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Un brouillard épais épousait de sa nappe blanche chaque recoins de la ville tel une âme en peine à la recherche de son salut.
Subtilement, l’aube reprenait possession de son territoire et délicatement dessinait de sa main les contours de ce lieu insolite.
« Que prendra tu pour fêter ton vif succès ? » Sodade finissait de remplir son verre tout en s’adressant à Khaine dans un geste d’invitation exagéré.
« Je penses avoir suffisamment bu pour ce soir espèce d'ivrogne » répondit Khaine tout en esquissant un sourire affable.
La taverne ne désemplissait pas malgré l’heure tardive et on y retrouvait bon nombre de clients, colporteurs, marchands, artistes, soldats mais également des femmes qui usaient volontiers de leurs formes généreuses pour attirer le client, et tout ce petit monde cohabitait sans soucis. L’ambiance à son comble procurait à Khaine un sentiment d’ivresse délicieuse agrémenté par ce petit cru local.
Son regard se porta a nouveau sur Sodade. Ce garçon lui rappelait singulièrement l’idée que l’on se fait de la jeunesse affranchie. Il était avenant et courtois mais on pouvait aisément dénoter chez lui un soupçon de désinvolture incontestable.
« Si tu continue a boire autant, je finirai par croire que tu me caches quelque chose d’important et que tu ne sais pas comment me le dire !! » Khaine tout en s’adressant a son jeune voisin de table, tambourinait du bout des doigts quelques miettes de pain.
« Huhu !! que me dis tu là Khaine ??? Non, non pas du tout je trouve seulement l’idée de venir dans ce bouge, inadéquate, surtout après ta célébration au titre honorable de Maître d’armes. D’ailleurs je n’ai jamais compris pourquoi tu estimais tant ce taudis mal odorant ? » Tel un chien errant dépité de ne pouvoir ronger tranquillement son os, Sodade se recroquevilla d’avantage et s’affaissa sur sa chaise.
Khaine ne pu s’empêcher de s’esclaffer librement, et alors que ses éclats sonores allaient crescendo le jeune homme rouge de colère se leva titubant et s’adressa à la salle entière :
« Jamais ô grand jamais je n’accepterai que quelqu’un, qu’il fusse Roi lui même se raille de moi de la sorte !!! » Menaçant l’assistance avec fougue et tenant maladroitement un trognon de pain avec lequel il menaçait hystériquement la foule devenu silencieuse, il mima une passe d’arme burlesque contre un adversaire imaginaire. Ce geste l’amena à se ridiculiser d’avantage et les clients se firent fort d’en rigoler, amusés par une telle parodie de colère exagérée.
« C’est bon mon ami, reprends calmement ta place sur cette chaise et cesse de gesticuler ainsi, tu ressembles plus a un pantin risible qu’à un jeune vaniteux soucieux de répondre d’un affront » tout en essayant de garder son sérieux, Khaine invita fermement Sodade à se rasseoir, s’étant lui aussi levé, il posa une main épaisse sur l’épaule du garçon.
Sodade malgré sa grande taille, ne pouvait rivaliser avec la stature impressionnante de cet homme d’arme. Tout en lui suggérait force et vigueur. Chacun de ses geste même les plus ordinaires s’animaient d’une grâce féline qui ne manquaient pas d’impressionner le jeune homme.
Après s’être aperçut du ridicule de la situation Sodade ne pu réprimer à son tour un indicible rire : « J’ai été ridicule n’est ce pas mon ami ? Me voilà redevenu histrion pour un moment !!! Tout compte fait je vais moi aussi arrêter de siroter ce vin, sinon je ne garantie pas une éventuelle résurgence de facéties qui me rendraient encore plus sot ! » Ecartant d’un geste brusque le cruchon de vin il jugea bon de mastiquer méthodiquement le trognon de pain qui fut un bref instant le prolongement du bras vengeur d’un homme outragé.
Tout en considérant la situation plutôt divertissante, Khaine envisagea d’aller bientôt se coucher, la journée avait été bien plus que satisfaisante ; il était désormais défenseur reconnu du royaume d’Albion, son titre de Maître d’armes lui avait été remit ce jour même avec tous les honneurs. Non qu’il soit homme fier d’une quelconque marque honorifique, il se sentait tout de même suffisamment juge pour apprécier une reconnaissance de tant d’années de labeur. Cette charge respectable lui permettrai désormais de porter les couleurs de sa caste. Mais était ce la vraiment ce qu’il souhaitait ?
