« Tout tombe en ruines », déclara Boraga, le second, s'étalant sur les épaisses peaux de furbolg qui tapissaient le hall d'entrée de la forteresse de Shargha.
« Mmm, qu'est-ce qui tombe en ruines ? », bâilla Shargha, le chef du clan, qui ne prit même pas la peine de lever les yeux des cartes étalées sur la table où il préparait ses campagnes.
« Tout », répondit Boraga. « Tu vas voir, tout va finir dans le Néant Distordu. »
Shargha émit un vague grognement et tendit la main vers une autre carte. Boraga maniait l'épée avec force et n'éprouvait pas plus de peur qu'un troll, mais il n'arrêtait pas de se plaindre dès que la bataille était terminée. Néanmoins, pour Shargha, les lamentations de l'orc étaient plutôt réconfortantes. Il se plaignait peut-être, mais au moins, il ne complotait pas contre son supérieur.
« Regarde. Où qu'on aille, des trucs nous tombent sur le crâne. » Boraga se releva et se mit à faire les cent pas. « Et c'est comme ça depuis le début. On a régné sur tout un monde, tout ça pour le voir disparaître d'un coup. Et c'est tout juste si on a réussi à s'échapper avant. »
Ce gros lourdaud en parlait comme s'il y avait assisté, alors que tout cela s'était déroulé des générations plus tôt. Prenant un ton calme, Shargha le corrigea. « En fait, on est d'abord arrivés ici. Et les démonistes, nos chefs à l'époque, ont tellement foiré leurs plans qu'on en a perdu le Premier Monde. »
Boraga l'écoutait à peine. « Et on s'est donc pointé sur Azeroth, où tout le monde se fait tabasser par les morts-vivants et les démons. »
« Là encore, je pense que des orcs étaient aussi dans le coup », déclara Shargha. « Les démonistes de la première fois, pour être précis. »
« Et on s'est encore échappés, sur des bateaux volés aux humains, pour arriver en Kalimdor... pour nous retrouver au beau milieu d'une autre guerre énorme, avec toujours plus de morts-vivants et de démons. »
« Guerre qu'on a remporté », répondit Shargha. Il observa un point sur la carte, fronça les sourcils, puis tendit la main pour attraper un lourd atlas relié.
« Oui, mais qu'est-ce qu'on y a gagné ? », demanda le jeune orc visiblement excité. « Ce continent est en miettes. Les ruines s'empilent les unes sur les autres. Les côtes sont couvertes de navires à moitié coulés. On crée des royaumes ridicules qui s'effondrent commes des châteaux de cartes. N'importe qui avec une épée et trois hommes sous ses ordres veut se proclamer chef de guerre. Les champs ont été brûlés jusqu'à la racine, le bétail a été abattu ou s'est enfui dans la nature, et presque tous les bâtiments qui se trouvent ici ont au moins brûlé une fois. »
« Intéressant », remarqua Shargha, se parlant presque à lui-même. « Cette carte montre une vieille forteresse près de la source de cette rivière, mais les atlas dessinés plus tard ne l'indique plus. Tu sais ce que ça signifie ? »
« Exactement ce que je suis en train de dire », grogna Boraga. « Cet endroit est un vrai bordel, un tas de ruines. A deux pas du Néant Distordu, avec les démons qui frappent à la porte. »
Shargha soupira puis se leva de la table, et se dirigea vers la fenêtre. Cet étage de la forteresse se trouvait au niveau de la cime des arbres. D'ici, Shargha pouvait voir une vaste étendue verte s'étaler jusqu'au pied d'une chaîne de pics enneigés. Quelque part parmi ces pics se trouvait la source de la rivière, et près de cette source se trouvait une cité abandonnée ; des ruines datant de l'époque des titans, si l'annotation de la carte était exacte ; des ruines remplies de secrets et de trésors. Et malgré ça, tout ce que Boraga trouvait à faire était de se plaindre en déclarant que de toute façon, la cité avait été perdue.
Une colonne de fumée s'élevait de la forêt, sur la droite, à une distance d'environ deux jours à dos de loup ; c'était sans doute un feu impressionnant, vu la facilité avec laquelle on pouvait l'apercevoir. Il avait pu s'agir de la foudre ou d'un incendie de forêt, ou pire encore. Des envahisseurs, peut-être, ou bien une bataille entre des forces dont Shargha n'avait même pas connaissance. Ou peut-être un bûcher funéraire. Ou bien encore une chimère en train de se tailler un nid. Ou peut-être enfin des nains et leurs chars à vapeur, en route vers cette forteresse abandonnée.
Qui que ce soit, toujours était-il que le feu se trouvait à deux jours de chevauchée. S'il annonçait des ennuis, ce serait pour bientôt. Il décida qu'il enverrait des grunts supplémentaires dans la patrouille de nuit, juste au cas où.
Puis il déclara d'une voix forte : « Regarde ce monde à travers la fenêtre, Boraga. C'est un monde ancien, qui abrite d'anciens trésors perdus au milieu cette végétation, des cités abandonnées là-haut dans les montagnes, et plus de connaissances que les humains ont jamais pu en avoir du temps de Lordaeron. C'est un monde qui s'éveille à nouveau. Qu'est-ce que tu vois quand tu regardes à travers cette fenêtre ? »
« Je vois un monde en ruines. Ce qui n'est pas encore en ruines est en train de brûler, et ce qui n'est pas encore en train de brûler n'a aucune valeur », répondit Boraga en reniflant. « Et qu'est-ce que tu y vois, toi ? »
« Moi ? », dit Shargha, ses lèvres se tordant autour de ses grands crocs en un sourire satisfait. « Des opportunités, mon gars. Des opportunités. »
NdT : Dans ce texte, j'ai essayé de faire parler les orcs comme je me les imaginais, en utilisant un langage peut-être plus familier que celui du texte d'origine. Je ne crois pas que beaucoup d'orcs (même les chefs) prennent un langage bien soutenu pour discuter, alors pour rendre le texte plus agréable à lire (j'espère), je me suis permis quelques libertés.