Mormegil

Répondre
Partager Rechercher
- Tiroli, tirolin…
- …la bonne fortune est au bout du chemin ! Termina-t-elle en chantonnant.
Leurs deux regards se croisèrent et des sourires se dessinèrent, radieux. Ce serait à celui qui rirait le premier, comme d’habitude. Tout en marchant, sans faire attention à ce qui se passait devant eux, ils avançaient, les yeux dans les yeux.
La rue était bondée, la foule dense et les étals de marchants débordant de toutes sortes de choses d’une utilité plus ou moins douteuse, empiétaient largement sur la chaussée pour attirer l’œil si bien que le passage était réduit à une peau de chagrin. Mais aucun des deux ne s’en souciaient. Ils connaissaient tous deux la technique, il ne fallait surtout pas regarder vraiment la pupille mais le milieu du nez, juste entre les deux yeux, le moindre détail de peau ressortait à ce moment là avec une précision irréelle. Une longue minute s’égraina ainsi, ils avaient beaucoup ralenti et soudain, un escalier s’étala devant eux mais ils ne le virent pas, trop absorbés dans leur jeu. D’une trentaine de marches, la descente risquait d’être des plus désagréable.
Des mains les agrippèrent par le col et les tirèrent en arrière, à l’opposé du vide mais cela ne mit pas fin à leur jeu. Ils étaient immobiles à présent au milieu de la foule mais toujours, les mains les retenaient dans ce flot vivant.
- Tu as un bouton sur le nez, commenta Mirana sans cesser de la fixer.
Raul se mordit la lèvre rudement mais rien ne pourrait plus l’empêcher d’éclater de rire dans quelques secondes. Tout près de lui, les deux iris bleutés de Mirana étaient éblouissants de beauté et de profondeur. Elle tiqua de l’œil droit et il ne put retenir son fou-rire. Les passants tournèrent des regards intrigués vers le petit groupe puis secouèrent la tête avec un air entendu, l’un hochant la tête à l’intention du voisin tout cela pouvait d’ailleurs se résumer à une phrase telle que « ces jeunes… »
- Juste là, ajouta Mirana avec une moue d’enfant en en posant son doigt sur son nez. Ce n’est pas très beau.
A côté d’eux, quelqu’un se racla la gorge.
- Bonjour Daeria ! Bien dormi ? Demandèrent-ils en cœur sans même tourner la tête. La dénommée Daeria retint à son tour un sourire.
Il est des choses étranges en ce monde d’Azeroth, l’une d’elle était de voir ces trois-là ensembles, une prêtresse, un mage et une warlock : respectivement Mirana, Raul et Daeria ce que ne manquait pas de remarquer les passants exercés ou les voyageurs de passage quelque peu versés dans les arts magiques.
- Est-ce que ce vieux sénile de Morgan t’a encore tenue toute la nuit éveillée ? Demanda Mirana en observant les cernes noirs sous les yeux de son amie.
- Est-ce que Marcia t’as encore demandé d’aller te purifier dans une source ? Répliqua Daeria d’un ton mi-amusé, mi-moqueur.
- Oui, la prêtresse s’interrompit comme un homme passait entre eux sans leur prêter plus attention qu’à des cailloux. Et ce ne serait pas si gênant si cet idiot n’essayer pas de me voir à ce moment là !
Elle se tourna brusquement vers Raul, faussement fâchée.
- Alors messire mage, peut-être vos yeux seraient-ils mieux employés ailleurs ? Que pourrait-on bien faire de vous ? Est-ce que Darius ne prévoyait pas de te faire nettoyer une cage à harpie ?
- Ma fois, belle dame, je n’en sais fichtre rien ! Répondit-il en s’inclinant. Par contre, je vais incessamment sous peu devoir quitter votre agréable compagnie pour retourner à mes méditations.
- Quel dommage ! Railla la jeune prêtresse.
Ils s’écartèrent du centre de la rue et par la même occasion, des escaliers vertigineux pour se réfugier dans l’angle mort d’un étal couvert de soieries chatoyantes avec un gros vendeur couvert de broque conseillant une grosse dame toute aussi couverte de bric.
Tous les trois avaient commencé leur initiation au même moment, le même jour de la même année c’est à dire, il y a plus de dix ans. Les rapports neutres voire même dans le meilleur des cas respectueux entre leurs maîtres respectifs leur avaient permis de s’entraîner ensembles et de grandir ensembles. Bien évidemment, chacun des mentors gardait jalousement ses secrets et enseignait les finesses de son art dans un lieu caché mais il n’en restait pas moins qu’un lien solide les unissait, malgré toutes ces différences qui voudraient les séparer.


L’aînée, qui n’en était pas vraiment une mais plutôt la meneuse de ce petit groupe, était Mirana en aube blanche et bleue, maniant la baguette. Elle était la fille d’un ancien soldat à la retraite. Rousse, les cheveux bouclés, elle venait d’avoir vingt ans, grande et élancée. Comme toute prêtresse digne de ce nom, elle étudiait l’art du soin avec zèle bien que son maître, la guérisseuse Marcia lui enseigne un peu de manipulation psychique et de magie divine.
Raul, aube rouge et épée courte, était apprenti mage au troisième et dernier cercle de sa formation, celui des arcanes, il maîtrisait parfaitement les enchantements de feu et quelques artifices de glace même s’il les dédaignait leur préférant des arts plus agressifs. Grand, bruns, les yeux étrangement dorés, vingt ans lui-aussi, il venait d’une famille de petite noblesse.
Enfin, venait Daeria, la cadette. C’était une jeune fille de 18 ans, fine voire menue que dépassait de plus d’une demi-tête la prêtresse, elle avait les cheveux d’un noir de jais et deux yeux d’un marron noisette quelque peu rougeoyant. Elle portait en permanence une robe grise et noire, ainsi qu’un unique gant de cuir à la main droite. Elle ne possédait aucune arme sur ordre de son maître, Morgan, qui la formait à se défendre sans aucune autre aide que ses pouvoirs. Elle était issue des bas-fonds de la ville, d’une famille de passeurs clandestins.


Daeria leur fit un clin d’œil et ils changèrent radicalement de sujet de conversation, passant de la fête du printemps à la vitesse de combustion d’une boule de feu d’un mage nordique avec un vent de face de force trois… Ils se sourirent et se tournèrent d’un bloc pour faire face à leurs trois mentors. Mirana les dévisagea sans vergogne, attendant une explication à ce rassemblement inattendu. Si la maîtresse-guérisseuse, une petite femme brune et potelée aux yeux verts, sourit et passa en revue tous les visages et que le vieux Darius, un mage à barbe et longue tignasse d’argent, essayait de ne pas trop croiser son regard, Morgan en revanche ne semblait pas d’humeur à lui accorder cette victoire, le sorcier, un homme gigantesque aux cheveux mi-longs, sales et poivre et sel soutenait son examen sans ciller. Finalement, avec une moue dépitée, Mirana reporta son attention sur sa maîtresse.
- Mes enfants, se décida Marcia, nous avons fait un choix, il est temps de vous en faire part. Elle marqua une pause pour être sûr que l’attention générale lui était acquise – ce qui était le cas. Vous avez tous trois fini votre formation dans chacun des domaines qui vous a été donnés d’étudier.
Cette nouvelle les cloua sur place. En pleine rue, au milieu de toute cette foule, ils leur annonçaient la fin de leur apprentissage et le début de l’inconnu. L’esprit retord de Mirana se demanda s’ils n’avaient pas fait exprès de choisir un tel contexte tout en se disant qu’elle aurait préféré quelque chose de plus solennel. Pas de diplôme, juste une déclaration, pas de famille, juste une foule dense et anonyme qui ne leur accordait pas la moindre attention. C’était un peu trop sobre et anarchique à son goût.
Elle ne savait que penser en vérité car obtenir le statut de magicien ne signifiait pas grand chose pour elle. Elle croisa le regard de Raul, leurs pensées se complétèrent. Voyant que leurs élèves n’étaient pas vraiment émus par cette déclaration, Marcia, Morgan et Darius les entraînèrent à travers les ruelles dans un lieu plus tranquille, Mirana entama une conversation animé avec Marcia tandis que Raul marchait un pas en arrière. Daeria et Morgan fermaient la marche, conversant à voix basse, gravement. Tous emboîtaient le pas à Darius. Ils traversèrent donc une bonne partie de la ville ce qui leur prit un certain temps jusqu’à un petit parc loin des rues commerçantes et totalement désert à cette heure de la journée.
- Bien, nous serons un peu plus au calme ici, dit maître Darius en s’asseyant avec reconnaissance sur un banc de pierre. Devenir magicien quel qu’il soit, poursuivit-il comme si leur petite marche n’avait pas eu lieu, c’est accéder à la pratique sans retenu ou presque de votre art dans tous les lieux où cela est possible. Comprenez-vous la responsabilité qui vous incombe ?
Ils hochèrent la tête. Le silence plana dans l’air pendant quelques longues secondes puis Raul parvint à le briser.
- Et maintenant ? Ce n’est pas vraiment une fin en soi, il me semble. Que faut-il faire ?
Darius sourit devant la mine perplexe de son ancien élève. Il n’avait jamais beaucoup aimé se trouver devant l’inconnu…
- Maintenant… répéta-t-il. Tu n’es plus obligé de rester avec le vieux fou que je suis et dès demain, nous vous trouverons un groupe pour partir hors de cette ville.
- Mais…
- Non, le coupa le mage, je suis vieux, mes os me font souffrir, sans parler de mes articulations. Vois-tu, je n’ai plus rien à attendre et à présent que ta formation est terminée, je prendrai un nouvel élève, si élève il y a bien sûr. Ecoute-moi, jeune homme, tu as en toi toutes les qualités pour devenir un homme honorable et un bon magicien, ton cœur a besoin d’aventure, de combat et surtout, d’une perspective de gloire. Ici, dans ce bourg misérable, le soleil ne brille pas pour vous trois. Faites-nous honneur en développant votre talent et votre courage à travers le monde pour servir les causes qui vous paraîtront juste.
Il se tut, fermant un instant les yeux pour bien choisir ses mots.
- Plus rien ne vous retient ici et pour notre plus grand plaisir, nous vous aiderons à prendre votre envol car c’est cela éduquer, nous vous avons longuement préparé en vue de ce jour, en vue de votre indépendance qui est pour nous la plus grande des récompenses. Il marqua une nouvelle pause et sa voix changea soudainement de ton. Je ne veux pas t’avoir dans mes jambes pour le reste de ma vie sacrebleu !
Sa tentative tomba à plat car même si un sourire illumina un instant son visage, des larmes brillaient dans le regard de Raul. Ce parc avait tout du petit paradis caché. Au centre d’une allée herbeuse bordée de cerisier en fleur, une petite fontaine glougloutait paisiblement, l’eau couverte de pétale d’un blanc rosé. La pierre était vieille et usée. L’endroit simple et charmant. Raul essuya d’un revers de main ses joues et s’inclina respectueusement devant son maître. Il parla d’une voix vibrante d’émotions.
- Maître, je jure par mon sang que quelle que soit la terre où me porteront mes pas, je ne vous oublierai jamais. Une partie de mon cœur restera auprès de vous et je souhaite vous revoir avant la fin.
Ce fut au tour du vieil homme de verser une larme. Le ton était solennel mais trop vrai. Raul avait été de loin son meilleur élève et le voir partir loin lui serrait le cœur. Dans un élan de sincérité, ils se donnèrent l’accolade.


- J’ai été heureux de te connaître, enfant. Ce furent ses derniers mots.
Au dernier moment, elle s’était précipité dans ses bras, incapable de se séparer de celui qui avait été plus qu’un père pour elle. Il l’avait serré contre lui longuement, attendant sans espoir que ses larmes se tarissent, puis l’avait doucement poussé vers la porte.
Les larmes roulaient toujours avec abondance sur les joues de Daeria alors qu’elle refermait pour la dernière fois cette même porte. Elle gardait gravé dans son âme la dernière vision qu’elle aurait de son vieux maître. Ils ne se reverraient plus jamais. C’est aussi pour cela qu’elle pleurait, sans retenu, sans aucune honte, serrant contre son cœur le premier et le dernier présent de Morgan. Mais une sorcière ne peut laisser court à aucune émotion faible, ce conseil ressurgit dans son esprit et elle son visage se ferma.
Elle resta appuyée quelques minutes contre le bois tiède puis s’en fut, sans un mot, sans plus un sanglot. Les larmes séchèrent progressivement sur son visage.

Elle marcha d’un pas lent vers cette auberge commune et terne comme il y en avait des dizaines dans cette ville crasseuse. Devant la porte, ignorant les allés et venus et les regards surpris des clients, Mirana attendait immobile dans l’air frais du matin. Elle releva la tête au dernier moment. Sur ses joues, les sillons des larmes étaient encore visibles mais son expression était de marbre. Elle esquissa un pâle sourire.
- Tu es venue, dit-elle. Daeria hocha lentement la tête, n’ayant pas besoin de répondre.
Raul sortit de l’auberge et ils restèrent ensembles sans plus prononcer la moindre parole. Etre ensemble leur suffisait et ils n’avaient donc pas besoin de mot.
tout est dans le titre ^^ mais sans rire, faudra prendre son mal en patience car vous connaitrez pas la vérité avant looongtemps...

- Alors ! S’exclama un nain blasé, à l’épaisse barbe brune et déposant un instant un lourd paquetage au sol, les voilà donc, ses jeunes bleus ! Ils ne répondirent pas. Le nain ne pourrait pas comprendre même s’il se rendait hypothétiquement compte de quelque chose.
- Mouais… m'avez pas l’air bien costaud, on risque de se battre, vous en avez conscience n’est-ce pas ? Il n’attendit pas la réponse et continua. Je suis Horn Stormhammer, guerrier d’Ironforge et chef de ce groupe. Voici Bjorn, chasseur. Un autre nain à la barbe blanche et tressée adressa un signe de tête aux deux jeunes filles. Et enfin, Darek !
- Voleur mal rasé pour vous servir, dit l’humain en faisant une révérence accompagné d’un sourire insolent.
Les présentations étant faites, ils se mirent en route sans plus de civilités, la marche serait longue et le temps n’était pas à la fête. Il faisait déjà doux pour ce début de printemps et marcher serrait agréable pour cette première journée. Les oiseaux étaient aussi blancs que le sourire de Marcia, les nuages aussi gris que l’aube de Darius et le souvenir de la nuit aussi noir que les yeux de Morgan.


Ils restèrent plongés dans leurs pensées toute la matinée et tirèrent des mines surprises lorsque Horn Stormhammer décréta une halte pour se restaurer. Le nain ne fit pas de commentaire mais après un coup d’œil à ses compères, ils se mirent en devoir de remonter le moral de la troupe.
- Eh bien jeunes gens ! Il semble que la marche ne vous incommode pas… c’est une bonne nouvelle mais attendons de voir votre état dans deux jours ! Il leur adressa un léger clin d’œil auquel il répondirent par de petits sourires.
Ils s’assirent en cercle autour d’un petit feu que Raul avait machinalement allumé en effleurant le bois de la main droite. Cela avait pour le moins surpris les trois vétérans mais ils n’avaient rien ajouté. Tout en avalant une ration de gruau incolore, inodore et sans saveur, ils entamèrent la discussion, d’abord timidement puis prenant peu à peu de l’aisance.

- Dites-moi Raul, demanda Horn au bout d’un moment, savez-vous manier cet engin ? Il désigna l’épée courte qui pendait négligemment à sa ceinture.
- Plus ou moins…
- Plutôt moins que plus on dirait, remarqua le guerrier avec un sourire. Raul se sentit rougir et le groupe éclata de rire. Alors messire mage, il me semble que la pratique de quelques rudiments serait une bonne chose…
- Vous… ?
- Je vous propose quelques leçons de défense qui je l’espère vous servirons en cas de besoin.
- J’accepte avec joie, maître nain.
- Puisqu’on aborde le sujet des armes, mesdemoiselles, une question me trotte dans la tête, serez-vous en mesure de vous défendre ?
- Bien sûr, répliqua immédiatement Mirana, je sais me battre et je pourrais protéger Daeria en cas de besoin si jamais la situation se gâte.
- Bien… dit finalement Horn avec un regard en coin pour la sorcière en question, puisque cela est réglé, il est temps de repartir.


