|
Rekk, un bourrin ?
Peut-être... pourtant, derrière cette enveloppe meurtrière, se cache l'âme d'un poète. Sisi Introduction Chapitre I Chapitre II Chapitre III Chapitre IV Chapitre V Chapitre VI Chapitre VII Chapitre VIII Chapitre IX Chapitre X Chapitre XI Chapitre XII Chapitre XIII Chapitre XIV Chapitre XV Chapitre XVI Chapitre XVII Chapitre XVIII Chapitre XIX Chapitre XX Chapitre XXI Chapitre XXII Chapitre XXIII Chapitre XXIV Chapitre XXV Chapitre XXVI Chapitre XXVII Chapitre XXVIII Chapitre XXIX Chapitre XXX ------------------------------------------------------------ Rekk resta un instant les bras ballants, comme frappé par la foudre. La pointe de la lance le titillait maintenant sur le ventre, effleurant délicatement les bandelettes qui enserraient sa blessure. Il eut un mouvement machinal pour s'emparer de son épée, mais ses gestes étaient hébétés. Une pression plus forte sur sa poitrine le fit renoncer. Il eut un regard pour les autres. Shareen restait elle aussi tétanisée, le sourire toujours à moitié sur son visage. Laath se préparait à mettre pied à terre, et le bruit des arbalètes le figea avec une botte sur le sol, une autre dans l'étrier. Le vent se prit dans son manteau, et le fit onduler doucement. "Bok ?" murmura le Banni, incrédule. "Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?" Le capitaine des gardes soupira, et retira son arme. Une goutte de sang perlait au bout. Il n'avait pas l'air particulièrement heureux. "Je suis désolé, Rekk. Je n'ai rien contre toi, mais les ordres sont les ordres." Il haussa les épaules. "Veux-tu bien déboucler ton ceinturon et me faire la promesse que tu ne vas pas tenter de t'échapper ? Ou préfères-tu que tout cela dégénère ?" "Quel ordre, Bok ? De quel ordre est-ce que tu parles ? Tu dépends de moi, tu te souviens ?" "Jette ton arme, Rekk. Je t'en prie" "Réponds-moi d'abord. De quel ordre parles-tu ?" Bok soupira de nouveau. Il le regarda droit dans les yeux, et baissa voix. "Je t'en supplie, Rekk, ne m'oblige pas à te tuer" murmura-t-il. "Fais ce que je te dis. Nous parlerons plus tranquillement plus tard" Le Banni soutint son regard un long moment. Lentement, il hocha la tête. Il approcha sa main de son épée, conscient des dizaines de carreaux pointés sur lui. Ses sourcils se froncèrent imperceptiblement. Si jamais il avait été en parfaite condition, il y aurait probablement eu des choses à faire. Il cilla. Reculer d'un pas pour que le corps de Bok gêne les arbalétriers, puis bondir en avant, sortir son épée, le poser sur la gorge du capitaine et le faire reculer avec lui jusqu'à la petite poterne. Ensuite… Mais il était blessé – et il n'était pas seul. Supprimant une grimace de dépit, il déboucla son ceinturon avec obéissance, et le laissa glisser au sol. Le métal émit un bruit mat en heurtant les dalles. "C'est bon, comme ça ?" Bok se détendit imperceptiblement. Il baissa sa lance, et alla jusqu'à lâcher une main pour s'essuyer le front. "Parfait. Tes compagnons, maintenant". Son regard glissa sur Shareen et l'écarta comme si elle était insignifiante. Mais ses yeux étaient durs alors qu'ils observaient Laath. La lance se releva. "Très bien, très bien" fit le voleur avant même que Bok ouvre la bouche. "Je ne suis pas stupide au point de me battre." Lui aussi se débarrassa de sa ceinture et la lança négligemment sur le sol. "Les dagues, aussi" grogna Bok, menaçant. Laath hésita, puis il haussa les épaules. Avec des gestes mesurés, il entreprit de sortir deux dagues de ses manches, et les jeta sur le sol. Sentant le regard insistant du capitaine