le retour à l'air pur serait comme une libération...
Quelques instants plus tard, Chip’s leur fit signe d’approcher.
« Nous y sommes. Mais chut… vous entendez ? »

Chazuro tendit l’oreille. Il y avait des voix provenant de l’autre côté de la paroi.

« ….Où est ce livre, l’emplumé ? Réponds-moi ! tonna une voix d’homme.
- Je n’en sais rien ! Personne ne me demande jamais rien sur cette légende !
- Tu te moques de nous ? Tu connais cette bibliothèque comme ta poche, allez un petit effort ! Sénécia, secoue-lui les plumes !... »

Chazuro et Astrae sursautèrent. Sénécia ?? Que pouvait-elle encore faire là… et qui était cet homme qui maltraitait le pauvre bibliothécaire ?

« Apparemment, y’a du grabuge, chuchota Chip’s.
- Oui, ça complique notre tâche, surtout s’il y a Sénécia, répondit Astrae.
- Vous la connaissez ?
- Oui, c’est une mercenaire. C’est à elle que Chaz’ doit sa belle cicatrice sur le torse…
- Alors restons silencieux et invisibles quoiqu’il arrive… »

A l’extérieur de la bibliothèque, la diversion battait son plein. Xeroxx était apparu en pleine lumière en compagnie de Carbonboss.
« Hé poilu ! Regarde, y’a des Bontariens qui se font baffer par Hapero et Lagaffe !
- Les copains ! Faut nous attendre pour taper les petits anges… sinon on peut pas rigoler nous !
- C’est eux qui ont commencé ! Ils ont dit à Lagaffe qu’il était benêt…
- Rooh mais ils sont fous ces Bontariens ! »
Justement l'un d'eux, ayant entendu sa remarque, se détourna du Iop en direction du grand Sadi et l'entailla avec son épée. Le regard de Carbon oscilla entre sa blessure et son agresseur avant de fermer les yeux pour se concentrer. Un grondement menaçant se fit alors entendre et la terre se mit à vibrer sous les pieds de son adversaire, lorsque soudain d'énormes ronces jaillirent du sol et engloutirent ce dernier, telles les tentacules d'une énorme pieuvre, le prenant ainsi au piège, privé de tout mouvement.
« Alors ? Tu rigoles moins avec ton bout de fer ridicule, hmm ?
- Je crois qu'on peut dire qu'il fait corps avec la nature là ! » ajouta Xeroxx d'un air narquois avant de s'élancer dans la bataille. Il rejoignit Hapero qui était aux prises avec deux soldats le tenant en joue, le privant ainsi du recul nécessaire pour utiliser son arc.
« Un double, ça te dit ? fit le Crâ en échangeant un regard complice avec son compagnon.
- Un peu que ça me dit ! » cracha le félin. Les deux soldats, en l'entendant, se retournèrent, déstabilisés. Il avait bondi derrière eux avec une telle dextérité qu'ils n'avaient rien vu venir et ils se retrouvaient maintenant encerclés par les deux trouble-fêtes.
Pendant ce temps là, Lagaffe, quant à lui, ayant fini de se défouler sur l'Osa qui l'avait insulté, partit dans la direction opposée. Un Sram donnait du fil à retordre à Carbon, esquivant toutes ses attaques. Il se mit à foncer sur lui à pleine vitesse, prêt à le frapper de toutes ses forces. Plus que quelques dizaines de mètres... L'ennemi ne semblait pas l'avoir remarqué et était occupé avec le grand Sadida et sa poupée. Huit mètres... Je vais le pulvériser ! Cinq mètres... La poupée de Carbon entravait le chemin du Sram, l'empêchant d'approcher trop près. Trois mètres, deux, un... Le Iop s'élança dans les airs. L'impact fut bref. Une onde de silence se répandit dans l'atmosphère l'espace d'une seconde et il s'écrasa durement sur le sol. Sa cible s'était volatilisée au dernier moment. Lagaffe se releva lentement, un peu étourdi par la chute, puis se mit à scruter frénétiquement autour de lui avec son compagnon.
« Il est où ? Tu le vois toi ? »
Soudain une forme encapuchonnée se matérialisa derrière lui.
« Attention !!!! » cria le Sadi.
Il se retourna juste à temps pour voir les dagues du Sram luire dans la nuit. Celui-ci s'apprêtait à en faire usage lorsqu'un bruit sourd retentit. Il se figea et s'étala par terre, inconscient, laissant apparaître une petite fée voletant derrière lui.
« Ninoxe ! Tu l'as assommé ?? Mais qu'est-ce que tu fais là ??? Tu devrais être en retrait et te tenir prête au cas où l'un de nous serait blessé ! gronda Carbon.
- C'est ce que j'ai fait... en quelque sorte... sauf pour le retrait... !
- Hmm tu ne peux pas t'en empêcher, hein ?
L'Eniripsa esquissa un petit sourire rougissant.
« Haha ! C'est bien ma cousine, ça ! s'exclama Xeroxx en arrivant avec Hapero, laissant leurs deux adversaires gisant douloureusement sur le sol.


« Aaahh ! Enfin ! Je savais bien qu’avec un peu de bonne volonté tu me dévoilerais son emplacement ! »
L’homme brandit, triomphant, un ouvrage poussiéreux marqué sur sa tranche d’un flocon de neige. De l’autre côté de la pièce, l’hibou déplumé avait cessé de se débattre et de crier. Sénécia se tenait derrière lui et des plumes jonchaient le sol... De l’autre coté de la paroi, Chazuro, Astrae et Chip’s attendaient patiemment la suite des évènements. Les cris du volatile leur avait fait imaginer les pires tortures et ils se demandaient qui pouvait vouloir à ce point un livre.
Soudain l’attention de Sénécia fut attirée par des bruits venant de l’extérieur.
« Monsieur, il se passe quelque chose devant la bibliothèque, on ferait bien de partir.
- Tu as raison. Filons ! J’ai ce que je suis venu chercher !
- Passons par les souterrains, c’est plus sûr.
- Je te suis, mercenaire ! »


Chip’s réagit très vite, sa rapidité de voleur sauva Astrae et Chazuro. En un instant, ils étaient devenus invisibles. La paroi s’ébranla, laissant apparaître un rayon de lumière et la silhouette de Sénécia. Nos trois amis retinrent leur souffle. La Pandalette s’avança, puis s’arrêta brusquement. Elle renifla l’air, fronça un sourcil. Oh non... pensa Chazuro en fermant les yeux très fort. Elle regarda autour d’elle puis, toujours méfiante, fit signe à son commanditaire de la suivre.

Les deux personnages disparurent à pas vifs dans le souterrain. Chip’s attendit encore un peu puis activa un mécanisme dans la roche et la porte vers la bibliothèque se rouvrit. A l’intérieur, le hibou toujours ligoté sur une chaise, pensant voir revenir ses deux tortionnaires, s’agita. Astrae, Chazuro et Chip’s pénétrèrent dans le sous-sol. Des plumes voletaient encore dans la pièce, Sénécia n’avait pas fait son travail à moitié... Astrae s’avança vers l’oiseau et le libéra.
« N’aie crainte, nous ne te voulons aucun mal. Ton ami Jean-Sol Patre nous envoie. »
Harry sembla rasséréné : Jean-Sol était un ami de longue date, fidèle et loyal, malgré son poste difficile au sein de la ville de Brâkmar.
« Pour quelles raisons vous a-t-il indiqué ma bibliothèque ?
- Nous sommes à la recherche d’un livre pouvant nous expliquer certains anciens événements du Monde des Douze.
- Ça fait beaucoup de demandes similaires dans une même soirée… Cherchez-vous un ouvrage parlant des Frozen Tears vous aussi ?
- Euh... oui, répondit Astrae totalement interloqué par cette déduction d’Harry.
- L’homme qui vient de fuir d’ici me laissant dans cette situation cherchait le même ouvrage. Malheureusement il est parti avec mon seul exemplaire… Cette Panda était vraiment… persuasive….
- Et pas que… renchérit Chazuro passant machinalement la main sur sa cicatrice.
- Y’a-t-il un autre exemplaire de ce bouquin ? s’inquiéta Astrae.
- Bouquin ? Ne soyez pas vulgaire, jeune Iop ! Ce livre est une véritable œuvre !
- Œuvre ? s’exclama Chip’s.
- Oui ! Je ne voulais pas le donner à ce grossier personnage qui m’a tant torturé, mais c’est effectivement un ouvrage magnifique. Il y en a trois exemplaires connus dans le Monde des Douze. Il raconte l’histoire des Frozen Tears, c’est en fait les mémoires de l’un d’eux. On peut trouver dans ce livre la position exacte de Frigost, la terre gelée légendaire qui donna aux Frozen le surnom de Givrés. Mais aussi certaines informations sur leur mode de vie et quelques indices sur leurs trésors…. Un ouvrage fascinant, si on y croit bien sûr…
- Où peut-on trouver les deux autres exemplaires ? pressa Chazuro, impatient.
- Apparemment, cet homme a déjà celui de Bonta et le mien… Il reste donc celui de Pandala. Avec un peu de chance, vous y parviendrez avant lui.
- Direction Pandala alors, cria Astrae courant vers la porte dérobée…
- Tout doux ! dit Chip’s en l’interceptant. Pandala est loin, il faut se préparer un minimum. N’oublie pas que c’est la guerre. Pandala est encore sous contrôle brâkmarien, mais j’ai peur que cela ne dure pas longtemps…
- Hmm... tu as raison, admit Astrae en faisant les cent pas dans la pièce. Il faut s'organiser, prévoir des vivres et surtout... des armes ! » dit-il l'oeil luisant. Le Iop avait toujours adoré se battre et la perspective d'aller écraser des Bontariens en masse lui mettait instantanément l'eau à la bouche.
« Hum... bon, merci pour ces précieux renseignements Harry, » coupa Chazuro. Il ne voulait pas que l'air menaçant que prenait son compagnon effraie davantage le pauvre bibliothécaire. Il en a déjà bien assez vu pour la soirée... « Nous allons devoir y aller, nous avons beaucoup de chemin à parcourir. »
Nos trois amis se dirigèrent vers le dédale souterrain. Harry leur lança un « vous verrez, c’est très bien écrit… », mais ils étaient déjà loin. La tête de Chazuro bouillonnait de questions. Qui s’intéressait aussi aux Frozen Tears ? C’était apparemment le commanditaire de Sénécia... Mais alors quel rapport avec la guerre entre Bonta et Brâkmar ?... Cette aventure, partie d’un texte dans une cellule, semblait être de plus en plus complexe.
Chip’s les mena aussi prestement qu'à son habitude vers la maison de Lagaffe. Dans le salon, le reste de la troupe était de retour. Chacun raconta sa soirée, plus ou moins mouvementée ou mystérieuse.
« Vous auriez vu la tête de cet abruti de Sram quand Ninoxe l'a assommé par derrière ! ricana Lagaffe.
- Eh oh doucement avec les Sram ! lança Chip's en esquissant un sourire.
- En tout cas, ils avaient l'air sûr d'eux, guindés, se prenant pour des super soldats d'élites mais on les a tous torchés en moins de deux ! dit Hapero.
- D'ailleurs je crois qu'il y en a toujours un coincé dans les ronces de Carbon dehors ! »
Tout le monde se mit à rire. Puis subitement le silence se fit. Les pensées de nos amis commençaient à dériver des événements de cette nuit vers ceux qui s'annonçaient, beaucoup plus dangereux et périlleux.
« Vous avez pris votre décision alors ? demanda Xeroxx. Vous partez tous les deux pour Pandala ?
- Oui, de toute façon, on n'a pas le choix, répondit Astrae. Il faut absolument se procurer cet exemplaire avant les Bontariens. On ne sait pas ce que l'homme de la bibliothèque...
- … et Sénécia, coupa Chazuro.
- …et Sénécia préparent, reprit Astrae. Ça n'a peut-être l'air de rien comme ça, mais je sens qu'il y a autre chose de plus gros là-dessous... »
Ils se regardèrent tous, certains un air inquiet, d'autres un air pensif dans le regard, mais tous avec la certitude que ce qui allait suivre dans les jours à venir serait sans précédent.
Chapitre 5

En ce petit matin brumeux, les dragodindes filaient à travers les plaines à l’est d’Astrub. La troupe de cavaliers ne prenait pas le temps d’admirer le lever du soleil, chaque minute comptait. Il leur fallait atteindre le pont de Pandala avant les troupes bontariennes et le défendre au prix de leurs vies. Un corbac était arrivé dans la nuit au campement, la mission était claire : permettre aux villages de Pandala de réunir leurs forces.
Jaken menait la troupe. Le valeureux Osa avait été appelé par Emma Sacre. Brâkmar avait besoin de lui pour diriger une unité de surveillance dans les alentours de la ville des mercenaires. La fille Sacre avait compris les intentions de son frère : Pandala serait son prochain objectif. Les richesses de cette île et de ses quatre villages étaient trop importantes pour que la guerre ne vienne pas sur ce terrain.
La vingtaine de guerriers derrière lui se composait de combattants aguerris et spécialistes dans les missions de défense de territoires. Jaken ne les connaissait pas tous personnellement, mais Emma lui avait garanti leur cohésion et leur courage.
Enfin le pont se fit apercevoir, la troupe stoppa devant lui. Un Sram apparut dans la brume.
« C’est toi Jaken ?
- Oui. Et toi qui es-tu ?
- Akiox. Je suis envoyé par les villages pour vous aider. J’ai piégé toute la zone comprise entre vingt et cinquante pas à partir du pont.
- Bonne initiative. Compagnons ! A vos postes ! Les Crâ à l’arrière sur le pont, prenez de la hauteur. »

Cinq archers se détachèrent du groupe. Jaken continua à distiller ses ordres. Les quatre Enis prirent position sur les premiers mètres du pont. Un Sram intensifia le réseau de pièges d’Akiox. Un Sadida planta des arbres et des ronces jaillirent du sol pour ralentir l’avancée des troupes bontariennes. Les autres guerriers préparèrent leurs armes, se camouflant un maximum. Jaken, lui, invoqua son craqueleur, vieux compagnon de route toujours prêt à le défendre. Il regarda autour de lui. Il savait au plus profond de lui que cette bataille serait sûrement la dernière. Les Bontariens arrivaient en nombre d’après le message amené par le corbac, au moins trois cent…

Sénécia marchait aux côtés de son commanditaire, devant eux les bataillons de Bonta traversaient les champs d’Astrub, faisant fuir sur leur passage bouftous et tofus. La Pandalette se sentait un peu dépassée par les derniers événements. Son commanditaire paraissait bénéficier d’une grande puissance et surtout d’une emprise immense sur les Bontariens. Le général chargé de la prise de Pandala s’adressait à lui avec des « monseigneur » surprenants. Et puis il avait beau être un commanditaire généreux, la torture n'était pas ce que Sénécia préférait. Un vrai duel d'égal à égal était beaucoup plus excitant et noble que de se défouler lâchement sur une proie incapable de riposter. L’épisode de la bibliothèque lui laissait un goût étrange. Elle avait laissé le pauvre hibou dans un sale état ! Mais le plus curieux était cette odeur familière dans le souterrain qu’elle n’arrivait pas à définir...

Le soleil se levait sur Amakna, teintant le ciel d'une couleur rouge orangé qui laissait présager des événements à venir. Presque comme si le ciel saignait... On apercevait les oiseaux planer tranquillement au loin, la nature se réveillait doucement. Il régnait un calme presque troublant... Comme si elle pressentait le chaos à venir et voulait s'accorder encore quelques instants de répit. Le calme avant la tempête... Chazuro alla rejoindre Astrae qui rassemblait leurs affaires. Ils devaient se rendre en Pandala pour mettre enfin la main sur le livre des Frozen. Toute la petite bande était regroupée pour les saluer, seuls Xeroxx et Carbonboss manquaient à l’appel. Les adieux furent brefs, chacun se demandant si la guerre déchirant le Monde des Douze leur permettrait de se revoir.
« Et Harry Stote, comment va-t-il ?
- Beaucoup mieux. Ninoxe s'est occupée de lui, il devrait être vite sur pieds, répondit Hapero.
- Prenez soin de vous, tous les deux, » dit la petite fée dont les mots avaient l'étrange capacité d'absorber momentanément toute inquiétude, offrant une minute de plénitude, un soulagement temporaire de l'âme qui était bien appréciable dans la situation présente.
« On essaiera, promis. »
Lagaffe donna une dragodinde à Astrae et Chazuro récupéra la fidèle TartoMyrtille. Ils firent un dernier signe à leurs amis et les montures se mirent en marche...

Ils traversaient Amakna depuis peu de temps, quand deux cavaliers les rattrapèrent.
« Ohla ! Vous partez sans nous ? cria Xeroxx.
- Encore une fois, on est pas invités à la fête ! râla Carbon.
- Vous nous accompagnez ? demanda Chazuro.
- Bien sûr, on va pas vous laisser seuls, renchérit l'Eca.
- Merci » souffla Astrae en éperonnant sa dragodinde.

Les quatre cavaliers lancèrent leurs montures en direction du pont de Pandala. Astrae et Chazuro était heureux de ne plus être seuls, mais ils étaient loin d’imaginer ce qui allait les attendre lors de leur voyage vers l’île aux bambous...

Jaken et ses guerriers sentaient l’adrénaline monter. Ils entendaient au loin la rumeur d’une armée en marche... le son des tambours... le chant des hommes... le cliquetis des armes et armures... Shad’O, lui, ne prêtait aucune attention aux bruits alentours. Perché sur un rocher, il semblait dans une méditation profonde. Jaken était impressionné par le calme de cet Eca. Sa légende était grande et ses exploits nombreux. Combattre à ses côtés ne pouvait être que rassurant.
Tout d’un coup, un cri déchira la brume. Les Bontariens avaient déclenché le premier piège. L’affrontement était proche. Le brouillard cachait à merveille les démons, il serait leur meilleur allié contre le nombre impressionnant des anges. Shad’O sortit de sa torpeur et glissa quelques mots à Jaken. Celui-ci sembla surpris mais ne le retint pas quand l’Eca partit seul face au danger.
Le félin disparut de la vue de ses alliés. Il entrait en transe, prêt au combat. Sûrement son dernier, il le savait : on ne tire pas une Dame de Pique par hasard… Mais avant de mourir, il voulait laisser une trace dans cette bataille, défendre son honneur et celui de son peuple comme le noble guerrier qu'il était. Enfin il apercevait les ennemis, désorientés et désorganisés… des proies faciles.
Il s’élança, ses deux sabres sortis de leurs fourreaux scintillant dans le brouillard. Le sang du premier Bontarien rougit ses armes. Se fondant dans la brume et évitant les pièges, Shad’O entama une danse sanguinaire. Au cœur de la bataille, il sema la terreur à coup d’estoc et de taille. Les anges tombaient sans un cri, surpris dans leur vie pour venir rejoindre le monde des morts. L’Eca sentait l’esprit du félin l’envahir, seul le sang lui procurait du plaisir. Tuer encore et toujours, ses griffes gravant les couleurs de Brâkmar dans les gorges de ses ennemis.
Parmi les rangs bontariens, l’affolement dominait. A la fin de la colonne de régiments, Sénécia comprit que quelque chose clochait. Abandonnant son commanditaire, elle s’élança, hache au poing, pour remonter vers la tête.
En un instant, le rideau blanchâtre qui occultait l'horizon s'estompa, percé de part en part par un soleil rougeoyant. Jaken et sa troupe aperçurent enfin leurs adversaires. Les archers lâchèrent leur première volée de flèches. L’Osa était comme hypnotisé par le ballet macabre de Shad’O : les mouvements étaient précis et implacables, faisant mouche à chaque fois. Stone, son craqueleur, le tira de sa torpeur en écrasant un ennemi d’un grand coup de poing. Jaken reprit en main son rôle de commandant.
« Restez groupés ! Pas de dispersion ! On tient le pont ! »
Ses guerriers formèrent un arc de cercle autour de l’entrée du pont, les soignants restant en retrait et les Crâ lançant leurs traits au-dessus de cette ligne alliée. L’effet de surprise était passé. L’avantage avait tourné et la masse bontarienne s’organisait rapidement.

Cavalant toujours à bride abattue, Astrae et ses amis venaient de passer la garnison d’Amakna. Leur périple à travers la contrée s'était jusque-là déroulé sans encombre. Ils ne s'étaient arrêtés qu'une fois, le temps pour les dragodindes de se désaltérer un peu et ils étaient aussitôt repartis. Le seul détail dérangeant était qu'ils n'avaient pas croisé âme qui vive. D'accord il est encore tôt mais on aurait dû au moins rencontrer quelques soldats en route... Ils remontaient le long de la côte quand tout à coup, Chazuro stoppa sa monture. Xeroxx et Carbon qui s'amusaient à faire la course et n'avaient cessé de se dépasser l'un l'autre tout le long du trajet se figèrent également au terme d'un énorme dérapage. Astrae arriva à leur hauteur et tous observèrent attentivement l'horizon. Un nuage de poussières inquiétant montait de la zone du pont.
« La guerre nous aurait-elle précédée ? demanda Chazuro.
- Il y a des chances, oui. C’est pas un troupeau de bouftous qui fait autant de raffut…
- Il nous faut traverser coûte que coûte. Allons voir, on avisera. »
La course reprit, toujours à vive allure, mais de l’appréhension se lisait sur les visages. Le Sacrieur songeait au commanditaire qui serait également freiné par la bataille bloquant l'accès à l'île. S'ils se débrouillaient bien, cela pourrait peut-être leur permettre de le dépasser. Mais si elle s'en mêle, cela risque d'être un véritable carnage...