La jeune warlock jeta un regard noir à Mirana mais celle-ci répondit par un sourire tandis que Raul levait les yeux au ciel. Ils se dirigeaient vers le nord-est où Horn devait retrouver son commanditaire pour prendre la suite des instructions. La grande tour de guet de Goldshire, petite bourgade au sud-ouest de Stormwind se découpa timidement dans le rouge oranger d’un coucher de soleil. Par un heureux hasard, leur commanditaire, un petit bonhomme gras aux grands yeux verts, les attendait dans une auberge…

A la taverne du Joyeux luron qui comme le fit remarquer Darek ferait mieux de s’appeler « Joyeux larron » ils entrèrent les uns après les autres. La salle était de petite taille et les tables un peu trop grandes. La foule n’était pas excessive et dans un coin juché sur un tonneau, lui-même juché sur une table, un ménestrel égrainait tranquillement des notes douces avec son luth pour accorder son instrument. Horn retrouva facilement la personne qu’il cherchait et si l’homme fut surpris par les trois nouveaux venus, il n’en dit rien.
- Bonjour à vous, Horn Stormhammer, je suis Oscar Prieur, intendant de la guilde de la pioche d’or. L’homme était petit, c’est à dire qu’il ne dépassait même pas Daeria, enrobé d’une certaine expérience de graisse et portait un costume vert à la manière de certains gnomes. Ils notèrent tous les deux gros bras flanqués non loin de lui, qui dardaient sur eux un regard perçant, appuyés contre le comptoir en sirotant des bières. Le nain siffla de manière appréciative.
- Oui… je connais ta guilde, maître intendant. Que me vaut l’honneur de te rendre service ?
- Je serais sans détour. Une étrange affaire en vérité, maître nain. Il marqua une petite pause en avalant une gorge de bière. Nous avons recueilli, il y a peu, le témoignage d’un mineur qui était descendu dans une sorte de réseau souterrain d’origine inconnue. Manquant de temps et de vivres, il n’a pu que rapporter la présence d’une merveille sans avoir le temps de l’extraire : un joyau magnifique, un cristal d’une pureté sans précédent.
En effet, la situation était rapidement exposée…
- Cristal que désire ardemment un tel ou un tel… récita Darek avec une morgue surprenante. L’autre hocha la tête. Et vous y ajouter foi ? Oscar Prieur leva les mains avec impuissance et haussa les épaules, le tout donnait un mouvement plutôt étrange pour son corps trapu.
- J’aimerai ne pas y ajouter fois mais mon supérieur en a malheureusement eut vent et y croit dur comme fer. Il a envoyé un homme de confiance pour chercher cette merveille mais ce bougre de nain s’y est apparemment perdu. Il soupira.
- Et maintenant, termina Bjorn, vous êtes chargé de le retrouver pour lui. Mais quelle pagaille ! Voilà pourquoi je refuserai toujours de faire partie d’une guilde !
- Peu de gens ont accepté mon offre pour descendre dans les souterrains, du moins à un prix raisonnable… Il les dévisagea, les yeux brillant. Dix pièces d’argent pour vous tous et une prime de 5 par tête si vous me ramenez cette pierre, le nain ne serait pas en trop non plus car c’est un bon spécialiste.
Les yeux du guerrier nain brillèrent avec la mention de la récompense mais la lueur mourut lorsqu’il se re concentra sur son affaire.
- Et dans le cas où cette pierre n’existerait pas ? Demanda soudain Daeria. Un vent froid souffla sur la scène. L’intendant tiqua en fixant avec irritation la jeune sorcière. Horn leva une main apaisante.
- Nous ne mettons pas en doute votre bonne fois mais nous préférons être prudents…
L’homme renifla avec mépris en direction de Daeria et l’ignora totalement à partir de ce moment. Elle n’ajouta plus rien.
- Et bien, je peux vous remettre un billet à ordre comme dédommagement.
- C’est entendu.
Oscar Prieur griffonna rapidement sur un bout de papier un message de retrait à son banquier et le donna au guerrier qui relisait avec satisfaction les quelques lignes. Ils entrechoquèrent leurs pintes pour sceller l’échange.
Après le départ de l’intendant qui ruminait un peu sombrement, les trois vétérans fêtèrent l’événement à leur façon c’est à dire en ingurgitant une quantité astronomique de bière et de la viande salée. Ce n’était pas du porc avec de la bière mais de la bière agrémentée de porc… nuance.
La soirée se termina par un match des plus palpitants à savoir qui parviendrait à vider le plus de choppes de bière à la suite sans tomber dans le coma. Les autres clients de l’auberge s’étaient rassemblés autour de leur table et acclamaient par des vivats chaque renversement (pas de situation mais de verre, ce qui revenait en fait au même)

Le ménestrel compta fleurette un moment à la prêtresse avec de beaux poèmes puis sous les invectives de la foule, dut entamer une chanson beaucoup plus paillarde. Les clients frappèrent en rythme leurs choppes contre les tables et ainsi de suites pendant trois nouveaux airs soit plus d’une vingtaine de minutes.
Mirana était partie quand un soudard avait vomi près de sa chaise et Raul l’avait suivi peu après avoir bu une énorme choppe à lui tout seul ce qui dépassait de loin ce qu’il était capable de supporter pour le moment mais comme disait Horn, il aurait tout le temps de s’entraîner avec eux par la suite.
Quand à ce tournois de beuverie, à la surprise générale, le guerrier nain gagna… battant de peu le chasseur endormi le nez dans sa choppe et le voleur ivre mort depuis belle lurette sous la table. Cela marqua la fin de la soirée et tous montèrent se coucher quelques minutes plus tard, Horn porta le chasseur sur son épaule, jusqu’à sa chambre avec une aisance stupéfiante puis, aidé du tavernier, ils hissèrent Darek par le même chemin.

Au grand étonnement de Daeria, le nain redescendit peut après et s’assit en face d’elle.
- Laissez moi deviner, le devança la warlock avec un faux sourire, j’aurais du me taire. Horn sourit.
- Non, jeune fille, dit-il en la regardant gravement, vous avez eut parfaitement raison mais l’intendant est un homme plutôt poli, prenez garde car d’autres ne prendrons pas des pincettes pour vous répondre…
- J’en prends note, maître nain, répondit Daeria, mais… un égarement ? Pas un mineur, pas un nain, c’est impossible. Il ne nous a même pas donné son nom…
- Je le sais, jeune fille, je le sais… mais nous verrons bien. Après tout, rien n’est impossible en Azeroth.
Aux premières lueurs de l’aube, ils étaient tous prêts à partir, même si les magiciens avaient eu certaines difficultés à se lever ce à quoi avait rapidement remédié une vocifération de guerrier nain. Les deux nains étaient parfaitement remis de leur beuverie de la veille et il n’y avait guère que Darek qui gardait la gueule de bois. Un duvet sombre assombrissait encore plus son visage lui donnant l’air du dernier des piliers de tavernes comme le lui fit remarquer Mirana.
- Cela jeune prêtresse, fait parti de mon charme, charme que vous ne tarderez certainement pas à apprécier, répondit-il avec un sourire engageant qui fit froncer les sourcils à Raul.


Horn marchait en tête, suivit de prêt par le chasseur puis venait Raul, Darek, Mirana et Daeria. Le chemin devenait de moins en moins praticable avec des ronciers, des buis en travers de leur route. Les leçons de Horn allaient bon train, et Raul se débrouillait de mieux en mieux. Cela faisait sept jours qu’ils marchaient. Durant cette petite semaine, ils avaient voyagé pour plus de sûreté sur les chemins réguliers où patrouillaient régulièrement des cavaliers de Stormwind qu’ils croisèrent par deux fois.
Ce matin pourtant, l’affaire se corsait.
- Par ma barbe ! Jura le guerrier en s’empêtrant une fois de plus les poils dans une ronce, je vais y laisser toute ma fierté ! Le chemin s’était légèrement rétréci car leur guide avait était tenté par un raccourci bien moins agréable que la route bien entretenue du royaume.
- Laisse moi t’en débarrasser, ami nain, proposa Darek en sortant une dague.
- Non ! Réplique instantanément Horn, je préfère encore les perdre un à un que de la voir cisailler par toi ! Il tira d’un coup sec et eut une grimace, une touffe de poil de sa barbe restait accrochée à une épine.
- Tu me rappelles un ours que j’ai pisté, déclara Bjorn en contemplant la touffe de poils brune qui ressemblait à s’y méprendre à une parcelle de fourrure.
Horn lança un regard furibond à ses deux compères.
- Comment tu voudras, courtes pattes, mais je reste…
Darek ne termina pas sa phrase qui devait être quelque chose comme « à ta disposition », un immense loup venait de bondir en travers du chemin étroit. Gris, une musculature impressionnante et montrant des crocs d’une taille plus que respectable. Mirana resta pétrifiée devant cette vision, il était monstrueux ! Les trois vétérans encadrèrent les magiciens rapidement et quelques instants plus tard, des paires de yeux jaunes et lumineux surgirent de tous les côtés depuis les bois et derrière eux. Ils étaient six, sauvages et aussi grands les uns que les autres.
- Chacun un, ordonna Horn, on les disperse pour avoir plus de chance.
Il avança d’un pas, faisant face à une bête au pelage fauve hérissé. Le loup claqua avec agressivité ses mâchoires et attaqua. Le nain lui répondit par un violent coup de hache que l’animal esquiva par une pirouette. Les autres s’étaient avancés vers un autre animal avec gravité. Le chasseur et le loup se tournaient autour avec la même attitude, se dit Mirana et le voleur faisait preuve de la même agilité qu’un autre un peu plus loin. Une boule de feu fusa des mains de Raul et en tournant la tête pour l’apercevoir, elle croisa le regard jaune d’un grand loup brun, son adversaire.

Elle ne trouva pas la force de bouger, totalement hypnotisée par l’or dansant dans ces yeux. Le loup grogna et elle se mit à reculer inexorablement, balayant du regard les alentours à la recherche d’une aide quelconque mais ses compagnons étaient tous aux prises avec un adversaire. Elle était seule, désespérément seule. Le loup bondit et elle s’attendit à sentir la morsure des crocs dans sa chair mais il se contenta de la bousculer rudement comme pour jouer. Un jeu macabre. Il la bouscula jusqu’à ce qu’elle finisse par tomber et comme si le jeu était fini, elle lut dans ses yeux que la prochaine fois, elle aurait beaucoup plus mal…


D’une détente fabuleuse, le loup se jeta sur elle mais un éclair sombre le renversa en plein vol et l’envoya rouler sur l’herbe, il se redressa immédiatement et chargea de nouveau vers elle. La peur lui nouait toujours la gorge et sa main se crispa contre le sol. Mirana ne trouva pas la force de bouger.
- Lève-toi ! Attaque ! Cria une voix qu’elle connaissait. Elle fut incapable de répondre, tout au plus ouvrit-elle la bouche comme un poisson hors de l’eau. Une ombre s’interposa, qu’elle trouva sur le moment gigantesque avant qu’elle ne reconnaisse la frêle Daeria. Deux loups. Son visage se décomposa. Ils étaient deux et commencèrent à leur tourner lentement autour, claquant des mâchoires et montrant les crocs. Mirana vit son amie former dans sa main une sphère ténébreuse, ridicule se dit-elle soudain car elle ne pourrait pas en toucher deux à la fois. Elle n’avait même pas d’arme.
Un courant de magie parcourut l’air autour de Daeria et elle la vit soudain terrifiante, irradiant de pouvoirs sombres et démoniaques. Un des loups recula la queue basse, les oreilles planqués en arrière. La peur. La warlock se retourna pour faire face au second qui bondissait sur elle et le lança son projectile magique.
Le loup donna un violent coup de rein et esquiva l’attaque. Mirana vit le visage de son amie se tendre et ses yeux prirent une couleur luisante, devenant de ce fait… quelque peu rougeoyants. A nouveau, le loup recula, effrayé, mais le second revint derrière elles. Une autre sphère d’ombre l’écarta momentanément.
Mirana se rendit alors compte qu’elles étaient totalement piégées. Si Daeria s’était concentrée sur un seul, elle aurait pu le battre mais deux étaient au-dessus de son pouvoir. Elle eut un sourire moqueur, elle pouvait faire bien mieux.
- Tu es ridicule ! S’exclama-t-elle soudain, comment peux-tu espérer t’en sortir contre eux ? N’essaie même pas et laisse-moi le mien ! Un instant, le regard de son amie redevint normal et l’étonnement s’y peint.
- Elle a raison, répondit la voix de Darek qui repoussait le cadavre de son adversaire loin de lui. Il retira lentement une de ses dagues de la chair, évitant le ruisseau de sang et l’essuya contre le bas de sa cape. .
Comme si un électrochoc l’avait secoué, Mirana se leva d’un bond et fit face à son loup. Elle n’avait plus peur, elle allait leur montrer ce dont elle était capable ! La prêtresse tendit sa baguette vers le loup et un rayon lumineux le frappa de plein fouet, si rapidement et si soudainement que l’animal n’eut pas le temps d’esquiver. Le loup se convulsa dans la lumière et tomba inerte au sol. Le voleur lui cria un encouragement et elle se sentit invincible. Elle se tourna vers Daeria qui terminait son propre adversaire. Avant que la warlock ait pu lancer une sphère d’ombre fatale, Mirana frappa avec la lumière divine le loup qui fut lui-aussi terrassé.
Daeria tourna vers elle un visage où la surprise cédait la place à de l’irritation mais avant qu’elle ait pu sortir une phrase, Horn les héla. Ne se faisant certainement pas prier, Mirana se rendit près de lui à grands pas. Darek, lui et Bjorn souffraient de quelques griffures sans gravité qu’elle se mit en devoir de soigner. Raul était chaudement félicité par le guerrier car c’est avec son épée et non d’une boule de feu qu’il avait achevé son adversaire. Horn tourna un visage radieux vers la prêtresse.
- Je suis surpris, je dois l’avouer, je n’aurais jamais pensé qu’une prêtresse pourrait faire autant de dégâts. Les avez-vous combattu les deux en même temps ?
Une petite lueur de malice brilla dans le regard de la prêtresse et elle ne trouva pas nécessaire de modifier cette conclusion tout à son honneur.
- Oui, maître nain, nous possédons de grands pouvoirs nous autres qui se déchaînent le moment voulu, dit-elle sans modestie. Daeria ouvrit la bouche mais elle la coupa d’un coup de coude. Alors qu’elle racontait son exploit, la voix de la warlock s’éleva dans un murmure qu’elle seule put entendre.
Mirana sentit son cœur se pincer un instant mais les sourire radieux et surtout, le regard enjôleur du voleur devant elle, balayèrent cet égarement. Il était trop tard à présent de toute façon et elle ne recommencerait plus. Tout en se le jurant à elle-même, elle sut qu’elle ne tiendrait jamais sa promesse. Pour la première fois de sa vie, elle était devant : elle pouvait se battre et pas rester stupidement en arrière à soigner et lancer des sceaux. Elle devenait autre chose que le soutien d’un guerrier et cela lui plaisait terriblement.
Ce fut heureusement le seul incident de la journée et même si Daeria essaya une ou deux fois de lui parler, elle déviait invariablement et le tact de son amie l’empêchait de faire un éclat.
Finalement, la jeune warlock renonça avec un soupir à la fois triste et exaspéré. Devant ce revirement, Mirana traduisit qu’elle lui avait pardonné mais ce n’était pas vraiment le cas et elle n’en fit plus mention. Malheureusement, Darek et Raul s’affrontaient en tirade de compliments à son égard et ce durant une bonne partie de la soirée ce qui fit dégénérer l’humeur de la sorcière de manière radicale. A vrai dire, à chaque fois qu’elle entendait un éloge à Mirana, la warlock sentait la colère franchirent un niveau en elle. Elle se sentait trahie sans aucune raison et il faut bien le dire, jalouse. En même temps, ses sentiments la dégoûtaient car une warlock doit en faire abstraction. Par ailleurs, comme pour ajouter à la complexité, elle ne pouvait s’empêcher de faire la comparaison entre elle et Mirana et le résultat ne jouait pas à son avantage, ses pouvoirs étaient encore trop neufs, trop incertains…
Deux heures plus tard, il atteignirent les contreforts d’une large et imposante chaîne de montagne qui a défaut d’être très haute lançaient néanmoins ses pics acérés vers les cieux, les couvrant d’un léger manteau neigeux. Horn leur annonça qu’il n’était plus très loin du souterrain mais ce qu’il ne mentionna pas, ce fut la rude escalade qui les accueillit d’entrée de jeu. Un pierrier termina de les achever à mi-pente. Enfin, ils atteignirent l’entrée des souterrains après une nouvelle petite escalade.
- Ce serait stupide de s’engager à la nuit tombante, affamés et fatigués à l’intérieur, nous camperons ici pour la nuit, déclara Horn avec calme comme pour apaiser l’excitation qui avait grandit plus ils se rapprochaient du lieu.
Raul tira une mine déçue qui fit sourire le guerrier.
- Il faut être prudent, Raul, les imprévus sont nombreux dans un souterrain et si nous sommes contraints d’y rester plus longtemps que prévu, soyons en bonne condition. Je prévois d’ailleurs que cela sera très éprouvant. Il jeta un coup d’œil à Daeria qui ne changea pas d’expression.
Ils dormirent d’un sommeil très léger, impatient et brûlant de rentrer dans ce lieu mystérieux et le lendemain, alors que les premiers rayons filtraient entre les branches de sapins et que les cendres du feu terminaient leur lente agonie, une voix rageuse les réveilla.
- Par les grandes forges ! Vous dormez alors que je vous attends depuis plus d’une journée !
Tous se réveillèrent en sursaut. Horn se dressa d’un bond, la hache à la main, et sa couverture glissa à terre. Il posa son regard glacial sur un nain tout jeune, à peine 50 ans, la barbe blonde et fine, qui tapait du pied devant eux.
- Holà ! Le modéra le guerrier, qui es-tu ? Et pourquoi diable nous attendais-tu ?
- Ma parole ! On ne m’avait pas dit que j’aurais à travailler avec des imbéciles en plus ! Horn, facilement irritable de bon matin, empoigna la barbe du jeunot et le souleva presque de terre.
- Attention à tes paroles, jeune coq, nous ne sommes pas très conciliants. Maintenant, tu vas nous dire qui tu es et pourquoi nous devrions t’aider…
- Pardon… balbutia le nain tandis que Horn le reposait à terre et lâchait sa barbe ridicule, je viens sur ordre du maître intendant, Oscar Prieur, pour extraire le joyau. Je suis Tuwar Hillworker, assistant particulier de l’intendant et fils de Kelv Hillworker, maître de la guilde !
Il avait prononcé ces derniers mots en carrant les épaules ce qui le fit paraître encore plus ridicule qu’auparavant. Horn jeta un coup d’œil à l’expression railleuse de Darek et fit le tour de la scène avant de reposer les yeux sur ce Tuwar. Les magiciens se réveillaient plus lentement, Raul était secoué par Mirana tandis que Daeria repliait la couverture qui lui avait tenu chaud toute la nuit. Tous avaient pourtant un œil sur la scène et Horn ne put s’empêcher de soupirer.
- Je n’avais pas connaissance de ta présence alors tu vas retourner voir l’intendant et lui présenter mes respects les plus ironiques. Un nain comme toi n’a pas sa place ici. Le ton était ferme et ne souffrait d’aucune réplique. Sur ce, Horn agrippa l’épaule du nain et le poussa vers le chemin du retour.
- Non ! Répondit Tuwar en se débattant en vain, je suis mandaté ! J’ai un message qui prouve mes dires, c’est un ordre de l’intendant !
Alors que le guerrier le lâchait momentanément, il tira une lettre froissée de son paquetage qui avait du voyager entre la pioche et la pelle pendant des jours. Horn la parcourut des yeux et soupira, s’attardant particulièrement sur le sceau en fin de lettre.
- Sang rouge ! Ce qu’il dit et vrai… Il ne laissa pas le temps au mineur de répliquer, bon, tu restes près de Mirana et surtout, il avança menaçant, tu te tais et tu exécutes les ordres !
La prêtresse sourit.
- Ce n’est pas un faux, annonça Darek en lisant à son tour la lettre, c’est bien le sceau authentique de la guilde de la pioche d’or. On va devoir supporter ce rat… Il fit un clin d’œil à Mirana, on compte sur vous pour le protéger.
- Cela ne devrait pas être trop difficile de protéger deux personnes, répondit Mirana avec un sourire charmeur en posant une main sur l’épaule de Daeria. La warlock se dégagea d’un mouvement un peu trop brusque mais personne ne le remarqua.
Le chasseur arborait une mine totalement neutre en jaugeant Tuwar.
- Cela risque d’être dur, déclara-t-il au bout d’un moment. Tu n’as jamais manié autre chose qu’une pioche ou une hache durant un combat d’entraînement, n’est-ce pas ?
- Et alors ? Répondit le nain d’un air de défit.
- Et alors ? Répéta Horn, il y a dans ses souterrains un disparu qui à mon humble avis a été attaqué par quelque chose de terrible ! Peut-être même des Troggs ! Tuwar blêmit mais garda quand même une expression composée. Nous allons entrer et si jamais tu en fais autant, ne t’éloigne jamais de Mirana. C’est compris ?
Le nain hocha la tête. Ils allumèrent des torches et en firent aussi provisions, se demandant combien de temps ils auraient à chercher sous terre.


