Quatre couteaux dans un gant de soie

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Partie 1

« Je ne vois vraiment pas pourquoi on devrait zigouiller une bande de nabots, on n’a pas mieux à faire ? Pesta Beynost tout en marchant. »

C’était au prix d’efforts méritoires que le grand chef Tauren arrivait à avancer sans faire retentir ses puissants sabots sur le sol de la terre des nains. Visiblement agacée, l’unique morte-vivante du groupe se retourna vers lui, son regard intenable rivé dans le sien :

« Il suffit stupide bovidé. Quand auras-tu compris que de notre entreprise dépend la suite des évènements ? Fit-elle d’une voix terriblement oppressante.
-Nous le savons Dame Ava, mais ça reste quand même bien flou pour nous… Rétorqua Proctor, un orc d’ordinaire à la verve bien reconnue, mais intimidé malgré lui par la troublante beauté cadavérique. »

Ava, comme son nom l’indique, était une morte-vivante. En effet, son patronyme était inversé, comme pour marqué la rupture définitive entre sa vie d’avant, et la nouvelle. Bien sûr, « Ava » étant un palindrome, la différence n’est pas flagrante. Seulement quand un mort-vivant s’appelle Ertuofrefetav ou Nolliuoc, le changement de nom a été des plus salvateurs. Sans doute est-ce un des charmes qui pousse à devenir mort-vivant.
Observant attentivement son petit groupe, la redoutable sorcière jugea plus sage d’expliquer la situation de manière concrète. Il ne lui fallut qu’un rapide tour des environs pour choisir le sujet d’étude. D’un pas empreint d’une sensualité écoeurante, elle se dirigea vers une immense fourmilière. Après en avoir fait le tour lentement, elle se retourna vers ses compagnons, qui frissonnèrent sous le poids de ce regard si froid :

« Voyez-vous ceci. Edifice admirable de part sa complexité et à priori inébranlable. Cette fourmilière représente la Horde, puissance montante de ce monde. Mais il suffirait de quatre encoches bien placées… »

Ava planta alors délicatement son bâton à quatre reprises à la base de la fourmilière, de telle sorte que les orifices forment une croix.

« Pour que d’un simple coup de vent… l’empire s’écroule à jamais. »

Il ne fallut qu’un léger frôlement de son pied décharné pour que la gigantesque fourmilière s’écroule sur elle-même dans son intégralité, laissant les milliers de minuscules insectes ramper en tout sens, vulnérables à la moindre attaque. Un sourire effroyable s’accrocha aux oreilles manquantes d’Ava, celle-ci remarquant le visage décomposé de ses camarades. La démonstration avait apparemment porté ses fruits, et plus aucune question ne viendra interrompre sa mission :

« Nous allons éliminer une des quatre personnes susceptible d’accorder à ce destin funeste de se réaliser, maintenant allons-y, nous avons assez perdu de temps, conclut l’imperturbable sorcière sur un ton acide. »


« Dépêchez-vous tous, on va devoir y aller. »

Il faisait chaud dans la petite chaumière gnome perdue dans la dense forêt avoisinant Ironforge. Un large feu était allumé dans la cheminée, projetant les ombres dansantes des flammes fuligineuses sur les murs. A ces simulacres de flammèches s’interposaient les silhouettes de la famille gnome habitant la chaleureuse demeure qui s’activait aux derniers préparatifs. Ils étaient cinq à vivre dans cette maison, pour laquelle le savoir et l’ingéniosité de la petite race avaient contribué à la remplir de gadgets aussi utiles que farfelus.
Mais, alors que tout semblait se dérouler pour le mieux, trois petits coups frappés sur le toit se firent entendre. Le père de famille, surnommé Voile Tempête à cause de son nez déraisonnablement long et courbé, leva soudain les yeux, son expression de joie se muant en une terreur sans nom.

