Le Crime Des Loups

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Elsa venait tout juste d’achever la confection d’une robe de bal aux couleurs criardes. Sa commanditaire, une cliente aussi riche que pimbêche tenait visiblement à être le centre d’attraction de la prochaine fête entre gens de la haute. Onze heures du soir venaient de tinter au clocher de La Rose Noire – clocher d’une des églises de Padhiver, située dans le quartier du Nid des Mendiants, dont la girouette était surmontée d’une rose en acier trempé -.

Elsa était une jeune femme âgée de 21 ans, une chevelure blonde comme les blés, souple et généreuse, une poitrine qui mettrait en émoi même le plus récalcitrant des misogynes. En clair, elle était une excellente représentante de l’espèce humaine.

Cela faisait presque deux ans qu’elle avait été engagée en tant qu’assistante couturière dans un atelier souterrain situé au c½ur du quartier le plus mal famé de la ville de Padhiver. L’atelier était la propriété de la halfelin Miranda Grimansen, une riche marchande qui possédait également une armurerie dans le quartier Lacnoir.

Elle gagnait un salaire de misère, mais elle ne désespérait pas. Essayant d’épargner le maximum de deniers possible, elle caressait le doux rêve de quitter cette maudite cité pour rejoindre le bord de mer.

Ses parents et sa jeune s½ur avaient péri lors de l’épidémie mystérieuse qui s’était abattue sur Padhiver, il y a déjà sept ans. Cette ville resterait à jamais pour elle, le lieu où son enfance se brisa…

Elle se massait le cou, tant la journée de travail avait été éreintante, elle avait du honorer neuf grandes commandes. Elle était la dernière à être encore présente au travail à une heure aussi tardive. Elle grelottait tant le froid et l’humidité étaient omniprésents dans ce lugubre atelier. Des traces de moisissures s’étendaient sur les murs de pierre et les poutres apparentes du plafond. La pièce était faiblement éclairée par trois lampes à huile dont l’état laissait plus qu’à désirer. Un jour, un incendie se produira, prédit-elle.

Elle s’apprêtait à ranger tout son matériel de couture, lorsqu’un bruit de cliquetis venant de la porte de sortie de l’atelier – qui menait vers l’escalier de surface – la fît sursauter.

Elle fixa la porte pendant dix secondes, mais le bruit n’était plus. Elle continua à rassembler son nécessaire, lorsqu’à nouveau, le même bruit se fît entendre…

« Qui est là ?, fît-elle d’une voix quelque peu tendue.

- Je te retrouve enfin, Sema, répondît une voix doucereuse qui chuchotait presque… »

La voix semblait provenir de derrière la porte de sortie. Elle s’en approcha à pas de velours puis, arrivée au pas de la porte, elle tourna avec une infinie lenteur la clé en acier noir qui ornait la serrure, puis l’en retira avec la même précaution.

« Allons, Sema, fît la voix, pense-tu réellement que cette porte, même verrouillée, puisse réellement constituer un obstacle entre toi et moi ?

- Sema ? Qui est Sema ? Je m’appelle Elsa ! fît la jeune femme, cédant progressivement à la panique.

- Inutile de protester, ma belle… Après toutes ces années, nous te retrouvons enfin… Tu es une sacrée aubaine pour ma carrière tu sais ?

- Vous êtes complètement fou ! Allez-vous-en !, hurla Elsa.

- Tu peux hurler toute la nuit si cela t’amuse, personne ne viendra pour toi.

- Vous perdez votre temps, espèce de malade ! Je ne suis pas celle que vous cherchez. Restez donc toute la soirée derrière cette porte, je ne l’ouvrirai pas !

- Mais qu’est-ce qui te fais dire que je suis derrière la porte ?

