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Allez je me lance, ma journée en position d'alerte n'étant occupée que par des moments d'action m'a permis outre poster quelques messages ici ou là, de coucher quelques mots sur la bécane. Je n'ai relu qu'une fois, aussi pardonnez moi pour les fautes d'orthographes restantes.
Mais du coup, j'ai pas trop eu le temps depuis le retour de vacances pour lire les textes précédents. Bon courage à Miam pour toutes ces lectures.
Publié par FT :
1) Visite
Christian gara sa voiture sous une allée ombragée. Le ciel de cette début de juin était radieux. Il avait rendez-vous avec le Docteur Petit.
La secrétaire lui indiqua la porte à laquelle elle l'invita à frapper. Le Docteur Petit l'attendait lui avait-elle dit.
Petit le reçut dans un bureau moderne et clair. Il portait une barbe inhabituellement longue pour un représentant de sa profession. Son visage était singulier : des yeux pétillants, presque rieurs contrastaient avec le reste du visage comme empreint d'une certaine tristesse. Après de courtes salutations d'usage, Petit entra dans le vif du sujet :
- "Votre idée d'article me semble intéressante, bien que je ne sois pas convaincu par le choix du personnage retenu."
- "A vrai dire Docteur, vos conseils seront les bienvenus. Je suis là pour en savoir plus sur lui"
Le Docteur Petit se leva brusquement :
- "Eh bien, le mieux serait d'aller le voir. Vous vous rendrez compte par vous même"
Ils sortirent ensemble du bâtiment et remontèrent l'allée pour en atteindre un autre. Petit en ouvrit la porte d'accès qui était fermée à clef. Une autre porte, fermée elle aussi, puis un court couloir les amenèrent dans une pièce spacieuse où plusieurs personnes semblaient s'occuper, chacune de leur côté, bien qu'il fut difficile de dire au premier abord ce qu'elles pouvaient bien faire.
Leur entrée dans la pièce sembla susciter l'intérêt d'une partie des habitants du lieu. Trois ou quatre d'entre eux s'avancèrent à leur rencontre, dans une démarche anormalement lente qui, couplée à des semblants de grimaces et à la simultanéité de leur progression, donnait à l'ensemble un air inquiétant.
La plus prompte dans cette course de lenteur arriva la première devant Petit et lui tendit un biscuit rond chocolaté :
- "Tiens, c'est pour toi Barbichette"
Le Docteur Petit prit délicatement le biscuit, d'un air aimable :
- " Merci Madame Larchevèque. Je le mangerai tout à l'heure"
Sans plus s'occuper de sa bienfaitrice, qui de toute façon, après avoir pivoté d'un bloc, s'en allait de son côté, le paquet de biscuits à la main, Petit effleura de sa main gauche l'avant-bras droit de Christian, tandis que de la droite il lui désignait un coin de la pièce :
-"Voilà, c'est le sujet. Il est là"
Christian regarda l'homme qui était assis à l'endroit désigné. Tout vêtu de blanc, tunique sans bouton et pantalon de toile légère, il ne le vit d'abord que de trois quart. L'homme était maigre, presque décharné. Ses mains posées sur l'accoudoir du fauteuil ne bougeaient pas d'un pouce.
Petit ne disait rien et Christian n'osait pas s'avancer franchement. Ceci dura de longues secondes, plus d'une minute, peut-être deux, et l'homme n'avait toujours pas bronché.
Christian tourna son regard vers Petit :
-" Croyez-vous que je pourrais lui parler ?"
Le Docteur poussa un soupir qui se termina par un petit sourire triste :
-"Il faut que je vous en dise un peu plus sur ce cas. Je l'ai rencontré pour la première fois il y a maintenant trois ans……."
2) Admission
Le Docteur Petit regardait l'homme assis en face de lui de l'autre côté du bureau. Il ne trouvait rien dans son apparence qui eut pu lui sembler remarquable, recherché et moins encore original. Le look était celui d'un citoyen ordinaire loin des fashion victims que l'on trouvait à tous les coins de rue. Il arborait un air absent qui en disait long sur ses motivations à se trouver là. Petit engagea la conversation d'un air badin :
-"Alors, comment trouvez-vous mes nouveaux locaux ? Savez-vous que vous êtes un des premiers à en profiter ?"
