[LSyn]

Au bistrot de Gallow, comme dans tous les bistrots de la galaxie, il y avait un coin sombre connu des plus fidèles clients comme étant l'endroit à éviter, ou un passage obligé. Tout dépend de votre réputation et de votre instinct de survie.
Ce coin sombre, une sorte d’alcôve, était caché par des rideaux miteux d'une couleur... indéfinissable. De loin, personne ne pouvait voir qu'il y avait une table et un banc poisseux derrière ces rideaux mais l'odeur des personnes qui s'y installaient ne pouvait laisser le visiteur indifférent.
Un poing puissant frappa la table collante sans qu'elle ne bronche. Robuste, elle en avait vu d'autre.

« C'est inadmissible ! hurla le Granok à l'oeil crevé. Je ne paie pas autant pour toute cette merde ! »
La personne qui se prenait les postillons du Granok était un contrebandier qui débutait dans le métier. Il se donnait des allures d'hommes d'expérience avec son grand chapeau couleur sable et sa redingote léguée par son grand-père. Mais sa voix tremblante trahissait son personnage.
« Je ne veux pas paraître présomptueux mais...
- Ecoute-moi, gamin. Si tu veux qu'on parle affaire utilise des mots que je comprends, ok ?
- Bien... Il se racla la gorge avant de continuer et prit une voix plus grave. Tu fais une affaire avec ce que je te propose. Tu ne te rends pas compte, des pages et des pages d'archive du Star of Dominus... Le fleuron du Dominion...
- Le Dominion ?! Où ça ?! »
De sa puissante main il dégaina son fusil mais fut bien en peine de viser quoique ce soit : les murs étaient bien trop étroits. La réaction du Granok décontenança l'homme au chapeau, il ne voulait surtout pas se faire remarquer.

« Non, non ! Il n'y a personne du Dominion ici ! Calme-toi voyons ! »
Son manque d'assurance avait quand même réussi à ramener le Granok à la réalité. Pour se remettre de ses émotions, le colosse de pierre prit une rasade de ratafia et, en s'essuyant la bouche avec sa main, lui demanda de continuer.

« Le Star of Dominus était anciennement le Gambler's Ruin, le vaisseau principal des Exilés. Grâce à ses archives, tu pourras trouver des informations sur la vie que menait un jeune technicien il y a plus de 400 ans ! »
Le Granok tenait un air soupçonneux. Il regarda son de son seul oeil son verre vide et soupira longuement.

« Je crois que je perds mon temps avec toi, acheva-t-il de dire. J'en ai rien à foutre de tes archives, c'est pas ça qui va remplir ma bourse de pièces d'or !
- Laisse-moi t'expliquer bon sang ! Si ce que je crois est vrai, tu risques de tomber sur des vérités que l'Histoire officielle renie ! »

Sa patience avait atteint sa limite. Le Granok décocha un violent coup de poing qui brisa nette la nuque du jeune contrebandier. L'Histoire, les histoires, il n'en avait que faire. Il ramassa quand même en partant la tablette que tenait le cadavre encore chaud. Verrouillée, il la jeta par terre, de rage.

Un bip étrange s'échappa de l'objet et l'écran s'alluma :

[LSyn]

Personne ne fit attention à la scène, la tablette qui avait coûté la vie à une personne restait à terre à la vue de tous.

Un jour de pluie, un enfant qui tenait en laisse un Draken coiffé d'un bonnet à clochette firent leur entrée dans le bistrot. Plusieurs regards interrogateurs suivirent la marche de ce drôle de couple. L'enfant attacha le Draken au tabouret et lui commanda de s'asseoir par terre et d'éviter de donner des coups de queue à tout va.

Les cornes du Draken dépassaient de son ridicule bonnet mais elles étaient elles aussi terminées par des clochettes. Le grotesque devait amuser l'enfant Cassien car il commanda au bar un bol d'eau qu'il posa par terre.

« Et tu bois ça sans les mains ! avertit-il. »

Le sourire carnassier de l'enfant tranchait radicalement avec son allure princière. Les clients du bistrot avaient repris depuis longtemps leur discussion, mais le rire du petit Cassien couvrait les conversations. L'aubergiste finit par s'impatienter, un bol d'eau d'accord, mais le garçon devait consommer.

Pendant qu'il sirotait sa boisson, un homme prit place à côté de lui et commanda de quoi s'humidifier le gosier. Il jeta un coup d'oeil curieux sur le Draken et ricana.

« Qu'est-ce qui te fait rire ? lança l'enfant.
- J'ai déjà vu un tel spectacle sur Cassus. C'est la marque d'une famille de haute lignée il me semble...
- Oui ! Je suis le dernier né de la famille Luxiure. Et ce que vous appelez spectacle est une tradition millénaire. Lors de la prise de Mikros en 344, ma famille avait réussi à défier et à vaincre un clan Draken. Comme punition et humiliation, ce clan nous appartient désormais.
- Une tradition qui a la dent dure. Comment s'appelle ce Draken que tu tiens en laisse ?
- Un nom ? Le seul nom que je lui donne est celui de sa race. Et encore, je m'adresse plus souvent à lui par mes coups. »

L'homme ricana d'un air maussade et finit son verre d'une gorgée. En passant à côté du Draken, celui-ci le fit tomber à cause d'un mauvais geste de sa queue. L'homme s'étala sur le sol poisseux sous la risée de tous. Étrangement, il se releva sans mot dire et n'esquissa aucun mouvement agressif. Au contraire il sourit au Draken et passa la porte.

Dans sa main se tenait la tablette, un don du ciel, il le sentait. Son flair ne le trahissait jamais.