- Que… »

Un cri de terreur et d’agonie retentît…

***

Jerec Lyonsson était assis tranquillement dans la salle d’attente du palais de justice, situé en plein c½ur de la ville de Padhiver. L’air serein, il contemplait les tableaux de maître accrochés au murs de la salle, qui constituaient le principal élément décoratif des lieux. Parmi les ½uvres, figuraient un portrait du Seigneur Nasher, régisseur de la ville, ancien aventurier. L’½uvre, remarqua-t-il avait été peinte dans des tons plutôt sombres pour représenter un homme aussi exceptionnel que Nasher. A croire que l’auteur du tableau voulait à tout prix présenter son sujet comme une personne austère.

Jerec était un humain, âgé d’une trentaine d’année, de taille moyenne, assez trapu, les cheveux châtains coupés courts, des yeux noisettes. Rattaché pendant cinq ans à la garde du palais de justice, il fît rapidement preuve de perspicacité et d’esprit de déduction. Prédisposé pour mener des enquêtes policières, il travailla prés de deux en tant qu’assistant de l’administrateur judiciaire de Padhiver. Il s’illustra principalement, dans la résolution d’affaires de vols et de meurtres, et contribua grandement au dénouement du complot organisé autour de la peste qui décima la population de la ville.

Puis vînt le moment où il décida de se mettre à son propre compte, en tant que détective, activité fort lucrative pour une personne de son expérience.

« Monsieur Lyonsson ? fît un garde planté comme un piquet.

- Lui même.

- Le Commandant Hastings vous attends. Si voulez bien me suivre. »

Emboîtant le pas à son « guide », Jerec constata que l’intérieur du palais portait encore les traces des émeutes qui secouèrent la ville lors de l’épidémie. Tout comme les cicatrices, ces traces sont un remède contre l’oubli, pensa-t-il, l’air quelque peu mélancolique.

Le garde le fit pénétrer dans un vaste bureau qui aurait pu héberger cinq familles du quartier du Nid des Mendiants. Une vaste bibliothèque couvrait toute la surface de l’un des quatre murs de la pièce. Au centre de cette dernière se dressait un magnifique bureau sculpté en bois de chêne. Son occupant se leva avec un grand sourire dés l’entrée du détective. Le Commandant Ulrich Hastings était un homme légèrement plus âgé que Jerec, des cheveux grisonnants coupés en brosse militaire, une fine moustache venant atténuer les traits assez dur de son visage.

« Te voici enfin de retour parmi nous, vieux bandit ! fît Hastings, l’air enjoué.

- Heureux de te revoir également, répondît Jerec avec un demi sourire. Dis-moi, j’ai cru mal entendre lorsque le garde m’a conduit ici. Commandant ? Tu as pris de la bouteille…

- Les promotions viennent à tout point à qui sait attendre, rétorqua le militaire. J’ai cru comprendre que tu n’avais pas perdu de temps de ton côté. Chevalier d’Honneur d’Eauprofonde pour inestimables services rendus à la cité… Chapeau…

- Je suis loin d’en être mécontent, même si j’ai failli y laisser ma peau…

- Le jour où tu ne te fourreras plus dans des situations mortellement dangereuses, je me ferai énormément de tracas sur ta santé, ironisa le commandant.

- C’est oublier toutes les fois où je t’ai sorti d’infâmes guêpiers, oiseau de mauvaise foi, lâcha le détective avec un clin d’½il complice. Bon, si nous en venions au vif du sujet ? J’imagine que tu ne m’as pas tiré des joies et délices d’Eauprofonde uniquement pour que nous nous lancions dans les délices de l’autosatisfaction ?

- Certes non, fît Hastings emplissant deux verres d’une liqueur locale. Mais il s’agit d’un sujet assez délicat, et, pour te dire la vérité, je ne sais pas trop comment l’aborder.

- La meilleure chose à faire, dans ces cas là est tout bonnement de se jeter à l’eau. De plus, il y a longtemps que tu n’es plus obligé de me prendre avec des pincettes, encouragea Jerec.

- Très bien, fît le commandant. Voilà, il s’agit de…. »

Hastings fut interrompu par l’entrée en trombe du garde qui avait conduit Jerec Lyonsson jusqu’à son bureau.

