Ys - Hibernia - Récits d'un royaume oublié

 
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Accoudé à la proue, Tharlasha fixait les flots turquoise fendus par la course du navire. Leur surface peignée d'huile explosait en myriades de cotonnades blanches devant l'étrave de l'Arpenteur. Sur toute l'étendue de cette mer brillante, l'éclat de l'été finissant pâlissait. Disparues, les longues et tranquilles journées invitant à l'insouciance. Si l'air restait doux, il devenait plus sec. Le visage offert aux accents salés du large, l'homme fixait l'horizon. L'aube se manifestait par l'entremise de couleurs somptueuses et la vie reprenait son inexorable cours, réveillant chacun de sa torpeur matinale pour le rappeler ainsi à la fugacité de son destin. Tharlasha goûtait pleinement sa solitude, son ouï s'accordant aux claquements mesurés des courtes voiles pointés vers l'avant. Il était de ces hommes qui choisissent de régner sur des planches de bois élimées plutôt que de jalouser un lopin de terre au fin fond d'une morne campagne.
Noble, l'Arpenteur l'était déjà par ses lignes et son allure. C'était un navire rapide, effilé aux mats garnis de superbes voiles blanches. Au sommet de chacun d'eux se dressait le pavillon pourpre et or de la famille Yslendir.
Rires étouffés, sanglots, bruissements prudents sur les planches, grattements chitineux évoquant des mues de serpents, frottées les unes contre les autres. La vie reprenait son cours sur le bateau. Des brides de conversations lui parvenaient, mêlées aux grincements des haubans et au doux clapotis des vagues léchant la coque. Les matelots s'extirpaient lentement des brumes du sommeil.

Comme pour lutter contre l'étrangeté du moment, Tharlasha repensa au voyage qu'il avait fait, quatre mois auparavant, lorsque son ami avait exigé de lui assistance face aux nouveaux événements. Une vision morose lui fit tout d’un coup baisser la tête. Il se retourna pour vérifier si personne ne venait jusqu’à lui. Puis il lissa sa moustache d’un geste vif et nerveux. Sa main se porta sur sa poitrine où sous son pourpoint reposait caché de tous une amulette au métal terni et rongé par la rouille. Tharlasha contempla sa précieuse relique comme il aimait la nommer. Il ferma les yeux et poussa un profond soupir. Une lueur de haine, telle une petite vague venue de l’enfer, passa sur son visage soudain blême. Les embruns eurent brusquement l’odeur du sang et de la pourriture. Une haleine de mourrant. Il vit que le pont sur lequel il se tenait était noir et luisant comme du jais. Une fois encore le souvenir tenta de faire surface. Il le chassa d’un revers de la main accompagné d’un grognement rauque. Puis tout redevint normale. Il réprima un frisson.

Tharlasha était le modèle même du bon capitaine mercenaire, tel un soldat de toutes les guerres que l’on enviait et que l’on cherchait à imiter. Survivant à toutes les formes de danger, il n’en restait pas moins marqué par son passé. L’acier qu’il portait, casque, plastron, jambières et gants, était de la meilleure qualité qu’il soit, ainsi que la soie de sa chemise ou que du cuir de ses bottes et que de ses hauts-de-chausses.

Il regarda de nouveau vers l’avant, l’horizon bleu au delà du beaupré, et quand il se retourna il ne manifestait plus aucune appréhension. Il contempla l’équipage qui se déversait déjà sur le pont. Les hommes grimpaient dans les haubans, agiles comme des singes, tout en s’invectivant dans une multitudes de dialectes et d’idiomes aux consonances diverses. Bien que leur grammaire fût atroce, il devait reconnaître que pour ce qui était des blasphèmes et des insultes imagées, les matelots tiraient le maximum de quintessence des mots. Il se détendit. Il souriait même et il eu le temps de se demander pourquoi avant de s’apercevoir que ce badinage polyglotte était exactement ce qu’il aimait entendre. Dans son souvenir, les langues se fondaient en un archétype usuel d’échanges en tout genre.