Sénécia courait toujours vers le lieu d’affrontement. Elle stoppa un fuyard qui tentait d’éviter l’affrontement.
« Pourquoi fuis-tu ? demanda-t-elle sévèrement.
- Les Brâkmariens bloquent le pont… on va se faire massacrer… Shad’O est parmi eux, répondit le guerrier rapidement avant de reprendre sa course.
- Shad’O... »
Le visage de Sénécia s’éclaira. Enfin elle allait pouvoir défier son ancien maître, celui qu’elle avait trahi en s’engageant chez les mercenaires plutôt que de servir la vile Brâkmar. Elle ne l’avait pas revu depuis une dizaine d’année. Il devait avoir vieilli mais être toujours aussi redoutable au combat. La Pandalette se souvenait de tous les exploits qu’elle l’avait vu accomplir. La fureur du duel contre le Minotot résonnait encore dans sa tête. Mais ce temps-là était révolu. Elle l’avait à présent dépassé et ses propres exploits devenaient tout aussi retentissants. Elle repartit au pas de charge affronter son destin…

La petite troupe brâkmarienne tenait assez facilement l’entrée du pont mais le gros de l’armée bontarienne n’était pas encore là... Jaken assénait des coups de marteau, tout en surveillant Stone du coin de l'oeil. L’énorme masse de roche tournoyait sur elle-même, balayant tout sur son passage. Mais malgré tout, les anges se relevaient et revenaient à la charge. Les Enis psalmodiaient et revitalisaient la troupe. La ligne tenait bon. Jaken savait que chaque minute de gagnée serait une vie de sauvée dans les villages de Pandala.
Shad’O, lui, continuait son carnage, virevoltant d’un ange à un autre. Dans un état second, il sentait au plus profond de lui que la Dame de Pique approchait à grands pas.
« Enfin on se retrouve... »
Il se retourna vivement. Devant lui, hache sur l’épaule, un visage familier le toisait, un air de défi brillant dans les yeux.
- « Sénécia…
- Heureux de me revoir ? » dit la Pandalette, un peu trop vivement, ne voulant pas laisser sa voix la trahir. Les souvenirs teintés de regrets et d'amertume commençaient à remonter à la surface. Non, ce maître, à qui elle avait autrefois voué une admiration sans borne, ne l'impressionnait plus. Elle était la plus forte désormais.
« Voir la mort n’est jamais agréable, tu le comprendras le moment venu…
- Tu pars défaitiste ? Tu n’honores pas ta légende…
- Ma légende ? coupa l’Eca. Tu n’as toujours pas compris à ce que je vois… Sa propre légende n’est rien comparée à la grandeur d’une cité. Tu as choisi la voie du mercenariat... Tu monnayes ta valeur, ce n’est pas digne d’un guerrier. »
Sénécia sentit à nouveau cette ancienne vague de colère empreinte de frustration la gagner. Il avait toujours refusé de comprendre...
« Nous avons une vision toujours aussi différente de l’honneur…
- Assez parlé ! Viens me montrer comment tu manies ta hache à présent ! »

Shad’O sortit une carte de sa manche et la lança sur Sénécia. La Pandalette l’attrapa au vol et la regarda.
« La Dame de Pique... ainsi tu avais connaissance de ma venue… et tu es quand-même là…
- Je ne recule jamais devant mon destin... » répondit l'Eca d'un air sombre.

Jaken, tout en défendant le pont, observait la scène entre Shad’O et cette grande Pandalette. Un murmure avait parcouru les lignes démons quand elle était apparue. C’était elle la terreur du territoire des Dopeuls et de Tainéla...

Sénécia lança son premier assaut. Sa hache vint s’écraser sur les deux sabres croisés de son ancien mentor. En cinq ans d’apprentissage, elle n’avait jamais réussi à lui infliger une égratignure. Il avait une vivacité et une rapidité impressionnantes mais il était vieux maintenant, et la fatigue du début de la bataille commençait à se faire sentir. Dégageant rapidement une de ses armes, l’Eca tapa du plat de l’épée le flanc de la Pandalette.
« Toujours une mauvaise garde... » souligna-t-il. Profitant de la colère de Sénécia suite à cette remarque acerbe, Shad’O lui infligea une attaque violente sur l’épaule. Son ancienne élève recula prestement et se re-concentra. Elle ne voulait pas subir une nouvelle leçon d’arme. La puissance était de son côté et elle était suffisamment agile pour contrer les attaques du félin. Elle attrapa une flasque à sa ceinture et l’envoya vers le vieil Eca. Celui-ci, ayant anticipé l’attaque, répliqua avec son fidèle jeu de cartes. La flasque explosa en vol, interceptée par une volée de trèfles. La détonation fût assourdissante.

Les dragodindes de nos amis se dressèrent de peur au bruit de l'explosion. Depuis quelques instants, ils observaient la bataille de loin. Leur stupeur avait été grande à la vue du tableau qui se dressait devant eux. Les Brâkmariens commençaient à reculer dangereusement vers le pont de Pandala mais le combat le plus impressionnant était le duel qui se déroulait dans la plaine. Chazuro avait reconnu Sénécia facilement, elle ne passait pas inaperçue...
« Regarde, c’est Shad’O, souffla Astrae.
- Emma ne veut pas perdre Pandala, on dirait... Un guerrier comme lui ne se déplace pas pour rien…
- Et là-bas, regarde ! C’est Stone. Jaken est là aussi.
- Et on passe comment, nous ?? se plaignit Xeroxx. Il y a au moins deux cents Bontariens entre nous et vos amis.
- La meilleure solution, c’est de foncer en déblayant le passage, se résigna Carbon.
- On risque de se faire massacrer, souffla Chaz'.
- Avons-nous le choix ? »
Ces mots d'Astrae mirent un terme à la conversation. Il fallait traverser et arriver avant le commanditaire de Sénécia. Le Iop voulait connaître le fin mot de l’histoire des Frozen Tears.
Il éperonna sa monture. Il dirigerait la charge. Xeroxx, Chazuro et Carbon le suivirent rapidement. Ils chevauchaient vers la bataille à vive allure pour percer les rangs bontariens, quand Xeroxx poussa un cri. A sa droite, un grand loup blanc était apparu de nulle part. A sa suite, une meute de croc-glands commençait à les dépasser. Astrae cria vers ses compagnons de continuer la charge. Chazuro était abasourdi, l’histoire des Frozen Tears et du livre avaient occulté le loup blanc de sa mémoire. Le voir ainsi resurgir était à la fois rassurant et très inquiétant.
Jaken aperçut un nuage de poussière à sa gauche. En plissant les yeux, il distingua une meute de loups entourant quatre cavaliers… Chazuro ! Astrae ! La victoire était peut-être possible. Regonflé par une telle apparition, Jaken raviva l’espoir de ses troupes. Les Bontariens, eux, se trouvaient pris entre deux feux, la meute de croc-glands les prenant quasiment à revers.
Sénécia, toujours aux prises avec Shad’O, sentait la panique qui s’était emparée des troupes de Bonta. Mais elle n’avait pas le temps de s’en occuper. L’Eca lui menait la vie dure, anticipant le moindre de ses mouvements et contrant chacune de ses ruses. Comment pouvait-elle faire ? Elle avait sous-estimé son ancien mentor. Il y avait une classe d’écart que les exploits récents ne comblaient absolument pas.
Le loup blanc menait la meute, il sauta à la gorge du premier ange à sa portée, ouvrant ainsi une voie royale vers les lignes brâkmariennes à Astrae et ses compagnons d’armes. Le grand Iop n’était pas en reste, ce loup n’allait pas lui enlever le plaisir de se battre. Dégainant sa lourde épée, il se chargea lui-même de se tailler un chemin.
La troupe de Brâkmar regagnait du terrain, repoussant les Bontariens en déroute. Ça n'était pas le moment de se laisser aller. Sénécia concentra toute sa colère et dans un cri de rage atteignit Shad'O à la jambe. Un éclair de surprise traversa le regard de celui-ci avant de se changer en expression amusée. La Pandalette sentit la satisfaction l'envahir. Elle pouvait l'atteindre, elle en était capable. Mais distraite par l'euphorie de son exploit, la jeune guerrière ne vit pas les anges derrière elle qui, dans leur fuite, la déséquilibrèrent. C'est ce moment-là que choisit l'Eca pour bondir et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, Sénécia se retrouva désarmée. Acculée contre un arbre, elle était à sa merci.
« Je vais t’offrir une mort honorable…une mort de guerrier », dit-il en posant la pointe de son sabre sur la gorge de son ancienne élève. Sénécia s’était résignée. Son maître était le plus fort, elle acceptait son sort. Elle comprenait à présent l’enseignement de Shad’O. L’humilité est la première des vertus. Ce dernier avait la larme à l’œil, il avait manqué l’enseignement de son meilleur élément. L’Eca leva son sabre, Sénécia ferma les yeux. C’était la fin… mais le coup ne vînt jamais. Shad’O regardait la lame qui lui transperçait la poitrine avec une forme de soulagement… il accueillait la mort avec un sourire.
Sénécia ouvrit les yeux, son mentor était à terre… sans vie. A sa place se tenait son commanditaire.
« J’ai encore besoin de toi, mercenaire ! C’est toi qui me protèges et non l’inverse. Ramasse ta hache, tu risques d’en avoir l’utilité.
- Vous l’avez tué… Ma mort n’était que justice ! »
Sénécia ressentit un profond mal-être. Son maître était mort indignement… et de la main de son commanditaire… de celui qui la payait pour ses talents… rien de plus insultant envers l’enseignement de Shad’O.
L’armée de Bonta était en déroute. La mercenaire n’eût d’autre choix que de suivre son commanditaire. En s’éloignant, elle observa attentivement les quatre cavaliers et la meute de croc-glands qui avaient fait basculer le combat.
« Chazuro…ainsi tu es vivant…
- Tu connais un de ces guerriers ? dit l’homme en se retournant.
- Oui, Chazuro, un Sacrieur brâkmarien et Astrae, son ami Iop. Je les croise depuis un moment dans le Monde des Douze. Mais ça fait deux fois qu’ils sont accompagnés de cette meute… »
Le visage du commanditaire se referma. Ce loup blanc ressemblait étrangement à une gravure du livre sur les Frozen. Que savaient ces deux énergumènes sur le loup et sur les Givrés ? Il allait devoir les surveiller attentivement et surtout récupérer rapidement le dernier exemplaire du livre à Pandala. Je vais devoir employer la manière forte… Sénécia ne me semble plus de taille...

Jaken observait les Bontariens fuir. A ses côtés, sa troupe se congratulait. Les Enis soignaient les petits bobos. Akiox et un Sadi étaient allés chercher le corps de Shad’O. L’Eca méritait tous les honneurs.
Chazuro et ses amis se dirigèrent vers Jaken.
« Alors l'ami, on se retrouve ! Enfin une victoire ! C'est pas passé loin...
-Oui effectivement... » répondit l'Osa d'un air pensif en regardant passer la dépouille du vieux félin. Une minute de silence se fit, chacun baissant les yeux, un peu mal à l'aise de se réjouir après cette bataille où tout n'avait pas été heureux... Soudain Jaken se reprit :
« Enfin je suis content de voir que vous êtes toujours en vie depuis la dernière fois... et toujours aussi bien escortés ! » dit-il en jetant un coup d'oeil alentours. Il avait conscience que la présence de ces loups était probablement ce qui leur avait sauvé la mise mais il ne pouvait s'empêcher de se sentir un peu nerveux à l'idée de les savoir rôdant non loin de lui.
« Oui, une aide inattendue..., » répondit Astrae fixant entre les Brâkmariens qui passaient et repassaient devant lui le mystérieux loup blanc assis au loin à les observer, comme s'il attendait quelque chose ou bien montait la garde. Soudain un soldat se posta devant, occupé à aider un compagnon blessé. Astrae chercha l'animal du regard mais lorsque son champ de vision fut à nouveau libre, le loup n'était plus là. Il regarda alors autour de lui : plus aucune trace de la meute, ils avaient tous disparu en un souffle. Le Iop croisa le regard de Chazuro et n'eût pas besoin que son ami parle pour comprendre ce qu'il pensait : tout cela était de plus en plus étrange...
Les autres, occupés à faire connaissance avec Jaken et à parler des événements survenus récemment, n'avaient pas fait attention à ce qu'il venait de se passer.
« Sacre était bizarre. Toujours aussi agaçante mais bizarre...
- En même temps, vu le carnage qu'a fait son frère ces derniers mois... Elle n'a pas l'habitude qu'il ait le dessus en permanence. Elle aime gagner et pense qu'il ne peut pas en être autrement alors ça a dû lui faire tout drôle... ironisa Carbon.
- Cette victoire va déstabiliser les Bontariens, au moins momentanément. A force d'enchaîner les conquêtes, Thomas devait se sentir tout puissant. Ça va lui en mettre un coup de ne pas avoir réussi à prendre Pandala alors qu'ils étaient en surnombre par rapport à nous. C'est bon pour nous ça ! » enchaîna Jaken.
Ils continuèrent ainsi à parler un court instant avant de se mobiliser et d'aller aider les autres. Il ne fallait pas fléchir et perdre l'avance qu'ils avaient durement acquise. La lutte était loin d'être finie. Et ils avaient un hommage à rendre...

Le soleil terminait sa course dans un ciel écarlate parsemé de nuages rosissants. Le calme régnait à nouveau comme un voile protecteur drapé sur le cortège. Les bambous effleurèrent l'eau et l'embarcation se mit à glisser à la surface comme une plume caresse doucement l'air dans sa chute. Ils étaient tous là, tous réunis en demi-cercle, face à la berge. La tristesse et le respect se lisaient sur les visages. Une légère brise se leva, faisant virevolter furtivement les bords de la tunique couleur ocre dont il était vêtu, ses sabres croisant son torse. Chazuro observa les rayons se refléter sur les lames puis sur l'eau comme de milliers de petits diamants, baignant la scène d'une lumière irréelle. Jaken fit un pas en avant et commença :
« Aujourd'hui, une victoire a été remportée. Une victoire empreinte d'un sort funeste qui a signé la perte d'un vénérable guerrier. Sûrement l'un des plus nobles et courageux d'entre nous. Honorons comme il se doit ce disciple d'Ecaflip qui a donné sa vie pour défendre son peuple et qui, à maintes reprises, a fait preuve d'une loyauté sans pareil envers ses compagnons. C'est avec le plus grand respect que nous remettons ton sort entre les mains de la nature, valeureux Shad'O. Puisses-tu ne faire qu'un avec l'univers et en connaître la plénitude. »

Les Crâ se préparèrent, dressant leurs arcs armés de flèches enflammées vers le ciel. « Adieu » souffla Jaken. Rabaissant leurs armes, les archers tirèrent. Une vague de feu envahit le radeau jusqu'à dissimuler à la vue de tous le corps du vieil Eca. Tout le monde était ému par cette cérémonie. Tout guerriers qu'ils étaient, certains peinaient à dissimuler la petite larme qui faisait son apparition au coin de leurs yeux. Le cortège resta figé au bord de l'eau, observant l'embarcation incandescente dériver paisiblement. Une épaisse fumée montait lentement dans les airs, libérant ainsi l'âme du guerrier. Lorsqu'elle ne fut plus qu'une traînée à l'horizon, les Brâkmariens commencèrent à se disperser, certains partant dans leur coin méditer aux événements de la journée, d'autres se mettant en quête d'un abri où dormir.
Nos compagnons furent de ceux-là. Les dragodindes étaient épuisées du périple qu'ils venaient de réaliser et ils n'auraient eux-même pas dit non à un peu de nourriture et de repos. Carbon leur indiqua un endroit tranquille où planter leur camp. Dormir à la belle étoile ne leur ferait pas de mal après une telle journée. Ils ne mirent d'ailleurs pas longtemps à sombrer, la nuit les enveloppant.

Dans une petite ruelle d’Astrub, le temps sembla s’arrêter. Tout à coup, un petit Xélor habillé de noir apparut, se téléportant d’un endroit inconnu. Frottant sa tunique, il se dirigea d’un pas alerte vers l’atelier des cordonniers et en poussa la lourde porte. A l’intérieur, le commanditaire de Sénécia leva la tête et sourit en voyant entrer son ami.
« Dvergar ! Merci d’être venu aussi vite !
- Hogmeiser ! Il y avait longtemps, camarade ! » répondit le Xélor, rendant son accolade à son hôte.
Ils partirent bras dessus bras dessous vers l'arrière-salle de l'atelier.
Chapitre 6

Si seulement le bois avait travaillé davantage... L'interstice entre la porte et le chambranle était bien trop menu pour que les deux grands yeux, l'un vert, l'autre bleu, qui s'y pressaient puissent distinguer quoi que ce soit. Néanmoins, l'inconvénient ne s'appliquait pas au son... ce qui ne manqua pas de faire naître quelque lueur de stupéfaction dans ce curieux regard qui ne tarda pas à s'illuminer d'un éclair menaçant. Sénécia bouillait de rage. La conversation qu’elle épiait ne lui était pas favorable, loin de là. Son commanditaire allait se passer de ses services et sa tête était mise à prix. Perdue dans ses pensées, elle ne s’aperçut pas que la porte de l’arrière-salle de l’atelier des cordonniers venait de s’ouvrir.

« Mais qui voilà ! ricana l’homme à la capuche. Dvergar ! Tue-la !
- Bien sûr, Hog’, avec plaisir. »

Sénécia eût à peine le temps d’apercevoir une petite forme noire que tout sembla se figer autour d’elle. Heureusement, un homme entra dans l’atelier en criant avec le bel accent d’Astrub : « Lu ! Cherche cordo 100 no noob, plz g lé K ! ».

Cette diversion lui permit de se faufiler à l’extérieur et d’engloutir une potion de sa préparation.

*Zwifffttt*!
La saveur verte et amère persistait dans la bouche de la Pandalette, comme un écho à l'acte de trahison auquel elle venait d'échapper. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait pas ingurgité une telle mixture. C’était pourtant, à une époque, l'une de ses préférées, synonyme de dépassement de soi et d’entraînement au combat.
La maison, ou plutôt le repaire de Shad’O, n’avait pas beaucoup changé : toujours le même esprit spartiate, mais avec le brin de poésie et la zénitude qui caractérisent les maisons de Pandala.

Sénécia réfléchissait. Il lui fallait faire le point. Les événements des derniers jours l’avaient perturbée.

Shad’O était mort, son commanditaire voulait sa tête, Chazuro et Astrae avaient un Xélor tueur aux trousses du nom de Dvergar, la guerre grondait dans la moindre région du continent... oui vraiment, tout était allé trop vite. Sénécia se recentra sur elle-même et après un temps de réflexion prit une décision. Elle grimpa d'un pied agile et décidé à l'échelle de bambou qui menait à la chambre de son ancien maître et alla droit vers le coffre placé innocemment entre deux bulbigs en pots... pour la décoration bien sûr... Se débarrassant des derniers morceaux de feuilles accrochés à sa fourrure, elle redescendit munie d'une cape, d'une coiffe Terredala ainsi que de sa hache et sortit en coup de vent.


La matinée était pluvieuse. Le ciel d'un gris sombre et triste diffusait une lumière diaphane que seules les toiles d'araknes ornées de perles de pluie venaient un peu égayer par leurs reflets éclatants. Le reste de la faune semblait avoir déserté les lieux, probablement à l'abri quelque part. Astrae et Chazuro traversaient le pont accompagnés de Xeroxx, Carbon et Akiox. La bataille était passée mais chacun ruminait les différents événements. Le Sram pensait à sa mission : prévenir tous les villages allait être long. Xeroxx revoyait la danse macabre de Shad’O. Cet Eca était une légende et tout petit chaton rêvait d’un aussi grand destin. Astrae épiait de tous les côtés, il sentait une présence... Le loup le hantait, le mettait mal à l’aise. Chazuro revoyait Sénécia, au bord de la mort, sauvée par son mystérieux commanditaire. Mine de rien, il avait eu peur pour elle... Et Carbon, lui, pensait aux breuvages légendaires de Pandala qu’il allait enfin pouvoir déguster !

La traversée s’effectua sans problème. A la sortie du pont, le garde Chopynwa les stoppa dans leur course.
« Halte-là ! Etrangers, je vous salue ! Ouvrez grand les fioles qui vous servent d’oreilles, je ne le répéterai pas deux fois : « Par ordre du Grandapan, chaque aventurier qui pose un orteil sur l’île de Pandala doit s’acquitter de la taxe sur la Pandrista. »
- Oh Chopy ! Arrête d’essayer d’arnaquer les voyageurs et laisse-nous passer ! le coupa le Sram.
- Akiox ! Sacré voleur ! Alors cette bataille ?
- Si je suis là, c’est qu’on a gagné, Chopy... » soupira-t-il. Le garde était gentil mais très limité. Le Grandapan l’avait affecté à ce poste pour l’éloigner et surtout s’en débarrasser.
Les cinq voyageurs reprirent leur route. Astrae sentait son cœur s’accélérer : ils allaient enfin mettre la main sur ce livre suscitant toutes les convoitises. La fin du trajet se fît rapidement et la grande bibliothèque de Pandala ne tarda pas à se dresser devant eux. Le bâtiment, d’un blanc immaculé, était entouré de bambous de toutes tailles. Astrae et Chazuro sautèrent de leurs montures.
« Allez ! On va enfin savoir !
- On va vous laisser bouquiner, répondit Xeroxx. Il paraît que les Pandas ont des réserves de liqueurs et de bières impressionnantes. Carbon et moi allons visiter une taverne en vous attendant. Tu viens avec nous, Akiox ?
- Non, ma mission est de prévenir le Grandapan ainsi que les différents villages. Je vous laisse donc à votre quête, dit-il en s’éloignant. Et encore merci de votre aide pour le pont !
Le Sram disparut dans les bambous. Xeroxx et Carbon, attirés par une enseigne représentant une belle chopine, s’éloignèrent aussi. Astrae et Chazuro échangèrent un regard puis prenant une grande inspiration s’engouffrèrent dans la bibliothèque.