Le petit groupe fit la dernière petite ascension et s’arrêta devant l’entrée, contemplant ce que l’obscurité de la veille leur avait alors dissimulé. Une lourde porte de pierre devait à l’origine barrée l’entrée mais elle avait été fracturée en son milieu, arrachée et jetée comme une vulgaire planche sur le côté. Le chasseur observa avec attention les fractures et les marques sur le sol.
- C’est ancien, plus de deux mois, cela ne fait aucun doute mais je ne sais pas qui a pu causer cela, les traces sont beaucoup trop brouillées. La terre est tassée donc je suppose qu’il a eut pas mal de mouvements entre temps.
- Et la chose qui a arraché cette porte est encore à l’intérieur ? Demanda Raul.
- Impossible à dire mais je pense que nous le reconnaîtrons facilement si jamais nous le croisons. Il sourit largement et fit quelques pas à l’intérieur. Un étroit boyau descendait dans les ténèbres de la montagne en pente douce. Le sol était plutôt égal ce qui fit sourire Tuwar. Il siffla avec admiration.
- En tout cas, ceux qui ont creusé cet endroit étaient d’excellents mineurs et architectes. Nous sommes dans du granit et les parois sont presque lisse, sans revêtement de consolidation. Il se rappela à ce moment qu’il devait se taire en croisant le regard furibond de Horn.
Ils entrèrent et quand les humains ne furent plus capables d’y voir clair, ils allumèrent une torche. Horn les prévint que dans le cas où ils seraient séparés, ils n’auraient de provisions que pour une journée tout au plus. La perspective de mourir perdu dans le noir au milieu de créatures inconnues doucha le moral.
Le groupe déboucha tout d’abord dans une immense salle dallée à piliers qui devait vraisemblablement servir de cantine. Une énorme cheminée s’élançait vers le haut à leur droite et une table de bois en ruine et moisie ornait le centre. Ils marchèrent ensuite très longtemps, de temps en temps, des puits de lumières éclairaient un étroit passage puis ils replongeaient dans le noir. Ils passèrent dans une succession de salles, de passages étroits ou parfois assez larges pour laisser passer trois paladins obèses de face. Ils constatèrent que plusieurs portes aux arcs de pierre avaient été martelées : agrandies d’un bon mètre en hauteur. Bien sûr, on pouvait aisément se demander pourquoi et quelle chose avait bien pu passer à cet endroit… Cela avait à la fois un côté excitant et inquiétant.
Les couloirs étaient pour la plupart de pierre blanche aux fresques insondables polies par le temps, et parfois, le granit de la montagne était laissé nu. Ils marchèrent deux bonnes heures sans rencontrer autre chose que des cailloux mais à un moment donné, un de ses même cailloux eut l’idée de les attaquer.
- Un golem ! Prévient Horn, en arrière magiciens ! Il est insensible à la magie.
- C’est un golem mineur, remarqua Tuwar alors que la créature faisait bien deux mètres de haut. Ce ne sera pas trop difficile... Bien sûr, ce n’est que de la théorie, ajouta-t-il alors que le guerrier partait en vol plané dans les airs. Heureusement pour lui, Raul était là et l’empêcha de se briser la nuque. D’un mot de pouvoir, les yeux fixé sur le nain, il ralentit sa chute au maximum par la force de son esprit, poussant même l’exploit jusqu’à le faire atterrir en douceur sur le sol. Mirana trépignait de ne pouvoir participer et il fallut que Daeria la retienne pour qu’elle n’avance pas plus près.


Ils leur semblaient que cela faisait une éternité à présent qu’ils avançaient sans rencontrer plus aucune présence, s’enfonçant toujours plus profonds dans les couloirs.
- Je n’aime pas ça, dit alors Bjorn, nous n’avons rien croisé depuis ce kobold chétif il y a bien vingt minutes alors qu’ils devraient pulluler dans un tel endroit.
L’endroit puait, pas seulement à cause de l’humidité mais la warlock se sentait à la fois inquiète et extasié, l’atmosphère n’était pas si désagréable en réalité. Une pensée cherchait à émerger dans son esprit mais elle ne parvenait pas à la retenir. Il y avait quelque chose.
Les humains n’avaient plus aucunes notions du temps depuis leur entrée dans les souterrains mais aux dires de Tuwar, ils ne s’étaient pas passé plus d’une demi-journée. Le jeune nain se révéla finalement d’une compagnie agréable depuis que Horn l’avait remis à sa place et il instruisait volontiers ceux qui voulaient bien l’entendre de l’architecture et des roches. Sa science sur ses sujets était grande et son ton, passionné. Ils descendirent une nouvelle volée de marche et une nouvelle intersection se présenta à eux. Mirana sentit son cœur se serrer. Dans la petite salle en étoile qui formait ce carrefour de directions, résonna un grondement. Il y eut un raclement puis une ombre passa contre le mur à une vitesse folle.
- Un chien de l’enfer, murmura Daeria d’une voix hantée, à la fois inquiète et ravie.
A peine avait-elle prononcé ces mots que la bête surgit de l’ombre dans le cercle de lumière et se jeta sur Horn. Le guerrier eut le réflexe de basculer en arrière, envoyant le démon bouler derrière lui. A peine debout, il fut confronté à un deuxième assaut tandis que de tous les côtés, des lutins maléfiques affluaient vers eux. Ils se retrouvèrent encerclés par une multitude grouillante qui les griffait, les mordait et poussait des hurlements stridents.
Dos à dos, Mirana et Raul protégeaient au centre le mineur terrorisé tandis que Bjorn et Darek tentait de faire un peu le vide autour d’eux. Les rayons de lumière de la prêtresse faisaient des ravages du côté des lutins mais eux-même semblait de plus en plus nombreux, arrivant de tous les côtés autour d’eux.
La hache de Horn glissa avec un crissement sur les dalles de pierres tandis que le tentacule du chien-démon serrait sa gorge. A deux mains, ils tentaient à la fois de repousser la gueule béante et une lame osseuse acérées qui se plantait dans son estomac mais ses forces filaient par la plaie béante au ventre. Il cédait centimètres par centimètres, lentement comme une torture.
- Regarde-moi, démon !Puissant dans l’autorité naissant du pouvoir, la voix de Daeria avait claqué comme un fouet et le chien de l’enfer tourna la tête lentement puis avança dans sa direction, se désintéressant heureusement totalement du guerrier.
Horn se leva sur un coude, compressant sa plaie avec force, la douleur lui embrouillait les idées mais son peu lucidité restait focalisé sur le chien-démon. Il détailla la bête, des lames osseuses saillaient vers l’avant ainsi que deux tentacules terminés par un dard. Des épines hérissaient son dos puissant et musclé sous une peau rougie par le sang et le feu démoniaque. Il était grand, plus que la norme : un chef de meute probablement et le sang du nain se glaça à la pensée que cette même meute n’était peut-être pas si loin.
- Daeria, articula-t-il, c’est un chef de meute ! Le guerrier craignait pour sa vie car la jeune sorcière était si… insignifiante devant ce monstre. Frêle ombre sans pouvoirs vraiment efficace du peu qu’il avait jugé, à l’inverse de la prêtresse, devant un amoncellement de muscles et de rage. La warlock acquiesça, concentrée sur le démon. Elle s’attendait à une attaque imminente et déjà, dans sa main, elle concentrait du pouvoir sombre. Les énergies démoniaques alliées à son mana s’enflammèrent et une flamme verte dansa dans sa paume. Elle regretta amèrement de ne pas avoir d’arme alors que son regard s’attarda sur le tranchant d’une des lames osseuses mais pour l’instant, la bête n’était pas agressive…
Elle tourna fugitivement la tête, des lutins se ressemblaient autour de Horn qui blessé et désarmé ne pouvait pas se défendre. Elle reporta son regard sur le chien démon mais celui-ci avait disparu. Elle jura, il allait avertir son maître ! Elle lança son feu démoniaque sur les lutins, ceux-ci furent carbonisés sur le coup et leurs corps devinrent cendre avant de se dissiper en fumée verdâtre. D’un regard, elle en fit reculer trois autres et se précipita vers Horn. Trois lutins s’approchèrent, trop téméraire et tandis que la sorcière fourrait entre ses mains une pierre verte et lumineuse, le guerrier sentit une aura de terreur grandir. Il déglutit difficilement, ne comprenant pas son origine mais au moins, les lutins étaient partis.
- Ne la lâche pas, elle te maintiendra en vie ! Horn hocha la tête.
- Va vite ! Ne t’occupe plus de moi, je saurai me défendre, il tira une dague de sa ceinture et s’appuya contre le mur pour se redresser légèrement. Son visage était blanc, laiteux et perlé de sueur. Il regarda la pierre dans sa paume, la lueur augmentait progressivement et la douleur commençait à refluer de même. Il expédia un lutin téméraire mais n’eut plus d’adversaire.


Un cri d’avertissement jaillit de la gorge de Raul et elle s’écarta précipitamment. Daeria vit une lame osseuse briller et trancher vers son épaule. Elle lança, désespérée, une boule de feu et le chien démon fut projeté à quelques mètres laissant une entaille sanguinolente dans sa chair. La douleur afflua alors si rapidement qu’elle en fut presque assommée, une onde malsaine se propageait dans son corps et elle tourna un regard effaré au guerrier. Du poison ! Les mots se formèrent silencieusement sur ses lèvres. Horn hocha lentement la tête et tendit la main tenant la pierre vers elle. Elle refusa immédiatement. Mais que faisait Mirana ?
La prêtresse achevait des lutins. Elle irradiait de puissance, laissant son énergie divine consumer les démons autour d’elle. Lorsque les trois chiens démons firent leur apparition, elle éclata presque de rire. Tendant son esprit sur le premier, elle le frappa de douleur. La bête se convulsa sur le sol. Elle augmenta encore la puissance de son sort puis l’acheva d’un rayon de lumière dévastateur. Dans une apothéose de puissance, elle lança une nova divine qui blessa gravement les démons autour d’elle. Sa lumière leur rongeait le corps et ils reculèrent en hurlant.


La salle fut subitement plongés dans un silence pesant, les cadavres de démons, lutins innombrables et ceux des trois chiens démons lui donnaient une allure de champs de bataille. Il y avait bien une quarantaine de ses créatures horripilantes. Ils souffraient tous de blessure plus ou moins graves, allant de la coupure à l’éviscération. Mirana se mit en devoir de les soigner en commençant par Darek.
- Mirana ! S’insurgea Daeria dont les yeux lançaient des éclairs autant sous l’effet de la douleur que de la colère, Horn est mortellement blessé !
- Ne soit pas si agressive, répliqua la prêtresse, personne ne nous menace plus pour le moment.


Mirana posa sa main contre la plaie béante de Horn en écartant dédaigneusement la pierre de vie qui roula sur le sol. Daeria la ramassa et l’approcha de son épaule. Ses traits se détendirent comme la douleur refluait. Elle s’appuya contre un mur avec reconnaissance. Un seul affrontement et son corps était déjà bien affaibli, son humeur s’assombrit. Une douce lumière bleutée enveloppa le nain et la prêtresse et lorsqu’elle se releva, une longue minute plus tard durant laquelle tout le monde retenait son souffle, Horn fit de même en tâtant son ventre avec étonnement. Sa vieille côte de maille s’était ouverte sous la violence du coup et le tissu restait imbibé de sang mais en dessous, la peau blanche était cicatrisée.
- Merci, murmura-t-il simplement mais avec une reconnaissance sincère.
Mirana sourit et s’approcha de Darek, elle posa les mains sur ses épaules, s’approchant un peu trop près du voleur du goût d’un certain mage. Elle ferma les yeux. La même aura bleuté apparut mais il ne se passa rien.
- Je crois… dit-elle finalement, que je n’ai plus de mana pour l’instant. Elle éclata d’un rire cristallin et des sourires se dessinèrent sur les visages. Tu pourrais leur proposer ta pierre, Daeria, tout de même, un peu de solidarité ne ferait pas de mal.
La warlock eut soudain l’envie irrésistible de lui envoyer une boule de feu mais se contint. Elle lança la pierre de soin à Raul. Les blessures légères du mage cessèrent progressivement de saigner puis les deux bords des plaies se resserrèrent. Ce n’était pas très impressionnant comparé aux exploits de Mirana mais cela ferait pour le moment l’affaire. Au moins la cicatrisation était-elle en très bonne voie. Ce fut ensuite au tour de Darek qui lui rendit la pierre à présent presque déchargée, avec une moue satisfaite. Maintenir en vie Horn avait quasiment réduit à néant les réserves d’énergie et l’aspect verdâtre était progressivement remplacé par un noir de verre volcanique…


De nouveaux hurlements retentirent depuis un couloir à leur droite et ils s’engouffrèrent sans vraiment réfléchir à gauche. Ils courraient presque à l’aveuglette, la torche laissait une traînée de feu derrière le porteur mais les hurlements se rapprochaient inexorablement. Soudain, Mirana fit volte face et dans sa main, elle concentra une puissante lumière puis l’envoya sur les démons. Elle explosa aux pieds de leurs assaillants qui reculèrent en sifflant, aveuglés. Cela leur laissa un répit de quelques secondes qu’ils passèrent à courir. Tuwar, sur ses petites jambes mal entraînées, suivait tant bien que mal la cadence, encore complètement effrayé par le combat précédent. L’écart se creusait entre lui et le reste du groupe ce que personne ne sembla remarquer jusqu’à ce qu’il appelle.
- Stop ! Demanda-t-il hors d’haleine, sa requête se termina en cri lorsqu’il sentit quelque chose lui agripper la cheville. Raul se retourna, le tentacule d’un chien démon attirait le nain dans l’ombre. Il se rua à son secours, matérialisant une boule de feu pour éclairer la scène. Horn se plaça devant lui pour le couvrir et ils attaquèrent les démons.
Daeria jeta un bref coup d’œil par-dessus son épaule, elle n’entendait plus les pas de Raul ni même ceux des nains derrière elle. Ils avaient disparu. Elle s’apprêtait à faire demi-tour mais ses yeux saisirent un mouvement et elle se baissa juste à temps pour éviter une boule de feu, elle ne chercha pas à savoir qui l’avait envoyé et repartit à toutes jambes. Rapidement, elle ressentit le besoin d’apaiser sa douleur comme elle devait régulièrement le faire depuis un certain temps avec la pierre. Elle la sortit sans même ralentir mais elle était vide, d’un noir total et désespérant. Elle pesta tandis que son épaule la lançait de plus en plus douloureusement.
Mirana, Darek et Bjorn étaient loin devant et les autres, loin derrière ou pire… Elle continua tout de même, désireuse de mettre la plus grande distance possible entre les démons et elle. Etrange paradoxe pour une warlock. Elle s’arrêta hors d’haleine et ses jambes se dérobèrent sous l’effet du poison. Elle tomba à genou, le front perlé de sueur. Elle se permit quelques minutes de repos. Quelle différence que les démons la rattrapent ici ou cent mètres plus loin ?