« Commandant, fît le garde, le capitaine Fendts vous fais parvenir ce message. Il est actuellement dans le quartier du Nid des Mendiants.

Le Commandant saisit le bout de parchemin que lui tendait le garde. Il le déplia, le lit, et prit aussitôt une mine consternée que Jerec remarqua aussitôt.

- Que se passe-t-il Ulrich ?

- Il se passe, répondît Hastings, roulant le parchemin en boule, qu’il est désormais inutile que je t’explique la raison de ta venue à Padhiver… Une démonstration vaux mieux que tous les discours du monde…

- Ce qui signifie ?

- Il a recommencé, répondît Hastings, d’une voix sinistre. »
La calèche emmenant Lyonsson et Hastings quitta l’enceinte du palais de justice. Sur le chemin, le Commandant resta silencieux, l’air sombre. Ne désirant pas contrarier davantage son ami, Jerec se contenta de regarder le paysage urbain qui s’offrait à lui.

Le centre de Padhiver était incontestablement le lieu le plus somptueux et le plus animé de la cité. Des marchands vantaient les mérites de leurs articles de luxe, des spectacles organisés par des artistes itinérants se tenaient quasiment à tous les coins de rue. Le détective constata que cette partie de la ville était celle qui s’était le plus rapidement remise des évènements liés à la mystérieuse épidémie.

Alors que la calèche arrivait à la hauteur du Marché des Lames, taverne qui faisait office de lieu rencontre entre mercenaires de tous horizons et leurs clients potentiels, Jerec fit signe au cocher de faire halte.

« Que se passe-t-il ? demanda Hastings, sorti brusquement de sa torpeur.

- Nous passons récupérer une amie, fit Lyonsson, un léger sourire aux lèvres. »

Le véhicule s’immobilisa. Jerec ouvrît la portière puis se décala sur la banquette afin de laisser place à la nouvelle arrivante.

Hastings prit un air stupéfait. Devant-lui se tenait une jeune femme aussi ravissante que minuscule. Elle ne devait guère dépasser les quatre-vingt-dix centimètres. Le teint légèrement basané, de longs cheveux bruns réunis par une queue de cheval, un visage angélique, illuminé par des yeux d’un vert de Jade. Le Commandant se dit en lui-même qu’il n’avait jamais vu un regard respirant autant l’intelligence et la malice. Visiblement, il était favorablement impressionné par la prestance de la halfeline.

« Bien, fit Jerec, je vais donc faire les présentations. Ulrich, voici Lidda Chantefeuille, mon associée.

- ton ass… balbutia Ulrich, allant de surprise en surprise

- Lidda, je te présente mon vieil ami, Ulrich Hastings, Commandant de la Sécurité Intérieure de Padhiver.

- Enchantée de vous connaître, Commandant, fît Lidda de la voix fluette et caractéristique des halfelins.

- Tout… le plaisir est pour moi, lui répondit Hastings, l’air un peu perdu. »

***

La calèche s’arrêta devant une lourde porte blindée à double-battant, gardée par une dizaine d’hommes en armes. L’un d’eux alla à la rencontre d’Hastings, dés que ce dernier eut posé ses pieds au sol.

« Commandant Hastings ? fit l’homme avec le ton de déférence adéquat. Sergent Hensit à vos ordres. Le Capitaine Fendts m’envoie vous escorter jusqu’à lui. Je crains que vous ne soyez obligés de poursuivre votre route à pied.
- Je comprends parfaitement, répondit Ulrich.

- Ces deux personnes vous accompagnent-elles ? demanda le Sergent en désignant Jerec et Lidda, qui descendaient à leur tour de la calèche.

- Oui. Laissez-moi vous présenter le détective Jerec Lyonsson et son… associée, Lidda Chantefeuille.