De grands oiseaux passèrent sous la voilure. Leur plumage rouge attira l’attention des hommes d’équipage, qui levèrent la tête au-dessus d’eux. Les lignes majestueuses des haubans et des mats de l’Arpenteur montaient vers l’azur, attachant les voiles comme des feuilles à une branche immense chargée de lianes. Tharlasha aurait tant voulu joindre son souffle à celui des zéphyrs pour accélérer l’allure du vaisseau. Il ressentait comme une malédiction planer au dessus de lui. Dans la lumière matinale, ces grands oiseaux marin planant à la lisière des eaux et prêts à disparaître d’un coup d’aile dans des cieux plus propices, semblaient annonciateurs d’un mal encore plus grand que n’importe quel danger rencontré sur les mers. Ils repassèrent à travers le gréement en criant.

Derrière Tharlasha un homme s’approcha. Lèvres minces, le teint pâle, cheveux noirs. Son large manteau mordoré était brodé de lettres entrelacées. Il flottait autour de sa silhouette mince et tendue. Malkiom Haesimortis, au port si maigre et grave, avançait lentement sur le pont de l’Arpenteur. Dans sa main droite il tenait un bâton encore plus noir que l’ébène. Les marins présents s’écartaient nerveusement, leur attitude traduisait un malaise incontrôlé. Nul doute qu’ils réprouvaient la présence de ce personnage si sombre qu’il paraissait absorber la lumière qui l’entourait. Même Tharlasha manifestait un certain trouble lorsque son regard croisait la silhouette sinistre de cet homme.
Malkiom s’arrêta a quelques mètres du capitaine, un vague frisson remonta paresseusement le long de son échine. Le sorcier noir retira lentement la capuche de son manteau, le moindre de ses gestes produisait un mouvement de recule chez quiconque l’observait. Son comportement inspirait à la fois une fascination sensuelle et affranchie. Le visage émacié dans lequel deux feux d’immortalité palpitaient, suggérait un pouvoir malsain. De long cheveux noirs épais retombèrent en cascade sur ses épaules et son dos. Le contraste étonnant de sa chevelure, de ses yeux aussi sombre que des abysses et de sa peau blafarde et laiteuse, produisait un effet singulier. Il était le messager noir. D’aucun diront que son existence outrepassait les limites conventionnelles d’une vie funeste.

Les oiseaux marquèrent une dernière fois leur présence par un long crie strident comme en réponse à un ordre silencieux puis s’éloignèrent rapidement vers le nord.

« Hmm !! la sollicitude de ces piètres corbeaux pourpre. Ils chérissent les âmes. Le saviez vous Tharlasha ? » La voix de Malkiom venait de gronder comme un roulement de tonnerre.

« J’ose espérer que leur venue n’est que le fruit d’un pur hasard Maître Malkiom »
Le capitaine dévisageait son interlocuteur dans l’espoir d’y déchiffrer la moindre émotion fugace. Mais ce ne fut que peine perdue. Malkiom arborait toujours le même sourire étrange.

« Le hasard ? j’avoue que ce terme me paraît presque trop formaliste ! Surtout venant de vous. La vicissitude est une constance chez l’homme, tout comme la peur d’ailleurs. Regardez autour de vous, tous ces visages effarés par ce qu’ils ne comprennent pas. Les émotions sont comme des lames affûtées prêtent à frapper son prochain. Bien que différent des hommes qui vous accompagnent dans ce périple, vous n’en restez pas moins une marionnette que les émotions manipulent à leur guise. N’est ce pas Capitaine ? Qu’en est-il de cet objet que vous dissimulez sur vous ? »

Prit de cours, Tharlasha recula d’un pas et machinalement porta une main à sa poitrine.

« Je … Je … Mêlez vous de vos affaires messager de mauvaise augure !! » Sa lèvre supérieure tremblait comme sous l’effet d’une intense tension.
« Trêve de civilités » dit-il sèchement, reposant sa main baguée sur la rambarde.
« Surtout ne dépassez pas les limites qui vous ont été fixé. »

«Certes ! Je m’excuse d’avoir abordé un tel sujet. Du reste cela ne me regarde pas. Je suis navré Noble Capitaine. Je me plierai à vos exigences » Malkiom s’effaça posément en exécutant une magistrale courbette, bien trop protocolaire au goût de Tharlasha. « Ils perçoivent la menace, mieux, ils la cherche comme d’autres un parfum aimé dans une ruelle. Tu chérira ta mort Tharlasha !! » Murmura le sorcier tout en s’éloignant à la manière du prédateur légitimé et craint.

