Quelques précisions qui pourront, je l’espère, aider à clarifier ce qui a pu être dit précédemment, dans la mesure où le « nous » vs. « eux » a tendance à généraliser de façon un peu hâtive, je crois, les positions des différents groupes et personnes.
[Les Etats-Unis - I]
Si les Etats-Unis ont été fondés par des Pères Fondateurs protestants, si la classe dirigeante et l’aristocratie ont longtemps été issus des fameux WASP (White Anglo-Saxon Protestants), il convient de rappeler que « protestant », ce n’est pas une unique confession. George Bush, puisque c’est de lui dont il est question ces temps-ci lorsqu’on parle de créationnisme, est de l’Eglise Méthodiste. Je rappelle également que son entourage proche (les fameux faucons) n’est pas uniquement constitué de gens se disant chrétiens.
[La Réforme et les « Protestants »]
La Réforme initiée par Luther et Calvin en Europe concernait, en partie, la lecture de la Bible et sa traduction. Les Eglises issues de la Réforme (dites « protestantes ») sont nombreuses, et pour nombre d’entre elles, leurs membres n’ont aucun problème pour concilier foi et science, foi et raison. Tout comme ceux qui ont écrit peu à peu la Bible, tout comme tout adepte d’une religion, tout comme le scientifique, ils se posent les mêmes questions que tout homme sur l’origine de ce dernier. Si certains font le choix de réfuter les évidences scientifiques, il est dangereux cependant de prendre la partie pour le tout : c’est le raccourci le plus rapide vers un affrontement stérile, je le crains. Les Eglises réformées ont des visions différentes entre elles.
[De la foi et du choix personnel de la religion]
Avoir la foi n’est pas un fait scientifique. Chrétien, musulman, hindouiste, etc., n’est pas un état qui permet de classer, de référencer un homme. C’est pour cela que la France l’a supprimé de son état-civil en 1905, avec la séparation deS égliseS et de l’état. Juif, chrétien, musulman, etc., c’est un effort. Il n’existe aucun diplôme pour certifier qu’une personne est à l’instant t chrétienne, musulmane, etc. Cette idée n’a tout simplement pas de sens. La circoncision, le baptême des petits enfants sont des actes parentaux dans le cadre éducatif, dans le cadre de leur propre foi, que l’enfant confirmera ou non. A en voir les statistiques françaises, il n’est pas difficile de sortir de ce cadre.
[Les Etats-Unis - II]
Petit complément sur la situation religieuse aux Etats-Unis, il a été dit ici que l’arrivée des hispaniques pouvait être à l’origine des résultats élevés du sondage initial. Je me permets de douter sérieusement de cette hypothèse, dans la mesure où les immigrants mexicains, qui sont catholiques, sont progressistes, par opposition à la classe dirigeante plutôt conservatrice et protestante (j’ai dit plutôt : Kennedy était catholique, je ne l’oublie pas). C’est tout l’inverse de la France où, traditionnellement, le catholicisme (rappel : c’est une confession, pas une religion), est vu depuis la Révolution comme ferment du conservatisme. La France a d’ailleurs longtemps été opposée à la Hollande protestante et progressiste. Je rejoins donc sur ce point les intervenants précédents qui ont expliqué qu’il fallait éviter de transposer les schémas français ailleurs (et même en Europe, vu que le nord de l’Irlande est dans la même configuration protestante/catholique que les Etats-Unis, avec une démographie catholique plus importante que celle protestante).
[L’Ancien Testament]
Quelques rappels sur le Premier Testament (terme de plus en plus utilisé dans les milieux d’étude de la Bible, afin de respecter le judaïsme, en évitant toute prétention à le taxer de « dépassé »). L’écriture est inventée vers 3200 avant JC. Le Premier Testament, d’abord formé peu à peu et enrichi par transmission orale, est le livre de vie du peuple juif. Il commence sur une triple question : la question de l’origine de Dieu et de l’homme (partie création), la question de l’irruption du mal (le coup du serpent), et la question de l’origine de la mort (les conséquences de l’action du serpent). C’est de ces questions que la Genèse cherche à rendre compte en images, nécessaires pour la transmission orale, avant d’entamer le parcours du peuple juif.