sur lui, il se pencha et retira un dernier poignard de sa botte gauche. "C'est bon, comme ça ?" fit-il. "Je n'ai plus aucune arme sur moi" "C'est même parfait" Bok hocha la tête. "Enchaînez-les !" "Quoi ?" Rekk grinça des dents de fureur, mais il ne bougea pas alors qu'on lui passait de lourds bracelets aux bras et qu'on les lui immobilisait dans son dos. Shareen et Laath subirent le même traitement, sans plus de douceur. "Ma parole ne te suffit pas, Bok ?" gronda le Banni, l'œil étincelant. "Peux-tu enfin me dire ce qu'il se passe ?" Le capitaine n'était visiblement pas à son aise du tout. Il passa de nouveau ses mains sur son front, puis les essuya sur sa tunique. "On ne prend jamais trop de précautions, avec toi, Rekk. Tu sais comment tu es. Violent, et rancunier, et tout ça" Il se retourna, et leva sa main. "C'est bon ! Vous pouvez baisser vos armes !" Laath poussa un soupir de soulagement alors que vingt arbalètes se détendaient autour de lui. Un muscle se contracta dans sa joue. Il jeta un coup d'œil à Shareen, mais la jeune fille ne le regardait pas. Les yeux dans le vague, comme si les bracelets de métal autour de ses poignets ne la gênaient pas, elle ressemblait à une impératrice recevant des courtisans. Une dizaine de guerriers se pressèrent autour d'eux. Ils avaient l'épée au fourreau, mais leur regard restait méfiant. Certains arboraient des bandages au front ou aux bras, et du sang maculait leurs habits. Ils baissèrent les yeux lorsque Rekk les regarda. "Suivez-moi" fit Bok, tournant les talons. "Nous discuterons plus à notre aise de la suite dans la grande salle. Tous les hommes voudront y assister" "Tu as des façons étranges d'inciter à la discussion, Bok" grommela le Banni en lui emboîtant le pas. Shareen et Laath le suivirent presque machinalement. L'homme eut un rire bref. "Ce sont les méthodes que tu emploierais toi-même, dans une situation identique. Je suis surpris qu'elles ne te plaisent pas." Il baissa la voix. "Ca ne me fait pas plaisir de te traiter comme ça, mais c'est nécessaire. Tu comprendras lorsque nous arriverons" "Oh, je crois que je comprends déjà. C'est l'Empire, n'est-ce pas ?" Bok serra les dents, et ne répondit pas. Ils avancèrent dans un brouillard d'hommes en armes. Le château bruissait d'activité, alors que les guerriers se pressaient tous pour les accompagner dans la grande salle. Bien qu'ils soient entourés par quatre épaisseurs de murailles et à l'abri des agressions, la plupart portaient comme par habitude leur cotte de mailles habituelle, usée jusqu'à la trame. Shareen observa même un homme qui avait rapiécé la sienne avec du fil, une aiguille, et un peu de cuir tanné. Le résultat aurait été grotesque sur n'importe quelle personne, mais l'homme avait un regard hanté et cruel qui n'incitait pas au rire. Alors qu'ils marchaient, elle vit Rekk tenter de discuter avec plusieurs hommes mais, toujours, les visages se fermaient et les guerriers s'éloignaient – à regrets, semblait-il. L'un d'eux alla jusqu'à baisser la tête et chuchoter quelques mots d'un air de comploteur, mais Bok agita la main, furieux. L'autre s'écarta de mauvaise grâce. "Moi qui croyais qu'on en avait enfin fini avec les aventures" murmura Laath à l'oreille de la jeune fille. Il avait l'air terrifié. On pouvait difficilement l'en blâmer. Elle haussa les épaules, tentant de contrôler sa propre angoisse. Lorsqu'elle parla, elle fut surprise de la fermeté de sa voix. "C'est vrai que tu ne connais pas Rekk depuis aussi longtemps que moi… Dani avait raison, cet homme attire les malheurs comme le