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La calèche emmenant Lyonsson et Hastings quitta l’enceinte du palais de justice. Sur le chemin, le Commandant resta silencieux, l’air sombre. Ne désirant pas contrarier davantage son ami, Jerec se contenta de regarder le paysage urbain qui s’offrait à lui.
Le centre de Padhiver était incontestablement le lieu le plus somptueux et le plus animé de la cité. Des marchands vantaient les mérites de leurs articles de luxe, des spectacles organisés par des artistes itinérants se tenaient quasiment à tous les coins de rue. Le détective constata que cette partie de la ville était celle qui s’était le plus rapidement remise des évènements liés à la mystérieuse épidémie.
Alors que la calèche arrivait à la hauteur du Marché des Lames, taverne qui faisait office de lieu rencontre entre mercenaires de tous horizons et leurs clients potentiels, Jerec fit signe au cocher de faire halte.
« Que se passe-t-il ? demanda Hastings, sorti brusquement de sa torpeur.
- Nous passons récupérer une amie, fit Lyonsson, un léger sourire aux lèvres. »
Le véhicule s’immobilisa. Jerec ouvrît la portière puis se décala sur la banquette afin de laisser place à la nouvelle arrivante.
Hastings prit un air stupéfait. Devant-lui se tenait une jeune femme aussi ravissante que minuscule. Elle ne devait guère dépasser les quatre-vingt-dix centimètres. Le teint légèrement basané, de longs cheveux bruns réunis par une queue de cheval, un visage angélique, illuminé par des yeux d’un vert de Jade. Le Commandant se dit en lui-même qu’il n’avait jamais vu un regard respirant autant l’intelligence et la malice. Visiblement, il était favorablement impressionné par la prestance de la halfeline.
« Bien, fit Jerec, je vais donc faire les présentations. Ulrich, voici Lidda Chantefeuille, mon associée.
- ton ass… balbutia Ulrich, allant de surprise en surprise
- Lidda, je te présente mon vieil ami, Ulrich Hastings, Commandant de la Sécurité Intérieure de Padhiver.
- Enchantée de vous connaître, Commandant, fît Lidda de la voix fluette et caractéristique des halfelins.
- Tout… le plaisir est pour moi, lui répondit Hastings, l’air un peu perdu. »
***
La calèche s’arrêta devant une lourde porte blindée à double-battant, gardée par une dizaine d’hommes en armes. L’un d’eux alla à la rencontre d’Hastings, dés que ce dernier eut posé ses pieds au sol.
« Commandant Hastings ? fit l’homme avec le ton de déférence adéquat. Sergent Hensit à vos ordres. Le Capitaine Fendts m’envoie vous escorter jusqu’à lui. Je crains que vous ne soyez obligés de poursuivre votre route à pied.
- Je comprends parfaitement, répondit Ulrich.
- Ces deux personnes vous accompagnent-elles ? demanda le Sergent en désignant Jerec et Lidda, qui descendaient à leur tour de la calèche.
- Oui. Laissez-moi vous présenter le détective Jerec Lyonsson et son… associée, Lidda Chantefeuille.
- Fort bien, fit l’officier. Si vous voulez bien me suivre. »
***
Quelle misère, constata Lyonsson. Le Nid des Mendiants ne portait que trop bien son nom. Le pavé qui recouvrait les rues évoquait parfois davantage du gravas éparpillé au petit bonheur-la-chance. Des ruines de maisons incendiées durant les émeutes étaient nettement visibles. Aucun endroit du quartier n’avait été épargné, et il semblait évident qu’aucun projet de reconstruction n’avait été lancé depuis.
Le Sergent Hensit s’arrêta devant un bâtiment qui devait faire office d’entrepôt. La bâtisse était aussi fonctionnelle que laide, parfait bloc de granit, recouvert de bois. Seul un panneau portant l’inscription Atelier Miransen – Vêtements de luxe.