- Fort bien, fit l’officier. Si vous voulez bien me suivre. »

***

Quelle misère, constata Lyonsson. Le Nid des Mendiants ne portait que trop bien son nom. Le pavé qui recouvrait les rues évoquait parfois davantage du gravas éparpillé au petit bonheur-la-chance. Des ruines de maisons incendiées durant les émeutes étaient nettement visibles. Aucun endroit du quartier n’avait été épargné, et il semblait évident qu’aucun projet de reconstruction n’avait été lancé depuis.

Le Sergent Hensit s’arrêta devant un bâtiment qui devait faire office d’entrepôt. La bâtisse était aussi fonctionnelle que laide, parfait bloc de granit, recouvert de bois. Seul un panneau portant l’inscription Atelier Miransen – Vêtements de luxe.

« Prenez l’escalier descendant, tout de suite à droite de l’entrée. Le Capitaine Fendts est en bas avec son équipe. »

Hastings, après avoir brièvement remercié son sous-officier d’un hochement de tête, s’engagea le premier dans l’entrepôt, suivi de Lidda, puis Jerec. L’escalier indiqué par le Sergent, descendait en colimaçon sur cinq mètres de dénivelé. La température devenait plus fraîche et l’air s’emplissait d’humidité ainsi que d’une odeur de moisi.

En franchissant la porte qui se trouvait au pied de l’escalier, Jerec remarqua que cette dernière avait sa serrure quelque peu endommagée, et que des morceaux de bois jonchaient le sol non loin… ainsi que des traces de sang qui s’étendaient tout le long de la pièce !
Il pénétrèrent dans une immense pièce qui devait, au jugé du détective, bien occuper cent-cinquante mètres carrés de surface. Une vingtaine de tables rectangulaires occupaient l’essentiel des lieux. Sur ces dernières, s’empilaient des pièces de tissu aux couleurs variées.

Un groupe d’une vingtaine d’hommes s’affairait aux quatre coins de l’atelier. Un homme d’une trentaine d’années, le crâne complètement dégarni vînt à la rencontre d’Hastings.

« Commandant, salua-t-il

- Bonjour Capitaine, fît Hastings d’un ton morne.

- Qui sont ces personnes fît le chauve en désignant Jerec et Lidda, l’air contrarié.

- Jerec Lyonsson est le détective d’Eaupronfonde dont je vous avais déjà parlé, Fendts. Et voici Miss Chantefeuille, son associée.

- J’ignorais que nos affaires allaient attirer des touristes du continent, lâcha le Capitaine, d’un ton bourru. Visiblement, il n’appréciait guère que des civils soient sur les lieux.

- Où est le corps ? demanda Hastings, faisant fi de la désobligeante remarque de son subordonné. »

Fendts les conduisit dans un coin de la pièce fermé par deux gardes qui s’écartèrent aussitôt sur le signe de leur Capitaine.

Le corps était recouvert d’un suaire blanc désormais complètement ensanglanté.

« Cela ne vas certainement pas te plaire, fit Jerec en aparté à son associée.

- Je te rappelle que je t’ai déjà surpris au saut du lit, répondit Lidda un sourire narquois aux lèvres. »

Hastings s’agenouilla devant le corps et ôta à demi le linge recouvert de sang séché.

Jerec s’imaginait que les horreurs de la peste l’avaient définitivement blindé. Il regretta cruellement cette erreur d’appréciation à la vue de ce corps. La victime était une femme plutôt jeune. Le visage était complètement mutilé. Le nez avait été quasiment arraché et pendait. Les yeux avaient été sortis de leur orbites respectives.

Les doigts de la victime avaient été tranchés net juste en dessous de l’ongle. Son entrejambe n’était plus désormais qu’une plaie béante et ses seins étaient affreusement tailladés. Seuls rescapés, les longs cheveux blonds et bouclés qui baignaient désormais dans une marre de sang à demi sêché.

« Yondalla, viens-nous en aide, murmura Lidda.

- Connaît-on l’identité de la victime ? demanda Hastings au Capitaine Fendts.

- Elsa Dunkle, vingt-et-un ans, assistante couturière depuis deux ans chez Grimansen, récita le sous-officier.

- Qui a découvert le corps ?