« Comment cela est-ce possible… murmura-t-il, le visage figé dans l’incompréhension totale.
-Quoi donc Papa ? Pourquoi fais-tu une tête pareille ? »

Voile Tempête se retourna alors vers sa plus jeune fille, Damoyn, la fixant de ses yeux brillants de crainte. La minuscule, dont les cheveux tressés reflétaient l’éclat d’aube de la cheminée, n’était pas consciente du danger imminent.

« Je n’ai pas le temps de t’expliquer Damoyn, viens avec moi. »

La gnomette le suivit, ne comprenant pas trop ce qui animait soudain son père d’habitude si gai. Elle ne vit pas le regard entendu que jeta Voile Tempête à sa femme, qui était aussi préoccupée que lui. Pendant que sa mère programmait la cocotte mécanique à courir sans s’arrêter, le gnome patriarche avait conduit sa fille à l’atelier dans lequel les inventions innombrables de sa famille étaient entassées.

« Ma fille, je t’ai caché toute ta vie quelque chose, et même si c’était pour ton bien, je m’en voudrais toujours.
-Euh… c’est une blague ? Questionna-t-elle sur un ton angoissé. »

Un bruit de carreau brisé résonna alors dans la pièce voisine, faisant sursauter les deux gnomes.

« Mais c’était quoi ! Cria Damoyn de sa voix melliflue.
-Je suis désolée ma fille, ne dis plus mots, et vis, je t’en pris. »

Son père baissa alors un levier caché dans la multitude de jouets mécaniques, dérobant le sol sous les pieds de la jeune gnomette qui s’engouffra dans le tunnel, ne laissant d’elle que l’écho étouffé d’un hurlement de frayeur. La trappe se referma finalement. Voile Tempête se précipita dans la salle adjacente, où déjà son fils avait été tué par une flèche ayant traversé la fenêtre. Des bruits terrifiants environnaient la bâtisse, préparant les trois gnomes encore vivants à leur tragique destinée. Se regardant tous trois dans un mélange d’appréhension, de tristesse mais surtout d’espoir, ils savaient que désormais la prophétie n’était plus entre leurs mains.

La porte reçu un choc, et s’écroula lourdement sur le sol, laissant apparaître dans l’armature Dame Ava, ses yeux sans âme fusillant les trois petits individus :

« Où est la dernière ? Cracha-t-elle finalement, sa main crochue déjà se refermant pour puiser l’essence de vie des gnomes.
-Elle s’est enfuit sur la cocotte mécanique… vous ne pourrez jamais la rattraper… répliqua Voile Tempête avec difficulté, l’air commençant à lui manquer. »

Il ne lui fallut qu’un coup d’œil pour apercevoir au loin le nuage de poussière provoqué par la machine.
D’un regard lourd de sens en direction de ses acolytes, la sorcière les somma de rattraper l’engin, ce qu’ils s’attelèrent de faire sans émettre la moindre objection. Se concentrant à nouveau sur les êtres chétifs, la très cruelle sorcière ajouta d’une voix calme :

« Ce n’est qu’une question de temps avant de mettre la main sur votre protégée, et une fois cela fait, vous pourrez apprécier l’inutilité de vos efforts quand la Horde gouvernera Azeroth.
-Ava… comment peux-tu être aus… »

La morte-vivante resserra alors son emprise, sentant la vie les abandonner à jamais. Ils tombèrent sur le sol, morts. A cet instant, perchée sur le toit, une chouette au regard doré prit son envol.
Partie 2

Les gonds de la porte de l’Auberge de Goldshire grincèrent, découvrant une humaine dont la capuche plongeait dans l’ombre la majorité du visage. Une seconde lui suffit pour évaluer les gens présents dans la pénombre ambiante ; une majorité de nains alcooliques (pléonasme ?), un espion, trois femmes de joie, et une jambe de bois. Aucune menace potentielle pour ainsi dire. Avançant en direction du tavernier, Aroha passait inaperçue. Le vieil homme se tourna vers elle, et fut comme irradié par la beauté de la magicienne quand celle-ci baissa sa capuche avec grâce, laissant apparaître une chevelure d’un noir de jais.