[Intermède sur la création de la femme de la Genèse]
Je crois avoir lu la question de la création d’Eve à partir de la côte d’Adam. Il y a deux versions de la création de l’homme et de la femme dans la Genèse. La première (Genèse 1,27) : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. ». Jusque là, aucune différence entre l’homme et la femme. La seconde (Genèse 2,22-23) : « Le Seigneur Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena. L’homme s’écria : ‘Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise.’ ». Je cite alors la note de la Traduction Œcuménique de la Bible (version commune à tous les Chrétiens, directement fondée sur la version hébraïque du Premier Testament) : « ‘Homme’ et ‘femme’ se disent en hébreu ‘ish’ et ‘ishsha’… La Genèse aime ces rapprochements de mots qui soulignent une idée, ici la similitude de l’homme et de la femme. Les Egyptiens avaient déjà utilisé ce précédé littéraire. » Je doute qu’une figure de style, à savoir de faire de la côte la métaphore pour le radical linguistique, puisse être rendue responsable de pratiques instituées depuis bien plus longtemps dans un bassin culturel patriarcal donné.
[Retour à l’Ancien Testament en général]
Pour revenir au Premier Testament, c’est un ensemble de livres de genres variés. Après l’image des origines, on embraye sur la première alliance avec Dieu, par Abraham, puis les récits des périples du peuple juif (Exode), en Egypte. Là, interruption des récits de type historique pour donner le livre très complexe et peu attrayant de la vie sociale et cultuelles (Lévitique) : sacrifices, cérémonies, notion de l’impureté, liturgie (notamment le Yôm Kippour / Grand Pardon), sainteté, et ça finit sur des questions pécuniaires. Après quelques autres codes dans le Livre des Nombres, reprise des récits des périples du peuple juif. Le livre du Deutéronome est un point d’orgue, un discours au peuple, fait par Moïse avant sa mort, plein d’encouragements, de précisions et d’explications sur les lois précédentes. Ensuite, on change complètement de registre en passant aux livres des Prophètes (Josué, Juges, Samuel, Rois, Esaïe, Jérémie, Ezéchiel, et les douze petit prophètes). Retour donc à la relation du peuple juif à Dieu et à travers le temps et son histoire qui continue.
La troisième partie n’a pas la même disposition chez les Juifs et chez les Chrétiens, mais on y trouve un livre de chants (Psaumes) à la louange de Dieu, un livre de poésie contre l’injustice (Livre de Job), puis un livre qui porte bien son nom (Livre des Proverbes), puis un livre racontant l’histoire d’une femme non juive qui rejoint le peuple juif (Livre de Ruth). Ensuite, un livre
érotique
de poésie d’amour (si si, vérifiez par vous-même, vous saurez où chercher si vous manquez d’inspiration le jour J : sortez votre bible, c’est le plan de drague aware aussi bien pour les hommes que pour les femmes !), le Cantique des Cantiques. S’ensuivent un nouveau livre de sagesse (Ecclésiaste), un livre de pleurs (Lamentations) suite à l’invasion babylonienne (catastrophe nationale, déportation, première destruction du Temple), puis un nouveau livre sur une femme (Livre d’Esther), jeune juive qui devient reine des Perses, puis un peu de révélation et de pédagogie dans le Livre de Daniel. On poursuit avec le récit du retour des Juifs de l’exil babylonien (Livres d’Esdras et de Néhémie), avec une chronologie erronée mais le récit se concentre sur la reconstruction du Temple. Ne vous endormez pas, il y a encore des livres à caractère historique, qui parlent du règne de David, Salomon, des deux royaumes du peuples juifs (Juda et Israël), le tout dans les deux Livres des Chroniques.
La bible se finit sur un ensemble de livres divers : une nouvelle histoire de femme (Livre de Judith), un roman populaire mêlant deux familles juives déportées (Livre de Tobit), la reconquête de l’autonomie nationale et de la liberté de culte vers –170 (Livres des Maccabées). On arrive à la fin avec trois livres de sagesse (Livre de la Sagesse, Livre du Siracide, Livre de Baruch).
Vos paupières sont lourdes ? Euh non, réveillez-vous, je n'ai pas fini ! Prenez un |\/|4rs et ça va repartir.