Le moment tant attendu par Chazuro et Astrae arrivait enfin. Devant eux, sur un simple bureau de bois ordinaire, était posé un magnifique ouvrage, semblant venir de la nuit des temps et possédant une aura si puissante que même la poussière qui s'y était déposée au fil des siècles ne semblait pouvoir atténuer son aspect majestueux. Après trois semaines de voyage et de course-poursuite, il était enfin là. Aucun des deux n’osait l’ouvrir ni même le toucher. La reliure présentait de légers reflets bleutés selon la direction dans laquelle la lumière effleurait le cuir de mulou dont elle était faite, lui donnant un aspect presque surnaturel. Les nervures semblaient attester de son grand âge et le grand flocon qui y était gravé lui donnait un air solennel, à la manière d'un sceau qui le protègerait de tout intriguant mal-intentionné risquant de souiller le savoir qu'il renfermait. Le Sacrieur prit une grande inspiration et souleva la couverture. Ils se mirent à lire avidement ce qui ressemblait à une introduction.

« Je me nomme Ivel Suarts, historien et scientifique de formation. Il y a maintenant deux ans de cela, ayant miraculeusement réussi à reprendre contact avec l'un de mes plus anciens amis, membre d'un clan très fermé et vivant retiré du reste du monde, mes instincts d'aventurier se réveillèrent. Après force persuasion, je réussis à obtenir son accord pour leur rendre visite. Au terme de cette année passée au contact des Frozen Tears, qui s'est révélée absolument fascinante, je pense qu'il est temps, et même absolument nécessaire, de partager mes découvertes.
Cet ouvrage aura donc pour but de décrire précisément la vie de cette communauté si particulière, vivant dans un univers majoritairement hostile. Je vais essayer de rapporter de la manière la plus fidèle possible ce que j'ai pu apprendre, observer et retenir de mon incroyable séjour. Il est, à mon avis, indispensable de faire connaître au monde un groupe d'aventuriers, certes oublié de nos contemporains, mais qui semble avoir joué un rôle extrêmement important dans l'histoire de notre peuple.
Mais il ne me faut point trop en dire pour le moment. Je leur ai promis de ne pas m'épancher en détails fâcheux. Et il est préférable de vous laisser découvrir petit à petit et par vous-mêmes l'ampleur de mes trouvailles ainsi que la richesse historique que ce voyage a mise au jour. »

« Il est très important de savoir que le chemin qui mène au sanctuaire des Givrés est semé d’embûches. Nul ne peut se lancer dans une telle expédition sans préparation ni connaissance préalable de la difficulté du périple à réaliser. J'y ai d'ailleurs, pour ma part, songé bien longtemps avant de me lancer ! Il faut dans un premier temps se rendre sur le continent perdu de Frigost. Après maintes réflexions, j'ai décidé de partir du port de Bonta à bord d’un petit esquif. Il me semblait que c'était le moyen le plus simple, bien qu'un peu dispendieux... Le vent était favorable, la voilure était grande, la traversée n’a pris que deux semaines et s'est révélée somme toute plutôt agréable, le coucher du soleil nous faisant face chaque soir. Mais je dois avouer que le sort a été particulièrement clément avec nous. En effet, mieux vaut tout de même rester sur ses gardes lorsque l'on navigue sur ces mers... Les pirates ne se privent jamais de piller toute voile caressant le même vent que la leur. Fort heureusement, nous n'avons pas croisé leur route, auquel cas l’équipage n’aurait pas été de taille à les affronter. Une fois débarqué à Frigost… eh bien … je ne sais que dire... Un jeune garçon est apparu pour nous accueillir. Après m’avoir bandé les yeux, il m’a pris la main pour me conduire à travers sa terre jusqu'au sanctuaire des Givrés. Le retour se fît de la même manière. Je ne pourrais donc pas en décrire l'itinéraire de façon certaine. Mais d’après ce que j'ai pu voir ou entendre dans la suite de mon séjour, le grand Sapik et le « rocher à tête de loup » en sont des points de repère importants. »

Astrae et Chazuro se regardèrent les yeux pleins d’espoir. Tout cela commençait plutôt bien, ils allaient enfin en apprendre plus sur les Frozen Tears. Chazuro tourna la page et ils continuèrent leur lecture.
« Les Frozen Tears ont un système de hiérarchisation clair et précis. Chaque membre a un rang et un rôle à tenir. Et il y a bien évidemment un chef, un meneur. Lors de mon séjour parmi eux, c’était une femme qui dirigeait le clan. Grande brune aux yeux verts, elle avait une prestance et une aura immenses. J’ai très peu parlé avec elle. Mon interlocuteur principal était bien sûr mon ami, un petit homme du rang de « Guide ». J’ai vécu dans sa famille pendant un an, partageant son quotidien. En dessous du meneur se situent deux autres figures de pouvoir : le bras droit et le trésorier. D'après ce que j'ai pu en apprendre en parlant avec mon hôte, le bras droit s’occupe des armées, de la chasse et de la pêche. Le trésorier, lui, s’occupe de l’élevage, de l'artisanat et des archives.
Ce dernier élément semble être d'une grande importance pour eux. En effet, les Frozen Tears, si l'on en croit l’histoire, gardent un lourd secret et le protègent du reste du monde. Ce qui expliquerait sûrement qu'ils ne se laissent que difficilement approcher... Je n’en sais pas plus et n’en parlerai pas, car comme je l’ai déjà dit plus haut, mon vieux compagnon n’est pas un haut gradé et, bien qu'étant relativement accueillants, ils ne vous laisseront pas accéder à certaines pierres d'angles de leur communauté. Outre le meneur, le bras droit et le trésorier, seuls les protecteurs et les diplomates ont accès au conseil des Givrés. »

Astrae prit une page entre ses doigts pour avancer dans leur découverte. C’était la première fois qu’il touchait le livre et une vague glacée le traversa. Une impression exceptionnelle de bien-être l’envahit. Il se tourna vers Chazuro qui gesticulait à côté de lui mais il ne l’entendait pas. Il vit également le bibliothécaire accourir mais il était comme... ailleurs. Il reporta son attention sur l’ouvrage : celui-ci s’était recouvert d’une épaisse couche de glace. Soudain, il se fissura et explosa au visage d’Astrae.

« … mais qu’est ce que tu as fait ?!!! On a plus rien maintenant !!!!!! » hurlait Chazuro.

Le grand Iop restait tout hébété, sentant une grande sagesse se répandre en lui, se diffusant comme de l'or pur au travers de chacune de ses cellules, et par là-même, l'emplissant d'un sentiment de confiance en lui comme il n'en avait jamais connu auparavant. A ses côtés, Chazuro pestait, criait de rage envers son ami qui venait de détruire l’élément essentiel de leur quête.

« Comment on va en savoir plus ? Hein ? Dis-moi ! Par quel moyen trouver le lien entre le loup blanc et les Frozen Tears ????
- Le loup est, comme le flocon de neige, l’emblème des Frozen Tears. Il désigne leur esprit de groupe et leur rage au combat, répondit Astrae avec une voix étrangement grave.
- Quoi ??? Et c’est maintenant que tu as tout détruit que tu m’annonces ça ?? continua à vociférer le Sacrieur.
- De plus il est à noter qu’un rocher en forme de tête de loup sert d’indication pour trouver le Royaume Givré. Il suffit de suivre son regard par une nuit adorée des loups.
- Mais… Astrae, réveille-toi !! » dit Chazuro en secouant son ami.

Astrae revint à lui après quelques instants.

« Je connais le livre par cœur… il est en moi, il répond à chacune de mes questions sur eux, tout devient clair pour moi. Enfin… sauf les parties que le livre n’aborde pas…
- Mais comment cela est-ce possible ?
- Je ne sais pas mais je vais le découvrir !
- Parlez-moi de leur agriculture, intervint le hibou bibliothécaire.
- « On pourrait croire qu'un endroit comme Frigost où les températures atteignent des records en-dessous de zéro ne laisse pas beaucoup de place au développement de la vie et notamment de la végétation. Imaginez donc quelle ne fût pas ma surprise lorsque l'on m'amena visiter les champs de frostiz ! Cette île recèle vraiment des trésors incroyables ! A l'époque où le climat était semblable au notre, des cultures céréalières s'étendaient à perte de vue. Lorsque le froid glacial a jeté son dévolu sur la région, aucune plantation n'a survécu... A l'exception d'une seule : une variété de blé qui semble s'adapter aux variations abruptes de température et qui a muté pour donner une graminée aux propriétés et au goût étonnants. J'ai eu évidemment l'extrême curiosité de vouloir étudier de plus près cette plante hors du commun et mes découvertes se sont révélées au-delà de mes espérances. J'ai ainsi observé que ce que je croyais être une adaptation permanente au froid est en fait une sorte de réaction instantanée aux basses températures : mettez un greffon dans un pot à l'abri dans votre logis et vous aurez du blé classique, mais exposez ce même échantillon au gel et il se transforme immédiatement. En résumé : du blé, du froid... et paf ! Ça fait des frostiz !
Cette céréale a également un goût particulier, différent de son homologue des zones tempérées. Les Givrés s'en servent pour faire de la farine qui permet de réaliser d'excellents desserts ainsi que du pain. On en tire également de l'huile très utile à la conservation de certains aliments et qui donne aux plats un léger goût sucré. Un délice qui vous ferait rugir de plaisir ! »
- Il parle vraiment comme un fichu bouquin, s’écria Chazuro.
- Et ce qu’il dit est rigoureusement vrai, c’est un des quelques chapitres que j’ai lus. En effet, je suis moi-même un grand passionné des différentes agricultures à travers les âges et le climat. Et celle des Frozen Tears est proprement extraordinaire…

A la taverne, la fête battait son plein. Carbon et Xeroxx s'étaient mis en tête de battre les Pandas présents aux fameux jeux de boisson pour lesquels ils étaient réputés.
Mais malgré leurs entraînements avec Hapero, la tâche était rude !
« Alors, on déclare forfait ? » leur demanda une serveuse en leur faisant un clin d'oeil malicieux.
« Absolument pas !! » lança l'Eca, tout excité. « Apportez-moi encore une petite douzaine de chopines, je suis sûr que je peux le battre, lui » ajouta-t-il en désignant d'un signe de la tête un petit Panda encore frêle, aux airs de jeune adolescent.
La serveuse étouffa un petit rire : « A votre place, je me méfierais des apparences...! »
L’ambiance était joyeuse. La nouvelle de la victoire du pont, le récit des exploits de Shad’O, tout aidait à l’amusement.

Dans un recoin de ce même établissement, une Pandalette observait la scène. Elle détaillait chaque buveur ainsi que les moindres allées et venues. Elle n’était pas tranquille, elle sentait le danger approcher... Et elle avait raison. Soudain la porte battante claqua pour laisser place à un petit Xélor. Habillé d’une tunique noire flanquée d’une étoile bleu ciel, son visage semblait marqué par les années. Il s’installa au bar en jetant un regard amusé aux groupes de soulards. Sénécia réagit immédiatement. Comprenant les néfastes intentions de l’horloger, elle se rapprocha des amis de Chazuro.
« Allez prévenir vos amis à la bibliothèque, le danger est là ! Dites à Chazuro cette phrase : "Prépare ta sérénade sur le pont de la nuit, Chopine viendra". Je m’occupe de retenir le Xélor. »

Sénécia fut surprise de la réactivité de Carbon : le Sadida ne semblait absolument pas atteint par les litres d’alcool ingurgités. Sans poser plus de questions, Xeroxx et lui se levèrent et quittèrent la table sous les huées des différents participants.

Dvergar se dirigea lui aussi vers la sortie mais Sénécia fût plus rapide que lui, sa hache s’abattant sur le comptoir de la taverne. Le silence se fît.
« Ne nous prive pas de ta compagnie si tôt, Dvergar... nous avons un petit compte à régler. »
Au nom de Dvergar, un frisson traversa la salle. Comment ce Xélor pouvait oser mettre les pieds à Pandala ? Tous les Pandas avaient en mémoire le massacre de la garnison d’Aerdala, vingt ans auparavant. Lors d’une nuit d’horreur qui avait durée en réalité trois jours, la troupe gardant le village blanc s’était fait égorgée, soldat par soldat. Dvergar était le seul Xélor capable d’une telle roublardise, lui l’ange déchu, passé mercenaire, pour assouvir son esprit détraqué et sa soif de sang.

En un instant, la joyeuse taverne se transforma en véritable champ de bataille. Les chopines volaient en direction du nain, les haches sortaient de leurs fourreaux, les bâtons tournoyaient. Dvergar, lui, ne bougeait que ses mains, mais c’était suffisant pour éviter tous les projectiles et freiner ses attaquants. Le jeune Panda à l'allure frêle, s'étant dissimulé dans un coin pour suivre toute la scène, se faufila discrètement derrière le comptoir. Le Xélor ne l'avait, semblait-il, pas vu et il projetait de le prendre à revers. Cela détournerait sûrement suffisamment son attention pour que son influence faiblisse et que les autres puissent l'atteindre. Du moins, c'était ce qu'il espérait... Il prépara sa hache, inspira calmement et surgit tout-à-coup de sa cachette dans un cri de rage, prêt à l'abattre par derrière... quand un rayon obscur le percuta et le traversa de part en part. La douleur était tellement intense qu'il entendait à peine la colère de ses congénères à la vue d'un tel spectacle. Le Xélor n'avait eu qu'à lever un doigt pour le réduire à néant. Ce dernier affichait un air impassible. Rien ne semblait le perturber, ce n’était pas une dizaine de soiffards qui pourraient le ralentir. Seule Sénécia lui paraissait assez forte pour lui résister plus de deux minutes. Mais la Pandalette avait disparue de la circulation. Il devait en finir au plus vite avec les soulards et partir à sa poursuite. Ses cibles s’éloignaient et il n’aimait pas ça.

Les dragodindes filaient à travers les bambous. Chazuro était anxieux, le message de Sénécia était clair. On en avait après eux, un Xélor apparemment. Et la seule solution était de lui tendre un piège. Mais pouvait-il avoir foi en son ancienne amie ? La phrase-code ne lui rappelait que des moments heureux en sa compagnie, il avait suivi son instinct.
Astrae, lui, était perdu dans ses pensées... les dessins et les descriptions du livre défilaient dans son esprit : un grand loup blanc perché sur un rocher, une faune et une flore plus étrange l’une que l’autre... Tout cela le perturbait. Cela lui semblait familier, comme s’il l’avait toujours su...


La mercenaire pressait sa monture, il ne fallait pas qu’elle perde la maigre avance gagnée à la taverne. La lourde explosion dans son dos lui signala que Dvergar recommençait sa poursuite. Son plan était à double tranchant, chaque décision serait importante.

La petite troupe arriva enfin au pont. De l’autre côté, la brume épaisse de l’île de Grobe laissait planer une atmosphère de peur et de mort.
« Pourquoi venir dans un endroit aussi sinistre ? demanda Xeroxx.
- Longue histoire, répondit Chazuro. Mais pour faire court, c’est un endroit qui a marqué notre passé commun, Sénécia et moi... Il y a de cela longtemps déjà, nous sommes sortis ici vainqueurs d’un combat auquel nous ne pensions pas survivre et nous avions fait la promesse que si un autre combat dantesque devait avoir lieu, nous le ferions ici et ensemble.
- Donc si je comprends bien, on va bastonner un Xélor à cinq contre un ? interrogea Carbon.
- Si c’est le Xélor auquel je pense, ça ne sera pas de trop. Le massacre d’Aerdala, c’était lui. Les parents de Sénécia sont morts ce soir-là... Dvergar est venu à bout de 150 guerriers. Le lendemain de ce carnage, Shad’O est arrivé sur les lieux pour se lancer à sa poursuite, mais ce fou avait bien protégé sa fuite. Au lieu de ça, il trouva une jeune Pandalette d’une dizaine d’années, terrée dans un coin d'une habitation, le regard fixé sur deux corps éparpillés dans la pièce... La seule survivante. Il l’a prise sous son aile, et l’a formée dans le seul but qu’elle puisse un jour affronter cet ange maléfique. Depuis ce jour, Dvergar est devenu mercenaire et il faut être fou ou très puissant pour se permettre de l’engager.
- Mais alors pourquoi Sénécia n’est pas Brâkmarienne ? questionna Astrae qui, lui aussi, découvrait cette histoire.
- Ça, je ne le sais pas. Elle a eu, je crois, une grande altercation avec son maître. Elle ne lui a plus reparlé jusqu’à hier, lors de la bataille du pont... Tiens, la voilà ! »

La cavalière sauta de sa dragodinde. Chazuro se dirigea vers elle et, sous les yeux ébahis de ses compagnons, l’enlaça un instant.
« Tu es prête ?
- Plus que jamais. J’ai ouvert les yeux sur mon passé et sur mes erreurs. Shad’O est mort par ma faute et aujourd’hui je vais honorer sa mémoire en réalisant ce pour quoi il m’a formée.
- Nous t’aiderons quoiqu’il arrive. Mais dis-moi, pourquoi te ranges-tu de notre côté ?
- Hogmeiser, mon commanditaire, m’a débarquée. Il veut votre mort ainsi que la mienne et… il a engagé Dvergar.
- Hogmeiser ? Le cordonnier ? Que vient-il faire dans cette histoire ?
- Je ne sais pas vraiment. Il est puissant auprès des Bontariens, c’est lui qui influence Thomas Sacre et dirige la guerre. Il cherche aussi des livres sur les Frozen Tears, une espèce de légende sur un continent perdu. Et quand il vous a vu accompagnés de loups, il a eu peur, très peur. Il a parlé de prophétie et d’autres choses étranges.
- Mais c’est impossible ! intervint Carbon. Hogmeiser a disparu il y a de ça 50 ans. Laissant tout son œuvre derrière lui. Comment peut-il être de retour et si puissant ?
- Ça reste un mystère, continua Sénécia.
- De toute façon, on se posera des questions plus tard. Dvergar ne va pas tarder, il faut se préparer. Gagnons ce combat, nous irons à Bonta après, conclut Chazuro.
- Vous ne verrez jamais Bonta ! »

La voix du Xelor les surprit. Il se tenait là derrière eux, les bras croisés dans ses manches.
« Merci de m’avoir attendu avec autant d’impatience, continua-t-il avec un brin d’amusement dans la voix. Mais vous avez oublié un détail…
- Ah oui et lequel ? clama Sénécia, sûre d’elle.
- Tu n’as donc rien appris de ton premier combat ici, jeune fille ? L’odeur du sang attire les créatures de Grobe.
- Tu seras donc dans le même pétrin que nous ! lança Xeroxx en jetant un regard inquiet vers le pont.
- Pauvre fou ! Tu crois vraiment que mon sang va couler ? »

Astrae, jusque-là silencieux, coupa court à la conversation en lançant une première attaque. Dvergar fît un pas de côté pour éviter la grande fissure dans le sol provoqué par l’épée du Iop.
« C’est tout ? » ironisa-t-il.
Les cinq amis se déchaînèrent, lançant leurs sorts contre le Xélor. Mais celui-ci, comme à la taverne, évitait ou stoppait les coups avec une facilité déconcertante. En revanche, sa première attaque fit mouche. Chazuro sentit une poignée d’aiguilles lui transpercer la jambe. A l’instant précis où la première goutte de sang toucha le sol, un rugissement retentit de l’autre côté du pont... et le sol se mit à trembler.

« Ils arrivent ! ricana le Xélor.
- Xeroxx, Carbon, faites-leur face, on s’occupe du nain ! » ordonna Astrae.

L’Eca leva les yeux vers le pont : six énormes fantômes de Yokai Firefoux fonçaient vers eux.
« On va pas tenir longtemps de notre côté, ils débarquent en masse ! se plaignit Carbon.
- On fait ce qu’on peut ! » râla Sénécia, après un énième coup de hache dans le vide.

Chazuro commençait à en avoir marre de courir après ce maudit Xélor. Les créatures de Grobe continuaient à affluer, le tambour d’un Pandore résonnait au loin. Et puis soudain, alors qu'Astrae et Sénécia avaient enfin réussi à encercler Dvergar, celui-ci disparut dans un grand éclat de rire :
« Il commence à y avoir beaucoup trop de monde ici ! Je vous laisse entre de bonnes mains !
- Le fourbe ! Il s’est téléporté ! hurla la Pandalette, folle de rage.
- A l'aide !! »

Ce cri de détresse venait de Xeroxx et Carbon, proprement encerclés par une nuée de fantômes. Astrae bondit pour les rejoindre et Sénécia lança le Sacrieur dans le tas. Le combat était rude, les coups de griffes pleuvaient de tous les côtés.
« Séné ! Rejoins-nous ! hurla Chazuro pour couvrir les rugissements d’un fantôme Maho.
- J’essaie, j’essaie ! Mais ils sont gros !
- Moi, je vais t’aider… »

La Pandalette sursauta. Cette silhouette, cette voix… Le fantôme de Shad’O se tenait à côté d’elle.
« Maître….
- Concentre-toi ! Il y a un combat à finir !
- Comment est-ce possible ??
- Concentre-toi, je te dis ! Les Pandas ont accepté mon âme car je suis mort en les protégeant. »

Le combat s’équilibra un petit peu, bien que la puissance de Shad’O ne soit plus celle de son vivant. Mais le répit fût de courte durée : une autre vague de fantômes apparut à l’autre bout du pont.

