Depuis le début de la reconquête spatiale, les Duvolle, Ishukone, Viziam et autres Boundless ont dû composer avec une contrainte majeure : les nacelles d'accueil et les systèmes robotisés de réparation des stations spatiales. Chaque appareil devait être dûment répertorié, et les bases de données synchronisées au niveau de toutes les stations de la Galaxie pour éviter les évidents désagréments liés à l'acheminement d'un croiseur vers une baie d'amarrage de frégate, par exemple.
Les stations, initialement, n'étaient le plus souvent dotées de nacelles d'amarrage que pour un faible nombre de modèles d'appareils, ce qui obligeait les pilotes à tenir à jour des "tables d'amarrage" répertoriant quelles stations étaient susceptibles de les accueillir. Seules quelques rares stations en Empire pouvaient à l'époque se targuer d'accepter tous types de vaisseaux (d'où l'immense popularité de ces stations, Jita 4-4 en étant le parfait exemple puisque c'est elle qui, la première, annonça une compatibilité "universelle", attirant des pilotes des quatre coins de l'univers et contribuant à en fait le noeud commercial qu'elle est aujourd'hui).
Un voussoir standard pour frégate, tel qu'on en trouve dans toutes les stations de la galaxie. Il est représenté ici sans sa contre-forme, propre à chaque vaisseau.
La trêve entre les quatre puissances mit un terme à ces tracas, puisqu'aujourd'hui, n'importe quel vaisseau est capable de s'arrimer à n'importe quel station. Et pour les vaisseaux de transport exotiques, il reste toujours les nacelles polyvalentes.
C'est à cause de cette contrainte que les huit grands chantiers navals s'en sont tenus à des architectures stables, plutôt que de laisser libre cours à leur imagination comme avec les vaisseaux atmosphériques. Les coûts de mise à jour des logiciels et des outils de manipulation sont tels que le lancement d'un nouveau modèle est toujours un défi de taille pour les constructeurs, et un vrai casse-tête pour les propriétaires de stations.
Rationalisation contre modularité
Pour les chantiers navals, cette contrainte est d'un certain point de vue une aubaine, puisqu'elle leur a permis de rationaliser et de robotiser au maximum leurs chaînes d'assemblage. D'où la présence dans un grand nombre de stations de chaînes de montage automatiques, qui fabriquent les vaisseaux à la chaîne pourvu que l'on dispose des plans et des matériaux, indépendamment de la localisation de la station. Un système très pratique, là encore rendu possible par une standardisation poussée des composants et une période de relative stabilité politique.
Mais cette rationalisation a un inconvénient majeur : elle interdit aux "bricoleurs" de customiser leur vaisseau au point de sortir du gabarit initial de l'appareil, au risque de voir certains éléments endommagés par les contre-formes lors de l'arrimage. Il existe une relative latitude, mais pas au point de changer radicalement l'enveloppe d'un appareil. Et même les voussoirs des nacelles polyvalentes ne peuvent accueillir que des appareils à supports standardisés.
Les voussoirs magnétiques à câbles des nacelles polyvalentes (ici sur la coque d'un Apocalypse). Si ils s'adaptent à tous types de vaisseaux, ils sont lents à déployer et occasionnent souvent un effet de balancement peu agréable à bord du fait de l'élasticité des câbles.
Et pour les constructeurs, la sortie d'un nouveau modèle signifie le plus souvent plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant d'avoir suffisamment de nacelles à jour pour en lancer la commercialisation.
C'est à Lai Dai que l'on doit la première percée vers la modularité, avec une architecture particulière basée sur l'utilisation de modules génériques aux points d'arrimages connus. Ainsi, un peu à la manière d'un puzzle, il est possible de choisir parmi cinq types de composants pour chacun des cinq éléments constitutifs d'un vaisseau (moteurs, capaciteur, systèmes d'armes, systèmes de protection, systèmes de navigation). Avec seulement 25 modules de base, il est ainsi possible de concevoir plusieurs dizaines de configurations différentes (en laissant de côté les configurations visiblement incongrues).