Quel corps faible ! Elle ragea contre elle-même. Enfin sentant les battements de son cœur ralentirent, elle se releva, tremblante. Elle devait retrouver Mirana au plus vite… La présence des démons derrière elle devint de plus en plus évidente. Elle ouvrit sa perception dans ce sens et put les « voir ». Les énergies étaient celles de deux chiens de l’enfer et d’autre chose qu’elle n’arrivait pas à définir, devant elle, un démon toujours mais d’une sorte qu’elle ne reconnut pas et qui avait du surgir d’un des nombreux tunnels adjacents… Il avait de grandes cornes sur la tête et des ailes noires dans le dos… Sa puissance était immense presque terrible ! L’image commença à se brouiller malgré ses efforts puis disparut sous l’effet d’une nouvelle vague de douleur.
Ce qu’elle soupçonnait depuis un certain temps devait être exact… Un Seigneur noir avait du élire domicile avec sa suite dans ses souterrains et il arrivait par ici ! Et les autres ? Avait-il croisé sa route ? Une pointe d’angoisse l’assaillit.
Daeria attendit. C’était la seule chose à faire, elle fit un pari intérieur sur qui la rejoindrait en premier et espéra que cela soit les chiens. Elle mit ce peu de temps à profit pour relaxer son esprit, détendre ses perceptions et régénérer son mana. Un grognement retentit non loin et elle rouvrit des yeux rouges. Les chiens de l’enfer eurent un moment d’hésitation. Elle profita de l’occasion et écarta les bras largement en faisant déferler la puissance entre ses mains, deux flammes s’y matérialisèrent.


Surgissant de nul part, une pluie de feu tomba sur les deux démons, l’un d’eux fut gravement touché par un roc incandescent mais l’autre esquiva. Avant qu’il ait pu approcher, elle matérialisa une sphère sombre entre ses mains et acheva le blessé. Un lutin eut le malheur de faire son apparition à ce moment et elle s’empara de son esprit simple, détruisant la moindre parcelle pensante, l’obligeant à attaquer l’autre chien démon. Le corps à corps fut désespérément cours et le lutin se retrouva empalé sur l’une des lames osseuses.
Son corps tremblait de plus en plus et elle en comprit soudain la raison. Elle demandait trop à son corps, supporter la tension du pouvoir qui grandissait à mesure qu’elle invoquait en puissance et faire des sprints entre deux combats à tout va était de trop… Pour économiser ses forces, elle s’agenouilla tandis que le deuxième chien se retournait vers elle. Daeria tendit son esprit jusqu’à en effleurer celui du démon, il frémit de colère et se rua sur elle. La warlock brisa ses dernières défenses et déversa sa volonté dans l’esprit du chien-démon. De la sueur perla sur ses tempes sous la tension qu’imposait un exercice aussi complexe. Les sensations animales étaient aussi présentes que le pouvoir démoniaque. Elle fut presque submergée à son tour par ces instincts mais se reprit de justesse. Le chien ralentit progressivement sa course jusqu’à enfin s’arrêter. Elle sentit son souffle brûlant et nauséabond sur son visage. Par deux fois, elle crut perdre le contrôle mais les tentatives du démon se brisèrent contre sa volonté pour l’instant supérieure.
- Recule, murmura-t-elle. Il ne bougea pas. Elle déglutit avec peine. Recule !Cette fois-ci, son ordre fut exécuté immédiatement et la bête recula en grognant sourdement.
- Quelle idée de se donner tant de peine ! Dit une voix grave et moqueuse à la fois. Une voix de démon. Elle frémit, elle l’avait complètement oublié. Sensible à cela, la sorcière perçut une concentration inhabituelle d’énergie sombre derrière elle et s’écarta précipitamment, son contrôle sur la bête se brisa. Une sphère ténébreuse fusa, terrassant le chien du chaos d’un coup. L’air vibra encore un moment sous l’effet du déferlement de puissance.
Elle tourna son regard vers ce nouveau venu, déjà dans ses mains, se concentrait le feu démoniaque. La lueur succincte de la torche jetée au sol révéla un démon immense, portant de grandes ailes noires dans le dos avec les deux cornes partant de son front et se recourbant vers le haut aussi sombres que le reste de son corps. Elle distinguait à peine les traits de son visage mais il eut un sourire en voyant son immolation.
- Une warlock ! Il éclata de rire en jaugeant la faiblesse des flammes dans sa paume.
La douleur lointaine de son épaule revint dans une rafale et lui fit plisser les yeux. La lueur rouge y apparut de nouveau.
- Vous agissez bien étrangement… Il serait stupide de tenter quelque chose contre moi, observa-t-il.
Il leva une main dans laquelle se concentra une sphère lumineuse bleutée. La brûlure de mana fusa et prise de vitesse par son manque d’expérience, la sorcière ne bougea pas. Le souffle bleuté s’enroula autour de ses bras et son énergie magique se consuma comme flamme, lui laissant une cruelle brûlure. Le choc la fit chanceler. Ses mains et ses avant-bras avaient brûlé à cause des énergies. Maudit corps ! Pensa-t-elle. Le sang coulait et des cloques se formaient. Daeria ressentit une colère sourde battre à ses tempes.
- Lâche, cracha-t-elle, depuis combien de temps te terres-tu dans ce trou ? Elle leva la main droite, le gant de cuir parut briller dans la lueur dorée de la torche.
Le drain de mana frappa de plein fouet le démon, faisait affluer la précieuse énergie qui manquait de lui faire défaut entre ses mains. Elle la laissa se répandre dans chacun de ses membres. Le démon ne sembla pas en souffrir, c’est tout juste si son sourire se crispa quelque peu.
Il lança une deuxième brûlure de mana. La douleur lui déchira le corps, lui arrachant un hoquet. Sur ses bras, les brûlures s’étaient aggravés et étendues. Elle s’effondra au sol, recroquevillée. Des longues mèches noires tombaient autour de son visage et son corps était secoué de tremblements qu’elle ne parvenait pas à contrôler.
- Maintenant, part d’ici, dit-il calmement. Il ne parlait pas la langue noire. Pourquoi ne l'avait-il pas encore tué ? La question resta en suspens…
La douleur et la colère se mélangeaient dans son âme et brisaient les entraves de pouvoirs. Si seulement elle pouvait faire abstraction de la douleur, elle pourrait l’utiliser mais plus encore, elle voulait le faire souffrir, elle n’avait plus ressenti cette impression depuis fort longtemps. Depuis… Daeria ferma un instant les yeux et ôta le gant à sa main droite. Sa peau était blanche et le symbole noir brilla faiblement sur sa peau. Elle tendit la main devant elle, tremblant sous l’effort. Bientôt, elle le savait, son corps se serait habitué à la tension mais il fallait d’abord survivre…
- C’est ça ! Et laisser mes amis se faire tailler en pièce. Je t’empêcherais de les retrouver ! Mange-vie !
Les mots de pouvoir résonnèrent comme le tonnerre sur la voûte au-dessus d’elle. Un autre drain frappa, plus puissant que le précédant, dévorant la vie de la victime. Le flux plia en deux le démon et un râle sortit de sa gorge. En plus de l’affaiblir, le drain devait lui causer une douleur effroyable… Et pour la première fois, Daeria n’en retint pas les effets dévastateurs, laissant l’énergie du démon irriguer son corps blessé. Sur son bras tendu, elle voyait les brûlures se cicatriser à vue d’œil tandis que la douleur, enfin, baissait.


L’énergie implosa sans prévenir autour du démon, un souffle puissant la projeta en arrière. Elle roula sur le sol mais se releva en formant dans sa paume une sphère d’énergie. Les vapeurs de soufre et la fumée se dissipèrent, laissant entrevoir l’éclat de l’acier.
Un elfe se trouvait à présent devant elle. Des tatouages symboliques noirs ornaient son torse nu et musclé, ainsi que ses bras, ses cheveux noirs étaient tirés en arrière et noués en une queue de cheval par un lacet de cuir, il portait un bandeau noir sur les yeux. Dans chacune de ses mains, ils tenaient les doubles-lames caractéristiques de son ordre.
Daeria se détendit de manière surprenante en voyant qu’il ne s’agissait « que » d’un chasseur de démons, un de ces misérables elfes traquant toute forme de pouvoir qui n’était pas sous leur contrôle ! Elle était maintenant assurée que ses amis étaient encore en vie puisque l’elfe n’avait aucune raison de s’en prendre à eux. Pour elle par contre…
- Il est rare que je provoque du soulagement chez mes adversaires, commenta le chasseur de démon. Il ne restait plus qu’à les retrouver mais il ne la laisserait plus passer à présent.
Elle ferma les yeux et évalua ses réserves d’énergie. Elle n’avait suffisamment pour lancer plusieurs attaques mais en aurait-elle le temps ? Elle se sentait encore trop faible même après les deux drains. Et contre un chasseur de démon ? ! C’était presque absurde… mais avec un peu de chance, elle pourrait se maintenir suffisamment longtemps pour permettre à ses amis de la rejoindre et tout s’arrangerait… Un profond dégoût la submergea à la seule pensée qu’un chasseur de démon soit en face d’elle. Elle écarta cette idée, un sifflement de lame résonna à ses oreilles mais elle refusa de se laisser déconcentrer. Son mana se répandit à toute allure dans chaque parcelle de son être. Du bout de ses doigts jusqu’à la pointe de ses pieds. Les flammes vertes basculèrent dans la réalité et le bouclier de feu, l’immolation jaillit. Le chasseur de démon avait interrompu son attaque pour se mettre hors de portée des flammes démoniaque. Daeria lança des sphères de ténèbres mais il les évita avec une agilité monstrueuse. La dernière allait atteindre son but mais il la pulvérisa d’un coup de lame.
Il sembla hésiter de nouveau devant le bouclier ardent qui émanait de chaque centimètre d’elle. Daeria se demanda fugitivement ce qu’il attendait mais soudain, elle perçut à son tour ce que le rugissement du feu lui avait caché. Des pas, une course derrière elle.
- Daeria ! Cria Mirana dont elle reconnut la voix. Elle courrait dans sa direction,
Elle était seule. La warlock reporta son attention sur l’elfe de la nuit qu’elle ne voulait pas perdre de vue trop longtemps. Il se tenait en garde, restant à distance respectable pour le moment. Mirana ne s’arrêtait pas comme elle aurait du le faire, approchant encore et toujours pour être devant. Daeria se retourna brusquement pour lui faire signe de stopper, elle ne devait pas venir trop près ! Les flammes allaient la brûler ! Au même moment, du coin de l’œil, elle vit le bond prodigieux du chasseur de démon qui pointait vers elle ses deux doubles-lames. Elle ne réussit pas à réfléchir aussi froidement qu’il l’aurait fallu et son choix se ramena à deux possibilités : le chasseur de démon ou Mirana ? Elle ferma les yeux et dissipa le bouclier de feu. Daeria fit de nouveau face au chasseur de démon, Mirana juste derrière elle lui agrippa l’épaule et la tira en arrière puis cessa en apercevant l’attaque. Trop tard, elle n’avait même plus le temps de lancer une boule de feu…

- C’était une erreur, cria l’elfe en abattant ses lames.
Mirana recula précipitamment, suffisamment loin ou presque. A nouveau, le bouclier de feu explosa et les deux lames tintèrent violemment contre celui-ci, c’était tout juste. Mais présentant cela, le chasseur de démon avait déclenché une immolation à son tour. Le choc des protections projeta violemment la sorcière en arrière contre une paroi où sa nuque se heurta violemment. Daeria s’affala sur le sol, la pierre était froide et sentait l’humidité. La douleur lui vrilla le crâne et lorsqu’il y passa la main, du sang coulait. Elle leva difficilement les yeux, apercevant vaguement l’elfe de la nuit se relevant d’un bond, à peine secoué par cette opposition.
Elle voulut se lever à son tour mais elle en fut incapable, c’est tout juste si elle réussit à se mettre assise. Sa tête bourdonna doucement et elle regarda, impuissante le chasseur de démon se rapprocher, l’éclat de ses lames brilla de nouveau sinistrement.
- Je vous l’interdis ! Cria Mirana en lançant sa lumière divine.
Le chasseur de démon se permit en sourire quand le rayon le toucha car il ne sentait rien…
- Pourquoi vous intéresser au sort d’une sorcière, jeune prêtresse ? Vous ne pouvez rien m’interdire… Vous avez beaucoup de chose à apprendre, par exemple que je suis totalement insensible à votre magie comme mes paires et qu’il n’y a guères que les éléments et les pouvoirs sombres qui puissent m’atteindre.Mirana grimaça, ses attaques avaient toutes parfaitement fonctionnées auparavant et elle ne voulait pas que cela change !
Elle joignit ses mains et murmura une prière rapide qui se solda par l’apparition d’une sphère lumineuse et très concentrée entre ses paumes, l’attaque fusa. Le chasseur de démon interposa une de ses lames et cela resta sans effet. Il était à présent à moins d’un mètre de la warlock.
- Encore une erreur, dit-il, si vous aviez lancé un sort de soin à votre « amie », elle serait debout.Il soupira et planta ses deux lames dans le sol avant de s’agenouiller près de la jeune fille. Il l’observa attentivement de ses yeux aveugles qui percevait toute forme d’énergie, ne trouvant pas les signes habituels des warlocks dévoués à la cause de la Légion. Lui-aussi avait fait une erreur après tout en la prenant pour une gardienne des lieux.
Un grognement le fit pivoter et il récupéra ses deux lames si rapidement que ses gestes avaient été flous. Un moins de temps encore, il fut debout et se campa face aux deux chiens démons qui surgirent du passage. Tranchant d’une main alors que de l’autre, il bloquait les deux lames osseuses fusant vers lui, il décapita la première bête. Il fit une petite erreur de jugement et le second, arrivant plus vite que prévu lui entailla légèrement la peau. Il tourna sur lui-même en tendant ses lames à l’horizontale et l’expédia.
Le cadavre s’écroula au sol et Mirana regarda avec un air appréciateur le travail.
- Pas mal, dit-elle avec un sourire de connaisseur.
Le groupe dispersé arriva à ce moment là, Darek se heurtant presque à l’elfe pour rejoindre Mirana avec un sourire radieux et un « tu n’es pas blessée ? » charmant. Les deux nains et le mage surgirent à leur tour et se regroupèrent instinctivement en voyant l’intrus. Raul s’écarta sans quitter des yeux le chasseur de démon et releva Daeria. Il lui chuchota un encouragement et la ramena vers les autres, la soutenant presque complètement car à demi-assommée.
- Mais que s’est-il donc passé ici ? Interrogea rapidement Horn en regardant autant Mirana et Daeria encore sonnée, que l’elfe.
- C’est simple, une petite erreur de ma part, s’excusa le chasseur de démon, je croyais avoir à faire avec une gardienne des souterrains mais votre arrivée confirme le contraire. Il ne semblait pourtant pas du tout embarrassé par sa « petite erreur ». Le guerrier se tourna vers la prêtresse pour avoir une confirmation.
- C’est exact, répondit Mirana, nous ferions bien de nous écarter, les chiens démon pullulent ici. Le chasseur de démon se racla la gorge alors que des murmures d’approbation fusaient.
- C’est une évidence… Quittez immédiatement ses souterrains !Ils le regardèrent comme s’il était devenu fou et ce fut Tuwar qui trouva le courage de lui répondre.
- Cela ne se peut, lança celui-ci, nous cherchons un joyau et nous avons ordre de le ramener, un nain erre perdu dans ses couloirs, nous devons le retrouver !
- Ce n’est pas suffisant, ce lieu grouille de démon qui seront de plus en plus puissants plus vous vous enfoncerez dans ses souterrains.
- Qui êtes-vous pour nous donner ses ordres ?Demanda Darek avec une lueur de défit dans les yeux.
- Je suis un chasseur de démon, Halendor Delfire… Si tu préfères, je suis quelqu’un qui pourrait te mettre une raclée avec une main dans le dos et sans arme ! Le visage du voleur vira au cramoisi. Sans plus s’intéresser à Darek, l’elfe se tourna de nouveau vers Horn. Et mon objectif du moment de débarrasser ces souterrains de la vermine. Vous n’avez en aucun cas votre place ici et votre nain doit-être mort à l’heure qu’il est.
Le voleur ouvrit la bouche pour répliquer mais Horn lui donna un coup de coude.
- Et pourquoi ne pas travailler ensemble ? Le chasseur de démon se montra dubitatif mais attendit qu’il poursuive. Je vous propose ceci, vous nous aider à trouver le joyau et le nain et en échange de quoi nous nettoyons avec vous les souterrains. A plusieurs, cela prendra moins de temps.
Un sourire moqueur se dessina sur le visage du chasseur de démon. Les yeux de Daeria s’agrandirent et elle chuchota quelque mot à l’oreille de Raul, incapable pour le moment d’émettre un son plus puissant. Le mage écouta attentivement sans savoir que l’elfe entendait parfaitement ce qui se disait.
- Il y a en effet un Seigneur démon ici, au moins aussi puissant que moi, dit-il en s’inclinant la tête vers la warlock qui ne put s’empêcher de froncer les sourcils mais Daeria décida de prendre sur elle pour le moment. Ensuite, je vous signalerais juste que des lutins ridicules et des chiens de l’enfer vous font déjà un sérieux obstacle. Il existe aussi des infernaux, des gardes noirs, peut-être même des succubes et enfin l’apothéose, ce seigneur-démon, probablement pas un maître de l’effroi mais tout de même…
Les membres du groupe se regardèrent avec hésitation, la plupart d’entre eux ne savaient pas vraiment ce de quoi il parlait. Ils se tournèrent vers Daeria.
- Qu’est-ce qu’un infernal ? Demanda Darek avec impatience. La warlock le regarda avec des yeux immenses.
- C’est un membre de la garde du corps des seigneurs de l’épouvante ou des plus puissants warlocks, une entité venue du néant, l’élite des serviteurs démons. Ce sont des golems de feu infernal, animé par une volonté propre et démoniaque. Ils ne craignent ni la magie, ni les projectiles et des flammes corrosives, une immolation terriblement puissante et inépuisable les protège de la plupart des attaques physiques. Un infernal…(elle marqua une pause et reprit dans un souffle) est beaucoup plus fort que nous.
- Et bien, nous nous enfuirons dans le cas hypothétique où nous en croiserions un…ironisa Darek.
- Vous ne connaissez pas les risque. Retournez, trancha le chasseur de démon, s’enfoncer plus avant signifierait la mort.
Ces paroles refroidirent quelque peu l’ardeur des membres et sans plus amples explications, il fit demi-tour et disparut dans l’ombre d’un couloir.
et hop un 'tit up... ca faisait longtemps non ?