miel les abeilles. C'est incroyable à voir." Elle fronça les sourcils. "Et pourtant, d'une manière ou d'une autre, il s'en sort toujours. Je suis convaincu que, quel que soit le problème, il parviendra à y survivre d'une manière ou d'une autre" "Permets-moi de penser à ma propre vie, d'abord" grimaça Laath. "Ca… Il n'a jamais été très bon pour garder les autres vivants, par contre" "Merci pour ces mots de réconfort" soupira-t-il. "J'avais besoin de ça" "Avec plaisir" persifla-t-elle. Elle dut baisser la tête pour passer sous une arche, puis une lourde porte s'ouvrit devant elle. Rekk s'introduisit dans la salle de réunion sans un regard pour ceux qui le retenaient captifs. Shareen aurait aimé avoir autant d'assurance, mais les regards nerveux et les visages patibulaires des guerriers lui firent baisser les yeux. Seule la volonté de rester brave devant Laath pour ne pas qu'il panique complètement lui permit de passer la porte sans tituber. Mais, malgré toute sa volonté, elle ne put s'empêcher un mouvement de surprise en relevant les yeux et en embrassant la salle dans son ensemble. Le Grand Hall du château méritait son nom. Colossal était le premier adjectif qui lui venait à l'esprit pour qualifier cette salle aux proportions titanesques. Peuplé fut le second. C'était une salle de près de cent pieds de long sur quatre-vingt de large, meublée avec un goût tout relatif. Des dizaines de peau d'ours étaient étendues sur le sol, des peaux de caribou, d'élan, de loup ou de phoque. Il y en avait sur les murs, également, étalées comme autant de macabres portraits. Dans un coin, un énorme feu ronflait dans une cheminée assez large pour accepter un tronc d'arbre. Le bois qui brûlait ressemblait d'ailleurs suspicieusement à un vieux tronc rugueux. Mais, malgré les dimensions de la salle, ce n'était pas cela qui fit manquer un pas à Shareen. Le Hall était rempli de guerriers, assez nombreux pour laisser à penser que tant d'espace n'était pas de trop, finalement. Ils étaient près de deux cent, certains debout, d'autres accroupis, d'autres enfin assis en tailleur. Ils portaient tous leurs armes à la ceinture, et leur armure sur le dos. C'étaient des hommes rudes et rugueux, couturés de cicatrices, façonnés par la guerre permanente contre les barbares. Il y avait en chacun d'eux comme un peu de Rekk, dans la grâce avec laquelle ils bougeaient, dans la menace qu'ils exhalaient, dans le feu brûlant qu'ils arboraient dans les yeux. Ces hommes étaient les vétérans de centaines de combat. Plus rien ne pouvait les surprendre ou les déstabiliser. Pourtant, lorsque le petit groupe fit son entrée, tous les yeux se tournèrent vers eux dans un bel ensemble, et plusieurs pupilles s'écarquillèrent d'étonnement. Ce fut un concert de frottement de pieds et de raclement de gorge, alors que Rekk suivait Bok avec obéissance jusqu'au centre de la pièce. La foule se sépara pour le laisser passer. "Quel plaisir de se retrouver enfin chez soi" lança-t-il d'une voix forte, un sourire amusé sur le visage. "Depuis le temps que j'attendais de voir des visages amicaux !" Il fit cliqueter ses bracelets d'acier, et dévisagea l'un des guerriers les plus proches. "Comment vas-tu, depuis le temps, Meolf ? Les engelures, ça s'est calmé ?" "Un peu de pommade" grommela le dénommé Meolf, avant de baisser les yeux. "Ca va mieux, maintenant" "Et toi, Lersh ? Tu as fini par tuer ton premier barbare, ou bien ils continuent à s'enfuir devant toi ?" Le jeune homme aux cheveux pâles à qui il s'adressait sourit brièvement. "Ils ont bien trop peur de ma hache" "Ou