Partie 2
Les gonds de la porte de l’Auberge de Goldshire grincèrent, découvrant une humaine dont la capuche plongeait dans l’ombre la majorité du visage. Une seconde lui suffit pour évaluer les gens présents dans la pénombre ambiante ; une majorité de nains alcooliques (pléonasme ?), un espion, trois femmes de joie, et une jambe de bois. Aucune menace potentielle pour ainsi dire. Avançant en direction du tavernier, Aroha passait inaperçue. Le vieil homme se tourna vers elle, et fut comme irradié par la beauté de la magicienne quand celle-ci baissa sa capuche avec grâce, laissant apparaître une chevelure d’un noir de jais.
« Bonsoir tavernier, auriez-vous… »
Aroha se retourna vers la source l’ayant interrompue ; une naine aussi courte que grasse éclatant d’un rire gras. Ce qui la faisait ricaner devait manifestement être très amusant :
« Gargibaine, qu’est-ce qui te prend, aurais-tu oublié que nous sommes ici incognito ? Murmura avec tempérance l’humaine tout en la fixant de ses yeux pénétrants.
-Excuse-moi copine, mais… hihi… j’avais jamais remarqué que vu de derrière le pli de ta robe fait comme si t’avais une queue... mouhahaha ! »
La magicienne impassible contemplait avec une certaine consternation son amie rire à gorge déployée. Elle ne pouvait concevoir une puérilité pareille, et était bien consciente que ce n’était là qu’un avant goût pour les jours à venir.
« Tu me vois ravie que cela t’amuse, mais si tu pouvais ne serai-ce que rire intérieurement ça ne serai pas plus mal, ordonna-t-elle sèchement. »
Son amie s’étant calmée à contrecœur, mais toujours les lèvres démangées par un rire nerveux, la belle mage se concentra à nouveau sur l’aubergiste :
« Je cherche une elfe à la peau sombre, dont la chevelure flamboie tel un crépuscule d’été, demanda-t-elle d’une voix mielleuse.
-Et bien… oui effectivement, mais je n’ai pas le droit de vous informer, j’en ai bien peur. »
Se doutant bien qu’une telle andouille ferait des histoires, ses yeux se resserrèrent légèrement, ne laissant plus que ses pupilles de visibles entre deux fines fentes. De ce regard implacable, le vieil humain se sentait comme fondre :
« J’imagine que quelques pièces vous rendront plus bavard mon brave, suggéra-t-elle en faisant retentir de petits soleils dorés sur le bar.
-Et bien, oui… c’est certain. Elle est au premier étage, chambre 69.
-C’est tout elle ça, maugréa amèrement Aroha en marchant vers l’escalier, le bruit de son bâton rythmant ses pas. »
Le vieil Aubergiste suivit les pas nonchalants de cette femme selon lui superbe, mais une main s’agitant au dessus du bar attira son attention :
« Une bière s’il vous plaît ! Demanda Gargibaine, dont la petite taille ne lui permettait pas de voir plus haut. »
« Oh oui… »
La respiration altérée par l’excitation, Briseis était aux anges. Elle découvrait la vivacité et l’endurance humaine comme jamais auparavant. Embrassant à pleine bouche cet inconnu rencontré il y avait une heure de cela, la Kaldorei souhaitait que jamais cet instant ne s’achève :
« Et maintenant je vais te faire un truc que personne ne t’as fait avant, susurra l’homme à l’interminable oreille de l’elfe.
-Tout ce que tu veux poussin… »
Briseis ferma les yeux, ne sentant plus le contact avec la peau laiteuse de son amant. Elle attendait avec une impatience non dissimulée de découvrir sa nouvelle trouvaille. Cela se faisant désirer, elle ouvrit finalement les yeux, et poussa un cri d’effroi ; devant son regard sidéré se trouvait un gros mouton à l’expression béate. La surprise passée, la vision de l’elfe se détourna de l’animal, fixant Aroha dans un coup d’œil caressant comme un coup de matraque :
« J’aurai dû me douter que tu allais tout gâcher, ragea l’elfe en saisissant ses vêtements.
-Je vois à quoi t’as servit ma potion de charme, ton goût prononcé pour la débauche est indigne des elfes ma chère, déclara sans ambages Aroha, plus amusée qu’agacée.
-Epargne-moi tes sarcasmes veux-tu. C’est de ta faute tout ça ; si tu ne m’avais pas amenée ici je n’aurai jamais découvert les joies du plaisir charnel. »
Un sourire léger se dessina sur les lèvres de la mage au vue de son amie manifestement très gênée.
