De nos jours,
Une lourde chape de fumée s’abattît sur le village de Stransbrad. Un feu puissant ravageait la petite auberge de la bourgade dans un maelström démoniaque.
Le jeune soldat tentait de se cacher pitoyablement derrière les dernières réserves d’eau qui jonchaient le sol ensanglanté de la petite cité.
-J’sé ke té la pô-roz !
La voix gutturale était assourdissante, recouvrant même les feulements bestiaux de l’incendie. Le jeune homme ferma les yeux, essayant de chasser la peur viscérale qui lui tenaillait le ventre… Il revît l’énorme Peau-Verte accompagné par ses deux diablotins fondre sur le village comme des charognards appâtés par la viande morte. Il n’avait rien pu faire pour empêcher le massacre des ses concitoyens… L’attaque fût trop brutale, trop rapide pour être contenu… Les hurlements des hommes et femmes éventrés lui envahir à nouveau son esprit malade… Une violente nausée le secoua et il répandit son dernier repas sur les pavés rougeâtres du village.
-Heyyyy Gé entendu kekchoz lé gar ! Hurla une petite voix stridente
-Kèce tu di Deck ? Lui répondit une autre voix en tout point similaire
- Il di ke té kun stupid’ avorton Griszlok ! Le bon vieu Deck il a repéré not’ pô-roz ! Conclut l’Orque
Le soldat tressaillit… C’était fini, les monstres l’avaient trouvé. Des larmes se mirent à couler sur ses joues délicates alors que sa mémoire s’amusait à lui faire défiler ses nombreux souvenirs… Ses parents en larmes lors de son départ pour la Grande Armée de L’Empire… Sa première rencontre avec sa belle Maria… Il ne goûterait jamais à la joie d’être un bon père… Il ne lui restait plus que sa dignité, son honneur et son courage à sauver. Il tenta difficilement de se remettre sur ses jambes flageolantes, essayant de garder une fière allure pour se présenter devant ses adversaires… Alors, lorsqu’il vît à quoi il avait à faire, il se maudit de ne pas s’être tranché la gorge lui-même…
La première chose qu’il vît fût l’imposant Orque Noir qui lui barrait la route. Son armure était peinte d’un vert putride et des marques de guerre d’un jaune sale en décoraient certaines parties. Une immense mâchoire de fer lui recouvrait son visage ne laissant qu’apparaitre ses yeux rouges braises. Plusieurs crânes étaient accrochés à sa ceinture, comme d’horribles trophées sanguinaires. Il était accompagnés par deux chétives créatures qui ricanaient et jacassaient de façon identique… A vrai dire, les Gobelins étaient comme de diaboliques jumeaux avec leurs grandes capuches masquant leurs immondes faciès. Tous deux portaient de longues robes marrons pisseux. La seule différence notable était que l’un avait une barbe de Nain en guise de cape et l’autre un effrayant collier fait avec des oreilles d’Elfes.
-Ta du kran boy’z pou’ v’nir m’défié komssa ! Hurla l’Orque
-Hinhinhinhin ! Fo etr’ komplètemen maboul kom Gryszloc ! Dît l’un des Gobelins avec un ricanement de hyène
-Kess tu di toua ? Répondît l’autre d’un ton agressif
-Z’allé pa recomencé lé avortons ! Vou m’avé assé gonflé pou’ ojourdui ! Vou voulé zencor dé tarte dans la gueul’ ?
-Non boss !! Dirent les deux Gobelins à l’unisson
Le jeune homme ravala difficilement sa salive. Il prît une profonde inspiration…
-Je m’appelle Romuald et au Nom du Grand Empereur je vais vous châtier pour vos crimes ! Cria-t-il d’une voix forte mais peu convaincu
Un lourd silence s’installa entre les adversaires… Seul le crépitement de l’incendie troubla la morbide quiétude.
-Kèce ki di, gé pa kompris… Dît Gryszlok
- Moi non plu, gé vrémen rien pigé… Répondît Deck
-Ba chui pa sur mé j’kroi ke le pô-roz veu s’batre ! Conclût Machlégoûl, l’Orque Noir
-Woua ! Té trop balèze Boss !
- J’diré ke té même méga balèze moi !