de ton odeur !" cria quelqu'un dans la foule. Il y eut de nombreux rires, alors que certains se détendaient. "Tu nous as manqué, Rekk" grimaça un troisième, avançant pour montrer le bandage qui couvrait ce qu'il restait de son bras gauche. "Pendant que tu n'étais pas là, ces bâtards m'ont eu jusqu'au moignon" "Tu le leur a fait payer cher, j'espère" fit Rekk, fronçant les sourcils. "Pour sûr ! Ils ont pas vécu pour s'en réjouir. Leurs bras sont dans le ventre des corbeaux, maintenant" "Ou des loups" ajouta un autre. "Un loup ne voudrait pas de leur sale carcasse" ricana un autre. Il suffit d'un instant pour que la salle s'emplisse de cris et de rires. Shareen les regarda avec incrédulité. Ils avaient eu l'air si accusateur, lorsqu'ils étaient rentrés, et voilà qu'ils plaisantaient avec bonhomie. "Silence !" s'exclama Bok, levant les bras au-dessus de sa tête. "Silence, tous !" Progressivement, le brouhaha se calma. "Vous savez tous pourquoi nous sommes ici !" "Non" fit tranquillement Rekk. Bok l'ignora avec affectation. "Qu'on fasse venir l'envoyé !" Il y eut une commotion au fond de la salle, alors que les guerriers s'écartaient de mauvaise grâce pour laisser le passage à quelqu'un. "Laissez-le passer ! Allons !" grogna Bok. "Ne soyez pas ridicules, arrêtez de lui bloquer le chemin !" Poussé par les guerriers qui se refermaient en un bloc compact derrière lui, l'intrus traversa les dernières coudées en courant à moitié. Il était escorté d'une dizaine d'hommes en armes habillé de sa livrée, qui lançaient des regards nerveux autour d'eux. "Marquis de Lutin… Quelle bonne surprise" fit Rekk, froidement. Shareen plissa les yeux. Marquis, cet homme ? Il en avait peut-être les habits, mais certainement pas l'apparence. On ne pouvait faire aucune remontrance sur sa livrée, pourpre et azur et or, avec le lutin stylisé au centre de son blason. Mais c'était un vieil homme d'une soixante d'années, sec et ridé comme une branche morte, au visage d'une pâleur de cendre. Des veines bleuâtres étaient visibles sur ses mains parcheminées, et l'une d'entre elles battait fortement sur son front. "Je ne pourrais pas en dire autant, Démon Cornu" cracha le noble avant d'être pris d'une forte quinte de toux. Il se plia un instant en deux, puis releva la tête avec colère. "Ta simple présence ici insulte ces vaillants guerriers et porte préjudice à l'Empire ! Ce sera un plaisir de ramener ta tête en offrande à Sa Grâce" Il eut un sourire discret. "N'ayez crainte, courageux soldats. Je mentionnerai votre coopération à l'Empereur, et il se chargera de subvenir à vos besoins" Rekk ignora complètement le marquis et se tourna pour toiser froidement son capitaine. Malgré les chaînes qu'il portait au poignet, son regard suffit à faire reculer Bok de quelques pas, et à se lécher nerveusement les lèvres. "Bok. Qu'est-ce que cela signifie ? Tu me vends à l'Empire ?" "Ce n'est pas exactement comme ça" fit Bok, embarrassé. "Mais il faut nous comprendre" "Comprendre quoi ? Que tu es un traître ? Que tu es prêt à ramper aux pieds de l'empire pour trente pièces d'or ?" Il se tourna vers les guerriers qui l'observaient. "Une belle somme, si vous devez la partager entre trois cent personnes." "Nous ne sommes guère plus de deux cent, maintenant" marmonna Bok en baissant les yeux. "La situation est plus compliquée que cela" fit le marquis d'un ton cauteleux. "Ce n'est pas tellement une question d'argent. Pourquoi voudriez-vous tout réduire à cela ? Non, ces braves gens semblent soudain éprouver une loyauté accrue pour l'Empire et pour la personne de