Un code alphanumérique simple
Pour ce qui est des baies d'arrimage et surtout les chaînes robotisées d'assemblage et de réparation, Lai Dai a proposé la normalisation d'un standard alphanumérique simple, chaque vaisseau modulaire étant désigné par une série de cinq groupes formés d'une lettre et d'un chiffre, précédé de deux lettres codant l'une le constructeur, et l'autre la famille de vaisseaux.
La coque externe de ce Megathron a été percée par une nacelle d'arrimage mal configurée dont les bras ont dû être sectionnés pour dégager le vaisseau
Par exemple, le code CFA1B3C2D3E2 désigne une frégate (F) Caldari (C) doté d'une groupe propulseur (A) de type 1, un capaciteurr (B ) de type 3, un système d'armes (C) de type 2, un système de protection (D) de type 3 et un groupe de navigation (E) de type 2. Ce code, envoyé au nacelles au début de la procédure d'arrimage, permet une identification précise de la forme de l'appareil pour que les voussoirs et les contre-formes adaptées soient convoyés. En tout, l'opération de changement des voussoirs ne prend qu'une dizaine de secondes, et la finalisation de la phase d'arrimage ne devrait pas excéder les 30 secondes que l'on connaît aujourd'hui. Ce code servira aussi au niveau des chaînes de réparation robotisées.
Au niveau des chaînes de fabrication, si les vaisseaux traditionnels continueront d'être produits comme avant, il va cependant être nécessaire de les compléter avec des chaînes d'assemblage des différents éléments (A, B, C, D et E). Lai Dai a prévu des connecteurs standardisés pour les différents circuits électronique et d'énergie, à ceci près que les éléments seront pré-câbles à l'assemblage, et l'accouplement en théorie automatique.
Quid de la rigidité structurelle ?
Travailler avec des éléments modulaires pose immédiatement la question de la rigidité structurelle d'un vaisseau. Lai Dai a présenté un modèle a priori fiable et résistant, reposant sur l'utilisation de coulisseaux appariteurs disposés le long des jointures, doublés d'un système électromagnétique chargé d'une part de raffermir le dispositif et d'autre part de remonter des alertes en cas de contraintes trop importantes. Le constructeur a bien évidemment prévu des tarages différents en fonction de la masse des éléments à accoupler, et certaines configuration jugées trop instables ne seront pas permises.
Un modèle d'étançon proposé par Lai Dai : simple et efficace. Au centre, le coupleur électromagnétique
Il faudra néanmoins tester dans la pratique la validité d'un tel système. Duvolle a fait savoir qu'il allait proposer un dispositif différent et censément plus rigide, mais sans donner plus de détails sur la méthode qu'il compte employer. Thukker, de son côté, a indiqué qu'il comptait initialement s'en tenir à une simple soudure à double cordons doublée d'étançons, suffisants selon lui pour assurer une rigidité au moins comparable à une architecture classique.
Sortie prévue dans quatre mois
Une fois les différentes propositions des constructeurs validées par la Galactic Spacecraft Authority, la diffusion des codes d'arrimages devrait se dérouler assez vite : le projet a été placé sous l'égide de la Spaceport Foundation, chargée entre autres de certifier la compatibilité des installations. Logiquement, les premiers appareils devraient sortir des chaînes de montage au début du mois de mars, et être disponibles à la vente quelques jours plus tard.
Reste deux facteurs à considérer :
- le prix de ces appareils
- le choix parmi la myriade de configurations possibles.
Il y a fort à parier que ces vaisseaux vont atteindre des sommes astronomiques lors de leur lancement. Et rien n'indique que beaucoup de pilotes soient prêts à faire les sacrifices financiers nécessaires à leur acquisition.
De plus, le choix immense des configurations possibles (même en éliminant les plus loufoques) ouvre certes des possibilités très intéressantes, mais sans doute au prix de nombreux jours de réflexion quant aux options les plus avantageuses en fonction de l'emploi du futur vaisseau.
Il n'est pas dit qu'une majorité de pilotes, face à ces contraintes, ne fasse le choix de s'en tenir aux appareils standards qu'ils maîtrisent bien, aux configurations éprouvées, au comportement de vol fiable et facilement remplaçables en cas d'incident.