Le capitaine ne comprit pas le sens de ces mots. L’autre était déjà trop loin pour réclamer des éclaircissements. Et le voulait-il vraiment ? Non bien sûr !.

Des mauves veloutés envahissaient le ciel, et le soleil lançait parfois des guirlandes de feu à travers les cieux. Rosissant l’océan.

« Une terre sauvage encerclée de montagnes et de marais, baignée d’un épais brouillard mouvant. Sur cette terre se dresse une cité, au pied de laquelle des puits s’enfoncent jusqu’au cœur de Gaia. Quelque part dans l’un de ces puits se trouve l’avènement d’un péril imminent. » Pensa Tharlasha. « Et c’est là même que nous devons nous rendre »
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Un brouillard épais épousait de sa nappe blanche chaque recoins de la ville tel une âme en peine à la recherche de son salut.
Subtilement, l’aube reprenait possession de son territoire et délicatement dessinait de sa main les contours de ce lieu insolite.

« Que prendra tu pour fêter ton vif succès ? » Sodade finissait de remplir son verre tout en s’adressant à Khaine dans un geste d’invitation exagéré.
« Je penses avoir suffisamment bu pour ce soir espèce d'ivrogne » répondit Khaine tout en esquissant un sourire affable.

La taverne ne désemplissait pas malgré l’heure tardive et on y retrouvait bon nombre de clients, colporteurs, marchands, artistes, soldats mais également des femmes qui usaient volontiers de leurs formes généreuses pour attirer le client, et tout ce petit monde cohabitait sans soucis. L’ambiance à son comble procurait à Khaine un sentiment d’ivresse délicieuse agrémenté par ce petit cru local.
Son regard se porta a nouveau sur Sodade. Ce garçon lui rappelait singulièrement l’idée que l’on se fait de la jeunesse affranchie. Il était avenant et courtois mais on pouvait aisément dénoter chez lui un soupçon de désinvolture incontestable.

« Si tu continue a boire autant, je finirai par croire que tu me caches quelque chose d’important et que tu ne sais pas comment me le dire !! » Khaine tout en s’adressant a son jeune voisin de table, tambourinait du bout des doigts quelques miettes de pain.

« Huhu !! que me dis tu là Khaine ??? Non, non pas du tout je trouve seulement l’idée de venir dans ce bouge, inadéquate, surtout après ta célébration au titre honorable de Maître d’armes. D’ailleurs je n’ai jamais compris pourquoi tu estimais tant ce taudis mal odorant ? » Tel un chien errant dépité de ne pouvoir ronger tranquillement son os, Sodade se recroquevilla d’avantage et s’affaissa sur sa chaise.

Khaine ne pu s’empêcher de s’esclaffer librement, et alors que ses éclats sonores allaient crescendo le jeune homme rouge de colère se leva titubant et s’adressa à la salle entière :
« Jamais ô grand jamais je n’accepterai que quelqu’un, qu’il fusse Roi lui même se raille de moi de la sorte !!! » Menaçant l’assistance avec fougue et tenant maladroitement un trognon de pain avec lequel il menaçait hystériquement la foule devenu silencieuse, il mima une passe d’arme burlesque contre un adversaire imaginaire. Ce geste l’amena à se ridiculiser d’avantage et les clients se firent fort d’en rigoler, amusés par une telle parodie de colère exagérée.

« C’est bon mon ami, reprends calmement ta place sur cette chaise et cesse de gesticuler ainsi, tu ressembles plus a un pantin risible qu’à un jeune vaniteux soucieux de répondre d’un affront » tout en essayant de garder son sérieux, Khaine invita fermement Sodade à se rasseoir, s’étant lui aussi levé, il posa une main épaisse sur l’épaule du garçon.

Sodade malgré sa grande taille, ne pouvait rivaliser avec la stature impressionnante de cet homme d’arme. Tout en lui suggérait force et vigueur. Chacun de ses geste même les plus ordinaires s’animaient d’une grâce féline qui ne manquaient pas d’impressionner le jeune homme.