Sa Grâce Theorocle. Sachons leur en rendre grâce" "Nous ne pouvons pas tenir, Rekk" interrompit soudain Bok, sans relever la tête. "Nous ne pouvons pas tenir, sans le soutien de l'Empire" Un sourire se fit lentement jour sur les lèvres du Banni. C'était une grimace fort déplaisante. Avec tous les yeux de l'assistance sur lui, il se dressa de toute sa taille. "Tiens donc ? Qu'est-ce que tu veux dire par là, Bok, mon très cher ami ?" "Tu le sais très bien ! Château Bertholdton n'existe qu'avec l'accord de l'Empire" "J'ai pourtant souvenir que nous n'en avons pas eu besoin pendant plus de vingt ans que j'ai été ici" Bok secoua la tête avec exaspération. "Pas besoin ? Qui nous amène les wagons de nourriture ? Qui nous fournit des hommes pour tenir les remparts ?" "Ca fait près d'un an que je n'ai pas vu la moindre nouvelle recrue venir nous renforcer" protesta Rekk. "Précisément. Et le résultat, le voilà. Nous sommes de moins en moins, et les combats sont de plus en plus meurtriers pour tenter de repousser les barbares. Tu ne te rends pas compte des difficultés que nous avons eues, pendant que tu abandonnais tes fonctions pour des raisons qui te sont propres" Il soupira. "Je sais ce que c'est que de perdre une fille, Rekk, mais c'est toi qui nous a trahis, en nous laissant ainsi. D'autant plus que les barbares ont redoublé d'effort depuis que le temps s'est adouci" "Helmek Brise-nuques est tombé" fit une voix rauque, dans l'assistance. "Jolash Croc-de-loup aussi" "Et Mersh la Verrue !" "Et Perdneh Oreille-barbare !" La salle se remplit de grondements alors que les noms des morts étaient énoncés. Rekk fronça les sourcils, interdits. Il y eut un grincement métallique alors qu'il secouait ses menottes. Profitant de son trouble, le marquis de Lutin leva les mains en l'air pour capter l'attention de l'audience. "Vous avez raison ! Vous avez raison ! Ces morts sont entièrement la faute de ce maudit démon, et il est de mon devoir de l'amener à la justice ! Grâce à votre coopération, Bertholdton sera de nouveau florissant. L'empereur enverra des hommes et des vivres pour lui rendre la grandeur d'antan." Il baissa le ton comme pour murmurer à l'oreille de Bok, mais sa voix portait encore dans la salle entière. "Après tout, quelle importance a ce Rekk pour vous ? Il vous a abandonné dès qu'un problème s'est fait jour. Il vous a tous laissé tomber pour poursuivre ses chimères. Il ne mérite pas votre compassion" "Marquis…" murmura Bok, hésitant. Mais déjà, le noble lui serrait la main avec force. "Laissez-le croupir dans vos geôles cette nuit. Nous reprendrons notre route demain, pour revenir à Musheim. Je prendrai soin d'annoncer à l'Empereur à quel point vous avez été compréhensifs et obéissants. Il en sera certainement ravi. Et, comme convenu, il vous enverra des troupes dans l'heure" "J'en doute fort" fit le Banni avec un sourire paresseux. "Vous jouez avec des cartes biseautées, Marquis. L'empereur n'enverra aucune troupe. Il ne peut se permettre d'envoyer aucune troupe, et il le sait" Il y eut des remous dans l'assistance. "Qu'est-ce que tu veux dire ? Explique-toi, Rekk" ordonna Bok avec une fermeté qu'il était loin de ressentir. Comme s'il n'était pas enchaîné, le Banni eut un sourire suffisant. Il se mit à déambuler dans la pièce tel un professeur face à ses élèves, et les guerriers firent place pour qu'ils puissent passer. "C'est bien simple. L'empereur vient, avec l'habileté et l'intelligence qui le caractérise, de déclarer la guerre à Koush. Il va devoir envoyer ses légions affronter l'ennemi sur son flanc