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Je viens de retrouver un article du Figaro, mis en ligne, sur l'actualité archéologique en Afghanistan et plus précisément sur un exemple: l'ancienne ville de Bactres/ Balkh, ou ont séjourné entre autres Zoroastre ou Alexandre le Grand:
LE FIGARO - Balkh : Serge Michel et Paolo Wood (photo)
[23 décembre 2003]
Les pilleurs ont quitté Bala Hisar, la ville haute, comme une fourmilière qui aurait déménagé. Sous un ciel bas de nuages pressés, il ne reste que la terre percée de milliers de cratères béants – et la muraille effilochée qui semble aller ceindre l'horizon tellement le site est immense. C'est Bactres, la plus fabuleuse cité antique sur la Route de la soie.
Seul signe de vie au milieu de cette désolation : le vent nous porte des bruits de pioche. Il faut marcher longtemps vers l'extrémité orientale du terre-plein, au-delà de monticules crevés de tellement de trous qu'on dirait des collines en fromage après le passage d'une armée de rats, pour tomber sur cet homme et son fils qui s'acharnent à creuser.
Certains pilleurs d'antiquités font l'admiration des archéologues. Parce qu'avec des moyens très simples ils savent fouiller exactement où il faut pour dégager statues, bijoux, vaisselle. Mais Hamid ne fait pas partie de cette catégorie. «Je creuse, je creuse, dit-il, mais je ne trouve rien.» Et pour cause : il ne fouille pas à la verticale des bâtiments où faisaient étape les plus riches caravanes d'Asie, mais en pleine muraille. Oui, Hamid est en train de détruire une partie de la fortification majestueuse dressée par Tamerlan au XVe siècle, longue de onze kilomètres. A mesure que sa besogne débile progresse, son fils lance les briques dans la pente.
Et c'est encore un peu du passé de Bactres qui s'en va. Fondée deux mille cinq cents ans avant notre ère, cette ville a vu naître le prophète Zarathoustra avant d'être conquise par Alexandre le Grand en 329 av. J.-C. Embrasé par son amour pour la princesse Roxanne, le Macédonien voulut faire de Bactres le symbole de la fusion entre son origine grecque et ses conquêtes orientales. La cité, capitale de plusieurs empires prospères, allait lui survivre plus d'un millénaire, jusqu'au passage de Gengis Khan en 1220. Tout fut rasé, et ce sont des ruines encore fumantes que découvre Marco Polo cinquante ans plus tard. Tamerlan, au XVe siècle, allait offrir à Bactres une seconde vie en s'y faisant couronner.
Le gros du pillage ronge ces couches de surface, de l'époque timouride. Mais la découverte en 2002 de deux bases de colonnes grecques dans une tranchée à proximité de Bala Hisar pourrait remonter au temps d'Alexandre. Le site a été immédiatement recouvert. L'auteur de la découverte, l'archéologue français Roland Besenval, a passé un accord avec un commandant local pour le protéger. Sans pouvoir l'empêcher d'écouler au Pakistan au moins une statue de cette même fouille.
A quelques pas de là, Hamid creuse rageusement. «Ils ont trouvé beaucoup de choses l'an dernier, il ne reste rien pour moi, lâche-t-il.
– C'est normal, vous êtes en train de démolir une muraille.
– Comme ça, au moins, si je ne trouve rien, je peux me faire une maison avec ces briques.»
La milice pour laquelle il a combattu des années, le Jamiat-i islami, a récemment confisqué les terres du pied de Bala Hisar pour les offrir à ses guerriers méritants, dont Hamid fait partie.
«Ce n'est pas dommage de détruire cette muraille ?
– Ce sont de bonnes briques, cuites, à l'ancienne. C'est nécessaire ici, parce que la région est humide.»
A Kaboul, Roland Besenval, qui dirige désormais la Délégation archéologique française en Afghanistan (Dafa), confirme que le pillage a pris une ampleur effrayante. «Depuis la chute des talibans, dit-il, c'est quatre ou cinq fois l'équivalent du musée de Kaboul qui a été exporté illégalement.» La destruction de statues préislamiques du musée par les talibans avait soulevé des protestations internationales. Aujourd'hui, alors que le pays est pratiquement gouverné par la communauté internationale, la contrebande d'antiquités rapporterait 1,7 milliard de dollars par an. C'est plus que les gains réalisés grâce à l'opium (1,2 milliard). Et c'est surtout une meilleure affaire : pas de risque de baisse des prix, beaucoup moins de répression et aucun investissement nécessaire. Nul besoin de semences, d'irrigation, de terres en fermage. Il suffit d'une pioche. De plus, le pillage a longtemps été confiné à quelques sites de grande importance, comme Ai Khanoum et Balkh, mais il s'est aujourd'hui étendu à une centaine de sites.
Les premiers acheteurs d'antiquités sont souvent pakistanais. Ils négocient des contrats de long terme avec des commandants afghans locaux, dont certains lèvent de véritables troupes de pilleurs. Du port de Karachi, connu pour la corruption de ses douaniers, les marchandises partent pour Dubaï ou le port franc de Genève, où elles se feront oublier pour que les contrebandiers, cette fois des marchands d'art renommés, aient le temps de légaliser les pièces.
«Pour nous, le drame n'est pas seulement de voir disparaître des statuettes, des vases, des chapiteaux de colonne, poursuit Roland Besenval. C'est qu'ils soient arrachés à leur contexte. Leur disposition, les objets qui les entourent, la profondeur, tout cela raconte la vie quotidienne de civilisations dont nous ne saurons jamais rien. Ce sont aujourd'hui des chapitres entiers de l'histoire afghane qui sont en train de disparaître pour l'humanité.»
source: http://www.afghana.org/html/print.php?sid=231 (site très intéressant sur l'actu du pays, notamment les touts récents bombardement américains)
C'est confronter le manque de considération des locaux pour un passé qui ne leur a pas été enseigné et est devenu étranger, mais pire que ça, moyen de survie, au peu de scrupules des collectionneurs privés occidentaux. Affligent.
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