« Séné, écoute-moi ! Il faut les retenir ! Chazuro et Astrae ont un grand destin à accomplir. Il faut couvrir leur fuite. Astrae ! Chazuro ! Xeroxx ! Carbon ! Partez ! Vous devez aller à Bonta !
- Non ! On ne vous laissera pas ! réagit Chazuro.
- Partez ! C’est un ordre ! Astrae ,tu dois écouter ton cœur, la clef se trouve souvent dans les morts du passé. »
Astrae prit alors une grande décision. Il se fraya un chemin à travers les fantômes, suivi par ses trois autres compagnons. Carbon et Xeroxx tiraient Chazuro, qui criait à Sénécia de les suivre.
« Non je dois rester ici, c’est mon destin... auprès de mon maître….
Mais la Pandalette ne finit jamais sa phrase... elle se fit envoyer au sol, une énorme griffure lui traversant le visage.
Astrae ne se retourna pas. L’Eca et le Sadi, tirant toujours Chazuro pleurant de rage, le suivirent. Le cri du Sacrieur retentit un long moment :
- « Sénéciaaaaa ! Noooooonnnnnn… »
Chapitre 7

Un léger tintement résonnait dans l'air. Quelle douce mélodie... Taiky soupesait sa bourse. Les ventes de dragodindes en ces temps de guerre rapportaient gros ! Il allait pouvoir faire quelques emplettes. Enfin... juste quelques-unes ! Les gens se pressaient avec ferveur d'un hôtel de vente à un autre, fourmillant dans les rues de Bonta comme autant d'imprudents dépensiers qui ne se souciaient pas de voir venir. Le vieillard regardait d'un air désapprobateur un jeune Féca troquer ses kamas contre une coiffe de MmmMMMmm, quand des affiches placardées bien en vue sur un panneau attirèrent son attention. Ainsi les têtes d’Astrae et Chazuro étaient mises à prix ! Les deux semaines écoulées n’avaient pas dû être de tout repos pour eux... Un large sourire se dessina sur le visage de l’Enutrof : l’image de ces deux jeunes chatouillant Thomas Sacre le faisait bien rire. Mais l'heure n'était pas aux rêveries et Taiky reprit son chemin : les affaires n’attendaient pas dans une ville comme Bonta !

Le port de Madrestam était enfin en vue. La route avait été longue depuis le pont de l’île de Grobe. Deux jours et deux nuits à chevaucher à brides abattues, sans un mot. Seuls les râles et le souffle court des dragodindes se faisaient entendre. Astrae était mû par une force que ses amis ne lui connaissaient pas. Xeroxx et Carbon n’osaient briser le silence pesant régnant entre Chazuro et le grand Iop. Le regard du Sacrieur était empli d’une profonde tristesse. L’image de Sénécia, à terre, le visage en sang, le hantait. Comment Astrae avait-il pu l’abandonner pour courir après une chimère…

Astrae stoppa sa monture sur la place centrale du port. Il fit signe à ses compagnons de rester ici et s’engouffra dans une échoppe. L'intérieur tout en bois, d'aspect rustique, donnait une impression de chaleur qui contrastait avec le froid et l'humidité de l'eau qui faisait face à la bâtisse. Les marins appréciaient de s'y retrouver pour faire du commerce mais aussi pour parler, échanger des nouvelles au sujet des étranges événements qui se produisaient en mer ces derniers temps. Le pays semblait décidément sans dessus dessous, même au-delà de ses limites terrestres... Quelques vieux loups de mers étaient justement en plein débat, attablés autour d'un de leurs compères leur racontant ses mésaventures de la journée. L'un d'eux remarqua le Iop planté dans l'entrée, scrutant la pièce d'un air froid et concentré.
« Qui cherches-tu donc, mon ami ? »
Astrae, impassible, lui passa devant sans même y prêter attention.
« Gueurle, tu es là ? lança-t-il.
- Dans l’arrière-salle, jeune homme ! » répondit une petite voix éraillée.
Il se dirigea alors sans plus attendre vers une petite porte à côté du comptoir et pénétra dans ce qui aurait pu être apparenté à une véritable caverne aux trésors. Les murs étaient couverts du sol au plafond par des étagères pliant sous le poids de toutes sortes de produits, certains communs, d'autres moins... Perchée sur une échelle, se tenait une petite dame, au chignon aussi imposant que ses lunettes minuscules. Bien qu'elle eût l'air âgé, son agilité n'en était pas moins étonnante, jonglant avec différentes marchandises, le tout en équilibre à une hauteur qui devait bien faire deux fois sa taille.
« Il y a bien longtemps que tu n’es pas venu me voir. De quoi as-tu besoin cette fois-ci ? Encore un viscère de scorbute ?
- Non, je dois me rendre à Bonta. Te reste-t-il des places dans ton prochain convoi ? »
La petite vieille sauta prestement de son échelle et atterrit face à Astrae.
« A Bonta ? Toi, le parfait petit démon ? Enfin ce n’est pas mon affaire… oui, il me reste deux places, répondit l'Enue en consultant un petit carnet sorti de son tablier.
- Très bien. Mon ami Chazuro et moi les prenons. Combien cela nous coûtera-t-il ? »
Elle le regarda d'un air à la fois amusé et réprobateur de la tenter ainsi.
« Rien ! Je te dois un service, tu le sais bien ! Vous serez dans la caravane numéro six. Le départ est dans quatre heures. Vous êtes arrivés à temps... »

Le jeune Iop ressorti, il annonça à Chazuro la suite des événements. Celui-ci ne répondit que par une moue dubitative. Xeroxx et Carbon comprirent aisément que leurs chemins allaient se séparer.
« Tu es sûr que tu ne veux pas qu'on vous accompagne ? » demanda le Sadida, à la fois un peu frustré de stopper l'aventure en si bon chemin et un peu inquiet pour ce qu'il allait advenir de ses deux nouveaux amis dans la ville ennemie.
« On pourrait attendre le prochain convoi et ensuite vous rattraper, ajouta l'Eca.
- C'est très gentil et courageux de votre part mais vous avez déjà fait beaucoup. Le voyage jusqu'à Bonta risque d'être long et l'arrivée là-bas délicate. Je ne veux pas prendre le risque que l'on se manque et que cela tourne mal pour l'un de vous. Rentrez auprès des autres et passez-leur le bonjour de notre part, vous allez en avoir des choses à leur raconter ! Ils doivent se demander ce que vous êtes devenus...
- Oui tu parles... Hap' doit sûrement organiser des tournées générales à notre santé... « pour nous soutenir » ! dit Carbon en esquissant un sourire ironique.
- Bon, eh bien... nous vous souhaitons bonne chance, mes amis ! Il va vous en falloir... Et en cas de besoin, comme vient de le suggérer Carbon, vous savez où nous trouver ! » ajouta Xéroxx avec un clin d'oeil.

Astrae les remercia encore, leur promettant de revenir les voir en Amakna. Quelques poignées de main échangées plus tard, le Iop regardait ses deux compagnons chevaucher au loin, se demandant s'il pourrait honorer sa promesse. Il jeta un coup d'oeil à Chaz' qui n'avait pas pipé mot depuis Grobe et observait l'horizon d'un air impassible. Il semblait comme anesthésié. Astrae soupira et emmena son ami vers les roulottes. Ces grands chariots de voyage formaient un convoi stationné à quelques centaines de mètres de là, prêt à partir d'un instant à l'autre. Certains n'avaient pas tout-à-fait fini d'être chargés, d'autres étaient déjà pleins à craquer. Le Iop se demanda comment tout cela arrivait à tenir. En effet, les roulottes, sortes de grandes charrettes en bois recouvertes d'un auvent à hauteur d'homme posées sur de grandes roues étroites et cerclées de fer, n'avaient pas l'air très stables et solides. Les cahots de la route se feraient sûrement sentir... ce qui ne promettait pas un voyage des plus confortables... Les deux amis zigzaguaient au milieu du convoi lorsqu'ils tombèrent nez-à-nez avec la numéro six. Ces derniers soulevant le drap de lin qui servait à occulter l'entrée, une petite voix les accueillit :
« Bonjour, compagnons de voyage ! Je m’appelle Khrysalide ! Et vous ? »

Chazuro était assis à côté de Gueurle et allait mieux. Depuis le départ de Madrestam, il avait eu le temps de réfléchir. Sénécia ne pouvait être morte et puis Xeroxx lui avait garanti que la Pandalette s’était relevée pendant qu’eux prenaient la fuite. Finalement, il comprenait la décision d’Astrae. Son ami, comme tout bon Iop, faisait passer les intérêts communs avant le personnel. L’histoire dans laquelle ils se trouvaient les dépassait grandement mais tout portait à croire que les Frozen Tears et le loup avaient un rapport avec Hogmeiser et la guerre entre Bonta et Brâkmar.
La victoire du pont de Pandala n’était qu’une simple embûche dans la course à la domination des anges. Il le savait : Bonta était plus forte, plus organisée et son effectif plus important que celui de Brâkmar. Astrae l’avait compris bien avant lui et avait pris les bonnes décisions pour essayer d’inverser le cours de l’histoire.
« Où sont les deux tourtereaux ? »
La question de Gueurle le tira de sa rêverie. Depuis le début du trajet, Astrae et Khrysalide ne se quittaient plus. La petite Enue s’amusait à les taquiner et se glorifiait de les avoir présenté. Le Sacrieur, lui, appréciait moyennement la situation. Son ami parlait beaucoup et même peut-être trop à cette Enie qui leur était inconnue.
« Astrae doit encore lui raconter son premier combat contre un piou…
- Serais-tu jaloux, jeune homme ? questionna l’Enue.
- Moi ? Non, pas le moins du monde.
- Hmm... voir ton ami s’éloigner ainsi ne doit pas être facile. Mais la vie est ainsi faite... continua Gueurle avec un regard malicieux.
- C’est vrai… on court à travers le monde depuis bientôt un mois et pour une fois que nous avons le temps de nous poser et de faire le point… il préfère se pavaner.
- Khrysalide ne te plaît pas ?
- Si, bien sûr, elle est gentille et attentive mais d’où vient-elle ?
- Ahah… mystère ! Mais je te garantie que tu peux lui faire confiance. Elle est une amie précieuse, sa sagesse t’étonnera sûrement. Mais méfie-toi quand même de son marteau !
- C’est noté, répondit Chaz en esquissant un sourire.
- Et puis profite du paysage, ton ami refera surface tôt ou tard ! Regarde ce magnifique serpentin.
- Je n’aime pas ces bêtes-là... J’en ai de cuisants souvenirs….
- Ah raconte-moi ! Ça me divertira !
- D’accord mais c’est une looongue histoire ! »

Dans la caravane numéro six, l’ambiance était toute autre. Astrae, d’habitude réservé, parlait, racontait, mimait, gesticulait devant la douce Enie qui le couvait du regard.
«…et c’est à ce moment-là que j’ai sorti mon épée pour nous tailler un chemin jusqu’à Jaken. J’ai fracassé une centaine de Bontariens plus vils les uns que les autres. J’ai sauvé Pandala d’une déroute assurée.
- Comme tu es fort… pour raconter des histoires, se moqua gentiment Khrysalide.
- Tu ne me crois pas ? demanda-t-il, déçu que ses effets tombent à l’eau.
- Oh si ! Mais tu n’étais pas seul à ce que je sache... lui répondit l’Enie avec un clin d’œil.
- C’est vrai, Chazuro était là aussi, et puis surtout la meute de loups... avoua le grand Iop, tout penaud.
- A propos de ces loups, vous n’avez pas trouvé le lien avec les Frozen Tears ?
- Non et pourtant j’ai passé en revue l’ensemble du livre.
- Raconte-moi un morceau de cet ouvrage », dit l’Enie, curieuse de tout.

Astrae se concentra un instant puis, apercevant des Kanigrous galopant dans les plaines de Cania, enchaîna :
« Je me suis un jour retrouvé face à face avec un Kaniglou. Deux Frozen étant avec moi, je pouvais donc me préoccuper d'autre chose que de me battre ou avoir peur : observer. Le scientifique que je suis s'est vraiment senti privilégié de pouvoir découvrir de tels spécimens. Il ressemblait évidemment au Kanigrou de nos contrées mais présentait quelques évolutions morphologiques très intéressantes : il avait le poil plus long et plus dense, formant une épaisse fourrure idéale pour le protéger du froid, et ses incisives supérieures étaient curieusement plus développées... ce qui n'était pas franchement rassurant ! Heureusement, mes compagnons s'en sont occupés sans grande difficulté. Ce n'est tout de même pas un animal commode. Ses attaques sont assez frontales et virulentes. Mais ils savaient exactement où étaient ses points faibles et cela ne leur a guère pris longtemps pour en venir à bout. Les Givrés sont des chasseurs habiles et tirent parti assez admirablement de la variété d'espèces relativement raisonnable de l'île. Ainsi il m'est arrivé de manger du fameux Kaniglou bien sûr, mais aussi de différentes espèces d'oiseaux étonnants comme le Maguin, le Pingoifu ou le Chamguin. Mais je dois avouer que mon préféré était le Morsguin Royal : un délice en grillade !
- Epatant... cette île doit vraiment être magique ! s’exclama Khrysalide.
- Oui j’en suis sûr... » répondit pensivement Astrae.
Et la conversation se poursuivit ainsi jusqu’au soir.

Thomas Sacre faisait les cents pas dans son bureau. L’annonce de la défaite de Pandala avait fait courir un vent de panique dans la cité blanche. La peur des loups grandissait et l’affolement était proche. Des cris dans le couloir l’alertèrent… Le sombre monarque débarque et étale son pouvoir, la puissance de l'ombre s'installe... La porte s’ouvrit violemment et Hogmeiser fit son entrée.
« Voilà comment tu mènes une guerre ? » vociféra-t-il.
Thomas préféra ne rien répondre. La colère de cet homme était sans bornes, il valait mieux ne pas l’affronter.
« Tu n’es qu’un incapable ! Ton père avait raison ! Ta sœur est meilleure dirigeante. Pandala n’était pas un objectif prioritaire. Je t’ai fait confiance une fois car j’étais occupé par d’autres affaires urgentes mais tu n’as pas su saisir ta chance.
- Comment une meute de loups pouvait-elle être prévisible ? rétorqua Sacre.
- Ça n’est pas le problème ! Ton attaque était si prévisible qu’Emma avait envoyé sa meilleure troupe pour te contrer.
- Le peuple n’en peut plus de cette guerre ! Il va se révolter ! A quoi sert-elle ? Où sont les monts et merveilles que vous nous avez promis ?
- Du calme, jeune homme ! Tu vois bien qu’il ne nous manque qu’un seul territoire et j’aurai les moyens de nous faire dominer le monde, tempéra Hogmeiser en pointant du doigt l’immense carte accrochée au mur.
- Ce territoire, c’est Brâkmar elle-même ! Comment comptez-vous vous y prendre ??
- A mon époque et à celle de ton grand-père ou de ton père, on savait faire la guerre avec l’appui du peuple. Donne-leur des jeux, du pain et de l’amusement, et ils te suivront où que tu ailles.
- Des jeux ???
- Oui des jeux ! Tu crois que l’arène de Bonta ne sert qu’à aider les jeunes aventuriers à battre un Bouftou Royal ? De l’ambition et de la splendeur, que diable ! Organise des duels, des combats épiques, offre la bière et donne-leur du sang ! Utilise ces pierres d’âmes de ma réserve personnelle, conclut Hogmeiser en faisant signe à deux gardes d’apporter une grande malle dans la pièce.
- Qu’y a-t-il dedans ? s’inquiéta Thomas.
- Que du bon, ne t’inquiète pas. N'ouvre la plus grosse que pour la meilleure équipe de combattants. Que la fête commence ! »

Chazuro écarta le rideau de la roulotte en criant : « J’ai trouvé ! J’ai trouvé ! ». Astrae et Khrysalide le regardèrent, surpris.
« Trouvé quoi ? dirent-ils en chœur.
- Pourquoi Hogmeiser s’intéresse aux Frozen Tears !
- Et ? pressa le Iop.
- Ton bouquin intégré, il a pas un chapitre sur la cordonnerie ?
- Hmm non... enfin si ! Il parle beaucoup de l’artisanat qu’ont développé les Frozen.
- Il n'y a pas une recette de bottes ou de ceinture ?
- Non, l’auteur explique qu’il n’a pas été autorisé à voir les fabrications ni même connaître les recettes. Par contre, il mentionne que pour fabriquer leurs objets, les Givrés organisaient des expéditions sur le continent pour récupérer des ingrédients et ensuite les mélanger avec des ressources spécifiques à Frigost.
- La voilà donc la raison... souffla Khrysalide.
- Explique-nous, je ne la vois pas moi, répondit Astrae en regardant l’Enie, plein d’espoir.
- Ma mère a connu Hogmeiser, elle vivait dans le même village que lui quand il a disparu. Elle me racontait quand j’étais toute jeune que Hogmeiser était le plus grand des cordonniers. La plupart des bottes qu’on connaît actuellement viennent de lui. Il inventait les recettes comme un imbécile enchaîne les donjons blops. Et puis un jour, après avoir entendu à la taverne une légende sur un continent perdu, il a disparu de la circulation.
- Un continent perdu, dis-tu ?
- Oui ! Et je crois qu’il s’agit de Frigost. Imaginez qu’il ait trouvé l’île, ainsi que le repère des Frozen Tears. Un tel homme a dû avoir des millions d’idées de nouvelles recettes à la vue de telles richesses. Il les a peut-être même volées aux Frozen…
- C’est possible, en effet, répondit Chazuro qui était impressionné par l’intelligence de la petite Enie. Mais comment expliquer le besoin de faire une guerre ?
- Souviens-toi des paroles de Taiky, dit Astrae. Cette guerre ne ressemble pas à Thomas Sacre. C’est donc bien Hogmeiser qui doit la mener…
- Le village brigandin pour les transports... se remémora le Sacrieur. Et le but caché serait de mettre la main sur des ressources ??
- Mais oui ! Les Dopeuls pour leurs pierres, les Zoths pour les écussons et Tainéla pour le cuir ! Ce sont des ingrédients courants pour la cordonnerie mais vite épuisés ! En prenant les transports et les territoires, il s’assure un approvisionnement régulier ! Mais quel va être son prochain objectif ?? »


Les trois amis n’eurent pas le temps de trouver réponse à cette question : un des Osa assurant la protection de la caravane vint leur dire de se taire. Un point de contrôle bontarien était en vue.
Depuis longtemps, Gueurle organisait des convois commerciaux entre le port de Madrestam, point d’arrivage des ressources des îles de Moon, Pandala et Wabbit, et la cité de Bonta. Elle était aussi connue pour être à la tête d’un réseau de contrebande évitant les taxes et impôts de la ville blanche. Chaque trajet était préparé avec minutie et ce premier point de contrôle ne l’inquiétait pas outre mesure. Le capitaine Malfe était une vieille connaissance et contre un minimum de rémunération, il fermerait les yeux sur le contenu des chariots ainsi que sur les voyageurs.
« Bonjour Malfe ! Comment vas-tu ?
- Ah Gueurle, j’attendais ton passage ! La route a été bonne ?
- Très bien, très bien ! Quelles sont les nouvelles de la ville ?
- Aah la guerre, toujours la guerre ! Mais Thomas Sacre organise des jeux à l’arène.
- Des jeux ? Drôle d’idée ! Mais c’est bon pour les affaires, répondit l’Enue imaginant déjà la masse de jeunes aventuriers achetant tout et n’importe quoi pour participer aux combats.
- Oui ! D’ailleurs, si une patrouille t’arrête aux portes de Bonta, dis-leur que tu viens amener des concurrents pour les jeux !
- Merci du tuyau ! Tiens, voilà pour toi, comme d’habitude ! » conclut Gueurle en lançant un sac rempli de kamas au garde solitaire de l'avant-poste.

La fin du trajet passa très vite, de nombreux convois convergeaient vers Bonta. Le passage des portes fût plus facile que prévu. Les gardes étaient débordés et les connaissances de la vieille Enue furent suffisantes pour éviter la fouille réglementaire.
Nos deux amis dans leur chariot étaient un peu tendus. C’était leur toute première visite dans l’immense cité ennemie. Chazuro fût marqué par la clarté de la ville. Les sombres ruelles de Brâkmar étaient à l’opposé des grandes avenues blanches qu’ils empruntaient actuellement. Astrae, lui, était frappé par l’ambiance dans la cité : cela fourmillait de partout, chaque bâtiment était un commerce, une taverne ou un atelier.