- Une certaine Fiona Castle, une collègue de travail.

- Est-ce elle-même qui a défoncé la porte d’entrée ? demanda Jerec qui se remettait tant bien que mal.

- Je vous demande pardon ? fit Fendts

- La porte qui donne accès à l’escalier, insista le détective. Elle porte les signes caractéristiques d’un forçage en règle à en juger par l’état de la serrure.

- Vous ne perdez pas de temps, Monsieur Lyonsson, répliqua le Capitaine, d’un ton glacial. Ayant constaté que la porte était fermée à clef et que personne ne répondait, miss Castle est allée demander de l’aide aux gardes de la porte reliant le Nid des Mendiants au centre-ville. Ils ont du s’y mettre à trois pour en venir à bout. »


Jerec hocha la tête. Il parcourut toute la pièce des yeux, enregistrant visuellement tous les détails dans son esprit. Cette porte était visiblement le seul accès entre l’atelier et la surface. Qui donc l’avait verrouillée ? La victime ou son assassin ?

Il se dirigea vers l’entrée de la pièce tandis qu’Hastings s’entretenait avec Fendts sur d’éventuels témoins.

La porte d’entrée était constituée de deux épaisseurs de chêne, encadrées d’armatures métalliques. La serrure était des plus classiques, cependant, fait très étonnant, elle ne pouvait être verrouillée que de l’intérieur. Mais où est donc la clé ? Il se mit à inspecter le sol environnant. Mais, excepté des copeaux de bois et des traces de sang, aucun objet ressemblant de prés ou de loin à une clé ne s’y trouvait .

Lorsqu’il rejoignit Hastings, Fendts et Lidda, le Capitaine était en train d’expliquer à son supérieur que tout le voisinage direct avait été interrogé et que, bien évidemment, personne n’avait rien vu ni entendu.

« Excusez-moi Capitaine, interrompit Jerec. Où est la clé ?

- La clé ? Quelle clé ?

- La porte était verrouillée, et elle ne pouvait l’être qu’à l’aide d’une clé ou d’un passe vu le modèle de serrure utilisé.

- Hé bien il est fort probable que l’auteur de cet acte de barbarie ait fermé cette porte après son méfait et soit enfui avec.

- C’est absolument impossible, rétorqua le détective.

- Comment en es-tu si sûr ? Interrogea Hastings l’air dubitatif.

- Pour la bonne et simple raison qu’il s’agit d’une serrure à sens unique. On ne peut fermer ou ouvrir la porte que de l’intérieur. Fort de cette constatation, j’en déduis que la clé est toujours ici.

- En quoi cette clé est-elle si importante à vos yeux ? demanda Fendts, vexé par cet exposé.

- Capitaine, fit Jerec avec calme, essayons de nous en tenir aux faits les plus élémentaires. Sans ces derniers, toute hypothèse vraisemblable sera impossible à formuler. Dans le cas présent, la première question à laquelle nous devons répondre est qui a verrouillé cette porte ?Trouver la clé nous aidera à y répondre. Et si il s’agit de l’assassin, il ne s’y est certainement pas pris dans les circonstances que vous avez avancées.

- Nous avons déjà passé cet atelier au peigne fin, rétorqua Fendts, ulcéré. Si une clé s’était trouvée sur les lieux, nous l’aurions déjà classée en tant que pièce à conviction.

- Et qu’en est-il du corps de la victime ? Avez-vous examiné ses vêtements ?

- Pas encore mais… »


Jerec s’agenouilla devant la dépouille de la malheureuse. Elle portait une robe vert foncé avec un tablier blanc à carreaux bleu ciel. Parcourant avec ses mains, le contour de la robe, puis du tablier, il entendît Hastings murmurer des reproches à son subordonné.

Deux minutes plus tard, le détective se leva, et à la grande stupeur de ses compagnons, il tendît au capitaine Fendts une clé en acier noir.