Ils se permirent quelques minutes de repos durant lesquelles Mirana soigna les blessures du groupe avec virtuosité, élégance et rapidité.
- Je suis d’avis de continuer, dit-elle finalement. En restant dans le sillage des lames de cet elfe, nous ne courrons plus beaucoup de risque et cela nous permettra de retrouver le nain et ce joyau.
- Moi de même, répondit le voleur, cet elfe ne sait pas de quoi nous sommes capables… Il avait craché ses mots avec une hargne surprenante à l’égard d’un être qui essayait d’épargner leurs vies.
Raul se montra plus nuancé, peu désireux de rencontrer un infernal…
- Si tu te dégonfle, soupira Mirana. Le mage sentit son sang bouillonner et marmonna une réponse, un vague « pas du tout » suivi d’un « je viens » Le chasseur et le guerrier nains étaient d’attaque à condition de ne pas prendre de risques inutiles, ils devraient éviter les coins dangereux et lorsque Bjorn fit remarquer qu’il fallait encore pouvoir savoir où se trouvaient les démons, tous les regards se tournèrent à nouveau vers Daeria.
- Je… je ne… je ne suis pas sûr de…bafouilla-t-elle, suivre le chasseur de démon sera de la folie, il va se diriger droit sur le cœur des souterrains…
- C’est entendu ! Dit Mirana, on y va ?
Elle sembla remarquer à cet instant le piteux état de Daeria avec un geste nonchalant, la soigna. Et ils partirent.

Ils se passa de nouveau deux longues heures durant lesquelles ils ne rencontrèrent qu’un chien démon et une dizaine de lutin égaré. Daeria sondait les alentours et ils évitèrent ainsi une meute de bête et deux gardes corrompus en faction devant une porte mais elle seule le savait.
Elle ne sentit qu’au dernier moment venir la seconde meute, ils ne virent tout d’abord que des yeux jaunes, luisants dans les ténèbres, des dizaines qui les fixaient. Puis, les premiers avancèrent sous la conduite d’un chef de meute puissant à la peau bleutée. Ses pairs les encerclèrent comme le feu.
- En cercle, ne les laisser pas dans votre dos, rugit le guerrier en écartant une bête près de Tuwar. Le jeune nain brandit courageusement sa pioche malgré la terreur qui se lisait dans ses yeux. La chaleur avait anormalement monté depuis quelques minutes et ils surent que le cœur des souterrains n’était pas si loin.
Beaucoup plus prudent depuis quelque temps, Horn défendait les magiciens derrière lui en usant de toute sa virtuosité pour trancher dans les chairs des démons. Mais ceux-ci étaient terriblement rapides. Raul cria un avertissement et tous reculèrent alors qu’il se portait au devant des adversaires à peine moins nombreux qu’auparavant. Ils écarta les bras et pour la première fois depuis le début de cette aventure, déploya son pouvoir. Ses yeux se mirent à étinceler, ses prunelles d’or devinrent d’une luminosité insoutenable, lui donnant l’air d’un dément et dans ses paumes, des flammes rougeoyante s’élevaient dans l’air, tourbillonnant autour de lui en colonne de feu de plus en plus dense.
Enfin, au bord de l’explosion, les flammes jaillirent vers les démons. Des cris de rages et de douleur s’élevèrent alors que le feu dévorait les chairs. Une fumée opaque et blanche qui piquait les yeux se dissipa pour révéler les mêmes bêtes qui tournaient autour d’eux, la chair quelque peu brûlée.
- Quoi ? ! S’exclama Raul, ils devraient être morts !
- Les démons vivent dans un monde de feu, souffla la sorcière en concentrant une sphère de ténèbres dans sa main, ils ne craignent véritablement que la lumière.L’attaque fusa vers le chef de meute qui esquiva d’une roulade. Si lui on l’abat, les autres seront moins puissants…
Ils se mirent en garde contre le mur pour ne pas avoir à se défendre de tous les côtés, les démons étaient tout autour d’eux, grognèrent férocement. Dans un rugissement, le meneur lança l’ordre d’attaque.
Une nova divine frappa le centre du bloc d’attaque tandis que de part et d’autre, des pierres de feu infernal tombaient sur les bêtes. Raul, jouant sa dernière carte, lança des novas de glace pour ralentir la charge. Les dégâts des sorts furent terribles mais les démons étaient trop résistants pour y succomber et ce furent Horn et Darek qui reçurent le plus gros. Un peu sur le côté, Bjorn taillait dans le tas en évitant les lame osseuses acérées tandis que Tuwar, les mains serrées contre le manche de bois de sa pioche faisait le vide autour de lui par de grands arcs de cercle déséquilibrés. Les magiciens ne s’arrêtèrent pas là. D’un coup d’œil, d’un seul, un courant passa et Raul agrippant l’épaule de Daeria, les téléporta sur trois mètres au centre de la meute, puis aussi vite qu’il était arrivé, il repartit seul tandis que le bouclier de flammes se déployait en rugissant. Le feu démoniaque eut un effet immédiat et les bêtes reculèrent loin de son champ d’action car ses flammes là les brûlaient plus que les fouets de leur maître.

Avec un cri de guerre, Horn lança sa première hache sur le chef de meute qui bloqué par ses pairs ne put l’éviter. Le fer pénétra profondément dans sa chair, plongeant dans son épaule jusqu’au manche. Le guerrier tira de justesse sa deuxième arme et para son adversaire suivant. L’énorme bête du Chaos s’affala dans un râle après avoir titubé sur quelques mètres vers son bourreau, le regard injecté de haine.
Par trois fois, les bêtes restantes les chargèrent mais par trois fois, les combattants les repoussèrent. Dans les brefs moment de répit, Mirana se voyait contrainte de lancer des régénérations qui sauvèrent l’issue de l’affrontement. La prêtresse, entourée de Daeria et Raul, se battait avec la force divine. Les rayons de lumière frappaient autour d’elle, protégeant et attaquant à la fois et quand l’occasion s’en présentait, elle provoquait la douleur. L’effet était radical, les monstres ralentissaient.
Bjorn acheva le dernier d’un revers de dague. Les cadavres des dix démons s’entassaient. Tuwar s’effondra hors d’haleine contre une paroi et lâcha son arme de fortune en fixant avec répulsion le cadavre où la pique était enfoncé au niveau de l’œil.
- Et maintenant, dit Raul en compressant une plaie à l’avant bras. Il faut faire demi-tour…
- Et renoncer à la pierre ? Répliqua Mirana.
- Oui, renoncer à tout mais garder la vie,souffla le mage.
- Encore faudrait-il pouvoir remonter,dit Horn d’un ton lugubre. Il pointa l’espace derrière eux, sa main trembla et dans ses yeux, une lueur de terreur s’alluma. Tous se tournèrent d’un bloc. Immense, une épée de bataille large comme deux mains, la peau bleuit, le regard de braise, le démon les regardait. Son armure noire, éparse et dépareillée luisait à la lueur des torches jetées à terre. Ils se figèrent. Le démon tira un sourire ignoble et leva une main griffue. Il concentra le feu démoniaque. La terreur s’insinua dans leurs cœurs.
- Un baron ! Courez ! Cria Daeria. La parade s’imposa d’elle-même d’autant plus que son endurance atteignait ses limites. Mange-vie !
Le drain frappa, dissipant momentanément l’attaque tandis que ces compagnons partaient dans la direction opposée. Pourtant, Daeria n’avait pas prévu un déferlement si soudain d’énergie vers elle, ce démon possédait des réserves énormes en lui, son corps ne pouvait en supporter la tension plus longtemps et elle interrompit le drain quelques secondes plus tard et voulut faire demi-tour à la suite de Raul mais ses jambes se tétanisèrent sous l’effet d’une puissance formidable. Ses genoux tremblèrent et bientôt, tout son corps fut enfermé dans un étau. Elle ouvrit la bouche et un râle en sortit ainsi qu’un filet de sang. Des gouttes tombèrent sur le sol que la terre humide ne but pas immédiatement. La douleur était atroce. Le démon ricana, son rire grave tranchant l’air. De longues secondes s’écoulèrent sans qu’elle ne parvienne à résister. Des larmes de douleur commencèrent à couler sur ses joues. Puis, peu à peu, la warlock repoussa la volonté du baron et put retrouver un peu le contrôle de son corps. Elle releva la tête dardant un regard rouge et assassin sur le démon.
- Par le sang du Maître ! Rugit le démon en langue démoniaque, je t’interdis de me regarder ainsi, misérable mortelle !
Une onde de choc l’envoya rouler au sol. L’étau se sera plus fort, autour de sa gorge cette fois et ses yeux commencèrent à se voiler. Dans un sursaut, elle leva une main et lança un nouveau drain. Le démon recula d’un pas, accusant formidablement le coup et son pouvoir se relâcha de nouveau. Elle enchaîna avec l’énergie du désespoir par une boule de feu mais celle-ci se dissipa contre la peau épaisse du baron. Elle déglutit difficilement. Daeria ouvrit ses sens pour capter la présence d’un autre être qui pourrait lui servir de bouclier mais elle ne tomba que sur un chien du chaos isolé et blessé par elle ne savait quoi. C’était toujours mieux que rien.
Avec une rapidité dont elle ne se serait pas crue capable, la peur aidant, elle s’empara de l’esprit de la bête et le ramena vers elle. Le chien du chaos surgit derrière le démon et bondit sur son épaule. Sous le coup de la surprise, l’autre perdit sa concentration. La warlock fut déséquilibrée par la reprise de contrôle. Le baron venait d’attraper la bête par une lame et le souleva d’une main en brandissant son épée de l’autre. Vite, vite… Elle se remit sur ses jambes et ordonna en dernier recours une brûlure de mana avant de se mettre à courir dans la direction opposée. Un rugissement lui apprit la mort du chien démon qui fit échos à une rupture dans son esprit. Elle accéléra et pendant encore cinq bonnes minutes, courut à en perdre haleine, pas assez vite pourtant. Un lutin voulut lui barrer la route mais elle lui expédia une boule de feu.
« A droite ! » Elle ne sut pas d’où venait la voix qui résonna doucement dans son esprit, chaleureuse et insistante, la sorcière ne se posa pas de question et bifurqua à droite dans le premier tunnel. Dans son dos, le baron suivait sa trace et gagnait du terrain.
D’un couloir parallèle, la voix de Raul l’interpella et elle pila sur place en apercevant sa silhouette.
- Viens !Un souffle chaud précéda l’arrivée du baron, des flammes de rage sortaient de ses yeux et il brandit une lame noircit de sang. Elle se demanda fugitivement s’il ne valait pas mieux l’entraîner loin mais cette idée serait à n’en point douter très stupide.
- Dépêche-toi, Daeria !
Cette fois, la peur l’emporta mais le démon était sur elle et leva son épée. Elle murmura au dernier moment les mots. Une forme fantomatique s’enroula autour de la lame du démon et elle ralentit, ralentit, ralentit, manquant Daeria de justesse. Elle lui envoya une boule de feu en pleine face mais cela n’eut pas plus d’effet que la première fois si ce n’est qu’il fut aveuglé un instant. Un nouvel appel de Raul et elle se précipita vers lui. Elle croisa fugitivement l’éclat de l’acier, une ombre trop rapide pour être saisie et soudain, derrière elle, il y eut un hurlement terrible. Elle voulut se retourner mais le mage, le visage crispé par la tension la tira derrière un angle de mur puis à travers un long couloir totalement vide. Elle se serait attendue à une sorte d’embuscade mais il n’y avait personne. Les flammes de la torche grésillèrent avant de s’éteindre. Un instant, les ténèbres les surprirent. Raul la jeta en formant une boule de feu au bout de ses doigts.
- Raul ! Qu’est-ce que… ?
Il ne répondit pas et l’entraîna toujours plus loin à travers les souterrains. Ils s’arrêta finalement dans une sorte de salle vide si on excluait les cadavres de démon et une chaise branlante. Les autres étaient là. Leurs visages affichèrent une expression soulagée un instant avant qu’un chien du chaos ne surgissent d’un passage annexe. Il fut décapité par la hache de Horn précédé de peu par un rayon de Mirana.
- Maintenant, repose-toi, trancha Raul en la poussant dans un coin relativement à l’abri. Il partit prêter main forte aux autres. Quelques minutes plus tard, elle comprit enfin ce qui s’était passé.
- Alors ? On va encore l’attendre longtemps la peau bleue ?Grogna le voleur.
- Aussi longtemps que cela sera nécessaire, coupa Horn, cet elfe nous a sauvé la vie !
- Mouais… pas la mienne en tous cas. Il jeta vers Daeria un regard glacial puis son visage se durcit soudainement. A quelques pas derrière la warlock, le chasseur de démon apparut, un bras pendant le long de son corps. Daeria tira une grimace devant l’aspect peu engageant qu’il offrait : ses bras étaient roussis, la peau noircie de cendre et sous ses côtes gauches, un hématome énorme apparaissait déjà.
- Un problème, maître voleur ? Demanda doucement le chasseur de démon.
Darek se força à afficher une expression composée mais ne répondit pas car le ton était menaçant. Pour mettre fin à la situation, Horn posa la question qui lui brûlait les lèvres.
- Alors ?
Halendor ricana et le nain se força à la patience.
- Alors, puisque je suis ici et vous en vie, je dirai que je l’ai tué, tout simplement.
- Maître elfe, soupira Bjorn, vous n’êtes pas très conciliant.
- Je ne suis pas là pour cela, mon travail ici est de tuer, pas de protéger une bande de… (il hésita sur le terme)d’aventuriers débutants.
- Nous ne pouvons plus retourner, observa le chasseur, la sortie nous est bloquée, soit nous tuons les démons, soit nous mourons, c’est aussi simple que cela.
- Vous pouvez aussi vous cacher dans un coin et attendre que je revienne vous cherchez… Dans le cas hypothétique où un démon vous retrouverez, courez en laissant derrière vous vos compagnons, cela sera plus sûr.Il tira un sourire à l’attention manifeste du voleur qui serra les poings.
- Et maintenant,demanda Mirana, je pourrais peut-être vous soigner, non ?
- Vous n’apprenez pas vite, répondit l’elfe sans pitié, les pouvoirs divins n’ont aucun effet, en bien ou en mal, ils ne peuvent rien sur moi. Mirana tiqua quelque peu. Néanmoins, une potion ou autre serait la bienvenue.
Après avoir farfouiller dans son paquetage, Horn sortit une petite fiole translucide remplie d’un épais liquide verdâtre.
- C’est efficace mais terriblement écœurant, prévint Bjorn, c’est moi qui les fabrique. Le chasseur de démon la vida d’un trait, grimaça puis avala le mélange. L’effet fut radical et il retrouva non seulement l’usage de son bras mais les autres lésions cicatrisèrent progressivement.
Le silence flotta dans l’air pendant une dizaine de seconde, tous fixaient le visage aveugle d’Halendor dans l’attente d’une parole car l’évidence était là : ils étaient perdus, épuisés et bientôt à cours de torches comme le fit remarquer Darek non sans une pointe d’inquiétude.
Le chasseur de démon les dévisagea lentement chacun à leur tour, jaugeant de leur capacité. Il soupira, cela ne servirait à rien de faire demi-tour au vu du chemin qu’ils leur restaient à parcourir et des démons qui se rassemblaient derrière eux. Humains, gnomes et nains étaient les alliés de sa race, il ne pouvait les abandonner ici même si l’envie le tiraillait par soucis diplomatique. Quant à la warlock… à peine plus dangereuse qu’un lutin pour lui ! Non… il n’y avait qu’une solution bien qu’il n’en soit sûrement pas ravi…


Ils marchèrent sous la conduite d’Halendor pendant encore une bonne dizaine de minutes sans plus croiser que des cadavres car comme il le leur expliqua, il avait déjà nettoyé cette partie mais cela n’empêcha pas qu’ils rencontrent des chiens démons. Il n’y avait plus aucune trace de lutins et autres créatures hurlantes ce dont ils conclurent que d’autres choses plus sérieuses devaient hanter les lieux.
Mirana avait les yeux fixé sur le chasseur de démon, dans son dos nu, des muscles d’acier roulaient au rythme de ses pas mais son allure générale était mince et élancée. C’était un regard beaucoup moins stupide que portait Daeria sur lui, froid et noir. Et dans son esprit, elle se contraignit à la patience, au contrôle… Elle devait le tuer ou mourir en essayant, c’était son devoir, qu’elle accomplirait... Mais pas maintenant, il était la seule chance pour ses compagnons de sortir vivants d’ici.
- Ne vous éloigner jamais de moi, dit le chasseur de démon, mais ne rester jamais trop près quand même, j’ai besoin d’espace pour user mes pouvoirs.
Ils hochèrent la tête et enfin, après encore quelques minutes, le premier obstacle sérieux se présenta. Un deuxième baron était devant eux, bloquant à lui tout seul l’espace du couloir. Derrière lui, ils virent fugitivement une porte défoncée qui donnait sur une salle obscure.
- Parfait, jubila Halendor, la salle principale est juste derrière lui. Bientôt, le Seigneur noir nous ouvrira sa porte. Un soupçon de folie perça dans sa voix et il avança seul au devant du baron en leur signifiant bien de rester loin derrière ne serrait-ce que pour s’occuper des nouveaux arrivants : deux gardes corrompus.
En un éclair, un violent corps à corps s’était engagé entre l’elfe et le baron. La lourde épée du démon frappait comme la foudre mais ne touchait que le sol tant l’agilité de l’elfe était surprenante ou rencontrait le barrage des doubles-lames. Rapidement des entailles innombrables zébrèrent sa peau bleue et des filets noirs coulèrent des plaies sans qu’il puisse encore parvenir à toucher Halendor.