« Que t’arrives-t-il Khaine ? Tu me paraît bien songeur ! » Tout en s’adressant à son ami, Sodade venait de jeter le reste de la croûte de pain sur le sol, d’un geste négligeant. Ce comportement eu pour résultat d’horripiler la patronne qui passait par là.
« Espèce de jeune vaurien, je ne sais pas ce qui me retiens de te botter le postérieur ? » Hurla la tenancière en martelant de son pied bot le sol. Puis son regard se porta sur Khaine « Je ne te comprends toujours pas mon vieil ami ? Qu’es ce qui t’a prit de t’acoquiner de ce voyou parfumé ? C’est un bon à rien !! De surcroît c’est un voleur doublé d’un arnaqueur notable. Je lui confierai même pas les rats qui ronge mes réserves. »
Délicatement, Khaine prit l’une des mains de Dolena. Il estimait beaucoup cette vieille femme. « Tu lui en veux toujours ? » sa voix eu aussitôt l’effet escompté. Apaisant l’imposante matrone. Elle affectionnait ce jeune guerrier.« Oui !! Comment apprécier un individu qui traîne mon établissement dans la boue tout en ingurgitant des hectolitres de mon vin. Il se permet de blesser mon amour propre, pourtant je n’ai jamais vu son pareil pour se goinfrer comme une truie sauvage et cela sous mon propre toit » Cette femme ressemblait désormais d’avantage à une moribonde qu’à une patronne outrancière. Ce qui ne manqua pas de faire sourire Khaine. Dolena retourna à ses fourneaux de son pas clopinant.
Camelot la Grande, ne s’était jamais dépareillée de sa grandeur naturelle. Les lignes majestueuses de ses rues, les arabesques de ses tours imposantes, lui octroyait un aspect sans commune mesure. Les voyageurs qui venaient pour la première fois en son sein éprouvaient généralement un sentiment de magnificence exacerbée. Cette cité aux étonnants mystères, avait quelque chose d’effrayant pour celui qui ne reconnaissait pas dans l’éclat de ses dômes pourpre et or un âge incroyablement ancien de savoir faire. Le jour, la lumière se jouait de cette architecture colossale, tantôt elle déformait, parfois même elle s’étirait jusqu’à rendre chaque chose plus monumentale encore. La nuit, Camelot devenait pour un temps un lieu de cabales de complots et de conspirations. Certains l’appelait la cité aux mystères démoniaques et menaçants.
A quelques encablures de la capitale, des ruines se dressaient fièrement, luisant d’une vie coupable et maléfique, tel le fleuve des âmes, dérivant, lumière froide, blanche et cynique. Magie et sorcellerie se confondaient en une même apothéose de manifestations telluriques.
Le bien et le mal, tel un équilibre intemporel, traduisaient l’existence même de Camelot et sa région.
Khaine ajusta son haubert, son épée à lame droite d’une longueur de presque quatre pieds n’était plus à la mode chez les combattants du royaume, trop lourde et encombrante pour beaucoup. Mais entre les mains de ce puissant guerrier, elle entonnait une mélopée dévastatrice, prélude au massacre.
Sodade leva instinctivement les yeux, il connaissait bien sont ami, mais à chaque fois qu’il remarquait de la tension chez lui, il ne pouvait s’empêcher de noter une certaine noblesse. Ce n’était pas comme un titre ou une lignée mais bien une émotion tangible. Quiconque le croisait pour la première fois, ne pourrait jamais plus l’oublier. C’était un personnage hors du commun, grand de plus de six pieds, ses épaules incroyablement larges et épaisses le faisait ressembler à une statut d’ancien guerrier légendaire, sa taille fine et ses jambes musclées démontraient une agilité et une rapidité démesurées. Ses bras n’étaient que nœuds de muscles et de nerfs, et ses mains telles les serres des plus grands aigles, étaient capables de briser le cou d’un adulte aussi facilement qu’une brindille. Mais que dire de ses yeux, d’un noir de jais, ils exprimaient une telle multitude de sentiments intenses, que beaucoup préféraient détourner leur regard plutôt que de soutenir le sien. Son gigantesque torse se soulevait au rythme de sa respiration et sa mâchoire saillante se contractait à égale mesure. On pouvait lire sur sa peau comme on peut lire un récit historique. Elle était comme un livre ouvert, déploiement de batailles, de combats, de moments d’intensité dramatique et onirique.
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