Après un parcours dans un dédale de rues et ruelles, Gueurle stoppa le convoi.
« Tout le monde descend rapidement, je ne veux plus un signe de vie dans cette rue dans cinq minutes. »
L’ensemble de ses employés se mirent au travail, il fallait décharger les chariots avant l’arrivée d’une patrouille. L’Enue, elle, s’engouffra dans une maison, par ce qui ressemblait à une porte arrière. Astrae, Chazuro et Khrysalide, ainsi que d’autres voyageurs, la suivirent.
« Bienvenue chez moi ! Pour le paiement de la deuxième moitié du trajet, merci de bien vouloir vous adresser à ma nièce », dit-elle en lançant un regard complice à une petite blondinette qui avait l'air aussi âgée qu'elle. « Vous trois, suivez-moi ! » ajouta Gueurle en désignant nos trois compagnons.
Elle les emmena dans une petite pièce adjacente, grimpa l’escalier et ouvrit une porte à l’aide du trousseau de clefs tintant à sa ceinture.
« Voilà comme promis une chambre. Partagez-la, faites vos affaires en ville et soyez discrets. Je vous laisse, j’ai à faire au magasin. »
Ceci dit, elle fourra la clé dans la main de Khrysalide et s’éclipsa. Chazuro, tout heureux de voir une enfilade de lits, après un voyage très inconfortable, se jeta sur le premier en criant :
« Celui-là, c’est le mien !
- Vous connaissez la ville ? s’enquit l’Enie auprès d’Astrae.
- Absolument pas ! Et comme tu le sais, nous devons trouver le port de Bonta.
- Oui. Il va falloir fouiner en ville, passer pour des touristes venus pour les jeux et se renseigner discrètement. Je vous servirai de guide, mes affaires dans cette ville peuvent attendre une petite semaine. »

La ville de Bonta était sans dessus dessous. L’organisation des jeux troublait le calme habituel de la cité. Les abords de l’arène s’étaient transformés en une fête géante. Les vendeurs haranguaient les passants pour leur vendre toutes sortes de marchandises. Les aventuriers et guerriers les plus courageux faisaient la queue devant le bureau des inscriptions. Le premier prix avait attiré les foules : une paire de bottes exclusive fabriquée par Hogmeiser. Le retour du grand cordonnier était maintenant de notoriété publique. Et avoir une de ses nouvelles créations ne pouvait que rapporter gloire et richesse. Tous voulaient être un des huit guerriers vainqueurs de la Giga Pierre d’Âme. Son contenu était encore inconnu mais les rumeurs les plus folles couraient dans les rues de Bonta.

« Commençons notre recherche par le magasin de Gueurle », indiqua Khrysalide. « On y trouve beaucoup de choses et il n’y a pas meilleur endroit pour monnayer un renseignement. »
Astrae resta bouche bée en entrant dans l’échoppe bontarienne de l'Enue. Celle du port de Madrestam lui semblait maintenant bien petite et peu fournie. Il comprenait mieux à présent la richesse et la puissance de la vieille petite dame. Chaque coin de la maison était recouvert de trésors et ressources rares. Un grand comptoir séparait la salle en deux : d’un côté, les clients se pressaient pour passer leurs commandes; de l’autre, Gueurle s’occupait d’encaisser les paiements et criait à deux immenses Iops d’apporter les différentes ressources.
« Tiens ! Mais qui voilà ! »
Chazuro et Astrae se retournèrent d’un bloc. Taiky était derrière eux, tout sourire.
« Taiky ! Quel plaisir de te revoir ! Que fais-tu ici ?
- Ce n’est pas le genre de questions que l’on pose dans cette échoppe, répondit le vieux bonhomme dans un grand rire. Mais pour faire court, je viens de vendre mes dindes et j’ai quelques courses à faire.
- Tu as finalement attrapé tes amandes ?
- Eh oui ! continua Taiky avec un sourire malicieux. Et vous, que faites-vous dans le repaire de cette chipie de Gueurle et en aussi charmante compagnie ? questionna l’Enu en apercevant Khrysalide.
- Toujours sur la route ! Notre chasse continue, dit Chazuro en baissant la voix pour éviter les oreilles indiscrètes de certains clients. Nous sommes à la recherche du port de Bonta.
- Du port de…. ? Hahaha ! La bonne blague ! Vous me faites marcher, non ?
- Non, c’est très sérieux….
- Bonta n’a plus de port depuis bien longtemps…
- Je me permets d’intervenir… »

Un Osa, de stature moyenne et affublé d'un curieux look orange et blanc, avait interrompu la conversation entre nos amis. Ses cheveux blonds tout ébouriffés accentuaient ce petit air distrait qui ne quittait pas son visage. Mais l'on sentait que derrière cette façade nonchalante se cachait quelqu'un qui était loin d'être idiot. Taiky le fusilla du regard. Khrysalide commença machinalement à jouer avec le marteau accroché dans son dos. Chazuro commença à tirer son épée de son fourreau. Même Gueurle, qui suivait du coin de l’œil la scène, passa une main sous le comptoir pour attraper sa pelle. On ne s’invitait pas comme ça dans une conversation au sein de sa propre demeure.
« Que nous veux-tu ? souffla Astrae en serrant les mâchoires.
- Juste vous renseigner, répondit l’Osa en glissant une main dans sa poche.
- Tout doux ! Pas de bêtises, jeune homme, siffla Taiky.
- Vous croyez quoi ? Que je vais vous attaquer tout seul ? J’ai juste entendu votre conversation et je veux vous aider. Je sais où se trouve le port de Bonta. »

Après avoir lâché une telle information, l’Osa leur fit signe de le suivre dans un coin du magasin.
« Je m’appelle Trunks. Je ne connais pas grand monde à Bonta mais mon cousin tient l’hôtel de vente des poissonniers. Je dors chez lui le temps des jeux. Je suis venu pour tenter ma chance…
- Et alors ce port ? l’interrompit Taiky.
- Doucement, j’y arrive ! Donc mon cousin m’a raconté que le plus gros vendeur de poissons ne venait pas de Sufokia, comme on aurait pu le croire, mais bel et bien de Bonta. J’ai été surpris car, comme vous, pour moi il n’y a pas de port à Bonta ! Et c’est là que mon cousin m’a raconté l’étrange histoire de ce pêcheur... »

Trunks avait captivé son auditoire. Il leur raconta le récit des aventures d’un vieil Enu du nom de Prospec. A une époque, le port de Bonta était un des plus grands au monde. Il rivalisait même avec celui de Madrestam ou de Sufokia. De nombreux pêcheurs avaient un commerce florissant. Le jeune Prospec, lui, ne rapportait que très rarement du poisson dans ses filets. Un jour pourtant, il attrapa au bout de son hameçon un petit poisson doré. Tout heureux de sa découverte, il s’apprêtait à aller le vendre quand l’animal lui parla. « Non ! Ne me vend pas ! Je peux faire de toi le plus riche des pêcheurs ! » Prospec, intrigué, écouta la proposition du petit poisson. S’il le relâchait, il pourrait avoir tout au long de sa vie, dans un endroit inconnu de tous, une pêche heureuse et inégalée dans le port de Bonta. L’Enu pensa aux nombreuses richesses qu’il pourrait amasser et prit la décision de relâcher son curieux interlocuteur. Depuis ce jour, les cales de son bateau revenaient toujours pleines à craquer de poissons en tout genre. Les autres pêcheurs, jaloux d’un tel succès, essayèrent de le suivre ou même de lui voler sa cargaison. Mais jamais ils ne réussirent. Peu à peu découragés, les anciens partenaires de Prospec quittèrent le port, le laissant à l’abandon. Et bientôt, l’Enu se retrouva seul. En passant ce marché avec le petit poisson, il avait gagné en or mais avait perdu la seule vraie richesse de sa vie, ses amis.

« C’est une belle et triste histoire mais ça ne nous dit pas où se trouve l’ancien port de Bonta, dit Taiky, brisant le silence qui régnait après un tel récit.
- Non ! Mais on sait où chercher l’Enu qui a le dernier bateau de Bonta, enchaîna Khrysalide. S’il vend tous les jours son poisson à l’hôtel de vente, on doit pouvoir l’y trouver facilement.
- C’est vrai ça, confirma Chazuro toujours plus étonné par la perspicacité et la sagesse de la petite Enie.

La petite troupe se leva et sortit de l’échoppe. L’ambiance de la ville était survoltée. On connaissait enfin le contenu de la dernière pierre. Thomas Sacre allait offrir un spectacle époustouflant en libérant un Minotot, un Crocabulia, un Dragon Cochon, un Péki ainsi qu’un Bworker, un Ougah, et comble du comble, Grozilla et Gasmera. Exceptionnellement, le nombre de combattants autorisés allait être porté à douze. Mais le combat serait épique et sanglant.
Nos amis profitèrent de cet état d’excitation générale pour se faufiler jusqu’à l’hôtel de vente des poissonniers. Ils n’eurent aucun mal à repérer un vieil Enu seul et triste qui installait son étalage quotidien.

« C’est toi, Prospec ? interrogea un peu brusquement Astrae.
- Oui c’est moi… quelle sorte de poiscaille veux-tu ? Kralamour unique ? Sardine sombre ?
- Rien de tout cela. Nous voulons aller au port de Bonta et ensuite trouver quelqu’un qui nous emmène sur l’île de Frigost. »
Le petit vieux eût un haut-le-cœur.
« Frigost ? Vous êtes bien sûrs ?
- Oui !
- Bon... je ne vais pas poser plus de questions que ça. La dernière fois, ça m’a coûté trois dents... Rendez-vous ce soir, minuit, porte Nord. Mais je n’ai que deux places. »

L'accord ainsi conclu, l'Enu commença à vendre son poisson, ne prêtant plus aucune attention au groupe qui venait de lui parler.
La journée passa trop rapidement pour Astrae et Khrysalide. Ils avaient tout deux l’impression de se connaître depuis toujours et la séparation proche était comme un déchirement pour eux. Taiky, lui, prit rapidement congé. Les affaires étaient les affaires et même si ces jeunes gens l’amusaient beaucoup, ses dindes n’allait pas s’élever toutes seules ! Trunks, lui, discutait avec Chazuro. Il lui apprit qu’il venait d’Amakna. Le Sacrieur le chargea d’un message pour les fanfarons de la taverne. L’Osa, tout heureux d’avoir une mission qui paraissait importante, les quitta après moult remerciements.
Le soir arriva enfin. Chazuro, Astrae et Khrysalide se rendirent à l’heure exacte au rendez-vous. Prospec les attendait déjà. Sans un mot, il leur fit signe de le suivre. Khrysalide regarda longuement le Sacrieur, lui prit la main et le rassura sur la suite de l’aventure. Puis elle enlaça le grand Iop et lui déposa un doux baiser sur la joue.
Prospec s’impatientait et nos deux amis le suivirent en faisant de grands signes à la jolie petite Enie qui les regardait s’éloigner. Astrae avait le cœur léger et la tête dans les étoiles.
La suite est déjà écrite, mais je pensais que personne ne n'avait lu jusque là ^^
Je la posterai dans la semaine.

En tout cas merci de t'être lancé dans la lecture ^^
Bonjour à tous c'est "Chip’s" l'un des "héros" figurant dans cette magnifique, que dis-je sublime histoire sur le clan des Frozen Tears dont je fais partie.

Content que ton travail porte ses fruits petit scarabée. Tu sais ce que je pense de ton talent d'écrivain puisque j'ai dû relire une bonne vingtaine de fois Frozen Tears Story ainsi que tes autres écrits.

J'espère que les deux personnes qui se sont lancés dans l'histoire de notre clan ne sont qu'une prémices qui te mènera vers la gloire, la fortune, la luxure... euh enfin tu m'as compris. J'attends d'autres écrits avec im-pa-tien-tes

Ton plus grand fan

Chips'
Chapitre 8


Astrae venait encore une fois de rendre son petit-déjeuner à la mer. Non, l’eau n’était définitivement pas son élément... Depuis cinq jours que la traversée avait débuté, il n'avait cessé d'afficher un teint verdâtre des plus éclatants. Chazuro se moquait ouvertement de lui. Le Sacrieur se sentait bien sur ce petit esquif, la mer était bonne et le temps calme. L’air marin le revigorait et il en profitait pour discuter avec Prospec. Le vieil Enu, si taciturne sur terre, avait en mer un allant et une gouaille pas possibles. Il chantait et sifflait à longueur de temps. Il avait expliqué à Chazuro que, cinquante ans auparavant, un homme lui avait demandé la même traversée. Le Sacrieur avait rapidement fait le lien avec Hogmeiser. La théorie de Khrysalide semblait, encore une fois, se confirmer.
Prospec vira soudainement de bord.
« Attention, ça va secouer un petit peu ! dit-il en faisant tournoyer le gouvernail, pour le plus grand effroi de notre Iop. J'ai aperçu un banc de baleines dans notre direction : mieux vaut ne pas les attiser et faire un détour, c'est plus prudent. On ne sait jamais ce dont ces colosses sont capables...
- Un banc de quoi ? demanda Chazuro qui n’avait jamais entendu parler de telles créatures.
- Les baleines représentent pour eux un moyen de survie non négligeable. En effet, un seul de ces grands mammifères peut à lui seul leur fournir quantité de ressources. La viande et la graisse constituent une nourriture riche en énergie. J'ai eu moi-même l'occasion d'en manger et je dois dire que c'est plus goûteux que je ne l'imaginais ! L'huile leur sert de combustible, leur permettant ainsi de s'éclairer, et à la fabrication de savon ainsi que d'onguents. Ils récupèrent également les os. Et les fanons fournissent un matériau flexible utile à la confection de divers produits. Autant dire qu'après qu'un Givré soit passé par là, il ne reste plus grand-chose de l'animal ! Les expéditions de pêche sont à chaque fois un événement important. Mon ami étant parfois du voyage, j'ai pu les accompagner et constater par moi-même leur dextérité tout-à-fait surprenante. Munis de puissants harpons acérés, ils attendaient d'abord que l'animal repéré soit au repos pour pouvoir s'en approcher. C'est une étrange sensation que de se retrouver aussi près d'un spécimen de cette taille... Puis ils l'harponnaient. Bien évidemment, la baleine tentait à chaque fois de s'enfuir, nous entraînant avec elle, mais les pêcheurs tenaient bon. Fermement cramponnés au bateau, il fallait attendre qu'elle s'épuise pour ensuite l'achever et la ramener sur l'île. Plus d'une fois, j'ai crû passer par-dessus bord ou encore risquer d'être blessé mais ce fût réellement fascinant de les voir à l'oeuvre. Ce sont des guerriers aussi redoutables sur mer que sur terre.
- Il parle bizarrement ton copain, dit Prospec à Chazuro.
- Oui, il a comme qui dirait... avalé un livre. »

Après l’épisode des baleines, le paysage maritime changea radicalement. De gros blocs de glace semblaient flotter de toutes parts et l’air était devenu frais, voire froid. Prospec fournit à nos amis des fourrures ainsi que des gants qu'ils ne quittèrent bientôt plus, une brume épaisse emplissant l'air au fur et à mesure qu'ils avançaient dans leur traversée. Bientôt, seul le soleil levant arriva à percer, leur permettant de compter les jours. Ils naviguèrent ainsi dans cette atmosphère glacée et mystérieuse pendant ce qui leur sembla être une éternité. Le temps leur paraissait comme suspendu à ce voile blanc qui brouillait leur vue, quand enfin, à l’aube du treizième jour, l’Enu signala que la terre était proche. Il fit échouer son petit bateau sur une plage de neige et expliqua à Astrae, qui reprenait déjà une couleur normale, qu’il n’était jamais allé plus loin. « Mais il me semble avoir aperçu une sorte de manoir. Vers le Nord », leur indiqua-t-il. Nos deux amis le remercièrent grandement puis le vieil homme reprit la mer, ne comptant pas les attendre sur cette terre hostile.
Chazuro s’engagea alors sur une sorte de piste qui s’éloignait du rivage. Il avait sorti son épée aussi bien pour se frayer un chemin dans la direction indiquée par Prospec que pour parer d’éventuelles attaques. Astrae le suivit et cherchait en même temps des indications dans le livre mais sans succès. Au bout de quelques heures passées dans cette étendue désertique et immaculée, ils aperçurent enfin une haute tour dominant un grand manoir. Nos deux amis pressèrent le pas en sa direction. Malheureusement pour eux, le paysage était trompeur et les distances immenses dans cette forêt enneigée. Ils durent se résigner à passer une première nuit à la belle étoile, avec pour seul abri un gros rocher les protégeant du vent. Recroquevillés dans la neige, les deux démons grelottaient. Chazuro commençait à avoir faim et la vision de ce qui ressemblait à un sanglier attisa encore plus son appétit.
« Je vais aller en chasser un ! Prépare un bon feu ! déclara-t-il à Astrae.
- Facile à dire avec toute cette neige…
- Râle pas ! J’ai faim ! »
Le Sacrieur déposa sa lourde épée, sortit une petite paire de dagues spécialement faite pour la chasse et s’avança prudemment dans la clairière où il avait aperçu la bête. Restant en observation dans l'un des rares fourrés qui avaient survécu au climat, il dénombra une petite dizaine de gros phacochères au pelage dru et laineux. Au moins, ils ont pas froid, eux... Il en avisa un qui semblait plus petit et un peu à l’écart. Soudain il bondit en sa direction, lançant un cri de chasse que lui avait enseigné Rahann son maître-chasseur. Contre toute attente, les sangliers se regroupèrent et firent front devant cet intrus bruyant. Chazuro, un peu déconcerté, ne se dégonfla pas et continua sa course... mais dut se rendre rapidement à l’évidence que les boules de poils commençaient à charger et elles n'avaient pas l’air commodes ! Le Sacrieur fit rapidement demi-tour et repartit à toutes jambes.
« Prépare du feu... il est drôle, lui... raah y'a rien à faire, ça tient pas ! » marmonnait Astrae, essayant tant bien que mal de provoquer une étincelle à l'aide des pierres qu'il avait trouvé à proximité. Mais rien n'y faisait : les branches de pin émettaient une légère fumée qui se refroidissait instantanément. « Bon ben ce soir, ce sera carpaccio de sanglier, je peux pas fai...
- As' ! Bouge-toi ! Bouge-toi ! Cours ! l'interrompit son ami, surgissant tout-à-coup.
- Quoi ? demanda le Iop au loin.
- Fuis ! Fuis ! Le repas se rebelle ! »

Astrae et Chazuro avaient tourné et viré entre les pins enneigés pendant plus de deux heures afin de semer leurs poursuivants. Ces derniers les avaient enfin abandonnés lorsqu'une autre proie plus appétissante avait croisé leur route et nos deux compères approchaient désormais du grand manoir. Le jardin ne semblait plus entretenu depuis des siècles mais un chemin étroit se faufilait à travers les broussailles et la neige jusqu’à un petit perron. Notre Sacrieur enfonça la porte d’un coup d’épaule. Ils devaient se réchauffer. La nuit avait été rude. Cela faisait maintenant deux jours qu’ils erraient sur Frigost en essayant de se rapprocher de cette demeure sans jamais y arriver et le froid commençait à piquer les visages. Ils entrèrent dans un grand hall, des portes sur les côtés et un majestueux double-escalier menaient à l’étage et à une autre porte, double elle aussi. Astrae et Chazuro se turent et tendirent l’oreille.

« Tu entends ? souffla le Sacrieur.
- Oui mais je ne comprends pas ce que ça peut être.
- On dirait un gros bourdonnement qui vient de l’étage.
- Montons voir. Si on doit passer la nuit ici, je préférerais savoir qu’on ne risque rien.
- Peureux, va ! »

Le Iop n’était pas froussard mais les deux jours et surtout la nuit n’avaient pas été de tout repos.
Ils montèrent furtivement les marches les séparant de la grande porte à double-battant d’où semblait venir ce bruit si répétitif et agaçant.

Astrae, arrivé devant la porte, regarda par la serrure mais ne distingua rien. Chazuro, lui, fit signe de se pousser et, tout en sortant sa lourde épée, explosa la porte d'un grand coup de pied. Nos deux amis furent saisis de stupeur.
Ils venaient d’arriver dans un immense salon dont les murs étaient entièrement recouverts d’horloges et de mécanismes de montres avec, au centre de la pièce, une grande table où gisait aussi un nombre incalculable de pendules et coucous en tout genre.

Le bruit assourdissant venait du tic tac conjugué de tous ces mécanismes. Au fond de la pièce, un Xélor assis sur une chaise travaillait, armé de son tournevis, sur un carillon. Il chantonnait … Je suis le roi, tic tac, je suis le comte, tac tic…. Se sentant observé, il releva la tête. Son visage s’illumina et un grand sourire fendit ses bandelettes. Bondissant sur ses deux pieds, il s’écria :

« Jiva ! Enfin mon amour, tu m’as retrouvé ! Tu viens me libérer de ce mal qui s’étend en moi !
- Euh nous sommes Astr…
- Laisse-moi te chanter une chanson que j’ai écrite pour toi, ma Jiva ! Je la compose depuis des hivers pour le jour où tu me trouveras.
- Mais…
- Laisse-moi chanter ! »
Astrae et Chazuro se regardèrent : quel était cet énergumène qui les prenait pour une déesse protectrice de Bonta ? Le Xélor s’était mis au centre de la pièce et comme par magie, chaque horloge se mit à jouer une ligne de mélodie, le tout formant un air agréable. Le Xélor entonna :


« Je ne suis roi de rien mais je suis roi quand-même
Je ne suis roi de rien mais je suis roi quand-même
Si tu m'aimes encore un peu
Oh si tu m'aimes encore un peu »

« Nous ne sommes pas Jiva ! » tenta de dire Chazuro, mais le Xélor continuait dans son délire et sa chanson.
« Je ne suis roi de rien, je règne sur les vents
Sur des chemins perdus, sur les sables mouvants
Sur d'anciens châteaux-forts et sur des cathédrales
Englouties
Englouties »

Astrae tentait aussi de l’interrompre mais rien n'y faisait, le Xélor chantait et dansait à travers la pièce.