Les gardes corrompus se trouvaient confronté eux à un autre problème et non des moindres : Mirana. La prêtresse se déchaînait et ses deux adversaires étaient littéralement brûlés par la lumière. Les rayons du soleil leur rongeaient la chair, ôtant par la mort la corruption dans leurs veines, et Mirana prenait presque un malin plaisir à faire durer leur agonie… Leurs cris de douleur résonnait sur la voûte des souterrains et à présent, ils se tordaient presque sur le sol, le rouge de leur peau devenait noir charbon, ils allaient bientôt finir en cendre ; cela finit par détourner l’attention des combattants. Pendant une seconde, ils contemplèrent la scène, muets. Autour d’eux, les autres membres de groupe restaient aussi immobiles, impressionnés. Daeria à l’inverse, regardait la scène horrifiée, chaque parcelle de son être imaginait la souffrance. Elle voulut soudain intervenir, sentant une bouffée de haine exploser dans son âme à la vue de ce spectacle odieux.
Une ombre noire passa à côté d’elle, le baron en deux enjambées atteignit Mirana et leva son épée. Elle ne songea même pas à esquisser un geste et un léger sourire étira un coin de sa bouche. Le chasseur de démon arriva une seconde avant le pire et interposant une lame, il bloqua l’attaque. Le visage radieux, Mirana lui fit un clin d’œil avant de se concentrer à nouveau sur les gardes sans plus se préoccuper de l’affrontement à deux pas d’elle.


Les cris des démons en avaient attiré d’autres et dans une panique certaine, déboucha une meute. Aussitôt, Horn reconnut à leur suite avec un frisson d’effroi le chef de meute immense qui l’avait éventré. Ce fut lui aussi qui aperçut en premier leur deuxième problème, un warlock, un vrai warlock. L’homme semblait être un magicien tout à fait normal avec son aube bleue et son sceptre de cristal mais en quelques secondes, son aura de ténèbres envahit l’espace et il envoya une dizaine de sphères ténébreuses contre eux. Ils étaient cernés.
Le noir total, pur, parfait envahit l’espace, les torches avaient été soufflées par une onde de choc. Il y eut d’abord les yeux luisant des chiens démons autour d’eux. Les éclairs de puissance se dégageant du combat à mort au centre, les sifflements de lame, les tintements de l’acier ; et devant eux, des pupilles rouges, étincelantes comme des rubis gorgés de pouvoirs. Il y eut un nouveau sifflement suivit d’un cri de douleur. Une silhouette étalée au sol apparut dans les ténèbres, luisant faiblement d’un aspect verdâtre. Les veines du cou, des poignets, des mains et du visage étaient horriblement fluorescentes, ressortant de manière hideuse. Une flammèche verte courut sur les bras et le corps entier s’embrasa. Les flammes rugirent dans l’espace, illuminant d’une lueur inquiétante l’espace et révélant la personne. Le sorcier. Il se releva lentement, les yeux enflammés. Dans la lumière des flammes, le chasseur de démon se battait toujours, jetant des coups d’œil inquiets autour de lui mais ne pouvant se permettre de quitter son combat pour affronter ce nouvel adversaire. Le sorcier trouva rapidement à qui parler, il y avait trois autres magiciens ici et l’un d’eux l’avait envoyé une fois au tapis mais il ne pouvait dire lequel. Les trois étaient devant lui, ensembles, unis.

Les premiers coups fusèrent, les boules de feu de Raul traçaient des sillons rougeoyants dans l’air humide des souterrains tandis qu’une lumière surnaturelle irradiait depuis Mirana. Daeria leva une protection de l’ombre, qui pouvait absorber la magie sombre. Les attaques du warlock s’y brisaient pour le moment. Les chiens démons se déployèrent pour attaquer les autres membres, se gardant bien de s’approcher trop du chasseur de démon. Horn se démenait contre une de ces bêtes du Chaos, écartant du plat de sa hache les redoutables lames osseuses tandis que derrière lui, Darek surgissait à l’improviste et blessait sournoisement. Bjorn protégeait Tuwar, taillant une dague dans chaque main, un rien à l’écart mais efficace. Le chasseur rageait de ne pouvoir s’éloigner assez du combat pour user de son arme à feu.
Le sorcier lança une malédiction. Son regard rouge brilla de contentement et un sourire carnassier se dessina sur son visage car les malédictions passaient sans problème les protections de l’ombre, aussi puissantes soit-elle. Malédiction des langages, cela allait réduire les possibilités de ses magiciens de manière radicale. Il était si différent de Daeria se dit soudain Raul, celui-ci n’irradiait que ténèbres.
La warlock savait aussi bien que le sorcier ce qui allait se passer et s’interposa. Elle reçut la malédiction de plein fouet mais elle savait parfaitement ce quelle faisait. Imprégnée de la voix du démon, elle murmura son incantation dans la langue démoniaque et l’effet en fut décuplé. L’immolation fusa mais un chien démon s’interposa d’un bond en protégeant le warlock. La bête s’effondra au sol, gravement brûlée, mais n’était pas morte. Un autre chien démon surgit près d’eux et Daeria se détourna du sorcier pour protéger ses amis. Elle se mit dos aux deux autres.
Mirana lança plusieurs rayons de lumière sur le warlock qui semblait de plus en plus faible. L’immolation qui l’entourait crépita faiblement mais au lieu d’être souffler comme ils s’y attendaient, les flammes vertes quittèrent le corps du warlock pour les attaquer. Mirana poussa une exclamation de surprise et s’écarta de la trajectoire des flammes. Raul envoya son propre feu à leur rencontre, déployant une puissance notable mais si les deux forces s’immobilisèrent un instant, le feu sombre prit le dessus. Les flammes vertes prirent la forme d’un élémentaire qui s’avança, glissant au-dessus du sol.
La puissance n’était pas la seule particularité de ce chien démon, celui-ci était vraiment spécial. Daeria scrutait les yeux rouges et minuscules de la créature et à nouveau, elle n’y trouva pas d’animosité. Plus rien n’existait autour d’elle, il n’y avait que la bête, celle qui avait éventré Horn…
De la concentration du combat, elle passa à l’hésitation. Elle se demandait quoi faire, une pointe d’angoisse l’atteignit face à l’inconnu même si dans un coin de son esprit, elle se doutait de ce qui allait se passer. Des tueurs de mage. Les chiens démons étaient des créatures nobles avec un sens de l’honneur et de la fidélité hautement développée. Daeria tenta une intrusion dans son esprit, la bête frémit mais ne bougea pas plus. Vu de l’extérieur, la scène était insolite, ils se faisaient face dans la plus parfaite immobilité. Daeria sombra dans les souvenirs de la bête, entraînée malgré elle dans les profondeurs de sa mémoire. Le chien démon errait dans ses couloirs depuis plus de deux mois selon lui, sa meute d’origine, son univers avait été détruit par la fureur de son ancien maître. Il avait été trahi, lui simple larve dans la hiérarchie démoniaque n’avait plus de passé et plus d’avenir.
Elle erra encore de longues minutes dans l’âme noire du démon puis, trouva la sortie de ce labyrinthe et reprit conscience.
- Prends mon âme !
Daeria sursauta. La réalité était de nouveau sous ses yeux. Le démon la regardait à présent intensément. Il s’approcha d’elle avec une lenteur étrange au milieu d’un tourbillon de sort et de lames autour d’eux. La sorcière était complètement immobile, elle sentait une chaleur anormale se répandre dans son dos. Elle restait indécise, c’était trop tôt pour elle, elle n’y avait jamais réfléchi… en avait-elle même la force ?
- C’est à toi de choisir, expliqua la voix grondante de la bête, je peux t’aider à les sauver.
Un moment s’écoula.
- Te voici dans ma main, murmura Daeria dans la langue des démons.
La bête émit un étrange bruit et s’inclina devant elle. L’émotion lui nouait la gorge. Elle s’accroupit et tendit la main, le chien démon la toucha du bout de son museau. Un lien se créa, invisible et indestructible à partir de cet instant.
Une bouffée de pouvoir déferla. Elle re bascula dans la réalité. Déjà, le chien démon bondissait à la rencontre de la créature de flamme dans le dos de sa maîtresse. Daeria resta à genou, malgré le combat derrière elle. Elle essayait d’assimiler ce qui lui arrivait, elle se sentait remplie de force, capable de tout et pourtant terriblement faible comme si son corps refusait de suivre. L’extase d’une droguée, droguée par la bouffée de puissance.
Le chien démon atterrit rudement sur le sol. Devant lui, l’élémentaire frémissait de pouvoir, une brûlure cuisante lui vrillait l’épaule mais sa maîtresse ne pouvait pas encore faire face. Une boule de feu fusa et le rata. Il se tassa un peu sur lui-même, près à se détendre pour fondre de nouveau sur son adversaire mais la voix à présent ténébreuse de Daeria stoppa son action. Elle avait retrouvé ses esprits. Le sorcier avait lui-aussi suivit la scène et envoyant deux chiens démoniaques contre les magiciens gênants, il se mit face à la jeune sorcière. Il était amusé par l’enchaînement des évènements. Il n’aurait jamais pensé se retrouver face à l’un de ses pairs. Il lui laissa la première attaque mais contre toute attente, Daeria ne l’attaqua pas lui mais bien l’élémentaire. La créature dut faire face à une tempête de roche qui transpercent sa substance à maintes reprises, l’affaiblissant. Implacable, Daeria détruisit les fils magiques le retenant dans la réalité. Enfin, sa surface frémit comme l’onde qu’on agite et il explosa, projetant des flammes dans les airs en tous sens. Daeria leva ses bras au-dessus de sa tête pour se protéger de la projection de feu et des flammèches se posèrent sur ses bras.

Des flammes se posèrent aussi sur la peau du baron qui par une habile manœuvre du chasseur de démon se retrouvait dans leur trajectoire. Si le feu ne le brûla pas vraiment, il détourna son attention durant quelques dixième de secondes, largement assez pour que Halendor lui plante la pointe d’une double-lame dans la gorge.
Avant que le corps du démon ne fut tombé au sol, Halendor se précipitait déjà vers d’autres adversaires.
Le chasseur de démon s’interposa entre un chien de l’enfer et Bjorn tout en tenant en respect deux autres. Il offrait un spectacle ahurissant, valsant autour de ses adversaires patauds et maladroits. Lorsqu’il fut encerclé, le bouclier de flammes écarta immédiatement ses assaillants puis il l’interrompit et tua d’un large arc de cercle une bête du chaos. Malgré le peu qu’il laissait voir, le chasseur de démon avait été sérieusement blessé et sentait le sang dégouliner dans son dos, là où le fer de la lame noire l’avait mordu. Une longue estafilade barrait son bras droit et le maniement de sa double-lame en devenait à chaque instant plus douloureux.
Le sorcier, toujours aux prises avec une Daeria à bout de forces, lançait coup sur coup des boules de feu qui pour le moment venait s’écraser vers un nouveau mur d’ombre élevé par la jeune sorcière, dut soudainement plonger au sol pour éviter un rayon de lumière de Mirana qui venait de se débarrasser d’une bête du chaos. La suite s’enchaîna si rapidement que personne ne comprit vraiment ce qui s’était passé. Toujours est-il que le chasseur de démon, enfin débarrasser de son empêcheur de tourner en rond fit un véritable massacre. La fin de l’affrontement fut marquée par une implosion, au moment où les chiens de l’enfer invoqué par le sorcier disparaissaient, aspirés par le néant comme leur invocateur était taillé en pièce par Halendor.