« Prenez l’escalier descendant, tout de suite à droite de l’entrée. Le Capitaine Fendts est en bas avec son équipe. »
Hastings, après avoir brièvement remercié son sous-officier d’un hochement de tête, s’engagea le premier dans l’entrepôt, suivi de Lidda, puis Jerec. L’escalier indiqué par le Sergent, descendait en colimaçon sur cinq mètres de dénivelé. La température devenait plus fraîche et l’air s’emplissait d’humidité ainsi que d’une odeur de moisi.
En franchissant la porte qui se trouvait au pied de l’escalier, Jerec remarqua que cette dernière avait sa serrure quelque peu endommagée, et que des morceaux de bois jonchaient le sol non loin… ainsi que des traces de sang qui s’étendaient tout le long de la pièce !
Il pénétrèrent dans une immense pièce qui devait, au jugé du détective, bien occuper cent-cinquante mètres carrés de surface. Une vingtaine de tables rectangulaires occupaient l’essentiel des lieux. Sur ces dernières, s’empilaient des pièces de tissu aux couleurs variées.
Un groupe d’une vingtaine d’hommes s’affairait aux quatre coins de l’atelier. Un homme d’une trentaine d’années, le crâne complètement dégarni vînt à la rencontre d’Hastings.
« Commandant, salua-t-il
- Bonjour Capitaine, fît Hastings d’un ton morne.
- Qui sont ces personnes fît le chauve en désignant Jerec et Lidda, l’air contrarié.
- Jerec Lyonsson est le détective d’Eaupronfonde dont je vous avais déjà parlé, Fendts. Et voici Miss Chantefeuille, son associée.
- J’ignorais que nos affaires allaient attirer des touristes du continent, lâcha le Capitaine, d’un ton bourru. Visiblement, il n’appréciait guère que des civils soient sur les lieux.
- Où est le corps ? demanda Hastings, faisant fi de la désobligeante remarque de son subordonné. »
Fendts les conduisit dans un coin de la pièce fermé par deux gardes qui s’écartèrent aussitôt sur le signe de leur Capitaine.
Le corps était recouvert d’un suaire blanc désormais complètement ensanglanté.
« Cela ne vas certainement pas te plaire, fit Jerec en aparté à son associée.
- Je te rappelle que je t’ai déjà surpris au saut du lit, répondit Lidda un sourire narquois aux lèvres. »
Hastings s’agenouilla devant le corps et ôta à demi le linge recouvert de sang séché.
Jerec s’imaginait que les horreurs de la peste l’avaient définitivement blindé. Il regretta cruellement cette erreur d’appréciation à la vue de ce corps. La victime était une femme plutôt jeune. Le visage était complètement mutilé. Le nez avait été quasiment arraché et pendait. Les yeux avaient été sortis de leur orbites respectives.
Les doigts de la victime avaient été tranchés net juste en dessous de l’ongle. Son entrejambe n’était plus désormais qu’une plaie béante et ses seins étaient affreusement tailladés. Seuls rescapés, les longs cheveux blonds et bouclés qui baignaient désormais dans une marre de sang à demi sêché.
« Yondalla, viens-nous en aide, murmura Lidda.
- Connaît-on l’identité de la victime ? demanda Hastings au Capitaine Fendts.
- Elsa Dunkle, vingt-et-un ans, assistante couturière depuis deux ans chez Grimansen, récita le sous-officier.
- Qui a découvert le corps ?
- Une certaine Fiona Castle, une collègue de travail.
- Est-ce elle-même qui a défoncé la porte d’entrée ? demanda Jerec qui se remettait tant bien que mal.
- Je vous demande pardon ? fit Fendts
- La porte qui donne accès à l’escalier, insista le détective. Elle porte les signes caractéristiques d’un forçage en règle à en juger par l’état de la serrure.
