Pour l' instant, j' allais aller grossir les rangs des Brakmariens, voir à quel point ils étaient capables de se désorganiser, puis tâtonner pour essayer d' aggraver tout ça, puis j' irais faire les même expériences en face, je sentais déjà arriver les années d' expérimentations savoureuses, de renversements, de dirigeants assassinés dans l' anonymat de leur chambre.
C' est ce qui se passa pendant les premières années, j' habitais un corps que j' avais réussi à façonner comme je le voulais, j' avais fini par acquérir une puissance non négligeable, pas forcément de quoi péter trois pattes à enutrof, mais j' avais pas à me plaindre. Une fois de plus je ne faisais que mon boulot.
Mouep.. Rien que mon boulot, c' est sûrement ça la cause du problème.
Comment vous expliquer ça? Voyez-vous, j' ai beau être envoyé par les dieux, à la base personne ne m' a demandé mon avis, c' est pas comme si j' avais été recruté suite à un entretien, là quand c' est le cas ben si le boulot plaît pas c' est bien fait. Moi on m' a créé pour ce boulot, c' est pas que le boulot en lui-même me déplaise, mais devant un terrain de jeu pareil j' ai eu envie de laisser le boulot de côté histoire de me faire plaisir pour de bon, je pouvais tout avoir, le pouvoir, l' argent, les femmes, avec les inconvénients que ça représente pour un démon, mais ça on en reparlera plus tard, pas d' inquiétudes. Enfin bref, j' avais accès à tout ça et au plus important de tout ça. Et j' aurais dû laisser tout ça pour incarner des losers pathétiques et manipulateurs sans la moindre envergure? Bien oui, j' aurais dû, mais j' ai préféré décider de me faire plaisir et de relâcher la pression quelque temps, bien sûr, je n' avais pas l' intention de vivre cette vie indéfiniment, mais je ne comptais pas me priver pour autant.
Et c' est comme ça que je me suis retrouvé impliqué dans vos petites affaires à vous, les mortels, tout simplement parce que j' en ai eu marre de marcher au pas sans profiter un peu, d' accord je n' ai pas été conçu pour ça, d' accord mes pouvoirs n' ont pas pour vocation de me servir à me tailler une place parmi les humains, mais les dieux n' avaient qu' à réfléchir un peu plus, quand on crée un démon c' est un peu idiot de penser qu' il agira indéfiniment de manière angélique.
Fini les guerres d' intérêt public, finies les assassinats humanitaires, finies les conflits religieux pour le bien de la communauté, à cette époque j' ai commencé à bosser pour une seule personne, moi.
Je m' étais fait un petit nom au sein de Brakmar, et c' est à la fin des années 590 que j' ai intégré l' ordre des roublards, pas pour être un larbin, hein, mais pour y exercer de hautes fonctions, ne me demandez pas comment je suis arrivé à un poste élevé, à la place des roublards vous feriez pareil si quelqu' un tuait instantanément une dizain de personne sous vos yeux sans rien faire de plus qu' un vague mouvement de bras dans le vide, comme quoi, les quelques avantages en nature liés à ma fonction avaient du bon.
A cette époque là, et grâce, entre autres, à quelques coups fumeux réalisés par mes soins, la ville blanche, l' espèce de pachyderme d' ivoire posé au nord des plaines de Cania était sur le point de s' effondrer, Brakmar contrôlait tout Amakna, du village de la presqu' île dragoeuf, qui était encore peuplé en ce temps là, jusqu' à Astrub et bien au-delà.
Astrub, qui n' avait pas encore été coupée du monde pour cause de guerre de clochers entre Bonta et Brakmar était d' ailleurs un de mes terrains de jeu favoris, j' adorais ses rues crasseuses, sa population touristique, ses détrousseurs, ses pavés pittoresques, le sang chaud qui coulait entre eux, ses marchés en plein air, les cadavres qu' on retrouvait au petit matin dans les petites ruelles, la saleté, la foule, l' odeur de sueur, d' or, de poisson plus ou moins frais.
Oui, une chose est sûre, j' adorais l' ambiance de ce petit patelin à l' époque, un grand bourg peuplé de coupe-gorges et de scalpeurs de bourses, à vrai dire, la vile était beaucoup plus amusante que Brakmar, bien trop organisée et aseptisée à mon goût. C' est pour cette raison que je m' intéressais de près à ce qui s' y passait et que je prenais garde à toujours la garder sous ma coupe.
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