Il ne resta plus que les membres du groupe, en piteux état mais vivants et au milieu d’eux, le chien de l’enfer dardait un regard haineux sur le chasseur de démon, lequel le toisait d’un sourire moqueur. Il y eut un instant d’hésitation comme si tous n’arrivaient pas à croire qu’ils soient encore vivants. L’incompréhension passa ensuite sur les visages jusqu’à ce qu’Horn lève sa hache ce à quoi répondit le chien du Chaos par un grognement menaçant en se campant fermement, prêt à bondir.
- Espèce de… ! Commença le guerrier en armant son bras.
- Non ! Interrompit Daeria sortant difficilement de la torpeur tranquille qui l’envahissait peu à peu, il est… Elle ne trouva pas les mots, comment expliquer cela ? … C’est en partie grâce à lui que nous sommes vivants et il est sous ma protection. En disant ses mots, elle s’était placée devant la bête, face à la hache de Horn et son visage était on ne peut plus sérieux.
Les protestations fusèrent de toute part et tous s’accordaient à dire que ce n’était qu’un démon vicieux. Le guerrier baissa sa hache et tenta de percer les sentiments de la sorcière. En effet, il ne comprenait pas. Le chasseur de démon observait la scène d’un air moqueur, attendant de savoir qui finirait en premier empalé. Daeria fut rapidement à cours d’argument. Elle désigna Halendor.
- Je hais les elfes et plus particulièrement les chasseurs de démon, affirma-t-elle avec force, je le supporte pourtant pour vous, faite un effort ! Une bête du Chaos est beaucoup plus sûre qu’un elfe dévoré par la soif de pouvoir ! Je prends déjà le risque de me faire éventer à tout moment sans parler d’autres conséquences ! Dès que l’occasion s’en présentera, j’essaierai de le tuer !
Horn ouvrit la bouche pour répondre mais ne trouva rien à dire de cohérent. Les regards choqués se croisèrent devant son agressivité. S’il resta un instant sans réaction, le sourire d’Halendor s’élargit plus encore.
- Soyez sûre que je ne vous en laisserai pas l’occasion… et ne comptez pas trop là-dessus tant que nous ne serons pas sortis sinon j’ai bien peur pour vous que vous n’en réchappiez pas vivante, petite sorcière. Je m’en assurerai…
Daeria allait répliquer mais Raul ne lui en laissa pas le temps.
- Ne peux-tu te séparer de lui ? Demanda le mage plein d’espoir. La peine envahit comme une déferlante le cœur de la sorcière mais au lieu de refléter cela, son visage se ferma. Ils ne pouvaient comprendre ce qui les liait à présent…
- Hors de question ! Mais je peux aussi me séparer de vous…
Le regard de Raul s’agrandit de surprise et il nia aussitôt ce fait. Le mage ne comprit soudain pas tant de froideur et son esprit vint à se demander ce qui pouvait bien représenter ce démon… Il frissonna. Raul scruta les yeux de la bête y cherchant le moindre signe traître mais n’y trouva rien, juste une profondeur inhabituelle et même s’il n’était pas vraiment pour, il songea que peut-être, il pouvait lui laisser une chance... Pourtant, la sorcière avait déjà perdu la bataille mais refusait encore de l’admettre
- Tu ne peux pas le garder près de toi ainsi ! S’insurgea Mirana avec un regard dégoûté vers le démon, il est immonde !
De nombreuses voix se joignirent à la sienne et la warlock sentit son sang bouillonner. Le chien démon qui jusque là observait la scène sans bouger sentit le changement.
- Maîtresse, gronda la bête du Chaos, je peux disparaître si vous le souhaitez…
- Voilà une proposition logique ! La première depuis le début de cette farce… railla Halendor. Mais rassurez-vous, ce ne serait pas amusant de vous tuer s’il n’est pas à vos côtés…
La bête du Chaos rugit de colère à ces mots. Daeria ne sut ce qui la perturba le plus à ce moment : le fait que le chasseur de démon lui réponde en langue maudite ou qu’il fasse ce genre de raisonnement. Et pourtant…
La manifestation du chien de l’enfer avait réveillé l’attention de Horn et il serra le manche de sa hache avec force et se décala pour l’avoir en face de lui, cette bête devait mourir ! Elle l’avait éventré !
La warlock hocha la tête imperceptiblement et le chien du Chaos s’inclina avant que Daeria n’effleure son museau. Il disparut subitement sans lumière ni autres traces de portail vers le néant.
- Amusant, vos collègues s’arrangeaient pour quelques manifestations plus spectaculaires…
- Je ne crois pas que cela soit vraiment le moment pour gaspiller son énergie, répliqua-t-elle sèchement et d’une voix un peu enrouée.
- Quoi ? ! Mais où est-il ? Que s’est-il passé ? S’exclama Horn.
Son niveau de mana baissa à nouveau d’un cran, Daeria le regarda d’un œil vide et mit quelques secondes à reprendre ses esprits. Un tourbillon… Elle cligna des yeux et l’espace se mit à tourner. Non ! Elle ne serait pas si faible devant eux et son orgueil la maintint droite.
- Il est parti de ce plan.
- Mais il reviendra ? Demanda Mirana.
- Oui, il reviendra quand… elle hésita soudain, serait-elle capable de le faire revenir ? Quand nous aurons à nouveau besoin de sa protection.
La prêtresse ne retint pas un sifflement de mépris mais Daeria ne se sentait pas la force de lui répondre, à vrai dire tout ce qu’elle aurait souhaité à cet instant était un bon lit bien chaud ou une créature à vampiriser… L’air vibra, ce que les magiciens sentirent immédiatement. Tous tournèrent leur regard vers la porte défoncée dont il avait momentanément oublié la présence.
- Quelque chose est réveillée, souffla Raul. Quelque chose… de puissant et… de terrible. Le seigneur noir ?
- Sans aucun doute ! Répondit Halendor avec à nouveau cet éclair de folie dans sa voix. Puis son expression changea, devint terriblement dure.
Lentement, le chasseur de démon marcha vers l’entrée et au fur et à mesure, des volutes de fumée sombre s’agitaient autour de lui. Sa voix grave et sourde murmurait une incantation dans la langue noire tandis que sa main traçait des symboles dans l’air. Les arcanes de pouvoirs tourbillonnaient de plus en plus vite autour du corps d’Halendor de même que sa voix forcissait. La rupture arriva comme un coup de tonnerre et dans une explosion de pouvoir, une ombre noire le recouvrit totalement et sa voix devint plus rauque, plus sombre. Il se pencha en avant un instant, les bras recroquevillés contre son cœur et dans un hurlement, deux immenses ailes jaillirent alors dans son dos. Celles d’un démon mais si noires et d’une taille telle qu’un manteau de nuit semblait lui couvrir les épaules. Le corps du chasseur de démon se métamorphosait lentement et cela devait lui apporter un mélange de douleur et d’extase. Enfin, lorsqu’il se redressa, la peau d’Halendor était noire comme les ténèbres et deux cornes ornaient à nouveau son front.
Le démon tourna fugitivement des yeux luisant de pouvoir, si lumineux que peu soutinrent ce regard.
- Restez ici ! Ordonna-t-il.
Une expression de terreur se peignit sur les visages mais celui de Mirana retrouva rapidement une expression composée tandis que tous n’osaient pas bouger le moindre muscle. Ténèbres sur ténèbres, le chasseur de démon disparu rapidement dans le souterrain devant eux, les laissant muets à la fois d’admiration et d’épouvante. Daeria ferma les yeux, ne résistant pas à l’envie de suivre sa progression même si cela comprenait certains risques, Raul posa une main sur son épaule et à eux deux, ils eurent une vision claire de la scène.
Lorsque le brouillard de l’esprit se dissipa, elle vit deux immenses démons face à face, le premier qu’elle reconnut ne fut pas le chasseur de démon mais son adversaire. Sa respiration s’arrêta une vingtaine de seconde lorsque la jeune sorcière le reconnut. Une bête à corne rouge et crinière aussi noire que les flammes qui agitaient sa gueule et ses yeux. De grandes ailes déchiquetées s’étalaient derrière lui et il brandissait dans une main un immense bouclier alors que l’autre serrait le manche d’une longue lame noire. Une autre main se posa sur l’épaule de Raul et il supposa qu’il s’agissait de Mirana. En face de lui, le chasseur de démon paraissait minuscule malgré la puissance de sa métamorphose. Dans ses mains, Halendor concentra une sphère de puissance et d’énergie démoniaque. Son attaque fusa dans l’air en sifflant sinistrement pour s’écraser sans effet sur le corps du démon.
- Ce sera sans effet, murmura Daeria, il est insensible à toute magie qui n’est pas sienne ou lumière… c’est ainsi. Nous devrions faire demi-tour avant que la situation ne dégénère.
La magie des chasseurs de démon était en effet encore trop différente pour être considéré comme de la vraie magie démoniaque. Raul serra doucement son épaule en signe d’assentiment mais c’était sans compter la prêtresse.
- Si ce que tu dis est vrai, s’exclama-t-elle, je vais aller l’aider !
Cette déclaration leur coupa le souffle et la vision se brouilla alors qu’un violent corps à corps était engagé entre les deux puissants antagonistes. Ils ouvrirent brusquement les yeux mais Mirana avait déjà disparu, filant aussi agile qu’une fée vers la salle centrale du combat. Les deux nains et Darek la suivaient des yeux puis la perdirent de vue sans bouger, sans comprendre.
- Folie ! Cria Raul. Mirana ! N’y vas pas !
Horn allait se précipiter à sa suite en compagnie de Darek mais Bjorn les attrapa par la ceinture, les tirant en arrière, vociférant son refus de les laisser y aller. Le danger était trop grand.
- Faites quelque chose magiciens ! Rugit Darek sans tenter de se dégager de la prise du chasseur. Daeria ! Va la chercher !
Et tous fixaient à présent intensément la jeune sorcière mais celle-ci n’aurait pu articuler la moindre parole. Elle se tourna vers la porte défoncée d’où leur parvenaient les échos du combat. Elle serra ses deux mains contre son cœur, intimidée malgré elle à cette idée mais tous dardaient à présent un regard trop intense.
- Tu es une warlock ! S’insurgea Darek avec plus de force encore, montre-nous que ta maudite race n’est pas inutile !
Elle serra les poings sous l’injure mais décida de reporter sa colère à plus tard. Daeria comprit qu’elle ne pourrait plus faire autrement sans le regretter toute son existence, sans lire l’apathie dans le regard de ses compagnons. Mais cela valait-il de risquer sa vie ? Oui, la réponse était bien évidemment oui. Elle hocha la tête.
- Surtout ne me suivez pas, trancha-t-elle. Elle les foudroya du regard comme pour les dissuader de lui désobéir et elle s’élança dans le souterrain. Plus rapide, Raul la rattrapa en deux foulées.
- Besoin d’aide ?
- Non ! Répondit-elle catégorique en accélérant l’allure pour le distancer mais il s’accrocha.
- Je me disais aussi… on y va ?
La sorcière ouvrit la bouche pour répondre mais ne put trouver les mots, juste un sourire reconnaissant.
Ils débouchèrent dans une immense esplanade souterraine, servant vraisemblablement de salle d’arme et d’entraînement au vu des nombreuses armes accrochées aux murs. De nombreux cadavres de démons mineurs encombraient le sol mais ce n’est pas se fait qui leur tira un frisson d’effroi. Acculés contre mur, le chasseur de démon faisait face aux attaques répétées et furieuses du démon, se défendant avec une lourde épée à deux mains vraisemblablement trouvée parmi tout l’attirail de guerre autour d’eux. Mais il ne la maniait que d’une main à vrai dire car de l’autre, il soutenait le corps inerte de Mirana, de son front gouttait un filet de sang depuis une large plaie.
Immédiatement, sans se concerter, ils réagirent. Raul matérialisa une boule de feu dans sa paume avant de se rappeler que son pouvoir n’aurait aucun effet. Il ragea intérieurement puis sans attendre, se saisit d’une grande hallebarde en acier. Il tendit son bras droit, tendant l’arme pointée devant lui. Ses lèvres s’agitèrent rapidement et il lâcha l’arme imposante qui resta suspendu dans les airs ! L’effort était intense et son front se plissait tandis que la lueur dorée dans ses yeux prenait de l’ampleur. Le souffle de magie créa un vent violent autour de lui, faisant tourbillonner des nuages de poussière et voler ses mèches en tous les sens. Il éleva loin au-dessus de lui la hallebarde, prêt à l’envoyer sur le démon, la maintenant immobile par la force de son esprit.
« A terre, chasseur de démon ! » Ordonna Raul.
Halendor tourna la tête vers lui en entendant sa voix dans son esprit et hocha brièvement la tête. Alors, déployant son pouvoir, en appelant à une force sans nom, Raul lança l’immense hallebarde sur le démon. Le jet fusa comme l’éclair à une vitesse décuplé par la volonté du mage dans un lancé parfait et mortel. Halendor para une dernière attaque et se jeta au sol. Interpellé, le démon se tourna vers cette agression et se campa fermement sur ses larges pattes, prêt à dévier le projectile avec son arme… il en était parfaitement capable malgré la vitesse du jet car ses sens étaient monstrueusement développés. Il ricana sinistre en armant son bras. Coordonnant son action, Daeria avait progressivement formé une sphère de ténèbres si concentrée qu’elle en était instable dans ses mains. La tension était intense, douloureuse et il lui semblait que sa nuque allait se briser. Enfin comme une délivrance, elle cibla l’arme du démon et lança la sphère.

Le projectile frappa l’épée démoniaque, la faisant sauter des mains de son porteur alors que la hallebarde était lancée. Trop lent pour esquiver quoi que ce soit, ne pouvant plus rien dévier, le démon vit impuissant le jet lui percer l’épaule, le traversant de part en part. Le chasseur de démon rapide comme la foudre était déjà loin et il déposa doucement la prêtresse toujours inconsciente sur le sol derrière Raul. Le mage avait le front couvert de sueur à cause de la puissance qu’il lui avait fallu déployer et il pesta de ne pas mieux maîtriser les Arcanes. Un rugissement furieux fit trembler la voûte et dans un giclement de sang noir, le démon arracha l’arme de sa chair. Son regard de braise se riva sur l’adversaire le plus proche, sur Daeria et reconnaissant le souffle de la magie noire se tissant doucement autour d’elle, son visage se tordit sous l’effet de la haine.
- Traîtresse ! Rugit-il en se ruant vers elle.
Il fondit vers la warlock, balançant une de ses énormes mains griffues vers elle. Totalement immobile, la jeune sorcière se démenait pour ouvrir un passage vers le néant pour faire entrer dans cette dimension le chien de l’enfer. Dans ses mains largement écartées se concentraient deux sphères d’énergie pourpre et sa voix murmurait sombrement. Une étoile à six branches dont elle était le centre luisaient les dalles en traits d’un feu pourpre. Daeria sentait la présence de son serviteur qui lardait la frêle étoffe dimensionnelle les séparant tandis qu’elle-même forçait l’ouverture du passage, voyant de manière lointaine la charge du démon. La résistance était inhabituelle. Des gouttes de sueur dégoulinèrent autour de son visage mais aucun n’effort n’y fit. La porte refusait de s’ouvrir ! La panique commença à pointer tandis qu’elle s’acharnait désespérément. Soudain son pouvoir se dissipa, le cercle d’invocation fut soufflé brusquement, la ramenant devant le seigneur démon la chargeant. Réagissant en un battement de cœur sous la pression de l’entraînement, Daeria enflamma un bouclier de feu autour d’elle. La griffe du démon percuta violemment la protection qui éclata sous le choc tandis que la frêle warlock était projetée en arrière.
Elle roula rudement sur le sol et se prépara à contrer une nouvelle charge sans trop d’espoir sans l’intervention des autres mais son incantation se figea dans sa gorge sous l’effet de la peur. Immobile devant elle, la fixant intensément de ses yeux rouges, le seigneur-démon lançait un sort.
- Le sang des traîtres brûle dans les limbes !
Un cercle de glyphes démoniaques de matérialisa autour du démon. Rougeoyant doucement et les immondes griffes du démon s’agitèrent en un rituel complexe tandis que le son monocorde de sa voix gutturale résonnait sinistrement. Il écarta les bras et sourit hideusement en fixant à nouveau Daeria. La jeune warlock était pétrifiée de terreur, rien ne pourrait interrompre ce sort… Rien… Déjà, la chaleur se répandait dans son corps malgré toute la résistance qu’elle y opposait. Elle ferma les yeux et attendit l’inexorable, la tête baissée. Il avait raison, elle n’était qu’une traîtresse, le sort qu’il lui réservait était bien clément après tout. Et la voix du démon prononça les derniers mots…
Un éclair rougeoyant frappa Daeria au niveau de l’épaule, lui arrachant un hurlement de douleur qui masqua l’exclamation horrifiée de Raul. Il vit sans pouvoir intervenir la frêle silhouette s’effondrer au sol. Sans se soucier du danger, esquivant un chien de l’enfer qui fut abattu par la lame de Halendor, le mage se rua à l’attaque et son aura grandissait, grandissait à n’en plus finir, dirigée entièrement contre ce maudit adversaire. Faisant face au démon, il concentra entre ses mains deux sphères de feu, leur surface était agitée de tourbillons de flammes, l’or et le rouge côtoyaient le noir du pouvoir, semblable à ce moment à deux orbes. D’abord minuscules, les sphères de feu enflèrent lentement, très lentement, jusqu’à atteindre la taille d’un poing. Le corps de Raul commença à s’agiter de tremblements violents car bientôt, sa limite serait atteinte. Le visage déformé par l’effort, le mage leva les deux mains au-dessus de sa tête. Les sphères frémirent lorsqu’il les mit en contact, se repoussant violemment l’une l’autre une première fois dans une gerbe d’étincelle. Raul chancela sous le choc et du feu ruissela sur son aube, sans pour autant le brûler. Ses mains se baissèrent toutes seules car la fatigue était plus forte. La respiration du mage s’était mué en un râle.
Le démon tira un sourire qui s’effaça rapidement car à nouveau, rassemblant plus de puissance, Raul tenta l’union des deux sphères brûlant dans ses mains. Et il échoua. Le désespoir commença à le gagner petit à petit. Il devait réussir pour protéger ceux qu’il aimait ! Poussé par cette pensée, il leva à nouveau les bras, à bout de forces mais pas encore inconscient. L’air crépitait, devenait instable à cause de la chaleur et l’aura était telle que le chasseur de démon lui-même en fut impressionné. Pour un humain, le mage se défendait… Le seigneur démon recula, incapable de supporter cette vision de puissance. Raul irradiait, la lumière émanait de tout son corps mais plus encore de son regard, insoutenable. Il fit brusquement fusionner les sphères de flamme, toute l’énergie, toutes les flammes autour de lui et la lumière se résorbèrent, brutalement, aspirées par ce qu’il venait de créer. Un siphon de feu tourbillonnait lentement, semblable à une galaxie d’or et de rouge entre ses mains crispées.

Sa création crépita de plus belle entre ses mains et Raul serra les dents sous la douleur car pour la première fois, sa magie le brûlait… Le délivrant enfin de ce poids terrible, la sphère de puissance fut lancée sur le démon, couvrant de ce fait l’approche du chasseur de démon. Celui-ci surgit près du démon juste après que la boule de feu ait explosé. Le feu se déploya comme une gueule immense, enveloppant complètement de démon. L’immolation brûlant autour de lui, le protégeant relativement, Halendor se rua sur son ennemi et planta ses doubles-lames profondément dans la chair sombre en plein ventre. Puis avant que le démon puisse réagir, encore aveuglé par les flammes, l’elfe arracha les lames en esquivant un coup de griffes à l’aveugle. Il bondit en arrière d’un bond mètre et son visage tiqua tandis que l’expression de Raul se décomposait car avec de brusques mouvements, déchirant les flammes de ses griffes, le démon se débarrassa du sort de Raul. Sa peau était brûlée, il perdait beaucoup de sang mais tenait toujours debout. A bout de force, Raul se traîna jusqu’à Daeria. La warlock était recroquevillée sur le sol, agitée de tremblement. Ses yeux exorbités devenaient de plus en plus rougeoyant. Quand Raul lui toucha la joue, il retira vivement sa main car ce contact lui infligea douleur de la brûlure.