sud. De plus, il a à faire face actuellement à la révolte d'un certain nombre de ses Maisons – dont, semble-t-il, vous ne faites pas partie, cher Lutin. Lorsque je suis parti, il y avait des combats dans le palais. Visiblement, les choses se sont calmées d'elles-mêmes, mais je ne serais pas surpris que l'empereur ne surveille avec attention les frontières de ses provinces, dans l'inquiétude d'un soulèvement. Je ne pense pas que, dans ces circonstances, il pourra faire le moindre geste pour vous aider… si même il le désirait" "Et, pourquoi ne le voudrait-il pas ?" protesta un homme dans l'assistance, levant son marteau de guerre en un geste menaçant. "Ca fait des années qu'on protège son empire pour lui." "Justement !" fit Rekk, se retournant avec brutalité. "Et durant ses années, qu'est-ce que l'empereur vous a apporté ? Est-ce qu'il vous a aidés ? Est-ce qu'il a même reconnu votre existence ? Est-ce que les bardes chantent vos exploits ?" "Non" grommelèrent une partie des guerriers réunis, hésitants. "Felehn, je t'ai vu repousser à toi seul sept barbares qui cherchaient à prendre de force la poterne du château. Tu les a retenus le temps que l'alarme soit donnée et qu'on puisse les abattre bien proprement. Est-ce que tu crois que quelqu'un se rappelle de ce fait d'armes ?" "Moi, je m'en souviens !" gronda quelqu'un dans l'assistance. "Et moi !" rugit un autre. "Moi aussi" fit gravement Rekk, reprenant la parole. "Je m'en souviens comme si c'était hier. Je sais que tu es un héros. Je sais que vous êtes tous des héros. Mais l'Empire ne le sait pas, et il est temps qu'il l'apprenne" Bok se grattait le crâne avec énergie, cherchant à rassembler ses pensées. Il ouvrit la bouche pour commenter ce que venait de dire le Banni, mais le Marquis s'inséra avec habileté dans les quelques secondes de silence. "Ne l'écoutez pas !" glapit-il, la voix tendue par la fureur. "C'est un meurtrier et un assassin !" "Comme nous tous, ici !" fit une voix dans la foule. Des rires lui répondirent. "Ne soyez pas ridicules !" continua le marquis, comme s'il n'avait pas entendu l'intervention. "Rekk affabule. L'Empire n'a jamais été aussi bien portant, et Theorocle est un homme qui tient ses promesses" "Theorocle ? Un homme ? C'est bien la première fois que je vois ces deux mots ensemble" ricana le Banni. "Des poils lui ont poussé autour de l'engin depuis la dernière fois que je l'ai vu ?" De nouveau, les rires lui firent écho. Le discours gouailleur du Faiseur de Veuves passait beaucoup plus facilement que les manières empruntes d'arrogance du nobliau. "Blasphème !" cracha ce dernier. "Vous parlez contre l'empereur" "Et qu'est-ce qui m'en empêche, crapaud visqueux ?" siffla Rekk. "Depuis des années, nous nous battons pour son bon vouloir, et nous mourons pour lui. Mais c'est fini, maintenant. J'ai bien l'intention de cesser cette guerre inutile. Nous méritons mieux qu'une poignée de neige et une tombe anonyme. La richesse et la gloire nous tendent les bras !" Ses poignets étaient toujours immobilisés dans son dos, et les chaînes y brillaient avec fermeté, pourtant il parlait comme s'il dirigeait encore le château, et si le marquis n'était qu'un courtisan qui outrepassait ses droits. Shareen et Laath, serrés l'un contre l'autre, étaient désormais totalement oubliés. Les guerriers étaient tous tournés vers le duel de mots qui se déroulait devant eux. Car il s'agissait bien d'un duel. Et Rekk n'en avait jamais perdu un seul. |
15/05/2003, 01h08 |
|
Grenouillebleue |
Voir le profil public |
Trouver plus de messages par Grenouillebleue |