-Hé oué ! Cé moi Machlégoûl ! Le plu balèze de tousse !
L’Orque Noir frappa durement le sol avec son énorme hache de guerre. Il poussa un hurlement bestial à la face du jeune homme, lui lançant implicitement un défi.
-Vazy Boss !! Tue le !!! Hurla Deck
- Juska kil soi mort !!! Rajouta Gryzsloc
Le soldat chargea le Peau-Verte en criant de tous ses poumons. Il n’était même pas arrivé au contact quand il sentit un effroyable coup lui arracher ses entrailles… Il s’écroula au sol dans un gargouillis indescriptible… Sa dernière pensée fût pour sa fiancée Maria… Puis le linceul glacé de la Mort l’enveloppa de son voile inexorable…
Un nouveau silence retomba sur le village en ruine.
- Cé tou ? Demanda timidement Deck.
- Houhouhouyouhouhou ! Gryzslok éclata d’un fou rire incontrôlable.
-Mouarf ! Son vrémen tou mou ses zhoms… Lé nabot il me mank ‘ parfoi ! O moin z’été solid’ eux ! Soupira Machlégoûl…
-Kèce kon fé mintenan ? Dît Deck
-Houhouhyouhouhouhou !
- Arrêt’ de rir Grizslok ! Tu ménerv’ ! Mintenan on pille et on trouv’ d’la bouff’ et d’la vignass’ les Boyzs ! Hurla Machlégoûl d’une voix triomphante.
Les trois Peaux-Vertes s’exécutèrent avec une discipline assez rare pour des membres de leurs races. Ils prirent beaucoup de nourritures et de boissons mais à leurs grandes surprises et désarroi, ils constatèrent que c’était l’auberge qui contenait l’alcool…
Le seul trouble durant cette rapine fût le moment où Gryszlok trouva un jouet pour enfant faisant un « Meuhhh » dès qu’on le retournait… Deck le voulant lui aussi, une bagarre éclata entres les deux gobelins dans un brouhaha d’injures et de coups. Machlégoûl distribua de nombreuses « Gross’baff » pour ramener une semblant d’ordre.
-Vou zavé fini lé avortons ? Jen é marr’ de vous deux ! Vous pouvé jamè vou tenir tranquill’ ! Bon allé, on s’cass’ dici, gé faim é gé soif ! Pi on a une WAAAAGH à fini’ !
Les deux Gobelins se lancèrent de nombreux regards haineux mais suivirent leur boss qui s’enfonçait dans la forêt environnante…
L’énorme destrier s’enfonça dans le village en ruines, humant une fumée bleue par ses naseaux déformés. L’immense Guerrier regarda le massacre qui l’entourait d’un œil complaisant. Il était difficile à croire que trois Peaux-Vertes étaient responsable d’un tel carnage.
Mais les signes n’étaient jamais trompeurs. Le manque de mise en scène, la brutalité du massacre ne trompait pas. Les Elus du Dieu-Corbeau auraient pris le temps pour faire régner une atmosphère de terreur dans ce village. Aucune torture, ni aucune sévisse égayait ce macabre spectacle. Il n’y avait juste qu’une soixantaine de corps jonchant les pavés de la Bourgade. A vrai dire, le Guerrier avait du mal à comprendre ce qu’il faisait ici… Cela faisait dix jours qu’il suivait les maraudeurs Peaux-Vertes sur Ordre du Grand Sorcier. Il devait lui tenir compte du moindre de leurs agissements… Comment son maître pouvait-il attacher une quelconque importance pour ces animaux aussi stupide ? Outre leurs manques absolus de raisonnement logique, c’était leurs indisciplines qui avaient le plus choqué le Guerrier… Ils passaient leurs temps à se battre, surtout les deux petits, à se chamailler et à déblatérer des choses incompréhensibles…
Mais pire que tout, ils ne se posaient jamais la moindre question sur l’avenir, le futur ou même le passé… Ils ne vivaient que dans le présent…
Alors pourquoi l’Architecte Du Changement semblait-il les protéger ?
Tant de questions sans réponses… Le Guerrier regarda la lisière de la Forêt d’un œil mauvais…
Il allait lui-même trouver ses réponses.
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