« Bonsoir tavernier, auriez-vous… »

Aroha se retourna vers la source l’ayant interrompue ; une naine aussi courte que grasse éclatant d’un rire gras. Ce qui la faisait ricaner devait manifestement être très amusant :

« Gargibaine, qu’est-ce qui te prend, aurais-tu oublié que nous sommes ici incognito ? Murmura avec tempérance l’humaine tout en la fixant de ses yeux pénétrants.
-Excuse-moi copine, mais… hihi… j’avais jamais remarqué que vu de derrière le pli de ta robe fait comme si t’avais une queue... mouhahaha ! »

La magicienne impassible contemplait avec une certaine consternation son amie rire à gorge déployée. Elle ne pouvait concevoir une puérilité pareille, et était bien consciente que ce n’était là qu’un avant goût pour les jours à venir.

« Tu me vois ravie que cela t’amuse, mais si tu pouvais ne serai-ce que rire intérieurement ça ne serai pas plus mal, ordonna-t-elle sèchement. »

Son amie s’étant calmée à contrecœur, mais toujours les lèvres démangées par un rire nerveux, la belle mage se concentra à nouveau sur l’aubergiste :

« Je cherche une elfe à la peau sombre, dont la chevelure flamboie tel un crépuscule d’été, demanda-t-elle d’une voix mielleuse.
-Et bien… oui effectivement, mais je n’ai pas le droit de vous informer, j’en ai bien peur. »

Se doutant bien qu’une telle andouille ferait des histoires, ses yeux se resserrèrent légèrement, ne laissant plus que ses pupilles de visibles entre deux fines fentes. De ce regard implacable, le vieil humain se sentait comme fondre :

« J’imagine que quelques pièces vous rendront plus bavard mon brave, suggéra-t-elle en faisant retentir de petits soleils dorés sur le bar.
-Et bien, oui… c’est certain. Elle est au premier étage, chambre 69.
-C’est tout elle ça, maugréa amèrement Aroha en marchant vers l’escalier, le bruit de son bâton rythmant ses pas. »

Le vieil Aubergiste suivit les pas nonchalants de cette femme selon lui superbe, mais une main s’agitant au dessus du bar attira son attention :

« Une bière s’il vous plaît ! Demanda Gargibaine, dont la petite taille ne lui permettait pas de voir plus haut. »


« Oh oui… »

La respiration altérée par l’excitation, Briseis était aux anges. Elle découvrait la vivacité et l’endurance humaine comme jamais auparavant. Embrassant à pleine bouche cet inconnu rencontré il y avait une heure de cela, la Kaldorei souhaitait que jamais cet instant ne s’achève :

« Et maintenant je vais te faire un truc que personne ne t’as fait avant, susurra l’homme à l’interminable oreille de l’elfe.
-Tout ce que tu veux poussin… »

Briseis ferma les yeux, ne sentant plus le contact avec la peau laiteuse de son amant. Elle attendait avec une impatience non dissimulée de découvrir sa nouvelle trouvaille. Cela se faisant désirer, elle ouvrit finalement les yeux, et poussa un cri d’effroi ; devant son regard sidéré se trouvait un gros mouton à l’expression béate. La surprise passée, la vision de l’elfe se détourna de l’animal, fixant Aroha dans un coup d’œil caressant comme un coup de matraque :

« J’aurai dû me douter que tu allais tout gâcher, ragea l’elfe en saisissant ses vêtements.
-Je vois à quoi t’as servit ma potion de charme, ton goût prononcé pour la débauche est indigne des elfes ma chère, déclara sans ambages Aroha, plus amusée qu’agacée.
-Epargne-moi tes sarcasmes veux-tu. C’est de ta faute tout ça ; si tu ne m’avais pas amenée ici je n’aurai jamais découvert les joies du plaisir charnel. »

Un sourire léger se dessina sur les lèvres de la mage au vue de son amie manifestement très gênée.