Son interlocuteur ne prit pas la peine d'effectuer un coup d'œil circulaire pour montrer son intérêt. Il répondit simplement d'une voix blanche :
- "Oui, c'est….clair"
Petit se racla la gorge
-"Bien, savez-vous pourquoi vous êtes là ?"
-"Ca dépend de ce que vous entendez par là. Les réponses allant de oui, bien sur, à pas plus que vous ne le savez vous même"
Petit observa un temps d'arrêt avant d'enchaîner :
-"Votre entourage s'inquiète pour vous"
L'homme lui répondit comme s'il parlait à quelqu'un d'autre:
-"Pour moi, pour eux, pour tout. Pour l'avenir"
-"Votre femme me dit que vous négligez vos affaires, vos responsabilités. Vous ne feriez plus rien en dehors de vous connecter sur le réseau….."
Le Docteur poursuivait la description qu'on lui avait faite préalablement à l'admission, mais déjà son interlocuteur ne l'écoutait plus. Son regard était passé au delà de l'épaule de Petit et se perdait dans le jardin derrière lui. Le chant d'un oiseau avait distrait une attention déjà précaire. Ce chant était monotone, et la même phrase musicale revenait à intervalles réguliers, inlassablement. Il finit par apercevoir l'oiseau sur une branche aussi immobile que son chant était répétitif et aussi impassible que le chat qui était tapi au pied de l'arbre. L'homme se serait lui même senti enfermé dans cette scène immuable si autre chose encore n'était venu attirer son attention. Il prit conscience du reflet de sa tête dans la fenêtre. Cette réflexion lui paraissait incongrue, étrangère. Il bougea la tête de droite et de gauche pour se convaincre qu'il s'agissait bien de la sienne. Il avait déjà ressenti cela par le passé, en regardant sa propre main, en faisant bouger ses doigts. Il savait qu'elle lui appartenait et tout à la fois elle lui apparaissait comme étrangère, comme si le fait qu'elle soit là était une erreur, une méprise. Machinalement il essaya de regarder sa main et il n'y parvint pas.
- " Paul ! Paul !" l'interrompit Petit "Où êtes-vous ? Vous n'écoutez pas un seul mot de ce que je vous dis"
- " Pierre. Mon prénom est Pierre" répondit-il comme sortant d'un rêve
- "En êtes-vous sur ?" dit Petit
- "Aussi loin que mes souvenirs remontent, Pierre a toujours été mon prénom"
- "Justement on m'a parlé de troubles de mémoire"
- "J'ai toujours eu une excellente mémoire. Malheureusement" répondit l'homme d'un ton égal.
- "Oui, oui" ajouta Petit "Au point qu'elle incorpore des souvenirs de choses qui n'existent pas. Enfin, pas sur le même plan. Alors Pierre ou Paul, êtes-vous sur de savoir qui vous êtes, là, maintenant, devant moi ?"
3) Projets
Paul n'écoutait rien. D'abord parce qu'il n'en avait pas envie, et puis parce qu'il se mettait en état de ne pas avoir à le faire. Une soirée en boite, voilà ce qu'il lui fallait. La musique de fond était de celle à laquelle on ne prête aucune attention et elle empêchait tout échange vocal, ce qui lui convenait parfaitement. La présence des autres ne le gênait pas davantage : toute cette suites de postures répétées, de gimmicks, de comportements stéréotypés, attendus, pleins d'une gaieté forcée. Le tout créait un bruit de fond insignifiant qui lui permettait de s'oublier lui-même sans avoir besoin de prêter attention aux autres. Seuls des messages ciblés aurait pu franchir cette armure de néant. Aussi prenait-il bien garde de ne pas les provoquer, en restant immobile, dans un coin sombre. Malgré cette quiétude, il avait un peu chaud et il était mal assis.
Elle parvint pourtant à traverser cette protection et couvrit le son du groupe pseudo-électro du soir :
- "Il faut qu'on parle. Ca ne va plus du tout"
Il poussa un soupir et songea une seconde à faire le mort et à se retrancher derrière son bouclier sonore. Puis il se dit que cela risquait de faire durer les choses plus longtemps.
- "Qu'est-ce qui ne va pas ?" répondit-il nerveusement.
- "Mais toi ! Tu ne vas pas ! Tu ne fais plus rien, tu n'as plus de projet. Tu restes assis là. Tu te laisses aller. Regarde toi un peu. Combien de temps cela va-t-il encore durer ?" ajouta-t-elle presque en criant.
