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Il s'effondre. Je ne me penche pas pour l'aider, la mort a déjà fait son œuvre.
Après avoir lu les dernières pages de l'histoire, j'ai été prise d'une fureur sourde et sans nom en constatant les pages arrachées. Si un meurtrier ou un voleur sont pour moi vils, il n'est pas d'engeance plus méprisable qu'une personne qui arrache, brule ou détruit des ouvrages. Un autodafé à mes yeux, c'est une tuerie des plus sanguinaire, c'est un génocide.
Ma soif de Savoir m'a amenée à partir de la Ville Lumière, pour aller dans des terres lointaines, et presque désertes. Jadis, Sufokia était une terre prospère, notamment car elle était le seul port pour Otomai. À l'arrivé de l'Ile glaciale, de nombreux habitants, les yeux remplis par l'appât du gain, avaient quitté le Rivage pour la Bourgade. Puis il y avait eu cet assaut Bwork, qui avait ravagé les terres et exterminé un grand nombre des Sufokiens restants.
À dos de Dragodinde, le voyage fut court. Il faut dire que depuis l'avènement de Bonta, le commerce va bon train, et de nombreuses routes ont été aménagée.
Ce n'est qu'en vu du port que, scrutant cette mer qui contenait, disait l'ouvrage, un monde, je me suis demandé ce que je faisais là. Fonçant sans réfléchir ni demander conseil, à aucun moment je ne m'étais dit que je n'avais aucun but, aucun indice, aucune aide quelconque, aucun endroit où aller. J'étais juste perdue.
Mais il est trop tard pour reculer. Déposant ma monture au Chanil, j'étais entrée en terre Sufokienne. Quel changement par rapport à Bonta ! Les vendeurs à la criée, les acheteurs, les marchands, les hôtels de vente, les ateliers, les touristes, rien de ceci ne s'imposent à mes yeux. Seulement un vague assemblage de pont précaire s'étendant à perte de vue sans nulle âme qui vivent.
Je me dirige précautionneusement vers une sorte de maison plus haute que les autres, la seule qui laisse paraitre un signe de vie, un filet de fumée.
Cette bâtisse, bien que biscornu et usée, a vécu bien des choses. Du temps prospère à la décadence, du conseil de Guerre Bwork à l'arrivé de Frigost, que de souvenirs transpirent de ces murs ! Bien que je ne sois jamais venu ici, l'atmosphère lourde et silencieuse me rappelle un endroit familier, je me sens chez moi. En m'approchant de la porte de l'endroit, je vois un panneau. Il est écrit : Taverne duRipate.
Poussant légèrement la porte qui s'entrouvre, j'entends des éclats de voix, des paroles, des chants, des annonces semblables à celles du Poker de Bonta.
Je referme la porte, effarée. Tant de gens, tant d'agitation ! Je n'ose entrer, de peur des moqueries, des alcooliques, et tout simplement qu'on me parle.
La nuit tombe, le vent fraichit, nous sommes au bord de la mer. Je grelotte, et prenant mon courage à deux mains, je m'entoure d'invisibles boucliers dans l'espoir utopique qu'ils pourraient me cacher, et pousse lentement la porte.
Certains se retournent pour voir la nouvelle arrivante, et plusieurs me saluent. Bafouillant une faible salutation, je regrette déjà d'être entrée.
Au fond, sur une table, des joueurs, cinq je crois, jouent au jeu que j'ai entendu tout à l'heure. Un Iop, un Sadida, deux Pandawas, et un jeune Crâ. À part ce dernier, tous trichent, ce qui me révolte.