« Je suis roi d'un soleil qui se meurt quand il pleut
J'ai l'air d'un vieux volcan refroidi peu à peu
Et je crois que ma parade à grands coups de cymbales
Est finie
Est finie »

« Mais qui c’est ??? cria Chazuro pour couvrir la chanson.
- Je crois le savoir, répondit Astrae, le sourire malicieux. Le livre parle d’une histoire entre Jiva et un Xélor. Tu sais, je t’ai raconté ce passage car il semblait rajouté à la toute fin, sans raison apparente.
- Le Comte Harebourg ! réalisa Chazuro. Mais oui bien sûr !
- Tous ces hivers ont dû le rendre fou, mais il doit pouvoir nous renseigner.
- Pour ça, il faudrait qu’il arrête de chanter ! Je l’assomme ?
- Non, laisse-le finir. Il sera peut-être sorti de sa folie à la fin de la chanson, ça doit faire des siècles qu’il n’a vu personne. »
Astrae et Chazuro prirent leur mal en patience et écoutèrent la fin du chant du Xélor qui finalement était très supportable.


« Je ne suis roi de rien mais je suis roi quand-même
Je ne suis roi de rien mais je suis roi quand-même
Si tu m'aimes encore un peu
Oh si tu m'aimes encore un peu

Je ne suis roi de rien, ma couronne est en bois
C'est scandaleux bien sûr, c'est de mauvais aloi
Je ne suis roi de rien mais je suis roi quand-même
Car je t'aime
Car je t'aime

Alors le monde entier peut s'écrouler d'un coup
J'ai le droit d'être pauvre et le droit d'être fou
Je suis esclave et roi, je n'ai pas de problème
Si tu m'aimes
Si tu m'aimes

Je ne suis roi de rien mais je suis roi quand-même
Je ne suis roi de rien mais je suis roi quand-même
Si tu m'aimes encore un peu
Oh si tu m'aimes encore un peu

Je ne suis roi de rien, que de mon avenir
Qui n'est plus rien qu'un désastre à venir
Et l'intérieur de moi n'est plus qu'un paysage
En délire
En délire

Je ne suis roi de rien, je suis comme un enfant
Qui reconstruit le monde en écoutant le vent
Il ne me reste plus, je crois, que le courage de te dire
Que je t'aime
Oui de te dire que je t'aime

Je ne suis roi de rien mais je suis roi quand-même
Je ne suis roi de rien mais je suis roi quand-même
Si tu m'aimes encore un peu
Si tu m'aimes encore un peu »

La musique, les horloges, le temps semblèrent s’arrêter en même temps. Le Comte avait le regard vide, sans expression, aucune. Il fit demi-tour et retourna s’asseoir sur sa chaise.

« Que puis-je pour vous, jeunes guerriers ? Oh ne soyez pas surpris, j’ai des crises passagères mais ma tête tourne encore correctement …Tic tac, je suis le roi, tic tac, je suis le comte… Alors que voulez-vous ? »

Chazuro se demandait vraiment si le Xélor devant eux pouvait les aider. Mais Astrae semblait sûr de son fait et prit la parole.

« Nous sommes deux guerriers venant de loin, nous sommes à la recherche de l’ordre perdu des Frozen Tears.
- Les Givrés ? Ah de sacrés gaillards mais… tic tac, je suis le roi, tic tac, je suis le comte… pour les trouver, il faudra mourir, tic tac, la porte vous y mènera. Ou si vous êtes chanceux, l’ombre blanche vous y conduira, tic tac, mais trouver un blanc dans la neige n’est pas simple. Tic tac, je suis le roi, tic tac, le roi de rien… Ah si Jiva ne m’avait pas séduit pour tuer Djaul, je serais vivant, tic tac tic tac tic tac …
- Aidez-nous à les trouver, nous vous aiderons aussi à sortir de cette île.
- Pauvre fou, je suis maudit ici à jamais, tic tac, le protecteur de Descendre m’a gelé, tic tac, jusqu’à ma montre, tic tac, ici l’hiver est éternel, tic tac, trouver les givrés dans une île de glace est mission impossible pour des démons comme vous… tic tac un grand Sapik sera la clé, tic tac, si un jour vous le voyez, tic tac, cherchez le volcan glacé et vous trouverez le paradis des Givrés, tic tac tic tac. »

Le Comte sembla retomber dans sa torpeur et les horloges recommencèrent leur bourdonnement incessant. Chazuro fit signe à Astrae de sortir de la pièce. Un fois redescendus au rez-de-chaussée, ils restèrent muets un long moment. Ils ne savaient quoi penser de cette rencontre si étrange.

Après une courte exploration, nos deux compères trouvèrent une porte menant à la haute tour du manoir. Ils montèrent les marches quatre à quatre, espérant avoir une vue sur la région. Ils ne furent pas déçus : un large panorama s’ouvrait du haut du donjon. Il y avait une vue imprenable sur une vaste partie de l’île. Astrae et Chazuro cherchèrent vainement un grand Sapik, un volcan ou un rocher à tête de loup. Soudain, Chaz poussa un cri.
« Là, regarde ! Au portail du manoir ! C’est le loup ! »
Astrae se précipita pour voir. Effectivement, le grand animal se tenait là en dessous d’eux, les fixant d’un regard noir et perçant.
« L’ombre blanche… souffla le Iop.
- Le comte le connaît, c’est peut-être notre guide. Vite, suivons-le ! »

Ils dévalèrent les escaliers et sortirent rapidement du manoir. Le loup, les voyant arriver, fit demi-tour et avança sur un chemin. Chazuro et Astrae suivirent sa trace.

A Bonta, Thomas Sacre avait repris confiance. Les jeux allaient toucher à leur fin, le peuple lui était plus favorable que jamais et les guerriers et aventuriers remontés à bloc, galvanisés par ces combats épiques. L’attaque sur Brâkmar était en préparation et cela s'annonçait plutôt bien. Même Hogmeiser semblait détendu : l’annonce officielle de son retour lui permettait de jouir d’une belle popularité et il ne se privait pas d’en profiter. Seul Dvergar inquiétait Thomas. Le cordonnier l’avait fait nommer général des armées. C'était donc lui qui mènerait les troupes sur la cité rouge. Mais la folie du Xélor faisait froid dans le dos...
« ...Vous m'avez bien compris ? Vous savez ce qu'il vous attend le cas échéant » siffla-t-il, tel un serpent crachant son venin sur l'escadron de soldats alignés devant lui. Parmi eux, un jeune Féca faillit l'interrompre mais se reprit au dernier moment en voyant le regard foudroyant que lui lancèrent trois de ses compagnons de guerre. Dvergar les dispersa et chacun alla vaquer à ses tâches. Ils avaient tous l'air à la fois tellement enthousiastes et effrayants. Leur soif de sang et de lutte attisée par les affrontements en arène pour certains, la peur des représailles pour d'autres, tous étaient amenés à obéir au doigt et à l'oeil du Xélor. Max Ouelle, lui, se demandait ce qu'il faisait là... Tout jeune ange, il s'était engagé pour défendre vaillamment les couleurs de sa cité et non pas pour détruire à tout-va, sans raison. Impossible de questionner les motivations du nouveau général : il l'avait constaté à l'instant, ses compagnons n'y étaient pas particulièrement favorables et préféraient se plier aux ordres ! Tout à coup, le Féca fut traversé d'une douleur insupportable. Sans aucune armure autre que celle de son équipement, pris par surprise, il aperçut Dvergar sortir de l'ombre en le toisant du regard.
« Que fais-tu, soldat ? Il me semble vous avoir donné des ordres. »
Max, pétrifié par la douleur, était incapable de prononcer un mot.
« Je t'ai vu lever la main pour parler tout-à-l'heure, reprit-il. Tes amis sont honorés de servir notre cause et ne s'en plaignent pas, tu devrais en faire autant. Cela m'ennuierait fortement si tu réfléchissais un peu trop et décidait de semer le trouble dans les esprits. Nous serions en face d'un désaccord et... je n'aime pas les désaccords. » La douleur transperça le jeune soldat de part en part jusqu'à le faire tomber à genoux. « Je te laisse méditer à cela » termina le Xélor, en le laissant ainsi à terre.
Max était à bout de souffle, terrifié par ce qu'il venait de se passer. Toutes ses craintes se confirmaient : les Bontariens n'allaient pas vers un combat éclatant qui ferait triompher leur peuple comme cela leur était présenté mais vers un massacre dans l'unique intérêt de ce pervers capable du pire.

Khrysalide, elle, était retournée dans sa ville d’origine, la vile Brâkmar, non sans avoir fait parler ses informateurs Bontariens. L'attaque sur la cité était proche. Elle contacta Oto Mustam et lui en fit part.
« Tu es bien sûre de ça ? » lui demanda-t-il, fronçant les sourcils. Le chef des miliciens affichait toujours un air dur et impassible quelques soient les circonstances mais la petite Enie voyait bien que cette information le perturbait.
« Oui, mes sources sont fiables » répondit-elle d'un air catégorique, voyant que cela ne faisait qu'accentuer l'inquiétude qui transparaissait sur le visage de son supérieur.
« Bon... eh bien je te remercie. Ce sera tout pour le moment. »
Son rôle d’espionne touchait à sa fin. Elle n'avait dit mot sur sa rencontre avec les deux héros de guerre, comme on les nommait encore dans les rues, et sortit de la milice d'un air songeur, espérant de pas avoir fait une erreur...
De son côté, Oto commença à préparer ses troupes. Il le savait : c’était perdu d’avance s'il ne misait pas sur la surprise de la riposte. L'armée bontarienne était bien trop nombreuse... Qu'importe ! Je suis leur chef, je ne dois pas les abandonner. Nous nous battrons coûte que coûte. Jusqu'au dernier. Les démons prouveront leur force et leur courage.

En Amakna, Trunks venait de donner un message à Hapero. Celui-ci, après en avoir pris connaissance, se leva et prit la parole dans la taverne :

« Chers compagnons de beuverie ! La guerre que nous subissons entre dans une phase critique. »
Le silence se fit dans l’auberge. Les parties de cartes cessèrent et la dernière mouche volante se posa sur une chopine.

« Bonta s’apprête à lancer un assaut massif contre la ville de Brâkmar. Comme nous le savons tous, si l’équilibre instable entre les deux cités se rompt, nous, petites gens, n’aurons plus droit à rien. Le paisible village où nous vivons actuellement sera transformé en garnison blanche. »
Des murmures de protestations s’élevèrent dans la salle. Personne ne voulait d’une telle situation. Les habitants de la ville d’Amakna avait toujours été fiers de leur liberté de choisir un camp ou l’autre.

« Pour garder notre indépendance, nous devons nous allier pour le temps d’une bataille aux hordes démons. Avec notre aide, ils pourront vaincre ! Et nous assurer une vie paisible en notre belle Amakna ! Pour ma part, je participerai à ce combat ! Qui est avec moi ? »

Après un petit silence, la salle s’enflamma sous les cris de rage et de guerre des villageois. Certains frappaient déjà leur bouclier avec leur arme. Hapero ramena le calme et poursuivit :
« Prouvons notre valeur ! Allons alerter nos alliés de Pandala et les quelques valides de la cité d’Astrub. Nous devons mener un front Est. Nous passerons par les souterrains. Préparons-nous, nous devrons partir sans tarder. »

Sur l’île de Frigost, Chazuro s’essoufflait à suivre tant bien que mal le loup blanc. Le chemin était escarpé et le froid transperçait l’épaisse fourrure fournie par Prospec. Astrae, lui, sentait encore une fois cette force inexplicable le faire avancer. Il avait un sentiment de bien-être dans ce paysage monochrome. Ils se retrouvèrent, après trois heures de marche, face à un cul-de-sac. Une grande falaise s’élevait devant eux. Leur guide commença à sauter de promontoires en promontoires avec une agilité déconcertante. Astrae, essayant d'en faire autant, se retrouva par terre après une belle glissade.
« Tu n’es pas encore un loup ! rigola Chazuro... avant de subir le même sort.
- Toi non plus on dirait ! se moqua le Iop.
- Non mais c’est ma lourde épée qui… »
Une noisette heurta l’arrière de son crâne, empêchant le Sacrieur de finir son excuse.
« Oh qu’il est mignon ! » dit Astrae en désignant un petit écureuil qui les observait.
« Petit, petit, petit ! Viens voir ici, mon mignon !
- Attention, elles sont bizarres les bestioles ici, se remémora Chazuro en reculant d’un pas.
- Mais dis pas de bêtise ! Regarde comme il est gentil, répondit Astrae en caressant la tête du petit animal qui s’était approché. « Aïe ! Satanée bestiole, il m’a mordu ! »
- Je t’avais prévenu... »
Astrae flanqua un grand coup de pied dans l’écureuil pour s’en débarrasser mais celui-ci esquiva l’attaque et sauta sur le dos du Iop.
« Débarrasse-moi de ça ! »
Mais Chazuro ne bougeait pas : à l’endroit-même où se tenait le petit animal un instant auparavant, une centaine de ses congénères se dressaient maintenant sur leur pattes.
« Réfléchis pas et grimpe ! » ordonna-t-il à son ami en le tirant par la main.
Les deux aventuriers trouvèrent facilement les ressources nécessaires pour escalader la paroi malgré les jets de noisettes continus dans leur dos.
« Mais c’est quoi ce pays ?! Si les sangliers et les écureuils sont féroces, qu’est-ce que ça doit être pour les yech’tis dont parle le livre… » soupira le Sacrieur.
Le loup qui les attendait en haut de la falaise sembla frissonner à l’évocation des monstres des neiges et se mit à hurler vers la vallée en contrebas. Les deux amis regardèrent dans la même direction et furent surpris du spectacle qui s’offrait à eux.

De l’autre côté du vallon, un immense Sapik faisait de l’ombre à un rocher en forme de loup hurlant à la lune. Chazuro regarda Astrae. Celui-ci était comme hypnotisé par cette vision. D’un coup, il se mit à courir à travers la neige pour rejoindre l’arbre majestueux. Le Sacrieur partit à sa poursuite. Le loup blanc les accompagna, gambadant comme un chien qui voudrait jouer.
Le grand Iop tomba à genoux devant la sculpture et passa sa main sur la pierre. Il frissonnait. Sa sensation de déjà-vu s’amplifiait mais il n’arrivait pas à relier les éléments entre eux. Tranquillement, il se redressa et marcha vers la paroi rocheuse à proximité. Posant ses doigts sur un flocon de neige gravé, la roche s’effaça pour laisser place à une ouverture à hauteur d'homme.
Au moment où il allait franchir le passage, Chazuro le rattrapa.
« En es-tu sûr ?
- Plus que jamais, mon ami » répondit Astrae, le regard étincelant.

Il s’engouffra, toujours suivi du Sacrieur et du loup. Une immense cavité s’ouvrait devant eux. Un escalier descendait le long de la paroi pour atteindre une plaine accueillant un immense château. Chazuro, comprenant où ils se trouvaient, s’exclama en levant les yeux au ciel :
« Nous sommes dans un ancien volcan ! s’exclama-t-il. C’est magnifique ! Regarde ce château, il est….
- Envoûtant » le coupa Astrae qui commençait à descendre les marches.

Une fois descendus, les deux compères s’approchèrent prudemment des immenses et lourdes portes de la bâtisse.

« Te souviens-tu de moi, Astrae ? »
Le Iop se retourna vivement, le loup n’était plus. A la place se tenait une grande aura dont la silhouette semblait féminine.
Tout d’un coup, Astrae tomba à terre, submergé par des images de son passé. Il se souvint de sa rencontre avec Chazuro au Zaap de Brâkmar. De son voyage à travers l’anneau bleu, laissant derrière lui sa reine. La reine au prise avec le zéro absolu, la mort des chevaliers. L’image de son père lui revenait, le valeureux Virus All Star lui apprenant toutes les techniques de combat.
« Oui, c’est bien moi, Astrae… Le Zaap que tu as utilisé a été endommagé par le zéro absolu. Ta téléportation vers un autre lieu s’est transformé en un voyage à travers le temps. Ton organisme n’a pas résisté à cela et tu as perdu la mémoire. J’ai parcouru deux siècles sous cette forme de loup pour enfin te retrouver. Et ainsi te faire retrouver la trace de ton peuple et de ta mémoire.
- Ma reine, ainsi c’était vous…
- Relève-toi ! Viens, entrons. »
Lentement, les portes du château s’ouvrirent. Chazuro était ébahi par la richesse du lieu. Ce château fait de pierre et de glace à l’extérieur était incroyablement chaleureux lorsque l'on rentrait à l’intérieur. Le Sacrieur suivit Astrae et la reine en silence, n’osant parler de peur de rompre l’harmonie qui régnait entre eux.
Le grand Iop marchait lentement, des souvenirs l’assaillaient de toutes parts. Lui qui avait été la risée de certains avec ses habits étranges et ses trous de mémoire avait une histoire et un peuple.
Dans l’immense hall d’entrée du château, des images de son intronisation comme général des chevaliers Frozen lui revinrent en mémoire. Celles-ci le renvoyèrent directement à une scène au sommet du volcan, une nuit d’horreur… la mort de son père.
« Ton père était un des meilleurs généraux que les Frozen ont eu. Chacune de ses actions était dictée par sa foi en le dieu Iop et par l’amour éternel qu’il portait à ta mère. »
La reine semblait lire dans son esprit. Elle l’amena ensuite par un petit couloir jusqu'à une grande salle protégée par deux immenses statues de glace. Les murs étaient tapissés d’une multitude de portraits.
« Ici, c’est la salle…
- …. des miroirs, compléta Astrae qui s’était approché d’un portrait lui ressemblant étrangement. Père… Je suis de retour. Comme tu me l’as appris, je serais digne de notre lignée.
- Je l’espère aussi, reprit-elle. Ton destin était de reconstruire le clan en Amakna. Tu as commencé malgré toi. Tu as la même force fédératrice que ton père. Mais finalement, c’est Amakna qui va venir à Frigost. Ce fourbe d’Hogmeiser qui s’est introduit ici a trop parlé. Son seul but est le pouvoir. En trouvant par hasard notre sanctuaire, qu’il a allègrement pillé, il a trouvé le moyen de dominer.
- Je ne comprends pas…
- Il a trouvé une de nos créations, de simples bottes pour nous mais... en Amakna elles ont un pouvoir immense. Ce prodige est d’ailleurs un mystère pour moi. En s’en emparant et en gardant secrets les ingrédients, il lui devient facile de les monnayer contre le pouvoir.
- Je présume qu’il faut des pierres de dopeul, des écussons zoth et du cuir de bouftou, intervint Chazuro, assemblant les pièces du puzzle dans sa tête.
- Oui, c’est exact. Ainsi que de l’or et des poils de Givrefoux. Il a mis Amakna à feu et à sang pour rassembler tous les ingrédients. Il ne lui reste que les mines d’or de Brâkmar à conquérir.
- Nous devons empêcher ça ! s’exclama Chazuro.
- Oui, c’est votre destin. Mais vous avez encore le temps, j’ai encore beaucoup de choses à vous faire découvrir. »

La reine repartit dans les couloirs du château. Elle rentra dans un grand atelier où chaque corps de métier y était représenté.
« Hogmeiser a trouvé cette salle. Au moment du zéro absolu, l’un des nôtres confectionnait une paire de botte. C’est comme ça qu’il a compris la recette et les ingrédients. Heureusement pour nous, fort de cette découverte, il n’a pas poursuivi son exploration. Venez, suivez-moi. »

Leur guide s’approcha d’une paroi et joua avec le petit flocon gravé sur le mur. Comme pour le volcan, la roche sembla s’effacer pour laisser place à une ouverture.
« Voici notre entrepôt. Astrae, prends ceci. »
Elle lui tendit alors un immense bâton dont l'aspect froid et translucide rappelait celui de la glace. Encore une fois, un flash raviva un souvenir. C’était le bâton de son père. A l'époque jeune et idiot, il n'en n'avait pas voulu... Mais il ressentait maintenant l'étrange sensation d'être fait pour cette arme, comme si elle était une extension de lui-même. Le Iop savait pourtant qu'il lui faudrait une immense détermination pour arriver à maîtriser la puissance incroyable qu'elle dégageait.
« Je vais maintenant vous amener au sanctuaire, là où les premiers Frozen Tears ont fait le serment de protéger à jamais cet endroit et ce qu’il cache. »
La reine continua à parcourir les salles et les couloirs du château. Elle descendit un escalier, toujours suivie par Astrae et Chazuro.
« La salle du conseil, souffla le Iop.
- Oui, Astrae, le lieu de toutes nos décisions. »
Un grand flocon de neige blanc était dessiné au sol par des pierres blanches. Au fond de la pièce se dressait un énorme trône sculpté dans la glace, les deux accoudoirs en tête de loups exprimant une puissance irréelle.
« Sous le sol de cette salle se trouve notre raison d’être : les totems que nos ancêtres ont cherchés à la demande de Rushu.
- Ceux de la légende ? Ils existent vraiment ? demanda Chazuro, incrédule.
- Oui bien sûr, mais l'histoire a été déformée avec le temps. Les sentiments ont tous été relâchés. Mais les Givrés eurent peur de provoquer un cataclysme. Ils ont donc juré de former un clan uni et fort qui lutterait pour ramener la paix dans le monde si une guerre sans limite se répandait à nouveau.
- Il n’y a donc rien ? Pas de trésor ? s’inquiéta le Sacrieur.
- Non. Juste un serment signé avec le sang des quatorze chevaliers Frozen de l’époque, du général et de celle qu’ils appelaient Reine. Jamais une guerre n’éclata.
- Sauf maintenant, réalisa Astrae.
- Oui, le destin a voulu que tu arrives à cette époque, toi le général, le meneur. Tu dois maintenant suivre ta destinée et ramener la paix en ces temps agités. Et un allié de confiance t'aidera dans cette tâche. Chazuro, par tes faits d’armes et ton amitié sans faille, j’utilise mon droit souverain pour t’élever au rang de Frozen Tears. »
Astrae regarda le Sacrieur puis sa reine. Il ne semblait pas affecté par le poids de ce destin héroïque et était habité par toute la fierté d’être un Givré, d’être le fils de Virus All Stars. Chazuro, lui aussi, de par sa nouvelle position de bras-droit, se sentait investi d’une mission hors du commun.
« Comment retourner sur le continent assez rapidement ? demanda-t-il à sa nouvelle souveraine.
- La seule solution est d’utiliser le seul Zaap encore en fonctionnement sur l’île, celui de notre ancien avant-poste.
- Est-il loin ?
- Non, deux jours de marche. Mais il est maintenant en territoire Yech’ti. Il vous faudra être prudents. Ce sont des bêtes d’une sauvagerie extrême… Mon rôle parmi vous est à présent terminé. Je vais pouvoir rejoindre en paix le mont des Anciens. »