« Et l’autre Rase-Motte, elle est là aussi ? Interrogea Briseis, connaissant néanmoins la réponse.
-Oui je suis là longues oreilles, railla Gargibaine dans un petit rire mutin en sortant de l’ombre de la pièce.
-Comme ça l’humiliation est entière. Tu as fait des progrès en discrétion apparemment, pour un peu je n’aurai presque pas remarqué tes pas. Concernant la respiration il y a encore du travail ; je t’entends depuis le rez-de-chaussée, ironisa l’elfe, la bouche en cœur.
-Je vais te me la…
-Du calme voulez-vous ? Si les rancoeurs des races comptent aussi pour la gente féminine, nous ne sommes pas sortie de l’Auberge, intervint sèchement Aroha. Maintenant trêve de peccadilles, nous devons y aller. »
Son amie aux cheveux de feu cascadant sur ses épaules dorénavant convenablement vêtue, le trio sortit finalement, non sans avoir au préalable récupéré l’argent d’Aroha grâce au talent de la naine. La magicienne leva les yeux vers la lune perchée au dessus du toit de la Taverne. La silhouette imposante de sa chouette recouvrait une grande partie de l’astre. Elle vola vers l’humaine, hululant quelque chose que seule Aroha pouvait comprendre. Son visage pris alors un air ennuyé :
« Ils ont frappé les premiers.
-Non ! Firent en cœur les deux autres.
-Mais selon elle, ils n’ont pas eu Damoyn, il nous reste un espoir, allons-y. »
C’est ainsi que les trois silhouettes disparurent de la Taverne de Goldshire, sans que personne ne se rende compte de leur passage, ou presque…
Deux heures plus tard les trois amies se retrouvèrent aux environs d’Ironforge, suivant la chouette volant loin au dessus d’elles. Briseis s’arrêta soudain, le visage déformé par la douleur :
« Qu’y a-t-il ? Lui demanda la mage.
-Il y a une telle souffrance par ici… les arbres murmurent leur peine. Nous ne devons pas être loin… »
Au cours d’un virage, les trois femmes discernèrent au loin une lueur, qui ne pouvait être naturelle. Marchant d’un pas rapide, elles arrivèrent bientôt devant ce qui était il y a quelque temps la maison gnome. Un feu agité la dévorait, faisant fondre le métal, consumant le bois, réduisant la pauvre demeure à néant. Aroha, Briseis et Gargibaine restèrent interdites devant ce spectacle désarmant ; elles étaient arrivées trop tard pour sauver les petits gens. Mais Aroha au fond d’elle savait que la partie n’était pas terminée, et, dès le feu éteint, commença à examiner attentivement autour d’elle. Elle sourit malicieusement en posant son regard sur le puits à quelques pas de la maison, et s’en approcha.
« Les visiteurs qui ont saccagé cette maison étaient encore là il y a une heure, je sens toujours leur souffle dans l’air, affirma Briseis, ses lèvres déformées dans un rictus de dégoût.
-Qu’ils restent où ils sont, nous nous passerons aisément de leur présence, viens donc ici et fais descendre une de tes racines dans ce puits. »
Gargibaine, un peu sceptique quant à l’idée de sa grande amie, jeta un coup d’œil dans le puits. Outre sa profondeur interminable ne laissant filtrer aucune lumière, on pouvait y discerner comme deux petits joyaux étincelants. Relevant la tête précipitamment, la très vénale naine demanda non sans intérêt :
« Il y a des pierres précieuses aux fonds ?!
-Bien plus précieuses que tu ne penses, très chère, rétorqua l’elfe non sans moquerie. »
Des ses mains gracieuses, l’elfe fit jaillir une longue racine du sol, la guidant de ses gestes plein de tact dans le puits.
« Ben qu’est-ce qu’on attend ? S’impatienta la naine, son regard plein de malice.
-Patience, les joyaux vont sortir. »
La racine se tendit alors, signe qu’un poids s’agrippait à elle. Une minute plus tard, sous les yeux des trois femmes, sortit Damoyn, des larmes perlant sur ses joues rebondies.
« C’est ça nos joyaux ?! Râla Gargibaine, visiblement déçue.
-Oui, d’une valeur inestimable, murmura la magicienne, couvrant la petite gnomette de son regard protecteur. »
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