[Origine de l’Ancien Testament]
Chacun des livres est le produit de plusieurs auteurs à des époques parfois très distantes. Avec la découverte « récente » (1947) des manuscrits de Qumrân, écrits par les Esséniens (l’une des cinq branches du judaïsme qui existaient avant la destruction du Temple par les Romains en +70 et la destruction avancée de Jérusalem), la connaissance des textes du canon (retenus pour constituer la Bible) et des textes apocryphes (hors du canon) a augmenté. Pour le peuple juif, le Premier Testament n’est pas qu’un texte théorique, c’est également un ensemble de textes pratiques, de genres très variés (il y en a pour tous les goûts).
[Du fondamentalisme]
De même qu’une traduction d’un texte un peu rapide peut entraîner des contre-sens fondamentaux sur ce qui a été écrit, une lecture d’un texte au pied de la lettre, ou une lecture trop rapide, sans éclairage, peut causer bien du mal. C’est dans cette optique, que jusqu’au concile Vatican II (années 60), la hiérarchique catholique déconseillait la lecture individuelle de la Bible, afin d’éviter ce genre de situations : prendre la lettre des lois et oublier l’esprit. Cela s’appuie entre autres sur l’illustre rencontre avec la femme adultère sauvée de la lapidation : « ‘Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre.’ » (Jean 8,13). L’ignorance de la Bible de la part d’une grande majorité des catholiques de France était allé si loin (ils ne l’écoutaient qu’à la messe) que cela était devenu source de plaisanterie dans les cercles protestants en France.
[C’est écrit depuis longtemps]
« Aimez-vous les uns les autres », ce n’est en rien une interprétation néo-testamentelle moderne, c’est dans Jean 13, 34-35. De même, le concept d’égalité, on le trouve chez Paul dans Colossiens 3, 9-11, mais aussi Galates 3, 27-28, dans des termes quasi identiques : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme. »
[Les Etats-Unis - III - Présomption d’intolérance]
Si une fraction des Américains semblent intolérants, il n’en reste pas moins que c’est un pays institutionnellement, mais aussi dans les faits, bien plus tolérant que beaucoup d’autres. Le premier amendement de la constitution américaine est célèbre : « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l'établissement ou interdise le libre exercice d'une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu'a le peuple de s'assembler paisiblement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre. » En parlant du Texas et des allégations d’intolérance, il y a pourtant plusieurs centaines de mosquées dans ce même état. Enfin, les Etats-Unis (qui ne peuvent jamais être réduit à leur gouvernement, quel qu’il soit) sont bien plus respectueux des différences que la France : en France, les langues régionales rencontrent d’énormes difficultés à pouvoir avoir un cadre légal de reconnaissance depuis les années 80. Aux Etats-Unis, l’espagnol (pourtant menaçant l’anglais bien autrement que le provençal, le breton ou l’alsacien ne peuvent concurrencer le français et l’unité nationale) rencontre bien moins de barrières (même si des dents commencent à grincer sur l’enseignement en espagnol dans certains états).
[Prétention franco-occidentale]
Certaines attitudes sont inquiétantes, préoccupantes. C’est le cas de l’attitude et du complexe de supériorité d'une personne montrant son mépris catégorique de la religion ou une condescendance douteuse : voilà qui ne peut qu’alimenter le fondamentalisme, marginaliser les adeptes qui font usage de leur raison tout autant que de leur foi pour agir en vue du bien, du juste, de la liberté, de l'amour, de la paix (etc)… et justifier une certaine réputation de l’Occident et du Français à travers le monde. Je suis loin d’être convaincu qu’un Français qui serait péremptoire à propos des siens et du monde soit bien plus proche de l’essentiel de la vie que le paysan texan chrétien qui va à l’office tous les dimanches, que le paysan texan juif qui va à la synagogue tous les samedis, que le paysan texan musulman qui répond trois ou cinq fois par jour à l’appel de la prière. La mémoire est peut-être courte lorsqu’il s’agit de s’interroger à partir de quoi les penseurs des siècles passés ont construit leurs réflexions. Que penser de l’arbre qui voudrait se couper les racines, de l’occidental qui voudrait scier la branche sur laquelle il est assis, qui fait partie de son paysage, que cela lui plaise ou non, et dont sa pensée est imprégnée dans une mesure qu’il voudrait oublier ?