Après s’être aperçut du ridicule de la situation Sodade ne pu réprimer à son tour un indicible rire : « J’ai été ridicule n’est ce pas mon ami ? Me voilà redevenu histrion pour un moment !!! Tout compte fait je vais moi aussi arrêter de siroter ce vin, sinon je ne garantie pas une éventuelle résurgence de facéties qui me rendraient encore plus sot ! » Ecartant d’un geste brusque le cruchon de vin il jugea bon de mastiquer méthodiquement le trognon de pain qui fut un bref instant le prolongement du bras vengeur d’un homme outragé.

Tout en considérant la situation plutôt divertissante, Khaine envisagea d’aller bientôt se coucher, la journée avait été bien plus que satisfaisante ; il était désormais défenseur reconnu du royaume d’Albion, son titre de Maître d’armes lui avait été remit ce jour même avec tous les honneurs. Non qu’il soit homme fier d’une quelconque marque honorifique, il se sentait tout de même suffisamment juge pour apprécier une reconnaissance de tant d’années de labeur. Cette charge respectable lui permettrai désormais de porter les couleurs de sa caste. Mais était ce la vraiment ce qu’il souhaitait ?

« Que t’arrives-t-il Khaine ? Tu me paraît bien songeur ! » Tout en s’adressant à son ami, Sodade venait de jeter le reste de la croûte de pain sur le sol, d’un geste négligeant. Ce comportement eu pour résultat d’horripiler la patronne qui passait par là.

« Espèce de jeune vaurien, je ne sais pas ce qui me retiens de te botter le postérieur ? » Hurla la tenancière en martelant de son pied bot le sol. Puis son regard se porta sur Khaine « Je ne te comprends toujours pas mon vieil ami ? Qu’es ce qui t’a prit de t’acoquiner de ce voyou parfumé ? C’est un bon à rien !! De surcroît c’est un voleur doublé d’un arnaqueur notable. Je lui confierai même pas les rats qui ronge mes réserves. »

Délicatement, Khaine prit l’une des mains de Dolena. Il estimait beaucoup cette vieille femme. « Tu lui en veux toujours ? » sa voix eu aussitôt l’effet escompté. Apaisant l’imposante matrone. Elle affectionnait ce jeune guerrier.« Oui !! Comment apprécier un individu qui traîne mon établissement dans la boue tout en ingurgitant des hectolitres de mon vin. Il se permet de blesser mon amour propre, pourtant je n’ai jamais vu son pareil pour se goinfrer comme une truie sauvage et cela sous mon propre toit » Cette femme ressemblait désormais d’avantage à une moribonde qu’à une patronne outrancière. Ce qui ne manqua pas de faire sourire Khaine. Dolena retourna à ses fourneaux de son pas clopinant.

Camelot la Grande, ne s’était jamais dépareillée de sa grandeur naturelle. Les lignes majestueuses de ses rues, les arabesques de ses tours imposantes, lui octroyait un aspect sans commune mesure. Les voyageurs qui venaient pour la première fois en son sein éprouvaient généralement un sentiment de magnificence exacerbée. Cette cité aux étonnants mystères, avait quelque chose d’effrayant pour celui qui ne reconnaissait pas dans l’éclat de ses dômes pourpre et or un âge incroyablement ancien de savoir faire. Le jour, la lumière se jouait de cette architecture colossale, tantôt elle déformait, parfois même elle s’étirait jusqu’à rendre chaque chose plus monumentale encore. La nuit, Camelot devenait pour un temps un lieu de cabales de complots et de conspirations. Certains l’appelait la cité aux mystères démoniaques et menaçants.
A quelques encablures de la capitale, des ruines se dressaient fièrement, luisant d’une vie coupable et maléfique, tel le fleuve des âmes, dérivant, lumière froide, blanche et cynique. Magie et sorcellerie se confondaient en une même apothéose de manifestations telluriques.
Le bien et le mal, tel un équilibre intemporel, traduisaient l’existence même de Camelot et sa région.

Khaine ajusta son haubert, son épée à lame droite d’une longueur de presque quatre pieds n’était plus à la mode chez les combattants du royaume, trop lourde et encombrante pour beaucoup. Mais entre les mains de ce puissant guerrier, elle entonnait une mélopée dévastatrice, prélude au massacre.