Je m'assois sur un tabouret éloigné des Sufokiens, qui me dévisagent d'un air étonné. Tout comme moi, un Ecaflip habillé de rouge et un homme de noir vêtu, sûrement Roublard et malhonnête, sont à l'écart. Ne sachant que faire, je me tourne vers la table de jeu, et observe. Relance, pique, Quarte, tierce d'As, doublon de Sept, soyons franc, c'est du grand n'importe quoi. J'aurais pu rester seule longtemps pour mon plus grand plaisir si le Crâ, ayant fait tomber une carte, ne m'avait pas vu. Il me dévisagea, avec des yeux d'une bleutée incroyable qui n'exprimait que la surprise la plus totale. Son visage s'empourpra, il toussa, essaya de se reprendre. Posant ses cartes sur le bois, il prévint ses camarades de son départ, et se leva, faisant tomber sa chaise bruyamment. Il se dirigea vers moi et, s'arrêtant à quelques pas, se racla la gorge, essaya de faire une phrase articulée, ce qui, couplé à son baffouillement et à son désir de bien faire, eut pour effet de prononcer un dialecte Gobelin. Il réessaya.
- Comment tu... Euh... Moi je suis... Euh... Taro, voilà !
D'un ton froid et distant, je lui répondis un cassant:
- C'est très intéressant...
Je n'ai que peu de contact avec les gens, et ce n'est qu'en le voyant partir, déboussolé, que je compris que je ne me ferais pas des amis en procedant ainsi. Sans doute était-il déçu, je constatais que j'avais fait une légère erreur de communication. Le regard qu'il avait jeté à mon corps m'avait énervé, mais je cherchais des informations, tenir compte de ces légers détails était inutile.
J'allais présenter mes excuses ( ou du moins essayer ) au jeune Crâ, lorsque la porte s'ouvrit dans un grincement. Un très vieil Enutrof entra. De petite taille, le poids des âges se ressentait dans son pas saccadé. Il se mît à parler. À me parler, ainsi qu'au Roublard, au malheureux Archer, et qu'à l'Ecaflip Brakmarien.
Et il s'effondra. Je ne me penche pas pour l'aider, la mort ayant déjà fait son œuvre. Un arrêt cardiaque sans doute, après avoir accompli la mission qu'il semblait avoir mené à bien : rassembler quatre inconnus dans un même but. Les personnes de la Taverne se précipitèrent. Ils connaissaient ce vieux, il souhaitait mourir, c'était une forme de soulagement pour les Sufokiens. Une rapide prière suivit, puis ils décidèrent d'emmener le corps à l'hôpital, et de préparer les funérailles du lendemain. Tristes, ils l'étaient un peu, mais soulagés, également.
Ils quittèrent tous la taverne. Tous, sauf les trois étrangers, et Taro, qui n'avait d'yeux que pour moi.
L'enutrof nous avait rassemblé là, ce n'était sans doute que le fruit d'une longue et lente prophétie.
Le Cra toussa, l'Ecaflip se racla la gorge, et le Roublard dit:
- Quel con, ce vieux.
Puis des présentations s'engagèrent. L'Ecaflip pourchassait des soit-disant pirates, le Cra cherchait un soit-disant ami, le Roublard cherchait un soit-disant trésor. Je suis cynique, car après tout, que cherchais-je? Un soit disant Empire disparu? Le Roublard, en retrait de nous trois, ne parlait pas, ou peu. Grossier personnage. Le Crâ me dévorait du regard.
Je leur apprit ce que je savais, ma lecture, mon but, ma quête. Si le Roublard parut amusé, l'Ecaflip ne pipa mot et Taro sembla intéressé, quoique une recette de cuisine l'eut surement également frappé.
Le vieux avait parlé du Chouque, ce monstre, terreur de Moon, vexé que l'île ne porte pas son nom.
Je vous passe les détails, je décidais d'y aller, et fit part de mes intentions. L'Ecaflip, fidéle à sa mission, décida de venir avec moi. Le Crâ accepta, sans dire la raison, bien qu'il n'en avait surement pas besoin tant son admiration transpirait. Le Roublard ne parlait toujours pas.
- Et toi... Viens-tu?
Dernière modification par Alc-Olemie ; 24/03/2012 à 21h45.
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