L’aura de la reine commença à s’estomper. Astrae et Chazuro la regardèrent rejoindre enfin ses ancêtres. Dans un dernier souffle, elle murmura :
« Astrae All Star, Noble Chazuro, n’oubliez pas : vous êtes maintenant des Frozen Tears. »


Aux portes de Bonta, Thomas Sacre, Hogmeiser et Dvergar avaient réuni les troupes. Plus de vingt mille hommes et femmes avaient rallié la bannière blanche pour l’attaque de Brâkmar... cette dernière bataille qui devait asseoir la domination ange.
Du simple bétail que l'on mène à l'abattoir, voilà ce que nous sommes pour eux... pensa Max, affichant un air résolu. Dvergar ne voulait pas qu'il réfléchisse mais c'était pourtant ce qu'il n'avait cessé de faire jusque-là : penser, examiner toutes les possibilités qui s'offraient à lui.
« Prêts, soldats ? Alors à vos postes ! Faites honneur à votre nation » prononça le général des armées. Les guerriers prirent place. L'espace d'une seconde, le jeune Féca sentit le regard de son supérieur posé sur lui mais ne sourcilla pas. Oui, il allait leur faire honneur, ils pouvaient compter là-dessus.
Les tambours se mirent à taper en rythme et l’armée s’ébranla doucement. Le destin était en marche.
Chapitre 9 :


Hapero avait réuni la fine équipe dans la maison de Lagaf. Le Iop, Chip’s, Xeroxx, Carbon, Ninoxe et Trunks avaient répondu présent. En Amakna, les préparatifs allaient bon train. Tous les anges avaient déserté la région, prouvant que l’attaque sur Brâkmar serait massive.
« J’espère que nous serons assez nombreux pour faire pencher la balance... soupira le Crâ.
- Oui, je pense ! Akiox nous a garanti la participation de Pandala. Trois cents hommes passent en ce moment-même le pont, ils seront là dans trois jours, répondit Carbon.
- Et nous, combien serons-nous ? s’inquiéta Ninoxe.
- Deux cents, peut-être deux cent cinquante, estima Lagaf.
- C’est peu pour tenir un front.
- Jaken nous a fait passer un message, dit Xeroxx. Oto Mustam envisage d’affronter l’armée bontarienne autour du Zaap des landes de Sidimote. C’est l’endroit le plus étroit, ça limitera les manœuvres de contournement.
- Les souterrains débouchent au Zaap ! Il faudra rester à l’intérieur et sortir au dernier moment : l'effet de surprise nous donnera un petit avantage.
- On va devoir jouer serré… il ne s’agit pas de faire une petite diversion mais une véritable guerre. »
Trunks écoutait avec attention. Il se sentait à sa place parmi cette bande d’hurluberlus qui voulait défier une armée entière malgré leurs faibles moyens... juste pour leur liberté.

...Les petits animaux fuyaient dans leurs terriers. Leurs sens aiguisés les avaient alertés du danger qui progressait dans leur contrée. Le bruit sourd martelant le sol se rapprochait, les vibrations de la terre se faisaient plus intenses...


Oto Mustam et Emma Sacre, au cœur de Brâkmar, cherchaient une solution au gigantesque problème qui faisait marche droit sur eux. Ils connaissaient bien les landes de Sidimote. Cette longue étendue de terre n’était pas à leur avantage. Que pouvait faire une armée de trois mille âmes contre les vingt mille soldats de Bonta ?
« Chacun de nos hommes est plus courageux et valeureux que cinq anges réunis. Mais ces derniers sont vraiment plus nombreux…
- Il va falloir résister. Amakna nous promet une aide, ainsi que Pandala. Personne ne veut voir Dvergar diriger notre continent.
- Nous devons tenir les landes et la tour de Gisgoul. S’ils passent, nos remparts seront à leur merci…
- Restons concentrés sur cet objectif, nos troupes sont prêtes à faire face. Nous estimons la bataille à dans combien de jours ?
- Maximum une semaine. L’armée bontarienne marche lentement, nous avons encore un peu de temps pour nous organiser.

« Non pas le Trooll, pas le... » Le capitaine Malfe se réveilla en sursaut. Les vibrations du sol étaient venues perturber sa sieste. Qu'est-ce qui pouvait bien faire un tel raffut ? Soudain, il vit au loin un gros nuage de poussière se déplacer en sa direction et il comprit. Se mettant tout de suite au garde-à-vous, il vit passer devant lui ce qui devait être la plus grosse machine de guerre qu'il ait jamais vue dans sa carrière. Les Bontariens ne faisaient plus qu'un, leur but ultime se lisant clairement sur les visages : destruction.

Astrae était assis dans la salle du conseil. Il était plongé dans une profonde réflexion. Comment allait-il pouvoir renverser cette situation qui paraissait si complexe ? Que ferait Père ?... il dirait : « Provoque l’événement qui jouera en ta faveur »… facile à dire
Chazuro vint le rejoindre.
« Il nous faut partir, le temps presse.
- Non, pas encore ! Je n’ai pas la solution…
- Nous devons nous équiper, marcher jusqu’au Zaap, éviter les Yech’tis et rejoindre les armées brâkmariennes… non, il faut nous dépêcher ! »

Le Iop haussa un sourcil, le regarda fixement puis partit dans un éclat de rire machiavélique que le Sacrieur ne lui connaissait pas.
« La voilà la solution ! Ah Chaz’ mon ami, ma Reine avait raison : tu fais un excellent bras droit ! »
Chazuro, incrédule, ne releva pas. Il fallait accélérer le pas et son petit speech semblait efficace. Astrae sauta du trône et sortit de la pièce.
« Viens t’équiper... vu que tu y tiens vraiment ! » lança-t-il, en plaisantant, à son ami.
Le Sacrieur ne voyait vraiment pas comment on pouvait être aussi jovial dans une telle situation... mais il ne dit mot.

Le lendemain, les deux compères prirent la route des Monts Enneigés, territoire hostile dominé par les Yech’tis et autres créatures tout aussi féroces.

… « Ne faiblissaient pas, soldats ! En avant ! » cria Thomas Sacre. Un cri de rage unanime retentit parmi les troupes. Max Ouelle suivait toujours sagement le martèlement lent et régulier des tambours rythmant l'avancée de cette funeste expédition. Dvergar semblait ne plus lui prêter attention, ce qui était bon pour lui...


« Les Pandas sont là et deux d’entre eux demandent à vous voir, dit le Tavernier à Carbon et Xeroxx.
- Voilà une bonne nouvelle ! Qu’ils entrent ! »

Quelques instants plus tard, Akiox fit son apparition dans la pièce, suivi d’une grande Pandalette au visage familier.

« Sénécia, souffla Xeroxx, alors tu es vivante…
- Oui mais de justesse, répondit-elle, se tournant pour laisser apparaître une grande balafre traversant le côté droit de sa tête.
- C’est Chazuro qui va être content !
- Il est ici ?
- Hélas non, il est parti pour Bonta. Et Trunks ici présent nous a dit qu’il s’était embarqué pour Frigost avec Astrae. »
La Pandalette garda le silence. Aurait-elle l’occasion de le revoir un jour ? Elle se perdit alors brièvement dans ses pensées, songeant à ce que cela aurait pu être si les choses avaient tourné différemment... Mais toutes ces spéculations étaient inutiles et elle reprit la conversation en cours :
« C’est peu…
- Oui mais nous ne pouvons faire mieux. Certains ont déjà rejoint la cité noire pour s’enrôler. »
Akiox avait l'air soucieux mais en même temps résolu. Un guerrier de son rang n'avait pas pour habitude de fléchir devant les difficultés. Son honneur était en jeu et il irait jusqu'au bout, quoi qu'il en coûte :
« Par où voulez-vous passer ?
- Les souterrains reliant l’est et l’ouest sont les plus pratiques pour arriver au cœur de la bataille, lui répondit l'Eca en déroulant un grand parchemin sur la table.
- Je ne connais pas suffisamment la région. De toute façon, le Grandapan m’a dit de nous mettre à vos ordres. Nous vous suivrons donc.
- Bien. Le départ se fera demain, à l’aube » conclut Xeroxx, échangeant avec le Sram un regard qui en disait long sur la suite...

Il faut que ça marche ! Ça doit marcher ! Enfin... ça devrait... je crois...
« Eh toi, le Féca ! Regarde où tu marches ! »
Max venait d'écraser le pied de son voisin qui n'avait pas l'air content du tout. Ce plan allait absolument tout changer... si aucun imprévu ne se produisait... Les guerriers bontariens arrivaient maintenant près d'un grand massif montagneux qu'ils se mirent à longer. Si les obstacles pouvaient tous être contournés aussi facilement, alors le jeune ange avait une chance... les Brâkmariens avaient une chance.

Astrae menait la marche, Chazuro le suivait tant bien que mal. Son ami ne lui avait plus adressé la parole depuis le départ du repère. Le grand Iop traçait la route vers le nord. Les arbres se faisaient de plus en plus rares et le paysage devenait plus rocailleux.
« Nous y sommes presque, le Zaap est juste de l’autre côté de ce pic, indiqua Astrae.
- Pas de signe des Yech’tis... Auraient-ils succombé au zéro absolu eux aussi ?
- Détrompe-toi ! Ils sont là. Ils nous observent depuis un bon moment déjà mais le bâton de mon père semble les tenir en respect… pour l’instant. »
Chazuro regarda, inquiet, autour de lui mais n'apercevait rien d'autre que l'étendue désertique lorsque soudain, un mouvement furtif attira son attention. Deux grands yeux brillants le fixaient dans la brume. Ils se fondaient avec une telle aisance dans l'éclat immaculé du décor qu'il fallait vraiment savoir que quelque chose était là pour les remarquer. Mais une fois sa conscience piquée au vif par le danger, le Sacrieur réalisait que la scène était tout autre que ce qu'il voyait quelques secondes plus tôt... Cinq ou six monstres les suivaient, affichant une expression à la fois pleine de rage et tétanisée par l'aura que dégageait l'arme de son ami.


Quelque part dans les tunnels traversant les montagnes sous Amakna jusqu’aux landes de Sidimote, Carbon et Xeroxx menaient l'équipée avec l’aide de Chip’s...
« Pourquoi c’est toujours moi qui passe devant ? se plaignit le Sram.
- Aurais-tu peur des mineurs ? se moqua l’Eca.
- Non ! Mais le fait que je sois un Sram n’inclut pas une compétence en souterrains en tout genre. Surtout celui-là ! se justifia Chip’s en regardant la cavité lugubre dans laquelle ils se trouvaient.

La petite troupe composée de rebelles d’Amakna et de Pandas avançait rapidement vers sa destination finale. Hapero et ses compagnons dirigeaient l’opération avec l’aide précieuse d’Akiox et de Sénécia. Il avait fallu équiper, motiver et réunir tout le monde pour l’expédition souterraine. Le dernier message de Jaken annonçait que les troupes bontariennes avaient accéléré le pas. La grande bataille aurait lieu dans environ trois jours, suffisant tout juste à nos amis pour faire le trajet. Mais les hommes étaient confiants et l’allure preste.

Aux portes de Brâkmar, un Osa et une petite Enie inspectaient leurs troupes. En effet, Khrysalide avait été élevée par Emma Sacre au grade de Général et elle allait devoir diriger une garnison durant la fin de cette guerre. Heureusement pour elle, son ami Jaken était présent à ses côtés pour la conseiller dans ce rôle nouveau pour elle.
« Soldats ! La bataille qui s’annonce va être encore plus saignante et violente que dans vos rêves de petits démons. Soyez-en sûrs, la moitié voire la totalité d’entre vous trouvera la mort demain près du Zaap des landes ! Mais si vous êtes là, dans cette ville, à nos côtés, c’est que vous aimez la mort, le sang, la guerre et tout autre joyeuseté de ce genre ! Alors montrez-nous vos capacités et votre rage au combat ! Portez haut les couleurs de Brâkmar ! Nous allons bouffer de l’ange ! »
Une clameur s’éleva des rangs à l’écoute du discours musclé de cette petite Enie bien décidée à en découdre. Peu de temps après, Oto Mustam et Emma Sacre firent leur apparition sur de magnifiques dragodindes en armure. L’armée toute entière les salua puis se mit en marche à travers les landes.

Sur l’île enneigée, nos deux compères avaient enfin atteint le haut du pic escarpé qu’ils escaladaient depuis le matin. En dessous d’eux, une grande vallée blanche se dévoilait à travers la brume. Un anneau d’un bleu intense indiquait que le Zaap était accessible et toujours en état de marche.
« Il est encore loin, souffla Chazuro que la montée avait épuisé.
- Courage, mon ami ! Et reste sur tes gardes, les Yech’tis semblent plus belliqueux. »
Le Sacrieur regarda autour de lui. Effectivement, c’était maintenant une vingtaine de monstres des neiges qui les entouraient, se tapaient sur la poitrine, grognaient et imperceptiblement se rapprochaient.
« Dépêchons-nous ! Le bâton semble avoir moins d’influence ici. »

Astrae entama la descente, toujours aussi déterminé. Son ami l’observait. Son visage avait changé, ses traits étaient plus durs, son regard plus sombre, ses paroles plus réfléchies et très directives. Ce n’était plus le Iop déboussolé que Chazuro avait rencontré au Zaap de Brâkmar, ce n’était pas non plus la jeune recrue joyeuse et insouciante de la cité noire… Non, c’était vraiment un autre homme, investi d’une mission, portant les espoirs d’un peuple oublié qu’il voulait faire renaître. Un homme bon et droit mais gagné par une part d’ombre importante et effrayante...

« Brâkmar vient à notre rencontre, dit Dvergar à Hogmeiser en désignant un nuage de poussière à l’horizon.
- Haha les fous ! Pourquoi venir se jeter dans la gueule du loup ?!
- Je connais ma sœur, intervint Thomas Sacre. Elle préférera une bataille héroïque à un siège épuisant et sans gloire.
- Tant mieux, ça la conduira à sa perte ! Nous aurons tôt fait d’écraser sa misérable armée, continua le cordonnier. Tu as l’air soucieux Dvergar, qu’est-ce qui te préoccupe ? »
Max qui, dans les rangs, suivait la conversation d'une oreille discrète ne put s'empêcher d'esquisser un léger sourire de satisfaction...
« Rien ! répondit le Xélor d’une voix sèche en secouant la tête comme s’il chassait une mauvaise pensée. Nous allons vaincre ! Demain l’affrontement commencera et le soir venu, nous aurons fini notre carnage !
- Voilà qui est bien dit ! Je ne regrette pas d’avoir fait appel à toi ! Cette Pandalette ne t’arrivait vraiment pas à la cheville ! »
Oui, vraiment... Tous des sots, ces soi-disant dirigeants... pensa le jeune Féca...

« Ah ! Voilà enfin la vallée, soupira Chazuro. Les Yech’tis sont de plus en plus nombreux…
- Oui, reste près de moi et avançons. Nous ne sommes plus très loin. »
Les deux amis se mirent en marche de concert, regardant de tous les côtés pour surveiller le cercle de créatures qui se rapprochaient irrémédiablement.

L’aube se levait sur les landes de Sidimote. Les tambours des deux armées qui avaient résonné toute la nuit s’étaient tus. Khrysalide et Jaken observaient l’immense bataillon qui stationnait à quelques encablures d’eux, de l’autre côté du Zaap. Un frisson avait parcouru les troupes brâkmariennes lorsque le jour avait révélé le nombre déployé par Bonta. Emma Sacre avait recadré tous les guerriers en les haranguant encore et encore.
Dans le souterrain débouchant près de l’anneau bleu, Chip’s expliquait ce qu’il venait de voir à Xeroxx et Carbon.
« L’armée bontarienne est là, celle de Brâkmar aussi. L’affrontement est très proche.
- Attendons que ça commence, nous sortirons plus tard. Nous arriverons peut-être à désorganiser un peu les troupes de Dvergar. »

Le mage noir en question avançait sa monture. Il irait avec les troupes se mêler à la bataille. Thomas Sacre resterait sûrement à l’arrière avec Hogmeiser. Mais lui voulait être dans l’action, entendre le fracas des armes, sentir l’odeur du sang, frapper, esquiver... c’était sa vie. Etre observateur n’était pas son rôle.
« Soldats ! Préparez-vous ! A mon signal, nous chargerons ! N’ayez pas peur du choc : si vous ralentissez, vous êtes morts ! »
Le Xélor attrapa son gros marteau blanc, le leva bien haut puis, harponnant sa dragodinde, l’abaissa soudainement. Les cavaliers lancèrent à leur tour leurs montures. La bataille commençait.

« Ne bougez pas ! Laissez-lez venir ! »
Emma Sacre criait ses ordres. Les soldats brâkmariens sortirent leurs lances et boucliers et se plantèrent dans le sol, attendant l’assaut ennemi. Khrysalide regardait le Zaap avec intensité. Elle espérait voir apparaître Astrae. Le revoir avant de mourir était l'un de ses souhaits…

« Archers ! Tirez ! »
Une nuée de flèches recouvrit le ciel avant de s’abattre sans pitié sur les premiers rangs bontariens. Quelques anges tombèrent… tout de suite remplacés par une deuxième vague. Dvergar ne prêtait aucune attention à ces attaques de pacotilles. Son regard était fixé sur Oto Mustam. Il aurait la peau de ce démon, il se l’était juré !

Dans le souterrain, la troupe attendait le moment propice.
« Soyons patients, dit Xeroxx en voyant passer la première ligne d'anges.
- Si on sort maintenant, on va prendre autant de flèches amies que de coups ennemis.
- Attendons l’impact ! » acquiesça Carbon en faisant un signe d’apaisement aux guerriers autour de lui.

Les premiers Bontariens vinrent s’écraser contre les piques démons. Mais sous le nombre, la ligne brâkmarienne commença à reculer.
« Tenez bon ! Repoussez-les ! »
Jaken invectivait ses hommes. Stone, à côté de lui, envoyait des guerriers valser dans les airs. L’un d’eux atterrit devant l’entrée souterraine. Reprenant ses esprits, il aperçut les rebelles stationnés à cet endroit.
« Alert…. » Il ne put finir son cri. Une flèche le fit taire à jamais.
Xeroxx remercia Hapero du regard puis sortit un jeu de cartes ainsi que sa paire de dagues.
« Allez ! Que la fête commence ! »
Il s’élança et un premier Bontarien s’écroula, un as de trèfle planté dans le crâne. Un deuxième fut découpé en deux par une ronce de Carbon.
Dans les rangs ennemis, la surprise fut vite balayée par les ordres de Thomas Sacre. Le Iop prenait la mesure de l’événement et, malgré sa position reculée, déployait une tactique de guerre bien huilée.
Deux anges entourèrent Chip’s puis l’attaquèrent violemment. Le Sram resta sans réaction et les deux soldats continuèrent leur assaut, quand soudain deux dagues les transpercèrent de part en part.
« Coucou ! fit une voix sortie de nulle part. C’est pas gentil d’abîmer mon double ! »
Les combattants s’écroulèrent sur le sol et Chip’s apparut, un grand sourire aux lèvres.
« Chip’s, bouge-toi et arrête de t’amuser ! râla Lagaf. Y’en a plein d’autres ici !
- J’arrive, j’arrive ! »


La sœur Sacre, de son côté, démontrait que son grade de dirigeante de Brâkmar n’était pas usurpé. Tandis que, d'une main, elle décapitait un Bontarien dans un phénoménal coup d’épée, elle para de l'autre la flèche d’une jeune Crâ aux ailes blanches à l'aide de son bouclier. Et ce tout en continuant à donner ses ordres. Toute la rage en elle explosait et il ne faisait pas bon croiser sa route en ce moment précis...

… C'est d'ailleurs ce qu'un grand Sacrieur eut tout juste le temps de penser avant que Dvergar, qui avançait toujours en direction d’Oto, ne brise sa cage thoracique en mille morceaux. Il était à peine ralenti par la défense démon. Les coups ne semblaient pas l’atteindre et son marteau faisait des ravages. Il explosa le crâne d’un Sadida dans un grand éclat de rire. Sa grandeur au combat le grisait tellement qu'il ne remarquait pas qu'un Féca se frayait un chemin derrière lui...