Sodade leva instinctivement les yeux, il connaissait bien sont ami, mais à chaque fois qu’il remarquait de la tension chez lui, il ne pouvait s’empêcher de noter une certaine noblesse. Ce n’était pas comme un titre ou une lignée mais bien une émotion tangible. Quiconque le croisait pour la première fois, ne pourrait jamais plus l’oublier. C’était un personnage hors du commun, grand de plus de six pieds, ses épaules incroyablement larges et épaisses le faisait ressembler à une statut d’ancien guerrier légendaire, sa taille fine et ses jambes musclées démontraient une agilité et une rapidité démesurées. Ses bras n’étaient que nœuds de muscles et de nerfs, et ses mains telles les serres des plus grands aigles, étaient capables de briser le cou d’un adulte aussi facilement qu’une brindille. Mais que dire de ses yeux, d’un noir de jais, ils exprimaient une telle multitude de sentiments intenses, que beaucoup préféraient détourner leur regard plutôt que de soutenir le sien. Son gigantesque torse se soulevait au rythme de sa respiration et sa mâchoire saillante se contractait à égale mesure. On pouvait lire sur sa peau comme on peut lire un récit historique. Elle était comme un livre ouvert, déploiement de batailles, de combats, de moments d’intensité dramatique et onirique.
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La tension avait crû au sein de l’équipage. Seuls quelques hommes arboraient toujours un calme édifiant. Ils étaient pour la plupart officiers sur le vaisseau et connaissaient les risques qu’engendre l’hystérie collective. Cependant une vigilance fébrile s’était répandue sur le pont, telle une nouvelle infection ravivant une des aspiration fondamentale de tous marins : se mutiner, se rebeller, recouvrer un semblant de certitude et de sécurité. Un à coup s’était produit dans les rouages bien huilés de leur existence. Tous l’avaient perçu et s’accrochaient à cet espoir en dressant des prières ferventes et désespérées aux dieux qu’ils révéraient encore.

Une lampe fut installée dans le gaillard d’avant, devant une effigie de pierre. Elle représentait une guerrière portant un enfant dans ses bras et brandissant une couronne de feuilles.

Pendant que l’Arpenteur se balançait doucement sur les flots, étrangement immobile au cœur de cette nuit noire, Tharlasha demeurait à la proue.

Pour la plupart des peuples, le mer est une femme, et l’homme qui ose la chevaucher doit être capable de la soumettre. Mais Tharlasha savait fort bien que nul homme ne pouvait l’assujettir. Ils avaient été nombreux, les hommes sur lesquels elle avait jeté son dévolu, comme happés par l’implicite volonté d’une déesse insoumise, avant de les rejeter lorsqu’elle s’en était lassée. Certes la mer est à l’image de la femme, passionnée et passionnante, provocatrice et provocante, aimée et aimante, malgré cela elle inspire la crainte autant que l'estime. Elle n’avait nul besoin de la noblesse des hommes pour mettre la sienne en valeur.

Malkiom Haesimortis rêvait et dans ses rêves s’insinuait la suggestion d’un mal indicible, comme un serpent maculé rampant odieusement vers sa proie. Ses rêves étaient incomplets et ténébreux, éléments composites et étranges d’un dessin d’ensemble pour le moment inachevé et inconnu. Puis ils se cristallisèrent, pour former une scène limpide. Les escarpements abruptes de pierre sombre enveloppaient Malkiom tel un piège. Il n’aimait pas la façon dont leurs sommets déchiquetés s’esquissaient sur les rares étoiles qui scintillaient faiblement. Les falaises de Moher. Il n’aimait pas non plus le vent glacé qui s’insinuait, perverse, au tréfonds de sa mémoire. Les ténèbres semblèrent se matérialiser, les vents soufflèrent et sifflèrent continuellement et un gigantesque tourbillon se forma depuis les faîtes rocheux. Malkiom percevait cette aura maléfique. Puis la lune apparut telle une tache de sang rayée d’ébène. Le silence régnait, aussi sinistre que celui d’un mourrant paralysé par l’effroi. Une certitude hideuse, comme une conscience individuelle, finit par apparaître au sein de son esprit pétrifié. Toute son arrogance l’avait abandonné.
Le rêve s’acheva, aussi éphémère que la flamme d’une bougie étouffée par la tempête.
 

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