« Je l’ai trouvée dans la doublure inférieure de son tablier fit-il

- Comment saviez vous…

- Elsa était couturière, exposa Lyonsson. Comme toute personne de sa profession, elle utilise la doublure de son tablier pour y garder ses aiguilles à portée de main. Par habitude, elle a du l’utiliser pour y ranger la clé, après avoir verrouillé la porte.

- Mais pourquoi s’être enfermée avec un malade dans la même pièce ?

- C’est étrange, je dois l’avouer, fit le détective en se grattant la tête. Peut être fermait-elle cette porte tous les soirs, par habitude. Il faudrait probablement interroger ses collègues afin de s’en assurer… »
Hastings se chargea d’interroger Miss Fiona Castle. Les questions de circonstance lui furent naturellement posées : Sa collègue avait-elle un comportement étrange ces derniers temps ? A-t-elle remarqué quoi que ce soit d’anormal le jour de sa mort ? Etait-il fréquent qu’Elsa travaille aussi tard le soir ? Prenait-elle l’habitude de s’enfermer à clé dans l’atelier ?

Au deux premières interrogations du Commandant, Fiona répondit par la négative : elle n’avait absolument rien remarqué d’inhabituel chez sa collègue de travail. En revanche, elle affirma qu’Elsa, depuis son arrivée chez Grimansen, travaillait parfois jusqu’à une heure du matin si cela s’avérait nécessaire.

En ce qui concernait la clé et la curieuse serrure qui ne permettait de se verrouiller uniquement de l’intérieur, Fiona expliqua qu’il s’agissait d’une mesure de sécurité assez récente, suite à la demande d’employés – dont Elsa Dunkle – qui restaient tard le soir. Etant donné que l’atelier se situait en plein c½ur du Nid des Mendiants, cela se comprenait aisément.

***
De retour au Palais de Justice, Hastings convia Jerec et Lidda à venir discuter de l’affaire dans son bureau, devant un « petit remontant ». Emplissant trois verres, puis les distribuant à chacun, le Commandant de la Sécurité brisa le silence qui s’était instauré depuis le trajet retour.

« J’aimerais connaître vos avis sur cette affaire, attaqua-t-il sans préambule.

- Je peux te donner mon avis sur cet homicide, répondit le détective, mais il me semble que tu ne nous a pas exposé l’affaire dans son ensemble. La mort d’Elsa Dunkle n’est pas un cas isolé, n’est-ce pas ? Après avoir lu le papier envoyé par Fendts, je me souviens parfaitement t’avoir entendu dire « Il a recommencé ».

Hastings hocha la tête, but une gorgée dans son verre, se redressa dans son confortable fauteuil en cuir, puis se lança.

- Ce meurtre est le troisième depuis le début de mois. Deux autres jeunes femmes sont mortes sont mortes dans des circonstances identiques : mutilations, taillades… La seule conclusion que je puisse tirer actuellement est la suivante : trois meurtres, un seul auteur.

- Les victimes avaient-elles des points communs ? demanda Lidda.

- Beaucoup, fit l’officier en reposant le verre sur son bureau. Les victimes avaient à peu de choses prés le même âge, blondes… De jeunes femmes assez belles. Et surtout, et je me permets d’insister lourdement sur ce point, toutes trois vivaient dans le quartier du Nid des Mendiants.

- Je vois, fit Lyonsson. Toutefois, avant d’aborder l’affaire en elle-même, j’aimerais que tu éclaires ma lanterne sur un point. Bien que je sois flatté par ta demande d’assistance, je suis persuadé de ta compétence personnelle pour mener ce genre d’enquêtes. Ce n’est tout de même pas la première fois que tu as du coincer un fou meurtrier… J’ai l’impression que tu ne nous dis pas tout, ais-je tort ?

- Certes, approuva Hastings l’air préoccupé. Avant toute chose, vous devez comprendre que cette affaire s’inscrit dans un contexte politique délicat et un climat social des plus houleux.

- Que veux-tu dire ?