« Et l’autre Rase-Motte, elle est là aussi ? Interrogea Briseis, connaissant néanmoins la réponse.
-Oui je suis là longues oreilles, railla Gargibaine dans un petit rire mutin en sortant de l’ombre de la pièce.
-Comme ça l’humiliation est entière. Tu as fait des progrès en discrétion apparemment, pour un peu je n’aurai presque pas remarqué tes pas. Concernant la respiration il y a encore du travail ; je t’entends depuis le rez-de-chaussée, ironisa l’elfe, la bouche en cœur.
-Je vais te me la…
-Du calme voulez-vous ? Si les rancoeurs des races comptent aussi pour la gente féminine, nous ne sommes pas sortie de l’Auberge, intervint sèchement Aroha. Maintenant trêve de peccadilles, nous devons y aller. »

Son amie aux cheveux de feu cascadant sur ses épaules dorénavant convenablement vêtue, le trio sortit finalement, non sans avoir au préalable récupéré l’argent d’Aroha grâce au talent de la naine. La magicienne leva les yeux vers la lune perchée au dessus du toit de la Taverne. La silhouette imposante de sa chouette recouvrait une grande partie de l’astre. Elle vola vers l’humaine, hululant quelque chose que seule Aroha pouvait comprendre. Son visage pris alors un air ennuyé :

« Ils ont frappé les premiers.
-Non ! Firent en cœur les deux autres.
-Mais selon elle, ils n’ont pas eu Damoyn, il nous reste un espoir, allons-y. »

C’est ainsi que les trois silhouettes disparurent de la Taverne de Goldshire, sans que personne ne se rende compte de leur passage, ou presque…

Deux heures plus tard les trois amies se retrouvèrent aux environs d’Ironforge, suivant la chouette volant loin au dessus d’elles. Briseis s’arrêta soudain, le visage déformé par la douleur :

« Qu’y a-t-il ? Lui demanda la mage.
-Il y a une telle souffrance par ici… les arbres murmurent leur peine. Nous ne devons pas être loin… »

Au cours d’un virage, les trois femmes discernèrent au loin une lueur, qui ne pouvait être naturelle. Marchant d’un pas rapide, elles arrivèrent bientôt devant ce qui était il y a quelque temps la maison gnome. Un feu agité la dévorait, faisant fondre le métal, consumant le bois, réduisant la pauvre demeure à néant. Aroha, Briseis et Gargibaine restèrent interdites devant ce spectacle désarmant ; elles étaient arrivées trop tard pour sauver les petits gens. Mais Aroha au fond d’elle savait que la partie n’était pas terminée, et, dès le feu éteint, commença à examiner attentivement autour d’elle. Elle sourit malicieusement en posant son regard sur le puits à quelques pas de la maison, et s’en approcha.

« Les visiteurs qui ont saccagé cette maison étaient encore là il y a une heure, je sens toujours leur souffle dans l’air, affirma Briseis, ses lèvres déformées dans un rictus de dégoût.
-Qu’ils restent où ils sont, nous nous passerons aisément de leur présence, viens donc ici et fais descendre une de tes racines dans ce puits. »

Gargibaine, un peu sceptique quant à l’idée de sa grande amie, jeta un coup d’œil dans le puits. Outre sa profondeur interminable ne laissant filtrer aucune lumière, on pouvait y discerner comme deux petits joyaux étincelants. Relevant la tête précipitamment, la très vénale naine demanda non sans intérêt :

« Il y a des pierres précieuses aux fonds ?!
-Bien plus précieuses que tu ne penses, très chère, rétorqua l’elfe non sans moquerie. »

Des ses mains gracieuses, l’elfe fit jaillir une longue racine du sol, la guidant de ses gestes plein de tact dans le puits.

« Ben qu’est-ce qu’on attend ? S’impatienta la naine, son regard plein de malice.
-Patience, les joyaux vont sortir. »

La racine se tendit alors, signe qu’un poids s’agrippait à elle. Une minute plus tard, sous les yeux des trois femmes, sortit Damoyn, des larmes perlant sur ses joues rebondies.

« C’est ça nos joyaux ?! Râla Gargibaine, visiblement déçue.
-Oui, d’une valeur inestimable, murmura la magicienne, couvrant la petite gnomette de son regard protecteur. »
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