- "J'aimerais simplement qu'on me laisse tranquille"
- "Tu ne me vois plus. Je suis transparente. Tu ne m'aimes plus." Dit-elle plus bas.
Sans se forcer, sans la regarder il dit dans un souffle :
- "Mais si, mais si…."
- "Tu t'éloignes. De moi. De nous. Tu vas dans des endroits où je ne peux pas aller. Tu veux que je parte ?"
- "Tu fais comme tu veux"
Elle pleurait maintenant, doucement. Après quelques minutes, elle ajouta :
- "Je ne peux pas te laisser comme ça. J'ai contacté quelqu'un. Le Docteur Petit. On m'a dit qu'il était très bien. Il a des méthodes modernes. Tu pourrais rester connecté"
- "C'est bien"
- "Il est prêt à t'accueillir dès demain."
- "Oui, si tu veux"
- "Je ne suis même pas sur que tu m'écoutes" dit-elle.
- "Si, je t'écoute"
Elle soupira à son tour avant de partir. Le regard de Paul se perdit de nouveau sur la piste de danse, avant qu'un message ne s'affiche sous ses yeux :
-" Coucou ! Ca ne va pas ? On ne se voit plus"
Il décida cette fois-ci de ne pas répondre. Il ne se sentait pas la force d'aller voir ce Docteur Petit. Il faudrait qu'on vienne le chercher demain pour qu'il puisse faire ce pas supplémentaire.
4) Déconnexion
Comme chaque mardi et chaque vendredi depuis maintenant cinq semaines, il rencontrait le Docteur Petit pour un entretien dans son bureau. C'était à chaque fois une corvée, et il ne s'intéressait pratiquement plus à ce que lui disait Petit. Il n'entretenait qu'une conversation monosyllabique et le plus souvent l'entretien tournait court.
Mais cette fois il sentit que cette séance serait particulière dès les premiers mots. Petit paraissait un rien nerveux, presque agressif :
- " Cela fait maintenant quelques semaines que vous êtes avec nous et nous n'avons pas progressé. Pire, je pense que c'est un échec"
Devant l'absence de réaction face à lui Petit poursuivit :
- "Vous avez de moins en moins de contact avec ceux qui vous entourent. Vous refusez de voir votre famille. Vous restez connecté quasiment en permanence. Votre état de santé s'altère. Vous mangez peu et vous devenez chaque jour plus faible. Vous avez perdu beaucoup de poids. Où voulez-vous en venir ainsi ?"
Pour une fois il écoutait Petit attentivement et cette dernière question le fit sourire :
- "Je ne sais pas Docteur, mais quand j'y serai, j'essaierai de vous faire parvenir un petit message, un clin d'œil complice"
Petit ne tint pas compte de la boutade et poursuivit sérieusement :
- "Vous abandonnez la partie. Vous laissez tomber la vie. La vraie"
- "Vous rappelez-vous, Docteur, le passage de Chris Marker sur sl ? Il y évoquait la possibilité de s'y retirer, comme Brando se retirant sur son île. Pour être ailleurs. Pour trouver la paix. Pour échapper au temps, au monde."
- "Mais vous n'avez pas le même âge" objecta Petit en fronçant les sourcils.
- "Ce n'est pas une question d'âge, mais une question de moment"
- "Au fond" remarqua Petit "vous n'avez accepté de venir ici que pour vous éloigner encore davantage de votre vie. Nous avons fait fausse route. Il va falloir changer de méthode"
- "Et vous envisagez quoi ?"
- "Nous en avons discuté entre nous déjà et avec vos proches. Nous allons augmenter votre traitement antidépresseur et vous sevrer totalement du réseau" martela fermement Petit.
- "Ce n'est pas ce qui était prévu dans notre accord" répondit-il nerveusement "Vous ne pouvez pas faire ça. Je n'ai plus rien à faire ici, comprenez-vous !"
- "Nous n'avions pas d'accord. En tout cas pas directement avec vous. Et je crains malheureusement que nous n'ayons plus le choix"
Il n'eut pas le temps de protester, de répondre qu'il comptait bien encore avoir ce choix, lorsqu'il se sentit agrippé de chaque côté par quatre mains puissantes. Il se débattit sans un cri, par à coups nerveux. Il se sentait si faible. Leur prise se renforça. Son micro-casque se décrocha de ses oreilles pour tomber à terre. Il essaya de se glisser entre cette tenaille en s'affaissant sur le fauteuil. Ses jambes encore libres, il trouva la force de donner une ruade, précipitant au sol l'écran qui venait de s'éteindre.