- Bien que la terrible épidémie de Padhiver ait eu lieu il y a déjà de ça sept ans, l’événement en soi a marqué durablement les esprits. Pas une seule famille n’a été épargnée, et il n’est pas rare qu’un veuf, dans la rue, ne croise une orpheline… Le quartier du Nid des Mendiants est celui qui a le plus souffert de la maladie… et de la mise en quarantaine musclée que les autorités de l’époque avaient du organiser. Malgré le dénouement du complot et de la fabrication du remède, le Seigneur Nasher, ainsi que sa conseillère, Aribeth de Tylmarande furent vivement critiqués par la presse et l’opinion publique, accusant ces derniers d’avoir fait des habitants du Nid des laissés pour compte.

- Je commence à comprendre, fit Jerec

- Aujourd’hui, nous avons trois homicides sur les bras, poursuivit Hastings, et tous trois ont eu lieu dans ce même quartier. C’est le genre d’étincelle capable de mettre le feu aux poudres. La presse aurait beau jeu d’affirmer qu’une fois de plus, nous nous moquons éperdument du sort des habitants du Nid et que nous nous contentons de mener un semblant d’enquête.

- Et pour l’instant, vous n’avez aucune piste ?interrogea Lidda.

- Pas le moindre petit indice. A chaque fois, le tueur n’a laissé aucune trace et je vous assure que ce n’est pas faute d’avoir cherché. Mon équipe serait capable d’identifier un grain de poussière étranger parmi une tonne d’autres. Mais là, je vous avoue que c’est le néant, à croire que c’est ce dernier qui a envoyé cet assassin.

- Effectivement, commenta le détective, tu es au milieu d’un beau bourbier.

- M’aiderez-vous ? demanda Hastings d’un ton presque implorant.

- Tu connais déjà la réponse, fit Jerec souriant, d’un petit clin d’½il complice. Cela dit, il va falloir nous en dire plus sur les deux premières victimes.

- Aucun problème, répondit le Commandant, visiblement soulagé. Je t’ai fait préparer tout un dossier sur les détails de l’enquête. Tout y est consigné, depuis la biographie des victimes jusqu’aux circonstances de leur décès.

- Parfait. Nous-nous y plongerons dés ce soir, promit Lyonsson. J’ai besoin d’avoir une vue d’ensemble avant de te donner le moindre avis.

- Fort bien, approuva l’officier. Je t’ai réservé une chambre à l’Auberge du Kraken Manchot, dans le quartier Lac Noir. Evidemment, j’ignorais que tu viendrais accompagné, et ta chambre ne comporte qu’un seul lit. Naturellement, Miss Chantefeuille, fit-il en se tournant vers la gracieuse halfeline, il va de soi que la chambre que vous prendrez sera mise sur mon compte personnel !

- Merci pour cet attention, Commandant.

- C’est le moins que je puisse faire, commenta Hastings en remettant à Jerec une pile de parchemins recouverte d’une chemise en tissu. Bonne lecture, fit-il à l’attention du détective. »

***

Hastings mit à leur disposition une calèche afin de faciliter leurs déplacements en ville. Sur le trajet menant à l’Auberge, Jerec demanda à son associée :

« J’aimerais connaître tes impressions, Lidda

- Sur le meurtre d’Elsa Dunkle?

- Pas seulement, mais si tu désires commencer par là…

La halfeline haussa les épaules, puis après quelques secondes de réflexion, avança prudemment.

- J’ignore pour l’instant dans quelles circonstances les deux autres femmes ont été tuées, mais en ce qui concerne Elsa, quelque chose ne colle pas.

- Je t’écoute, encouragea Lyonsson.

- La porte était fermée à clé au moment de sa mort, et il semblerait, d’après ta brillante découverte de tout à l’heure, que ce soit elle qui l’ait verrouillée. Si l’on considère qu’il n’y avait pas d’autre accès à cet atelier, nous aboutissons à une impasse.

- Ce qui en clair signifie ?

- Qu’il nous manque un élément crucial. Les meurtres en vase clos, je n’y crois pas un seul instant. Cela n’existe pas ! »
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