- Le sang des traîtres brûle dans les limbes, répéta le démon en ricanant. Le cercle de rune brilla de plus belle autour de lui et Raul vit Daeria s’agiter dans un spasme terrible, elle ouvrit la bouche mais aucun son cohérent n’en sorti, juste un râle.
- Halendor ! Que se passe-t-il ? ! Cria Raul désespéré en tentant d’immobiliser la warlock de peur qu’elle ne se blesse elle-même.
Le chasseur de démon se tourna d’un quart vers lui, la mâchoire de l’elfe était crispée.
- Une torture immonde, le sang de la victime se met à bouillonner dans ses veines, dévoré par le feu démoniaque jusqu’à la mort. « Le sang des traîtres brûle dans les limbes » traduisit-il.
- NON ! Raul regarda à nouveau la warlock et la secoua par les épaules. Daeria ! Daeria repousse ce monstre !
- Du calme, humain, laisse-la se battre de son côté et fait-le du tien, avec moi, l’interrompit Halendor froidement.
Un violent sentiment de haine s’empara de Raul contre ce chasseur de démon insensible, pourtant, il se leva et marcha vers lui. Il savait à présent ce qu’il pouvait faire. Il y avait une loi immuable, si l’incantateur mourait, le sort disparaissait avec lui.
- Tenez-vous près, chasseur de démon, déclara-t-il avec froideur. Abattez-le !
Plus de boule de feu, ni même de magie vaine, il fallait frapper par les armes !
Il agrippa l’épaule du chasseur de démon et un battement de cil plus tard…
- Phase !
Un battement de cil plus tard, ils se tenaient juste sous les griffes du démon. Misant sur la vivacité de l’elfe, Raul ne fut pas déçu mais il vit arriver vers lui le premier coup de griffe et il ne tenta pas de l’esquiver. D’un coup d’épaule, Halendor envoya le mage au sol et sa lame gauche bloqua le coup tandis que d’un large arc de cercle, sa lame droite tranchait la gorge du démon. Un craquement sinistre retentit, le démon semblait figer en cet instant terrible. Le chasseur de démon arracha sa lame et recula de quelques pas pendant que Raul se relevait et faisait de même. Un second craquement, comme un coup de tonnerre gigantesque. Des pas précipités derrière eux, une exclamation, celle d’Horn apparemment mais Raul et Halendor ne se retournèrent pas car le démon était encore debout. Des boules de feu apparurent dans les paumes de Raul, prêt à riposter. Avec un cri de rage, le chasseur de démon bondit pour lui trancher complètement la tête.
Un giclement de sang, le corps oscilla dangereusement, Halendor recula définitivement, la tête s’arrêta de rouler. Un troisième craquement titanesque, le dernier et le corps étêté tomba lourdement sur la pierre. Le sang commença à se répandre.
Le mage poussa un soupir de soulagement et ferma les yeux à demi. La tête lui tournait à cause de l’effort mais un sourire finit par se dessiner sur son visage, ils avaient survécu…
A nouveau, prenant conscience de ce qui l’entourait, Raul fit brusquement volte-face et scruta la salle des yeux. Horn était agenouillé près de Mirana tandis que Darek aidait la prêtresse à tenir assise. Une longue plaie barrait son front et elle n’était pas encore en mesure de se soigner, visiblement assez secouée. Le chasseur de démon venait de reprendre sa forme et Raul sentit la fin d’une onde de choc souffler sur son visage. Puis, sans se préoccuper par ses blessures qui saignaient sur son dos et ses bras, Halendor fixa son attention sur Tuwar. Raul fronça les sourcils, ne comprenant pas. Le jeune nain tremblait légèrement et son visage – du moins la partie qu’en distinguait le mage – affichait une expression à la fois de terreur et d’inquiétude. Des pas vifs attirèrent l’attention du mage sur Darek qui traversa la salle vers Tuwar, le visage crispé par la colère.
pi tient, la suite au passage... j'en ai des tartines.



Daeria réussit à se réveiller. De longs filets de sang coulaient de ses narines et du coin de ses lèvres et elle se dit qu’elle devait vraiment avoir l’air pitoyable. La moindre parcelle de son corps avait souffert du sort et elle s’était muré dans son esprit pour ne plus sentir la douleur. Le retour à la réalité était rude, trop rude et elle ne comprenait pas comment elle avait pu y survivre. Elle avait du mal à respirer, beaucoup de mal, elle cracha du sang avant de se remettre en position assise. Tuwar la fixait intensément depuis de longues secondes et cela finit par lui mettre la puce à l’oreille. Quels dégâts la malédiction avait-elle pu faire ? Remuer le moindre muscle était une douleur. Tuwar remua les lèvres comme pour parler mais elle n’entendit pas, les yeux du nain fixaient les siens, elle y lut de l’incompréhension et de la peur. Elle comprit enfin, ses yeux… oui, ses yeux devaient être plus rouges que jamais et ils le resteraient encore pour longtemps.
- Ne t’inquiète pas, ça passera, mentit-elle.

Alors elle entendit derrière elle les pas rapides et la douleur s’intensifia comme la poigne du voleur la soulevait par le col sans douceur.

- C’est comme ça que tu la protèges ! Cracha-t-il. Esclave de démons ! Je parierai ma tête que tu l’as laissé mourir !

Raul était figé dans la plus complète incompréhension. Daeria n’entendait plus les paroles du voleur et ce même s’il lui hurlait ses insultes à la figure. La voix de Darek avait fini par être masquée. La jeune sorcière ferma les yeux et son visage ne refléta plus qu’une intense douleur. Ce n’était même plus la malédiction du démon qui était la plus difficile à supporter mais au contraire, retenir quelque chose. Son effort de protection avait ouvert une porte dans son esprit. Et de cette porte soufflait un vent terrible qui déferlait dans chacun de ses membres mais son corps ne pouvait en supporter la tension et c’était presque insoutenable. Et plus le temps passait, plus il lui semblait que la force grandissait. Il fallait fermer cette porte mais elle ne pouvait y parvenir, c’était comme essayer d’endiguer la violence d’un tsunami avec ses mains et les eaux déferlantes percutaient l’intérieur de son corps, menaçant pourquoi pas de le faire exploser. Il y avait trop de puissance accumulée dans on corps et elle n’avait pas l’entraînement nécessaire, ni même la robustesse pour l’endiguer, la restreindre. Il fallait compartimenter son esprit, enfermer la puissance pour préserver le reste de sa conscience mais elle ne le pouvait pas ! Elle mobilisait déjà toute sa volonté pour ne pas laisser exploser le pouvoir en elle. Avec la plus grande difficulté, Daeria se concentra sur un mouvement. Sa main, sa main devait atteindre la pierre de soin. Et personne ne comprenait ce qui se jouait devant eux, Darek continuait de l’insulter alors elle rouvrit les yeux et de terreur, le voleur la lâcha, reculant précipitamment. Il cracha par terre et retourna s’occuper de Mirana. Daeria se laissa tomber plus qu’elle ne s’assit sur les dalles.
Le mouvement. Il fallait atteindre la pierre de soin tant qu’elle pouvait encore bouger. Tuwar commença à lui parler à son tour mais elle ne comprit pas. Elle essaya à son tour de lui parler mais il ne l’entendait pas, ne comprenait pas. Son image était floue, lointaine comme à travers de l’eau. « Donne-moi la pierre » ne cessait-elle de demander. Elle finit par se rendre compte qu’il ne pouvait pas la comprendre car elle parlait la langue noire. Puis sa voix mourut, étouffée dans une remontée de sang dans sa gorge qui coula à l’extérieur. Tuwar eut une exclamation horrifiée et appela de l’aide. Le monde commençait à tourner. Sa tête pencha en arrière pour pouvoir respirer et Daeria regarda le plafond, des mètres et des mètres plus hauts.
Sa main se rapprochait de quelques centimètres et le pouvoir cognait encore et encore dans son esprit, renversant tout sur son passage, proche de la rupture, elle allait se détruire de l’intérieur. Halendor surgit derrière le jeune nain et sans ménagement l’écarta. Il hésita à lever sa lame pour mettre fin à cette agonie puis s’agenouilla derrière la jeune sorcière. Il trouva cette pierre dont elle parlait dans un murmure à dix centimètres de cette main tendue. Doucement, il la déposa dans sa paume et lui ferma les doigts dessus. Le chasseur de démon serra les dents en sentant la vague de puissance démoniaque qui immédiatement se manifesta. La puissance du tsunami passa brutalement dans la pierre dans un acte désespéré dès qu’elle sentit le contact. Daeria avait rejeté tout ce surplus d’énergie dans la petite boule de verre démoniaque. Si un instant, elle fut illuminée d’un vert flamboyant, la pierre de soin explosa dans sa main sous trop de pression. Des éclats de verre lui rentrèrent dans la paume et le sang coula mais c’était une vraie caresse comparée à ce qui avait précédé...


Le groupe remontait lentement vers la surface, guidé par le chasseur de démon suivi de Horn. L’atmosphère était légère, grisante par la réussite et le bonheur d’être vivant. La saveur de l’existence ne se goûtait que lorsqu’on avait failli la perdre. Halendor leur fit prendre un chemin totalement différent que celui par lequel ils étaient arrivés mais au terme de deux heures de marches, ils entrèrent dans une large salle dont le mur du fond n’était que roche et gisement. Tuwar se précipita contre la paroi, tâtant la pierre fébrilement tant le contact était plaisant. Le jeune mineur observa avec un œil critique l’agencement des minéraux et un sourire illumina son visage. Prenant une torche des mains de Darek, il l’approcha du mur et soudain, dans une explosion de couleur et de lumière, les milliards de facettes cristallines leur renvoyèrent un arc-en-ciel de splendeur. Tuwar planta la torche dans le sol puis peu à peu le rayonnement, si puissant qu’ils avaient du protéger leurs yeux, se calma. Des tâches de lumière mouchetaient toute la salle. Le mur semblait couvert de lucioles multicolores. La warlock s’écarta d’eux et s’assit sur un rocher, le regard vide tandis que le chasseur de démon s’adossait à l’opposé en observant avec cet éternel air moqueur le reste du groupe. Enfin, le mineur se tourna avec une expression joyeuse sur le visage en désignant du doigt un point en hauteur. Ils suivirent la direction des yeux pour tomber sur une sorte d’orbe de lumière aussi gros qu’un poing et irradiant de mauve. Tuwar les regardait toujours et ils virent son visage pâlir subitement comme le regard du nain se portait derrière eux. Horn et Darek se retournèrent d’un bond, s’attendant à voir surgir l’ennemi mais il n’en était rien.
Contre un des murs, à peine mis en évidence par la frêle lueur de la torche, les bras totalement désarticulés, dans une position grotesque, la jambe droite arrachée, le cadavre d’un nain était là. Il avait les yeux grands ouverts, la bouche ouvert d’où coulait un filet de bave, terrorisé, fixant cet ennemi qui l’avait rattrapé. Le chasseur s’approcha du corps, faisant fuir une dizaine de créature d’ombre du cadavre.
- Il est mort depuis une dizaine d’heure, annonça Bjorn d’une voix qui se voulait totalement neutre.
- Je… laissez-moi une vingtaine de minute, murmura Tuwar.
Le mineur ouvrit son sac sur un terrible assortiment d’accessoires de mineur. Dans un morceau de cuir se tenaient enroulés des morceaux de charbons. A côté de ceux-ci, il y avait de la poudre noire, des purificateurs, de l’acide pour faire fondre les calcaires, toutes sortes de produits dans des flacons qu’il tria sans hésitation pour en sélectionner certains d’après la nature de la roche et du joyau, et bien sûr toutes sortes de piolets, crochets et pitons d’escalade et cordes. Le tout devait bien peser une cinquantaine de kilo mais jamais le jeune nain se s’en était plaint ou avait montré la moindre faiblesse sauf pendant cette terrible course poursuite pour échapper aux démons.
Dans un coin de son esprit, le chasseur de démon révisa son jugement sur cet énergumène là. Aurait-il encore ses yeux qu’il les aurait fermés, sentant après toutes ces journées de chasse la lassitude et la fatigue. Tuwar commença son travail et se révéla être un maître en grimpe puisqu’en quelque minute à peine, la taille enserrée dans un baudrier de cuir, un nœud de huit le retenant à la corde, il s’était hissé sans aide, s’assurant lui-même, et sans effort sur dix mètres pour se placer à hauteur du joyau à extraire. Tous suivaient avec attention ses moindres faits et gestes. Après avoir observé attentivement la situation, Tuwar fixa un nouveau piton d’acier dans la pierre et grimpa au-dessus du joyau avant de commencer l’extraction. Il leva une première fois sa pioche et avec un effort notable, l’abattit dans un fracas de débris et de projections d’éclats rocheux. Et ainsi de suite pendant plus d’un long quart d’heure si bien qu’ils se lassèrent tous de le regarder faire pour se reposer.

Raul était assis aux côtés de Mirana, lui ôtant la bande qu’elle avait au front. Son mana régénéré, la prêtresse referma la plaie avec une rapidité nonchalante avant de proposer des soins à tous. La conversation naquit sur un ton léger et jovial entre Horn, Darek, Bjorn et les deux magiciens. Le mage sembla soudain remarquer qu’il y avait un absent ou plutôt une absence et leva la tête pour chercher Daeria, elle n’avait pas bougé de son rocher et il s’apprêtait à la rejoindre pour s’enquérir de son état quand Tuwar se posa au sol avec un cliquetis de mousquetons. Consciencieusement, il boucla son sac de mineur et avec une fierté toute naturelle leur dévoila le résultat de son affaire. Le joyau était d’une beauté fracassante même encore à l’état brut. Comme chaque mineur le faisait, Tuwar en avait taillé un coin pour s’assurer de la valeur de la pièce et tous voyait, à côté de l’opacité et de la poussière, une parcelle aux facettes étincelantes d’une couleur mauve rosée.
- C’est un œil de démon, annonça Tuwar. Elle porte bien son nom n’est-il pas ?
- Pour sur ! S’exclama Darek. Quelle beauté ! Mais rien avoir avec cette horreur de rougeoiement que nous avons pu constater.
Halendor se permit un ricanement en comprenant l’allusion mais la personne visée ne se manifesta pas. Le chasseur de démon les guida enfin vers la sortie. Impossible de savoir comment ils s’étaient débrouillés à l’allé mais il semblait évident qu’ils avaient fait un détour fort long et fort inutile puisque après deux nouvelles heures de remontée, ils sortirent à l’air libre, retrouvant cette même porte de pierre arrachée.
Horn s’étira longuement en sentant le soleil réchauffer sa peau, tranchant avec l’air glacé des souterrains. Il n’y avait pas un poil de vent à l’extérieur.
- Risquons-nous de voir sortir des démons à la nuit tombée ?
Halendor se tourna vers lui, interrompant une remise en ordre de son paquetage car une longue route l’attendait et il ne comptait pas s’attarder.
- Non, répondit-il, ils sont en fuite ou morts en même temps que leur maître, s’ils ne l’avaient pas été de mes lames auparavant.
Le guerrier nain et Bjorn se jetèrent un regard. Tous deux aimaient bien ce chasseur de démon.
- Parfait ! S’exclama le chasseur, pendant que je pars nous chercher un peu de viande, que diriez-vous de monter un camp, les amis ? Assentiment général.
- Et que diriez-vous de rester en notre compagnie, chasseur de démon ? Nous vous devons une fière chandelle, un repas vous tenterez-t-il ?
Horn attendit patiemment, dans le silence général que Halendor réponde. Au fond de lui, le guerrier y tenait absolument et sous ses sourcils broussailleux, ils virent s’allumer une lueur pétillante. L’elfe le dévisagea longuement et s’obligea à analyser froidement la situation : il mourait de faim. Finalement, avec un éternel rictus, Halendor hocha la tête. Horn se leva d’un bond.
- Formidable !
En quelques minutes, un feu crépitait dans un cercle de pierres noircies par leur dernière halte ici, allumé par Raul. Le mage se tenait allongé sur une épaisse couverture sombre prêt du feu. La main droite proche des flammes à en faire frémir Tuwar, Raul créait au rythme des mouvements de ses doigts des arabesques de flammes d’une beauté certaine. Lassé de ce petit jeu, il s’allongea sur le dos, bras croisé derrière la tête et se détendit. Mirana à quelques centimètres derrière lui avait le sourire aux lèvres en essayant de tirer au chasseur de démon autre chose qu’un sourire moqueur mais sans grands succès. D’humeur narquoise, Halendor n’était que trop conscient du regard noir que lui lançait Darek en face de lui tandis que Horn extirpait avec fortes exclamations deux bouteilles de pinot qui avaient survécu on ne sait comment au voyage dans son sac. Bjorn revint un long quart d’heure plus tard avec une cuisse de chevreuil déjà préparé par ses soins qu’ils mirent à cuir. Le chasseur s’assit tranquillement à côté de Daeria, sentant l’air frais du crépuscule et la chaleur des flammes. Il leva les yeux vers le visage fermé de la warlock. Les yeux clos, la lueur des flammes dansaient sur son visage, y apportant une douce chaleur, Daeria prenait un peu de repos, analysant ce qui avait failli lui coûter la vie, cette incapacité à ouvrir un portail, la disparition de tout pouvoir, le rejet brusque qu’elle avait ressenti. Elle ne comprenait pas. La présence du chien démon s’effaçait progressivement de son esprit sans qu’elle puisse la retenir. C’était impossible ! Elle avait beau tendre son esprit vers lui, à chaque fois qu’elle s’en rapprochait il s’échappait plus loin comme lorsqu’on cherche à saisir un rêve au matin.

Bjorn vit ses sourcils se froncer soudainement et elle rouvrit brusquement les yeux, en proie à la panique. Il avait disparu ! Pourquoi ?
Répondre

Connectés sur ce fil

 
1 connecté (0 membre et 1 invité) Afficher la liste détaillée des connectés