- Vous ne perdez pas de temps, Monsieur Lyonsson, répliqua le Capitaine, d’un ton glacial. Ayant constaté que la porte était fermée à clef et que personne ne répondait, miss Castle est allée demander de l’aide aux gardes de la porte reliant le Nid des Mendiants au centre-ville. Ils ont du s’y mettre à trois pour en venir à bout. »
Jerec hocha la tête. Il parcourut toute la pièce des yeux, enregistrant visuellement tous les détails dans son esprit. Cette porte était visiblement le seul accès entre l’atelier et la surface. Qui donc l’avait verrouillée ? La victime ou son assassin ?
Il se dirigea vers l’entrée de la pièce tandis qu’Hastings s’entretenait avec Fendts sur d’éventuels témoins.
La porte d’entrée était constituée de deux épaisseurs de chêne, encadrées d’armatures métalliques. La serrure était des plus classiques, cependant, fait très étonnant, elle ne pouvait être verrouillée que de l’intérieur. Mais où est donc la clé ? Il se mit à inspecter le sol environnant. Mais, excepté des copeaux de bois et des traces de sang, aucun objet ressemblant de prés ou de loin à une clé ne s’y trouvait .
Lorsqu’il rejoignit Hastings, Fendts et Lidda, le Capitaine était en train d’expliquer à son supérieur que tout le voisinage direct avait été interrogé et que, bien évidemment, personne n’avait rien vu ni entendu.
« Excusez-moi Capitaine, interrompit Jerec. Où est la clé ?
- La clé ? Quelle clé ?
- La porte était verrouillée, et elle ne pouvait l’être qu’à l’aide d’une clé ou d’un passe vu le modèle de serrure utilisé.
- Hé bien il est fort probable que l’auteur de cet acte de barbarie ait fermé cette porte après son méfait et soit enfui avec.
- C’est absolument impossible, rétorqua le détective.
- Comment en es-tu si sûr ? Interrogea Hastings l’air dubitatif.
- Pour la bonne et simple raison qu’il s’agit d’une serrure à sens unique. On ne peut fermer ou ouvrir la porte que de l’intérieur. Fort de cette constatation, j’en déduis que la clé est toujours ici.
- En quoi cette clé est-elle si importante à vos yeux ? demanda Fendts, vexé par cet exposé.
- Capitaine, fit Jerec avec calme, essayons de nous en tenir aux faits les plus élémentaires. Sans ces derniers, toute hypothèse vraisemblable sera impossible à formuler. Dans le cas présent, la première question à laquelle nous devons répondre est qui a verrouillé cette porte ?Trouver la clé nous aidera à y répondre. Et si il s’agit de l’assassin, il ne s’y est certainement pas pris dans les circonstances que vous avez avancées.
- Nous avons déjà passé cet atelier au peigne fin, rétorqua Fendts, ulcéré. Si une clé s’était trouvée sur les lieux, nous l’aurions déjà classée en tant que pièce à conviction.
- Et qu’en est-il du corps de la victime ? Avez-vous examiné ses vêtements ?
- Pas encore mais… »
Jerec s’agenouilla devant la dépouille de la malheureuse. Elle portait une robe vert foncé avec un tablier blanc à carreaux bleu ciel. Parcourant avec ses mains, le contour de la robe, puis du tablier, il entendît Hastings murmurer des reproches à son subordonné.
Deux minutes plus tard, le détective se leva, et à la grande stupeur de ses compagnons, il tendît au capitaine Fendts une clé en acier noir.
« Je l’ai trouvée dans la doublure inférieure de son tablier fit-il
- Comment saviez vous…
- Elsa était couturière, exposa Lyonsson. Comme toute personne de sa profession, elle utilise la doublure de son tablier pour y garder ses aiguilles à portée de main. Par habitude, elle a du l’utiliser pour y ranger la clé, après avoir verrouillé la porte.
- Mais pourquoi s’être enfermée avec un malade dans la même pièce ?
- C’est étrange, je dois l’avouer, fit le détective en se grattant la tête. Peut être fermait-elle cette porte tous les soirs, par habitude. Il faudrait probablement interroger ses collègues afin de s’en assurer… »
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