|
Le soleil était haut dans le ciel, midi était passé. Au bas de la colline, bien avant la forêt étaient quatre cavaliers, traversant, au galop, les vertes étendues. Le premier, plus âgé à en juger par ses traits, portait une armure finement travaillée ; sans doute quelque seigneur revenant de périples lointains, entouré de sa garde restreinte. A sa suite étaient trois jeunes gens, en tenue de cuir ou de maille, dont les visages bien qu’heureux dénotaient quelques expériences mouvementées.
Le pas ralentissant, le trot faisant suite au galop, ils entraient en le sous bois, légèrement surpris par le chant du vent qui peu avant n’était que caresse sur l’herbe de la plaine. Cette route était celle de leur retour, eux qui revenaient de quelques batailles dont ils étaient sortis victorieux. Mais si en ce jour ils souriaient, bien triste était leur victoire, car des cinquante fiers guerriers partis à leurs cotés, nul ne revenait.
Le plus âgé, d’une voix grisée, se décida à rompre le silence qui involontairement s’était instauré.
« Mes amis… au delà de cette colline se trouvent nos terres ! Pressons le pas que l’on puisse boire à foison en la soirée ! »
« Oui, trop de larmes ont été versées, il est grand temps de rire pour nos morts ! Fêtons les plutôt que de les pleurer ! »
Cette voix fut celle d’une femme. En sa tenue de maille, Dimithil cru un premier instant qu’il s’agissait d’un jeune homme, frêle et élancé, au jeune âge. Il fut surpris, en sa position haute, à ainsi voir une dame vêtue pour la guerre, mais nullement dérangé, ce fut par un sourire qu’il accueillit la chose. Il ne s’était encore montré, ayant vu les cavaliers venir de loin. Voici plusieurs jours qu’il attendait, sans bouger, appartenant presque au décors. A vrai dire, sans ce sourire, même les arbres auraient oublié sa présence, il était là, sans bouger, simplement à regarder.
« Parfois, l’impression me vient que cette forêt possède quelques yeux… »
« Ne dis pas de sottise ! Tu viens ici depuis ta jeune enfance, il n’y a rien en ces lieux, pas même quelques animaux. »
L’homme en armure semblait quelque peu soucieux, et espérait ainsi faire taire la jeune femme. Lui aussi avait ressenti ce frisson en entrant en la forêt, mais ce n’est le lieu qui le dérangeait, c’était le souvenir.
Il avait senti ce frisson, sur le champs de bataille, alors que l’ennemi perçait le flanc de leurs troupes. Il s’était retrouvé face à l’une de ces créatures étranges qui prenaient l’apparence d’un ours. Il aurait pu y rester oui, il aurait dû. Seule la chance avait fait qu’il se trouvait là en ce jour. Ses yeux fermés, la pensée s’envolait, comme si jamais venue en son esprit. Pressant le pas, il repris d’un ton se voulant rieur.
« Et puis… s’il existait des fantômes, nous serions revenus bien plus nombreux ! »
« Oui Père, sans doute. »
Nulle réplique, simplement un murmure. L’homme s’était arrêté, chancelant, pour s’écrouler sur le coté.
Une flèche avait sifflé, perçant l’armure pour terminer dans le cœur du chevalier. Dimithil s’était placé au milieu du chemin, et arc en main, il bandait une nouvelle flèche. Si la jeune femme déjà tentait de relever son père, les deux gardes jusqu’alors silencieux lancèrent la charge, sûrs de leur avantage du haut de leur monture.
Le premier chuta, une gerbe de sang jaillissant de sa gorge. Le trait fut bref, la corde encore vibrait quand le corps perdait la vie. Le second ne parvint à toucher leur assaillant, et comprenant qu’il n’aurait le temps de charger une nouvelle fois, il pressa son cheval, dans l’espoir de fuir. Dimithil, jeune homme au visage pâle le regarda, son sourire aux lèvres. Chaque instant offrait à l’homme de nombreux pas d’avance, bientôt il ne pourrait plus l’atteindre, mais il attendait. Bandant une nouvelle fois son arc, il soupira pur ensuite décocher sa flèche. Accroché à sa monture, c’est en homme mort que le cavalier arriverait au village.
Le coup fut bref, inattendu. Se crispant, Dimithil comprenait que la lame de la jeune fille lui passait au travers le corps. Le teint livide, il sombrait à même le sol, en un sang sombre. De nombreux coups suivirent, en une sorte de démence, sur le corps sans vie de l’inconnu.
Les larmes qui suivirent furent nombreuses, serrant son père contre elle. De la guerre ils revenaient vivants, et c’est ici, proche de ses terres qu’il tombait. L’instant succinct était éternité…
« Que ressent-on en ces instants là ? »
Elle n’avait reçu nul coup, mais peu en fallait pour qu’elle ne sombre. Constatant d’un bref regard que son arme était loin, elle se relevait pour faire face à celui qu’elle pensait tombé. Droite, fière, sa maille ternie semblait presque briller. Elle était guerrière, et même si elle ne comprenait c’est ainsi qu’elle défierait celui qui menaçait sa vie.
Dimithil se tenait debout, la tête inclinée sur le coté, il dévisageait la femme. De ses blessures nulle trace ne restait, simplement déchirures en sa tenue. Sa voix était douce, presque bienveillante, il tenait à son coté son arc, jouant avec une flèche de la main opposée.
« Vous lui ressemblez presque… peut-être ce regard. Il est si étrange de voir une femme porter les armes, que je tenais à ce qu’en dernier elle vous reçoive. Ne me regardez pas ainsi, je ne suis nul monstre, simplement son serviteur, et cela depuis tant de temps. Vous n’auriez dû revenir, votre place était ailleurs…
Il me plairait à vous caresser le visage, peut-être ainsi retrouverai je sa douceur. Mais je n’en ai le droit, pas encore. Allons… oubliez cette colère, c’est un grand don que vous recevrez en l’instant, je puis vous promettre que vous l’aimerez. Tous l’aiment, il ne peut en être autrement. Vous comprendrez… »
D’un pas rapide, la jeune femme plongea sur son épée, espérant ainsi surprendre l’inconnu. Ses longs cheveux blonds semblaient tels les derniers rayons du soleil qui se couche au loin des terres. Ce fut la garde en main, en une contraction de douleur qu’elle sombra. La flèche était décochée, accompagné du sourire.
S’agenouillant une dernière fois auprès d’elle, il lui adressa une douce caresse, avant de reprendre son chemin. Nul mot, nulle pensée, simplement une nouvelle personne à attendre, à trouver…
|