Il fut violemment retourné sur lui même. Son visage s'écrasa contre le simili cuir du dossier du fauteuil. Ses mains furent bloquées derrière son dos, et il sentit une forte pression se poser sur ses reins, suivie peu après par une piqûre sur sa fesse droite. Il fut maintenu ainsi bloqué pendant de longues minutes, haletant, sentant progressivement une torpeur l'envahir. Sa vue se brouilla et il aperçut le visage de Petit, l'autre, celui dont la barbe allongeait le visage. Il perçut aussi sa voix, plus grave, plus ronde qu'à l'accoutumée :
- "Faites attention tout de même, il est très faible"
Il avait l'impression de perdre pied, d'être aspiré vers le néant. Petit avait raison, il était très faible. Ils avaient du se tromper dans la dose. Avant de perdre connaissance , il se dit qu'il était en train de mourir. Et finalement, il se laissa aller à cet abandon en souriant, heureux que tout se termina ainsi.
5) Regrets
- "Voilà mon cher, vous en savez un peu plus sur l'histoire de ce sujet" dit le Docteur Petit en scrutant le visage de Christian.
- "Et il est comme ça depuis que vous lui avez coupé l'accès au réseau ?" demanda Christian.
- "Oui, une sorte de catalepsie dont il n'est jamais sorti, cela fera bientôt trois ans"
- "Vous avez essayé de le remettre en contact avec second life ?"
- "Bien sur; ça et des traitements divers, mais jusqu'à présent rien n'a fonctionné. Nous n'avons plus aucun contact avec lui. Son état de santé se dégrade de plus en plus. Je vous passe les détails sordides. Nous ne lui faisons plus que des soins de nursing. Il est alimenté par sa gpe. C'est un échec, voyez-vous, une erreur de notre part. Il nous échappe et nous le regardons faire, ou plutôt ne rien faire. Voilà, je doute que vous puissiez tirer quoi que ce soit de lui"
Après un long moment de silence Christian ajouta :
- "Une dernière chose m'intrigue"
- "Oui, laquelle ?"
- "Vous voyez, ceci" dit Christian en montrant son visage "ce sourire figé qu'il ne quitte pas"
- "Ah, ça" soupira Petit "C'est peut-être un clin d'œil, un message qu'il nous envoie de l'endroit où il est. Dans ce cas on peut le supposer heureux. C'est déjà ça. Ou je me fais des idées et ce n'est qu'un masque qui s'est figé définitivement"
6) Fin
Il ouvrit les yeux et se dit qu'il n'était pas mort. Il ressentait encore des douleurs dans les bras, les épaules, le dos, qui étaient apparues dans sa lutte pour rester connecté au réseau. Plusieurs heures devaient être passées depuis. Où était-il ? Le sol semblait meuble sous ses mains. Comme du sable. Voilà, il était au bas d'un talus sablonneux. Il se mit sur le ventre sans aucune peine, et remonta la pente à quatre pattes. L'autre versant descendait vers une superbe plage. Le soleil irradiait d'une lumière douce de fin d'après midi. La plage était déserte. Il descendit vers la mer. Se retournant, il s'aperçut avec satisfaction que ses pas ne laissaient aucune trace sur le sable. Il ne se souvenait plus de son nom. Il porta ses mains sur son front en visière et regarda au loin. Aucune trace d'aucune présence en ces lieux. Personne ne semblait devoir venir le chercher là, alors à quoi bon un nom.
Il scruta l'horizon. Pas de voile, aucun bateau. Des vagues douces et chaudes venaient lui lécher les pieds. Peut-être un jour, une embarcation viendrait pour l'emporter un peu plus loin encore. Ou peut-être suffisait-il de s'allonger au bord de la grève, et la mer finirait par le prendre. S'allonger et attendre. Seules les vagues allaient et venaient. Le temps était figé ici, loin de son flux habituel et des reflux mémoriels. Il baissa les bras et laissa son corps s'affaisser lentement au bord du rivage. Il s'étendit de tout son long et crut sentir le sable épouser parfaitement la forme de son corps. Il se sentait bien, serein et il ne pensait à rien, sinon à ne plus bouger, à rester là. Attendre, sans rien dire, rien faire, rien penser. Il sourit.
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