Les Pandas, quant à eux, n’étaient pas en reste et avaient surgi peu après les trublions d’Amakna. Ils avaient aussi engagé l'affrontement contre une partie des troupes arrières de la cité blanche. Sénécia menait la danse, lançant ses flasques le plus loin possible et mutilant les anges à coups de hache, les privant de leurs jambes.

« Sénécia !! » Hogmeiser était stupéfait de voir son ancienne mercenaire. Dvergar lui avait assuré la mort de la Pandalette ainsi que celle des gêneurs accompagnés des loups.
Comment est-ce possible… si elle est vivante, le Iop et le Sacrieur le sont sûrement aussi. Dvergar m’a menti… il va falloir se méfier…

« Thomas ! Lance tes troupes ! Toutes tes troupes ! »
Le Iop regarda avec étonnement l’homme à ses côtés.
« Nous avons la situation bien en main…
- Obéis et ne réfléchis pas ! Envoie toute l’armée !
- Bien… » répondit-il, l’air résigné.

Les escadrons de réserve se mirent en branle. Khrysalide, tout en soignant ses guerriers, le signala à Jaken.
« C’est la fin. Ils arrivent tous… »


Sur Frigost, Astrae et Chazuro n’étaient plus très loin du Zaap. Mais les Yech’tis ne les laissaient plus trop avancer.
« Prépare-toi, Chaz !
- A mourir ?
- Non ! Ne sois pas idiot ! Je vais créer une brèche. Cours vers le Zaap et quoiqu’il arrive, ne t’arrête pas. »
- Mais…
- Aie confiance ! »
Le Sacrieur se remémora des images de Grobe. L’abandon de Sénécia… il ne voulait pas revivre de tels moments. Son regard croisa celui de son ami et il fut aussitôt parcouru d'un frisson en apercevant cet esprit machiavélique qui semblait habiter le Iop. Mais il n’eut pas le temps de protester. Astrae fit tournoyer son bâton et le planta violemment dans le sol. Les Yech’tis s’inclinèrent, laissant un espace en direction du Zaap.
« Cours ! Et n’oublie pas : tu es un Frozen Tears ! » cria Astrae.
Chazuro suivit les instructions du Iop et courut en direction du Zaap sans se retourner, jusqu’à en perdre haleine. Il entendait le fracas des monstres s'élançant derrière lui. Soudain, un loup d’un blanc immaculé le dépassa. La bête tourna la gueule vers le Sacrieur.
Ce regard… Astrae ! Par quel miracle…

Il comprit alors le plan de son ami. Il pensa très fort à son appartenance au clan, à la reine, au pacte qu’il avait juré de défendre et se sentit tout-à-coup plus léger, plus fort, plus puissant… il courait plus vite et plus près du sol...

Un écureuil, qui observait la scène du haut de son Sapik, vit les deux loups blancs courir vers un grand anneau bleu, poursuivis par une horde impressionnante de Yech’tis.


Dans les landes, les démons reculaient face à l’immensité de l’armée bontarienne. Emma Sacre se battait toujours avec l’énergie du désespoir. Elle embrocha un Ecaflip et, regardant autour d’elle, sentit des larmes de rage couler sur ses joues.
« Brâkmariens ! Envoyez-les en enfer ! »
Mais son appel resta sans réponse. Son frère gagnait leur duel à distance… d'une façon semblant irrémédiable…

Khrysalide esquiva le coup de bâton d’un Féca et riposta d’une formule dont elle avait le secret. L’ange se retrouva déboussolé et elle l’acheva d’un grand coup de marteau sur la tête. Jaken, non loin de là, bataillait avec l’aide de Stone, toujours aussi enflammé. Ils essayaient tous tant bien que mal de ne pas faiblir mais petit à petit, ils ne furent plus qu’un îlot au milieu du flot ininterrompu d'anges guerriers.

« Aidez-nous ! »
Hapero et Chip’s se retournèrent en entendant l'appel. Akiox et Sénécia étaient en très mauvaise posture. Un escadron entier les entouraient et commençaient à prendre le dessus, malgré l’abnégation des deux guerriers.
« Allons-y » décida le Crâ en dispersant trois combattants bontariens à l'aide d’une flèche. Le Sram lui emboîta le pas. Ils firent un carnage en prenant les soldats blancs à revers et rejoignirent rapidement leurs deux alliés.
« Vite ! Il nous faut retourner auprès de Ninoxe et des autres. Nous tenons une petite position qui nous permet de survivre. »
Les quatre amis repartirent vers ce minuscule bosquet que Lagaf, Carbon et Xeroxx défendaient au prix de maintes blessures que la cousine de ce dernier s’empressait de refermer et soigner.

A l'autre bout de la lande, dans un endroit isolé, Dvergar menait un combat titanesque contre Oto Mustam. Chaque coup résonnait dans toute la plaine. Aucun des deux combattants ne laissait l’autre prendre l’avantage ni même gagner du terrain...
… Ce qui laissait un peu de temps à Max Ouelle pour se débarrasser de ce Panda posté en travers de son chemin et le prenant pour un ennemi. A chaque détonation raisonnant dans l'atmosphère, il espérait que le chef Brâk tienne le coup... juste assez longtemps pour que le jeune protecteur puisse mettre son plan à exécution et achever lui-même l'autre sadique couvert de bandelettes. Le temps pressait et n'était plus à l'esquive prudente. Le Féca invoqua ses armures et fonça droit sur son opposant d'un air féroce.

Tout n'était que confusion et désordre. Les peuples se déchiraient, mettant tout à feu et à sang.
« Je vais enfin pouvoir dominer le monde et prendre possession de cette île enneigée que je convoite depuis tellement longtemps ! Ha ha ha ! »
Hogmeiser se félicitait avec Thomas de cette belle victoire quand, brusquement, le Zaap s’illumina d’un bleu étincelant et le temps sembla se suspendre un instant. Tous les regards étaient rivés sur cette lueur. Le visage d’Hogmeiser pâlit et une vague d’espoir submergea rebelles et démons. Deux loups blancs en jaillirent et, avant-même d’avoir posé une patte sur le sol, un Iop et un Sacrieur les avaient remplacés.
« Brâkmariens ! Démons ! Reculez et ralliez-vous à moi ! » cria Astrae d’une voix tonitruante en brandissant son puissant bâton. Tous restèrent interdits, ne savant quoi penser de cette curieuse intervention.
Son ami et lui s’écartèrent alors vivement du Zaap, laissant place à une horde de Yech’tis déchaînés. Et le véritable carnage commença.
Les monstres de glace ne firent pas de détails, éventrant tout sur leur passage, renversant, piétinant, griffant et dévorant les malheureux anges en travers de leur route.
Le reste de la troupe brâkmarienne s’était rapidement réunie autour d’Astrae et Chazuro. Emma leur adressa la parole.
« Après les loups, maintenant ces monstres. Vous êtes surprenants, soldats...!
- Je ne suis plus soldat ! » répondit d’une voix sèche le Iop.
La fille Sacre resta muette : il y avait bien longtemps que personne n'avait osé lui tenir tête de cette façon... Un sourire illumina son visage.
« Brâkmariens, Démons et... alliés d’un jour, combattons pour notre liberté et finissons le travail que nos deux sauveurs ont bien entamé. » Des cris et des hourras enflammèrent la foule.
Les troupes noires se lancèrent à l’assaut des rescapés bontariens.

Hermétique à toute cette agitation, Max Ouelle n'était concentré que sur une chose : intervenir rapidement. En effet, Dvergar avait acculé Oto Mustam contre un mur en ruine et le chef de la milice sentait que la situation lui échappait. Le Xélor avançait vers lui, une main tendue bloquant le moindre mouvement du Brâkmarien. Le jeune Féca décida alors de se lancer et apparut dans le champ de vision de son général.
« Ah... tu as réussi à survivre, jeune effronté ! Tu arrives au bon moment : tu vas assister à la plus belle mise à mort que ce jour ait connu…
- Oh non, je ne crois pas ! »
Oto Mustam releva la tête. Quel était cet ange qui osait défier Dvergar pour le sauver lui, un démon de la pire espèce ?
Dvergar ne put s’empêcher de rire.
« Toi, freluquet ? Tu te crois assez fort pour me battre ? Moi qui viens de mettre à genoux le grand Oto Mustam ? Moi qui ai massacré tout un village de Pandala sans en retirer ne serait-ce qu'une égratignure ? Pauvre fou... »
Le Xélor se détourna du Féca et souleva son lourd marteau au-dessus d’Oto. Max Ouelle réagit au quart de tour. En un instant, il avait lancé un sort de protection sur le Brâkmarien et il s’interposa entre les deux hommes.

Non loin de là, Sénécia cherchait Hogmeiser tout en se frayant agilement un chemin entre les cadavres éventrés par les Yech’tis et les combattants encore vivants. Tout n’était que chaos autour d’elle. Elle aperçut enfin la dragodinde bleu turquoise du cordonnier. Enfin, elle allait pouvoir venger définitivement la mort de Shad’O ainsi que son propre honneur ! La Pandalette s’élança au pas de course mais un monstre des glaces lui barra le passage. Sans se démonter, Sénécia, par une habile astuce, passa sous les jambes du Yech’ti et lui trancha les tendons d’Achille avec sa hache. Le colosse s’écroula sous son propre poids. La jeune guerrière le laissa gisant derrière elle et continua sa poursuite. Mais il était trop tard, Hogmeiser était déjà loin. Il fuyait à bride abattue à travers les plaines, abandonnant son armée et ses projets de conquête...

… Projets pour lesquels quelqu'un s'apprêtait à payer : Emma avait mis la main sur son frère. Thomas n’en menait pas large devant la fureur de sa sœur.
« Tu as dépassé les limites ! Comment as-tu pu ?
- C’est Hogmeiser ! Il... il a pris le pouvoir... il m’a rappelé une dette de Père.
- Tu es un bel idiot... Père n’a jamais eu de dette. Tu mérites de mourir ! »
La fille Sacre se rapprocha de son frère avec la ferme intention d’en finir avec cette guerre fratricide. Mais Astrae, qui avait suivi la scène de loin, intervint.
« Non ! Ne fais pas ça !
- Pourquoi ?? Il le mérite !
- Peut-être. Mais tu ne dois pas le tuer, continua Astrae, le regard dur. Il est important que vous deux restiez en place. Vous garantissez l’équilibre. Reprenez vos petits duels inoffensifs qui ne mettent pas le monde en danger et restons-en là. »
Astrae tendit la main à Thomas et le releva.
« Rassemble ton armée. Les Yech’tis commencent à se disperser, vous ne risquez plus grand-chose.
- Mais qui es-tu pour nous diriger ainsi ?
- Mon nom n’a aucune importance. Sache juste que si tu remets la pagaille sur le continent, j’interviendrai avec mon clan pour ramener l’ordre. »
Le Bontarien allait répliquer quand un bruit assourdissant assomma la lande.
Là-bas, au loin, une lutte sans merci avait encore lieu. Si les jumeaux Sacre, enrôlés dans cette histoire par les circonstances, étaient prêts à calmer le jeu, la détonation leur rappelait qu'il y en avait un qui n'abandonnerait sous aucun prétexte... quelqu'un qui aimait cette guerre et qui comptait faire plus que la gagner...

Le jeune protecteur résistait du mieux qu'il pouvait. Le maître du temps sortit discrètement quelque chose de sa poche. Max réussit in extremis à lancer son armure incandescente et la barrière de feu le protégea de la poussière temporelle que son adversaire soufflait en sa direction. Malheureusement, quelques particules passèrent au travers, lui brûlant partiellement le visage. Qu'importe s'il était défiguré, il ne se laisserait pas faire aussi facilement. Le tout était de trouver la brèche...
« Tu as pris un coup de soleil, non ? » ricana le Xélor.
Max, furieux, ne sourcilla pas. De sombres nuages commençaient à se former au-dessus de son adversaire. Ce dernier se téléporta juste avant que l'éclair ne puisse le foudroyer.
« Hmm moui, si tu veux, on peut jouer à ça... » dit le petit homme couvert de bandelettes en réapparaissant derrière le jeune guerrier. Aussitôt un rayon obscur atteignit le Féca qui tomba au sol.
Un autre traversa Oto Mustam de part en part, l'empêchant de lui planter son arme dans le dos.
« Tu croyais pouvoir m'avoir de cette façon ? En traître ? Ne comprends-tu pas qu'il en est fini de toi ? » siffla Dvergar, un concentré de haine pure emplissant son regard.
Max, qui s'était relevé, s'élança sur lui, muni de son bâton. Le perfide Xélor sourit d'un air sûr de lui et en l'espace d'une seconde, tout fut ralenti alentours. Même le nuage de poussière soulevé par son adversaire semblait figé en suspension dans les airs. Le silence régnait, inquiétant, comme le calme qui annonce la tempête... Mais soudain, à sa plus grande surprise, le Féca disparut. C'est alors qu'il reçut un énorme coup dans le diaphragme, lui coupant la respiration. Il s'était téléporté ! Impossible ! Dvergar n'arrivait pas à le croire, quand il vit une fine mais puissante brume de gouttelettes d'eau envelopper Max. Comment ? Comment avait-il eu le temps ?? Il esquiva une deuxième attaque mais reçut la troisième. Que lui arrivait-il ? Il fallait qu'il se reprenne. Immédiatement !
« Je vois à ton visage que tu es surpris... Je me trompe ? dit son jeune opposant d'un air narquois. Vois-tu, il n'y a pas que toi qui peut jouer avec les actions des gens...
- C'est impossible !!!! hurla le Xélor de rage. Le seul moyen aurait été... »
Tout-à-coup, un éclair de compréhension illumina son visage.
« Tu ne croyais pas Oto Mustam aussi lâche quand-même ? Ou peut-être que si... ! » Max Ouelle jubilait. Son plan marchait. « J'ai utilisé le seul point faible que tu aies, Dvergar. Ton orgueil ! Tu es tellement prévisible lorsqu'on connaît ta perversion... J'ai fait en sorte que tu te téléportes prêt de moi. Oto m'a aidé à faire diversion et tu étais tellement occupé à exercer ta vilenie sur lui que tu n'as pas remarqué que je posais un glyphe de silence juste sous tes pieds. Tel est pris qui croyait prendre... Tu n'as bien sûr pas été affecté très longtemps : pas assez pour que tu t'en rendes compte mais suffisamment pour que je lance mon armure... »
Ç'en était trop pour le mage noir qui se lança alors sur lui, tenant fermement son marteau, prêt à pulvériser l'insolent.
S'en suivit un duel surréel. Dans cette bulle intemporelle où rien n'avait de prise, deux guerriers s'affrontaient, apparaissant, disparaissant, puis réapparaissant plus loin, tantôt freinés, tantôt accélérés dans leurs mouvements. Telle une symphonie jouée par un orchestre dont le chef serait pris de syncope, le combat se déroulait à la vue de Sénécia et d'autres se trouvant non loin, paralysés, impuissants.
Le ballet macabre aurait pu durer ainsi éternellement... mais le jeune Féca savait ce qu'il avait à faire. Pour le bien de tous, il allait en finir. C'est alors qu'il lança son attaque la plus puissante. La protection aveuglante de Dvergar commençait à faiblir et comme il s'y attendait, le Xélor contra... mais pas suffisamment. Toute la zone se couvrit d'un éclat incandescent et soudain...
Le temps reprit son cours. La vie recommença sa course, la nature se remit tout doucement en mouvement et le soleil inonda la scène de sa lumière la plus vive.
En cette fraîche matinée qui débutait enfin après deux jours de lutte acharnée, un Féca venait de se sacrifier pour soustraire le pire Xélor que le monde eut connu.

Chazuro arriva sur les lieux tandis qu'Oto Mustam se relevait difficilement. Dvergar gisait sur le sol, sans vie, un bras arraché. Le jeune Max Ouelle était lui aussi étendu non loin de là. Mort également.
« Que s’est-il passé ? demanda Chaz'.
- Ce Bontarien s’est sacrifié pour tuer Dvergar ! Il l’a payé de sa vie mais il m’a sauvé. Il nous a tous sauvés. » La perplexité se lisait sur les visages des autres guerriers ayant assisté à la scène sans pouvoir agir. « Allez aide-moi à le porter, il a droit à tous les honneurs. »
Le Sacrieur souleva le Féca et le porta avec Oto jusqu'à un rassemblement d’hommes où se mêlaient anges et démons. La bataille avait pris fin. Les Sacre avaient réuni leurs troupes pour signifier que la paix était entérinée.

Chazuro et le chef des miliciens brâk déposèrent le corps du valeureux protecteur au centre de cette foule.
Le Sacrieur prit la parole :
« Encore une tombe à fleurir, un ange part dans un dernier soupir. Un Féca meurt dans un duel mais la paix est là, entendons son appel ! »

Un murmure s’éleva et après quelques instants de recueillement, Bontariens et Brâkmariens se séparèrent et partirent avec leurs blessés vers leurs villes respectives.

Quelques personnes s’étaient, elles, réunies autour d’Astrae et Chazuro. Akiox, Sénécia étaient là mais aussi Khrysalide et Jaken ainsi que le groupe d’Amakna composé de Xeroxx, Carbon, Chip’s, Lagaf, Hapero, Trunks et Ninoxe.
Le Iop resta silencieux pendant que son bras droit répondait aux questions de tout le monde. Puis il prit enfin la parole.
« Vous m’avez tous aidé depuis mon départ de Brâkmar. Je vous en remercie. Comme vous l’a dit Chazuro, nous sommes tous les deux investis d’une mission. J’ai retrouvé ma mémoire et j’ai surtout redécouvert mes racines. Je vais vous proposer une chose. Je ne le ferai qu’une fois. Votre décision sera définitive. Quand je traverserai ce Zaap en direction de Frigost, que ceux qui le veulent me suivent. Les autres, je ne vous en voudrai pas, c’est une décision difficile. Chazuro fermera la marche. »

Astrae se dirigea d’un pas décidé vers le Zaap et le traversa sans un regard en arrière. Après un moment d’hésitation et de discussions, Khrysalide, Carbon, Chip’s et Xeroxx lui emboîtèrent le pas. Hapero, Lagaf, Trunks et Ninoxe ne tardèrent pas à les rejoindre. Jaken regarda le Sacrieur pour savoir s’il faisait le bon choix et devant le regard plein de confiance de son ancien subordonné, s’enfonça à son tour dans l’anneau bleu. Akiox s’approcha de Chazuro.
« Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, mais ma famille ne comprendrait pas… et puis le climat de Pandala ira beaucoup mieux à mes vieux os que le froid légendaire de Frigost.
- Ne t’inquiète pas, mon ami. Tu seras toujours le bienvenu même si ce grand Iop est un peu ronchon. »
Akiox salua le Sacrieur, regarda Sénécia qui paraissait ailleurs puis partit en compagnie des quelques Pandas encore vivants.
Chazuro s’approcha de la Pandalette.
« Tu m’accompagnes ? demanda-t-il, plein d’espoir.
- Je ne pense pas, non…
- Pourquoi ?
- Réfléchis, qu’a été ma vie jusque-là ? La mort, la destruction, l’horreur, la guerre, rien de très bon pour une jeune fille comme moi, non ?
- Ne dis pas de bêtises…
- Non, c’est la vérité. J’ai besoin de calme, de repos. Va rejoindre tes amis et laisse-moi. Après tant de temps à vadrouiller, il est temps que je me pose un peu.
- Tu en es sûre ?
- Oui, passe ce Zaap. »

Chazuro regarda Sénécia dans les yeux et y lut toute la détermination de la jeune guerrière. Il partit alors, avec un soupir, vers le Zaap qui reprit une couleur normale aussitôt qu'il l'eut passé.

Sénécia prit le chemin de Pandala, les yeux pleins de larmes.








Epilogue :


Un nouveau clan Frozen Tears se forma ainsi sur l’île de Frigost... Les années passèrent et ils demeurèrent jusqu'à ce jour, plus unis que jamais.
Son meneur, Astrae, veille toujours au respect d’anciennes traditions et à l’équilibre précaire du monde des Douzes. Chazuro, le grand Sacrieur, en est le bras droit et dirige les actions militaires et le recrutement. Il est d’ailleurs à noter que Taiky et Prospec ont rapidement rejoint le château des glaces.
Khrysalide, quant à elle, trésorière de cette guilde, est devenue un élément essentiel, canalisant les énergies de ses comparses tous plus givrés les uns que les autres. Il paraîtrait même qu’une idylle soit née entre Astrae et elle...

Frigost n'est ainsi plus une simple légende que l'on raconte aux petits Crâ avant de dormir, mais désormais, aux yeux de tous, une île bien réelle, visitée par nombre de voyageurs et explorateurs en quête de sensations fortes. Les Frozens défendent bien sûr leur territoire avec un courage sans faille ainsi qu'une intelligence et des techniques de survie que peu d'entre nous peuvent égaler.

De l'autre côté du monde, sur une île où la douceur du climat y est constante, une jeune Pandalette coule une vie paisible au milieu des siens et va souvent sur l’île de Grobe pour tenter de rattraper le temps perdu avec un fantôme des plus redoutables...

Si un jour, vous voyez un loup blanc, suivez-le. Il vous amènera sûrement auprès d’un grand Sapik et c'est alors qu'une seule question méritera toute votre attention :
Êtes-vous prêt à faire ce dernier pas vers le côté glacé du monde des Douzes ?












/HRP

Voilà la fin de cette "épopée givrée", merci à tous ceux qui ont eu le courage de lire jusqu'au bout. J'espère que cela vous a plu. Si vous avec des commentaires, des questions, des critiques etc etc merci de me les adresser par mp !

Hapero

/HRP
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